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SNUD Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 1re SESSION

Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le lundi 10 juin 2002




¹ 1540
V         La présidente (Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.))
V         M. Peter Fried (Faculté de la psychologie, Université Carleton)

¹ 1545

¹ 1550
V         La présidente
V         

¹ 1555

º 1600
V         La présidente
V         M. Barney Sneiderman
V         La présidente
V         M. Barney Sneiderman
V         La présidente
V         M. Barney Sneiderman
V         La présidente
V         M. Barney Sneiderman

º 1605

º 1610
V         La présidente
V         
V         M. Peter Fried
V         M. Randy White

º 1615
V         M. Peter Fried
V         M. Randy White
V         M. Peter Fried
V         M. Randy White
V         M. Peter Fried
V         M. Randy White
V         M. Peter Fried
V         M. Randy White
V         M. Peter Fried
V         M. Randy White
V         M. Peter Fried
V         M. Randy White
V         M. Peter Fried
V         M. Randy White
V         M. Peter Fried
V         M. Randy White
V         M. Peter Fried

º 1620
V         M. Randy White
V         M. Peter Fried
V         M. Randy White
V         M. Barney Sneiderman
V         M. Randy White
V         M. Barney Sneiderman
V         M. Randy White
V         M. Barney Sneiderman

º 1625
V         M. Randy White
V         M. Barney Sneiderman
V         La présidente
V         M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ)
V         La présidente
V         M. Peter Fried
V         M. Réal Ménard

º 1630
V         M. Peter Fried
V         M. Réal Ménard
V         M. Peter Fried
V         M. Réal Ménard

º 1635
V         M. Peter Fried
V         M. Réal Ménard
V         M. Peter Fried
V         M. Réal Ménard
V         M. Peter Fried
V         M. Réal Ménard
V         La présidente
V         M. Barney Sneiderman

º 1640
V         M. Réal Ménard
V         M. Barney Sneiderman
V         M. Réal Ménard
V         La présidente
V         M. Peter Fried
V         La présidente
V         M. Barney Sneiderman

º 1645
V         La présidente
V         Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD)

º 1650
V         M. Barney Sneiderman
V         Mme Libby Davies
V         M. Barney Sneiderman
V         Dr Peter Fried
V         Mme Libby Davies
V         M. Peter Fried
V         Mme Libby Davies
V         M. Peter Fried
V         Mme Libby Davies

º 1655
V         M. Peter Fried
V         M. Barney Sneiderman
V         M. Peter Fried
V         M. Barney Sneiderman
V         La présidente
V         M. Mac Harb (Ottawa-Centre, Lib.)

» 1700
V         M. Peter Fried
V         M. Mac Harb
V         M. Peter Fried
V         M. Mac Harb
V         Dr Peter Fried
V         M. Mac Harb
V         M. Peter Fried
V         M. Mac Harb
V         M. Peter Fried

» 1705
V         M. Mac Harb
V         M. Barney Sneiderman
V         M. Mac Harb
V         La présidente
V         M. Barney Sneiderman
V         La présidente
V         M. Barney Sneiderman
V         La présidente
V         M. Barney Sneiderman
V         La présidente

» 1710
V         M. Barney Sneiderman
V         La présidente
V         M. Barney Sneiderman
V         La présidente
V         M. Barney Sneiderman
V         La présidente
V         M. Barney Sneiderman
V         La présidente
V         M. Barney Sneiderman
V         La présidente
V         M. Peter Fried

» 1715
V         La présidente
V         M. Peter Fried

» 1720
V         M. Barney Sneiderman
V         La présidente
V         M. Randy White
V         M. Barney Sneiderman
V         M. Randy White
V         M. Barney Sneiderman
V         M. Randy White
V         M. Barney Sneiderman
V         M. Randy White
V         M. Barney Sneiderman
V         M. Randy White
V         La présidente
V         Mme Libby Davies

» 1725
V         M. Peter Fried
V         M. Barney Sneiderman
V         Mme Libby Davies
V         M. Barney Sneiderman
V         M. Peter Fried
V         M. Barney Sneiderman
V         
V         M. Barney Sneiderman
V         M. Randy White
V         M. Barney Sneiderman
V         La présidente










CANADA

Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments


NUMÉRO 050 
l
1re SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 10 juin 2002

[Enregistrement électronique]
[Énregistrement électronique]

¹  +(1540)  

[Traduction]

+

    La présidente (Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.)): Je déclare la séance ouverte. Nous sommes le Comité spécial sur l'utilisation des drogues à des fins non-médicales. Nous avons reçu en mai 2001 de la Chambre des communes un ordre de renvoi nous demandant d'étudier les facteurs liés à la consommation de drogues à des fins non médicales, et en avril de cette année, on nous a confié le mandat d'examiner les dispositions du projet de loi d'initiative parlementaire C-344, une loi modifiant la Loi sur les contraventions et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (marijuana).

    Nous sommes très heureux d'avoir comme témoins aujourd'hui le Dr Peter Fried, de la Faculté de psychologie de l'université Carleton, et de l'Université du Manitoba le Dr Barney Sneiderman, qui est de la faculté de droit. Messieurs, bienvenue à notre comité.

    Je crois que vous avez tous deux une déclaration d'ouverture. Allons-y d'abord avec le Dr Fried et nous aurons sans doute ensuite des questions et réponses.

    Docteur Fried.

+-

    M. Peter Fried (Faculté de la psychologie, Université Carleton): Tout d'abord, j'aimerais remercier le comité pour son invitation. Je me contenterai dans ma déclaration d'ouverture de donner mes antécédents et je serai heureux ensuite de répondre aux questions.

    Je fais de la recherche sur la marijuana depuis 1974, et en 1978 j'ai commencé l'étude en analysant les conséquences de la marijuana durant la grossesse. La raison pour laquelle j'ai commencé cette étude, c'est que j'avais commencé par travailler avec des animaux, et nous avions trouvé un effet sur une rate en grossesse exposée à la marijuana. Si jamais on m'accordait un Prix Nobel, ce sera pour avoir montré à fumer à un rat.

    Nous nous sommes donc tournés vers la documentation sur les humains pour savoir ce qui était connu de l'exposition des humains à la marijuana, et à mon grand étonnement, il n'y avait pas une seule étude. Malheureusement, cette situation n'a guère changé en 2001.

    Nous avons commencé l'étude dont je vais vous parler vers 1978 et nous avons essentiellement suivi les mêmes foetus--il s'agissait de foetus à l'époque--jusqu'à ce jour. Nos sujets sont donc aujourd'hui au tout début de la vingtaine, ce qui en fait un échantillon unique au monde.

    Cet échantillon nous donne également l'occasion d'étudier les conséquences de la consommation de la marijuana pendant la grossesse. Je parlerai très brièvement de ces conséquences, mais je crois que la raison pour laquelle on m'a demandé de venir devant ce comité, c'est que très récemment dans la revue médicale canadienne nous avons publié un article qui analysait les conséquences de la consommation de marijuana sur le QI et ses effets résiduels. Ainsi, qu'on soit en faveur ou contre la marijuana, je crois que tout le monde s'entendra pour dire que si vous êtes gelé, elle aura d'autres effets que la simple euphorie. Cela va sans dire.

    La présence ou non de ce qu'on appelle effet résiduel est cependant un sujet beaucoup plus controversé. Une fois l'euphorie disparue, la marijuana continue-t-elle d'avoir un effet sur d'autres facultés, et si oui, combien de temps dure-t-il? L'une des questions les plus controversées en ce qui touche la marijuana, c'est son impact sur le QI.

    Quelque 50 études ont été réalisées sur les effets résiduels de la marijuana sur le QI, et celles-ci sont à peu près partagées à parts égales. Environ 25 ont conclu qu'il n'y a pas d'effet résiduel, alors qu'un nombre égal ont conclu qu'il y avait des effets résiduels sur le QI ou à d'autres égards--la mémoire, l'attention, des choses de cette nature.

    Le principal dilemme en ce qui concerne ces études sur les drogues de toutes sortes, qu'il s'agisse de crack, d'héroïne, etc., c'est que si l'on veut étudier les conséquences de la consommation des drogues, à quoi les compare-t-on? C'est là, d'un point de vue scientifique, un véritable dilemme.

    Pour en revenir à la marijuana, compare-t-on avec d'autres étudiants universitaires, d'autre personnes dans la société à Ottawa, ou que sais-je? Doit-on solliciter des candidats par des annonces dans les journaux? Doit-on analyser la culture générale de la société en question et mesurer leur QI? Toutes ces méthodes ont été utilisées.

    On pourrait peut-être placer les utilisateurs dans un milieu particulier, par exemple dans un hôpital, pendant 30 jours afin qu'ils n'aient pas accès aux drogues.

    On voit bien que dans tous ces cas, il y a un véritable dilemme. On ignore ce qu'était le QI de ces personnes avant qu'elles commencent à consommer. Et c'est là un véritable dilemme.

    Dans le cas de notre cohorte, que je suis depuis 1978 et que j'analyse littéralement depuis la naissance, nous avons une occasion tout à fait unique. Nous avons le mesure du QI des sujets avant même qu'il n'ait entendu le mot «marijuana». Nous avons la mesure du QI de ces sujet lorsqu'ils consommaient--pas lorsqu'ils étaient gelés mais tout au long de leur période de consommation--et dans certains cas, pour certains de ces enfants--ils ne sont plus des enfants, ils ont 20 ans--après qu'ils eurent cessé de consommer. C'est là une occasion unique.

    J'aimerais souligner que nos données sont préliminaires. J'ai écrit cet article...et sans vouloir être égotiste, notre documentation sur la grossesse et la marijuana est de loin la plus citée. Il n'y a que deux autres études dans le monde qui portent sur la marijuana et la grossesse, et j'ai pris part aux deux. Nous avons plus de 150 publications scientifiques dans ce domaine. Ce que je dis, c'est que ce n'est pas de l'improvisation.

    Par ailleurs, je ne me rangerai ni d'un côté, ni de l'autre. Je répondrai aux questions mais je ne me rangerai pas d'un côté ou de l'autre parce que c'est une question beaucoup plus compliquée que le suggère les médias, et beaucoup plus compliquée, je regrette de le dire, que le suggère l'AMC.

    J'ai écrit cet article en réponse à un éditorial dans lequel on disait qu'il faudrait «une simple loi du Parlement» pour changer les lois sur la marijuana. C'est tout sauf simple.

¹  +-(1545)  

    Permettez-moi de revenir sur mes constatations, qui sont je crois à l'origine de cette invitation. Ce que j'ai publié, c'est le QI de, si je ne m'abuse, 70 ou 75 sujets pour lesquels nous avions des données sur le QI lorsqu'ils étaient âgés de 9 à 12 ans. Pour ces mêmes sujets, nous avions également des données sur leur QI lorsqu'ils étaient âgés environ, pour les fins de la discussion disons de 16 à 20 ans. Nous avons pris ce QI et avons créé une note différente. J'ai évalué leur QI entre 9 et 12 ans... et les niveaux de QI sont normalisés, c'est-à-dire qu'ils tiennent compte de l'âge du sujet, du sexe du sujet, et le QI est normalisé de telle façon que la moyenne de l'ensemble de la population est de 100. Lors de l'évaluation du QI, que le sujet soit un adulte, un adolescent ou un pré-adolescent n'y change rien.

    Nous avions donc des niveaux normalisés de QI de 9 à 12 ans, et ensuite nous avions les niveaux de QI normalisés de ces mêmes sujets vers la fin de l'adolescence. Ce que nous avons fait--moi et mon personnel--nous avons soustrait une note de l'autre. S'il y avait un effet de la marijuana, le niveau de QI baisserait-il? Resterait-il le même? Augmenterait-il?

    En ce qui concerne le milieu, mon étude porte sur la classe moyenne à Ottawa. Dans la classe moyenne d'Ottawa, le QI des sujets de la classe moyenne devrait augmenter. C'est que dans la classe moyenne, on a une bonne nutrition, de l'éducation, la famille a des journaux, et ainsi de suite. Quand je dis que le QI moyen est de 100, il s'agit de l'ensemble de la société. Alors quand on traite de la classe moyenne, le QI de la classe moyenne augmente; le QI de la classe inférieure a tendance à diminuer avec le temps.

    La conclusion, c'est que nous avons trouvé, tout d'abord, un nombre surprenant d'adolescents de la classe moyenne qui consomment de la marijuana régulièrement. C'est là une constatation importante car la plupart des données, en fait presque toutes, sur la consommation proviennent d'enquêtes à grande échelle. C'est souvent fait par téléphone ou par une personne en complet--je peux parler car je porte un complet maintenant--qui arrive et qui pose des questions à une personne qu'elle n'a jamais rencontrée.

    Nous avons travaillé avec ces sujets toute leur vie. J'ai le même personnel depuis 20 ans. Alors nous avons de très bons rapports. Nous avons également des analyses d'urine qui confirment les autodéclarations et ainsi de suite. La conclusion, c'est que si nous regardons la consommation de marijuana des personnes qui en ont consommé hebdomadairement au cours de la dernière année, dans notre groupe de 18 à 20 ans, le taux de ceux qui ont fumé au moins un joint au cours de la dernière semaine--il s'agit d'une combinaison d'autodéclarations et confirmées par analyse d'urine, alors j'ai totalement confiance--était de 32 p. 100. Ces consommateurs avaient fumé au moins un joint par semaine, et ce, depuis un an. Les personnes qui ont fumé cette quantité régulièrement au cours des cinq dernières années et qui ont très bien pu cesser représentent plus de la moitié, soit 52 p. 100. Je souligne ce fait car quand on parle de décriminalisation et tout ça, nous parlons souvent d'usage personnel. J'espère que quelqu'un me demandera ce que signifie «usage personnel».

