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HERI Rapport du Comité

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MAINTIEN D'UN SYSTÈME UNIQUE

Chapitre 11
La propriété

Les problèmes et les débats entourant la propriété ont tendance à être axés sur des questions fondamentales relatives aux valeurs. Qu'est-ce qui constitue une combinaison acceptable de propriété publique et privée au sein du système? De quels droits jouissent les propriétaires des entreprises de radiodiffusion privées? Quelles obligations se rattachent à ces droits?

Dans le présent chapitre, nous nous penchons sur ces questions fondamentales. Nous examinons d'abord le contexte des préoccupations relatives à la propriété au Canada, les règles actuelles et les différents types de propriété des médias au Canada, notamment l'intégration horizontale, l'intégration verticale et la propriété croisée. Nous traitons ensuite de la diversité et de la propriété. Enfin, nous abordons la question des avantages et des inconvénients de la propriété étrangère au sein du système canadien de radiodiffusion. S'il y a lieu, les témoignages et les solutions proposées au Comité sont présentés1.

A. Règles actuelles en matière de propriété s'appliquant aux radiodiffuseurs et aux distributeurs canadiens

Les principes de propriété et de contrôle canadiens ont toujours été importants pour nos industries culturelles. La Loi sur la radiodiffusion de 1968 instaurait une politique selon laquelle le système canadien de radiodiffusion devait être la propriété des Canadiens et sous leur contrôle. Cette politique avait pour but de « sauvegarder, enrichir et raffermir la structure culturelle, politique, sociale et économique du Canada ». À cette fin, le sous alinéa 22(1)a)(iii) de la Loi sur la radiodiffusion (1968) établissait ce qui suit :

Aucune licence de radiodiffusion ne doit être attribuée, modifiée ou renouvelée [...] a) en contravention d'instructions données au Conseil par le gouverneur en conseil sous l'autorité de la présente loi concernant ...

(iii) les classes de requérants auxquels des licences de radiodiffusion ne peuvent être attribuées ou auxquels des modifications ou des renouvellements de ces licences ne peuvent être accordés, et une telle classe peut, nonobstant l'article 2, être restreinte de façon à ne pas rendre impossible la modification ou le renouvellement d'une licence de radiodiffusion qui est valide au moment de l'entrée en vigueur de la présente loi.

Pour mettre ce principe en application, le gouvernement a rendu le décret C.P. 1968-1809 le 20 septembre 1968, dans lequel il ordonne au CRTC de réduire la propriété étrangère autorisée. Ces instructions ramenaient la propriété étrangère autorisée en matière de radiodiffusion canadienne à 20 % des actions avec droit de vote. Elles exigeaient en outre que tous les membres du conseil d'administration d'une entreprise soient citoyens canadiens, et imposaient des restrictions de l'ordre de 60 % à la propriété étrangère de tout investissement dans une entreprise autorisée, y compris les capitaux empruntés et les bénéfices non répartis. Les sociétés de portefeuille ne pouvaient avoir de participation dans d'autres sociétés de portefeuille.

De nouvelles instructions (décret C.P. 1969-630), publiées le 27 mars 1969, autorisaient un niveau supplémentaire de sociétés de portefeuille et élargissaient la définition de l'expression « citoyen canadien » de manière qu'elle englobe les sociétés personnelles appartenant entièrement à des citoyens canadiens. Les instructions intégraient également la câblodistribution aux exigences en matière de propriété étrangère et aux dispositions interdisant la participation d'un gouvernement étranger.

En 1970, le Comité spécial du Sénat sur les médias, présidé par le sénateur Keith Davey, soulevait des préoccupations relatives à l'augmentation de la propriété croisée des médias canadiens et à l'appropriation des médias par des conglomérats non médiatiques. Le fait que d'importantes entités médiatiques du système canadien ne consacraient pas suffisamment de ressources à l'atteinte des objectifs de la politique publique, notamment les émissions de télévision canadiennes, était également une source de préoccupation. Le Comité Davey n'a toutefois pas proposé d'imposer des restrictions à la propriété croisée et à la concentration des médias; il a plutôt recommandé la modification de la Loi sur la radiodiffusion de manière à reconnaître qu'il faut protéger l'intérêt public de la concentration excessive des médias.

En 1978, la Commission royale d'enquête sur les groupements de sociétés, présidée par M. Robert B. Bryce, examinait aussi la concentration des médias et la propriété croisée, mais le faisait dans le cadre d'une vaste étude sur les incidences de la concentration de la propriété dans tous les secteurs. Le rapport arrivait à la conclusion qu'un groupe de propriété pourrait éventuellement profiter de sa position dominante, mais qu'il « n'y a aucun instrument pratique de législation ou de réglementation qui puisse résoudre le problème2. » Le rapport signalait également que « le CRTC est habilité à contrôler la propriété des entreprises de radiodiffusion, mais il est clair que ses décisions s'inspirent de bien d'autres considérations3 ». Les auteurs du rapport recommandaient donc que « le CRTC soit investi du pouvoir d'empêcher les propriétaires de stations de radio ou de télévision d'être également propriétaires de journaux ou autres publications qui circulent dans le même marché4 ».

La Commission royale sur les quotidiens, que présidait M. Tom Kent et qui a déposé son rapport en 1981, n'avait pas le mandat d'examiner la radiodiffusion, mais elle s'est malgré tout penchée sur la propriété croisée de journaux et d'entreprises de radiodiffusion. Dans son rapport, la Commission arrivait à la conclusion que la propriété croisée était un sujet de préoccupation lorsque les médias visés par la propriété croisée sont exploités dans le même marché. La Commission était d'avis que, dans les cas où il y a une propriété croisée d'entreprises exploitées dans un même marché, les journaux ne devraient pas être autorisés à posséder une entreprise de câblodistribution, de radio ou de télévision si la moitié de la population pouvant recevoir les services de ces entreprises vit dans la région où le journal est diffusé.

En se fondant sur ces recommandations, le gouvernement a publié des instructions par voie de décret le 29 juillet 1982, précisant que le CRTC ne pouvait attribuer ou renouveler de licences aux requérants directement ou indirectement contrôlés par le propriétaire d'un quotidien « lorsque la zone principale de distribution de ce quotidien couvre substantiellement le marché principal desservi ou devant être desservi par l'entreprise de radiodiffusion, à moins que le Conseil soit convaincu qu'il serait contraire à l'intérêt public primordial de ne pas accorder une licence de radiodiffusion ou son renouvellement5 ». Ces instructions ont été annulées en 1985 (décret 85-1735) lors d'un changement de gouvernement.

Le Groupe de travail sur la politique de la radiodiffusion, que présidaient MM. Gerald Caplan et Florian Sauvageau, mentionnait dans son rapport de 1986 que le Canada n'avait aucune politique concernant le seuil acceptable de concentration de propriété des médias et qu'il était temps de combler cette lacune. Depuis, le CRTC a modifié ses règlements sur la radio et la télévision de manière à limiter la propriété ou le contrôle à « une seule station de télévision en direct, dans une langue, dans un marché donné6 », de même qu'à trois ou quatre stations de radio (selon la taille du marché), dans une langue, dans un marché donné. De plus :

Lorsqu'un producteur indépendant, seul ou avec d'autres associés, demande l'autorisation d'acheter des parts, ou encore réclame une licence pour une entreprise de télédiffusion, le Conseil s'attend que le ou les requérants abordent les problèmes liés à l'intégration verticale d'une société de production et de télédiffusion et proposent les mesures de protection appropriée7.

