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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 044 
l
3e SESSION 
l
40e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 10 février 2011

[Enregistrement électronique]

  (1305)  

[Français]

    Nous sommes le Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.
    Aujourd'hui, le 10 février 2011, nous tenons notre séance no 44, où nous parlerons de violence sexuelle commise envers les femmes et les enfants.

[Traduction]

    Nous accueillerons dans un moment un témoin de marque, mais je vois que nous n'avons pas encore établi la liaison sonore. Pendant que le technicien s'en occupe, nous allons traiter de deux questions de procédure.
    D'abord, M. Silva a déposé aujourd'hui une motion, qui vous sera distribuée. En vertu de nos règles, nous ne pourrons en débattre avant mardi prochain, mais elle concerne les lois pakistanaises relatives au blasphème. Ensuite, M. Cotler m'a fait part d'une suggestion concernant un sujet de discussion potentiel. J'ai pensé, professeur, que vous pourriez nous en parler.
    Il y a environ un an, j'ai présenté un projet de loi d'initiative parlementaire, le projet de loi C-483, qui visait à offrir un recours aux victimes des crimes les plus odieux — les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et les génocides — afin qu'elles disposent d'un recours civil contre les gouvernements étrangers et leurs représentants ayant commis ces atrocités. À l'heure actuelle, la Loi sur l'immunité des États protège ces gouvernements étrangers et leurs représentants de toute poursuite, bien qu'il y ait des exceptions dans le domaine commercial. Autrement dit, s'il y a rupture de contrat, on peut intenter des poursuites, mais si on est une victime de génocide, on ne le peut pas. Un représentant de chaque parti appuyait le projet de loi au moment de sa présentation.
    En résumé, un cas a été présenté récemment, l'affaire Kazemi; il s'agit d'une poursuite intentée contre le gouvernement iranien. Je peux vous l'expliquer sommairement en disant que le tribunal a estimé que dans l'ensemble, c'est le Parlement qui devrait se pencher là-dessus. Jayne Stoyles, directrice générale du Centre canadien pour la justice internationale, m'a demandé si nous accepterions qu'elle vienne comparaître avec un professeur expert en droit pour nous parler de cette question, dans l'espoir que le gouvernement reprenne ce projet de loi d'initiative parlementaire ou présente une mesure législative similaire, étant donné que les tribunaux ont maintenant remis le dossier dans les mains du Parlement. Le projet de loi d'initiative parlementaire est là, et nous sommes devant une situation juridique anormale dans laquelle on peut intenter des poursuites s'il y a rupture de contrat, comme je l'ai dit, mais pas si on est victime des crimes les plus odieux.
    Deux témoins viendraient comparaître, soit Jayne Stoyles, directrice générale du Centre canadien pour la justice internationale, ainsi qu'un professeur de droit, je crois, de l'Université d'Ottawa.
    Ces deux personnes témoigneraient-elles au cours de la même réunion?
    Oui, à la même séance.
    Sommes-nous tous d'accord pour inviter Mme Stoyles et le professeur de droit à une réunion qui aurait lieu après le congé? Nous sommes d'accord.
    Voyons maintenant si notre technicien a établi la liaison avec Mme Arbour.
    Madame Arbour, m'entendez-vous?
    Oui, très bien.
    Mesdames et messieurs, vous pouvez utiliser vos écouteurs pour entendre plus distinctement le témoignage de Mme Arbour et aussi pour recevoir l'interprétation.
    Nous sommes encore plus rapide que la technologie.
    Dans ce cas, c'est avec grand plaisir que je souhaite la bienvenue à Mme Louise Arbour, ancien juge de la Cour suprême, qui témoignera à partir de Bruxelles, dans le cadre de nos audiences sur les violences sexuelles commises envers les femmes et les enfants. Comme vous n'avez pas besoin de plus amples présentations, je vais vous céder la parole, madame Arbour, et vous inviter à nous présenter votre exposé. Lorsque vous aurez terminé, les membres du comité aimeraient vous poser des questions. Nous nous attendons à ce que cela prenne, en tout, environ une heure.
    Je vous invite à commencer votre exposé.

  (1310)  

    Merci beaucoup.

[Français]

    D'abord, je tiens à vous remercier de m'avoir invitée à partager avec vous quelques réflexions sur la violence sexuelle dans les zones de conflits et sur le rôle que le Canada peut jouer pour en réduire l'impact qui est dévastateur, particulièrement pour les femmes et les enfants.
    L'organisation que je préside, qui s'appelle International Crisis Group, a pour mission la prévention et la résolution des conflits armés. Nos analyses et nos recommandations partent d'une présence sur le terrain dans 27 pays et couvrent une soixantaine de pays et territoires qui sont touchés ou menacés par les conflits.
    Sans vouloir généraliser ce qui est avant tout très contextuel, on peut constater, sans grande surprise, la précarité des populations civiles dans les pays où l'état de droit est largement absent, ce qui est naturellement très souvent le cas dans les pays en guerre, ou même dans les pays en sortie de crise.
    Je tenterai d'illustrer mes propos en faisant référence à trois pays: Haïti, le Soudan et l'Afghanistan, pays auxquels le Canada attache une importance toute particulière. Cependant, je souligne encore une fois que si la configuration de la violence sexuelle est particulière à chaque conflit, elle représente presque partout une face cachée de la guerre, tout comme la violence sexuelle dans les pays en paix est encore très souvent occultée par des cultures qui en nient l'existence ou qui la tolèrent.

