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HEAL Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON HEALTH

COMITÉ PERMANENT DE LA SANTÉ

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 3 juin 1999

• 0909

[Traduction]

Le président (M. Joseph Volpe (Eglinton—Lawrence, Lib.)): La séance est ouverte. Conformément à l'ordre de renvoi du 8 mars 1999, réexamen de l'article 1 du projet de loi C-247, Loi modifiant le Code criminel (manipulation génétique).

[Français]

Nous recevons ce matin plusieurs témoins. L'un d'eux est bien connu de certains des députés qui font partie de ce comité. Il s'agit de Mme Suzanne Rozell Scorsone, ex-commissaire de la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, et directrice du Bureau des communications et du Bureau de la vie de famille catholique de l'Archidiocèse de Toronto.

• 0910

Nous recevons également le vice-président du Collège canadien des généticiens médicaux, le Dr Ronald F. Carter, et Mme Fiona Miller de la Feminist Alliance on Genetic and Reproductive Technologies.

[Traduction]

Mme Margaret Somerville, professeure en droit de Gale de cette université, se joindra bientôt à nous. Je vous souhaite la bienvenue à vous trois, en attendant notre quatrième témoin.

Mes collègues sont habituellement présents en grand nombre. Mme Picard ne s'offusquera pas de ne pas les voir nombreux aujourd'hui, car certains d'entre eux sont déjà partis pour s'occuper de certaines fonctions électorales. Toutefois, je présume que le parti gouvernemental est on ne peut mieux représenté par M. Ovid Jackson, qui détient un doctorat. Je tiens à dire aux témoins que les transcriptions sont remises à chacun des collègues, si bien que les membres du comité seront informés de tout ce qui se dira ici—et seront bien saisis de la question.

Mme Picard, bien sûr, avait déjà participé à l'étude du projet de loi C-47 quand vous avez comparu, je crois, madame Scorsone, et vous étiez là aussi madame Miller. M. Carter n'était pas à ces audiences. Quoi qu'il en soit, je me souviens de vous deux. Mme Picard était là, et nous avons accueilli quelques témoins au début de l'étude du projet de loi C-247. Comme vous le savez, j'en suis sûr, le projet de loi C-247 a été adopté à la Chambre, avant d'être renvoyé au comité, puis il a été renvoyé à la Chambre, et nous en sommes saisis à nouveau.

Je vais donner la parole à chacune d'entre vous pour une période de cinq minutes. Je vais tâcher de ne pas être trop strict quant au respect de l'horaire. Puis nous entamerons la période de questions. Comme je ne crois qu'il y ait beaucoup de membres présents aujourd'hui, j'espère que mes collègues me permettront d'être un peu plus souple et généreux pour l'attribution du temps au moment de la période des questions.

Vous êtes d'accord, madame? Madame Desjarlais, vous êtes d'accord aussi? Très bien.

Madame Rozell Scorsone.

Mme Suzanne Rozell Scorsone (ex-commissaire de la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, directrice des communications et de la vie familiale catholique, archidiocèse de Toronto): J'ai participé à la commission royale parce que je détiens un doctorat en anthropologie sociale et j'ai ainsi pu examiner sous l'angle des sciences sociales l'incidence qu'ont sur les groupes humains les mesures que nous prenons, et j'y ai aussi apporté une compréhension de l'aspect physique, parce que les anthropologues doivent aussi comprendre les questions médicales et le fonctionnement du corps humain.

Pour ce qui est du projet de loi, il est excellent en principe. J'étais très heureuse qu'on le soumette à nouveau, après avoir eu la grande déception de voir le projet de loi C-47 presque adopté pour mourir au Feuilleton, quand il aurait suffi d'une mise aux voix de cinq minutes pour l'adopter. Ce projet de loi porte sur un aspect qui était traité dans le projet de loi antérieur, plus vaste, et sur une question de grande envergure, et je suis sûre que vous vous y intéressez tous, et il les met en évidence. Il faut bien penser à tout ce qu'on peut attendre quand une nouvelle mesure législative, controversée, est présentée en fin d'année.

Voilà donc une excellente occasion de traiter de la question en tant que telle, mais aussi d'examiner certains points qui prendront toute leur pertinence à mesure qu'on débattra de ce que contient le projet de loi—vers la fin de l'année, semble-t-il. C'est donc dans ce contexte que je prends la parole.

Ces questions sont au coeur de ce que cela signifie que d'être un être humain et de comment nous nous comportons les uns envers les autres—non seulement envers ceux qui vivent, mais envers ceux qui vont exister. Il se pose ici des questions essentielles sur la nature de l'humanité. Traitons-nous les êtres humains comme des fins en soi, comme des produits industriels, ou peut-être comme des personnes en soi, mais qui néanmoins sont industrialisées dans leur production, ou qui peuvent être utilisées à des fins industrielles? Cela pose des questions essentielles.

• 0915

Je constate qu'à l'alinéa 286.1(1)a), il y a deux aspects à examiner. Il est question de la manipulation d'un ovule, d'un zygote ou d'un embryon pour en produire un autre identique, ou pour implantation. Qu'il y en ait deux est terriblement important parce que d'une part, la plupart d'entre nous pensent que le clonage somatique ou même le clonage d'embryons ne vise qu'à améliorer la fertilité. De plus en plus, il ressort—et d'ailleurs les gens du milieu en sont au courant depuis longtemps—qu'on pourrait faire bien d'autres choses avec ce procédé si c'était permis, et j'espère que cela ne le sera pas.

Des embryons pourraient être clonés, par exemple, et on pourrait les utiliser pour obtenir des cellules souches qui seraient pluripotentes ou même peut-être totipotentes. Ensuite, elles pourraient servir à la production de tissus, comme des tissus cellulaires des paupières, du foie, du cerveau et ainsi de suite. On pourrait les manipuler pour fournir ces tissus. Il pourrait s'agir d'une vaste industrie qui utiliserait les embryons humains comme sources et ressources industrielles pour produire des tissus servant à une thérapie.

La thérapie est naturellement une bonne chose, mais la question est de savoir où l'on se procure ces choses qu'on utilise pour un traitement? Il existe déjà d'autres solutions et on pourrait en trouver d'autres à l'avenir. Alors pourquoi risquer de faire quelque chose qui est pour le moins très hautement discutable sur le plan éthique, quelque chose que j'aimerais voir interdire sur-le-champ, alors qu'il existe des solutions de rechange pour obtenir le même résultat bénéfique? La fin ne justifie pas les moyens.

On ne devrait pas faire dépendre la réalisation d'un bon objectif de l'utilisation d'êtres humains en tant que ressources industrielles. Il est possible aujourd'hui d'obtenir même des cellules souches du cerveau pour les cultiver in vitro et les utiliser pour le traitement de désordres neurologiques. Il est possible aujourd'hui d'obtenir des cellules souches du sang.

Si on y investissait suffisamment d'argent et qu'on effectuait suffisamment de recherche, je suis persuadée qu'il serait possible de prendre des cellules somatiques et même de les rendre pluripotentes—d'en supprimer la spécialisation et de faire en sorte qu'on puisse les utiliser dans divers contextes.

On effectue aussi de plus en plus de recherche sur l'utilisation des cellules animales. Si l'on peut régler le problème de l'antigénicité ou de la réponse immunitaire, sur le plan éthique rien ne nous empêche de les utiliser pour traiter des humains, pas plus qu'on hésite à se servir des animaux pour se nourrir ou pour se chausser, dans la mesure où l'on les traite de façon humanitaire et selon les normes que nous jugeons acceptables.

Il n'y a pas de bonne raison de prendre un raccourci douteux pour obtenir des cellules pour assurer un bon traitement, quand il est possible de le faire d'une façon acceptable pour tout le monde. Il est aussi important de dire que ce fait le Canada sera considéré comme un exemple par de nombreuses autres sociétés. Nous ne faisons pas cela isolément. Si l'on enfreint cet interdit de traiter les être humains comme des ressources industrielles, on l'enfreindra certainement ailleurs. C'est très important.

En outre, pour revenir à l'alinéa 286.1(1)b), l'interdiction de la transmission de la lignée germinale est très importante. En théorie, il serait bien de dire que si nous pouvons appliquer une thérapie, pourquoi ne pas faire en sorte de traiter la maladie sur de nombreuses générations. Le problème c'est qu'il n'y a pas moyen de savoir quel risque cela comporte. Il est acceptable de traiter quelqu'un qui est atteint d'un problème de santé. Si la thérapie ne réussit pas, les conséquences ne sont subies que par cette personne. Mais une fois qu'on l'introduit dans la lignée germinale, on ne sait pas ce qu'il en adviendra ni quelle durée elle aura. Il me semble qu'il n'est pas acceptable sur le plan éthique de se servir de la prochaine génération, d'une personne qui ne donne pas son consentement, de l'utiliser en fait comme un cobaye en vue d'un traitement. Les personnes doivent être considérées comme des fins en soi.

Pour poursuivre, je suis très heureuse du paragraphe 286.1(3): «Il est interdit d'offrir de rétribuer une personne...» C'est le principe de la non-commercialisation de la reproduction humaine. C'était déjà dans le projet de loi C-47 et je m'en étais déjà réjouie. Je suis convaincue que tous les membres de la Commission royale, les ex-commissaires, s'en sont réjouis également. J'espère que dans la présente mesure législative et dans toute mesure qui pourra être présentée à l'automne, il sera clairement établi qu'il ne devrait y avoir aucune commercialisation de la reproduction humaine.

• 0920

Ce dont je ne suis pas certaine... Il s'agit du Code criminel. Je crois savoir que la mesure législative de l'automne visera la Loi sur la santé, avec des sanctions de nature pénale. C'est au Parlement d'en décider. Vous êtes les mieux placés pour savoir ce qui sera efficace. Ce qui m'importe le plus, c'est que cette mesure soit efficace, qu'elle serve à quelque chose et qu'elle soit dissuasive. Les modalités précises, je vous les laisse.

Le président: Madame Scorsone, vous avez réussi à faire quelque chose que tous les membres ici vous envieront, j'en suis certain, et c'est que vous avez réussi à faire une annonce sans que certains membres, peut-être, s'en rendent même compte, soit qu'il y a une autre mesure législative que le comité étudiera—à l'automne, avez-vous dit? Je ne sais pas.

Mme Suzanne Rozell Scorsone: Eh bien, le Globe and Mail est au courant.

Le président: Le Globe and Mail a des antennes dans cette salle. Il a des antennes au cabinet du ministre. Il a des antennes au caucus—notre caucus, alors. Je ne sais pas s'il en a dans celui des autres.

Merci beaucoup.

Madame Miller.

Mme Fiona Miller (Feminist Alliance on Genetic and Reproductive Technologies): Merci.

Merci beaucoup de m'avoir invitée ce matin. Je suis membre la Feminist Alliance on Genetic and Reproductive Technologies. C'est un groupement féministe qui a son siège à Toronto et qui a des liens virtuels dans tout le pays ainsi que d'étroits rapports avec le Comité canadien d'action sur le statut de la femme, qui n'est pas représenté ici en raison de son assemblée générale annuelle tenue ce week-end.

J'exposerai d'abord le cadre d'analyse que nous employons pour examiner ces questions. En premier lieu, tout en reconnaissant et respectant la légitimité du désir d'avoir des enfants des couples infertiles, des particuliers et des couples qui sont infertiles et d'autres qui doivent recourir à des technologies de conception assistée pour avoir des enfants, nous estimons que les questions qui se posent vont bien au-delà de ces préoccupations.

Permettez-moi simplement d'énumérer trois groupes d'intéressés qui ont des préoccupations bien nettes et très profondes en ce qui concerne l'égalité et les droits de la personne eu égard à ces technologies: soit, les femmes—et je pense ici entre autres choses aux droits de reproduction des femmes; les personnes ayant un handicap; et les personnes qui sont le fruit de ces technologies, que l'on appelle à tort les enfants, car bien sûr elles grandissent et ont des préoccupations relatives aux droits humains dont nous devrions tenir compte.

En bref, nous appuyons ce projet de loi malgré ses limites parce qu'il faut que le gouvernement fédéral agisse, qu'il existe en tout premier lieu des normes nationales et parce qu'il doit y exister dans certains cas des interdictions assorties de sanctions pénales exécutoires. Nous nous inquiétons du fait que le désir de réglementer qui occupe à juste titre la direction de la politique de la santé est peut-être en train de nous dissuader d'établir des directives très claires contenant de véritables interdictions. Ce qu'il y a de bien, entre autres choses, dans ce projet de loi, malgré toutes les préoccupations qu'on peut avoir en ce qui concerne le Code criminel et son utilisation, c'est qu'on y envisage des limites, des sanctions et des interdictions claires. On ne peut se contenter tout simplement d'établir un régime réglementaire.

Le président: Permettez-moi de vous interrompre un instant, madame Miller. Je vous demande de parler un peu plus lentement pour que les interprètes puissent vous suivre. Merci.

Mme Fiona Miller: D'accord. C'est toujours un problème.

Je parlais de la nécessité d'interdire. L'un des problèmes qui se posent si on n'envisage aucune interdiction dans un cadre réglementaire, c'est que nous créons un système qui n'est qu'un ensemble de restrictions donnant lieu à l'imposition d'amendes. Autrement dit, ne pas se conformer aux règlements finit par aller de soi, et je pense que nous devons sérieusement envisager d'imposer de fermes interdictions. C'est ce qu'on fait ici. Nous nous en réjouissons.

Enfin, nous appuyons ce projet de loi en raison du caractère absolument odieux des pratiques envisagées. Je ne sais pas si l'amendement visant l'abrogation de l'article 2 a été ou non adopté à la Chambre, mais j'appuierais et l'article 1 et l'article 2 qui limitent le clonage et la lignée germinale et bien sûr les autres articles.

J'aimerais parler brièvement de certains des problèmes que ces pratiques posent, d'après ce que nous en savons. Elles soulèvent naturellement des préoccupations importantes en ce qui concerne la santé et la sécurité des êtres qui en sont le résultat et, comme nous le voyons d'après le clonage de mammifères, elles en posent aussi dans certains cas pour les femelles en état de gestation. D'où nos inquiétudes sur le caractère injustifié de ce genre d'expérimentation humaine à laquelle on procéderait.

• 0925

Tout comme Mme Scorsone, j'estime que nous devons considérer les personnes qui résultent de ces pratiques comme des fins en soi, et non pas comme des moyens d'aboutir à une fin. Par ces pratiques, on considère effectivement les gens qui sont le résultat de ces technologies comme des produits qui seront mis au point et perfectionnés dans l'intérêt des intervenants actuels seulement.

Il se suppose aussi le problème de la mystique génétique, si je peux me permettre cette expression, qui fait qu'on a une foi aveugle en un modèle simpliste et périmé de l'action génétique, et je suis sûre que M. Carter pourrait vous en parler également. Par exemple, le clonage est particulièrement dangereux non pas parce qu'il produit des personnes identiques. Du reste, il n'existe pas de personnes identiques. Un des grands dangers du clonage, c'est qu'on s'attendra à ce qu'il en résulte des êtres identiques et que les enfants feront les frais des ces attentes.

Enfin, ces technologies—surtout la manipulation génétique de la lignée germinale—reposent sur une conception erronée des maladies humaines, de la déficience et de la spécificité, une conception selon laquelle ces conditions sont uniquement ou principalement biologiques et que leur éradication est nécessairement un bien. Cette croyance est tout à fait détachée de l'expérience que vivent les gens ayant un handicap, qui ne considèrent pas leur expérience de vie sous l'angle négatif qu'ont des personnes sans handicap quand elles réfléchissent à cette situation.

Pour terminer, nous reconnaissons les limites très importantes du projet de loi eu égard à l'intégralité de celui-ci et aux mécanismes d'observation. Il faut bien plus que cela, et Mme Picard serait d'ailleurs la première à le reconnaître. Pourtant, nous estimons qu'il vaut la peine de faire un pas de plus grâce à cette mesure législative limitée, étant donné qu'aucun projet de loi ne suffira à lui seul. À ce propos, j'attire votre attention sur le fait que les technologies génétiques et de reproduction ne sont pas des activités isolées mais font partie de l'ensemble des systèmes de soins de santé et dépendent de son bon fonctionnement.

Pour l'instant, nous craignons vraiment que la condition minimale pour la réglementation des technologies génétiques et de reproduction, c'est-à-dire la sécurité, ne soit pas respectée. De récentes révélations sur l'incapacité de la Direction de la protection de la santé de superviser les banques de sperme canadiennes montrent que les technologies génétiques et de reproduction témoignent de l'échec systématique de cette direction du ministère à protéger l'intérêt public, et le processus de transition actuel—je sais que c'est une autre question—semble faire vraiment fausse route si l'on veut remédier au problème.

J'estime que, oui, c'est un texte législatif limité, mais si nous voulons vraiment réglementer les technologies génétiques et de reproduction de façon complète, aucun texte législatif ne nous permettra de le faire. La Direction de la protection de la santé est un élément crucial aussi, et j'attire l'attention du comité de la santé sur ce fait, car je sais que vous êtes très au courant de ces questions. Par conséquent, il y a beaucoup à faire. L'inaction n'est pas une solution. Cette mesure est un premier pas.

Le président: Merci, madame Miller.

Peut-être pourriez-vous apporter une précision, pour moi et peut-être pour d'autres aussi. Vous avez parlé d'un processus de transition. De quoi s'agit-il?

Mme Fiona Miller: Je parlais de la transition de la Direction de la protection de la santé qui a été annoncée, je pense, cet été. C'est l'examen biennal de toute la législation. Le but est d'examiner toute la Loi sur les aliments et drogues. Dans certains éditoriaux, on a parlé d'une transition vers le néant. C'est ce que j'ai entendu.

Le président: Je suis heureux que vous précisiez qu'il s'agissait d'éditoriaux et non pas de faits établis.

Monsieur Carter.

M. Ronald F. Carter (vice-président, Collège canadien de généticiens médicaux): Merci. Je vous remercie de tenir la présente séance. Merci de m'inviter à participer à titre de représentant du Collège canadien de généticiens médicaux. Je suis vraiment très heureux de pouvoir vous faire part des préoccupations de mes collègues des milieux médicaux et scientifiques de tout le Canada.