    La conclusion, c'est que chez les enfants qui fumaient cinq joints ou plus par semaine et le faisaient au moment de l'étude--encore ici, ils n'étaient pas gelés au moment de l'évaluation, mais cela faisait partie de leur style de vie--leur QI a diminué de quatre points entre la période de 9 à 12 ans et le moment de leur évaluation lorsqu'ils étaient âgés de 16 à 20 ans.

    Le QI des sujets de contrôle qui ne fumaient pas de marijuana a augmenté de 2,5 points. Et c'est là un fait statistiquement significatif, cette différence entre le groupe de contrôle et ce que j'appelle les gros consommateurs, ceux qui fumaient cinq joints par semaine. Ce qui est vraiment intriguant, c'est que les sujets qui avaient fumé cinq joints par semaine pendant plusieurs années et qui avaient cessé de consommer depuis au moins six mois, leur QI n'a pas affiché cette baisse.

¹  +-(1550)  

    C'était là les principales constatations de ce rapport préliminaire. Quand ils consommaient, leur QI diminuait, mais pour les 18 à 20 ans qui ont cessé de consommer, leur QI, à défaut d'un meilleur terme, s'est redressé.

    Il faut souligner deux points importants. Il s'agit d'un échantillon de la classe moyenne--à très faible risque. Je ne peux dire si un tel redressement serait obtenu dans le cas d'un groupe à risque élevé, qui consommerait peut-être d'autres drogues, qui userait de violence, et je ne sais trop quoi d'autre.

    Autre point important, les sujets qui consommaient cinq joints--et j'ai dit que leur QI avait diminué--leur QI moyen était quand même de 103. C'est supérieur à la moyenne de l'ensemble de la population. Si je n'avais pas eu leur niveau de QI avant consommation, j'aurais regardé mes données et déclaré, diable--ou un mot plus fort--la marijuana fait monter votre QI au-dessus de la moyenne. Ma seule façon de savoir qu'il y avait problème, c'est que j'avais leur QI avant consommation, et comparé à ce dernier, leur QI avait en fait diminué.

    Je souligne ce fait parce que la documentation disponible actuellement ne présente pas cette information. Quand on dit que le QI est touché négativement ou positivement, il faut être très prudent dans son interprétation. Encore une fois, j'insisterai toujours sur le fait que le problème de la marijuana est très compliqué. Ce qui ne veut pas dire qu'on ne peut prendre une décision, mais ce n'est pas absolument clair.

    J'ai dit que le QI se redresse et qu'il est touché pendant la consommation. Le QI est une question très vaste, mais si l'on regarde les subtilités du QI et les effets subtiles de la marijuana, la mémoire et l'attention, par exemple, se redresseraient-elles?

    Je ne crois pas qu'on puisse généraliser et dire que parce que le QI se redresse, les autres aspects se redresseraient. Nous savons cependant que selon les témoignages et ainsi de suite, une des principales raisons pour lesquelles les gens cessent de consommer de la marijuana--et beaucoup de gens le font; dans notre échantillon, à l'âge de 20 ans presque le tiers avaient déjà changé les habitudes qu'ils avaient depuis deux ou trois ans--c'est qu'ils disent qu'au-delà de l'euphorie, leur mémoire est touchée, une affirmation entendu à maintes reprises. Ce n'est pas surprenant. Aucune drogue au monde ne produira un effet unique. Ne nous en déplaise, aucune drogue au monde ne peut produire simplement une agréable euphorie. C'est impossible.

    Vous savez probablement, j'imagine d'après les témoignages d'autres personnes, qu'au cours des huit ou neuf dernières années, des avancées importantes ont été réalisées dans l'étude de la marijuana. La plus importante est peut-être la découverte de ce qu'on appelle des récepteurs de cannabis dans diverses parties du cerveau. Ces récepteurs se trouvent en grande abondance dans les parties du cerveau qui ont trait à la mémoire et à l'attention, alors ce n'est pas par hasard que nous l'avons.

    Permettez-moi simplement de dire que dans nos travaux sur la grossesse, où nous étudions les conséquences de l'exposition au stade prénatal, en fait c'est là que nous trouvons un effet sur la résolution de problèmes complexes et l'attention.

    Je crois que je vais en rester là, et j'espère que cela suscitera quelques questions intéressantes et ainsi de suite.

    Merci beaucoup.

+-

    La présidente: Merci. Ce sera sans doute le cas.

    Professeur Sneiderman.

+-

    M. Barney Sneiderman (professeur, Faculté de droit, Université du Manitoba): J'ai comparu deux fois devant le Comité sénatorial spécial sur l'euthanasie et l'aide au suicide, mais je n'ai jamais comparu devant un comité des Communes et j'aimerais vous remercier de m'y avoir invité.

    Mon intervention portera également sur la marijuana, bien que ma perspective soit différence de celle du Dr Fried, car il est un scientifique et je ne le suis pas. Je suis professeur de droit et je m'intéresse au droit criminel, la criminologie et les politiques sociales.

    J'aimerais commencer par citer un article paru dans le Manchester Guardian le 15 mars. Je lirai le premier paragraphe:

Des experts médicaux du gouvernement ont fourni hier une preuve scientifique solide qui ouvrira enfin la voie à un assouplissement des lois britanniques sur le cannabis. Le rapport officiel du Conseil consultatif sur l'abus de drogues (ACMD), mandaté par le ministre de l'Intérieur David Blunkett en octobre dernier, se prononce fermement en faveur d'une rétrogradation de la classe B à la classe C du statut juridique du cannabis mais avertit que cette drogue n'est pas sans danger.

    Le statut de classe C signifie que la peine maximale pour possession de marijuana est de deux ans, mais un agent de police peut donner au contrevenant un avertissement ou une mise en garde ou une assignation à comparaître en cour. Il n'y a pas d'arrestation. Il s'agit d'un avertissement précisant que cette drogue n'est pas sans danger. Je dis bien sûr qu'elle ne l'est pas, mais au fond, qu'est-ce que ça change?

    Il existe un livre merveilleux, un classique, intitulé Les drogues licites et illicites: Rapport de l'Union des consommateurs sur les drogues narcotiques, les stimulants, les dépresseurs, les produits pour inhalation et la marijuana - incluant la caféine, la nicotine et l'alcool. Publié en 1972 par l'organisme de protection des consommateurs, Union des consommateurs, il demeure une étude valable, complète et objective sur le sujet. Comme le fait ressortir le livre, il n'y a pas de lien entre le potentiel de préjudice d'une drogue et sa classification juridique. Il y est dit qu'aucune drogue n'est sécuritaire ou inoffensive à quelque dosage que ce soit, ni sous quelque condition d'utilisation que ce soit. Il n'y a vraiment aucune drogue complètement sans danger. Après tout, même l'aspirine, ce médicament miracle, peut causer des saignements gastriques, une confusion mentale et toute une gamme d'effets secondaires désagréables et parfois délétères.

    Dans les années 60, j'ai travaillé à un centre de traitement et de recherche sur les drogues à New York, et je me souviens de mon premier affrontement avec un toxico de l'aspirine. Au cours d'une entrevue qui a duré peut-être 20 minutes, je ne peux même pas dire combien de comprimés d'aspirine il a mâchés et avalés.

    Il faut comprendre que lorsqu'une drogue est criminalisée, il importe peu du point de vue juridique que cette drogue cause ou non du tort à l'utilisateur. Par définition, on ne peut donc utiliser une drogue illicite; on ne peut qu'en abuser, et l'abus est certainement condamnable en soi. En d'autres mots, le grand public a été amené à accepter que l'utilisation d'une drogue illicite est mal en soi. L'expression latine utilisée en droit criminel est malum in se, mal en soi.

    Ceux qui préconisent que la marijuana demeure illégale tant qu'elle ne sera pas complètement sans danger imposent un fardeau de la preuve qui, s'il avait une application générale, éliminerait les pharmacies car combien d'ordonnances, sans parler des médicaments en vente libre, pourraient passer le test de l'innocuité?

    En passant, à titre de comparaison, comment le public réagirait-il s'il avait la preuve que fumer de la marijuana a causé une épidémie d'obésité chez les adolescents, et même chez les plus jeunes, entraînant chez ces enfants des maladies cardiaques, des accidents vasculaires cérébraux et le diabète en raison de leur consommation de marijuana? Pouvez-vous imaginer la réaction du public? Même la peine de mort serait trop douce pour les fournisseurs d'une substance qui causerait de tels ravages. Or, vous devez savoir que ce crime horrible est perpétré tous les jours par l'ami McDonald de votre quartier et autres comptoirs de bouffe du même genre, ce qui n'empêche pas un Wayne Gretzky impeccable de paraître dans les annonces de McDonald.

¹  +-(1555)  

    Ce qui détermine quelles drogues à usage récréatif sont légales et lesquelles ne le sont pas a été expliqué par une de mes connaissances, le réputé psychiatre Thomas Szasz. Il utilise l'expression «chimie de cérémonie». Il illustre son propos par une métaphore. Il montre deux bols d'eau. L'un est rempli d'eau du robinet et l'autre d'eau bénite, c'est-à-dire sanctifiée par l'église. Comment les départager? Une analyse chimique révélerait qu'ils contiennent tous deux de l'eau ordinaire du robinet. La différence entre les deux est cérémonielle. En d'autres mots, ce ne sont pas les propriétés inhérentes d'une drogue qui déterminent si elle est légale ou illégale.

    Tenter de comprendre la lutte antidrogue en étudiant les effets des drogues elles-mêmes n'aurait pas plus de sens que de tenter de comprendre la différence entre l'eau du robinet et l'eau bénite en comparant des échantillons sous le microscope. La lutte antidrogue est en fait un exercice de chimie de cérémonie, ou l'on pourrait dire de pharmacologie politique, ou de maccarthysme pharmacologique. Nous avons appris que le comportement dans lequel se complaisent les gens est souvent moins important que la classe sociale à laquelle ils appartiennent.

    Pourquoi certaines drogues sont-elles étiquetées comme déviantes alors que d'autres ne le sont pas? Il faut comprendre que les drogues de prédilection des bien-pensants--les bons citoyens, les classes professionnelles et d'affaires, la police et les politiciens--ne sont pas criminalisées. Seules les drogues qui sont surtout consommées par les moralement suspects sont considérées comme inadmissibles. Bien entendu, les déviants consomment également de l'alcool et du tabac. Mais le fait que ces substances sont aussi des drogues de prédilection des bien-pensants assure qu'elles demeureront légales.

    J'imagine que vous avez certains renseignements sur la criminalisation de la marijuana en 1923, et Emily Murphy et les articles sensationnalistes dans Maclean's Magazine, réunis dans un livre sous le titreThe Black Candle.

º  +-(1600)  

+-

    La présidente: Non, nous n'en avons pas

+-

    M. Barney Sneiderman: Vous n'en avez pas?

+-

    La présidente: Nous avons eu quelques références de l'exemple britannique.

    M. Barney Sneiderman: D'accord.

    La présidente: Mais nous les obtiendrons.

+-

    M. Barney Sneiderman: Emily Murphy est une héroïne pour les féministes canadiennes. Au début des années 20--

    La présidente: Pour certains de ses travaux.

    M. Barney Sneiderman: ...elle a été l'une des premières pionnières à réclamer le suffrage des femmes. Elle a publié une série d'articles sensationnalistes dans Maclean's Magazine, qui ont ensuite été réunis dans un livre en 1922 sous le titre The Black Candle. Le Pr Fried m'a parlé de son engagement auprès de la Commission LeDain dans les années 70. C'est la Commission LeDain qui a réédité The Black Candle, avec une introduction décrivant le livre comme un ramassis de préjugés raciaux populaires, de fables et de sensationnalismes. Bien que ses opinions aient été largement publiées et endossées dans les éditoriaux des journaux de tout le pays, le chapitre intitulé «Marijuana, A New Menace» (La marijuana, une nouvelle menace) est rempli de cas documentés rapportés par les autorités policières des crimes les plus horribles commis par des fous intoxiqués à la marijuana. La plupart des histoires d'horreur impliquent des Mexicains, bien qu'aucune ne se serait déroulée au Canada. Malgré tout, The Black Candle a eu suffisamment d'influence pour mener à l'interdiction de la drogue au Canada. Elle a été ajoutée à la liste des drogues interdites dans la Loi sur l'opium et les drogues narcotiques approuvée par le Parlement en 1923 sans la moindre discussion.

    Je mentionne ce fait parce que le public a été conditionné à penser que si une drogue est bannie, il doit y avoir une bonne raison. Son bannissement est simplement vu comme un fait accompli sans qu'on se préoccupe de la raison de sa classification juridique.

    Il serait opportun de se rappeler ce qui a été dit en 1973 par la U.S. National Commission on Marijuana and Drug Abuse:

L'imprécision du mot «drogue» a eu des conséquences sociales importantes. Parce que l'alcool est exclu, le public est conditionné à percevoir un martini comme quelque chose de fondamentalement différent d'un joint de marijuana, d'un comprimé de barbiturique ou un sac d'héroïne. Dans le même ordre d'idées, parce que les référents du mot «drogue» diffèrent si largement selon qu'on se situe dans un contexte médical ou social, le public est conditionné à croire que les drogues «de la rue» agissent selon des principes entièrement différents des médicaments. Le résultat est que les risques des premières sont exagérés alors que ceux des deuxièmes sont passés sous silence.