[Traduction]

    Cet état de choses mine considérablement les efforts internationaux déployés pour que la violence sexuelle cesse d'être une conséquence accessoire de la guerre. Il y a un peu plus de 10 ans, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la résolution 1325, une initiative sans précédent à l'époque, et pendant les deux dernières années, sa mise en oeuvre a permis de réaliser quelques progrès et a donné lieu à des résolutions additionnelles. Toutefois, 10 ans après l'initiative initiale du Conseil de sécurité, à mon avis, si peu de progrès ont été réalisés sur le terrain qu'il y a lieu de se demander si le jeu en vaut la chandelle.
    Vous êtes sûrement au courant de la situation à Haïti. Les femmes et les filles qui vivent dans la ville des tentes à Port-au-Prince n'ont que faire des résolutions du Conseil de sécurité. La violence sexuelle était omniprésente à Haïti bien avant le séisme et le désastre humanitaire qu'il a causé, étant donné que la primauté du droit y était faible et que des années d'efforts de développement n'avaient pas réussi à mettre sur pied un système de justice criminelle efficace. La crise a exacerbé la vulnérabilité de nombreuses femmes et filles. Je n'ai pas les données exactes, mais on a rapporté de nombreux abus et des viols dans les 1 200 à 1 300 camps pour personnes déplacées de la capitale, où vivent plus d'un million de personnes.
    Au Soudan, le viol est depuis longtemps considéré comme une arme de guerre au Darfour. Ces dernières années, les négociations de paix ont occasionné une certaine baisse du niveau total de violence. Mais les affrontements entre le gouvernement et différentes factions rebelles ont continué de plus belle, accompagnés de viols, de viols collectifs et autres agressions qui, apparemment, sont perpétrés par toutes les parties en cause. Ces derniers mois, pendant que les yeux de la communauté internationale étaient tournés vers le référendum dans le Sud, le Darfour a connu une recrudescence de la violence. Les organismes humanitaires se sont fait refuser l'accès à des régions entre le Nord et le Sud du Darfour, et les populations de personnes déplacées, surtout des femmes et des enfants, seraient particulièrement vulnérables.
    La situation au Soudan est aggravée par le déni systématique du gouvernement de reconnaître de l'ampleur du problème et même l'existence d'une violence sexuelle endémique. Le gouvernement a tendance à accuser les ONG internationaux d'inventer un problème dont ils se servent ensuite pour obtenir du financement de leurs donateurs occidentaux, ouverts à ce genre de cause.
    Dans le Sud-Soudan, en dépit de l'accord de paix global conclu entre le Nord et le Sud et des réjouissances entourant le référendum historique, une étude récente laissait entendre que les femmes continuent d'être victimes de viols et d'autres actes de violence fondés sur le sexe. La violence sexuelle est perpétrée impunément par la police et les forces de l'ordre, étant donné que les soldats ont un sentiment d'ayant droit, et qu'en tant que libérateurs, ils sont au-dessus de la loi. La violence interethnique, comme les attaques meurtrières de mars et d'avril 2009 à Jonglei, que Crisis Group a dénoncées, semble maintenant cibler particulièrement les femmes et les enfants.
    En Afghanistan, le gouvernement et ses bailleurs de fonds internationaux ont beaucoup de mal à répondre aux nombreux besoins de ses citoyens en matière de droit. Mais le fait qu'ils ne parviennent pas à assurer l'égalité des droits pour les femmes et les filles, droits garantis par la Constitution afghane, sans parler de la Convention de l'ONU sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes à laquelle le pays est partie, est particulièrement désolant. On ne peut se donner bonne conscience en jetant le blâme sur les normes culturelles afghanes. Ces infractions doivent être vues dans le contexte d'une intervention internationale menée par des Américains, et trop peu d'efforts réels ont été déployés pour bâtir les institutions nécessaires au respect de la primauté du droit et à la justice.
    L'omniprésence d'une impunité généralisée en Afghanistan est un levier important d'appui pour l'insurrection. Elle explique également l'ampleur de la violence sexuelle, autant contre les femmes que les filles — environ 85 p. 100 des actes seraient perpétrés par des membres de la famille — ou contre de jeunes garçons, une pratique courante passée sous silence, commise autant par des milices favorables à la position du gouvernement, nommément les alliés de l'Ouest, que par des insurgés.
    Un manque de volonté politique, combiné à une discrimination à l'égard des femmes dans les systèmes de justice formel et informel, renforce l'impunité et cautionne les attitudes culturelles et les pratiques abusives qui privent les femmes de leurs droits, y compris la protection contre la violence sexuelle.

  (1315)  

    À Haïti, au Soudan, en Afghanistan ainsi que dans les provinces orientales de la République démocratique du Congo, les habitudes enracinées d'abus contre les femmes chevauchent des tendances plus récentes dues à l'effondrement social que suscitent les conflits armés.
    La tendance, surtout de la part des donateurs, est de confier à des sociétés civiles ou à des intervenants humanitaires le soin de s'occuper de la violence sexuelle, ce qui est compréhensible, quand on sait à quel point les gouvernements hésitent à sévir contre la violence sexuelle, ou même, dans le cas du Darfour et de la RDC, quand l'État lui-même est impliqué. Mais l'application de la loi et la justice sont des biens publics fondamentaux que les intervenants de l'État doivent protéger. Or, il y a une limite à ce que les ONG peuvent confier à des groupes de la société civile.
    Les ONG peuvent ouvrir des cliniques, mais pas des tribunaux. Les groupes de la société civile ou les missions de maintien de la paix, peuvent fournir une protection à court terme et aider les victimes, mais leur travail doit s'insérer dans un engagement à plus long terme afin que l'État développe la capacité de prévenir la violence sexuelle et de punir les coupables. Cela s'inscrit, évidemment, dans un effort plus large visant à mettre sur pied des institutions étatiques dans le secteur de la justice, dans son sens le plus large.
    Or, les efforts de protection ne sont pas suffisants, du moins pas dans leur forme actuelle. Les conflits sont, bien sûr, une question de pouvoir. Quelles qu'en soient les causes fondamentales et les innombrables complexités contextuelles, presque tous les conflits mortels sont liés au pouvoir et à la façon dont il est exercé et réparti.
    Comprendre la vulnérabilité et la victimisation des femmes, surtout dans les pires cas — devoir porter la burka, subir le viol brutal de milices dans la RDC —, n'est pas si difficile, mais au lieu de penser que les femmes ont besoin de protection, une attitude paternaliste au départ, puis d'échouer lamentablement à les protéger, pourquoi ne pas tirer la conclusion évidente qu'elles ont besoin de se protéger elles-mêmes, et les aider à le faire?
    Il n'est pas farfelu de penser que si nous mettions autant d'argent directement entre les mains des femmes dans les zones de guerre — pas seulement du microcrédit, mais aussi les montants qui sont versés librement aux militaires, par exemple —, cela aiderait les femmes à prendre une vraie place à la table des négociations de paix et à prendre assez de pouvoir pour se protéger et protéger leurs enfants.
    On entend souvent dire que l'aide internationale est inévitablement un reflet des politiques intérieures de la société donatrice. Les plus grands efforts pour protéger les femmes du Canada contre la violence sexuelle et la violence fondée sur le genre sont le résultat de la pleine autonomisation juridique des femmes en tant que citoyennes égales en 1982 avec la Charte canadienne des droits et libertés, et du Programme de contestation judiciaire du gouvernement fédéral qui a permis aux femmes de prendre en charge les questions qui les touchaient et de solliciter par elles-mêmes et pour elles-mêmes des solutions justes et équitables.
    Sur la scène internationale, le Canada peut être le fervent défenseur de l'autonomisation des femmes dans les pays déchirés par la guerre en aidant à bâtir des institutions de gouvernance fiables — des parlements et des tribunaux — et, parallèlement, en donnant directement aux femmes les moyens de défendre leurs propres intérêts. Je crois que l'élaboration de programmes adaptés aux besoins des pays et qui iraient dans ce sens pourrait vraiment avoir un impact.