Je suis le directeur d'un laboratoire de génétique régional où l'on procède à des tests prénatals. Je suis aussi vice-président d'un collège que j'appellerai le CCMG. Ce collège a vu le jour pour concevoir des normes élevées dans la prestation de services génétiques médicaux au Canada et pour assurer leur respect. Nous veillons à ce que nos membres respectent des critères élevés en matière de formation, de compétence et de conduite professionnelle. Nous fournissons également des avis et des conseils à d'autres spécialistes et organisations du milieu médical. Mais avant tout, et je tiens à le souligner, nous avons pour principe d'agir dans tous les cas dans l'intérêt supérieur des patients. Nous fournissons l'information pertinente, telle que demandée, et nous fournissons des conseils et des soins à nos patients en leur assurant un soutien mais sans orienter leur choix.

• 0930

La première chose que je tiens vraiment à souligner, c'est que nous considérons comme tout à fait inacceptable toute tentative de clonage humain. Nous ne voyons aucune raison de considérer cette pratique justifiable sur le plan de la morale, de l'éthique, de la médecine ou de la science. C'est pourquoi nous appuyons sans réserve l'intention du projet de loi.

Je comparais toutefois pour essayer de faire en sorte que ce projet de loi ne soit pas adopté. Nous estimons que ce texte législatif ne peut pas être mis en oeuvre et qu'il pourrait être utilisé pour freiner des pratiques médicales et des recherches scientifiques légitimes et acceptées.

Le principal problème a trait au libellé du projet de loi qui n'est ni suffisamment exact ni suffisamment complet pour établir une distinction entre ces nouvelles techniques de reproduction qui sont nécessaires et utiles pour assurer des services médicaux authentiques et celles qui pourraient être utilisées pour des tentatives inacceptables de clonage humain.

Le deuxième problème tient au fait que la mesure n'est liée à aucun cadre pour guider les autorités quant à l'interprétation souhaitable et à la mise en oeuvre du texte législatif. Par conséquent, ce dernier pourrait ne pas permettre d'atteindre son objectif déclaré.

Un troisième problème tient au fait que le projet de loi risque de donner lieu à des abus ou à une mise en oeuvre punitive. Ce serait tout aussi inacceptable, parce qu'on menacerait ainsi les soins médicaux et la recherche médicale légitime.

Je vous donne un bref exemple. À l'alinéa (1)a), il est question d'implantation dans le corps d'une femme. Or, selon une étude britannique récente, il est très possible qu'à l'avenir, on puisse implanter des embryons dans le corps d'un homme. Je ne suis pas certain que j'aimerais me soumettre à cela, et je ne vois pas pourquoi on souhaiterait le faire, mais ce sera possible, probablement dans cinq ans.

J'aimerais parler du contexte médical pendant quelques minutes. L'infertilité et les maladies génétiques sont courantes. Il existe à proprement parler des milliers de différentes maladies génétiques, environ 9 000 gènes catégorisés et reconnus selon les dernières données. Les maladies génétiques sont à l'origine d'environ 30 p. 100 de toutes les admissions d'enfants à des hôpitaux de soins tertiaires comme le Hospital for Sick Children de Toronto.

Il y a 20 ans à peine, le Dr Charles Scriver, de Montréal, estimait que le traitement de maladies génétiques ne donnait vraiment de résultats que dans 10 p. 100 des cas, et qu'il était tout à fait inutile dans plus de la moitié des cas. La situation évolue. Grâce à une révolution en matière de capacité de traitement et de diagnostic, nous sommes sur le point d'être en mesure de traiter efficacement ou même de prévenir les maladies génétiques, les troubles congénitaux et l'infertilité. Nous ne voulons pas tenter de créer des bébés ayant un fort quotient intellectuel ou de grandes capacités. Nous avons envers nos patients la responsabilité de les aider autant que nous le pouvons. Au Canada, un couple sur dix qui essaient d'avoir des enfants est considéré stérile.

De plus, les maladies génétiques sont un grand sujet de préoccupation pour de nombreux Canadiens. Des parents peuvent présenter un risque élevé de transmission de maladies graves et mortels, comme la dystrophie musculaire Duchenne, la fibrose kystique, la maladie de Tay-Sachs, et de nombreuses autres conditions semblables. Je dois souligner que les degrés de gravité varient considérablement, mais ces maladies ont des conséquences de longue durée pour les familles. Il y a des cas d'enfants morts-nés, de bébés qui ne grandissent pas et meurent très jeunes, des bébés en santé qui cessent de progresser et régressent pour finir par mourir en bas âge, des enfants qui s'efforcent de vivre malgré de lourds handicaps qui menacent leur vie, et des adultes qui ne peuvent pas avoir d'enfants en santé.

Nous formons une équipe composée de médecins de famille, de conseillers professionnels d'appoint, d'obstétriciens, de généticiens, de spécialistes en néonatalogie, et de spécialistes en planification familiale. Nous essayons collectivement d'aider nos patients.

Laissez-moi vous citer en exemple certaines des dispositions du projet de loi qui pourraient nous nuire. Sachez que la thérapie génique est très prometteuse pour les chercheurs qui tentent d'éviter la transmission d'un trouble grave d'une génération à l'autre. Or, l'un des problèmes auxquels fait face actuellement la science de la thérapie génique, c'est d'injecter un gène dans des cellules pleinement différenciées et spécialisées de tissus cibles, comme celles d'un organe donné, par exemple. Cette technique difficile pourrait être évitée si le gène porteur de la maladie pouvait être corrigé à l'étape du zygote ou à l'étape préliminaire de l'embryon, c'est-à-dire au moment où les cellules sont plus multi-potentielles et qu'elles sont plus faciles à manipuler du point de vue génétique.

• 0935

Toutefois, l'alinéa 286.1(1)b) pourrait être interprété comme interdisant cette thérapie génique à l'étape préliminaire du zygote ou de la gamète. En effet, comment pourrait-on interpréter «modifier la structure génétique»? S'agit-il ici de l'ADN en totalité ou en partie? S'agit-il ici d'un gène en totalité ou en partie? Après tout, pour corriger la fibrose kystique, il suffit d'identifier une seule paire de base, soit une molécule sur six milliards. Il a quelque 100 000 gènes dans chaque cellule. Quant à l'ADN, il est enveloppé dans différents types de protéines et associé à différentes structures cellulaires. Quel type de thérapie peut-on tenter, jusqu'où peut-on aller et quand exactement peut-on intervenir pour éviter de contrevenir à cette disposition?

Prenons comme deuxième exemple les mitochondries qui sont des structures dans le cytoplasme des cellules. Les mitochondries ne se trouvent pas dans le noyau, mais plutôt dans la cellule elle-même, mais ont leur propre ADN qui diffère de l'ADN nucléaire. Les mutations de l'ADN mitochondrial peuvent entraîner des troubles graves qui ne font leur apparition qu'à la maturité du sujet. En effet, ces troubles apparaissent souvent à l'âge de cinq, dix, vingt ou même trente ans. Seules les mitochondries du cytoplasme de l'ovule participent à la formation du foetus. Ainsi, nous pourrions empêcher la transmission d'une maladie mitochondriale en insérant le noyau d'un ovule prélevé sur une mère présentant des risques élevés dans le cytoplasme de l'ovule d'une donneuse saine. Ces techniques ont déjà été éprouvées dans les mammifères et donnent de bons résultats, car elles peuvent empêcher la transmission d'une maladie grave. De plus, l'ADN du noyau n'est pas modifié, mais c'est l'ADN des mitochondries qui est échangé lors de la transplantation. Cette technique ne contreviendrait-elle pas au projet de loi?

Comme troisième exemple, prenons la fertilisation in vitro qui est une procédure médicale couramment acceptée de nos jours. Or, il arrive qu'au cours de cette procédure, un embryon se jumelle après avoir été implanté dans l'utérus. Ce n'est pas planifié, mais cela peut arriver. Toutefois, si les deux embryons jumelés sont menés à terme lors d'une grossesse couronnée de succès, ne pourrait-on pas dire que cette procédure contrevient à l'alinéa 286.1(1)a)?

Ces dilemmes ne peuvent être résolus que par une étude individuelle de tous les cas, menée avec grand soin, sur les aspects moraux, déontologiques, médicaux, scientifiques et juridiques. Il est essentiel que le gouvernement fasse preuve de responsabilité en imposant des règlements et des interdictions, et qu'un organe de réglementation compétent puisse contrôler ce qui se passe dans ce domaine et réagir devant les nouvelles percées scientifiques.

Or, le projet de loi ne fournit aucun cadre d'interprétation, de mise en vigueur ou de réaction devant ces nouvelles percées. Il présente donc un véritable danger qui pourrait nuire aux soins médicaux légitimes, et je me fais ici le porte-parole de nos patients. De plus, il pourrait servir à empêcher des recherches sur de nouvelles techniques approuvées du point de vue déontologique et qui pourraient être utiles pour nos patients. Enfin, il pourrait être très difficile de faire interdire les applications que vous jugez néfastes et que nous aussi nous jugeons néfastes.

Je répète qu'on peut difficilement projeter quelles seront les nouvelles percées scientifiques. Bien que nous souhaitions agir promptement pour interdire le clonage humain, nous devons d'abord déterminer quel avenir nous souhaitons pour notre société. Nous sommes tous contre le clonage humain et pour son interdiction. Nous voulons tous rassurer la population canadienne et lui faire comprendre que cette procédure ne sera pas permise au Canada. Malheureusement, ce projet de loi-ci ne me semble pas être l'outil qui convient pour atteindre cet objectif. Nous vous demandons donc de le rejeter.

Nous souscrivons sans réserve à l'objectif du ministre de la Santé—objectif qu'il annonçait dans le Globe and Mail et dans le National Post-, -soit le dépôt d'une loi exhaustive prohibitive et de réglementation à l'automne prochain. Mais nous sommes également impatients, car cela fait plusieurs années que nous attendons. Toutefois, nous sommes ravis de cette annonce et nous participerons avec plaisir à la démarche, si nous pouvons lui être utiles.

Merci.

Le président: Merci, monsieur Carter.

Mme Margaret Somerville vient de se joindre à nous. Malgré toute son influence, elle n'a pas réussi à faire changer l'heure des vols et a dû se plier à ce qu'on lui offrait.

Mais nous sommes très heureux de l'accueillir. Comme ce n'est pas la première fois que vous comparaissez, vous savez comment nous fonctionnons. À vous la parole.

• 0940

Mme Margaret Somerville (professeure en droit de Gale, Centre de McGill pour la médecine, la Loi et l'éthique): Merci.

Le clonage humain est l'un de mes domaines de travail, et il est très intéressant pour moi d'arriver au beau milieu de la discussion et d'entendre deux exposés qui cristallisent aussi bien les deux écoles de pensée. Pour ma part, je regarde la situation à travers une lorgnette un peu différente. Je ne m'intéresse pas simplement à l'aspect scientifique qu'a si bien illustré M. Carter, ou à l'urgence médicale d'agir ou à tout le bien qui peut ressortir de techniques de ce genre, ou même à l'autre aspect qui pourrait nous préoccuper, soit celui des personnes handicapées, ou aux valeurs qui en découlent.

Le clonage est sans doute la question qui nous interpelle le plus comme société. La grande question, c'est de savoir si dans une société postmoderne, démocratique, occidentale et sécularisée telle que la société canadienne à l'aube du XXIe siècle, nous pouvons toujours décider que certaines choses sont mauvaises et que nous allons les interdire, peu importe qu'il en ressorte un peu de bien ou pas.

Voilà l'enjeu. Il ne fait pas de doute que les scientifiques peuvent nous montrer... La première question tourne autour de l'expérimentation sur les embryons humains. Si nous permettons cela, il en ressortira certainement beaucoup de connaissances scientifiques et davantage du point de vue médical. Il nous faut d'abord déterminer que si extraordinaires puissent être les avantages qui pourraient en découler, nous n'opterons pas pour cette voie parce qu'elle est fondamentalement répréhensible. Vous avez peut-être l'impression que je suis catégorique, mais ce sont les mots que j'en suis venue à utiliser: Pourrions-nous jamais dire un jour qu'il est admissible de faire des embryons humains une usine de fabrication scientifique? Voilà la grande question de fond.

Pour pouvoir m'éloigner de tous les autres termes à connotation diverse, j'en suis venue à parler d'entité humaine. Autrement dit, demandons-nous si nous sommes disposés à utiliser les entités humaines pour faire des recherches scientifiques et éventuellement à des fins mercantiles—après tout, le mercantilisme n'est pas nécessairement mauvais en soi—ce qui pourrait éventuellement être très bénéfique pour des gens qui ont des maladies terribles, qu'elles soient génétiques ou qu'elles apparaissent à l'âge de la maturité telles que la maladie de Parkinson, la maladie d'Alzheimer ou la sclérose en plaques. Il y a un très grand nombre de maladies qui pourraient être guéries par ce type de recherche.

On pourrait conclure que certaines choses sont répréhensibles en soi en se fondant sur des arguments profanes. En effet, nous ne pouvons plus nous tourner vers Dieu puisque nous ne sommes plus nécessairement religieux ni ne croyons en Dieu, et que ce n'est plus Dieu qui nous dicte ce que nous devons décider comme société. Mais le principe que nous pouvons mettre de l'avant et qui, à mon avis, correspond aux valeurs que chérissent les Canadiens, c'est que nous devons toujours agir dans le plus grand respect de la vie humaine. Nous devons également agir dans le plus grand respect de ce que j'appelle dans notre monde sécularisé l'esprit humain. Demandons-nous ce que cela signifie au fond d'être un humain—et cela n'a rien à voir avec croire dans le surnaturel. Puis, forts de ces deux principes, demandons-nous si le clonage humain les respecte ou pas. À mon avis, il ne les respecte pas, et c'est pourquoi il faudrait l'interdire.

Mais pour revenir à ce que disait M. Carter, il est très facile d'invoquer ces deux principes dans le cas du clonage à visée reproductive chez l'homme. Autrement dit, je parle de ceux qui auraient l'intention de créer un embryon dont l'ADN nucléaire est identique à celui d'un autre être humain, vivant ou mort, embryon que l'on mènera jusqu'à la naissance. À première vue, c'est là le genre de démarche que vise à interdire l'alinéa 286.1(1)a).

• 0945

Toutefois, il existe d'autres genres de clonage humain que l'on appelle le clonage humain pour des fins de recherche fondamentale. Dans un des cas, il n'est nullement question de mener l'embryon à terme. Dans l'autre cas, on parle de clonage thérapeutique, ce qui implique une manipulation de l'embryon humain. L'exemple le plus extrême que l'on ait évoqué porterait sur la fabrication d'humains sans tête dont le corps servirait de source d'organes pour les malades qui en ont besoin. Je ne suis pas sûre que le libellé de cet article interdirait strictement toutes ces différentes utilisations futures. Il est clair que l'on interdit le clonage à des visées reproductives, mais il n'est pas clair que l'on interdise les autres types de clonage.

Maintenant, même si je ne souscrivais pas à l'interprétation de M. Carter pour la première partie, je dois avouer que je suis d'accord avec lui au sujet de la deuxième partie, avec quelques réserves cependant. Je songe ici à l'altération thérapeutique de la lignée cellulaire dans la reproduction de l'homme. En effet, l'alinéa b) se propose d'interdire ici toute altération de la lignée germinale. Certains pays ont d'ailleurs déjà décidé de l'interdire, car cette altération est une opération beaucoup trop dangereuse en soi et ouvre grand la porte aux abus. En effet, une fois l'altération permise, qui nous dit exactement comment la lignée germinale pourrait être modifiée?

Vous savez sans doute que ce type de procédure implique que tous les descendants de l'embryon dont les gènes ont été modifiés présenteront la même altération des gènes. L'un des domaines qui inquiète le plus la société, c'est évidemment l'accroissement de l'intelligence humaine destinée à créer une population dont les gènes de l'intelligence sont enrichis et une autre dont les gènes ne le sont pas. Ceux dont les gènes sont enrichis constitueraient donc des gens à l'intelligence remarquable. Certaines théories circulent autour de ces gens-là selon lesquelles ils ne voudront que se reproduire entre eux en refusant tout contact avec le reste du génome humain, ce qui ne ferait qu'accentuer les différences entre les groupes d'humains sur le plan de l'intelligence. Vous comprenez que cela peut fortement préoccuper.

Toutefois, si, comme dans l'exemple que je viens de vous donner, nous pouvions corriger dans un embryon l'anomalie génétique de la fibrose kystique, je crois que l'on pourrait suffisamment garantir l'utilisation de cette technique pour faire en sorte qu'elle ne serve désormais qu'à des fins thérapeutiques légitimes et approuvées par la société. Voilà une chose dont il faudrait être sûr.

Que se passera-t-il, d'après moi? Quel est le défi que nous devons relever? Pour toutes sortes de raisons, je crois que nous faisons face à plusieurs forces puissantes qui rendront difficile non pas tant l'interdiction du clonage à des fins de reproduction humaine—qui en horrifie plus d'un—mais rendront difficile, comme le signalait M. Carter, une interdiction suffisamment généralisée.

Si je dis cela, c'est que... Si vous regardez quelles sont les grandes forces sociétales qui modèlent ces débats, elles se fondent sur ce qu'on appelle l'approche déontologique circonstancielle. Autrement dit, on établit au départ que rien n'est fondamentalement répréhensible, car tout dépend des circonstances. Les circonstances, ce sont les particularités qui font que vous agissez dans tel ou tel sens; celles qui déterminent qui agit et celles qui déterminent si vos intentions sont bonnes au moment d'agir. Il vient se greffer à cela un individualisme intense que l'on voit ressortir du débat sur le clonage et de la recherche sur les embryons, individualisme qui prône qu'il s'agit là de décisions personnelles que l'on doit laisser entre les mains des premiers intéressés.

Viennent s'ajouter à cette réflexion ce que l'on peut appeler les droits extrêmes de procréer. Ainsi, John Robertson, de l'Université du Texas, estime que le clonage n'est qu'une autre forme de reproduction pour l'homme et qu'on ne devrait pas imposer de restriction à la façon dont on se reproduit, puisqu'il s'agit d'une question personnelle et que les gouvernements n'ont pas droit de regard en la matière.

Notre société met également l'accent sur le consentement individuel comme étant le critère de validation. Voilà pourquoi beaucoup de Canadiens diraient qu'il faut laisser les gens décider par eux-mêmes, dans la mesure où ils sont suffisamment informés.

C'est justement ce qui se passe aux États-Unis dans le cadre des audiences qui se sont tenues récemment au sujet de l'éventualité d'autoriser la recherche sur les embryons et ce que l'on appelle la recherche sur les cellules souches de l'embryon, recherche qui permet d'aller chercher une cellule pluripotente, immortelle... Il est possible de créer une lignée cellulaire immortelle à partir d'une cellule extraite d'un blastocyste, en détruisant l'embryon humain à partir duquel est prélevée la cellule.