Autrement dit, en ce qui a trait aux maisons de production indépendantes, le CRTC s'attend, lorsqu'il examine un projet de transaction, que le ou les requérants s'occuperont des questions découlant de toute intégration qui en découlerait et proposeront des garanties satisfaisantes.

En ce qui concerne la propriété étrangère, il est mentionné au chapitre 2 que la Loi sur la radiodiffusion de 1991 maintenait le principe selon lequel le système canadien de radiodiffusion est un système unique qui doit être, effectivement, la propriété des Canadiens et sous leur contrôle. Outre cette reconnaissance dans la Loi, la déclaration du gouvernement sur la politique de convergence de 1996 suggérait que les organismes de télécommunications et de radiodiffusion soient traités sur le même pied d'égalité. Au sujet de la concurrence, la déclaration appuyait une mise à jour des :

... règles visant la propriété canadienne des radiodiffuseurs autorisés sous licence afin d'encourager l'investissement nécessaire pour accélérer la mise en œuvre des technologies de pointe et de multiplier les services à contenu canadien en harmonisant les règles qui s'appliquent à l'industrie de la radiodiffusion avec celles qui régissent l'industrie des télécommunications8.

Cela dit, le gouvernement déclarait également que :

... les règles sur la propriété canadienne s'appliquant aux domaines de la radiodiffusion et des télécommunications doivent être respectées. Bien que les exigences s'appliquant à la radiodiffusion aient été en grande partie harmonisées avec celles s'appliquant aux télécommunications, ce n'est pas la politique du gouvernement d'assurer [à l'avenir] l'harmonisation des règles sur la propriété dans les domaines de la radiodiffusion et des télécommunications9.

Pour cette raison, la déclaration concluait que :

Bien que les nouvelles technologies permettent aux entreprises de télécommunications et de radiodiffusion d'offrir des services semblables, la distinction entre les télécommunications, la radiodiffusion et leurs services demeure. Des objectifs de politique différents exigent des mécanismes réglementaires distincts10.

Le 8 avril 1997, le gouverneur en conseil émettait des Instructions au CRTC (inadmissibilité de non-Canadiens) exigeant une participation et un contrôle canadiens de 80 % pour tous les titulaires de licences de radiodiffusion, et de 66,6 % pour les sociétés de portefeuille. Ces Instructions établissent également d'autres restrictions sur l'activité non canadienne afin de conserver un contrôle intérieur efficace de la radiodiffusion comme suit :

Il est ordonné au Comité de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes de ne pas délivrer de licences de radiodiffusion ni d'accorder de modification ou de renouvellement de telles licences aux demandeurs qui sont des non-Canadiens.

... Dans les cas où le Comité de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes détermine que le demandeur est sous contrôle non canadien en raison de relations personnelles, financières, contractuelles ou d'affaires, ou de tout autre facteur utile à la détermination du contrôle, sauf la propriété effective et le contrôle, par une entreprise canadienne ou son acquéreur, des actions avec droit de vote d'un ayant droit qualifié, le demandeur est réputé être un non-Canadien.

La définition de Canadien est primordiale. Cela peut être simple pour les particuliers, mais compliqué pour les organismes11. Les actionnaires peuvent détenir une entreprise qui possède, elle-même, d'autres sociétés. L'entreprise qui détient, en tout ou en partie, une ou d'autres compagnies est une société de portefeuille. Par conséquent, les propriétaires de la société de portefeuille possèdent indirectement toute entreprise détenue par la société mère.

Quant à limiter la propriété et le contrôle étrangers, il faut porter attention tant à la propriété directe, qu'indirecte. Selon les Instructions au CRTC émises en 1997 par le gouvernement fédéral, les étrangers peuvent détenir directement jusqu'à 20 % d'un radiodiffuseur et jusqu'à 33,33 % d'une société de portefeuille qui possède un radiodiffuseur. En réalité, cela permet à un non-Canadien de posséder jusqu'à 46,7 % d'un radiodiffuseur canadien. La figure 11.1 montre de quelle façon on calcule le tout.

Figure 11.1 - Propriété étrangère maximum permise d'un radiodiffuseur canadien

Pour les grandes sociétés qui comptent un nombre important d'actionnaires, un bloc d'actions avec droit de vote de moins de 50 % peut tout de même permettre le contrôle effectif d'une société. Pour surmonter cette possibilité, les Instructions définissent le contrôle comme suit :

Société qui crée une maîtrise de fait, soit directe, par la propriété de valeurs mobilières, soit indirecte, notamment au moyen d'une fiducie, d'un accord, d'une entente ou de la propriété d'une personne morale.

Si un non-Canadien possède le contrôle effectif, par quelque moyen que ce soit, dans une société canadienne, celle-ci perd son statut de personne morale qualifiée. Sans ce statut, la société ne peut acquérir ni obtenir de licence de radiodiffusion au Canada.

Étonnamment, la nomenclature des règlements associés à la Loi sur Investissement Canada n'inclut pas la radiodiffusion; elle fait simplement allusion à un « type précis d'activité commerciale, désigné par règlement, et qui, de l'avis du gouverneur en conseil, est lié au patrimoine culturel du Canada ou à l'identité nationale ». Cette omission n'est toutefois pas très importante compte tenu de la propriété et du contrôle canadiens imposés dans la Loi sur la radiodiffusion12.

La Loi sur la concurrence traite, elle aussi, dans un sens moins direct, des questions de propriété. Le Bureau de la concurrence indique les types de pratiques permises pour les sociétés sur le marché. Comme le faisait remarquer le commissaire de la concurrence lors de sa présentation devant le Comité le 22 mai 2002 :

La Loi sur la concurrence est une loi fédérale d'application générale à l'économie canadienne. La Loi régit, à quelques exceptions près, [toutes les relations d'affaires] au Canada et elle contient des dispositions criminelles et non criminelles.

L'objectif ultime est de sauvegarder et de protéger le système concurrentiel au lieu de protéger [le] concurrent individuel. Le mandat du Bureau de la concurrence est explicite. Nous nous efforçons d'assurer que le Canada a un marché concurrentiel et que toutes les Canadiennes et tous les Canadiens profitent des avantages de prix concurrentiels, d'un choix de produits et de services de qualité13.

B. Propriété des médias électroniques au Canada

La figure 11.2 présente les recettes des 10 plus importants groupes de médias (à l'exclusion des télécommunications) du Canada à l'heure actuelle. Comme le montre la figure, le total des recettes de ces groupes — même si elles ne sont pas uniformes — s'élève à plus de 12,5 milliards de dollars.