  (1320)  

[Français]

    Encore une fois, je vous remercie beaucoup de m'avoir invitée à prendre la parole aujourd'hui. Je suis très désolée de n'avoir pas pu me rendre en personne à Ottawa. Je suis plutôt à Bruxelles, sous la pluie, mais je demeure à votre disposition, bien sûr, pour répondre à vos questions.

[Traduction]

    Merci beaucoup.

[Français]

    Merci beaucoup, madame Arbour.

[Traduction]

    Je pense que nous pouvons accorder huit minutes par intervention, aujourd'hui. J'encourage les députés à partager leur temps de parole, car selon moi, il est peu probable que...
    S'il nous reste un peu de temps, nous aurons peut-être la chance de poser une ou deux questions supplémentaires. Toutefois, par mesure de précaution, je crois que vous devriez partager votre temps de parole s'il y a plus d'un député du même parti qui souhaite poser une question.
    Nous allons commencer notre tour de huit minutes par M. Silva ou M. Cotler. Je ne sais pas qui, de vous deux, veux prendre la parole en premier.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je tiens tout d'abord à remercier Louise Arbour de prendre le temps de témoigner devant le comité. Je veux la remercier pour tout le travail qu'elle a fait aux Nations Unies et dans nos tribunaux, et aussi à l'International Crisis Group, dont j'ai observé les activités au fil des années. Cet organisme fait un travail incroyable pour défendre des causes et venir en aide concrètement à des gens dont les droits de la personne sont bafoués.
    J'ai trouvé votre exposé très convaincant et très profond, et j'ai été frappé par votre entendement de l'importance que revêtent le pouvoir et la politique. Je crois bien que nous tous, qui sommes en politique, savons combien le pouvoir est important et comment il peut provoquer des conflits partout dans le monde s'il est employé à mauvais escient.
    Nous attachons, comme vous l'avez dit, une importance particulière à la situation d'Haïti et à celle de l'Afghanistan. Nous y avons sacrifié des vies. J'ai déjà parlé des préoccupations qu'inspire l'administration du président Karzai; nous avons entendu des témoignages très troublants.
    Je pense que vous voyez juste. Les victimes qui ont témoigné devant le comité, les ONG et tous les groupes de défense des intérêts des femmes disent qu'il faut des femmes à la table de négociation. Il est très important que les femmes soient partie intégrante du débat, mais aussi de la solution. Il est très important de donner aux femmes la capacité d'agir.
    J'aimerais que vous me parliez du problème de la traite de personnes. Nous avons parlé de violence sexuelle. Qu'arrive-t-il dans ces pays, au chapitre de la traite de femmes et de jeunes enfants? Est-ce que le problème a pris de l'ampleur avec les années, ou pensez-vous qu'il revêt moins d'importance que celui de la violence sexuelle?
    Je vous remercie, monsieur le président.
    Est-ce que je devrais répondre aux questions une à une, ou à toutes ensemble?
    En général, nous aimons bien dialoguer, alors je vous invite à y répondre une à une. Cela pourrait inspirer d'autres interventions.
    Merci beaucoup.
    Permettez-moi d'abord d'insister sur une chose: je conviens parfaitement qu'il faut mettre l'accent sur l'autonomisation des femmes et non seulement sur leur victimisation. Je trouve que, dans certains cas, on a peut-être trop insisté sur cet aspect de la Résolution 1325 des Nations Unies.
    Au sujet de l'autonomisation, je crois que le terme devrait désigner un pouvoir véritable, et non pas seulement un pouvoir symbolique, l'illusion d'un pouvoir. Dans la démarche d'autonomisation des femmes, il est plus symbolique que réel de leur faire une place aux tables de négociation quand elles ne peuvent faire aucun apport concret dans la structuration d'un traité de paix ou d'un cadre de post-reconstruction — quand elles n'ont pas d'armes à rendre ni d'argent à investir et quand elles ne jouissent pas non plus de l'appui solide d'un groupe. C'est le piège dans lequel, je le crains, nous sommes tombés en prétendant amener les femmes aux tables de négociation; elles n'y sont pas en qualité de personnalités influentes ou de détentrices de pouvoirs.
    Les conflits naissent de la recherche du pouvoir et de ce qui le donne. Les réalités des conflits armés sont les mêmes depuis le début des temps: l'argent et les armes. Le plus souvent, les femmes n'ont ni l'un ni l'autre. Telle est la situation. Je pense qu'il nous faut exprimer très franchement ce que nous entendons par l'autonomisation des femmes et admettre que, parfois, ce n'est pas vraiment de l'autonomisation. C'est pour cela qu'elles n'ont pas beaucoup d'influence sur le terrain.
    En ce qui concerne la traite de personnes, je n'ai pas suivi le dossier de très près depuis que j'ai quitté mon poste de Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme. Le Commissariat a fait un travail considérable dans le dossier de la traite de personnes, surtout de la traite des femmes et des petites filles. C'est en grande partie un problème endémique, qui n'est pas unique aux situations de conflit. Il peut être aggravé par un conflit, qui crée un climat où la migration devient problématique. Le déplacement crée inévitablement un terrain fertile pour la traite. Les gens sont pressés de partir; ils fuient, et ils s'intéresseront à toutes sortes de solutions offertes, dont beaucoup sont illégales. Ils deviennent alors très rapidement la proie de trafiquants.
    Je crois qu'il est important de reconnaître que la traite de personnes est également liée, dans bien des régions du monde, à l'absence de possibilités de migration économique. Nous avons depuis bien longtemps un système efficace de protection des migrants politiques en vertu d'une convention de protection des réfugiés, mais il n'existe pas de cadre international pouvant véritablement garantir et offrir une protection adéquate aux migrants économiques. Je pense que c'est dans ce type d'environnement que la traite de personnes prospère.
    Je vous remercie.