• 0950

Une des questions que je me pose et à laquelle je cherche la réponse, c'est de savoir si cette cellule pluripotente extraite du blastocyste est en soi un autre embryon duquel on a prélevé la cellule, et si c'est en soi une forme de clonage. Personnellement, j'y répondrais par l'affirmative, s'il s'agit d'une cellule pluripotente. De toute façon, je ne suis pas sûre de la réponse scientifique.

Par ailleurs—et c'est ce que l'on invoque passionnément dans le milieu scientifique—, on parle beaucoup de la liberté de la recherche scientifique. Le Canada participe d'ailleurs à une conférence scientifique mondiale qui se tiendra à Budapest dans deux semaines; cette conférence vise à rédiger une déclaration universelle des responsabilités déontologiques de la science. On se demande justement s'il est justifié de menotter la science. D'aucuns prétendent évidemment que si l'on avait menotté la science, on aurait empêché toutes sortes de découvertes. Mais l'argument le plus puissant—sans doute à cause de sa médiatisation dans notre société très informée par la télévision—c'est lorsque que l'on peut montrer tous les effets bénéfiques qui peuvent découler de la recherche scientifique: dans ce cas, comment l'homme peut-il justifier de l'interdire? Vous voyez que le débat est extrêmement délicat.

Personnellement, et je crois que la plupart des Canadiens seraient d'accord avec moi, je crois qu'il faut interdire le clonage à des fins de reproduction chez l'homme. Hans Jonas l'a exprimé d'une façon fort éloquente: chaque être humain a le droit de se laisser surprendre par sa propre vie. Nous avons tous le droit à notre billet individuel dans la grande loterie génétique humaine.

Je crois également que le génome humain est la propriété collective de l'humanité, il ne nous appartient pas, nous le détenons en fiducie pour le bénéfice des générations futures. Une des choses dont nous ne sommes pas suffisamment conscients, à mon avis, c'est que ce génome humain a de tout temps été détenu en fiducie pour nous, parce que personne n'a jamais eu jusqu'à maintenant ni les connaissances scientifiques ni la technologie voulues pour pouvoir le perturber. Or, nous sommes la première génération à pouvoir décider de ne plus le garder en fiducie.

La moindre des choses, ce serait de ne pas affirmer péremptoirement qu'il faut agir dès maintenant sans quoi tout s'écroulera. Non, nous devons ouvrir le débat et lancer la réflexion, mais entre temps, il ne faudrait pas avoir recours à ces techniques de façon à porter préjudice aux valeurs humaines les plus profondes et de façon à obscurcir ce que l'on entend par humanité et par vie humaine.

Merci.

Le président: Merci, madame Somerville.

Même si le débat est difficile, je sais que la marraine de cette motion a réfléchi à tout cela. Mme Picard devrait sans doute parler en premier, mais puisque nous devons nous conformer à la procédure, nous demanderons d'abord à M. Vellacott de prendre la parole.

M. Maurice Vellacott (Wanuskewin, Réf.): Merci à nos témoins d'avoir comparu. Je suis sûr que leur réflexion nous sera utile à tous.

Si j'ai bien compris les alinéas 286.1(1)a) et b) du projet de loi, ils interdisent le clonage, c'est-à-dire la modification génétique de la lignée germinale thérapeutique ainsi que de la lignée germinale non thérapeutique. D'après les commentaires entendus, et particulièrement ceux de M. Carter, j'ai l'impression que vous pensiez que le projet de loi interdisait encore plus. Ou vous avez peut-être eu encore l'impression que le projet de loi n'était pas suffisamment clair là-dessus. J'avais l'impression, pour ma part, qu'il n'interdisait que le clonage de la lignée germinale thérapeutique et non thérapeutique. Dois-je comprendre qu'à votre avis il interdit également toute recherche sur la lignée non germinale?

M. Ronald Carter: En effet, le texte pourrait être interprété en ce sens.

Ce que j'essayais de faire comprendre, c'est qu'il serait extrêmement difficile d'appliquer l'interdiction à cause de la grande panoplie de techniques qui existent déjà. De plus, il est possible de choisir certaines techniques et de les utiliser à certaines fins, et d'autres techniques, pour d'autres fins encore. Supposons que vous vouliez faire une recherche qui soit acceptée du point de vue déontologique, qui ait été acceptée lors d'un examen et qui soit financée par le Conseil de recherches médicales, par exemple; quelqu'un pourrait, à la lumière du projet de loi, invoquer que vous n'avez pas le droit de faire cette recherche. C'est l'interprétation du projet de loi qui présente un problème.

Lorsque le libellé dit «ayant un patrimoine génétique identique», jusqu'où va-t-on? S'agit-il d'une grande partie du patrimoine génétique, d'une infime partie de celui-ci ou de la totalité? C'est un des exemples que j'ai essayé de vous donner. Comment feriez-vous pour appliquer la loi?

• 0955

J'aimerais d'ailleurs savoir ce qu'en pense le ministère: comment celui-ci pense-t-il pouvoir faire appliquer la loi pour d'abord interdire ce qui, de l'avis de tous, serait répréhensible et, deuxièmement, pour permettre ce qui semble souhaitable aux Canadiens comme société?

M. Maurice Vellacott: Cela devient très technique, mais le projet de loi n'empêche-t-il pas la manipulation des cellules reproductives du corps?

M. Ronald Carter: Je ne le crois pas.

M. Maurice Vellacott: Mais lorsque l'on parle de transmettre à la prochaine génération et que l'on dit: «susceptible d'être transmise aux générations futures», on ne parle pas de cellules somatiques, mais plutôt...

M. Ronald Carter: Peut-être, mais il existe déjà, par exemple, des systèmes enzymatiques qui permettent à un enzyme d'enlever une partie de gène une fois que l'enzyme a été injecté. L'enzyme sert donc à déclencher ou à bloquer, tout comme un interrupteur. On l'utilise d'ailleurs communément dans les cellules germinatives des souris, d'une génération à l'autre. On pourrait donc l'injecter dans une personne et le retirer, car cette technique est actuellement faisable. J'essaie de vous expliquer qu'il y a certains aspects de ces techniques qui sont nécessaires en vue du clonage tel qu'on le conçoit aujourd'hui mais qui sont également très utiles dans des procédures scientifiques authentiques.

M. Maurice Vellacott: D'accord. J'aimerais savoir ce qu'en pense Mme Scorsone, et j'aimerais aussi lui poser une question.

Le président: Madame, voulez-vous commenter?

Mme Suzanne Rozell Scorsone: Attention, il ne faut pas attribuer à la science des capacités de précision qu'elle ne possède pas. On fait souvent des affirmations scientifiques qui ont une allure de magie. Si vous injectez dans un embryon un gène qui pourrait, en théorie, être transmis dans la lignée germinale, vous n'êtes pas toutefois en mesure d'insérer ce gène dans la double hélice de l'ADN; tout ce que vous faites, c'est que vous injectez une petite partie du segment de l'ADN dans le noyau, ou encore, s'il s'agit d'une cellule mitochondriale, dans le cytoplasme, et le gène ne fait que flotter.

Cela suscite donc des questions. Prenez le cas du myosis, dans la création du sperme et de l'ovule pour la génération suivante. Pour qu'il y ait reproduction des cellules, elles doivent se doubler, puis un fuseau, qui est un faisceau de fibrilles, s'attache au centromère, au milieu des chromosomes subdivisés, et chacun d'eux migre vers des pôles opposés, après quoi les cellules se scindent. Cela vaut aussi pour la réplication somatique. Mais dans le cas des cellules germinales, il y a division subséquente du myosis, de sorte que l'on obtient la moitié moins à chaque fois. Mais comme ces segments n'ont pas de centromère, comment serait-il possible pour le matériel subdivisé, si jamais il y a subdivision, de se rendre jusqu'aux cellules opposées? On pourrait se retrouver dans certains cas avec de la trisomie, comme le syndrome de Down, qui est une maladie grave. De nombreux troubles sont dus à la présence de matériel génétique en trop grande quantité, alors que les autres cellules germinales peuvent en être complètement dépourvues.

Il y a donc des problèmes inhérents à régler avant de procéder aux essais. Il y a des choses, comme les centromères, qui ne pourraient simplement pas se trouver dans le matériel génétique inséré dans la cellule. Ainsi, pour ce qui est de modifier la lignée germinale, comme vous le dites, la science A ne dispose pas pour l'instant des outils nécessaires pour le faire, et la science B pourrait ne jamais les avoir. Ainsi, chaque fois que vous le faites, vous exposez nécessairement la prochaine génération à des troubles potentiels majeurs, soit qu'il lui manque du matériel génétique ou qu'elle en ait trop.

Tous les genres d'expérience peuvent être faits sur des modèles animaux. Vous pouvez le faire sur des souris, des moutons, ou l'animal qui vous plaît. Il n'y a aucune raison d'exposer des êtres humains à ce risque. Par conséquent, l'adoption d'une loi comme celle-ci, qui l'interdirait, est tout à fait justifié.

Le président: Monsieur Vellacott, je vais vous donner la chance de poser votre question complémentaire, mais j'aimerais permettre à nos témoins de se répondre les uns aux autres, sans nécessairement s'engager dans un débat, mais je crois que vous conviendrez avec moi qu'il pourrait être utile pour les membres du comité d'approfondir cette question. Je vais donc laisser la parole à Mme Somerville et à M. Carter.

Mme Margaret Somerville: D'après votre question, j'ai l'impression que vous faites allusion au transfert du noyau d'une cellule somatique dans un ovule énucléé en tant que méthode de clonage, c'est-à-dire la technique employée dans le cas de Dolly.

M. Maurice Vellacott: Je parle de la transmission par les cellules reproductives aux générations suivantes.

• 1000

Mme Margaret Somerville: C'est la partie B. Cela dépend de la possibilité de modifier la lignée germinale. Dans le cas de la partie A, ce n'est pas simplement la technique Dolly qui pourrait poser un problème. Par exemple, si vous obtenez un embryon de huit cellules et que vous séparez chacune de ces cellules, à condition qu'elles baignent dans une substance gélatineuse appelée zona pellucida, il est possible que chacune de ces cellules puisse former un être humain identique, et c'est donc un clonage d'embryon humain.

M. Maurice Vellacott: C'est une division.

Mme Margaret Somerville: C'est une division, mais c'est aussi du clonage, lorsque vous avez des clones génétiquement identiques—ils sont absolument identiques. Ce ne sont pas des cellules organiques énucléées. Ainsi, lorsque vous le faites... Par exemple, c'est un symposium sur ce qu'on appelle les «cellules souches de l'embryon humain». Au tout premier stade de ce processus original, lorsque vous formez ce qui s'appelle le blastocyste... ils ont tout récemment réussi à retirer ces cellules internes qui forment par la suite le foetus, et par la suite, bien entendu, l'enfant et l'être humain.

Et il faut donc se demander si l'article 286.1 l'interdirait. Est-ce qu'il s'agirait d'une forme de clonage interdite par l'article 286.1? Je crois personnellement que oui, mais je ne sais pas...

M. Ronald Carter: Je crois que cette discussion illustre exactement les difficultés que j'essayais d'expliquer. Il ne s'agit pas d'une situation des plus simples lorsqu'on pense aux techniques actuellement disponibles ou à celles qui le seront.

Avec tout le respect que je vous dois, il est relativement facile de faire de la mutagénèse dirigée, c'est-à-dire d'insérer un gène dans le génome à un endroit précis du noyau, et ensuite de l'activer et de le désactiver au moyen d'enzymes. Cela se fait très couramment chez la souris et des animaux de plus grande taille. Cela permet de choisir des lignées cellulaires.

Pour ce qui est de la deuxième partie, vous pourriez supprimer un risque pour les générations suivantes si vous le voulez. Vous pourriez le retirer.

M. Maurice Vellacott: Est-ce précis à 100 p. 100?

M. Ronald Carter: Pour ce qui est des lignées cellulaires chez la souris, oui. Je suppose que la technique pourrait être généralisée avec le temps. Je ne parle pas de ce que l'on pourrait faire ou de ce que quelqu'un pourrait vouloir faire en ce moment. Je dis simplement que c'est possible.

Je crois que nous convenons tous que nous ne voulons pas qu'il se fasse de clonage. Le problème réside dans l'interprétation de ce que l'on peut utiliser.

M. Maurice Vellacott: J'aimerais que Fiona y réponde aussi, mais j'allais vous demander à tous si d'après vous, en ce moment, nous faisons... D'après ce que je comprends, nous ne modifions pas la lignée germinale...

M. Ronald Carter: Non, nous ne le faisons pas.

M. Maurice Vellacott: Cela relève de la science fiction...

M. Ronald Carter: Ce n'est pas de la science fiction, mais en ce moment, en autant que je le sache, nous ne le faisons pas. Les techniques...

Le président: Un avertissement.

M. Ronald Carter: ...pourraient être perfectionnées si on le voulait. C'est théoriquement possible. Mais à ma connaissance, personne au Canada ne s'adonne à ce genre de travaux.

M. Maurice Vellacott: Même sur le plan thérapeutique, tout cela se fait...

M. Ronald Carter: Personne, à ma connaissance.

Mme Fiona Miller: Je pense que si l'on entre trop dans les détails, on risque de s'y perdre. Je pense qu'il est important... Je ne m'étais pas rendue compte que c'était la position du CCGM, que vous appuyez le manipulation génétique de la lignée germinale.

Je pense qu'il est important d'éviter de faire des pirouettes en prétendant qu'il y a une grande différence entre ce que l'on appelle la lignée germinale thérapeutique et la lignée germinale non thérapeutique. Le fait est que, même si l'on essaie de brosser un portrait aussi simpliste que possible pour décrire le remplacement de ce gène, l'insertion de ce gêne, même si c'est théoriquement possible... De toute évidence, il y a des modèles mammifères où cela se fait avec de plus en plus de succès. Il y a évidemment des problèmes techniques, mais je suis d'accord pour dire qu'il ne s'agit pas de science fiction.

Ce que vous dites, cependant, est en faveur de la lignée germinale, et en principe, il est très problématique que nos éminentes organisations médicales et scientifiques ferment les yeux sur cette question.

Cela m'amène à croire que la communauté scientifique fait preuve d'un orgueil démesuré que je n'avais pas soupçonné.

Je tiens à dire officiellement qu'il n'y a pas de bon ou de mauvais gène, et je crois que le M. Carter serait d'accord avec moi. Dans certains contextes, des gènes peuvent se manifester sous forme de maladie, mais à cette époque précise de l'histoire de l'évolution humaine, la question de savoir si ces maladies posent un problème ou non n'est pas la seule sur laquelle doivent se fonder les décisions relatives à la gestion de ce que Mme Somerville appelle à juste titre la propriété humaine commune du génome humain. Je crois qu'il est extrêmement important de le préciser.

• 1005

Le président: Eh bien, nous avons eu droit à un débat passionnant, et comme le comité m'a accordé une certaine latitude, je vais le laisser se poursuivre. En plus d'être intéressant, j'estime qu'il est très utile à l'étude de ce projet de loi.

Donc, avec la permission de Mme Picard, à qui je vais céder la parole dans un instant, je vais demander à M. Carter et à Mme Somerville de nous faire part de leurs commentaires.

Êtes-vous d'accord, madame?

M. Ronald Carter: Merci.

Je ne veux pas être mal interprété. Ni moi ni mon organisation ne sommes en faveur du clonage humain. Nous ne sommes pas en faveur d'activités que la population canadienne juge moralement inacceptable. Nous réclamons une loi qui nous permette en tant que société de profiter des avantages que nous jugeons acceptables, d'une manière que nous jugeons acceptables.

J'essaie de montrer que certaines activités sont dès maintenant possibles sur le plan technique. La situation est relativement urgente. À ma connaissance, cela ne se fait pas en ce moment au Canada. Cela n'est pas utilisé dans un contexte humain. Mais c'est possible. Ce n'est pas de la science fiction. Et nous devons adopter une approche raisonnable, rationnelle et très prudente, au cas par cas. C'est un domaine déroutant, et nous devons connaître exactement les enjeux. Je n'approuve rien inconditionnellement. Je ne demande pas d'approbation inconditionnelle. Je dis simplement que la loi n'est pas suffisamment exhaustive et qu'elle est trop sujette à interprétation pour être appliquée efficacement.

Le président: Madame Somerville.

Mme Margaret Somerville: Eh bien, je me demande ce que M. Carter veut dire lorsqu'il est contre le clonage humain.

Je suppose que vous voulez dire que vous n'approuvez pas le clonage comme méthode de reproduction humaine. C'est-à-dire lorsque l'on crée un enfant avec le même génome, sauf pour l'ADN mitochondrial. Mais lorsque j'ai écouté votre exposé, il me semblait que vous vouliez faire de la recherche sur les embryons, et ces travaux équivaudraient en réalité à du clonage humain, car vous auriez alors des embryons humains identiques.

M. Ronald Carter: Je dis que si la société canadienne l'accepte dans le cadre de protocoles de recherche de bonne foi, approuvés et examinés sur le plan moral, cela devrait être autorisé.

Mme Margaret Somerville: Mais dans ce cas, vous ne pouvez pas affirmer que vous désapprouvez le clonage humain.

M. Ronald Carter: Je crois que dans certains cas, il est possible de formuler un argument en faveur du clonage humain non reproductif, pour des parties d'un génome, pour des applications spécifiques. La population canadienne pourrait juger acceptable l'emploi de cette technique.

Mme Margaret Somerville: Oui, je sais. C'est bien, monsieur Carter, et je comprends maintenant. Mais il faut bien se garder de dire que votre société n'approuve pas le clonage humain, car vous nous dites maintenant qu'il y a un genre de clonage humain qui se fait dans un but que vous n'approuveriez pas, mais que vous approuveriez l'autre.

M. Ronald Carter: Un genre qui pourrait être acceptable à l'avenir.

Mme Margaret Somerville: Oui. Exactement.

Le président: Je cède la parole à Mme Scorsone, pour un dernier commentaire sur cette question.

Mme Suzanne Rozell Scorsone: Une distinction intéressante ressort des propos de M. Carter. Qui exactement va déterminer ce que la société canadienne juge acceptable? Je croyais que le Parlement parlait au nom de la population, et pas nécessairement des organismes de financement. Je suis tout à fait en faveur des comités d'éthique. Vous savez, ils sont extraordinaires. Mais si l'on pense à ce que la société canadienne juge acceptable, je suis d'avis que cette Chambre occupe une position exceptionnelle et qu'elle a été mandatée par la société pour le faire.