Il faut toutefois signaler que ces groupes ne sont pas importants en regard des plus grandes entreprises audiovisuelles du monde. Le Centre d'études sur les médias a mentionné ce qui suit dans un document préparé à l'intention du Comité :

Figure 11.2 - Revenus des dis plus importants groupes de média du Canada, revenus de 2001 ou de 2002

... aucun de ces acteurs canadiens ne figure au palmarès mondial des 50 premières entreprises audiovisuelles pour l'année 2001 tel qu'établi par l'Observatoire européen de l'audiovisuel. Ce classement est dominé par trois sociétés américaines : Time Warner dont les revenus en audiovisuel (cinéma, radio et télévision) ont atteint les 19,7 milliards de dollars US, Viacom avec des revenus de 19 milliards US et Walt Disney avec des revenus de 18,3 milliards de dollars US14.

Comme on peut le constater, chacune des trois plus importantes entreprises médiatiques du monde ont obtenu des recettes qui dépassent largement le total des recettes des 10 principales entreprises du Canada. Toutefois, comme l'indique la citation suivante, la meilleure façon de décrire la propriété dans le domaine de la radiodiffusion canadienne est de la qualifier d'ensemble complexe et étroitement lié d'intervenants :

On a observé [une tendance vers la consolidation et l'intégration verticale] au Canada. Par exemple, après avoir renforcé l'assise de son réseau national de stations de télévision, CanWest Global a acheté les actifs Internet et journalistiques de Hollinger Inc. [...] L'acquisition de la maison de production Fireworks en a par ailleurs fait une entreprise à intégration verticale. Au cours de la même période, les Entreprises Bell Canada inc. (BCE) ont acheté à la fois CTV Inc. et The Globe and Mail, les regroupant, avec son service Internet Sympatico, dans une nouvelle société de portefeuille, Bell Globemedia, qui possède aussi, avec sa partenaire COGECO, la société de télédiffusion d'expression française TQS. À plus petite échelle, Corus Entertainment, affiliée du groupe de câblodistribution Shaw, a pris le contrôle du producteur d'animation Nelvana. Au Canada français, Québécor a fait l'acquisition du géant québécois de la câblodistribution, Vidéotron, qui contrôle le réseau de télévision TVA, deux maisons de production (TVA International et JPL Productions) et une douzaine de chaînes de télévision spécialisée. [...] Par suite de ces fusions et acquisitions, il y a maintenant un petit groupe de puissants géants des médias au Canada15.

La manifestation particulière de cette inquiétude souligne trois types de problèmes différents en matière de propriété au Canada : l'intégration horizontale, l'intégration verticale et la propriété croisée.

Il y a intégration horizontale lorsqu'une firme prend le contrôle d'une entreprise similaire (p. ex. un télédiffuseur qui achèterait d'autres télédiffuseurs ou qui augmenterait sa part de marché parmi les télédiffuseurs). Il y a intégration verticale lorsqu'une firme d'une industrie donnée fait l'acquisition d'entreprises qui évoluent à des stades différents au sein de la même industrie (comme un télédiffuseur qui achèterait une maison de production qui fait des émissions de télévision). Il y a propriété croisée de médias lorsqu'une firme d'une industrie donnée fait l'acquisition d'une entreprise d'une autre industrie (p. ex. un télédiffuseur qui achèterait un journal). On aborde ces différents aspects ci-après.

Mais d'abord, il vaut la peine de noter que les avis des témoins sont partagés à propos de l'intégration horizontale, de l'intégration verticale et de la propriété croisée de médias. Certains estiment que les entreprises canadiennes doivent être suffisamment importantes et évoluées pour livrer concurrence sur le marché mondial. Par exemple, Rogers Communications Inc. a suggéré que les récents changements en matière de propriété s'inscrivent dans un processus continu qui assurera la compétitivité des entreprises médiatiques du Canada sur la scène mondiale.

D'autre part, plusieurs témoins ont affirmé craindre que la concentration des médias dans un petit nombre de groupes de propriété ne constitue une menace pour le processus démocratique en limitant l'accès à des opinions diverses. Les témoins qui ont exprimé cette opinion aimeraient que l'on impose des restrictions sur la concentration du capital afin d'éviter qu'il n'y ait qu'une seule position dans certains contextes. Cette question, qui a également été soulevée dans les débats d'experts sur la participation étrangère du Comité, sera abordée plus loin dans une section différente du présent chapitre.

Intégration horizontale

La tendance vers une intégration (concentration) horizontale de la propriété est une source de préoccupation de longue date. La figure 11.3 porte sur les tendances récentes en matière de propriété de stations de télévision multiples au Canada. Elle montre que les cinq plus grands groupes de propriété possédaient 68 % de l'ensemble des stations de télévision en l'an 2000, ce qui représente une augmentation par rapport à 28,6 % en 1970. La figure indique également que la propriété de stations uniques était beaucoup moins courante en 2000, ne comptant alors que six entités.

Les inquiétudes sont similaires du côté de l'industrie de la câblodistribution. En 1999, par exemple, les cinq plus grandes entreprises de câblodistribution (Rogers, Shaw, Vidéotron, Cogeco et Moffat) se partageaient 80,1 % de tous les abonnés du câble. Depuis, la concentration s'est encore accrue alors que Shaw a fait l'acquisition des activités de câblodistribution de Moffat en mars 2001. Comme l'a déclaré la présidente de l'Association canadienne de télévision par câble devant le Comité :

Figure 11.3 - Concentration de la propriété des stations de télévision conventionnelles au Canada, années choisies 1970-2000

Pour vous donner une idée de la situation de l'industrie du câble, six entreprises desservent près de 90 % de la clientèle de la télévision par câble au Canada. Plus d'une centaine d'autres entreprises desservent le reste du marché. Ces grandes entreprises de câblodistribution ont déjà procédé à l'expansion des services de base du câble, offrant en plus à leurs abonnés les services numériques et l'accès Internet à haute vitesse. Certains petits câblodistributeurs ont commencé à offrir les services évolués. Toutefois un grand nombre de petits systèmes se voient forcés d'offrir un service plus limité en raison des investissements énormes qui sont nécessaires pour permettre d'offrir ces technologies évoluées à une clientèle dispersée dans des régions éloignées16.

Avec ExpressVu et StarChoice, le marché de la distribution par satellite de radiodiffusion directe est encore plus concentré que celui de la câblodistribution. Les entreprises de câblodistribution et de communications par satellite se disputent la clientèle à titre de distributeurs de radiodiffusion.

Intégration verticale

Le CRTC s'inquiète depuis des années de l'intégration verticale (ou concentration), c'est-à-dire de la propriété simultanée de différentes étapes de la production, de la radiodiffusion et de la distribution des émissions. Il craint au premier chef que l'on accorde une préférence indue à la programmation d'une entité associée (ou que la programmation d'un concurrent destinée à une entité associée soit victime de discrimination) et que cela réduise la diversité des positions.