  (1325)  

    Je tiens moi aussi à vous remercier pour votre exposé, madame Arbour. J'ai deux brèves questions à vous poser, qui sont liées à votre exposé et à votre expérience.
    Vous avez parlé de la nécessité d'un programme adapté aux besoins des pays pour permettre aux femmes de défendre leurs propres intérêts — autrement dit, d'un programme par lequel le Canada pourrait se faire le fervent défenseur de l'autonomisation des femmes, selon vos propres termes. Vous avez fait une analogie avec le Programme de contestation judiciaire. Malheureusement, ce programme important, j'en conviens avec vous, n'existe plus, alors je m'interroge sur la crédibilité du Canada s'il prétendait vouloir favoriser l'autonomisation des femmes, comme vous l'avez suggéré en parlant de parlements et de tribunaux. Vous avez dit que les ONG peuvent créer des cliniques, mais pas des tribunaux, alors je vous pose ma première question: comment pouvons-nous amener le gouvernement canadien à faire sur la scène internationale ce qu'il a renoncé à faire dans son propre pays?
    La deuxième question concerne votre expérience en tant que procureure spéciale des tribunaux pénaux internationaux pour l'ancienne Yougoslavie et le Rwanda. Ils ont établi d'importants principes et précédents relativement à la violence sexuelle perpétrée dans les conflits armés. Une idée m'est venue à l'esprit en vous écoutant. Vous l'avez dit, c'est une question de pouvoir et d'application de la loi. Pourquoi ne pas créer un tribunal pénal international, qui se consacrerait à la violence sexuelle dans les conflits armés, aux cas du genre de ceux dont vous avez parlé — Haïti, le Soudan et les autres?
    Voilà donc mes deux questions.
    Je vous remercie.
    J'ai donné l'exemple du Programme de contestation judiciaire parce que j'estime que c'est l'un des rares exemples — mais d'une certaine manière, ce devrait être un exemple classique — d'un modèle d'autonomisation véritable, qui n'est pas paternaliste. Les femmes ont vraiment pris les rênes et, vous le savez, bien d'autres groupes — des groupes minoritaires, surtout des personnes qui revendiquaient des droits égaux — ont obtenu les moyens de défendre eux-mêmes leurs propres intérêts. Je ne propose pas d'exporter ce programme-là, parce que bien des pays dont il est question ici n'ont même pas de tribunaux fonctionnels susceptibles d'intervenir. Il faudrait néanmoins un programme similaire, ou une démarche qui applique ce même concept, une politique non paternaliste qui soit réellement axée sur l'autonomisation des personnes qui revendiquent des droits égaux et, dans le cas dont nous parlons, des victimes qui non seulement veulent avoir des recours pour elles-mêmes, mais qui souhaitent aussi un changement en profondeur des politiques et des postulats culturels...
    Je pense que, dans une large mesure, c'est là qu'a été le génie de la Charte canadienne et du soutien qu'a fourni le gouvernement aux personnes qui ont revendiqué des droits égaux et à d'autres, qui ont pu porter leurs revendications constitutionnelles devant les tribunaux. Ce faisant, ces gens ne tentaient pas d'obtenir réparation pour eux seuls, ni de défendre leurs seuls intérêts; d'une certaine façon, ils défendaient les intérêts d'un plus vaste groupe qui pouvait ou non intervenir mais qui voyait, à tout le moins, ses droits progresser. Nous pourrions tenter, comme je le disais, de formuler des politiques adaptées aux pays, que ce soit pour la RDC, le Soudan ou Haïti, des politiques qui s'inspireraient de ce concept créatif et qui l'adapteraient. Elles ne viseraient pas nécessairement, je l'ai dit, à permettre aux femmes de porter leurs causes devant des tribunaux inexistants, mais à leur fournir des moyens d'obtenir réparation pour elles-mêmes. Pareille démarche pourrait faire avancer les intérêts d'autres personnes; il ne s'agit pas que d'offrir des services, mais aussi de fournir des outils.
    J'ai dit aussi — sans vouloir me montrer cavalière — que le microcrédit n'y suffit pas, il faut de l'argent. Je ne voudrais pas dénigrer les initiatives de microcrédit, qui sont très importantes pour faire aux femmes une place sur la scène économique, surtout dans les situations de consolidation de la paix et reconstruction de sociétés. Dans une situation de conflit toutefois, le pouvoir a besoin d'argent réel. Je pense que nous pourrions envisager des initiatives inspirées du Programme de contestation judiciaire. Il ne s'agit pas de le reproduire fidèlement, mais de s'en inspirer: les femmes sont parfaitement capables de s'occuper d'elles-mêmes et de leurs enfants quand elles ont les outils qu'il faut pour le faire. Je n'entends pas par-là des outils symboliques, des outils artificiels, ni une aide paternaliste, mais des moyens concrets de défendre leurs propres intérêts.
    Si j'ai bien compris votre question, vous proposez qu'on envisage de créer un tribunal qui se consacrerait aux enjeux de la violence sexuelle ou du viol en tant qu'armes de guerre, qui traiterait ces questions sous l'angle du conflit armé. On pourrait imaginer avoir un jour une chambre réservée à ces causes à la Cour pénale internationale. J'hésiterais toutefois beaucoup à hypothéquer le peu d'énergie dont dispose actuellement le système international pour soutenir les mécanismes existants. Vous savez que la Cour pénale internationale a subi certains revers, notamment une résolution qu'a prise l'Union africaine lors de la dernière réunion, par laquelle elle demande le report des actes d'accusation contre le président Bashir du Soudan, et aussi le report par le Conseil de sécurité d'un procès qu'a intenté le procureur contre certaines personnes au Kenya. Je pense que le système s'efforce encore d'affirmer sa crédibilité et sa légitimité, de façon générale, en tant que Cour pénale internationale. J'hésiterais beaucoup à mettre en oeuvre des initiatives parallèles.
    Cela étant dit, je n'ai jamais été très partisane de l'intégration de ces enjeux, parce qu'ils tendent alors à perdre de leur substance. Peut-être devrions-nous encourager le procureur de la CPI, par exemple, à charger un groupe de ses collaborateurs de veiller à ce que la violence sexuelle fasse l'objet de recherches constantes et de l'attention qui lui est due. Au bout du compte, quand la CPI sera une institution judiciaire pleinement opérationnelle, il se pourrait très bien qu'elle se dote d'une chambre spécialisée, ce qui donnerait à ces enjeux la visibilité qu'ils n'ont pas lorsqu'ils sont enfouis dans un acte d'accusation pouvant comporter une multitude de chefs d'accusations.
    Je vous remercie.