    Avez-vous eu des témoins qui ont parlé de la politique néerlandaise sur les drogues illégales?

+-

    La présidente: Il en a été question plusieurs fois, et nous espérons en prendre connaissance de première bouche jeudi et vendredi de la semaine prochaine.

+-

    M. Barney Sneiderman: Oh! vous vous rendrez aux Pays-Bas?

+-

    La présidente: Oui.

    M. Barney Sneiderman: Chanceux.

    La présidente: Si vous voyiez l'ordre du jour, vous ne diriez pas cela, mais nous en resterons là.

+-

    M. Barney Sneiderman: J'y suis allé de nombreuses fois en raison de mon intérêt pour l'euthanasie et l'aide au suicide, mais j'ai eu l'occasion d'interviewer le Dr Peter Cohen. Je crois qu'il est intervenu devant ce comité, n'est-ce pas? C'était peut-être le comité du Sénat.

    La présidente: Le Sénat, peut-être.

    M. Barney Sneiderman: D'accord.

    La politique néerlandaise est davantage axée sur le modèle de santé que sur le modèle policier. Son pilier est ce qu'ils appellent la «réduction des préjudices». Ce qui est intéressant au sujet de la politique néerlandaise--et c'était le cas concernant l'euthanasie et l'aide au suicide jusqu'à ce que le parlement néerlandais intervienne--c'est qu'on peut examiner le droit pénal, mais le droit pénal ne vous dit pas nécessairement ce qu'est la pratique sociale.

    Par exemple, la marijuana est criminalisée aux Pays-Bas, tout comme l'est la cocaïne, l'héroïne, et ainsi de suite. La possession de marijuana est une infraction, mais elle n'est simplement jamais l'objet de poursuite judiciaire. En fait, les infractions pour possession en général, quelle que soit la drogue, ne sont tout simplement pas l'objet d'une poursuite judiciaire.

    Le raisonnement est le suivant. Si la personne qui consomme une drogue illicite n'est pas disfonctionnelles, il n'y a pas de raison pour l'État d'intervenir. Si le consommateur de la drogue est disfonctionnel, alors la branche de l'État qui doit intervenir n'est pas la judiciaire mais plutôt la santé publique.

    À mon avis c'est certainement sensé. Si quelqu'un a un problème de drogue, alors que gagnons-nous à l'étiqueter comme un criminel? De toute façon, nous le ferions traiter plus rapidement, n'est-ce pas? Il me semble que si nous le considérons comme une personne qui a un problème de santé, nous serons davantage susceptibles de le faire que si nous le considérons comme un criminel.

    Un article a récemment été publié dans The New York Times, «Une étude évalue les effets de la consommation d'alcool dans les collèges aux États-Unis». L'article commence ainsi:

Selon une nouvelle étude, 4 étudiants collégiaux décèdent en moyenne tous les jours dans un accident impliquant de l'alcool.

On y lit également que 23 p. 100 ont déclaré avoir eu trois cuites d'un soir ou plus au cours des deux dernières semaines.

    Le mois dernier cet article est paru dans le Globe and Mail sous le titre «Les statistiques confirment le rôle clé joué par l'alcool dans les crimes»:

Fermons les magasins d'alcool. Interdisions ces cocktails avant le dîner. Le gouvernement fédéral vient de le prouver: Ce sont les ivrognes, et non les toxicomanes, qui devraient vraiment nous faire peur.

Une nouvelle étude confirmant le lien entre l'abus de substances et le crime a découvert que le véritable démon derrière les homicides et les voies de fait dans ce pays est la seule drogue qu'Ottawa nous permet d'acheter.

    Bien sûr, il y en a plus d'une.

«Tout le monde a peur des personnes intoxiquées qui se tranchent la gorge dans la rue. Il est davantage probable que ce soit un bon vieil ivrogne», ont déclaré... un porte-parole du Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies et l'auteur du rapport. «Si vous regardez cette étude, la première chose que vous feriez, c'est d'interdire l'alcool», a-t-il dit.

    Et bien entendu, les effets funestes de l'alcool pâlissent en comparaison de ceux du tabac.

    Si vous dites «Alors nous devrions interdire l'alcool», la plupart des consommateurs n'en abusent pas, alors pourquoi leur consommation de drogue devrait-elle être interdite en raison de la minorité que en abusent? Si vous interdisez l'alcool, ce serait comme la prohibition aux États-Unis dans les années 20, décennie sans loi ou régnait un certain Al Capone. Tout cela est vrai, mais ma question est la suivante: pourquoi nos décideurs n'en viennent-ils pas à la même conclusion au sujet de la lutte antidrogue?

    Nous devons vraiment nous demander s'il existe des solutions de rechange à une politique sociale qui, à mon avis, baigne dans l'hypocrisie et l'absence de moralité. Les guerriers de la drogue et leurs alliés se sont enfouis la tête dans le sable parce qu'ils ne peuvent faire autrement.

º  +-(1605)  

    La vérité, c'est que nous ne saurons jamais rien des solutions de rechange à moins de nous sortir la tête du sable et de commencer à chercher. Pour ceux qui veulent bien se sortir la tête (et le cerveau) du sable, je suggère que nous tenions compte des points suivants.

    Il faut orienter la politique publique de contrôle des drogues en fonction du principe des préjudices. Chaque drogue, qu'elle soit licite ou illicite, doit être considérée selon ses qualités intrinsèques. Quel genre de préjudices, tant personnels que sociaux, une drogue en particulier peut-elle causer, et que pouvons-nous faire pour minimiser ces préjudices? En d'autres mots, il nous faut une politique adaptée à chaque drogue. Par exemple, au Canada nous avons fait du bon travail en ce sens dans le dossier du tabac, la sensibilisation du public et des taxes élevées ayant contribué à en réduire la consommation.

    Il faut garder à l'esprit non seulement que chaque drogue peut causer des préjudices, mais aussi que ce qui détermine l'impact de toute drogue sur le consommateur et la société n'est pas simplement la chimie de la drogue; c'est plutôt l'interaction entre la drogue et le consommateur. Les auteurs du rapport de l'Union des consommateurs expliquent ainsi dans leur introduction:

Les lecteurs qui pensent traditionnellement en termes des effets des drogues apprendront ici que même les drogues les plus simples ont un large évantail d'effets--elles dépendent non seulement de leur chimie mais aussi de la façon dont elles sont utilisées, les lois qui gouvernement leur utilisation, des attentes et des attitudes et de l'utilisateur, des attentes et des attitudes de la société, ainsi que d'une myriade d'autres facteurs.

    En ce qui concerne la décriminalisation, qui bien entendu n'a pas de définition précise--en gros, je crois qu'il s'agit de la décriminalisation de la possession--il faut faire une distinction claire entre d'une part la marijuana et d'autre part l'héroïne et la cocaïne, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de producteur d'héroïne et de cocaïne au pays. Si nous décidons de décriminaliser la possession, je crois qu'on pourrait préconiser sa légalisation, qu'elle soit réglementée un peu comme le sont le tabac et l'alcool.

    J'ai de fermes convictions libertaires, et je trouve franchement offensant que la possession de toute drogue à usage personnel soit une infraction criminelle. À mon avis il n'y a aucune raison à cela, et que l'État brandisse son lourd bras de la justice criminelle parce que vous ingérez une drogue à usage récréatif plutôt qu'une autre constitue un négation totale de tout concept significatif de liberté personnelle.

    Si je dis que nous devrions décriminaliser la possession de toutes les drogues, la réponse sera généralement que nous tenons le mauvais discours. Nous n'avons pas criminalisé le tabac. Nous n'avons pas criminalisé l'alcool. Le discours que nous tenons très clairement en ce qui touche le tabac, et dans une moindre mesure l'alcool, c'est que cette drogue a le potentiel de causer des préjudices. On voit sur les paquets de cigarettes, bien sûr, «La cigarette cause le cancer», etc. Je crois qu'on peut maintenant voir «La cigarette peut causer une disfonction érectile». Je crois que ce pourrait être une mise en garde très efficace.

    Ce que je dis, en conclusion, c'est que depuis près de 100 ans nous nous sommes concentrés presque exclusivement sur le modèle policier de contrôle des drogues. Je ne dis pas que nous devrions abandonner le modèle policier. Je crois qu'on peut apprendre quelque chose des Néerlandais. Ils ont un modèle de la santé là-bas, et nous devrions y porter une attention considérable.

    Merci.

º  +-(1610)  

+-

    La présidente: Merci beaucoup, Professeur Sneiderman.

    Nous passerons maintenant aux questions des collègues. Je commencerai par M. White. Vous n'êtes que deux, mais si la question est posée à une personne et que l'autre personne aimerait indiquer...

+-

    M. Randy White (Langley—Abbotsford, Alliance canadienne): Merci, Madame la présidente.

    Docteur Fried, j'aimerais vous demander si vous êtes d'accord avec les commentaires que je vais faire. Ils me viennent de la National Institute on Drug Abuse des États-Unis et portent sur la marijuana et ses propriétés: «Toutes les formes de marijuana sont psychodysleptiques.» À votre avis, est-ce là une affirmation factuelle?

+-

    M. Peter Fried: Oui.

+-

    M. Randy White: Je ne tente aucunement de vous coincer ici. Je viens de le lire, et je voulais avoir une confirmation canadienne, si possible.

º  +-(1615)  

+-

    M. Peter Fried: Avant de le faire, j'aimerais juste élaborer un peu sur ma réponse. Quand vous dites différentes formes, je suppose que vous parlez de haschisch et de différentes façons de...?

    M. Randy White: Oui.

    M. Peter Fried: En ce qui concerne l'expression «psychodysleptique», permettez-moi simplement de dire que les gens consomment de la marijuana parce qu'elle altère leur esprit, leur perception. Ils ne la consomment pas pour le goût de la fumée. C'est là une importante différence entre, dans bien des cas, l'alcool et la marijuana. La plupart des gens, à moins d'avoir un problème, ne consomment pas de l'alcool chaque fois pour être ivres. Dans le cas de la marijuana, la seule raison pour laquelle vous en fumez--sauf peut-être pour des raisons médicales, mais c'est une autre question--c'est pour vous geler. C'est une drogue psychodysleptique dans la façon de l'utiliser, oui.

+-

    M. Randy White: La marijuana demeure dans l'organisme plusieurs jours après en avoir fumé.

+-

    M. Peter Fried: C'est une question tellement délicate. Oui, c'est certainement le cas, et la complexité de ce phénomène, c'est que si vous êtes un fumeur régulier, chronique, elle demeure dans l'organisme pendant plus longtemps qu'elle le fait chez l'utilisateur occasionnel. Ce qui ne veut pas dire que son effet est prolongé, mais elle demeure effectivement longtemps dans l'organisme. La principale raison, c'est qu'elle est liposoluble. Les graisses l'absorbent, et elle met du temps à s'éliminer.

+-

    M. Randy White: D'accord. Et la marijuana cause des problèmes de mémoire ou d'apprentissage, ou les deux.

+-

    M. Peter Fried: Lorsque la personne est gelée, elle cause un problème. Comme je l'ai noté dans mon introduction, la présence ou non d'un effet résiduel est très controversée.

+-

    M. Randy White: La marijuana déforme la perception, Je crois que c'est au niveau visuel--

+-

    M. Peter Fried: La perception du temps est la plus touchée. Elle semble altérer le temps. Encore une fois, si vous parlez d'une personne gelée, je crois qu'il n'y a aucun doute là-dessus. On ne peut dire d'après ces affirmations.

    J'aurais peut-être d'abord dû dire que ma recherche est appuyée par cette agence. Je ne crois pas être partial, mais je veux simplement que ce soit su.

+-

    M. Randy White: Vous n'avez pas écrit ce document, c'est bien cela?

+-

    M. Peter Fried: Je vous le dirai après.

    Des voix: Oh, oh!

    M. Peter Fried: Alors oui, la perception est altérée, mais encore une fois, que cette altération continue après l'euphorie est un sujet controversé, et c'est ce dont je parle.

+-

    M. Randy White: La marijuana cause une perte de coordination motrice.

+-

    M. Peter Fried: Certaines personnes ont déclaré que cela leur est arrivé pendant qu'elles étaient gelés, mais pas toutes. Encore ici, c'est la même chose: est-ce persistant?

+-

    M. Randy White: La marijuana provoque une accélération du rythme cardiaque.

+-

    M. Peter Fried: Lorsque la personne est gelée, oui, cela arrive.

+-

    M. Randy White: Et enfin, la marijuana nuit à la conduite d'un véhicule.

+-

    M. Peter Fried: Certainement, lorsque la personne est gelée, elle a un effet sur sa prise de décisions. Un article de Gruber and Pope paru le mois dernier laisse entendre que la combinaison de la marijuana et de l'alcool au volant est un problème très grave. Un plus un égale trois.

+-

    M. Randy White: Vous mentionnez dans votre présentation que la modification des lois du Parlement est tout sauf un exercice simple, et je suis d'accord. J'aimerais avoir votre opinion sur la complexité de cet exercice. S'agit-il de mettre en oeuvre la loi? S'agit-il d'en faire une loi nationale avec laquelle tous les corps policiers travailleraient? Y a-t-il d'autres complexités en ce qui concerne la conduite d'un véhicule et ce genre de choses?

+-

    M. Peter Fried: C'est ce dernier point. Je ne peux aucunement parler en connaissance de cause de la mise en oeuvre, ou du national par opposition au provincial, et ainsi de suite.