M. Ronald Carter: Ces organismes de financement se conforment aux lois du Canada, comme nous le faisons tous.

Mme Suzanne Rozell Scorsone: Exactement. Donc, qu'il y ait ou non une loi en la matière, j'exhorte le comité à reconnaître qu'il s'agit d'une fonction de cette Chambre, car c'est cette Chambre qui établit les lois. Les comités d'éthique siégeront alors dans ce contexte.

Je ne crois donc pas qu'il soit inopportun que cette Chambre examine ce projet de loi.

Le président: Nous revenons à Mme Picard et à son projet de loi. Merci.

Madame Picard.

[Français]

Mme Pauline Picard (Drummond, BQ): J'aimerais dire à nos témoins que je suis très heureuse et très émue de les recevoir aujourd'hui. Toutes vos réflexions sont très importantes pour nous. J'ai été vraiment impressionnée par tout ce que vous nous avez dit jusqu'à maintenant. Nous sommes des législateurs et non des scientifiques et nous essayons de bien représenter nos concitoyens et nos concitoyennes en leur fournissant des lois qui leur donneront une meilleure qualité de vie.

• 1010

Mon but, en déposant ce projet de loi, était de préserver la dignité humaine dans la mise en oeuvre de toutes ces techniques. Comme je l'ai souvent dit, la science va beaucoup plus vite que ce que les législateurs sont capables de faire. C'est très important.

Le projet de loi C-47 a avorté. Nous étions très conscients qu'il comportait certaines lacunes. Il n'est pas facile, comme le dit le Dr Carter, de se donner des balises ou un code afin de pouvoir bien légiférer dans ce domaine. Je trouve que cela ne va pas assez vite. Nous avions un moratoire volontaire depuis 1995. On ne sait pas où cela est rendu. Est-ce que ce comité consultatif a vraiment fait son travail? Est-ce qu'on a pu trouver des nouveautés dans ce qui se passe au niveau de ces techniques?

J'ai pensé que ce qui était le plus urgent, et je sais très bien qu'il va falloir greffer autre chose à ce projet de loi, c'était de se donner des moyens et des balises pour qu'on ne fasse pas de clonage humain à toutes sortes de fins au Canada. Pour les scientifiques, ce projet de loi n'est peut-être pas parfait, mais je veux faire un premier pas. Il appartiendra à Santé Canada d'y greffer autre chose. Il faut vraiment agir, à mon avis. J'ai fait toutes sortes de lectures. Même si on dit que ce n'est pas de la science-fiction, on a parfois l'impression que c'en est.

On dit qu'on est actuellement en train d'explorer certaines cellules qui vont produire des coeurs battants. J'ai lu que cela se faisait aux États-Unis. Comme le dit le Dr Carter, cela ne se fait pas au Canada actuellement, mais cela ne veut pas nécessairement dire que cela ne s'y fera jamais, et j'ai l'impression que ce ne sera pas long. Il faut donc se donner des moyens de préserver la vie humaine pour les générations futures, comme le disait le Dr Somerville. Je pense qu'il y a lieu d'intervenir rapidement.

À votre avis, le recours au Code criminel est-il un moyen de réglementer le clonage. Le Code criminel serait-il l'outil le plus efficace à cet égard ou si vous pensez qu'on pourrait faire autre chose?

[Traduction]

Le président: C'était une brève question. Quoi qu'il en soit, je l'ai écoutée.

Qui d'entre vous aimerait répondre en premier à cette question? Madame Scorsone.

Mme Suzanne Rozell Scorsone: C'est un domaine où je m'en remets à l'expérience de la Chambre et aux spécialistes de l'application de la loi. Bien sûr, cette question a été soulevée, mais des questions peuvent être soulevées par rapport à toutes les lois qui interdisent quelque chose. Il est même difficile d'appliquer les lois réprimant le vol et l'homicide parce que des gens continuent de perpétrer ces crimes.

Néanmoins, nous avons des lois et nous cherchons, en tant que société, à élaborer des modalités d'application, afin de jeter des balises et d'assurer un certain contrôle. Je suis persuadée que le gouvernement du Canada a beaucoup d'expérience au chapitre des sanctions criminelles entourant la Loi sur les aliments et drogues, par exemple, et d'autres lois connexes, et que des accusations criminelles peuvent être portées, sans nécessairement l'être en vertu du Code criminel.

• 1015

J'ignore quel serait le meilleur instrument, mais il faut qu'il ait des dents. Il y a toutefois quelque chose que j'aimerais dire et que j'ai oublié de mentionner au début. Le paragraphe 286.1(6) du projet de loi C-247—comme c'était le cas dans le projet de loi C-47, dois-je l'ajouter—dit qu'il ne peut être engagé de poursuite pour une infraction à la présente loi sans le consentement du procureur général du Canada ou de son représentant.

Je préférerais que ce paragraphe soit supprimé si le projet de loi est adopté parce qu'il pourrait nuire à l'application de la loi. Il me semble que la mesure devrait être appliquée. Si la Chambre décide de le faire en vertu du Code criminel, cela serait le moyen le plus efficace. Ces activités sont choquantes et contraires aux valeurs canadiennes, au point où elles devraient être visées par le Code criminel.

J'aimerais que cette disposition soit supprimée car elle risque de politiser l'application de la loi, en ce sens qu'on risque de se dire: «Cela se fait, mais est-ce que nous allons entamer des poursuites ou non?» Si la Chambre décide que ces activités sont inacceptables, cette loi devrait pouvoir être mise en oeuvre au même titre que toutes les lois adoptées et promulguées par la Chambre des communes.

Je m'en remets à vous pour ce qui est de la façon de procéder, mais j'aimerais que cette loi soit mise en oeuvre et appliquée aussi efficacement que les autres lois du Canada.

Le président: Merci.

Je ne veux pas étaler mon ignorance, nous allons essayer de vérifier si le paragraphe 286.1(6) qui est proposé constitue une disposition normalisée que nous insérerions dans la loi au sujet du droit criminel, afin qu'il y ait un pouvoir législatif pour toutes les mesures que...

Une voix: Est-ce le cas?

Mme Margaret Somerville: Non. Si vous me le permettez, je ne le crois pas. Je ne peux que vous parler de mon expérience personnelle lorsque nous avons rédigé certaines choses à la Commission de réforme du droit du Canada. Vous insérez habituellement cette disposition lorsque vous croyez que la loi pourrait être invoquée par certains groupes d'intérêts, à des fins que vous n'avez pas prévues. C'est une mesure de protection pour empêcher que la loi serve à des fins indésirables.

Le président: Cela répond à la question de Mme Scorsone qui a dit que cette disposition pourrait être invoquée injustement par des groupes particuliers ou peut-être...

Mme Margaret Somerville: Non. J'ai peut-être tort, mais je crois que cela empêcherait par exemple des groupes pro-vie d'invoquer cette loi pour contester des essais sur des embryons humains, soit exactement ce que vous feriez si cette loi était adoptée.

En fait, c'est ce qui se produit aux États-Unis en ce moment. Par exemple, la Commission présidentielle sur la bioéthique a recommandé que les expériences sur les embryons humains soient autorisées, ce qui n'était pas permis jusqu'à présent. Il y aura donc des contestations à cause de nos opinions divergentes sur le statut moral de l'embryon humain et sur la protection qu'il devrait recevoir en vertu du droit criminel. C'est l'un des débats fondamentaux en cours.

Le président: Je suppose que nous aurons l'occasion, lorsque nous allons entendre des fonctionnaires du ministère et les fonctionnaires de la Justice, de voir quelle était l'intention du paragraphe 286.1(6). Nous pourrions demander au motionnaire de l'article si c'était l'intention.

[Français]

Mme Pauline Picard: Oui, s'il vous plaît.

Le président: Telle était l'intention?

Mme Pauline Picard: De demander au procureur...

Le président: Je ne parle pas seulement de le demander aux fonctionnaires du ministère de la Justice et du ministère de la Santé, mais aussi de vous demander si votre intention était de prévenir des abus bien particuliers de certains groupes de la société.

Mme Pauline Picard: Je ne comprends pas votre question.

Le président: Je vais parler espagnol dans ce cas.

Mme Pauline Picard: Excusez-moi.

[Traduction]

Le président: Était-ce votre intention, lorsque vous avez rédigé cet article, de permettre à des agents de la loi d'empêcher des groupes spéciaux d'invoquer cette loi à des fins particulières?

• 1020

[Français]

Mme Pauline Picard: Oui.

[Traduction]

Le président: Pourrions-nous également le vérifier lorsque le comité de la justice...

[Français]

Mme Pauline Picard: Cela a été recommandé par des gens qui ont étudié le Code criminel. On m'a demandé de mettre cette disposition dans le projet de loi pour le renforcer.

[Traduction]

Le président: Il semble que vous êtes beaucoup plus près de la vérité que le président. Ce n'est pas une situation unique. Je suppose que nous avons probablement soulevé quelques questions ici. Je vois M. Carter...

M. Maurice Vellacott: Puis-je poser une question...

Le président: Non. Ça va.

M. Maurice Vellacott: Je ne comprends pas ce qu'ils disent.

Le président: Peut-être que cela va se préciser. Nous allons attendre M. Carter, Mme Scorsone, Mme Miller et ensuite Mme Somerville.

Mme Margaret Somerville: J'aimerais répondre à la question de Mme Picard.

Le président: Je crois que vous l'avez déjà fait.

Mme Margaret Somerville: Non, j'ai répondu à votre question. Puis-je le faire?

Le président: Je ne voulais pas faire dévier la conversation. J'ai réussi encore une fois.

Mme Margaret Somerville: Puis-je y répondre rapidement?

Le président: D'accord, et ensuite nous allons continuer, un, deux, et les trois.

Mme Margaret Somerville: Quant à savoir si cela devrait figurer dans le droit criminel, nous avons protégé nos valeurs les plus fondamentales par le droit criminel. Mais à l'origine, le droit criminel visait à protéger la société. Son rôle au titre de la protection des particuliers est relativement moderne. Au départ, ce n'était pas pour en faire profiter la société. C'est donc très intéressant dans ce contexte, car je crois que nous revenons à ce rôle du droit criminel.

Je dirais qu'il est primordial d'interdire le clonage humain afin de protéger la société, ainsi que toute personne qui pourrait en souffrir. C'était l'intention originale du droit criminel, et j'estime donc que cette disposition est très indiquée.

Deuxièmement, le droit criminel forme et reflète nos valeurs humaines les plus importantes. L'une d'entre elles, bien sûr, c'est le respect pour la vie humaine. La question de savoir si cette valeur peut être appliquée est secondaire. Nous savons que la loi qui réprime le meurtre n'est malheureusement pas efficace à 100 p. 100, mais il ne nous viendrait jamais à l'esprit de la supprimer parce qu'elle n'est pas entièrement efficace. Il est plus important d'en avoir une que de ne pas en avoir. C'est un peu comme la démocratie. Le droit criminel n'est pas parfait, mais dans certains cas il est mieux que rien.

Si le droit criminel était totalement ignoré, il tomberait dans le discrédit. On ne peut pas se le permettre, car cela affaiblirait toute la structure du droit criminel, qu'il faut respecter.

Nous avons tendance à oublier que si la majorité des Canadiens ne se conformaient pas au Code criminel, celui-ci serait tout à fait inefficace. Ce n'est que dans les quelques cas d'infraction qu'on se rend compte qu'il est efficace. Nous devons supposer qu'il est efficace pour prévenir le crime. Il suffit de penser à toutes les activités criminelles que le droit criminel permet de prévenir. Nous n'entendons parler que des cas où il y a infraction. Je ne crois donc pas que l'application de la loi pose problème.

Le président: Madame Somerville, j'ai dit que j'allais passer aux autres intervenants dans l'ordre indiqué, mais je vais me prévaloir de mes pouvoirs de président pour poser une autre question. Peut-être vous pourriez y réfléchir pendant qu'ils répondent.

Lorsque vous avez répondu à Mme Picard, vous avez dit que la décision collective de renforcer le respect pour la vie était fondamentale à la compréhension des valeurs de la société et au fondement du droit criminel. Est-ce que cela signifie que le paragraphe 286.1(6) laisse au procureur général le soin de définir la qualité et la quantité de cette valeur... si je puis employer ces deux qualificatifs?

Madame Scorsone.

• 1025

Mme Suzanne Rozell Scorsone: Je comprends entièrement la volonté de ne pas laisser à quelques groupes particuliers que ce soit dans une société multiculturelle la possibilité de manipuler des articles du Code criminel. Néanmoins, je me pose des questions, car si la loi dit clairement que le clonage n'est pas acceptable, que ce soit pour l'utilisation de tissus ou pour la reproduction, alors il importe peu de savoir qui soulève la question, c'est toujours inacceptable en vertu de la loi. Par ailleurs, je croyais que le droit criminel n'était pas une affaire délictuelle. C'est une question d'accusation. Les accusations ne sont pas portées par des groupes d'intérêts spéciaux. Elles sont portées par les autorités habituelles qui, je présume, ne peuvent pas être manipulées par des groupes d'intérêts.

Ma préoccupation allait plutôt à l'inverse. Nous le savons tous, le problème, c'est que l'on trouve dans le domaine des technologies de reproduction un grand nombre de gens bien intentionnés de divers secteurs qui composent tous, à leur façon, des groupes d'intérêts, ou peu importe le nom qu'on leur donne. Il y a par exemple les entreprises pharmaceutiques, l'agro-industrie, les médecins qui participent à diverses activités, en plus des chercheurs eux-mêmes. Il existe des groupes d'intérêts de toutes sortes, dont certains sont plus puissants que d'autres, pour ce qui est des institutions de la société.

Ce qui m'inquiète, dans cette disposition, c'est que si on y trouve quelque chose que le Parlement juge inacceptable, la disposition pourrait être contestée par les divers lobbies et politisée, si le procureur général devait décider du bien-fondé d'entamer une poursuite puisque divers intérêts puissants de la société pourraient s'y opposer et l'entraver. La poursuite pourrait être entamée de toute façon. Ce qui m'inquiète, c'est la possibilité de politiser cette disposition, non pas par les groupes pro-vie, qui ne seraient pas suffisamment puissants pour cela de toute façon puisqu'il s'agit d'une sanction contre un acte criminel, mais plutôt par des intérêts puissants de la société qui pourraient s'en servir pour exercer des pressions sur le gouvernement.

Si la société décide que c'est inacceptable, il me semble qu'il y a suffisamment de mécanismes de protection à l'heure actuelle dans l'exécution des lois par les tribunaux de droit pénal pour éviter les problèmes. Laissez le régime d'enquête et de poursuite judiciaire du système de droit pénal s'en occuper.

Le président: Madame Miller.

Mme Fiona Miller: Je tiens à souligner un fait que nous connaissons tous et que nous ne devons pas oublier, c'est que le Code criminel est le principal instrument dont dispose le gouvernement fédéral et que, en fait, le Code criminel est utilisé depuis fort longtemps comme assise des lois fédérales en matière de santé. La Direction générale de la protection de la santé n'existerait pas sans la Loi sur les aliments et drogues, qui si j'ai bien compris fait partie du Code criminel.

Je ne suis pas avocate et je collabore avec des avocates féministes pour voir ce qu'il en est, mais si j'ai bien compris, l'utilisation du droit pénal ne devrait pas se limiter à de simples opérations de criminalisation ou d'étiquetage. C'est un instrument très puissant. C'est l'un des principaux instruments dont dispose le gouvernement fédéral et il ne faudrait pas hésiter à l'utiliser si nous voulons mettre en place des normes nationales. En tout cas, c'est un instrument très important lorsqu'on veut imposer des interdictions.

J'ai une observation à faire au sujet de ce paragraphe (6) proposé. Je ne veux pas embrouiller davantage les choses, mais plutôt simplement souligner que comme vous le savez tous, la GRC fait actuellement enquête sur la Direction générale de la protection de la santé en raison de divers scandales, dont celui du sang contaminé, de la destruction de documents et du problème des implants mammaires Meme. Si nous permettons au procureur général d'être le dernier arbitre pour ce qui est d'entamer des poursuites, les provinces pourraient avoir de sérieuses difficultés à régir ces choses-là par le truchement de leur ministère de la Santé. Comme M. Krever l'a dit, on a constaté que la Direction générale de la protection de la santé a déjà commis des actes dont elle est criminellement responsable. Il est donc très important que les enquêtes criminelles puissent se dérouler sans que la décision finale soit prise à l'échelon politique.

• 1030

Ma dernière observation porte sur cette question du bureau d'inspection de la santé. Dans un tel cas, il est clair qu'il faut un bureau d'inspection de la santé. La seule chose pour laquelle il y a de vrais règlements, dans le domaine des technologies de reproduction et de la manipulation génétique, c'est dans le cas des banques de sperme, et encore, ces règlements sont insuffisants. Adoptés il y a plusieurs années à la suite des conclusions de la commission royale, ces règlements, qui visent à garantir la non- contamination du sperme, doivent être appliqués par la Direction générale de la protection de la santé, qui est également chargée des inspections. Les règlements doivent toujours être appliqués par une direction du gouvernement. Il est très logique de confier ces tâches à la Direction générale de la protection de la santé ou à un autre organisme qui sera créé à cette fin. Le ministre de la Santé s'occupera de créer et de doter cet organisme. Il existe à mon avis un délai pour ce qui est de constituer le bureau d'inspection de la santé qui fera des enquêtes sur de telles dispositions. Ce délai ne me dérange toutefois pas puisque c'est une question très complexe. La question sera posée, j'en suis certaine.

Le président: Madame Miller, j'aimerais avoir une petite précision. Vous avez parlé de criminalisation. Vous avez dit que cette criminalisation découlait des enquêtes faites par la Direction générale de la protection de la santé. Il pourrait en résulter une mauvaise impression. Ce que vous vouliez dire, sans doute, c'est que la Direction générale de la protection de la santé est elle-même assujettie au droit pénal et n'est pas au-dessus de ces dispositions. Qu'il y ait des enquêtes est tout à fait normal, et cela devrait donc s'appliquer tout autant à l'organisme de réglementation qu'à ceux qui sont assujettis aux règlements. C'est du moins ce que j'ai compris. Est-ce exact?

Mme Fiona Miller: Non. C'est l'organisme de réglementation qui fait l'objet d'une enquête.