  (1330)  

    Merci.

[Français]

    Madame Demers, vous avez la parole.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Madame Arbour, c'est véritablement un privilège et un honneur de vous accueillir aujourd'hui.
    J'ai énormément aimé votre présentation. Je suis très triste à l'idée qu'autant d'enfants et de femmes souffrent encore dans des pays pour lesquels nous devrions faire plus. Je me demande comment nous pouvons agir mieux, comment nous pouvons agir plus. Je sais que nous n'aidons pas suffisamment et que les sommes d'argent que nous dépensons sont très souvent mal dépensées. Je crois que vous avez raison de dire que si nous donnons plus d'argent aux femmes, elles pourront se prendre en main et mieux protéger leurs enfants, en plus de mieux se protéger elles-mêmes.
    Selon vous, comment cela pourrait-il s'articuler? Croyez-vous qu'ONU Femmes puisse avoir un effet sur la façon de donner à ces femmes la capacité d'autodétermination?

  (1335)  

    Merci beaucoup.
    Comme vous, je pense que la vraie difficulté est d'essayer de développer des programmes. On imagine mal arriver avec des sacs plein d'argent à distribuer aux femmes, quoique ça semble être fait dans d'autres circonstances, où l'on en distribue à des chefs de guerre et même à des chefs d'État. Il faut quand même être capable d'articuler quelque chose d'un peu plus sophistiqué.
    Quant à ONU Femmes, j'ai rencontré récemment Mme Bachelet à quelques reprises. J'ai beaucoup confiance en son leadership. Je pense que la création d'ONU Femmes et la concentration des efforts des Nation Unies sur cette question devraient porter des fruits.
    Comme je l'ai dit au début, je m'inquiète un peu de la doctrine elle-même. Car le problème ne relève pas seulement des programmes. En fait, la résolution 1325 est non seulement le fondement de toute l'activité onusienne, mais le fondement des actions de beaucoup d'États membres qui se fondent sur cette approche pour développer leurs programmes d'aide internationale, particulièrement dans les cas de conflits armés. Elle a ces deux piliers: d'un côté, il y a la reconnaissance de la victimisation particulière des femmes et des enfants — et pas seulement des enfants combattants — dans les conflits armés; de l'autre côté, il faut donner du pouvoir aux femmes dans un contexte de contribution à la paix.
    Comme je l'ai dit dans mes remarques préliminaires, après 10 ans, je ne suis pas certaine de voir beaucoup de résultats. Il faut bien sûr continuer à s'occuper des victimes. D'ailleurs, les efforts de tous les gouvernements, dont celui du Canada, ne sont pas suffisants. Par exemple, on donne de l'argent à des ONG locales afin qu'elles ouvrent des cliniques. Je ne veux pas dire qu'on devrait complètement abandonner ce genre d'efforts, car il faut quand même accompagner les victimes, surtout dans les cas comme ceux au Congo. Je suis sûre que vous avez entendu à quel point l'intensité de la violence sexuelle demande des interventions médicales dans bien des cas. Je ne veux pas minimiser ça, mais c'est loin d'être assez.
    Quant au volet du pouvoir, j'estime qu'on a été beaucoup trop timide en essayant seulement d'amener les femmes au soit-disant processus de paix, à des processus de négociations de reconstruction du pays. Selon moi, pour que cette contribution des femmes soit réelle, il faut qu'elles aient quelque chose à apporter. Leur seule présence physique autour d'une table n'est pas suffisante, alors que les autres qui négocient sont des gens puissants. Être présent et être puissant, ce n'est pas la même chose. La seule présence ne suffit pas.
    Pour rendre les femmes puissantes, il faut leur donner des moyens beaucoup plus considérables que ceux qu'on leur a déjà donnés par le passé. Je parle de moyens très considérables, mais ce n'est pas nécessairement grand-chose. Par exemple, il faut renverser la stigmatisation des femmes. Être violée, c'est déjà très stigmatisant, mais imaginez qu'après avoir été violée on puisse rentrer dans son village avec des moyens financiers qui permettent d'abord de ne plus être dépendante de ceux qui devraient assurer la protection des femmes et qui ne le font pas. Les moyens n'ont pas toujours besoin d'être absolument énormes, mais ce devrait être des moyens très concrets, qui sont associés au pouvoir de façon visible.
    Comment s'assurer que ces femmes auront ces moyens? Le Canada aurait-il la capacité d'y contribuer? Par quels outils?
    J'en reviens à ce que je disais tout à l'heure. Les politiques internationales en matière d'aide reflètent souvent des expériences ou des valeurs nationales. Il faut se rappeler l'époque où le gouvernement avait décidé d'envoyer les chèques d'allocations familiales directement aux mères et non aux pères de famille. C'était quand même assez radical pour l'époque. Je suis sûre que certains étaient très sceptiques et s'imaginaient, comme on l'entend souvent, que si on donnait de l'argent aux femmes, leurs maris allaient les forcer à le leur remettre immédiatement. Cela contient toute une série de stéréotypes. C'est peut-être vrai dans certains cas que les femmes sont incapables de gérer ce qu'on va leur donner ou qu'elles seront immédiatement intimidées ou forcées de se dépouiller de cet argent, mais pas toujours.
    Le problème n'est pas de déterminer à qui on va envoyer les chèques d'allocations familiales, mais on peut se servir de cette métaphore. Des moyens existent pour mettre entre les mains des femmes de l'argent sonnant ou l'équivalent en biens matériels qui, d'une part, sont des symboles de pouvoir et qui, d'autre part, permettent l'exercice du pouvoir.
    Par exemple, dans plusieurs pays d'Afrique, un téléphone portable est d'abord un symbole de pouvoir, mais le fait de pouvoir communiquer est aussi un moyen de protection. Les seuls qui possèdent un téléphone portable sont les représentants des ONG locales. Cela peut être des choses très concrètes.
    Pays par pays, il faut développer des programmes intelligents et adaptés. Ce n'est évidemment pas en nous assoyant à discuter que nous trouverons les solutions. Il faut aller parler à ces femmes sur le terrain, leur demander ce qui aurait cette double capacité de les protéger et de leur donner visiblement un pouvoir que les hommes eux-mêmes leur envieraient. Cela va commencer à changer la dynamique de la victimisation des femmes en cas de conflit.