Jusqu'à tout récemment, le CRTC examinait les problèmes potentiels de l'intégration verticale des producteurs d'émissions et des radiodiffuseurs de façon ponctuelle. Par exemple, les entreprises de câblodistribution ne pouvaient pas acquérir d'intérêts, y compris des intérêts majoritaires, dans les services de programmation spécialisés et payants en mode analogique. En juin 2001, par contre, le CRTC a annoncé que les entreprises de câblodistribution seraient autorisées à acheter des intérêts, dont des intérêts majoritaires, dans les services de programmation spécialisés et payants en mode analogique. Cette décision a permis une intégration verticale. Puis, en août 2001, le CRTC a renouvelé les licences de CTV et de Global en stipulant toutefois que seulement 25 % de leur contenu canadien aux heures de grande écoute pouvait provenir des maisons de production qui leur appartenaient. Cette décision imposait des limites aux transactions intéressées (c.-à-d. transactions entre entités appartenant à la même société) auxquelles il était possible de se livrer dans une entreprise à intégration verticale.

Propriété croisée

L'expression « propriété croisée » fait allusion à l'acquisition d'actifs, par un particulier ou une firme, dans au moins deux sortes de médias. L'an 2000 a été déterminant dans l'évolution du paysage médiatique canadien, alors que de grands changements se sont opérés sur le plan de la propriété. À titre d'exemple, la compagnie de téléphone BCE a investi dans l'industrie de la télévision et des journaux, les câblodistributeurs Rogers et Shaw ainsi que Québécor, qui se spécialise dans la presse écrite et l'imprimerie, ont acheté des actifs en radiodiffusion, et CanWest Global Communications (télédiffuseurs de chaînes conventionnelles et spécialisées) ont fait l'acquisition d'actifs dans la presse écrite.

Cette tendance vers la propriété croisée a mené à la création de plusieurs grandes entreprises médiatiques. La figure 11.4 donne des renseignements sommaires sur la propriété croisée de médias pour les quatre intervenants qui dominent le marché canadien aujourd'hui, soit BCE, Québécor, Rogers et CanWest Globalxvii. Comme on peut le constater, Québécor joue un rôle actif dans chacun des secteurs figurant dans la figure ci-dessus. L'entreprise se trouve ainsi dans une position dominante — du moins au Québec — sans pareille dans aucune autre économie industrialisée comparable.

Figure 11.4 - Activités des quatre plus importantes entreprises de propriété croisée des médias, 2003

Astral Media est un autre exemple d'une entreprise québécoise ayant de nombreux antécédents de propriété croisée. (Voir l'encadré.)

Conglomérats

Le conglomérat est un quatrième type de groupes de propriété; il s'agit d'une entreprise qui mène des activités dans un certain nombre de secteurs qui n'ont pas de liens directs les uns avec les autres. Le conglomérat nord-américain le plus connu qui possède des médias est General Electric, qui est aussi propriétaire du service de télévision NBC. De même, comme l'a indiqué le Centre d'études sur les médias :

Au Québec, Power Corporation est un exemple de ce type d'intégration. Par sa filiale Gesca (presse écrite), le groupe est un acteur important des médias. Par ailleurs, il possède des intérêts dans le secteur des services financiers (assurance-vie et fonds de placement). À l'échelle internationale, sa participation dans Pargesa Holding lui accorde une présence importante dans Bertelsmann, un géant européen du domaine des communications, mais également dans la production industrielle, l'énergie et les services financiers18.

Propriété et diversité

Le Centre d'études sur les médias a fait remarquer ce qui suit :

La diversité est considérée comme une composante essentielle du pluralisme démocratique dans nos sociétés modernes ; ce sont les diverses composantes de la constellation médiatique qui permettent d'établir in concreto le lien entre la diversité et le pluralisme en reflétant les divers points de vue et courants d'opinion présents dans la société et en donnant accès à l'information pertinente. Cela permet, en retour, la participation éclairée des citoyens aux affaires de la Cité19.

Il a ajouté :

Le concept de diversité se déconstruit généralement en deux principaux segments : celui des contenus et celui des sources. Les contenus réfèrent à la large palette d'opinions, d'information, de divertissements capables de satisfaire les besoins multiples des diverses composantes de nos sociétés complexes. La diversité des sources a trait, quant à elle, tant aux producteurs, personnels et artisans, qui produisent les contenus qu'aux médias qui les diffusent20.

En ce qui a trait à la propriété croisée et à la propriété étrangère, de nombreux témoins ont mentionné l'importance d'avoir accès à un contenu varié et à diverses sources. Il y avait beaucoup d'incertitude et une certaine crainte quant à une baisse de la diversité dans les médias — et plus particulièrement à la télévision et dans les journaux. Comme on le verra ci-après, la propriété croisée à l'échelon local est toutefois devenue une source de préoccupation dans certains marchés locaux et régionaux. Le professeur Marc-François Bernier de l'Université d'Ottawa signale à cet égard :

Quand je parle de diversité de l'information — je reviens toujours sur ce sujet-là — je ne dis pas qu'on doit avoir 12 sites Internet qui diffusent la même information : ça, c'est de la multiplicité et non pas de la diversité. Et j'ajoute que c'est vrai que nous avons davantage accès à l'information internationale maintenant grâce à Internet. Cependant, l'information locale et régionale reste vraiment l'enfant pauvre. De plus en plus, la concentration et la convergence font en sorte que les choses se décident en dehors des régions, et les gens n'ont plus accès à l'information qui les concerne en premier lieu, mais ils savent tout ce qui se passe au Nigeria, parce qu'on estime que c'est plus important. Je ne dis pas que ce n'est pas important, mais il faut aussi que les gens aient un accès à l'information locale et régionale, et ils l'ont de moins en moins21.

De même, Mme Anne-Marie Des Roches, directrice des Affaires publiques, Union des artistes, observe :

Pour contribuer à la diversité culturelle, le Canada doit maîtriser son espace de création et de diffusion. Ce défi passe par une stratégie cohérente de régulation. Il faut éviter que les infrastructures de communication ne soient que des relais pour l'acheminement des produits culturels étrangers.

Maîtriser notre espace de création et de diffusion suppose de renforcer les équilibres mis en place par la Loi sur la radiodiffusion. C'est le CRTC qui est chargé de gérer cet équilibre délicat entre l'atteinte d'objectifs sociaux et culturels et l'appui à une industrie des communications économiquement solide et concurrentielle. Les équilibres à assurer sont donc étroitement liés aux exigences en matière de contenu canadien et à la propriété des entreprises22.

Dans son rapport au Comité, le Centre d'études sur les médias est arrivé à la conclusion que « seule une étude approfondie permettrait de déterminer » si le « pluralisme et la diversité de l'information ont souffert » des récents changements apportés à la propriété des médias canadiens. Au Canada anglais, « la concurrence reste vive entre les deux réseaux (CTV et CanWest Global), tout comme au Québec, en matière d'information, entre TVA, TQS et la SRC ». De plus, la concentration de la propriété des journaux de langue anglaise :

... a diminué de façon importante depuis 1999 alors que le groupe Hollinger de Conrad Black détenait plus de 40 % de l'ensemble du tirage (anglais et français) et presque la moitié du tirage de langue anglaise. À 37 %, la part du tirage de langue anglaise que détient actuellement CanWest, le principal éditeur de quotidiens, est tout juste supérieure à celle qu'accaparait Southam en 1980 (33 %)23.