    Je crois que le Dr Sneiderman a fait quelque référence au problème de la décriminalisation ou de la légalisation d'une chose et de l'interprétation du public. Tout d'abord, le fait qu'un million et demi de Canadiens en consomment n'indique pas à mon avis, d'un point de vue scientifique, si la marijuana est nocive ou non. On pourrait dire la même chose de l'alcool et de la nicotine. Ce qui me préoccupe, cependant, c'est qu'il y a vraiment un manque de connaissance. Malgré le fait que la marijuana est un sujet chaud depuis des lunes, la capacité de faire des recherches est plutôt restreinte, et ce, pour des raisons d'appui financier et ainsi de suite.

    Mais permettez-moi de soulever quelques points qui illustrent ce que je crois être la complexité du problème.

    Je l'ai mentionné dès le début, toute la question de l'effet résiduel est à mon avis fondamentale. Lorsqu'on parle d'usage personnel--je soulève ce point, et j'espère que les gens poseront des questions là-dessus--dans notre propre échantillon, qui est de classe moyenne et à faible risque, parmi les utilisateurs, la consommation va de la simple expérimentation, un ou deux joints par année, jusqu'à un nombre significatif de ce que j'appellerais des enfants qui consomment de dix à quinze joints par jour. Quand on en consomme autant, on est gelé tout le temps de son éveil. Quand on parle d'usage personnel, je sais combien de gens en consomment. Ils ne la revendent pas; c'est pour leur usage personnel. À mon avis, c'est là un véritable problème.

    Combien de temps faut-il attendre après avoir fumé avant de conduire, ou d'accomplir quelque tâche ou fonction où il pourrait y avoir des conséquences pour quelqu'un d'autre? Il est certain que si l'on pouvait enfermer quelqu'un dans sa chambre pendant qu'il fume et qu'il ne quitte pas avant d'être complètement remis, personne ne s'y opposerait. Or, ça va plus loin que ça.

    Y a-t-il un effet seuil? C'est-à-dire, y a-t-il une quantité minimum qui pourrait être définie, où l'on dirait «D'accord, si vous faite ceci, si vous avez telle quantité sur vous, il n'y aura pas de problème»--la variation individuelle?

    Toute marijuana devrait-elle être traitée de la même façon en ce qui touche son contenu en THC? Lorsque j'ai commencé mon étude en 1978, un joint moyen contenait environ 0,5 p. 100 de THC. Le joint moyen saisi par la police il y a deux ans en contenait 5 ou 6 p. 100. Le produit qu'on trouve dans la rue aujourd'hui en contient en moyenne 8, 9 ou 10 p. 100. C'est une drogue différente.

    Je le répète, je ne veux par dire que c'est bon, mauvais ou sans importance, mais il faut reconnaître ce genre de problème.

    Enfin, qu'en est-il de la grossesse? Les paquets de cigarettes affichent maintenant, je crois, de nombreuses mises en garde. L'une d'elle se lit «La fumée de la cigarette peut nuire à votre bébé». Mon étude est la seule étude importante, à part une à Pittsburgh, qui examine ce phénomène. Je n'ai pas assez confiance dans mes données pour affirmer que c'est inoffensif. C'est ce que j'entends par complexité.

º  +-(1620)  

+-

    M. Randy White: Je voudrais poser deux autres questions courtes .

    Vous avez bien dit que le QI chutait de 4 p. cent?

    M. Peter Fried: Non, quatre points; désolé.

    M. Randy White: D'accord, quatre points--

    M. Peter Fried: Oui.

    M. Randy White: --selon quelle échelle de mesure?

    Si c'est le cas, serait-il exact de dire que compte tenu du système plus permissif hollandais en matière de consommation de marijuana, la perte de points se constaterait maintenant après vingt ans?

+-

    M. Peter Fried: Vous savez, c'est là une super question.

    Je sais que certains ici présents étaient enseignants dans une vie précédente. Un enseignant n'est pas en mesure de dire si le QI d'une personne est inférieur de quatre points à celui d'une autre. Mais quand il s'agit d'une chute de quatre points dans la population en général, les conséquences sont lourdes.

    Puis-je citer mon article? Je vous ai remis un peu d'informations documentaires. Soyez patients, s'il vous plaît.

    D'ordinaire, l'intervention et l'éducation spéciale sont adoptées lorsqu'on constate que le QI d'un enfant s'établit à environ 70. En gros, le QI de 2,5 p. 100 de la population en général s'établit à ce niveau ou à un niveau inférieur. Si l'on modifie ce QI de quatre points en moins, le taux de 2,5 p. 100 grimpe à 5,5. Voilà l'impact sur la population en général d'une modification de quatre points de QI. Chez l'individu, on ne peut effectivement pas le remarquer, mais en termes de conséquences générales, oui, on peut constater l'impact.

    Si vous aviez un enfant et que vous sachiez que quelque chose réduirait son QI de quatre points, n'en seriez-vous pas inquiet?

    Cela transparaîtrait-il dans le QI de la population générale néerlandaise? Oui, c'est bien possible. Comment le prouver? Je n'en sais rien.

    Mon étude, dans laquelle j'ai relevé des niveaux de QI “avant” et “après” est un début. La Scandinavie, qui mesure ces niveaux depuis plusieurs années, peut probablement se pencher sur la question. La Hollande ne le peut pas.

+-

    M. Randy White: On pourrait appliquer les résultats à un autre pays, je suis d'accord là-dessus.

    Je voulais effectivement poser cette question au Dr Sneiderman. Elle n'a pas de relation avec la marijuana, elle en a une avec l'aspect juridique des centres de piquage sûrs. Si l'on adoptait la formule de ce type de centres au Canada, n'y aurait-il pas contradiction dans le Code criminel? Essentiellement, on saurait que les gens portent de l'héroïne ou de la cocaïne et qu'ils font la queue pour entrer dans des installations et se piquer, installations en principe sanctionnées par un organisme gouvernemental. N'est-ce pas là une contradiction importante de droit.

+-

    M. Barney Sneiderman: Eh bien, cela exigerait de modifier la Loi réglementant certaines drogues et autres substances pour éliminer la contradiction, n'est-ce pas?

+-

    M. Randy White: S'il en existait à l'heure actuelle au Canada, sauriez-vous si son existence serait en contradiction de la loi dans son état actuel?

+-

    M. Barney Sneiderman: Vous voulez dire si nous autorisions une installation de ce type maintenant?

    M. Randy White: Oui.

    M. Barney Sneiderman: Bien sûr qu'elle le serait. Mais comme je l'ai déjà dit, c'est la politique sociale hollandaise depuis plus d'une décennie, et ça semble convenir au pays.

+-

    M. Randy White: Non, je voulais savoir s'il y aurait contradiction de droit au Canada dans l'éventualité où on implantait pareille installation.

+-

    M. Barney Sneiderman: Eh bien, si la possession est une infraction, et que vous permettez à quelqu'un de se piquer dans une maison sûre ou ailleurs, il est donc évident qu'il y a contradiction.

    Je me demande si je pourrais revenir brièvement aux commentaires du Dr Fried.

    La marijuana m'a intéressé depuis la fin des années 60 alors que je travaillais à New York. J'ai enseigné à la même université pendant 30 ans et je ne peux pas vous dire combien d'élèves m'ont parlé de consommation de drogues, de marijuana. Je me demande s'il s'agit de la même drogue aujourd'hui ou si c'est simplement parce que la drogue est plus efficace, les consommateurs peuvent en fumer beaucoup moins pour triper. Il y 20 ans, les étudiants me disaient qu'ils fumaient trois à quatre joints pour triper. Aujourd'hui, il suffit d'un joint pour faire triper trois ou quatre personnes grâce à la marijuana hydroponique. C'est quelque chose qui pique ma curiosité.

    Autre chose. Je crois que la consommation de marijuana par les Néerlandais est inférieure à celle des Américains et Canadiens. Il se pourrait que la courbe grimpe soudainement si la marijuana était légalisée, mais je me hasarderais à dire que la courbe régresserait par la suite, parce qu'en réalité nous vivons plutôt dans la culture de l'éthylisme.

º  +-(1625)  

+-

    M. Randy White: Aimeriez-vous profiter de cette occasion pour jouer au hasard le bien-être des enfants de ce pays si jamais la marijuana était légalisée?

+-

    M. Barney Sneiderman: Les enfants de ce pays ont déjà accès à la marijuana. Il suffit d'aller parler à mes deux neveux qui ont récemment terminé leurs études secondaires à Winnipeg. Je me suis entretenu avec beaucoup d'élèves du secondaire. J'ai discuté avec des enseignants dans des écoles secondaires qui m'ont dit qu'en réalité il n'y a pas d'élève qui ne puisse pas se procurer de la marijuana s'il en veut.

    Apprécions-nous le fait que des mineurs fument des cigarettes, qu'ils consomment de l'alcool? Nous les interdisons. Nous ne pouvons pas l'empêcher totalement, bien sûr, mais en l'occurrence, nous sommes arrivés à la conclusion que nous ne vivons pas dans le meilleur des mondes. Nous essayons de limiter les dégâts en adoptant la politique du moindre de deux maux.

    Je crois que peut-être la notion du fruit défendu explique la très grande attirance qu'exerce la marijuana et ce, du fait que c'est une drogue illégale que beaucoup de jeunes expérimentent.

+-

    La présidente: Merci beaucoup.

    Monsieur Ménard.

[Français]

+-

    M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ): Merci.

    Évidemment, les perspectives qui nous sont présentées par nos témoins sont vraiment très intéressantes. Avant de poser une question, je veux m'assurer qu'on aura un résumé écrit de la recherche en psychologie qui a été présentée par le témoin. Est-ce qu'on aura un document écrit?

+-

    La présidente: Vous est-il possible de nous donner une copie de cette étude?

[Traduction]

+-

    M. Peter Fried: Je n'ai que cette seule copie avec moi. Évidemment, il me fera plaisir de vous laisser en faire une photocopie. Elle concerne l'évolution du QI, si ce sont les données que vous recherchez.

[Français]

+-

    M. Réal Ménard: Je veux qu'on ait une copie de ce document dans les deux langues afin qu'on puisse s'y référer pour bien comprendre les données que vous nous avez présentées cet après-midi. Partons de la prémisse que je vais vous exposer. Plusieurs témoins qui nous ont rencontrés depuis le début de nos travaux nous ont dit qu'il pouvait y avoir une dépendance psychologique, mais qu'il n'y avait pas de dépendance physiologique à la marijuana et qu'il y avait très peu de conséquences. Dans le document de consultation Nolin, on parle de la même prémisse. De votre côté, vous avancez des faits qui sont, à leur façon, proprement révolutionnaires. Vous dites que ce n'est pas vrai qu'il n'y a pas de conséquences et qu'il peut même y en avoir sur l'intelligence et les capacités cognitives des gens.  Les membres du comité doivent avoir ces données et leur donner toute l'importance qu'elles ont en en ayant la meilleure compréhension possible. C'est la raison pour laquelle je veux m'assurer qu'on ait des données comme celles-là.

    Voici ma première question. Vous êtes un psychologue et vous vous intéressez donc au comportement des gens. Au-delà des conséquences que la marijuana peut avoir pour les gens sur le plan de leurs capacités cognitives, avez-vous des éléments d'observation ou de connaissance à partager avec nous concernant les motivations individuelles qui poussent les gens à consommer?

    Pour ma part, je rejette l'hypothèse voulant qu'ils consomment seulement parce que c'est interdit. Je pense qu'il y a des motivations beaucoup plus profondes et je voudrais savoir si, comme psychologue, vous avez de l'information là-dessus.

º  +-(1630)  

[Traduction]

+-

    M. Peter Fried: Permettez-moi de répondre d'abord à la première question et ensuite à la deuxième.

    Je voudrais souligner le fait que les données dont je fais état ici ont un effet résiduel sur la cognition, effet qui a duré très longtemps. Mais d'abord et avant tout, en examinant le QI, il s'est inversé pour revenir à la normale. Ainsi, mes données sur le QI ne montrent pas d'effet permanent à long terme.

    J'ai également ajouté une importante clause restrictive à savoir que j'ignorais si la même guérison touchait également des éléments comme la mémoire et la concentration. Cela fait partie d'un article que je vous laisserai. Évidemment, vous pouvez le photocopier.

    La deuxième question était celle de savoir si j'avais observé chez les sujets consommateurs et non consommateurs, au-delà de la cognition, un impact psychologique, et ainsi de suite. Je ne souhaite pas du tout me livrer à la plaisanterie, mais tous les psychologues ne sont pas les mêmes. Je ne suis pas psychologue clinicien. Ma spécialisation est la neuropsychologie. Je m'occupe de l'évaluation de la cognition; je ne suis d'aucune façon un expert au sens clinique.

    Mais nous avons recueilli beaucoup de renseignements sur ces questions. L'un des vrais problèmes qu'entraîne la consommation de marijuana, comme l'indiquent de nombreux rapports, est que les utilisateurs chroniques à long terme montrent des signes de déprime. La question est de savoir s'ils étaient déjà déprimés avant qu'ils ne commencent à consommer de la marijuana. Je n'ai pas de renseignements là-dessus.

[Français]

+-

    M. Réal Ménard: Au niveau de la pharmacodépendance, quelle comparaison faites-vous entre l'ecstasy et la marijuana, tant en ce qui a trait au comportement qu'en ce qui a trait à la capacité d'apprendre?

[Traduction]

+-

    M. Peter Fried: Je ne ferais pas de comparaison. Il s'agit de pommes et d'oranges. Toutefois, comme je l'ai déjà dit, près du tiers ou du quart de sujets âgés de 20 ans qui consomment beaucoup, quotidiennement, ont d'eux-mêmes arrêté de consommer. Ils ont arrêté parce qu'ils ont senti que la consommation affectait selon eux leur mémoire, leur vie sociale et ainsi de suite. Les utilisateurs connaissaient les effets de la marijuana.