  (1340)  

    Il faut donc revoir notre façon d'apporter de l'aide. Plutôt que de penser que nous avons la bonne méthode et les bons outils, il s'agit d'aller voir les gens sur le terrain et de leur demander de quoi ils ont besoin et leur donner les bons outils.
    Je le crois aussi.
    Finalement, dans toute notre approche sur la position des femmes dans les conflits armés, on ne s'est jamais vraiment intéressé, en raison des stéréotypes, aux femmes combattantes, aux femmes qui, même avec le peu de moyens qu'elles avaient, se sont engagées. Certaines sont présentement dans les rues d'Égypte. Il y en a dans tous les conflits armés. Cette situation a été très occultée, à mon avis, parce que cela ne s'insère pas dans le modèle classique de la victime ou de celle qui se préoccupe de la paix. Des femmes qui ont pris leur destin en main, il y en a. Il y a toutes sortes de modèles.
    On devrait s'adresser à ces femmes qui, très souvent, ont été des combattantes. Ces femmes ont combattu, elles ont participé à des combats armés, or quand le conflit est terminé, elles disparaissent. Il faut leur donner à elles aussi la possibilité de nous aider à déterminer ce qui les a animées à s'engager dans une société qui ne leur laissait pas beaucoup de place, avec des moyens très masculins. On peut aller les écouter pour savoir, selon le contexte, ce qui les a incitées à prendre le pouvoir et pour quelles raisons, dans bien des cas, elles ne réussissent pas à le garder après la fin du conflit.
    Merci, madame.
    Merci.

[Traduction]

    Monsieur Marston, vous avez la parole.
    Je vous remercie, madame Arbour. Je suis très heureux de pouvoir participer à cette discussion avec vous. J'admire votre travail depuis longtemps et je tire grand orgueil du fait qu'une Canadienne porte notre drapeau dans le monde entier comme vous le faites.
    Vous disiez au début de votre exposé que l'intervention internationale en Afghanistan n'avait pas réussi à bâtir les institutions nécessaires au respect de la primauté du droit et à la justice. Mon parti soutient la présence de nos troupes en Afghanistan, mais il est très préoccupé par le mode d'intervention et la gestion qui en est fait. Pour ma part, j'estime que les échecs essuyés là-bas ne sont pas les échecs du Canada, mais de la communauté internationale.
    Notre comité a entendu des témoignages très troublants sur une pratique appelée « la danse des garçons ». Un jeune garçon danse un certain temps, puis est offert en récompense sexuelle à un ou à plusieurs des hommes présents. Nous avons entendu dire que cette pratique a cours dans les postes de police et autres lieux du genre. Cela semble concorder avec votre témoignage sur le pouvoir militaire et policier.
    Il semble que la tolérance des agressions sexuelles de cette nature — et, de façon plus générale, de l'agression des femmes également — constitue une espèce de transfert du pouvoir du gouvernement du moment à l'armée et à la police, que ce soit par la simple négligence ou l'impunité, pour avoir la garantie de leur soutien futur. Ce qui est tragique, dans cela, c'est que ces actes d'appropriation du pouvoir sont une forme d'exercice de pouvoir.
    Je suis curieux de savoir si les agressions sexuelles commises par la police et les militaires sont plus fréquentes que les agressions entre civils?
    C'est ma première question. Je vais parler de plusieurs choses, et vous pourrez répondre à votre guise.
    Je ne peux m'empêcher de me demander, à vous entendre, si l'établissement de la primauté du droit dans les institutions jouit d'un soutien généralisé, dans ces pays. Nos forces, les forces internationales, auront beau faire, elles n'auront du succès que si la population du pays concerné éprouve le besoin de changer les choses. Il faut à cette démarche l'assise solide d'une volonté véritable, pour ainsi dire. J'aimerais savoir ce que vous en pensez. Nous savions tous que les talibans régnaient par la tyrannie, là-bas, mais est-ce qu'il y a eu des agressions et des actes de cette nature sous leur règne?
    Au sujet de la résolution 1325, vous avez dit qu'elle n'avait pas joui d'un soutien sans réserve et enthousiaste de la communauté internationale. À mon avis, c'est probablement pour cette raison — qu'elle n'a pas eu les effets que nous avions souhaités — mais ce n'est qu'un commentaire sur vos propos.
    Je vous invite à répondre à la première partie de mon intervention.
    Je vous remercie.