Pour ce qui est du marché de langue française, le Centre avait certaines appréhensions parce que « la vente par Hollinger de ses trois quotidiens à Power Corporation a fait que deux groupes plutôt que trois détiennent désormais la presque totalité du tirage ». Cela étant dit :

... les deux principaux titres de Montréal et les titres de Québec appartiennent toujours à des propriétaires différents. Ce que l'on constate aussi, c'est que plusieurs observateurs s'entendent pour dire que Le Soleil de Québec, par exemple, s'est beaucoup amélioré depuis qu'il est passé de Hollinger à Power Corporation. La politique des groupes n'est pas uniforme en effet et il n'y a pas de lien automatique entre l'appartenance à une chaîne et la qualité d'un journal. Il y a des chaînes qui font du bon journalisme, d'autres pas24.

Compte tenu de ces faits, la prochaine section résume les témoignages au sujet de la diversité et de la propriété. Des solutions sont ensuite proposées.

Ce que les témoins ont dit

Lors de sa comparution devant le Comité, M. Alain Gourd, vice-président exécutif de Bell Globemedia, a mentionné une étude récente du CRTC sur la diversité dans le système canadien de radiodiffusion qui avance ce qui suit :

Dans la plupart des principaux marchés canadiens, de 1991 à 2001, on note une croissance importante du nombre de stations de radio et de télévision et de propriétaires de celles-ci. [...] Une progression similaire peut être notée dans le marché francophone. En effet, en 1982, il y avait fondamentalement trois services offrant de l'information aux téléspectateurs francophones. C'était Radio-Canada, Télémétropole (TVA) et Radio-Québec25.

Il a ajouté :

En 2002, ce nombre a augmenté de façon significative. En effet, en plus de TVA, qui offre maintenant LCN, et de la SRC, qui offre RDI, il y a maintenant Télé-Québec, la nouvelle version de Radio-Québec, TQS, la télévision française de TVOntario, TFO, par satellite, le canal communautaire Canal Vox, la Téléuniversité et le Canal Savoir, le service international de TV5, et plusieurs services spécialisés comme ceux d'Astral et Canal Vie, qui offrent de l'information sous une forme ou une autre26.

M. Ken Goldstein, vice-président exécutif et chef de la stratégie, CanWest Global Communications Corporation, avait ceci à dire au sujet de la diversité des opinions :

Est-ce que la propriété croisée nuit à l'expression d'opinions divergentes? Non. Il n'y a rien dans la structure de la propriété croisée des médias qui a une incidence structurale sur l'expression d'opinions divergentes. C'est là une question, non pas de structure d'entreprise, mais de culture d'entreprise27.

D'autres témoins ont toutefois exprimé haut et fort leur désaccord avec cette déclaration. Ils ont affirmé que la convergence des médias — de par sa nature même — a une incidence inévitable sur la diversité des opinions et du contenu offerts aux citoyens. Comme l'a expliqué M. Marc-François Bernier :

Ce qui m'intéresse surtout, c'est l'impact de la convergence sur la qualité de la presse et de l'information. La convergence ou, autrement dit, la concentration crée généralement — et plusieurs enquêtes l'indiquent — une forme de pression grandissante visant à rendre les contenus compatibles avec les plans d'affaires des conglomérats28.

C'est pourquoi il croit que l'important, c'est d'avoir une multiplicité et une diversité de journalistes sur le terrain et aussi une indépendance radicale entre les salles de presse pour que cette diversité fonctionne29.

Prenant la parole sur cette question, M. John Miller, directeur du Programme de journalisme (presse écrite), Université Ryerson, a déclaré ce qui suit :

Je vous invite à vous demander s'il y a plus de journalistes qui assurent la couverture des nouvelles aujourd'hui qu'il n'y en avait il y a 10 ans. Je vous assure que ce n'est pas le cas.

Les propriétaires de ces journaux peuvent-ils voter pour vous? Vivent-ils dans votre localité ou se trouvent-ils à des milliers de milles de là? Pouvez-vous les interpeller au centre-ville? Non, vous ne le pouvez pas. Ces journaux sont la propriété de six méga entreprises médiatiques, dont certaines ont des intérêts dans la télévision, la radio, le cinéma et Internet. ...

Les propriétaires de ces journaux doivent leur loyauté en premier, non pas à leurs lecteurs, mais à leurs actionnaires, pour qui la communication de nouvelles et d'informations n'apporte rien à la partie revenus de leurs livres comptables et ne fait que grossir les frais généraux. ...

C'est pourquoi ces entreprises médiatiques et leurs représentants viennent témoigner devant vous pour demander d'assouplir le plus possible les règles sur la propriété croisée et d'ouvrir la porte à des soumissionnaires de l'étranger30.

De même, M. Wilson Southam a déclaré au Comité :

Je vous incite fortement à vous rappeler, malgré les promesses faites aux gens noir sur blanc, que bien souvent tout dépend des nuances du climat qui existe et que le climat se manifeste de façon très étrange parfois. Nous n'aurons sans doute jamais une presse parfaite, mais en faisant en sorte d'effectuer une séparation pour assurer l'indépendance rédactionnelle locale, vous permettrez à tout le moins que des préjugés différents soient librement exprimés dans différents endroits et vous nous donnerez ainsi cette part de diversité qui nous a valu notre régime national d'assurance-maladie et le Régime de pensions du Canada31.

Des témoins ont également recommandé au Comité de se méfier des déclarations selon lesquelles Internet a permis d'accroître la diversité de contenu et de points de vue présentés aux Canadiens. Par exemple, M. Bernier a avancé qu'Internet n'avait pas donné lieu à de nouvelles sources d'information originales32. Par ailleurs, M. Tom Kent a fait remarquer ce qui suit :

Internet est en soi une voie de communication. Ce n'est pas une source de contenu. Il achemine énormément de contenu et c'est cela sa force. [...] tout ce que je voulais dire, c'est qu'Internet n'est pas vraiment mauvais en soi, mais qu'il n'a rien à voir avec le problème dont nous parlons ici33.

D'autres témoins ne partageaient toutefois pas ce point de vue. Par exemple, M. Matthew Fraser a déclaré que quiconque ayant accès à Internet peut chercher du contenu et des points de vue de toutes les régions du Canada et du monde. Il a affirmé ce qui suit :

Nous ne vivons plus à l'époque des barons de la presse, où un baron britannique de la presse pouvait dicter et façonner l'opinion, peut-être comme le faisait le Globe and Mail il y a de cela une génération. Nous vivons dans un univers de 500 canaux. Internet a [...] Je n'ai qu'à aller sur le Web pour lire le plus récent numéro du Monde. Je peux y consulter le Guardian du Royaume-Uni — et bien d'autres journaux. Nous avons cette diversité grâce à la technologie34.

Dans son témoignage, M. Fraser a également fait ressortir qu'il existe une différence de génération qui est souvent passée sous silence :

Nous avons tendance à débattre de cette question dans l'optique de notre expérience à nous [...] Nous devrions avoir dans cette salle des jeunes de 25 ans ou moins pour pouvoir leur demander quels médias ils consomment [...] Ils vont sur le Web. Ils consultent tous ces organes médiatiques d'une façon très fragmentée. Ils fonctionnent en mode multitâche. Ils vont à cnn.com. Ils vont à cbc.ca. Ils vont peut-être à nationalpost.com. Ou ils font leurs devoirs en regardant le journal télévisé35.