    Il est insensé de vouloir comparer la marijuana à l'Ecstasy, en ce qui concerne l'âge des personnes qui utilisent ces deux drogues.

[Français]

+-

    M. Réal Ménard: Mais l'âge n'a rien à voir avec la substance. Vous ne pouvez pas affirmer une chose comme celle-là. Il y a des chercheurs qui ont reçu des fonds publics, par exemple à Terre-Neuve, et qui ont fait ces comparaisons. Vous disiez vous-même qu'il fallait comparer individuellement chacune des drogues, mais toute drogue affecte le système nerveux central.

    Vous avez dit que dans le cas de la marijuana, il y avait plus de récepteurs qui concernent la mémoire. On peut faire ces comparaisons, et il faut les faire. C'est ce qui fait qu'il y a une hiérarchisation dans le degré des contrôles et dans le droit pénal. Donc, vous ne pouvez pas dire qu'on ne peut pas faire cette comparaison, et cela n'a rien à voir avec l'âge des gens.

    Si je vous pose cette question, c'est qu'il y a des scientifiques, entre autres à l'Université Memorial, qui nous ont montré des tableaux démontrant que, sur le plan de la morphologie, on pouvait identifier la partie du cerveau sur lesquelles l'ecstasy avait des conséquences et ce que cela voulait dire sur le plan de la mémoire. Vous avez vous-même fait à plusieurs reprises un lien entre la consommation de marijuana et la mémoire et les facultés cognitives. D'autres témoins, scientifiques comme vous, l'ont fait aussi pour l'ecstasy. C'est pour cela que je vous ai posé la question. Il me semble qu'il est un peu léger de votre part de dire qu'on compare des pommes et des oranges.

º  +-(1635)  

[Traduction]

+-

    M. Peter Fried: Je maintiens ce que j'ai dit. Je suis un chercheur et me fie aux faits; je ne me fie pas à des comparaisons. J'ai dit que l'âge était important parce que l'âge moyen du consommateur d'Ecstasy s'établit à l'âge où le cerveau, le SNC, n'est pas tout à fait développé. Le consommateur moyen de marijuana est d'âge mûr, c'est à dire qu'il est pleinement développé. L'âge revêt une importance critique quand on constate les effets sur le système nerveux central, comme vous l'avez fait remarquer. Vous ne pouvez pas comparer ces deux drogues.

    D'ordinaire, l'Ecstasy est consommée pendant de courtes périodes dans la vie d'une personne--trois ou quatre ans. La marijuana est une accoutumance à vie. J'insiste respectueusement pour dire que l'âge est extrêmement important si vous tenez compte de ce qui précède. Le système nerveux se développe-t-il ou non?

    Permettez-moi de m'étendre un peu là-dessus. j'ai mentionné les récepteurs de cannabis et les parties du cerveau. Si je peux me permettre de reprendre les données sur les grossesses, nous avons constaté un effet lorsque les enfants atteignaient l'âge de quatre ou cinq ans. C'était la première fois que nous constations des effets. J'en ai été très surpris, jusqu'au moment où nous avons trouvé que les récepteurs de cannabis se situent tout à fait à l'avant du cerveau. L'avant du cerveau ne commence à se développer que lorsque l'enfant atteint l'âge de quatre ans. Bien vu! Il y avait bien une raison pour qui nous a empêché de voir quoi que ce soit à l'âge de quatre ans. L'âge est critique.

[Français]

+-

    M. Réal Ménard: D'accord, mais parlons de la consommation d'ecstasy pour qu'on puisse se taquiner un peu, vous et moi. Cela va mettre un peu de thrill dans votre vie, mais je suis sûr que vous n'en manquez pas.

    Selon vous, quel est l'âge moyen des consommateurs d'ecstasy? Il se compare à celui des jeunes adultes qui consomment de la marijuana. Les gens qui consomment de l'ecstasy ne sont pas des gens du troisième âge. Même si on nous dit qu'il n'y a pas d'étude nationale sur la consommation de drogues depuis 1994 et qu'on ne peut donc pas savoir exactement combien il y a de consommateurs de marijuana au Canada, selon votre intuition et selon ce que vous en comprenez, quel est l'âge moyen du consommateur d'ecstasy au Canada en ce moment? Je vous rappelle que c'est la troisième drogue en importance dans les saisies faites par le Service correctionnel et les grandes autorités responsables de l'application de la loi.

[Traduction]

+-

    M. Peter Fried: Monsieur Ménard, je suis spécialiste de la marijuana. Vous en savez probablement plus long que moi sur l'Ecstasy. Je ne peux vous parler ici que de la marijuana. Je peux seulement vous dire que dans notre échantillon, les adolescents chez lesquels on a trouvé des traces d'Ecstasy ont été exclus de notre étude ne voulant pas fausser les résultats de la marijuana. Je ne peux donc pas parler d'Ecstasy. Tout ce que je peux vous dire c'est que l'âge moyen du nouveau consommateur de marijuana se situe entre 14 et 15 ans, si cela peut vous aider.

[Français]

+-

    M. Réal Ménard: Mon autre question porte sur la marijuana. Votre étude vous indique-t-elle que la marijuana peut être une drogue d'escalade, c'est-à-dire que quelqu'un qui consomme de la marijuana sera entraîné à consommer de la cocaïne ou de l'héroïne?

[Traduction]

+-

    M. Peter Fried: À partir d'un point de vue pharmacologique, il n'y a pas de preuve à cet effet. Encore une fois, je voudrais insister sur le fait qu'en ce qui concerne la décriminalisation et la légalisation, je suis neutre mais il s'agit là pour moi de l'argument le plus important en faveur de la décriminalisation. C'est une drogue d'introduction parce qu'illégale et, par conséquent, elle est associée aux autres drogues illégales. Je suis tout à fait d'accord avec ce concept. Mais elle ne constitue pas plus une drogue d'introduction que le lait. Tout le monde consomme du lait, etc.

[Français]

+-

    M. Réal Ménard: Ai-je le temps de poser une autre question au témoin, madame la présidente?

+-

    La présidente: Je pense que le Dr Sneiderman veut aussi répondre.

[Traduction]

+-

    M. Barney Sneiderman: J'allais faire une observation sur ce qu'on appelle la théorie d'introduction. Lorsque j'étais étudiant du premier cycle, j'ai suivi l'un des cours les plus précieux, la logique. Nous avons étudié les sophismes, l'un d'entre eux disait post hoc, ergo propter hoc--avant le fait, donc après le fait. La majorité des consommateurs de cocaïne et d'héroïne ont consommé de la marijuana, fumé des cigarettes, consommé de l'alcool et bu du jus d'orange et du lait.

    La politique hollandaise se fonde sur deux principes. L'un relève de la réduction des nuisances. Le deuxième est celui de la séparation des marchés. En d'autres termes, si la marijuana est criminalisée, le consommateur, qui se trouve dans l'obligation de traiter avec le trafiquant, pourrait se faire demander à un certain moment s'il ne voudrait pas essayer quelque chose de plus puissant que la marijuana.

    Je voudrais ajouter autre chose. Étant donné que la marijuana est criminalisée, on n'a pas vraiment de possibilité d'obtenir le point de vue des consommateurs à long terme de marijuana, dont je connais plusieurs--médecins, dentistes, avocats, enseignants de toutes sortes et gens d'affaires. Ils n'en consomment pas quotidiennement, mais c'est leur drogue à usage récréatif préférée au même rang que l'alcool. Ce sont les gens qui consomment de la marijuana. Ils le font depuis les années soixante et soixante-dix. Ce sont des gens très productifs. Mais on n'en entend jamais parler parce qu'il est évident qu'ils ne s'avanceront pas pour vous parler de leurs expériences.

º  +-(1640)  

[Français]

+-

    M. Réal Ménard: Vous nous dites qu'on peut être un professionnel impliqué dans la société et consommer de la marijuana, et que cela n'a donc aucune conséquence sur notre capacité de participer activement à la société. Donc, en toute logique, comme législateurs, nous devrions revoir la question de la marijuana de manière moins prohibitive et moins punitive.

[Traduction]

+-

    M. Barney Sneiderman: Je crois que si quelqu'un se formalise de la tendance libertaire, je trouve moralement répréhensible de criminaliser quelqu'un pour une substance qu'il ingère dans son corps. En ce qui me concerne, cela relève du spectre de Big Brother orwellien. Je ne vois tout simplement pas ce que nous pouvons récolter en criminalisant la possession d'une drogue, quelle qu'elle soit. À propos, au cours de la période de la “noble expérience” des années 1920 au moment de la prohibition, la possession n'a jamais été criminalisée. Si elle l'avait été, les effets sociaux désastreux de la criminalisation se seraient accumulés compte tenu du fait qu'après la poursuite des contrebandiers d'alcool, la police aurait été obligée de poursuivre les consommateurs.

[Français]

+-

    M. Réal Ménard: Je préfère que vous soyez un libertin plutôt qu'un libéral, mais dans le sens philosophique du terme. Madame la présidente, voyons donc! Soyez plus libérale que libertine.

+-

    La présidente: Je suis très libérale.

[Traduction]

    Docteurr Fried, brièvement.

+-

    M. Peter Fried: Auriez-vous une objection à ce que je soulève deux points?

    Monsieur Ménard, vous avez soulevé la question un peu plus tôt sur l'accoutumance et la toxicomanie. Je me demande si je pourrais faire un petit commentaire là-dessus ainsi qu'à propos des médecins et des avocats qui en consomment.

    Encore une fois, je voudrais souligner le fait que dans notre travail, le QI moyen de nos grands consommateurs était supérieur à la moyenne. Ce n'est que parce que j'avais les QI avant la consommation de marijuana que j'ai compris qu'il n'y avait pas d'effet adverse. J'ignore complètement si ces avocats ou médecins travailleraient mieux s'ils n'en consommaient pas, mais le seul fait que ce soit des avocats ou des médecins de renom qui consomment ne signifient pas que la marijuana soit inoffensive. Je voudrais souligner ce fait. On ne peut pas tirer cette conclusion.

    Deuxièmement, je voudrais parler brièvement de la question de l'accoutumance à la marijuana, parce que vous l'avez soulevée et que je crois qu'elle est très importante. Vous avez parfaitement raison s'agissant de l'accoutumance pharmacologique. Il pourrait y avoir une sorte de sevrage, mais à comparer avec les autres drogues, ce n'est pas une question importante.

    Quant à la dépendance psychique, qui est tout aussi importante que celle pharmacologique, nous en avons des preuves dans notre propre étude, et pas plus tard que ce matin, j'ai reçu une étude d'Australie dont la conclusion, semblable à la nôtre, veut que chez ceux qui consomment de la marijuana plus d'une fois par semaine, un pourcentage significatif, environ 15 p.100--de façon conservatrice--exhibent des symptômes de dépendance psychologique.

    J'en citerai deux. Ça ne changera pas le monde, mais il est très important de reconnaître qu'un problème pourrait en découler. Ils passent beaucoup de temps à penser au moment où ils vont consommer de nouveau. Ils ressentent le désir persistant de le faire et, en tant que psychologue--et, en l'occurrence, je porte mon chapeau de psychologue--c'est leur façon de soulager leur stress et leur anxiété, et ainsi de suite. Je dirais que c'est là quelque chose à laquelle nous devons être sensibles si nous modifions la loi.

+-

    La présidente: Pensez-vous, professeur Sniderman, pouvoir répondre aux questions de Mme Davies?

+-

    M. Barney Sneiderman: Je conviens avec le Dr Fried que la marijuana n'est pas inoffensive. J'ai dans la main ma drogue de prédilection--je suis asthmatique. Cette drogue peut faire du mal si l'on en abuse.

    Je crois que le type de recherche à laquelle se livre le Dr Fried est très importante. Si nous ciblons un modèle de santé, ce qui compte c'est l'éducation.

    Mais je voudrais seulement souligner le fait qu'il y a un modèle de santé et il y a le modèle de la police. Ce dernier ne se préoccupe pas vraiment de l'éducation. Nous avons besoin de gens comme le Dr Fried si l'on souhaite aborder sérieusement la méthode du modèle de la santé.

º  +-(1645)  

+-

    La présidente: Merci, professeur Sneiderman.

    Madame Davies, pour de bon.

+-

    Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD): Merci.

    Tout d'abord, merci d'être venus tous les deux aujourd'hui.

    Je suis certaine que tout le débat sur la marijuana--sa décriminalisation, sa légalisation--se poursuivra toujours, même si ce comité arrive à une conclusion. Je voudrais faire avancer un peu le débat étant donné que je ne suis même pas sûre où se situe le débat. En ce qui me concerne, l'important c'est votre étude; c'est la façon dont nous exploiterons l'information que vous nous offrez.

    Vous savez peut-être que nous venons de rentrer d'une visite à Washington et New York. Quelques personnes rencontrées à Washington, dont un représentant républicain au Congrès, nous ont dit que le «B.C. Bud» était aussi dangereux pour les États-Unis que la cocaïne. J'en ai été étonnée, mais c'était son avis.