  (1345)  

    Merci beaucoup.
    Concernant la première question, les responsables d'organisations qui travaillent sur le terrain — par exemple, l'UNICEF — savent depuis longtemps que les garçons sont victimes de mauvais traitements, en particulier en Afghanistan. Cependant, les journalistes des médias de masse n'ont commencé à en parler que ces dernières années. Pour nous, il s'agit d'une grande préoccupation en ce qui a trait au bien-être des enfants.
    Vous avez demandé si les agressions, en particulier les agressions sexuelles, étaient surtout commises par les forces de sécurité, comme les militaires ou les policiers, ou plutôt par les civils. Je pense que, dans presque toutes les sociétés où la violence sexuelle est importante, par exemple, en Afghanistan, au Congo et en Haïti, le conflit n'est pas la cause de tous les problèmes, car la violence sexuelle était déjà très présente. La violence sexuelle est très courante dans les sociétés où l'impunité règne. La discrimination envers les femmes et la négligence à l'égard des enfants sont très fréquentes et de telles pratiques sont bien établies et extrêmement difficiles à enrayer.
    Les études que j'ai consultées laissent entendre qu'en Afghanistan, près de 80 ou de 85 p. 100 de la violence sexuelle contre les femmes est perpétrée par des membres de la famille. En réponse à la question, c'est donc une forme de violence avant tout commise par des civils. Toutefois, cela ne veut pas dire que les forces de sécurité ne s'en servent pas comme moyen de répression, en particulier contre les personnes détenues. C'est ce que nous constatons dans ce genre d'environnement. Je pense que c'est très variable...
    Je ne connais pas les statistiques sur la répartition. Par exemple, la violence sexuelle au Congo a beaucoup retenu l'attention. En général, on dit que toutes les milices et les forces armées, dont celles du gouvernement, sont la cause principale. Mais je ne sais pas si c'est vrai, car la violence sexuelle est aussi très fréquente dans les sociétés civiles et les familles, où je suis portée à croire que le crime reste également impuni.
    Enfin, vous avez parlé de comment était la vie et la justice sous le règne des talibans. Je pense que nous en avons une assez bonne idée. Ce qui est très préoccupant à l'heure actuelle, c'est le manque d'infrastructures officielles de justice en Afghanistan. Nous avons documenté la question et rendu publics une série de rapports. En particulier, les défauts du système de justice sont très inquiétants, car aussi étonnant que cela puisse paraître, ils aident l'insurrection. Des gens de l'International Crisis Group qui travaillent sur le terrain peuvent en faire la preuve. Certaines personnes qui ne croient plus que le gouvernement peut leur offrir une forme de justice non corrompue et fiable se tournent vers les talibans pour régler les problèmes, qui vont de terres en litige et de querelles entre voisins à la réparation après une agression. Elles n'ont pas d'autre choix que de demander l'aide des talibans. L'État est tout à fait désengagé.
    Après presque 10 ans d'efforts en Afghanistan, il est très inquiétant de constater que bien peu d'institutions auront été mises en place lorsque la communauté internationale ne s'intéressera plus non seulement aux opérations de combat, mais aussi au développement international dans ce pays. C'est très inquiétant.
    Je pense qu'à la Banque mondiale, où on termine un rapport sur la relation entre le développement et le conflit, on dira justement qu'il faut encourager l'investissement. Nous ne laisserons, après le conflit, des institutions de justice qui fonctionnent que si nous investissons à long terme dans leur renforcement.

  (1350)  

    Jusqu'à ce que nous soyons parvenus à renforcer les institutions, toutes les tentatives de régler les problèmes vont échouer, en particulier concernant la violence sexuelle et la discrimination envers les femmes.
    Merci. Malheureusement, votre temps est écoulé, monsieur Marston.
    Merci.
    Passons à M. Sweet.
    Merci, monsieur le président.
    Madame Arbour, je vous remercie beaucoup de votre excellent travail et du témoignage d'aujourd'hui.
    Je vais poursuivre dans la même veine que mon collègue et commencer par la première question qui figure sur ma liste.
    M. Marston vient de demander comment inculquer la volonté, la détermination et l'idée de mettre en place des institutions démocratiques — la démocratie en elle-même — dans les États qui ne connaissent pas vraiment bien ces mécanismes. Ces États n'ont pas de tradition démocratique. Ils n'ont pas les institutions requises.
    Est-ce simplifier la question de dire qu'il faut juste sensibiliser les gens pour obtenir des résultats durables? Vos propos sont éloquents et ils montrent qu'il est très difficile d'avoir des policiers un tant soit peu intègres s'il n'y a pas d'institution démocratique et de cadre adéquat.
    Comme moi, bien des gens se demandent si nous ne nous sommes pas trop concentrés sur la tenue d'élections pour instaurer la démocratie. La démocratie, c'est bien plus que des élections périodiques. Tout d'abord, il faut tenir des élections pour obtenir un parlement, pas seulement un gouvernement fort et un parlement symbolique. Il faut promouvoir la culture de l'opposition; on aura une autre chance si on perd aux élections, et on n'a pas à faire partie du gouvernement pour veiller aux intérêts de l'État. La culture de l'opposition est inexistante dans bien des pays où nous sommes surpris par les résultats obtenus à la suite d'élections dont nous avons pressé la tenue.
    Enfin, et c'est vrai en particulier pour l'Afghanistan, je dirais que la promotion de la démocratie et, surtout, la glorification d'élections frauduleuses ne nous mèneront pas à grand-chose. C'est déjà mal de tolérer de telles élections, alors je dois dire que c'est un peu fort de les glorifier. Nous avons toléré trop longtemps ce que nous n'accepterions jamais pour nous et exporté une version très appauvrie de la démocratie, réduite non seulement à des mécanismes électoraux, mais à des mécanismes électoraux de seconde classe.
    En passant, je veux simplement vous dire que l'idée d'opposition est bien vivante au Canada, et je sais que mes collègues sont heureux que je le mentionne.
    Vous avez dit une chose très intéressante et je me demande si les gouvernements peuvent prendre des mesures pour aider les ONG à réduire... En réponse à la question de M. Marston, vous avez dit que, dans les médias de masse, on ne faisait que commencer à parler de l'exploitation des garçons. Les jeunes garçons sont victimes de violence depuis des générations. Les gouvernements peuvent-ils aider les ONG à régler le problème?
    Il y a ce problème et celui qu'on nous a communiqué ces derniers temps, la persécution et l'esclavage systématique des chrétiens dans ces pays du tiers-monde. À l'heure actuelle, nous parlons de violence envers les femmes et, en particulier, du viol comme instrument de violence et de contrôle. Je ne pense pas qu'il en soit question dans les médias de masse à l'échelle internationale, en tout cas pas au même titre que la victimisation. Comment pouvons-nous aider à sensibiliser les gens dans le monde libre?