Dans le même ordre d'idées, Mme Janet Yale a dit ce qui suit au Comité :

Certains articles dans les journaux ont parlé du danger des participations croisées, si vous voulez, et de leurs conséquences au niveau de la diversité des voix et de l'expression publique. Personnellement, j'estime que l'Internet a ouvert un environnement complètement différent. Il y a une véritable explosion des sources d'information pour les gens aujourd'hui. Pour les jeunes, en particulier, les quotidiens ne sont plus une source d'information. Pour eux, la principale source d'information, c'est l'Internet et il y a plus de sources d'information sur l'Internet qu'on ne peut en compter36.

Bref, les points de vue des témoins étaient partagés : d'une part, il y avait ceux qui étaient convaincus que la propriété croisée a eu, ou aura, d'importantes répercussions négatives sur la diversité des opinions présentées aux citoyens, et d'autre part, il y avait ceux qui croient que les Canadiens disposent d'un nombre beaucoup plus grand de moyens d'obtenir de l'information qu'ils n'en avaient autrefois. Il faut toutefois souligner que presque tous les témoins favorables au régime actuel provenaient des grands médias.

Solutions possibles

Des témoins ont soulevé des problèmes différents, mais apparentés, concernant l'équilibre entre l'imposition de limites raisonnables à la propriété des médias — et plus particulièrement à la propriété croisée — et la préservation de la diversité au sein du système canadien de radiodiffusion. C'est ce qui a incité M. Kirk Lapointe à dire au Comité qu'il sera difficile de trouver une solution qui convienne à tous. Il a précisé :

Il est très difficile de relever le défi de la diversité. On n'y arrive pas en un temps deux mouvements. Il ne s'agit pas de fixer des objectifs quantitatifs, d'adopter certaines méthodes de recrutement et de promotion et de suivre les progrès obtenus. C'est un processus quotidien, méthodique et lent, auquel tous les membres de l'organisation doivent participer sans y être forcés, pour créer un média plus perfectionné37.

Pour sa part, le Centre d'études sur les médias a fait remarquer ce qui suit :

... on ne trouvera pas de solution miracle au problème de la concentration des médias. C'est par un ensemble de mesures émanant de sources diverses que l'on s'assurera que les médias assument leur responsabilité sociale et offrent l'information diversifiée et de qualité essentielle aux citoyens et à la vie démocratique38.

À cet égard, l'étude réalisée par le Centre contient des éléments d'information particulièrement utiles, notamment les suivants :

La concentration n'est pas aussi importante dans le secteur de la radiodiffusion que dans celui de la presse écrite.

La concentration de la propriété des médias au Canada varie selon les médias, les régions, les groupes linguistiques et le marché désservi.

La plupart des Canadiens ont accès à plusieurs radiodiffuseurs locaux et nationaux.

Plusieurs villes canadiennes n'ont qu'un seul journal local.

À l'échelle nationale, la concentration horizontale n'a pas augmenté considérablement au cours des dernières années, sauf en ce qui concerne la radio.

La concentration des journaux a diminué depuis l'acquisition des publications Hollinger par CanWest; le taux de diffusion des publications de langue anglaise, qui est de 37 %, est à peine plus élevé qu'il ne l'était en 1980.

Par contre, dans certaines régions ou marchés, la concentration a augmenté considérablement. Sur le marché des journaux, par exemple, un groupe contrôle plus de 60 % de la diffusion dans sept provinces (90 % en Colombie-Britannique et en Saskatchewan).

Un niveau élevé de propriété croisée des médias est concentré dans certaines villes, plus particulièrement Vancouver où un groupe de propriété contrôle la totalité de la diffusion de deux quotidiens locaux et exploite le radiodiffuseur local ayant le plus vaste auditoire.

La demande de Québécor visant à acquérir des stations de radio dont le CRTC est actuellement saisi créerait un conglomérat sans précédent de la presse, de la radio et de la télévision (y compris la câblodistribution) au Québec.

La figure 11.5 résume l'ampleur de la propriété croisée dans neuf grands marchés étudiés par le Centre d'études sur les médias pour le compte du Comité. Comme on peut le constater, sauf à Vancouver, aucun des principaux groupes de propriété n'avaient des parts d'auditoire de plus de 50 % pour leurs téléjournaux locaux. Par contre, trois de ces marchés — Montréal anglophone, Regina et Saskatoon — n'ont qu'un seul journal local, et à Vancouver, deux quotidiens locaux sont contrôlés par la même entreprise.

Bref, le Comité constate que la question de la propriété croisée est complexe. Actuellement, au Canada, les groupes propriétaires de médias sont plus grands et plus intégrés que jamais. Ils affirment qu'ils doivent être puissants pour faire face à la concurrence internationale et réaliser des économies d'échelle. Après tout, ils livrent concurrence à des géants mondiaux comme Disney, AOL-Time Warner, Bertelsmann et Viacom. Au moins en apparence, le fait d'avoir de grosses entreprises médiatiques ayant la capacité financière de soutenir la radiodiffusion au Canada semble présenter des avantages. Ces sociétés ont le rayonnement, les ressources et la durabilité nécessaires pour saisir les occasions qui se présentent, éponger les pertes et promouvoir des programmes. Mais cet argument crée toute une série de problèmes particuliers découlant de la propriété croisée.

   

Astral Media : Une affaire de famille

Astral Media se classe aujourd'hui parmi les grandes entreprises de médias au Canada. Sa croissance ainsi que ses succès depuis ses débuts modestes à Montréal il y a plus de 40 ans sont intimement liés aux talents complémentaires des quatre frères Greenberg, soit Harold, Harvey, Sydney et Ian, qui en sont les fondateurs.

La trajectoire de croissance d'Astral depuis plus de 40 ans est marquée par la vision, l'imagination et la ténacité de ses fondateurs. Elle a été aussi marquée par des transformations importantes au sein de l'entreprise, au gré de l'évolution rapide de la culture populaire au Canada durant cette même période.

Lorsque les frères Greenberg fondent Angreen Photo en 1961, il s'agit d'une concession de service photo chez Miracle Mart. Une première transformation se réalise avec l'acquisition des laboratoires Bellevue Photo, grâce à laquelle l'entreprise se lance dans le traitement photo, et peu de temps après, l'achat de Pathé-Humphries ouvre la porte au domaine de la production cinématographique.

En 1973, Astral est une société inscrite à la Bourse, et durant les années qui suivent, l'entreprise se chargera de la production ou participera à la production d'une centaine de films, d'émissions de télévision et de mini-séries. Astral s'occupera également de la distribution de films et d'émissions de télévision.

En 1983, une transformation de grande envergure est réalisée par Astral lorsqu'elle prend le contrôle des chaînes de télévision payante First Choice et Premier Choix. C'est un énorme risque pour une jeune entreprise et un tournant décisif : Astral entre de plain-pied dans le domaine de la diffusion télé.

Afin de pouvoir exploiter les licences de First Choice et Premier Choix selon les règlements du CRTC, Astral doit abandonner ses activités de production. Cependant, en instituant le Fonds Harold Greenberg, Astral se donne un mécanisme par lequel elle peut apporter une aide financière aux scénaristes et aux producteurs canadiens. Le Fonds a versé plus de 25 millions de dollars à ces fins depuis sa création en 1985.