    Nous avons ensuite discuté avec bon nombre de gens, mais une personne en particulier a attiré mon attention, un acteur de premier plan dans la stratégie de contrôle des drogues à travers les Amériques--il se peut que je me trompe un peu. Quelqu'un a posé la question, quelles seront les drogues de prédilection dans 10 ans? Il a répondu, «ce seront les drogues synthétiques». Il a déclaré que toute la question du contrôle des points d'entrée que ce soit de la marijuana, de la cocaïne, de l'héroïne ou que sais-je encore--ne sera plus pertinente. En réalité, même le cabinet du président sur la stratégie de contrôle des drogues a reconnu qu'il n'inspectait que 2 p. 100 des conteneurs.

    En ce qui me concerne, c'est là un point très important étant donné que s'il est vrai que dans dix ans nous pourrions avoir affaire à une situation tout à fait différente, cela conforte la notion qui veut que les drogues existent, qu'elles ont toujours existé et qu'elles existeront toujours, légalement ou illégalement. Elles seront toujours plus ou moins nocives. En ce qui me concerne, le plus important est de définir la façon dont nous offrirons aux gens une éducation adaptée et réaliste.

    Je suis très touchée par vos commentaires à l'effet que, par exemple, on ignore combien de temps il faut après avoir consommé de la marijuana pour pouvoir conduire, ou les effets de la marijuana sur la grossesse. Il me semble qu'en ce qui concerne le tabac et l'alcool, nous disposons effectivement de l'information et que nous sommes en mesure de la diffuser en disant, «D'accord, l'alcool n'est pas bon pour vous en général, si vous allez quand même boire, voilà ce que vous devez savoir», etc.

    Tant que ces substances sont illégales, que ce soit la marijuana ou autre chose, cette information ne pourra jamais être transmise. En fait, nous sommes en train de repousser les jeunes, et même les personnes plus âgées, là où il n'est même plus possible d'obtenir cette information.

    Je voulais simplement qu'on envisage la question sous l'angle de l'éducation. Professeur, vous avez abordé la question et, je pense que les Néerlandais ont montré qu'en réalité leur consommation a diminué. De fait, ils ont séparé le marché de la marijuana de celui des autres drogues plus dures. C'est là le premier point.

    Le deuxième concerne la question du QI. En ce qui me concerne, le contexte fait le tout. Je ne doute pas de vos résultats relatifs à l'impact nocif sur la population en général qui entraîne une baisse de QI. Mais nous devons certainement contextualiser la chose. Je ne mettrais pas en doute ce que vous dites, mais comment cela se compare-t-il par exemple aux effets de la pauvreté sur le QI, ou aux effets de la difficulté d'accès aux études postsecondaires? Il me semble qu'on pourrait dire que ces deux exemples ont des effets beaucoup plus profonds et dramatiques sur le QI de la population. Je m'inquiète vraiment lorsqu'on isole un élément comme la marijuana. C'est la façon dont nous généralisons la chose, et ce qu'on en apprend.

    Je me demande si vous convenez tous les deux de ce que je viens d'avancer ou si vous n'êtes pas du même avis.

º  +-(1650)  

+-

    M. Barney Sneiderman: Je reprendrais une chose dans ce que vous avez dit, l'utilisation de drogues récréatives fait intégralement partie de la condition humaine. Comme vous le diraient les anthropologues, vous ne trouverez nulle part de société qui n'ait pas recours à l'utilisation de drogues récréatives. Cela ne disparaîtra pas. C'est une partie intégrale de la condition humaine.

    Lorsque vous déclarez la guerre aux drogues, vous la déclarez contre vous-mêmes.

+-

    Mme Libby Davies: Et surtout aux gens pauvres, dirais-je.

+-

    M. Barney Sneiderman: Je crois que dans le cas de la marijuana aussi, à cause de la frontière avec les États-Unis, nous ne pouvons pas échapper aux effets de la propagande que mène ce pays. Lorsque William Bennett, qui était le tsar de la drogue au temps du président Reagan, qualifiait la marijuana de «la plus dangereuse drogue du monde», cela devrait donner à réfléchir. 

    Je crois vraiment que, plus particulièrement aux États-Unis où la loi relative à la marijuana est appliquée avec beaucoup plus de sévérité qu'ici, que la guerre contre la marijuana est en fait une guerre contre les années 60 étant donné que c'était la drogue des années 60. Je crois sincèrement que la position américaine relativement à la marijuana s'explique par le conflit entre générations, celle du début du 21e siècle et celle d'une décennie où tout était permis.

+-

    Dr Peter Fried: Puis-je parler de cette question? Passons de la subjectivité à l'objectivité. Passons de--pardonnez-moi--ne croyez-vous pas qu'il s'agisse de pauvreté, ou pensez-vous qu'il soit plutôt question des années 60?

    Voici quelques faits réels, et vous avez absolument raison. Je vais utiliser un peu de jargon parce que je ne crois pas que je puisse l'éviter, mais l'importance de la variance que la consommation de drogues en période prénatale cause au QI, le montant qu'elle seule contribue ou soustrait, dans les meilleures circonstances, le meilleur résultat est de 3 ou 4 p. 100. Le statut socioéconomique défavorisé s'établit entre 18 et 20 p. 100.

    Vous avez parfaitement raison, mais cela n'enlève rien à l'importance d'examiner d'autres facteurs. Bien sûr, nous devons examiner la forme. Personne ne vit dans l'isolement. Nous devons certainement examiner la multitude de drogues, etc.

    Permettez-moi de vous situer étant donné que je voudrais, une autre fois, cibler la marijuana. Je suis sûr que vous avez entendu parler de la controverse sur le plomb. Dans la population, en général, celui-ci produit un décrément de 2,6 points du QI. Pour cette raison, nous avons modifié du tout au tout l'attitude nord-américaine envers l'essence au plomb et sans plomb. Il arrive bien sûr qu'une personne vivant dans un logement défavorisé ait à s'accommoder de peinture au plomb. Ces choses vont de paire.

    Quant à ce qui se passera dans 10 ans dans le monde des drogues--je ne me souviens pas s'il s'agissait d'un Républicain ou d'un Démocrate--c'est faux.

    Il y a une histoire passionnante--

+-

    Mme Libby Davies: Il n'appartenait à aucun parti; il s'agissait en fait d'un fonctionnaire.

+-

    M. Peter Fried: Eh bien, je ne peux rien dire là-dessus.

    Il y a un excellent livre intitulé «Marijuana: The First Twelve Thousand Years». Elle ne disparaîtra pas en 10 ans.

+-

    Mme Libby Davies: Non, il n'a pas dit cela. Il a seulement dit qu'il y aurait une importante recrudescence des drogues synthétiques.

+-

    M. Peter Fried: On les appelle drogues de confection. Celles-ci sont dans le vent depuis l'époque de Freud peut-être, et effectivement, chaque fois qu'on adoptera une loi pour combattre une certaine drogue, une molécule sera changée et la nouvelle drogue deviendra légale pendant une courte période. En revanche, cela ne signifie pas que le tabac est. C'est la drogue la plus toxicomanogène que nous connaissions, même en comparaison au crack. Elle est là pour rester.

+-

    Mme Libby Davies: Je ne pense pas que nous soyons en désaccord. Bien sûr la question est, toutefois, de savoir, grâce à l'information que nous offre votre étude ou toute autre, de quelles ressources nous disposons pour traiter ces problèmes.

    Pour revenir à la question de la pauvreté, les États-Unis consacrent 17 ou 20 milliards de dollars à l'application de la loi, là où il faudrait qu'il y ait une sorte de spectre des nuisances crées. Parallèlement, comme vous le dites, l'incidence de la pauvreté a des effets beaucoup plus importants, mais les ressources qui lui sont consacrées sont insignifiantes par rapport à celles mobilisées dans la guerre contre la drogue.

    Je ne prétends pas qu'il faille ignorer le mal fait par la marijuana ou une autre drogue. Nous ne devrions pas. En revanche, ce que nous devons faire c'est utiliser votre étude pour offrir une information substantielle aux gens, à l'instar de ce que nous avons fait avec le tabac et l'alcool, et de nous préoccuper des questions systémiques sous-jacentes pouvant entraîner la consommation de drogues. Et sensibiliser les gens à des choix plus sains, parce qu'en l'occurrence, il y a deux groupes. L'un est constitué d'enfants qui se livrent à la consommation de drogues à titre expérimental; ils ont tout pour réussir, et pour un motif quelconque, ils veulent prendre le risque. Mais il y a d'autres personnes qui, je crois que c'est à cause de la pauvreté ou de traumatismes, en réalité s'auto-administrent des médicaments.

    Il existe donc différentes situations en termes de consommation de drogues. Encore une fois, à quoi devons-nous consacrer ces ressources étant donné qu'elles sont limitées?

º  +-(1655)  

+-

    M. Peter Fried: Ce que vous dites est absolument--sans vouloir être drôle, bien sûr--un énoncé maternel. De toute évidence, la ressource est limitée. La tarte n'a qu'un nombre limité de morceaux. Tout ce que je dis, quand j'entends des déclarations subjectives si difficiles à réfuter, je...

    Mme Libby Davies: De quelle déclaration subjective parlez-vous?

    M. Peter Fried: Vous avez tout à fait raison de dire que nous dépensons des milliards de dollars à l'application des lois sur les drogues, etc. Je sais que c'est là une échappatoire terrible. Il faut absolument consacrer plus d'argent, si nous l'avons, à la réduction du nombre de personnes ou de familles vivant au seuil de pauvreté, mais je ne suis pas si sûr que nous sachions ce qui...

    N'interprétez pas mal ce que je dis, je ne prétends pas qu'il ne faudrait pas le faire, mais à titre de chercheur je n'ai pas encore vu de déclarations à l'effet que si nous faisions ci ou ça, on obtiendrait des mesures correctives. À ce stade, nous supposons que si nous consacrions x dollars à quelque chose, ces fonds entraîneraient un changement quantifiable.

    Je veux tout simplement vous dire que je suis ici pour prouver exactement votre point, il y a pénurie d'information scientifique publique, et j'en conviens parfaitement avec vous. J'en conviens parfaitement quand je parle de la variance, qui est en réalité une vérité, dans le grand ordre des choses, voulant que la pauvreté ait un impact plus important sur les mesures que je vois--absolument.

+-

    M. Barney Sneiderman: En ce qui concerne la preuve, nous savons que la consommation de tabac a chuté de façon phénoménale et ce, parce que les gens ont été éduqués.

+-

    M. Peter Fried: Je vais vous interrompre une petite seconde. Il y a un groupe qui ne montre pas de baisse, celui des femmes à l'âge de fécondité. On a effectué une éducation intense dans ce groupe. Je voudrais seulement montrer que nous devons faire preuve d'une grande prudence concernant les généralisations.

+-

    M. Barney Sneiderman: Mais la consommation de tabac par habitant a considérablement chuté, n'est-ce pas?

    M. Peter Fried: Absolument.

    M. Barney Sneiderman: Prenons le cas des médecins, J'ai beaucoup d'amis médecins. Je n'en connais pas qui fume. Venant du Manitoba, je peux vous assurer que lorsqu'il s'agit d'abus de substances psychoactives et de grossesse, le syndrome d'intoxication foetale à l'alcool existe bel et bien. Je n'ai certainement pas l'impression que le gouvernement fasse quoi que ce soit pour tenter de traiter ce problème. Je crois que c'est un problème social si horrible que cette horreur est indescriptible. En tout cas, moi, j'en suis incapable de la décrire.

+-

    La présidente: Merci. On va s'assurer de vous faire parvenir de l' information sur le programme Healthy Start.

    Maintenant, passons à M. Harb.

+-

    M. Mac Harb (Ottawa-Centre, Lib.): Merci beaucoup pour vos excellentes présentations, tous les deux. Ce que vous avez dit a déclenché la question suivante.

    Peter, tout d'abord. Vous avez parlé de l'étude que vous effectuez et de son envergure. Probablement qu'il y a très peu, voire pas du tout, d'études semblables à travers le monde. Je suis frappé par l'absence de données dans ce domaine. Nous parlons de drogues de confection. Barney a parlé de ces drogues de confection et autres.

    Je voudrais savoir si à votre avis--j'ai réfléchi un peu à cette question--il faudrait adopter un mécanisme ou mettre sur pied un organisme, ou base de données, ou système, pour observer et recueillir des données des différentes drogues existantes. Vous vous livrerez à des analyses. Vous diffuserez l'information. Vous effectuerez la recherche. Vous financerez des gens comme vous qui effectuez d'excellentes recherches à l'Université Carleton, etc.

    Existe-t-il actuellement quelque chose qui le fasse? Selon vous, est-ce là quelque chose que le comité devrait examiner?

»  +-(1700)  

+-

    M. Peter Fried: Il existe, en réalité, plusieurs organismes de ce type au Canada et aux États-Unis qui recueillent ces renseignements. Je regrette, je ne peux pas me souvenir des noms. Je sais qu'il y a... Mince alors, j'assiste à tant de conférences dont plusieurs qui se sont d'ailleurs déroulées au Château Laurier, ici à Ottawa, très récemment. L'une d'entre elles portait sur le tabagisme et deux semaines plus tard une autre traitait des drogues en général. Ces choses existent effectivement. En vérité, il y en a peut-être même trop, dans le sens qu'elles sont dispersées.

    Absolument, il s'agit d'un avantage. Encore une fois, tant--et c'est là l'une de mes marottes--que c'est objectif. Il y en a tellement qui adoptent une approche préconçue--d'une façon ou d'une autre, pour ou contre. Mais quand je lis la littérature, la presse, cela bien sûr façonne l'opinion publique et doit de toute évidence vous influencer.