Le président: C'est ce que j'ai dit. La loi s'applique tout autant à l'organisme de réglementation qu'à ceux qui sont assujettis aux règlements.

Mme Fiona Miller: D'accord.

Le président: Dois-je comprendre de votre réponse à Mme Picard que vous êtes d'accord pour que cette disposition soit incluse dans le droit pénal mais que vous souhaiteriez peut-être l'élimination du paragraphe (6)? Dois-je comprendre...

Mme Fiona Miller: Oui, et aussi que la question du bureau d'inspection de la santé n'est pas réglée.

Le président: D'accord. Merci.

Monsieur Carter.

M. Ronald Carter: Je n'ai pas grand-chose à dire à ce sujet, mais dans votre question initiale, vous demandiez si le Code criminel était l'instrument le plus adapté pour interdire cette activité. Lors d'une audience sur le projet de loi C-47, il y a deux ans, nous comparions ce projet de loi à l'approche adoptée en Grande-Bretagne. Un certain nombre de groupes demandaient pourquoi on utilisait à cette fin le Code criminel au Canada alors qu'au Royaume-Uni, on préférait procéder au moyen de règlements. Les avocats du gouvernement nous avaient répondu à cette réunion que le Code criminel était le seul mécanisme efficace pour faire appliquer ces règles. Nous avons demandé s'il pourrait également y avoir des règlements et on nous a dit que ce n'était pas nécessaire. Dans la mesure législative proposée, il y aura à la fois des dispositions au Code criminel et des règlements. La position du gouvernement a donc probablement évolué par rapport à ce qu'on nous avait dit il y a deux ans.

Mais nous ne sommes pas des experts de ce domaine. Ce que nous souhaitons, c'est un cadre de réglementation suffisant qui puisse être bien interprété. C'est tout ce que nous demandons.

Le président: Madame Somerville.

Mme Margaret Somerville: Permettez-moi de faire une petite correction. Ce qui est inhabituel, au Canada, c'est que le Code criminel canadien permet à des particuliers d'intenter des poursuites au criminel. La Cour suprême du Canada l'a confirmé. Je ne me souviens plus du nom de l'affaire, mais au Québec, les autorités publiques refusaient de porter des accusations de voies de fait contre un jeune qui s'en était pris à une vieille dame. La vieille dame a elle-même entamé une poursuite au criminel et l'affaire s'est rendue devant la Cour suprême. Sous le régime de notre Code criminel, des organismes privées ou des particuliers peuvent porter des accusations au criminel. C'est tout à fait inhabituel. C'est pour cette raison que je suis contre cette disposition relative au procureur général car elle renforcerait l'influence de l'échelon politique sur la décision d'entamer ou non une poursuite. Ce sont des questions qui pourraient être particulièrement explosives du point du vue politique car elles divisent l'électorat entre ceux qui sont d'accord et ceux qui ne le sont pas.

Deuxièmement, cela revient à ce que j'essayais d'expliquer dans mon exposé. M. Carter dit qu'il faut une approche réglementaire. Cela signifie qu'en soi, il n'y a à cela rien de mal et qu'il s'agit simplement de s'inspirer de bons paramètres.

• 1035

Si vous estimez qu'il y a quelque chose d'intrinsèquement mauvais dans le clonage humain, il faut alors l'interdire dans le Code criminel car c'est de cette façon que l'on traite les choses mauvaises, comme le meurtre ou d'autres actes criminels. Par conséquent, la réglementation ne ferait qu'imposer une déontologie dans ce domaine.

Le président: Merci, madame Somerville.

M. Jackson a attendu patiemment et je vais maintenant lui laisser la parole.

M. Ovid L. Jackson (Bruce—Grey, Lib.): Monsieur le président, je suis devant un dilemme. Les idées se bousculent dans ma tête, et j'en ai une qui est née des derniers échanges.

Il me semble que dans nos sociétés modernes, compte tenu de la rapidité à laquelle nous obtenons l'information—comme l'un de nos invités l'a dit—, on veut toujours trouver des solutions magiques. Nos témoins disent d'une part que le Parlement représente la population et en est le porte-parole et que, lorsqu'il y a consensus, il adopte des lois qui permettent d'appliquer les voeux de la population. Il me semble par contre que ces mêmes témoins ne veulent pas que le Parlement participe aux discussions. À titre de législateur, je trouverais très difficile, si j'étais ministre, de ne pas contrôler mon ministère. Vous me dites que je suis un représentant élu et vous dites ensuite que le ministre ne doit pas participer à l'équation; je ne comprends plus très bien.

Je vais vous expliquer pourquoi je ne comprends pas. Auparavant, j'étais maire. Dans de tels postes, on est coupable de toutes sortes de choses. Il y avait des levées de boucliers si je créais une décharge dont tout le monde avait besoin. C'est encore une fois ce vieux problème: tout le monde en veut, mais pas chez eux. Mais si on crée la décharge, il faut prendre toutes les précautions nécessaires et veiller à ce que tous les paramètres de l'environnement soient respectés, qu'il n'y ait pas d'effluents déversés dans les cours d'eau, etc. En fin de compte, j'aurais pu être poursuivi parce que c'est moi qui dirigeait l'entreprise. Et maintenant, vous voulez imposer des sanctions au ministre qui dirige l'organisme coupable.

Quand un problème se pose dans notre société, il faut toujours un coupable. Si le ministre connaît la situation et possède tous les renseignements, il doit agir. On ne saurait éliminer la mention du ministre de la mesure législative. Mais c'est mon opinion personnelle. Voilà ce que je pense, et c'est une discussion intéressante.

Je ne crois pas que j'ai suffisamment de renseignements au sujet de cette mesure législative pour pouvoir l'adopter. Lorsqu'on veut adopter des lois, il faut au moins en connaître le sujet. Il semble y avoir un consensus sur le fait que nous n'acceptons pas le clonage humain. Je sais que la chose elle-même pose des problèmes et qu'on ne peut vraiment cloner une personne. Le résultat ne serait pas deux personnes identiques compte tenu des différences du milieu, etc. Les corps seraient peut-être identiques, mais les personnes seraient différentes. Nous savons cela. C'est ce que je voulais dire. Je suis désolé de ne pas avoir posé de questions.

Le président: Madame Scorsone.

Mme Suzanne Rozell Scorsone: Je comprends ce que vous dites à propos de la responsabilité du ministre et de la situation d'un maire qui doit agir lui-même. Ce cas-ci me semble un peu différent, toutefois, puisque les ministres en cause, c'est-à-dire le ministre de la Justice et le ministre de la Santé, auront déjà participé à l'adoption de la mesure législative, ce qui est un peu semblable en fait à la conception d'une décharge.

Une fois qu'elle est en place, il s'agit de mettre en oeuvre la politique à la conception de laquelle le ministre a participé. S'il s'agissait de faire participer le ministre ou le procureur général à toutes les décisions sur toutes les accusations relatives à toutes les dispositions du Code criminel, j'accepterais votre analogie et je l'appliquerais d'une façon générale. Je serais entièrement d'accord avec vous.

Mais puisque le Parlement semble faire une distinction entre les cas pour lesquels le procureur général devra rendre une décision et ceux dans lesquels il n'en rendra pas et que cette distinction, d'après ce qu'a dit Mme Somerville, consiste surtout à veiller à ce que la mise en oeuvre des dispositions ne soit pas politisée, injuste ou mauvaise, il me semble donc que la mesure législative est suffisamment claire et que la participation du ministre n'est pas nécessaire. Le ministre ne serait pas accusé. Il n'aurait pas le même degré de responsabilité que le maire, dans la situation que vous avez si bien décrite. Il faut plutôt considérer que dans de tels cas, le processus judiciaire normal et les preuves suffisent, et que l'application de la loi adoptée par le Parlement ne peut faire l'objet de pressions politiques de quelque source que ce soit.

• 1040

Il existe deux types de dispositions dans le Code criminel: celles dans lesquelles le procureur général a un rôle à jouer et les autres. À mon avis, il faudrait mettre cela dans la deuxième catégorie.

M. Ovid Jackson: Je crois toutefois qu'il faudra attendre de voir ce qu'en diront les légistes.

Le président: Vous accordez une grande confiance au système juridique.

Madame Somerville.

Mme Margaret Somerville: Puis-je soulever une question que j'ai oublié de signaler au comité? Il s'agit du libellé de l'alinéa proposé 286.1(1)a), dans lequel on dit: «Ayant un patrimoine génétique identique à celui [...] d'un être humain—vivant ou non». Si vous lisez les dispositions du Code criminel en matière d'homicide, je ne suis pas certaine que cette disposition pourrait s'appliquer dans ce cas-ci, mais on y définit l'être humain comme un enfant qui a été séparé de sa mère, c'est-à-dire dont le cordon ombilical a été coupé.

Pour le clonage, on utilise entre autres les tissus gonadiques de foetus avortés. C'est de là que viennent les cellules souches de base. Je ne suis pas certaine qu'on considérerait cela comme des clones humains. Je devrai m'en remettre à mes collègues scientifiques pour savoir ce qu'il en est. Mais si on applique dans cette mesure législative l'interprétation du terme «être humain» que l'on trouve actuellement dans le Code criminel pour savoir si cette définition s'applique aux tissus gonadiques de foetus avortés, je ne crois pas qu'elle s'appliquerait.

Le président: D'accord. Il semble que deux personnes aient des observations à ce sujet. Commençons par M. Carter, puis ce sera Mme Scorsone.

M. Ronald Carter: C'est ce genre d'observation qui confirme mon argument, à savoir que vous auriez de la difficulté à appliquer ces mesures aux fins que nous estimons tous souhaitables.

Le président: S'il existe une telle définition, pourquoi serait-ce difficile?

M. Ronald Carter: Vous ne pourriez pas l'appliquer à tous les nouveaux progrès des technologies. Ces progrès s'accélèrent partout au monde.

Le président: Devrait-on pour autant cesser d'essayer?

M. Ronald Carter: Nous essayons, nous essayons tous. Si c'est bien la marche à suivre, j'en conviens.

Le président: Madame Scorsone.

Mme Suzanne Rozell Scorsone: J'avais l'impression que dans le projet de loi, on disait également «d'un zygote, d'un embryon, d'un foetus». Quelle que soit la définition que l'on donne de l'être humain et quel que soit le moment où s'applique cette définition en droit, cette mesure législative vise néanmoins tous les aspects. Elle commence à s'appliquer dès l'étape du zygote.

Le président: C'est-à-dire à un embryon de deux semaines environ?

Mme Suzanne Rozell Scorsone: Non, dès la conception, selon l'angle sous lequel on voit la chose, soit au moment de la pénétration du sperme ou celui de la syngamie, c'est-à-dire de la jonction des noyaux de sperme et de l'ovule, au moment où il y a eu reproduction des cellules et qu'il y a deux cellules. J'estime que la mesure législative vise tous les aspects pertinents du clonage humain.

Mme Margaret Somerville: C'est exact. Oui, je me suis trompée.

Le président: N'avouez pas aussi facilement. C'est la tâche du président.

Madame Miller.

Mme Fiona Miller: Permettez-moi de répondre à certaines préoccupations exprimées par le Dr Jackson...

M. Ovid Jackson: N'insistez pas trop sur «docteur».

Mme Fiona Miller: D'accord.

Le président: Je lui ai accordé ce titre pour le récompenser d'être ici aujourd'hui.

Mme Fiona Miller: Nous devrions tous porter ce titre.

Pour ce qui est de cette question du ministre, je crois que l'on confond la fonction du ministre et le pouvoir discrétionnaire du procureur général. Le ministre est chargé de faire respecter la loi de la même façon que le maire, comme vous l'avez dit.

M. Ovid Jackson: Ou de répondre aux questions en Chambre.

Mme Fiona Miller: Ou de répondre aux questions, dans le but de faire respecter la loi.

• 1045

Par exemple, dans le cas du scandale du sang, les ministres de la Santé ont la responsabilité légale de faire respecter la loi. Que le paragraphe (6) se trouve dans cette mesure législative ou non, ce paragraphe qui donne au procureur général un pouvoir discrétionnaire en matière de poursuite, n'élimine en rien la fonction du ministre de faire respecter les lois du pays. Vous pourrez demander des précisions aux avocats, mais c'est du moins ce que je comprends.

J'ai également une observation à faire sur cette question du conflit entre le consensus et les droits de la personne. Je ne crois pas que notre position—la mienne en tout cas et celle de bon nombre d'autres également—se fonde sur le principe de la décision à la majorité. Je ne suis pas venue vous demander d'interdire le clonage parce que le dernier sondage montre que 51,5 p. 100 de la population s'y oppose. Je ne viendrais pas non plus préconiser le clonage si 79 p. 100 de la population y était favorable.

Mes arguments se fondent sur des questions fondamentales de droits de la personne et d'égalité véritable. Nous disons que les gens qui résultent de ces technologies ne sont pas des produits, des moyens pour atteindre des fins, mais plutôt des fins en eux- mêmes, des êtres possédant des droits humains fondamentaux. Je sais que les avis divergent sur le statut de l'embryon et je ne vais pas me lancer dans cette discussion; nous nous entendons toutefois sur les gens qui sont le résultat de ces technologies. Voilà quel est le fond réel de la discussion. Ce n'est pas le consensus, et c'est très important.

Enfin, je reconnais que le libellé pose toutes sortes de difficultés, et j'ai inclus dans mon petit mémoire quelques modifications proposées à ce libellé. J'aurai d'autres propositions à présenter suite à notre discussion. Il serait en effet utile d'apporter quelques modifications au libellé pour préciser les fins. S'il le veut, votre comité est suffisamment compétent pour produire un projet de loi satisfaisant qui corresponde aux principes que nous défendons pour la plupart. Il ne s'agit pas seulement de reproduction par clonage mais aussi, à mon avis, de manipulation génétique germinale. Je ne crois pas que nous devrions baisser les bras devant les problèmes évidents et inévitables que pose le libellé de telles mesures, un libellé qui devra sans doute être revu et précisé. Il est possible de corriger le libellé et de rendre ce projet de loi crédible.

Le président: Madame Miller, je ne veux pas vous sembler paternaliste, mais si vous avez un libellé à proposer, nous l'apprécierons. Vous pouvez bien sûr le faire parvenir au comité en l'envoyant à notre greffière, qui le distribuera ensuite à tous les membres. Plus tôt vous nous l'enverrez, plus tôt nous pourrons l'examiner.

Deuxièmement, l'une des raisons pour lesquelles le projet de loi C-247 a été renvoyé pour la deuxième fois devant notre comité, c'est que l'on veut susciter un débat qui est nécessaire sur certains des principes et des objectifs tant de ce projet de loi que de la mesure initiale—si vous me le permettez, madame Picard—c'est-à-dire le projet de loi C-47, qui est mort au Feuilleton en 1997. Le débat est encore en cours et nous croyons qu'il faut le poursuivre. Nous y consacrons davantage de temps. Ce n'est peut-être qu'une fraction du temps qu'il faudrait y consacrer, mais je crois que c'était le but de Mme Picard, de raviver le débat.

Madame Somerville.

Mme Margaret Somerville: Vous avez raison, car il est très important, à mon avis, de ne pas fonder l'éthique sur un vote majoritaire, surtout dans des domaines aussi vastes et qui ont des conséquences à long terme pour l'humanité. Nous devons être très prudents; la génération actuelle a une énorme responsabilité pour ce qui est de décider ce que nous devons faire dans ce domaine.

C'est l'une des choses qui m'inquiètent et à laquelle je suis souvent confrontée personnellement lorsque je traite avec des scientifiques aussi éminents que M. Carter, qui nous propose tous les bienfaits de la science, bienfaits que l'on voudrait maintenant interdire. On se retrouve généralement devant un cas personnel déchirant et, dans le cas du clonage humain, on mentionne souvent le cas de l'enfant mourant qui pourrait être sauvé grâce au clonage et à l'utilisation de la moelle osseuse du clone. Les gens demandent pourquoi on devrait empêcher les parents de se prévaloir de cette technologie. C'est la preuve ultime de leur amour, pour essayer de sauver leur enfant, c'est un miracle de la médecine moderne, qui produit tant de bienfaits.

• 1050

Nous ne sommes ni très à l'aise ni très qualifiés pour participer au débat fondamental et indispensable sur le clonage humain, en particulier parce que nous avons toujours l'impression qu'il dévie vers la question religieuse. Pour nous, ce n'est pas politiquement correct, en particulier au niveau de la gestion des affaires publiques.

Il se trouve que j'ai consulté trois auteurs importants, dont Emile Durkheim, qui a dit: «La religion de l'être humain, c'est la croyance en la dignité et la valeur intrinsèques de la vie humaine en tant que seul élément de cohésion dans un monde éclectique et désacralisé. C'est la dernière croyance qui nous unisse en tant que communauté humaine et qui puisse servir de fondement à notre ordre social et moral.» Par conséquent, il est essentiel, dans le débat sur le clonage humain, de définir notre foi fondamentale en la valeur de la vie humaine et de savoir comment la transmettre.

La grande question n'est pas de savoir ce que nous allons faire, car nous pouvons faire des choses extraordinaires, c'est de décider ce que nous n'allons pas faire, alors même que nous en sommes capables. Le clonage humain fournit un parfait exemple de la façon dont il faut répondre à cette question.

Le président: Bien, je vais donner la parole pour un deuxième tour à Mme Desjarlais, qui a attendu patiemment, mais je voudrais tout d'abord permettre à Mme Scorsone et à M. Carter de faire de brefs commentaires. Vous voyez mes doigts, je fais partie de ceux qui s'accommodent mieux des images, car je ne comprends pas très bien les mots.

Mme Suzanne Rozell Scorsone: Mme Somerville a fait mon petit commentaire, et je vais donc aborder un autre sujet.

Le président: C'est bien ce que je craignais.

Mme Suzanne Rozell Scorsone: Tout d'abord, la Commission royale sur les nouvelles technologies de reproduction était un organisme tout à fait profane. Bien franchement, je ne connais pas les convictions religieuses des autres membres de la commission, mais nous sommes parvenus à un consensus sur le clonage humain, malgré toutes les divergences d'opinions. La commission a donc été en mesure de reconnaître les principes fondamentaux sur la base du consensus, alors même que ces principes existaient avant le consensus.