  (1355)  

    Cela permet de comprendre l'importance que les médias internationaux et nationaux accordent à la question et les choix de reportages qui sont faits. En tant qu'ONG internationale qui travaille avant tout sur le terrain, nous constatons le désintérêt important des médias internationaux.
    Concernant l'aide qu'il faut apporter aux ONG nationales, qui constituent le point de départ pour s'occuper de ce genre de question, je répète que les ONG peuvent bâtir des cliniques, mais pas des tribunaux. Il n'y a rien qui remplace l'aide des gouvernements pour établir des institutions d'État. Les ONG ne peuvent pas diriger les prisons. En outre, on est en droit d'espérer que le système de justice ne peut pas être privatisé en entier. Certains pensent qu'il peut être privatisé en partie, mais nous savons tous que l'essentiel du système de justice doit appartenir à l'État.
    Dans d'autres secteurs, le soutien des ONG nationales et locales est tout à fait indispensable. S'il y a une chose à retenir, c'est que, dans de nombreux pays, on a adopté des dispositions législatives pour empêcher les ONG nationales de recevoir des fonds étrangers ou d'avoir un budget qui comprend plus de 10 p. 100 de fonds étrangers. C'est une manière très sournoise pour les gouvernements de se protéger, en particulier contre les organisations qui défendent les droits de la personne, même s'ils sont très heureux de recevoir beaucoup d'argent et de l'aide pour leurs programmes.
    À mon avis, la question doit être débattue entre les gouvernements et dans les forums internationaux. Le Canada pourrait très bien défendre l'aide internationale et dire qu'elle ne doit pas être destinée seulement aux institutions d'État, mais aussi aux intervenants de la société civile. C'est l'essence des démocraties. Je répète qu'il convient de donner la chance aux gens de progresser dans leur propre intérêt.
    C'est un problème qui me paraît très inquiétant et très répandu...
    C'est juste.
    ... même dans les pays qui méritent et reçoivent beaucoup d'aide grâce aux donateurs occidentaux.
    Oui, c'est très juste.
    Enfin — je sais qu'il n'y a pas de temps à perdre —, vous avez dit que vous étiez préoccupée par le manque de volonté, à défaut d'un terme plus juste, de la communauté internationale concernant la résolution 1325. J'ai toujours pensé que les rapporteurs spéciaux de l'ONU étaient presque des vérificateurs généraux, qui soulignent le sérieux des situations et qui en font rapport.
    Je me demande si, aux Nations Unies ou ailleurs, on a suggéré de... Je sais qu'il existe un rapporteur spécial de l'ONU qui s'occupe de la traite de personnes, mais il pourrait être utile de nommer un rapporteur spécial pour attirer l'attention sur la question et augmenter la transparence, concernant la résolution 1325 et la violence sexuelle. Cela pourrait aider à sensibiliser les gens, à l'échelle internationale.
    Cela fait justement partie de mon texte original. Étant donné que je ne voulais pas vous endormir et lire trop longtemps, j'ai sauté le passage qui aurait répondu à votre question.
    Je suis flatté de savoir que nous avons pensé à la même chose.
    Des voix: Ah, ah!
    Le Conseil de sécurité a adopté deux résolutions complémentaires, dont l'une porte sur la création d'un poste très important de représentant spécial du Secrétaire général sur la violence sexuelle dans les conflits et d'un groupe d'experts en droit qui doivent aider les États. On a donc pris des initiatives pour étayer les questions d'études et de documents et aider les États. Cependant, je ne suis pas certaine...
    Je dois dire également que, dans les pays participants, on consacre beaucoup plus d'effort à l'augmentation du nombre de policières et de femmes militaires dans les opérations de maintien de la paix. On se dit que, si les femmes représentent plus de 2 ou de 3 p. 100 des Casques bleus, elles protégeront mieux les femmes, qui seront plus susceptibles de leur demander de l'aide.
    Je ne dis pas qu'on n'a pas pris d'initiatives, mais je répète qu'il y a une forme de prise en main par les femmes dont ne tient pas compte la résolution, axée sur les victimes et les pourparlers de paix.

  (1400)  

    A-t-on affecté une personne au poste de rapporteur ou est-ce simplement une résolution qui n'a pas encore été mise en oeuvre?
    Non, la résolution a été mise en oeuvre et le poste de représentante spéciale du Secrétaire général est occupé par Margot Wallstrom. Elle a travaillé sur le terrain en République démocratique du Congo.
    Cela met fin aux questions.
    Je demanderais simplement à Mme Harbour si elle a quelque chose à ajouter en guise de conclusion.
    Je ne pense pas; les questions m'ont permis de mettre l'accent sur ce que j'ai dit dans l'exposé.
    Je dirais simplement que je suis très heureuse de savoir que vous examinez la question. Il est très important d'assurer la promotion et la protection des femmes et des droits de la personne en général dans le contexte de l'éradication des conflits armés, et je vous félicite d'étudier la question.
    Merci.
    Je vous remercie beaucoup. Cela met fin aux questions.
    Merci beaucoup à tous de votre présence.
    La séance est levée.
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