    Avant-hier, j'ai lu un résumé de deux lignes d'un rapport rédigé par quelqu'un du Toronto Addictions Research Foundation et qui disait essentiellement--et je suis sûr que ça a été pris hors contexte parce que je connais cette personne--que si l'on découvrait nouvellement l'alcool, le tabac et la marijuana, on ne se poserait pas de question quant au produit qui serait frappé d'interdiction. Excusez-moi, mais voyez-vous la stupidité d'une pareille déclaration. Je ne citerai personne, mais la phrase était entre guillemets. Pareilles déclarations sont dépourvues d'information et trompeuses, et l'IRSC, le nouveau domaine de recherche, effectue certainement des travaux dans ce domaine.

    Oui, Monsieur Harb, je pense que vous avez parfaitement raison, ce serait utile.

+-

    M. Mac Harb: Il y a cependant une impasse. Le Canada a signé des ententes internationales--plusieurs traités. Un grand nombre de pays ont signé ces traités. En tant que parlementaire, j'aimerais vous demander comment, par exemple, en tant que pays, nous pouvons nous dire que, oui, nous nous acquittons de nos obligations en vertu de ces ententes internationales, mais que nous adoptons pourtant une attitude de laissez-faire.

    Disons, par exemple, qu'un policier trouve quelqu'un en possession d'une petite quantité de marijuana, par exemple, et nous le laissons aller sans porter d'accusations. C'est un scénario. Est-ce que nous respectons notre engagement dans ces circonstances?

    D'autre part, il y a le revers de la médaille. Comment pouvons-nous y arriver? Comment peut-on aborder la situation de fait actuelle en tentant de modifier la loi par le biais du Parlement? En d'autre mots, comment peut-on jouer sur les deux plans et procéder comme les autres, mais en le faisant selon l'esprit canadien, c'est-à-dire dans les règles, honnêtement et sans rougir?

+-

    M. Peter Fried: La seule comparaison qui me vient à l'esprit, c'est comme être presqu'enceinte. Cela ne peut pas se produire.

    Pourriez-vous me donner un exemple d'un traité international en particulier ou--

+-

    M. Mac Harb: Nous sommes tenus en vertu des lois internationales, toutes les lois sur les narcotiques qui indiquent spécifiquement aux pays signataires de ces traités que...

+-

    Dr Peter Fried: Je crois qu'il y a un très large écart entre ce que le Parlement peut choisir ou non comme loi à adopter, et la réalité du moment, tel qu'il a été souligné par le Docteur Sneiderman. La possession de marijuana est actuellement illégale, mais je sais que dans mon échantillon de classe moyenne, la moitié des gens en consomme de façon régulière.

    Encore une fois, en tant que scientifique, je ne peux pas faire de commentaires. Je crois que nous pouvons avoir les meilleures intentions et que nous pourrions faire adopter toutes les--

+-

    M. Mac Harb: J'aimerais vous arrêter ici. En tant que scientifique, vous ne pouvez pas faire de commentaires, mais vous effectuez présentement des tests sur des consommateurs de drogues. Avez-vous obtenu un permis pour le faire? Comment avez-vous fait?

+-

    M. Peter Fried: Oui, j'ai l'autorisation de la GRC. Toutes les données que nous recueillons sont confidentielles.

+-

    M. Mac Harb: Donc, de toute évidence, en un sens, vous savez vous-même que c'est déjà généralisé. Vous devez avoir une opinion, en tant que scientifique, en ce qui a trait au meilleur intérêt de vos clients, à long terme.

+-

    M. Peter Fried: Il s'agit d'une question différente. Je croyais que votre question originale était comment peut-on jouer sur les deux plans? Comment peut-on vivre dans le cadre de nos traités? Je ne peux pas faire de commentaires là-dessus, mais je crois que Madame Davies a soulevé une question très importante: comment allons-nous procéder? Je crois qu'il faut diffuser de l'information objective de sorte que, comme il a été dit, l'alerte à la marijuana des années vingt ne se reproduise pas.

    Nous savons par exemple que les étiquettes d'avertissement sont utiles. Les faits l'ont amplement démontré, mais je crois qu'il est essentiel que ce soit réaliste, de sorte que les gens puissent faire un choix éclairé. Je crois que c'est le point que défendiez.

»  +-(1705)  

+-

    M. Mac Harb: Barney, vous avez soulevé un point intéressant. Supposons maintenant qu'une personne qui se trouve dans une institution psychiatrique est retirée de cet établissement, est introduite dans la communauté et commet un crime. Ce n'est pas que cette personne voulait poser ce geste, mais elle n'a pas la capacité mentale, et elle finit par confronter la loi. Aussitôt qu'elle comparaît devant le système judiciaire, le juge examine la situation, effectue une évaluation et renvoie cette personne pour qu'elle se fasse traiter. En tout cas, c'est que nous espérons, de sorte que cette personne ne se retrouve pas en prison.

    Ce que vous souhaitez c'est que si quelqu'un est toxicomane, et si nous savons que cette personne a un problème de dépendance, il incombe à la société d'aborder le problème sur le plan de la santé plutôt que sur le plan de la loi. Nous ne voulons pas porter des accusations contre cette personne, l'emprisonner, pour ensuite la replacer dans la communauté après quelques jours d'emprisonnement, ou peu importe la période. Est-ce le point que vous tentez de soulever, que l'on doit examiner la question du point de vue de la santé plutôt que de considérer que quelqu'un a contrevenu à la loi?

+-

    M. Barney Sneiderman: Je dirais qu'il y a des gens qui consomment des drogues à des fins récréatives et qui n'ont pas besoin de traitement. Ce qu'ils veulent c'est qu'on les laisse tranquilles.

    Je dirais que, comme l'a mentionné le Docteur Fried, la drogue qui entraîne le plus d'accoutumance est la nicotine, tandis que la plupart des consommateurs d'héroïne et de cocaïne sont des consommateurs occasionnels. Il y a également des gens obèses. Ils mangent trop. Ce ne sont pas les aliments qui expliquent leur obésité, n'est-ce-pas? Existe-t-il un type de personnalité portée sur la dépendance? Je ne sais pas.

    Ce que je dis, c'est que si la consommation est fonctionnelle, cela ne regarde pas le gouvernement. Si la consommation est disfonctionnelle, cela regarde le gouvernement, mais je ne vois pas ce qu'on peut accomplir en cataloguant comme criminel quelqu'un qui a un problème de drogue illicite.

    Pour moi, cela est aussi logique que la disposition dans le Code criminel, abolie en 1972, qui criminalisait les tentatives de suicide. Le Parlement a fini par se rendre compte que quelqu'un qui tente de se suicider a suffisamment de problèmes sans être catalogué comme criminel. Examinons plutôt les problèmes qui ont poussé cette personne à tenter de se suicider. En d'autre mots, c'est une question de santé publique, cela ne concerne pas la police, et j'éprouve la même chose à ce sujet.

+-

    M. Mac Harb: Merci beaucoup.

+-

    La présidente: D'accord, mais en poursuivant dans la veine de vos propos, nous tentons certainement d'éduquer davantage les gens au sujet de l'obésité suite à la terrible augmentation du diabète de Type 2, et nous visons des populations précises.

    En ce qui a trait aux tentatives de suicide, certaines dispositions de la loi prévoient qu'une personne peut être internée après un certain nombre de tentatives. Il existe donc encore des paramètres à ce niveau.

    De quelle façon cela s'applique-t-il à vos commentaires sur la marijuana, si vous désirez faire cette analogie?

+-

    M. Barney Sneiderman: La grande majorité des personnes qui tentent de se suicider, si cela est connu, sont traitées médicalement.

+-

    La présidente: Mais il y a intervention de la loi afin d'assurer qu'elles sont traitées médicalement.

+-

    M. Barney Sneiderman: Mais elles ne se retrouvent pas avec un casier judiciaire. Elles ne se retrouvent pas en prison.

+-

    La présidente: Donc, suggérez-vous qu'une personne qui continue de consommer des drogues de façon illégale pourrait être forcée à suivre une cure de désintoxication?

+-

    M. Barney Sneiderman: Si cette consommation est disfonctionnelle.

+-

    La présidente: Qui le définit? Des femmes enceintes?

»  +-(1710)  

+-

    M. Barney Sneiderman: Je désire tout d'abord préciser que traditionnellement la coercition au traitement pour des drogues telles que l'héroïne et la cocaïne a entraîné de très piètres résultats.

+-

    La présidente: Quelle est votre définition de «coercition»?

+-

    M. Barney Sneiderman: Des procédures civiles d'internement obligatoires, comme c'est déjà arrivé aux États-Unis au début du siècle dernier. Le taux de récidive était extrêmement élevé. Comme le dit le proverbe, «On peut emmener un cheval à l'abreuvoir, mais on ne peut pas le forcer à boire». Les gens répondent au traitement si c'est ce qu'ils désirent. Si on le leur impose, ils n'y répondront pas.

+-

    La présidente: Nous avons effectué des observations au Tribunal de traitement de toxicomanie de Toronto. Certains estiment qu'il s'agit de coercition lorsque les gens qui suivent ce processus doivent subir un traitement, bien qu'ils aient clairement le choix, c'est-à-dire de purger leur peine ou d'accepter toutes les autres sanctions. En fait, les résultats démontrent des succès assez importants, peut-être à cause de certains éléments inclus, certains des soutiens sociaux. Je suis d'avis que c'est à cause des soutiens sociaux, et du fait qu'ils reconnaissent que les gens vont récidiver en essayant de parvenir à leur objectif.

    Êtes-vous contre ce genre de coercition?

+-

    M. Barney Sneiderman: On en revient à la question de la consommation disfonctionnelle, et il existe certains paramètres sociaux qui peuvent le déterminer. Par exemple, en ce qui a trait à l'alcool, on peut déterminer qu'une personne en particulier fait une consommation disfonctionnelle de l'alcool à cause des répercussions sur elle ou sur sa famille.

    Nous savons qu'il existe des consommateurs de morphine... Par exemple, le Docteur William Halstead, qui est considéré comme le père de la chirurgie américaine, a été dépendant de la morphine pendant la majeure partie de sa vie. Il l'obtenait par l'entremise de ses collègues en médecine. Il semble que cela n'ait pas affecté sa carrière, et cela ne se reflétait pas dans son comportement. Est-ce que sa consommation de morphine était disfonctionnelle? Il semble que non.

    J'estime donc que cela dépend vraiment du fait qu'une personne se laisse contrôler par la drogue. Si une personne consomme une drogue, aime l'utiliser et peut fonctionner, c'est différent.

+-

    La présidente: Avant de demander à Monsieur White s'il a d'autres questions, je désire simplement préciser que ce comité doit soumettre des recommandations à la population canadienne et à la Chambre des communes, en novembre. Nous allons probablement recommander que des changements soient apportés aux politiques actuelles, et cela pourrait être interprété de façon très large.

    Avez-vous des propositions précises en ce qui a trait à vos attentes à l'égard d'une nouvelle stratégie, d'une nouvelle loi, de nouveaux programmes d'éducation en matière de drogues, ou quoi que ce soit d'autre?

    Ceci s'adresse à vous deux.

+-

    M. Barney Sneiderman: Il y a environ 1,5 millions de consommateurs de marijuana au Canada. Il existe un ouvrage intitulé The Limits of the Criminal Sanction par Herbert Packer, un célèbre professeur de droit de Stanford. Il soutient que la loi criminelle est un mécanisme de contrôle social inapproprié lorsqu'un nombre important de citoyens adoptent un comportement qu'ils ne considèrent pas comme étant moralement répréhensible. Et je souscris à cette proposition.

    Nous cataloguons comme criminels 1,5 millions de Canadiens. À mon avis, cela doit cesser.

+-

    La présidente: Et ceci s'applique particulièrement au dossier de la marijuana?

+-

    M. Barney Sneiderman: C'est exact.

+-

    La présidente: Docteur Fried.

+-

    M. Peter Fried: Je vous remercie de me donner l'occasion de prendre la parole.

    Ceci me donne beaucoup de mal, car c'est l'oeuvre de toute ma vie, et j'ai participé à d'innombrables audiences aux États-Unis sur le sujet. Le seul message que je tiens à transmettre aux législateurs est le fait que je suis parfaitement d'accord avec vous que les lois doivent être modifiées. Je crois toutefois qu'il est essentiel que ce changement soit accompagné d'un message clair à l'effet que la décriminalisation ne sanctionne pas la consommation. Lorsque je m'adresse à beaucoup de groupes et ainsi de suite, cela va toujours de pair: si le gouvernement décriminalise, en définitive il déclare que cette drogue est pratiquement inoffensive, alors qu'elle ne l'est pas.

    Je pense vraiment que si on examine la preuve objective, il est clair qu'il y a un... Je suis d'accord avec la déclaration implicite que pour la grande majorité des gens qui en consomment, cela n'entraîne pas d'automutilation ni de handicap. Cela peut entraîner des effets nuisibles, mais c'est une question d'équilibre. Les gens fument parce qu'ils en retirent une sensation agréable. C'est la raison. Il s'agit d'hédonisme. Il n'y a rien de mal à l'hédonisme, bonté divine, mais il y a peut-être un prix à payer. D'après moi, là est la question.

    Le message qui me préoccupe toujours est le fait que si on décriminalise dans une certaine mesure, je suis absolument d'accord avec vous qu'on doit mener une solide campagne d'éducation, et non pas semer la panique. C'est très simple. On dépose de l'argent dans un compte bancaire et on en retire un certain montant. Si on dépose plus qu'on retire, le compte va augmenter. Si vous fumez plus de deux ou trois joints par semaine, cela va s'accumuler dans votre corps. C'est un fait. Personne ne va le contester. Bien, certaines choses vont en découler.