Autrement dit, c'était pour nous tout à fait évident, même sur des questions comme les dons dirigés. On pourrait cloner un enfant—vous savez, porter un foetus jusqu'au point où on peut prélever des tissus du foie ou de la moelle osseuse, puis provoquer un avortement pour utiliser ces tissus. C'est l'un des scénarios qui a été évoqué dans le débat ou proposé par certains. Mais il y a alors création d'un être humain ou d'une entité humaine—selon la formule que l'on préfère utiliser. On a créé quelque chose d'humain qui est utilisé pour quelqu'un d'autre. Nous avons jugé collectivement que c'était inacceptable, qu'on ne pouvait pas faire cela en fonction des principes fondamentaux, sans faire directement référence à la religion.

Des gens de différentes origines peuvent se mettre d'accord sur une perspective commune, comme on le fait régulièrement à la Chambre, en partant de prémisses différentes et en suivant des raisonnements moraux différents, ce qui n'empêche pas d'en venir à une recommandation commune. C'est cela qui importe.

À mon avis, il n'y a pas contradiction entre cette mesure législative et le fait, signalé par différents médias, que d'autres mesures législatives s'en viennent. Les lois peuvent coexister. Il n'y a pas contradiction entre elles. On ne peut pas prétendre que cette loi n'a pas sa place parce qu'on en prévoit une autre. En revanche, il appartient au Parlement de déterminer s'il est souhaitable d'assujettir cette question au Code criminel, puisqu'il s'agit d'une pratique socialement inacceptable, puis d'apporter ultérieurement des précisions par la voie législative à la discrétion de cette Chambre. Mais je ne vois aucune contradiction.

Le président: Je suis heureux que vous vous soyez finalement rendu à la partie la plus courte de vos interventions.

Monsieur Carter.

M. Ronald Carter: Je vais essayer d'être bref.

Tout d'abord, je crois qu'il s'agit, de par sa nature, d'une démarche foncièrement politique, qui dépend d'un consensus. Vous l'avez dit vous-même.

• 1055

Jusqu'à tout récemment, on ne pouvait pas choisir son enfant; maintenant, on peut le faire dans une certaine mesure et dans certaines circonstances. Il ne sera sans doute jamais possible de choisir ses parents. Et je crois que c'est tout à fait fondamental. Il y a des choses sur lesquelles nous sommes d'accord et dont nous ne voulons pas, mais tout dépend des circonstances. On peut dire qu'il n'est pas acceptable de tuer quelqu'un, mais pendant la Première Guerre mondiale, notre gouvernement a levé des troupes pour aller tuer des êtres humains, alors que notre pays ne courait aucun risque. Tout dépend des circonstances.

Ce que nous disons, c'est que nous ne voulons pas du clonage humain, mais dans certains cas, ce projet de loi pourrait, dans certaines circonstances, prévenir des actions qui pourraient sembler souhaitables à notre société. C'est pourquoi il faut adopter une structure de réglementation. Nous devons délimiter très soigneusement ce que notre société peut accepter et autoriser dans certaines circonstances. Je ne suis nullement hostile à l'intention qui apparaît dans ce projet de loi. C'est une question de démarche et de formulation.

J'attends de voir le projet de loi à l'automne.

Le président: Mais nous devons nous prononcer sur celui dont nous sommes saisis actuellement.

Madame Desjarlais.

Mme Bev Desjarlais (Churchill, NPD): Merci.

Tout d'abord, je vous prie de m'excuser. Comme vous l'avez peut-être remarqué, je me suis trouvée à quelques reprises à bout de patience et je tiens à m'excuser de ne pas avoir été toujours attentive à la discussion. J'espère éviter les répétitions.

J'ai beaucoup apprécié tous les différents points de vue exprimés. Évidemment, vous avez dit ce que nos électeurs vont nous dire. J'ai apprécié les propos de Mme Miller, qui dit que nous ne devons pas nous fonder sur les opinions exprimées majoritairement dans les sondages. Si on avait toujours procédé ainsi, nous aurions accepté toute la recherche médicale effectuée en Allemagne, et qui était conforme à l'opinion majoritaire de l'époque.

Cela étant dit, nous avons aussi une législation sur l'avortement et je ne peux m'empêcher de faire un rapport entre les deux questions; on ne peut accepter la première et refuser la seconde. Monsieur Carter, vous avez bien résumé les arguments concernant l'acceptation: les gens se rendent compte qu'il faut accepter certaines choses pour en tirer un bienfait qui va permettre de sauver d'autres personnes. Lorsqu'on parle de l'embryon, je ne peux m'empêcher d'assimiler les deux questions.

Je reconnais que dans ce débat, les bienfaits dont vous avez parlé et qui peuvent sauver des vies sont bien réels. Je connais bien des gens qui souffrent de maladies congénitales, qui voudraient que leurs enfants ne souffrent pas de la même maladie et qui ont à prendre une décision semblable à celle qu'on doit prendre lorsque se pose le dilemme de l'avortement. Voilà, à mon avis, le contexte de cette problématique.

Je remarque avec intérêt, monsieur Carter, que vous reconnaissez la nécessité d'un cadre législatif et que vous espérez le trouver dans la mesure législative de l'automne prochain. Mais comme nous l'avons vu, cette mesure législative a déjà été soumise au Parlement. Il n'en est résulté rien de concret et je pense qu'il est maintenant temps d'agir, car on a appris que les autorités américaines ont décrété qu'on pouvait autoriser certaines recherches sur des cellules souches embryonnaires. Je ne pense pas que les Canadiens puissent laisser les Américains prendre la décision pour eux, mais c'est ce qui va se produire si nous n'agissons pas étant donné les préoccupations exprimées par M. Carter, dont le comité a pris conscience, et dont les parlementaires, je l'espère, prendront également conscience. Je n'ai donc pas vraiment de questions à poser, mais j'ai beaucoup apprécié les différents points de vue exprimés.

Merci.

Le président: Madame Desjarlais, vos commentaires ont suscité chez certains le désir de répondre, et nous allons écouter nos témoins.

Madame Somerville.

• 1100

Mme Margaret Somerville: Tout d'abord, nous n'avons pas de loi sur l'avortement. Voilà pour l'un des problèmes.

Deuxièmement, on ne peut pas supposer que les mêmes règles déontologiques s'appliquent au fait d'avoir un enfant et au fait de ne pas en avoir. Le problème avec le clonage, c'est de savoir quelles règles déontologiques doivent entourer la création d'un enfant. Dans le cas de l'avortement, il faut savoir quelles règles déontologiques doivent entourer la décision de ne pas avoir d'enfant. Ces ensembles de règles ne sont pas nécessairement les mêmes.

Par ailleurs, dans le cas de l'avortement, il est intéressant de remarquer que dès qu'on cesse de parler avant tout du droit de la femme à décider de ce qu'il advient de son corps, comme on le fait à propos de l'avortement socialement légitime, et qu'on fait porter le débat sur le foetus... Par exemple, si la femme refuse un enfant non pas parce qu'elle ne veut pas être enceinte, mais parce qu'elle ne veut pas d'une fille, on va dire immédiatement que sa réaction est inacceptable. Ici, on ne met pas l'accent sur le droit de la femme à déterminer ce qu'il advient de son corps. On est en présence d'une expérience extracorporelle impliquant une entité humaine, sans qu'il soit question de ces autres conflits. C'est donc une situation tout à fait différente de celle de l'avortement.

Mais il y a certains éléments qu'on peut transposer d'une question à l'autre...

Mme Bev Desjarlais: Puis-je apporter une précision? Je ne disais pas cela à propos de l'avortement. Je voulais parler de l'embryon et de ce qui peut advenir de l'embryon. C'était le sens de mes propos.

Mme Margaret Somerville: Oui, je sais, mais lorsqu'on voit ce qu'il advient de l'embryon en cas d'avortement, c'est l'effet secondaire du respect du droit de la femme à décider. Dès qu'on met l'accent sur l'enfant, on s'accommode beaucoup moins bien de la décision.

À mon avis, c'est tout ce qu'on peut de dire de l'avortement en ce qui concerne ce que l'on peut faire d'une vie humaine à ces débuts, qui n'est pas intrinsèquement liée à un corps de femme.

Le président: C'est curieux. Personne ne veut intervenir.

Madame Scorsone.

Mme Suzanne Rozell Scorsone: Je crois que Mme Somerville a tout à fait raison. J'ai vu bien des gens aux opinions diamétralement opposées sur le spectre allant du pro-choix au pro-vie, et qui tombaient parfaitement d'accord une fois qu'on avait écarté la question du conflit portant sur les aspirations de la femme. Il faut ensuite se préoccuper de l'importance de l'embryon, du zygote et du foetus qui est effectivement important en lui-même.

Par ailleurs, tous ces éléments proviennent généralement de la femme. C'est du moins le cas de l'ovule. Il y a donc la question de la capacité de reproduction de la femme, qu'on utiliserait de façon industrielle, et dont la femme serait dépossédée. Dans une perspective féministe, nombreux sont ceux qui y voient un problème non seulement en ce qui concerne l'embryon, le zygote ou le foetus, mais également en ce qui concerne les femmes. On trouve un consensus à ce sujet parmi des personnes dont les opinions divergent sur d'autres questions importantes.

Je voudrais également réitérer ce que j'ai dit dans mon exposé. Nous n'avons pas à choisir entre des thérapies et l'utilisation inacceptable des zygotes, des embryons ou des autres éléments de la reproduction à des fins d'expérimentation ou de clonage. Il y a d'autres possibilités. On peut obtenir des cellules souches en s'y prenant autrement. On peut obtenir des souches de tissus du pancréas pour obtenir les anticorps qui serviront à la production de l'insuline. On peut les obtenir différemment. On peut se servir de modèles animaux pour obtenir des souches de cellules humaines. Les possibilités sont nombreuses. On peut recourir à la greffe, on peut effectuer des traitements génétiques sur les cellules, qui sont ensuite implantées dans le cerveau humain, et ces cellules peuvent contenir des gènes qui vont produire de la dopamine pour lutter contre la maladie de Parkinson. On peut appliquer toutes sortes de procédés sans recourir au clonage humain.

Cela signifie simplement qu'on peut parfaitement contourner ce rocher placé en plein milieu de la route. On n'est pas obligé de faire des choses éthiquement inacceptables pour atteindre ses objectifs, comme le traitement des principales maladies. Le procédé peut être un peu plus long, un peu plus malaisé, mais on peut néanmoins réussir.

Le président: Bien.

M. Carter, puis nous reviendrons à M. Vellacott.

M. Ronald Carter: Très brièvement, je veux signaler que les lignées cellulaires viennent d'une personne vivante ou morte. Il faut qu'elles commencent quelque part.

Mme Suzanne Rozell Scorsone: Elles ne viennent pas nécessairement d'un embryon.

M. Ronald Carter: La formule du projet de loi, c'est «ayant un patrimoine génétique identique à celui d'un zygote, d'un embryon, d'un foetus, ou d'un être humain—vivant ou non». Toutes les lignées cellulaires humaines viennent de l'une de ces catégories.

Mme Margaret Somerville: Oui, mais c'est seulement si l'on manipule des clones.

• 1105

M. Ronald Carter: Vous savez, c'est précisément là qu'est la difficulté. Si l'on veut garder ces lignées cellulaires comme une possibilité de remplacement, elles devront venir de là.

Mme Margaret Somerville: Mais cette disposition ne s'y applique pas, car il n'y a pas d'interdiction si l'on obtient la lignée cellulaire sans manipuler un ovule, un zygote ou un embryon. C'est dans le cas de la manipulation.

M. Ronald Carter: Non. Le projet de loi dit «un patrimoine génétique identique à celui d'un zygote, d'un embryon, d'un foetus, ou d'un être humain—vivant ou non...».

Mme Margaret Somerville: Non, mais il doit y avoir eu manipulation.

Le président: Avant que le débat n'échappe à tout contrôle, est-ce qu'on peut dire, monsieur Carter, que ces cellules peuvent parfois provenir de cellules cancéreuses prélevées sur un organisme, ou de n'importe quel type de cellules?

M. Ronald Carter: Oui, elles peuvent avoir différentes origines.

Mme Fiona Miller: Mais là, il est question de produire un zygote ou un embryon. Ce n'est pas aussi vague que dans votre hypothèse.

M. Ronald Carter: Je l'entends bien, mais encore une fois, je reviens à ce que je disais sur l'interprétation. Pour appliquer cette disposition, on se heurte à la difficulté du degré d'interprétation et de la façon dont il faut interpréter la disposition aux différentes techniques.

Le président: Monsieur Carter, en tant que président, je dois normalement défendre les témoins contre les attaques des membres du comité. Cette fois-ci, je me vois contraint de vous défendre contre d'autres témoins. C'est une attitude à laquelle je ne suis guère habitué.

M. Ronald Carter: Il s'agit là d'une divergence d'opinions bien compréhensible. Comme je l'ai dit, je suis ici pour représenter les personnes qui présentent un problème médical, et c'est la perspective que je défends. Nous ne voulons pas nous voir privés d'un éventuel avantage thérapeutique pour des personnes en danger, et il s'agit ici d'une question d'interprétation. C'est la seule raison de ma présence ici.

Le président: Le comité veut entendre tous les points de vue, car c'est en recueillant l'opinion de chacun que nous pouvons nous forger une opinion collective. Je ne parle pas de consensus ou de point de vue majoritaire, mais nous voulons entendre tout le monde, et nous n'avons pas encore de point de vue. Nous nous renseignons.

Mme Fiona Miller: Je voudrais dire brièvement que sauf tout le respect dû à M. Carter, il ne représente pas ici les personnes qui ont un problème médical. Il représente le Collège canadien des généticiens médicaux.

M. Ronald Carter: C'est vrai.

Mme Fiona Miller: Il s'agit d'un organisme professionnel. C'est tout à fait différent.

M. Ronald Carter: C'est vrai, mais dans mon travail, dans mes consultations, dans mes fréquentations, je m'occupe de problèmes médicaux.

Une voix: Comme la plupart d'entre nous.

Le président: On pourrait poursuivre le débat. Pouvez-vous résumer vos propos en une ou deux minutes, madame Somerville et madame Scorsone, car M. Vellacott veut lui aussi intervenir.

Monsieur Vellacott.

M. Maurice Vellacott: Les commentaires qui ont été faits m'inquiètent un peu, je ne sais pas si c'était voulu ou non, mais l'on semble dire qu'il faut procéder par règlement parce que nous sommes les «experts médicaux». Est-ce que cela ne serait pas une forme d'élitisme?

J'ai noté cela dans certains de vos commentaires, monsieur Carter. Je ne sais pas si c'était voulu, mais en fait vous rendez la question plus complexe, et vous indiquez clairement qu'il s'agit d'une question très complexe.

Puis on écarte les décisions d'un comité comme celui-ci. Cela vient gâter la chose; on parle maintenant d'un processus réglementaire où l'élite, nous espérons qu'elle ne sera pas trop arrogante, réglera le problème parce qu'elle en connaît plus long sur la question et que le public ne saurait vraiment en discuter.

M. Ronald Carter: Ce n'est pas ce que je demande. Je demande les deux éléments. Je ne cherche pas à être élitiste. Je n'essaie pas de représenter un organisme élitiste.

M. Maurice Vellacott: Est-ce que vous compliquez les choses plus qu'il n'est nécessaire? Y aurait-il un consensus chez vos pairs?

M. Ronald Carter: Je dis que la situation est complexe. Je voudrais voir à la fois des règlements et une loi interdisant certaines pratiques; ces deux devraient aller de pair. Je crois que ce projet de loi qui vise à interdire des choses que nous ne voulons pas voir sera difficile à mettre en vigueur, et je crois que certaines des techniques que notre société voudrait voir seront difficiles à réaliser, si ce projet de loi était mis en oeuvre.

M. Maurice Vellacott: Si je parle de la question avec vos pairs qui ont des antécédents et connaissances médicales comme les vôtres, et qui pratiquent le même métier que vous, est-ce que je constaterai que tous disent que c'est aussi complexe que vous le laissez entendre? Certains diraient-ils plutôt, non, M. Carter s'imagine des choses, voit des nuances que personne d'autre ne voit? Représentez-vous vraiment vos pairs quand vous parlez de la complexité que vous décelez dans ce rapport?

• 1110

M. Ronald Carter: J'essaie de bien représenter la situation. C'est très difficile d'être représentatif dans de telles circonstances parce que c'est si personnel et si complexe surtout quand on pense aux principes qui sont en jeu.

Le président: Un instant. Monsieur Vellacott, je suppose...

M. Maurice Vellacott: Je veux poser mon autre question.

Le président: Très bien, mais je crois qu'il nous faut accepter que si un témoin représente de façon officielle une organisation, il représente également la façon de penser cette organisation. Il y a probablement des différences, mais nous devons supposer que la position du témoin est la position officielle de l'organisation.

M. Ronald Carter: Si vous permettez...

Le président: Un instant, monsieur Carter.

Le projet de loi précède toujours les règlements. En Ontario, nous nous attendons toujours à ce qu'il y ait des règlements qui soient assortis à la mesure législative, ou qui la suivent ou qui en découlent. Nous ne nous opposons donc pas aux règlements. Je me demande si cette distinction fait déjà partie de votre...

M. Ronald Carter: Oui.

Le président: Oui? Vous y avez pensé?

M. Ronald Carter: Je suppose qu'il y aura un processus réglementaire... Je parle du processus. J'essaie de participer au processus, dans la mesure où...

Le président: Mais vous disiez plus tôt, et je crois que certains témoins et collègues essayaient de vous demander plus de renseignements sur la question pour savoir si vous préconisez en fait une approche purement réglementaire ou si vous acceptez l'approche législative. Je crois qu'on avait laissé entendre que c'était l'une ou l'autre, et je crois que vous préconisez l'une à l'exclusion de l'autre, cependant...

M. Ronald Carter: Non.

Le président: ...elles vont de pair.

M. Ronald Carter: Pour en revenir à mon mémoire, qui a été approuvé par le président de notre société et par d'autres membres du conseil d'administration, j'ai demandé un système mixte d'interdiction et de réglementation. Nous avons demandé que lorsque ce projet de loi fera l'objet de discussions à l'automne, comme nous l'espérons et comme on nous l'a promis, il y ait un ensemble de propositions visant l'interdiction et d'autres visant la réglementation.

Le président: Très bien. Je laisserai M. Vellacott terminer sa question puis j'y reviendrai, parce que je sais que Mme Somerville veut ajouter quelque chose.

M. Maurice Vellacott: Je n'ai pas le texte de votre exposé, mais je suppose qu'il a été distribué.

Une voix: Non, nous ne l'avons reçu qu'aujourd'hui.