En 1990, André Bureau, l'ancien président du CRTC, se joint à la famille Greenberg et la transformation d'Astral en une entreprise entièrement consacrée aux activités médiatiques (la télévision, la radio et l'affichage) est progressivement mise en œuvre. Astral Media domine aujourd'hui le marché des entreprises de télévision spécialisée et payante, francophone et anglophone, au Canada. Astral est en outre propriétaire de neuf stations de radio FM, de trois stations AM et de 50 % des parts de Radiomédia. Affichage Astral Media compte quelque 3 400 panneaux extérieurs et contribue fortement aux recettes publicitaires de l'entreprise, lesquelles représentaient le tiers des revenus globaux d'Astral Media en 2001, soit 125 millions de dollars.

Astral Media est inscrite à la Bourse avec une capitalisation dépassant un milliard de dollars, et 1 300 personnes sont employées par l'entreprise.

Figure 11.5 - Propriété croisée dans neuf villes canadeinnes selon les parts de marché des téléjournaux et des quotidiens locaux

Par exemple, des entreprises comme CanWest Global et Bell Globemedia n'investissent pas autant dans les émissions dramatiques canadiennes que de nombreux témoins le souhaiteraient — plus particulièrement les créateurs — et pour plusieurs raisons (mentionnées aux chapitres 5 et 8), elles importent beaucoup d'émissions américaines qu'elles diffusent aux heures de grande écoute. Par ailleurs, le fait que CanWest Global ait insisté en faveur de l'adoption d'une politique de rédaction centralisée a fait craindre à certains que les journalistes subissent des pressions pour se conformer aux attentes et aux points de vue du groupe propriétaire de leurs journaux respectifs.

Des témoins préoccupés par les dangers de la propriété croisée ont déclaré au Comité que le risque réside dans le fait que trop de pouvoir pourrait être concentré entre les mains de quelques personnes qui n'ont aucune obligation de rendre compte. Les propriétaires de multiples entreprises médiatiques dans un marché local ou national détiennent le pouvoir extraordinaire de modeler l'opinion des citoyens. Dans ces circonstances, le nombre et la variété des voix et des perspectives offertes aux lecteurs et aux téléspectateurs sont considérablement réduites. La promotion croisée d'un média par un autre fait que les nouvelles et les commentaires se transforment en publicité ou en stratégie de marketing. Cela ne peut qu'éroder la confiance des citoyens dans les agences d'information.

On se préoccupe également des effets qu'aura la multiplicité des tâches sur les journalistes. En effet, si les journalistes de la presse écrite doivent aussi apparaître à la radio et à la télévision, en plus de verser des articles dans Internet, ils disposeront de moins de temps pour faire des reportages.

De plus, l'argument selon lequel les Canadiens ont aujourd'hui accès à de multiples chaînes et à une vaste gamme de nouvelles sources d'information en ligne ne tient pas compte d'un facteur important. Les bulletins de nouvelles nationaux et locaux continuent d'être regardés par des millions de téléspectateurs chaque jour, et la presse écrite est toujours une source d'information privilégiée de la population.

Il convient de noter que d'autres pays ont pris des mesures pour limiter la propriété croisée. Aux États-Unis, la Commission fédérale des communications interdit la propriété croisée entre la presse écrite et la radiodiffusion depuis les années 70. En 1975, par exemple, la Commission a interdit la propriété croisée télévision/presse pour deux raisons : pour favoriser la diversité de la propriété et encourager la diversité des points de vue dans les médias américains. Depuis peu, elle a réduit cette interdiction, pour les marchés fortement fragmenté. En France, la loi cherche à garantir qu'aucun groupe ne domine plus de deux des quatre principaux secteurs médiatiques (presse, radio, télévision et câble) et fixe des limites de concentration des médias à l'échelle régionale et nationale. En outre, au Royaume-Uni, la nouvelle Communications Act dispose que ceux qui possèdent un journal lu par 20 % du lectorat national ou local ne sont pas autorisés à avoir une licence pour des services nationaux ou régionaux de télévision commerciale. Dans ce pays, ces restrictions s'appliquent également aux propriétaires de journaux qui veulent obtenir une licence d'exploitation de services radiophoniques.

Au Canada, la propriété croisée des médias a atteint des sommets sans précédent au cours de la vague de prises de contrôle qui a eu lieu en 2000. Le Comité doit déterminer quelles sont les mesures à prendre à l'égard de la convergence, de la consolidation et de la concentration. Cela signifie qu'il devra recommander des mesures qui feront en sorte que les citoyens aient accès à une variété de points de vue, mais qui ne provoqueront pas de bouleversements d'ordre financier au sein de l'industrie canadienne des médias. Il s'agit probablement de la plus grande difficulté à laquelle le Comité sera confronté. C'est pourquoi ce dernier a examiné attentivement une série d'options :

1)

Ne prendre aucune mesure et laisser le marché régler le problème. Assurer un solide soutien à la radiodiffusion publique.

Le Comité a étudié s'il y a lieu de recommander des mesures compte tenu du fait que le marché semble en voie de résoudre au moins certains problèmes. Certaines sociétés qui s'étaient laissées prendre par l'euphorie suscitée par les très bons résultats du marché boursier et des titres de haute technologie à la fin des années 1990 sont maintenant lourdement endettées et incapables de trouver des moyens de faire fonctionner la convergence. Des analystes financiers prétendent que le modèle de convergence comporte de nombreuses lacunes et que les sociétés finiront par conserver seulement leurs activités principales. La proposition de ne pas intervenir se justifie par le fait que la situation actuelle risque d'évoluer beaucoup au cours des deux prochaines années et qu'une intervention de la part du gouvernement devrait être considérée comme un dernier recours. On peut prétendre que les objectifs en matière de politique publique seraient mieux servis en investissant dans la radiodiffusion publique en vue d'atteindre l'équilibre dont le système a besoin.

2)

Plaider en faveur de l'indépendance journalistique et demander au CRTC de renforcer sa politique sur la gestion indépendante des salles de nouvelles.

Dans ce cas-ci, les répercussions de la propriété croisée des médias peuvent être atténuées si les journalistes sont à l'abri des pressions engendrées par la convergence. Des barrières réglementaires peuvent être mises en place afin de faire en sorte que les salles de nouvelles des journaux soient gérées séparément et indépendamment des stations de télévision. Cela assurera le maintien d'une variété de voix. En outre, cela évitera d'ordonner aux sociétés médiatiques de vendre les entités qu'elles possèdent. Le CRTC pourrait toutefois se retrouver dans une quasi-impasse. Il agira seulement s'il reçoit des plaintes, mais les journalistes, entre autres, craignent peut-être de se plaindre. Ce pourrait être une situation où le contrôleur de la radiodiffusion canadienne (voir le chapitre 19) jouerait un rôle.

3)

Proposer l'établissement d'un « contrat » entre les propriétaires de médias et les directeurs de services de rédaction.