    C'est une longue réponse. Si un changement est apporté, j'aimerais qu'il soit établi clairement que cela ne veut pas dire que le gouvernement trouve cela acceptable, ou que le public l'interprète comme étant acceptable. Je suis parfaitement d'accord qu'il devrait y avoir un objectif, non pas de submerger la population d'information, mais de démontrer que si on en consomme, et que c'est la seule façon de s'en sortir, cela peut poser un grave problème.

»  +-(1715)  

+-

    La présidente: Sur ce point, cela m'inquiète que les gouvernements et éducateurs et des gens à tous les niveaux de notre société tentent de livrer certains messages, mais ils travaillent en vase clos. Il y a un message au sujet de l'alcool au volant, un message au sujet de la consommation d'alcool après 19 ans, il y a des messages au sujet de la cigarette. Mais en tant que société il semble y avoir peu de soutien à l'égard de la consommation appropriée d'une substance, peu importe ce qu'elle est.

    Vous avez mentionné les médicaments d'ordonnance plus tôt. Dans notre société, si on a un mal de tête, on prend une pilule. On n'examine pas d'autres solutions. Il y a des gens qui pensent que les médicaments d'ordonnance ou les médicaments en vente libre sont fondamentalement sécuritaires parce que ce sont des médicaments. Quelqu'un a mentionné l'aspirine plus tôt. On doit tenir compte du contexte. Vous devez examiner ce qui se passe dans votre corps par rapport à mon corps, et ce qui est approprié.

    Percevez-vous que le message au sujet de la marijuana, étant donné que vous vous concentrez sur ce point, doit faire partie d'un débat plus large au sujet de la consommation appropriée de n'importe quelle substance, et d'une façon différente de prendre soin de nous-mêmes? Pensez-vous que le message connaîtrait plus de succès, ou devons-nous lancer une campagne d'éducation sur la marijuana si des changements sont apportés, sans se soucier de certaines autres drogues?

    Avant de vous laisser répondre, j'aimerais élaborer un peu là-dessus. Le représentant du bureau des études appliquées parlait précisément de la façon d'aborder la cocaïne comme un problème qui découle de la «glace». C'est ce qu'on observe déjà, parce que ce sont des drogues plus équivalentes. La marijuana et la «glace» ne sont pas de la même catégorie.

    Docteur Fried.

+-

    M. Peter Fried: Si je peux reformuler votre question un peu, cela devrait-il être une approche ciblée ou générique? Je crois que les preuves psychologiques sont assez claires là-dessus. Une éducation ciblée est beaucoup plus efficace qu'une éducation générique, car dans ce dernier cas, les arbres empêchent de voir la forêt.

    Des déclarations ont été faites au sujet d'un mode de vie sain, de la modération, et ainsi de suite. Pour être parfaitement franc, le gouvernement ne devrait pas dépenser un sou de plus sur ce genre de déclarations; on ne fait que prêcher à des convertis. Les gens qui sont ouverts à ce genre de propos en sont déjà conscients. D'après moi, on doit maintenant mettre l'accent sur les faits, la question de la grossesse et de la marijuana, par exemple. Je travaille également avec la cigarette. Les deux drogues d'intérêt--et Madame Davies le sait--sont la cigarette et la marijuana.

    D'après moi, le seul segment de la société qui peut réussir assez bien à cesser de fumer sont les femmes enceintes. Il se peut qu'elles recommencent après leur grossesse. Donc, pour ce qui est de la marijuana et de la grossesse, on peut affirmer honnêtement que deux études--la mienne et celle de Pittsburgh--suggèrent que la marijuana a des effets lors de la grossesse, même s'ils sont subtils. Nous pouvons en énumérer quelques-uns. Ceci pourrait s'adresser à ce groupe important.

    Quant aux effets résiduels, par exemple, lorsque nous le savons, nous pouvons déclarer ce qui suit: «Écoutez, si vous fumez deux ou trois joints par semaine, cela va s'accumuler dans votre corps. Votre corps ne sera pas en mesure de l'évacuer assez rapidement». Donc, oui je crois qu'une démarche ciblée est meilleure qu'une démarche générique.

»  +-(1720)  

+-

    M. Barney Sneiderman: Tout ce que je peux dire c'est que nous devons retirer la police des programmes d'éducation antidrogue.

+-

    La présidente: Très bien. C'est une question qu'un de nos collègues, qui n'est pas présent, aurait pu vous poser.

    Monsieur White.

+-

    M. Randy White: J'ai également toujours été préoccupé par les contradictions et les messages ambigus--tolérance zéro à l'égard des drogues en prison, et distribution de javellisant pour stériliser les aiguilles. Je ne sais pas quel genre de message cela envoie à ceux qui ont enfreint la loi.

+-

    M. Barney Sneiderman: Peut-être que cela envoie le message qu'une politique de tolérance zéro est un exercice futile.

+-

    M. Randy White: Peut-être que oui. Toutefois, monsieur, je serais un peu plus préoccupé par le message que vous transmettez aux gens au sujet de la loi. Il est vrai qu'il existe des piqueries sécuritaires, mais la possession est illégale. Je ne crois pas que ce genre de messages contradictoires soient utiles dans une société, peu importe les changements apportés. Nous devons prendre soin de ne pas envoyer ces messages contradictoires. Je suis d'accord avec ces commentaires.

    J'aimerais vous demander, Docteur Sneiderman, à titre de précision, avez-vous dit que vous jugez que l'on devrait légaliser la consommation de cocaïne et d'héroïne?

+-

    M. Barney Sneiderman: Non. J'ai dit que je suis personnellement offensé par la criminalisation de la possession de toute drogue pour consommation personnelle.

+-

    M. Randy White: Donc, pour un toxicomane qui fait une «consommation personnelle» d'héroïne, seriez-vous contre une loi qui l'empêche d'en consommer?

+-

    M. Barney Sneiderman: Bien, s'il est toxicomane, par définition la loi ne l'a pas empêché d'en consommer. Les Hollandais envoient des autobus afin de chercher les gens, car ils ont d'excellents contacts au sein des communautés. Ils cherchent les gens qui ont des problèmes de drogue. Ils distribuent des aiguilles propres. Ils cherchent résolument des gens qui consomment une drogue de façon disfonctionnelle, et leur disent, voyons comment on peut vous aider. Mais ils ne les arrêtent pas comme des criminels, même si la possession de cocaïne et d'héroïne est également une offense criminelle dans les Pays-Bas.

    Le bras de la loi est impliqué dans la consommation personnelle de drogues, mais le bras de la loi concentre son attention sur la consommation disfonctionnelle et suit un modèle santé plutôt qu'un modèle policier.

+-

    M. Randy White: Est-ce que l'État a un rôle à jouer ou à tout le moins une responsabilité concernant la protection des personnes autodestructives?

+-

    M. Barney Sneiderman: D'une part, vous avez posé une question d'ordre philosophique et des des philosophes tel que John Stuart Mill ont traité de tels sujets. D'autre part, il est question de l'efficacité de la loi. Est-ce que la loi protège une personne autodestructrice si cette personne est inclinée vers les drogues illicites? Je ne connais pas de preuve où la loi s'est avérée un excellent moyen de dissuasion. Gardez à l'esprit que la grande majorité des consommateurs de drogues n'aura jamais de démêlés avec la justice. Ils savent contre toute attente, que les chances qu'ils soient appréhendés sont très minces.

    Alors, j'ignore de quelle façon un mécanisme de la loi pourrait traiter des préoccupations que je partage avec vous, parce que nous avons des problèmes au regard des personnes disfonctionnelles qui consomment des drogues. Ma question est la suivante: comment remédier à la consommation de drogue disfonctionnelle? En d'autres mots, comment parvenir à réduire les préjudices que cela occasionnent dans la société?

+-

    M. Randy White: Merci.

+-

    La présidente: Monsieur Davies, votre dernière question.

+-

    Mme Libby Davies: Merci.

    Il semble que nous avons besoin d'un genre de revirement significatif ou d'un changement. Le comité doit s'attaquer à ce problème. Une partie du débat a trait aux barrières à savoir quelles sont celles qui empêchent les changements de prendre place. Nous tenons ici un bon débat rationnel. Nous avons eu en général des témoins incroyables qui ont comparu devant nous.

    Je suis tout simplement curieuse à savoir quelles sont ces barrières. Alors, je vais vous soumettre ce petit questionnaire. Les barrières que vous percevez, croyez-vous qu'elles sont liées: (a) aux politiciens qui ne sont pas en faveur; (b) aux politiciens qui aiment utiliser la lutte anti-drogue pour se faire élire de nouveau; (c) simplement à un manque d'information; (d) vraiment à une question morale et par conséquent nous refusons de nous en mêler; ou (e) au fait que la prohibition de la drogue est nécessaire en tant que forme de politique et de contrôle social.

    Je plaisante un peu.

»  -(1725)  

+-

    M. Peter Fried: Pour être honnête et pour rendre à César ce qui appartient à César, il n'existe aucune réponse noir sur blanc. Il s'agit d'une question très difficile; autrement elle aurait déjà été résolue. Vraiment, la réponse est aucune de ces réponses.

    Le problème provient du fait qu'il existe des arguments ou des faits des deux côtés de la clôture. Peu importe la décision prise par le gouvernement ou les membres du Parlement, la plupart des gens ne seront pas satisfaits parce qu'elle n'ira pas assez loin dans un sens ou dans l'autre. Je suis absolument prêt à parier là dessus. C'est tout comme la question de l'avortement et ainsi de suite. À mon sens, l'un des problèmes découle du fait que l'aspect émotionnel est trop fort. D'un autre côté, il existe des problèmes liés à la drogue et d'autres liés à la situation actuelle.

    J'ai perdu le fil après les trois premiers énoncés, mais essentiellement vous avez laisser entendre qu'il pouvait s'agir de la faute des hommes politiques. Dans ce cas-ci, cela découle du fait qu'il n'existe aucune réponse claire. Je crois vraiment que c'est ce dont il est question. C'est pourquoi cela dure--comme l'a mentionné, je crois Mme Torsney--depuis toujours. Et, cela durera encore longtemps, peu importe la législation.

+-

    M. Barney Sneiderman: Si vous me posez cette question au regard des politiques sur les drogues aux États-Unis, je dirais qu'elles sont clairement élaborées par les politiciens. La guerre contre la drogue a commencé en réalité avec Richard Nixon, elle s'est accrue sous le mandat de Ronald Reagan et Georges Bush a suivi son exemple. Quant à Bill Clinton, c'est une question à laquelle il ne s'est pas attaqué. Maintenant, nous avons le démocrate actuel à la Maison blanche. Il s'agit clairement d'une question politique aux États-Unis. Je n'entretiens aucun doute à cet égard.

    Je crois également que s'il devait y avoir une réforme des lois canadiennes en matière de drogues, les Américains seraient très bouleversés. Mais, nous sommes une nation souveraine et nous devrions faire ce que nous estimons être juste.

+-

    Mme Libby Davies: Alors en quoi consistent les barrières au Canada?

+-

    M. Barney Sneiderman: Comme je l'ai mentionné, simplement en raison du fait que la drogue soit criminalisée, un attitude ancrée est coulée dans le ciment. Si une drogue est criminalisée, ce doit être parce qu'il s'agit d'une drogue dangereuse.

+-

    M. Peter Fried: Est-ce qu'il existe un danger, par exemple, à l'effet qu'une drogue sera considérée inoffensive si elle est dépénalisée.

+-

    M. Barney Sneiderman: Bien sûr que non. La question qu'il faut se demander est si nous causons plus de mal que de bien en criminalisant les drogues. Croyez-vous que l'on parviendrait à changer quoi que soit en criminalisant le tabac, qui est une catastrophe importante en matière de santé publique? Le marché noir que nous avons ne serait probablement rien en comparaison à ce qui pourrait se produire si le tabac était criminalisé.

+-

    La présidente: Merci.

    Monsieur Leblanc, vous et Monsieur White remportez le prix pour répondre correctement à l'unisson.

    Monsieur White, je ne crois pas que vous avez posé la question au Dr Fried, êtes-vous un médecin en titre en plus d'être un docteur en...?

    M. Peter Fried: En psychologie.

    La présidente: Psychologie. D'accord.

+-

    M. Barney Sneiderman: En passant, vous m'avez appelé docteur. Je ne le suis pas. J'ai un LL.M, une Maîtrise en droit.

    Ma regrettée mère, qui était une mère juive typique, aurait été ravie de vous entendre m'appeler “Docteur”.

    Des voix: Oh, oh!

+-

    M. Randy White: Êtes-vous avocat?

+-

    M. Barney Sneiderman: Un professeur en droit, oui.

    M. Randy White: Ah, oui. J'ai cru que vous l'étiez.

    M. Barney Sniderman: Compte tenu de mes réponses évasives, c'est cela?

    Des voix: Oh, oh!

-

    La présidente: Non, compte tenu de votre habilité à examiner tous les éléments de la question.

    Au nom de tous les membres du comité, ceux qui sont présents et ceux qui n'ont pas pu comparaître aujourd'hui, je tiens à vous remercier pour vos présentations et votre encouragement à nous faire penser différemment. Certes, tous les témoignages ont été intéressants. Cela nous a vraiment donné matière à réflexion.

    Si vous avez autre chose à présenter à ce comité, nous entendrons les témoins pendant une autre semaine ou environ et nous serions heureux de recevoir de l'information--même tout au long de l'été. Madame Carol Chafe qui est notre charmante greffière se fera un plaisir de s'assurer que tout est diffusé dans les deux langues officielles.

    Merci beaucoup. La séance est levée.