M. Maurice Vellacott: Non. Voici ma première question. À moins qu'il n'y ait de commentaires bien précis démontrant le contraire—et la question s'adresse à tous, mais peut-être que M. Carter pourrait répondre en premier—, des commentaires dont je ne suis pas au courant qu'on retrouve peut-être dans les journaux médicaux ou peut-être dans d'autres publications moins spécialisées, il me semble que la modification de cellules germinales présente un danger, qui est beaucoup plus important que celui qui entoure la thérapie génique somatique ou la thérapie de la lignée non germinale, parce que les erreurs ont un impact sur toutes les cellules d'embryons.

Un gène inséré dans ces cellules germinales, si j'ai bien compris, pourrait avoir un impact sur certaines des fonctions géniques importantes, ou peut-être—et reprenez-moi si je me trompe—pourrait en fait activer certains gènes associés au cancer, à d'autres problèmes, un peu comme sur un échiquier, où lorsque vous déplacez une pièce, cela a un impact sur la valeur ou les fonctions de toutes les autres pièces. Je suppose qu'en termes médicaux, si quelqu'un a accès aux conseils de deux, trois ou quatre médecins, ces derniers lui donnant des médicaments sans qu'on sache ce que l'autre médecin fait, Dieu seul sait quel sera l'impact.

Pouvez-vous m'assurer que lorsque vous procédez à une modification génique de cellules germinales, vous pouvez prédire et savoir exactement qu'il n'y aura pas d'impacts négatifs imprévus? Pouvez-vous être aussi précis que cela? Est-ce que la science est si exacte que vous pouvez me dire que si vous faites cela, cela permettra d'éliminer la fibrose kystique par exemple et que cette procédure ne déclenchera pas chez la génération suivante des cellules de cancer ou des choses qui pourraient être encore pires? Pouvez-vous me garantir cela quand vous procédez à une modification génique de cellules germinales?

• 1115

M. Ronald Carter: Je ne crois pas que qui que ce soit pourrait vous garantir de telles choses, mais je crois que les progrès réalisés dans le domaine pourraient créer des circonstances où il serait acceptable d'essayer. Prenons par exemple d'autres procédures médicales qui étaient jugées non acceptables et absolument impossibles, mais pourtant qui sont devenues monnaie courante aujourd'hui. On peut remonter par exemple aux transfusions sanguines. Cela présentait des avantages; mais c'était accompagné de risques. Maintenant c'est monnaie courante.

M. Maurice Vellacott: Mais il ne s'agit pas là d'une manipulation des gènes. Après tout, il...

M. Ronald Carter: Oui, mais il s'agit là de cellules circulantes qui peuvent vivre pendant très longtemps, et elles... Vous savez, il y a des études...

M. Maurice Vellacott: N'y a-t-il pas une différence fondamentale entre ces deux exemples? Cela n'a rien à voir avec les gènes.

M. Ronald Carter: J'essaie de m'en servir comme exemple pour vous présenter une technique qui à l'origine n'était pas parfaite et qui était jugée inacceptable pour cette raison puis qui est devenue plus tard monnaie courante et qui présente des avantages et des risques dans des circonstances acceptées.

M. Maurice Vellacott: Très bien.

M. Ronald Carter: Je ne peux garantir que la recherche et la pratique médicale dans ce domaine des techniques de reproduction seront exemptes d'effets négatifs. Personne ne peut le garantir.

M. Maurice Vellacott: Mais c'est déjà précis et exact, et...

M. Ronald Carter: Pas du tout. Peut-être plus tard, mais ce n'est pas la situation actuellement. Je suis parfaitement d'accord. Cependant, il pourrait y avoir des avantages dans ce secteur. Il pourrait également y avoir des risques. La situation évoluera.

M. Maurice Vellacott: Très bien. Je suppose que l'autre...

M. Ronald Carter: Je ne pense pas que nous soyons en désaccord sur la question.

M. Maurice Vellacott: Très bien. Je voulais simplement...

Le président: Je crois qu'il a répondu à votre question.

Mme Somerville puis Mme Miller.

Mme Margaret Somerville: Oui, j'aimerais faire trois brefs commentaires.

Tout d'abord, je crois qu'il est très important de comprendre que l'on ne commence à parler de risques ou d'avantages et de risques relatifs et à se demander si l'on devrait interdire quelque chose pour des raisons déontologiques parce que c'est trop risqué, que lorsque l'on a décidé que l'intervention qui crée ces risques n'est pas mauvaise en soi. Il y a donc deux interventions possibles aux termes de ce projet de loi. Il y a tout d'abord la question du clonage humain et puis la modification de cellules germinales.

La question que vous venez de poser à M. Carter était de savoir en fait... Vous avez supposé qu'il n'y avait rien de mauvais en soi dans la manipulation germinale, sinon vous ne parleriez pas de risque. C'est l'une des façons de voir les choses. Dire que c'est inacceptable du point de vue de l'éthique parce que les risques sont trop élevés n'est pas la même chose que dire que c'est inacceptable du point de vue de l'éthique car il ne faudrait pas manipuler les cellules germinales humaines, quels que soient les risques ou les avantages. C'est donc une analyse en deux étapes. Cela s'applique également au clonage humain. On ne commence à parler de risque qu'après avoir décidé que l'intervention n'a rien de mauvaise en soi malgré les risques qu'elle pose.

Deuxièmement, si l'opération est mauvaise en soi, elle devrait être interdite. Dans ce cas, il n'est pas nécessaire de prendre des règlements, car on ne saurait régir une chose qui est mauvaise en soi. Le fait de la régir signifie qu'elle n'est pas intrinsèquement mauvaise mais qu'elle pourrait le devenir selon l'usage qui en est fait. Il faut être très prudent lorsqu'on fait de telles déclarations et bien savoir quelle en est la signification profonde.

Troisièmement, au sujet de l'article 286.1, M. Carter demande en fait si la disposition est trop vague pour constituer une disposition pénale valable ou applicable. À mon avis, la disposition n'est pas trop vague, selon les règles normales d'interprétation des lois pénales. Ce qu'il faut, c'est définir un acte clair, c'est-à-dire... On dit à la première ligne «manipuler un ovule, un zygote ou un embryon». Il faut ensuite définir la mens rea, dans ce cas-ci «en vue d'obtenir un zygote ou un embryon», etc. La disposition ne s'appliquerait donc pas aux lignées cellulaires composées de cellules identiques lorsque celles-ci n'ont pas été produites grâce à la manipulation d'un ovule, d'un zygote ou d'un embryon à cette fin-là. C'est donc très clair. Je ne crois pas que la disposition soit vague.

Le président: Merci, madame Somerville.

Mme Miller.

Mme Fiona Miller: Que pourrais-je dire de plus? Si l'on considère votre argument, c'est-à-dire qu'il faudrait éviter de parler de risque si nous croyons que l'intervention est mauvaise...

Le président: Vous vous adressez maintenant à M. Carter, n'est-ce pas? Lorsque vous dites que votre...

Mme Fiona Miller: Non, excusez-moi, l'argument de Mme Somerville...

Le président: D'accord. Merci.

Mme Fiona Miller: ...voulant qu'il ne faudrait pas parler de risque si nous croyons que l'intervention est foncièrement mauvaise.

Même si je crois que l'intervention est foncièrement mauvaise, je continuerai néanmoins de parler un peu des risques, entre autres parce qu'il est important, à mon avis, d'indiquer que la manipulation génétique de cellules germinales, comme M. Vellacott l'a laissé clairement entendre, est une forme foncièrement différente d'intervention médicale. Nous avons toujours effectué des interventions d'ordre somatique sur le corps des personnes malades, et nous continuons de le faire. C'est la forme de traitement que nous appliquons.

• 1120

Le fait d'exclure des personnes du traitement, ce que fait en réalité la manipulation génétique de cellules germinales, constitue un changement radical dans l'exercice de la médecine. En modifiant la lignée germinale d'une personne, on ne traite pas exclusivement cette personne. On ne saurait évaluer cette question comme s'il ne s'agissait que du traitement d'une personne.

M. Maurice Vellacott: Je dirai à ma défense que je ne parlais pas seulement de risque minime mais plutôt du génome humain, de l'ensemble des gènes de l'humanité. Il ne s'agit pas de petites choses à gauche et à droite. Vous avez toutefois choisi de reprendre cet argument.

Mme Fiona Miller: Oui. Cela devient donc important. Je tiens également à signaler, puisqu'il s'agit d'une mise en garde habituelle, que nous manipulons le génome humain constamment. Les gènes de l'humanité sont en constante mutation à cause des polluants industriels et des radiations. C'est vrai. Il y a toutefois un énorme fossé entre la manipulation délibérée et les mutations accidentelles qui font partie en fait de la sélection naturelle. Il y a là une différence fondamentale, ne nous y trompons pas.

D'une certaine façon, également, le modèle de génome dont on se sert dans les discussions sur les diverses manipulations est un peu simpliste. Il s'agit d'une génétique moléculaire qui tient davantage des années 70 qu'aux années 90 et dans laquelle on parle moins de l'action des gènes que de l'activation des gènes. C'est en fait bien plus complexe. Je ne suis pas biologiste moléculaire. Il serait peut-être utile que vous entendiez ce qu'en pense un théoricien de la biologie moléculaire. Il existe toutefois de nombreux écrits sur l'écart croissant entre la nouvelle conception que les biologistes moléculaires ont du fonctionnement complexe et interactif des gènes, et le modèle de séquence linéaire qu'on applique encore dans une grande mesure en médecine génétique.

C'est un problème très important, car ces questions de risque que vous posez ne sont pertinentes que dans la mesure où l'on conçoit le retrait de l'élément X et son insertion ailleurs dans une séquence linéaire directe. Mais si l'on conçoit le génome différemment—si l'on conçoit qu'il y existe un processus de régulation interactive bien plus complexe—, cela ne fonctionnera plus nécessairement. Et dans ce cas, nous ne savons ni ne pouvons imaginer quels seront les effets.

C'est donc un problème moral très important... Il y a là un problème scientifique lié à l'évolution des modèles des processus génétiques, et je ne suis pas certaine que la médecine génétique l'ait réglé.

Le président: Merci, madame Miller.

[Français]

Madame Picard, à vous la parole.

Mme Pauline Picard: Monsieur le président, je voudrais faire seulement une petite remarque. Je déplore qu'aucun député du gouvernement ne soit ici aujourd'hui. Peu importe les raisons, c'est un manque de respect pour nos témoins.

Le président: C'est jour d'élection.

Mme Pauline Picard: Oui, monsieur le président, mais vous admettrez que c'est une discussion très sérieuse qu'on attend depuis longtemps. Même s'il y a une élection provinciale, le rôle du député fédéral est de faire son travail là où il est, à Ottawa. Je déplore cette situation. Je trouve cela irrespectueux pour les sommités qui sont ici.

Le président: Vous avez raison. Le sujet est très sérieux et la présence du président indique la qualité de nos témoins. Merci.

Mme Pauline Picard: Je ne veux pas minimiser votre rôle, monsieur le président, mais même le secrétaire parlementaire n'est pas ici pour entendre les témoins. C'est un manque de respect incroyable.

Le président: On l'a noté.

Mme Pauline Picard: Oui.

J'étais à l'Organisation mondiale de la santé quand on y a adopté la convention pour interdire le clonage humain. Il y a le Conseil de l'Europe qui a signé une résolution pour interdire le clonage humain, et il y a aussi l'UNESCO. Tous ces organismes, qui représentent un grand nombre de pays sur la scène internationale, ont signé une convention pour interdire le clonage humain.

Ici on est en train de se poser des questions et de faire du cas par cas pour arriver à avoir une position claire sur l'interdiction du clonage humain. J'essaie de comprendre ce qui se passe.

• 1125

Madame Somerville, vous avez dit qu'il y avait actuellement deux codes de déontologie, selon le point de vue où on se place. Pour ma part, j'opte pour le code de déontologie qui préservera le respect de la vie humaine. Pourquoi avoir tant de discussions sur tout ce qui concerne les cellules germinales et tout cela? Est-ce que l'Organisation mondiale de la santé et le Conseil de l'Europe sont allés aussi loin dans leurs débats en vue d'interdire le clonage humain? C'est ce que j'aimerais savoir de votre part.

[Traduction]

Le président: Pouvez-vous nous procurer ces renseignements?

Mme Margaret Somerville: Oui.

Le président: D'accord.

Mme Margaret Somerville: Pourquoi l'ont-ils fait? Je connais les déclarations dont vous parlez. Il s'agit du protocole pour la convention sur la bioéthique du Conseil de l'Europe et de la déclaration de l'UNESCO sur le génome humain. Je crois qu'il y a également une autre mesure législative à l'étude, ou qui a été adoptée, en Suisse et en Allemagne.

C'est une question fort intéressante. Sa réponse contient un grand nombre de facteurs. En Amérique du Nord, surtout compte tenu des principes déontologiques que nous appliquons pour analyser ce que nous ferions et ce que nous ne faisons pas... À mon avis, et j'ai peut-être tort, nous sommes beaucoup plus individualistes. Contrairement à ce qui se fait encore en Europe, nous appliquons davantage une présomption foncière de libre arbitre, qu'il s'agisse de mener une recherche scientifique, de choisir le traitement médical que nous souhaitons ou de refuser le traitement que nous ne voulons pas. En Europe, la science et la médecine se fondent encore sur une approche plus paternaliste. On accepte peut-être davantage en Europe des déclarations générales voulant que la société juge mauvaises ce genre de manipulations, sans accorder, comme en Amérique du Nord, le même poids aux arguments contraires. Ici, il y a un vrai débat.

Par exemple, je déclare qu'à mon avis, le clonage humain est intrinsèquement mauvais et qu'il devrait être interdit. Je dois toutefois reconnaître et accepter que cette interdiction entraîne pour l'humanité la perte de certains bienfaits. Elle limitera la recherche scientifique. Nous perdrons les bienfaits que produirait le clonage, mais j'estime qu'il faudrait l'interdire. En Europe, on insistera simplement sur le fait que les humains ne devraient pas faire de clonage et qu'il faut conserver un respect profond pour la vie humaine.

Les sociétés d'ici sont peut-être très pluralistes, davantage qu'en Europe, et nous ne voyons pas la nécessité de conserver, dans la société, le même degré de respect profond pour la vie humaine. Nous pensons que tant que chaque personne ne pose pas d'actes qui contreviennent à ce principe, celui-ci est protégé. J'estime que c'est faux. La société doit établir des règles pour protéger le respect de la vie humaine. La société européenne est mieux préparée à cela que la nôtre. Cela s'explique par toutes sortes de raisons.

[Français]

Mme Pauline Picard: Tout le monde sait que le ministère de la Santé déposera un projet de loi à l'automne. Ce n'est un secret pour personne, car le ministre l'a annoncé. On sait aussi que le groupe de travail qui se penche sur ce futur projet de loi est en train d'adopter le modèle de la Grande-Bretagne. Connaissez-vous le modèle de la Grande-Bretagne? Quelles mesures la Grande-Bretagne a-t-elle prises en ce qui concerne les mauvaises manipulations génétiques? Est-ce qu'elle a interdit le clonage humain? Quelles autres choses a-t-elle interdites?

[Traduction]

Mme Margaret Somerville: En Grande-Bretagne, il y a loi appelée Human Embriology Act, sous le régime de laquelle on a créé la Human Embriology Authority.

M. Ronald Carter: La HFEA, c'est-à-dire la Human Fertilization and Embriology Authority.

Mme Margaret Somerville: Oui. Ce groupe est composé de divers experts reconnus dans le monde entier et qui possèdent diverses compétences pertinentes pour décider de telles questions.

• 1130

Je n'ai pas examiné cette loi dernièrement, mais à ma connaissance, d'après ce dont je me souviens, on y interdit le clonage humain. En fait, la loi britannique était la deuxième de ce genre. La première loi qui ait tenté de régir ce domaine portait le titre de Infertility Regulation Act. Elle a été adoptée à Victoria, en Australie, surtout parce que c'est dans ce pays qu'on a mis au point les premières techniques de reproduction. Cette loi créait également un organisme de réglementation.

Ces organismes statuent sur les propositions de recherche dans le domaine des embryons humains. À l'origine, la loi australienne interdisait de telles recherches. Plus tard, on a fait valoir qu'à ses toutes premières étapes—Mme Scorsone l'a mentionné—, avant ce qu'on appelle la syngamie, lorsque les nouveaux chromosomes sont alignés en fuseaux, l'embryon n'est que le simple amalgame d'un spermatozoïde et d'un ovule, et qu'il serait donc acceptable du point de vue moral de faire des expériences à ce stade.

D'autres règles ont bien sûr été élaborées plus tard. Il semble que bon nombre d'organismes de réglementation permettent maintenant les expériences sur des embryons humains d'au plus 14 jours, pour toutes sortes de raisons. On estime qu'il s'agit d'un compromis entre interdire la recherche sur l'embryon humain et permettre des recherches aux premières étapes. Il y a évidemment des divergences d'opinions à ce sujet.

Même s'il ne s'agit pas d'une intervention que tout le monde souhaite ou que l'on a décidé d'interdire, il faut signaler que certaines manipulations peuvent être mauvaises. Il faut donc avoir des règlements suffisants à ce sujet. C'est pour cela qu'il y a des organismes de réglementation. Leur travail peut être conçu comme une déontologie par l'application d'un processus d'éthique plutôt que l'élaboration de règles d'éthique bien définies pour décider de ce qui peut être fait, sans l'aide d'un processus.

[Français]

Le président: Merci.

Madame Desjarlais.

[Traduction]

Mme Bev Desjarlais: Merci. J'ai d'abord une observation à faire.

J'ai trouvé intéressant que vous mentionniez la question des transfusions sanguines et des transferts de sang. Cela a confirmé pour moi votre argument sur l'existence de solutions de rechange à l'utilisation de la recherche sur les embryons.

Il y a quelques années, si je me rappelle bien, certains groupes refusaient de recevoir des transfusions sanguines et disaient qu'on ne faisait pas suffisamment pour trouver des solutions de rechange. Peu de temps après, les hôpitaux ont tous commencé à se doter d'appareils pour augmenter le volume sanguin. Ils l'ont fait parce qu'ils étaient obligés. Cela a confirmé pour moi que si nous permettons les manipulations, on fera moins d'effort pour trouver des solutions de rechange. Si nous acceptons ces manipulations, cela pourrait être considéré comme une solution facile.

J'ai une question à vous poser, monsieur Carter. Croyez-vous que ce soit une bonne chose, de votre avis à vous ou du groupe que vous représentez, d'utiliser des embryons humains au profit d'une autre personne, de décider d'utiliser ces embryons?

M. Ronald Carter: Permettez-moi de répondre d'abord à votre observation. Il ne s'agit pas d'adopter une solution facile mais de choisir la meilleure solution au moment où se pose le problème. Les choses évoluent, elles progressent, et il devient plus efficace, moins dangereux et plus profitable d'essayer plus tard d'autres méthodes ou de les adopter. En médecine, on compare les traitements reconnus et acceptés à de nouveaux traitements pour décider ce qui vaut mieux et on adopte le meilleur. D'une façon générale, nous faisons de grands efforts pour appliquer ce principe.

Pour ma part, j'accepte difficilement l'idée d'utiliser des cellules embryonnaires pour aider d'autres gens. Mais par contre, ce n'est pas moi qui ramène le bébé à la maison, je ne suis pas la femme enceinte, non plus que la famille aux prises avec la maladie. De quel droit puis-je décider à leur place? Si je puis défendre ces personnes à risque, notre société pourrait convenir que certains aspects de ces techniques peuvent être acceptables dans certaines circonstances. Ce que je réclame, c'est un cadre législatif qui permette de poser cette question et d'y répondre.

• 1135

J'ai beaucoup de difficulté à accepter le principe du clonage humain et je crois que notre société s'y oppose fortement. Cela ne fait aucun doute. Pour ce qui est de l'utilisation des cellules embryonnaires, nous tombons dans une zone grise, et j'ai pour ma part des convictions fermes. J'ai de sérieuses réserves.

Le président: Madame Miller.

Mme Fiona Miller: Au risque de rendre la discussion encore plus complexe, il ne faut pas oublier que nous ne discutons pas de la recherche sur les embryons, qui est un élément très important de ce projet de loi. Ce projet de loi vise expressément à interdire la production par clonage d'embryons, de foetus, d'enfants et de personnes, ainsi que la production délibérée d'embryons, de foetus, d'enfants et de personnes, dont les cellules germinales ont été manipulées.

Il faut le reconnaître. Il existe toute une gamme de recherches sur les embryons qui sont sans rapport avec ces questions.

Le président: C'est une bonne remarque, madame Miller. Vous vous rappellerez bien sûr que le projet de loi C-247 ne représente qu'une partie du projet de loi C-47 dont nous avions débattu. Il aura été utile de présenter le projet de loi C-47 ne serait-ce que parce qu'il permet aujourd'hui une discussion plus ciblée et qu'il attire davantage l'attention sur l'une des 13 interdictions.

Mme Fiona Miller: Je ne m'en plains pas. Je disais simplement qu'il ne faut pas perdre cela de vue.

Permettez-moi de revenir un peu en arrière. Je ne sais pas si c'est utile, mais je voudrais vous rappeler certaines des limites de la loi du Royaume-Uni. Si le Code criminel est efficace dans le contexte canadien et pas dans le contexte britannique, c'est en raison de la division des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les provinces et de l'autonomie importante dont jouissent les provinces. C'est un élément fondamental.

Il ne faut pas non plus oublier que nous avons au Canada une charte très importante. Comme bien des Canadiens, j'en suis très fière, car contrairement au Royaume-Uni et à certaines parties de l'Australie, l'accès à ces technologies n'est pas limité par l'état civil ou l'orientation sexuelle. De telles limites ne seraient pas acceptables au Canada, malgré ce que peuvent révéler les sondages d'opinions publiques.

Ce sont donc des éléments très importants de la réalité canadienne qui nous encouragent à régler ces problèmes à l'échelle locale, comme nous le faisons.

Le président: Madame Scorsone, une brève observation.

Mme Suzanne Rozell Scorsone: Je vais essayer d'être brève.

À mon avis, le libellé de la loi est clair. Je vais essayer de situer mes remarques dans un cadre anthropologique. Cette mesure législative et toutes les questions qui y sont connexes touchent de nombreux groupes différents. Il est normal pour ceux qui utilisent directement certaines de ces technologies de préférer qu'on n'impose pas de limites externes à leurs activités. Même si ce groupe n'est peut-être pas d'accord pour faire certaines choses, il ne veut pas non plus qu'on lui impose des interdictions.

Il est possible que certains groupes portent des oeillères, malgré toute leur bonne volonté. Si quelqu'un n'a qu'un marteau pour outil, tout pour lui devient un clou, même si tout ce qu'il souhaite, c'est d'aider. Mais comme l'a dit Mme Desjarlais, lorsqu'une chose est permise, elle devient la norme.

Prenez le cas du moteur à combustion. Lorsqu'une chose devient la norme, des diverses entreprises y consacrent leurs investissements et il devient beaucoup plus difficile de trouver d'autres façons plus innovatrices. Il faut attendre que tout soit pollué pour que les gens commencent à mettre au point des moteurs électriques, par exemple. Il faut atteindre ce seuil-là. Il faut un scandale du sang contaminé pour que les gens se tournent vers les volumiseurs.

Je préférerais donc que l'on ne ferme pas les autres portes. Nous devrions déclarer que cette technique n'est pas acceptable, qu'il existe d'autres moyens. Il faudrait que l'argent et que les efforts soient investis à trouver d'autres moyens acceptables pour tous et qui ne causent pas ce genre de controverse. Si tout le monde en convient, il n'y a plus de problème.

Le président: Merci.

Je donnerai la dernière question à M. Vellacott, mais soyez très bref.

• 1140

M. Maurice Vellacott: D'accord. Bev a raison, dans un sens, de dire que de la nécessité naît l'invention. En freinant certaines choses, on précipite des efforts très vigoureux et peut-être plus concentrés sur la lignée non germinale.

J'aimerais revenir à ce que disait M. Carter quant aux possibilités d'interruption. Si avec cette lignée, on activait l'insertion pour prévenir la fibrose kystique, vous semblez dire qu'on pourrait ensuite la désactiver pour que cela ne soit pas transmis aux prochaines générations. Ce genre de complication bizarre ne serait pas transmise de génération à génération. On pourrait interrompre cela avant le stade de la reproduction dans le cas d'adolescents qui changent souvent de partenaire. Je ne sais pas quand on interromprait cela. Est-ce que ce devrait être juste avant la puberté?

M. Ronald Carter: En fait, ce genre de décision peut être prise grâce à un diagnostic pré-implantation. Quelqu'un qui a par exemple une mutation peut implanter un embryon qui a été sélectionné de façon à ne pas avoir cette mutation. D'un côté, on pourrait dire que l'on a inséré le gène. La personne pourrait être en mesure de produire différents types d'oeufs ou de spermatozoïdes et peut sélectionner un zygote qui n'a pas cette mutation ou cette insertion de gène.

Cela veut dire qu'à l'avenir, il y aura des tas de moyens de considérer cette question d'activer ou de désactiver ou de mettre un gène à tout jamais dans le fonds génétique. Des moyens que l'on n'envisage même pas actuellement.

M. Maurice Vellacott: J'aimerais que les autres témoins me disent si à leur avis, c'est aussi précis qu'allumer et éteindre une lampe. Est-ce aussi exact?

Mme Fiona Miller: Je crois que nous répondons à des questions légèrement différentes en ce sens qu'à mon avis, ce que veut dire M. Carter, c'est que sélectionner des zygotes est un peu comme sélectionner des gènes. La question du diagnostic pré-implantation me semble tout à fait différente de celle de...

M. Ronald Carter: Mais c'est une technique qui donne le même résultat.

Mme Fiona Miller: Non, justement pas.

M. Ronald Carter: En toute déférence, un gène est transmis à la génération suivante quand on crée un enfant. N'est-ce pas?

Mme Fiona Miller: Oui.

M. Ronald Carter: Bien. On peut sélectionner un embryon pourvu de caractéristiques génétiques particulières. On le fait déjà aujourd'hui. On laisse l'embryon atteindre huit cellules. On en retire deux. On analyse la mutation dans ces deux cellules. On conserve les six autres. Si l'embryon n'a pas la mutation, on fait l'insertion dans ces six cellules, et ça en fait des bébés normaux. On a arrêté la transmission de la mutation à la génération suivante.

M. Maurice Vellacott: Et on n'a pas fait de complications ni d'effets qui peuvent se répercuter sur d'autres...

M. Ronald Carter: Non. Ce sont des bébés normaux. Je dis simplement que c'est une façon d'y parvenir et que c'est déjà possible aujourd'hui. Je dis aussi qu'à l'avenir, il y aura probablement des tas d'autres progrès qui permettront de parvenir au même résultat différemment. Il est difficile de prévoir ce que l'on pourra faire à l'avenir.

Le président: Je vois que je pouvais compter sur M. Vellacott pour poser une question brève et spécifique qui ne susciterait pas de débat. Je sais que les trois autres témoins voudraient aussi dire quelque chose. Je me demandais simplement si nous allions dans le même sens parce que je dirais que c'est... Non, d'accord.

Monsieur Carter, dans l'exemple que vous venez de donner, il n'est pas question de manipulation, n'est-ce pas?

M. Ronald Carter: Non, de sélection. Je dis que si, par exemple, on insère un gène aux fins de thérapie génétique dans un individu et que l'on ne veut pas que cela se transmette à la génération suivante, on peut arrêter la chose en sélectionnant l'embryon. C'est possible aujourd'hui. Je ne dis pas que c'est acceptable ou permis, simplement que c'est possible.

Le président: J'ai l'impression qu'on va probablement passer le reste de l'après-midi ici car certaines de vos réponses ont même suscité des réactions autour de la table. Notre rôle n'est pas de participer à ce débat. Nous voulons entendre ce que les témoins ont à dire. Merci de tout le temps que vous nous avez consacré et des réflexions que vous nous avez communiquées.

J'aimerais faire deux choses. Alors que nous en arrivons à la fin de cette réunion, je vais demander à mes collègues de rester un instant. Je voudrais que nous levions cette partie de la séance avant que je fasse une annonce rapide qui n'a rien à voir avec cette réunion.

Comme on semble en être au premier tour, nous allons maintenant passer à Mme Somerville, à Mme Miller puis à Mme Scorsone.

• 1145

Mme Margaret Somerville: Je voulais simplement dire un mot sur cet exemple de la biopsie d'un embryon. Ce qui vous importe, du point de vue de l'éthique, ce n'est pas simplement de savoir si le résultat est le même quand on choisit un enfant en particulier. Ce qui est important, c'est de savoir si les moyens utilisés sont acceptables. Il faut s'interroger sur le caractère éthique de la biopsie d'un embryon. Mais c'est là une question distincte de celle de la cellule germinale humaine et de sa manipulation. C'était un premier point.

Deuxièmement, monsieur le président, vous avez dit que l'on ne débattait dans ce projet de loi que d'une méthode. En fait, je vous dirais en toute déférence, qu'à mon avis il s'agit de deux méthodes. Le clonage humain et l'intervention par cellule germinale. Il est très important de considérer les deux séparément car, là encore, les arguments qui s'appliquent à l'une ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux qui s'appliquent à l'autre.

Une petite chose à propos du libellé, dans le projet d'alinéa 286.1(1)b), je remarque qu'il est question de «sperme humain». Étant donné que l'on ne met pas l'adjectif «humain» après ovule, zygote ou embryon, d'après les règles normales d'interprétation statutaire, on peut supposer que ceux-ci ne sont pas humains alors que je suis certaine que ce n'est pas l'intention. J'ai l'impression que c'est une simple question de rédaction.

Dernier point à ce sujet et cela pourra peut-être paraître surprenant, surtout après la séance de ce matin, mais je veux dire que je suis d'accord avec M. Carter sur quelque chose d'important. Je ne suis pas du tout d'accord avec lui pour dire que le projet d'alinéa 286.1(1)a) est vague mais je crois que le projet d'alinéa b) empêcherait en fait beaucoup de recherches qui ne seraient pas forcément considérées comme inacceptables, selon ce que l'on pense des recherches effectuées sur des embryons humains. Je crois que même si l'on a dit que la recherche sur des embryons humains est quelque chose de différent, c'est en fait un élément essentiel lorsqu'il s'agit d'approuver ou de rejeter le libellé du projet de loi.

Le président: Ces observations sont utiles. Nous envisagerons et peut-être que les légistes envisageront un amendement pour ajouter humain après ovule, etc. Si on pense toutefois au texte législatif initial qui a donné lieu à celui-ci, c'est peut-être—et je suis très subjectif—une omission tout à fait délibérée simplement parce que les autres interdictions, dont je parlais tout à l'heure, portent sur une série d'autres manipulations qui ne concernaient pas nécessairement strictement l'ovule et le sperme humains. Vous hochez la tête. Vous vous en souvenez. Bien. Très bien.

Madame Miller.

Mme Fiona Miller: Je conviens que le projet d'alinéa 286.1(1)b) pourrait être interprété de cette façon. Je ne pense pas toutefois qu'il soit impossible de le modifier. Si on veut vraiment s'en tenir à la reproduction des humains, on peut ajouter un article sur les implantations dans une femme, ou peut-être une personne, visant la naissance. Je ne pense pas que ce soit pour le moment un obstacle insurmontable.

Je voulais toutefois parler surtout de ce qu'avait dit M. Carter à propos du diagnostic pré-implantation. Je crois vraiment que c'est une question tout à fait différente. Ce sont deux choses tout à fait différentes. D'une part parce que le diagnostic pré- implantation nécessite très spécifiquement de sélectionner le zygote, l'embryon qui va continuer de vivre et donc de sélectionner des gènes spécifiques, ce processus de sélection est en fait analogue à la lignée parce que l'on interdit... Si tous ceux qui souffraient de fibrose cystique passaient par un diagnostic de pré- implantation et si puisqu'il s'agit d'un état récessif, on ne permettait statistiquement qu'à un quart de ces zygotes de durer, c'est-à-dire, à ceux qui ont des allèles normaux, cela reviendrait théoriquement à supprimer la mutation de fibroses cystiques dans la population. Il y aurait évidemment possibilité de remutation.

Mais cela est très différent de la manipulation qui vise à modifier physiquement la structure génétique. À mon avis, nous n'avons pas, nous n'aurons peut-être jamais, la capacité technique qui nous permettra d'imiter tellement bien la nature que nos efforts pour modifier la structure génétique en vue de corriger ces défauts de gène simple seraient suffisamment précis et sans danger. C'est très différent de la sélection pure et simple. La question est tout à fait différente. Je ne sais pas si je suis assez claire à ce sujet, mais c'est très différent.

• 1150

De plus, l'idée selon laquelle on pourrait utiliser un diagnostic pré-implantation pour fermer le gène modifié chez la personne qui a été produite... Disons qu'on prend une zygote et qu'on le modifie génétiquement pour que la personne n'ait jamais la fibrose cystique. Afin d'empêcher la transmission de la maladie à des générations futures, on met la personne en quarantaine pour s'assurer que la reproduction est impossible sans diagnostic pré-implantation. En principe, cela empêcherait la retransmission de cette mutation génétiquement provoquée.

C'est une attente complètement utopique dans notre société. Il est impossible de garantir que ce gène ne sera pas transmis. C'est loin d'être une façon efficace de «couper» le circuit. À ma connaissance, personne n'a jamais dit qu'on pouvait empêcher une mutation génétiquement produite par la lignée germinale au début du stade du blastocyste.

Le président: Merci, madame Miller,

Madame Scorsone.

Mme Suzanne Rozell Scorsone: J'allais justement soulever la question de la sélection pré-implantation. Ce serait vraiment empiéter sur les droits de la personne en question. Non seulement aurait-elle à être mise en quarantaine, mais elle n'aurait pas le droit de se reproduire normalement. On manipule un embryon, on traite l'embryon pour éliminer la maladie, l'embryon croît, arrive à terme, devient un être humain adulte et veut se marier comme la plupart des gens ou veut avoir un enfant d'une façon ou d'une autre, mais la seule façon qui s'offre à cette personne c'est la fécondation in vitro et le processus extrêmement coûteux de sélection d'embryons.

Je dirais donc qu'il ne s'agit pas d'un traitement viable du point de vue du bien-être et des droits de la personne en question.

Le président: Merci, madame Scorsone.

Le mot de la fin est à vous, monsieur Carter.

M. Ronald Carter: Je n'ai mentionné cela qu'à titre d'exemple. Le député m'a demandé si on pouvait ouvrir et couper ces circuits pour empêcher la transmission de maladies à des générations futures.

C'est imparfait, et je suis d'accord pour dire que bien des aspects du processus sont inadmissibles.

Du point de vue technique, c'est possible. Mais ce n'est certainement pas acceptable. À l'avenir, il y aura peut-être des façons acceptables de le faire. Seule l'expérience le dira.

Le président: Très bien, monsieur Carter. Merci beaucoup.

Comme je l'ai dit tout à l'heure, le débat a été très animé, intéressant, instructif et mieux ciblé que certaines des discussions qu'on a eues sur le projet de loi C-47. C'est en partie parce que ce projet de loi vise un des actes interdits, même s'il ne comporte que deux articles. Donc la discussion nous a été fort précieuse.

Il est évident que cette discussion va se poursuivre lors de notre prochaine réunion mardi prochain. Nous entendrons d'autres témoins, mais vous nous avez donné l'occasion de concentrer notre attention sur l'essentiel.

Je vous en remercie beaucoup et je vous remercie de la franchise de vos remarques entre vous. En comité, on a rarement cette occasion. Cependant, à toute chose malheur est bon et même si certains députés ministériels avaient des choses urgentes à faire aujourd'hui, je sais que je parle en leur nom quand je vous dis qu'il ne faut pas y voir un manque de respect. Ils vont suivre les délibérations dans le hansard avec beaucoup d'intérêt. Leur absence nous a permis d'avoir ce débat entre les témoins. Je suis sûr que Mme Picard en est heureuse également.

Mme Pauline Picard: [Note de la rédaction: Inaudible]

Le président: Je ne pense pas qu'on veuille aller aussi loin.

Au nom de ceux qui sont présents et ceux qui n'ont pas pu l'être, je tiens à vous remercier sincèrement de nous avoir fait part de vos connaissances. Je ne veux pas débiter des platitudes, ou, pour reprendre les paroles de Mme Picard, je ne veux pas minimiser la teneur de vos remarques, mais j'avoue qu'elles nous ont fait penser à beaucoup d'approches législatives. Donc merci beaucoup.

Comme je l'ai dit il y a un instant, je suis sûr que ce n'est que la première ronde, si ce qu'on lit dans les journaux est exact.

La séance est levée. Je vais demander aux membres du comité de rester encore quelques instants.