Le Comité signale qu'une façon de se sortir de l'impasse serait d'adopter une suggestion qu'avait formulée M.Tom Kent, président de l'ancienne Commission royale sur les quotidiens, lorsqu'il avait témoigné devant le Comité. M. Kent avait repris une proposition formulée dans le rapport de la Commission, à savoir que les propriétaires signent un « contrat » avec les rédacteurs en chef pour faire en sorte qu'il n'existe aucun lien de dépendance entre les rédacteurs en chef, les éditeurs et les propriétaires. Le contrat serait en vigueur pour une certaine période — 5 ans par exemple — et donnerait aux rédacteurs une grande latitude sur le plan administratif, notamment en ce qui concerne la politique rédactionnelle et l'embauche. Les rédacteurs seraient aussi libres, comme l'a indiqué la Commission, de faire des commentaires défavorables sur les points de vue ou les actions de toute personne, entreprise ou organisation associée au propriétaire39.

Le Comité reconnaît toutefois que, les journaux ne relevant pas de la compétence du CRTC, toute intervention de sa part dans ce secteur provoquerait vraisemblablement une importante bataille juridique ainsi qu'une avalanche de réactions et de critiques. Cela dit, l'organisme pourrait toutefois faire en sorte que de tels «contrats» s'appliquent aux directeurs des stations de télévision. Cela aurait pour effet d'éloigner les stations de télévision de la pression d'effectuer une convergence avec des journaux.

4)

Recommander que le gouvernement fédéral élabore une politique claire sur la propriété croisée des médias.

Selon cette option, aucune mesure ne serait prise tant que de nouvelles règles n'auraient pas été établies. Comme c'est le cas en France, ces règles autoriseraient un certain niveau de propriété croisée. Diverses possibilités pourraient être envisagées. Le propriétaire d'un quotidien pourrait être autorisé à détenir une licence de radiodiffusion locale uniquement dans les villes où, par exemple, il existe au moins quatre autres stations de télévision. Une société pourrait être autorisée à conserver une licence seulement si elle cesse d'être actionnaire majoritaire du journal local. Une participation minoritaire pourrait être tolérée. Par ailleurs, des limites strictes pourraient être imposées quant au nombre d'entreprises de radiodiffusion et de journaux qu'une même société pourrait posséder. Un traitement différent pourrait être accordé selon qu'il s'agit d'un marché local, régional ou national.

5)

Recommander qu'on ordonne au CRTC de ne pas accorder de licence aux radiodiffuseurs dont le propriétaire détient des intérêts majoritaires dans un quotidien.

Plusieurs témoins qui ont comparu devant le Comité ont fait cette suggestion. Certes, cette proposition mérite d'être examinée davantage (il est loin d'être clair, par exemple, qu'un journal serait bâillonné simplement parce que son propriétaire doit demander au CRTC de renouveler ses licences de radiodiffusion), mais elle est certainement attrayante. Comme il a été dit, le CRTC a déjà reçu de telles instructions au début des années 80. Leur annulation par la suite a fort probablement été peu judicieuse. Le problème actuel concerne l'incidence qu'aurait une telle mesure sur les industries concernées.

6)

Recommander l'interdiction pure et simple de la propriété croisée des médias.

Le Comité reconnaît que cette option est la plus radicale. On peut présumer que les propriétaires de stations de radio et de télévision et d'entreprises de distribution de radiodiffusion auraient à se défaire des journaux qu'ils possèdent ou risquer que leur licence ne soit pas renouvelée le moment venu. Les sociétés les plus touchées seraient Québécor et CanWest Global. Plusieurs des grands quotidiens du pays seraient tous à vendre en même temps. On ne sait pas exactement qui seraient les acheteurs potentiels ou si une telle mesure diminuerait la concurrence entre les quotidiens. Cette recommandation constituerait toutefois un message clair et sans équivoque au gouvernement, au CRTC et aux propriétaires de sociétés.

Solutions proposées

Le Comité signale que deux comités de l'Assemblée nationale du Québec, soit la Commission de la culture et le Comité conseil sur la qualité et la diversité de l'information, ont publié des rapports sur la concentration des médias au cours des dernières années. Le Comité reconnaît l'importance du travail accompli par ces comités et il fait remarquer qu'avant la dissolution de l'Assemblée nationale en mars 2003, le gouvernement du Québec a annoncé son intention de présenter un projet de loi visant à accroître la diversité des médias dans un contexte de concentration de la propriété.

Le Comité fera deux recommandations sur l'indépendance rédactionnelle et la propriété croisée des médias.

Indépendance rédactionnelle

Le Comité croit que les nombreux défis posés par la propriété croisée doivent être abordés de front pour défendre l'indépendance journalistique. Il présente donc ci-après des recommandations qui lui semblent nécessaires pour s'attaquer à la situation actuelle, y apporter les mesures correctives qui s'imposent et préparer l'avenir.

Le Comité sait qu'il s'agit d'une tâche difficile qui comporte de nombreux imprévus et des circonstances particulières. Il serait tentant, par exemple, de proposer que le CRTC soit tenu de refuser l'attribution de licences aux demandeurs qui contrôlent un quotidien canadien. Mais cette mesure devrait-elle s'appliquer uniquement à la propriété croisée au sein d'un même marché local? Qu'en serait-il des réseaux et des journaux nationaux? Qui pourrait acheter les entreprises dont certains propriétaires devraient se départir?

Malheureusement, le Comité ne dispose pas de suffisamment d'information actuellement pour bien se préparer à tous les imprévus. Cela étant dit, il peut faire une déclaration ferme et proposer des mesures immédiates. C'est pourquoi, en dépit du fait que les journaux ne font pas partie de son mandat et ne sont pas assujettis à la réglementation, le Comité est d'avis qu'il faut prendre des mesures afin de protéger l'intégrité de l'indépendance rédactionnelle et la liberté de presse. Par conséquent, le Comité dénonce fermement toute tentative pour réprimer l'indépendance rédactionnelle et la liberté de presse. De plus :

RECOMMANDATION 11.1 :

Le Comité recommande qu'il soit ordonné au CRTC de renforcer sa politique sur la séparation des activités des salles de presse dans les situations où il y a propriété croisée de médias afin d'assurer l'indépendance rédactionnelle.

Le Comité croit également que, pour garantir l'efficacité de cette mesure, un mécanisme de surveillance est nécessaire. C'est pourquoi, il estime que le contrôleur de la radiodiffusion canadienne (proposé au chapitre 19) pourrait jouer un rôle à cet égard. Par conséquent :

RECOMMANDATION 11.2 :

Le Comité recommande que le CRTC mette en place un mécanisme pour assurer l'indépendance rédactionnelle des activités de radiodiffusion et que l'autorité compétente (par ex., le contrôleur de la radiodiffusion canadienne) présente un rapport annuel à cet égard au Parlement.

Le Comité convient avec le Centre d'études sur les médias que les élus ont un rôle à jouer. Dans le rapport préparé à l'intention du Comité, le Centre écrit ce qui suit :

Nous croyons qu'il appartient aux élus d'intervenir en ce domaine. En effet, l'approche au cas par cas présente de grandes limites. Les décisions dépendent de situations particulières et des acteurs en présence. Au contraire, l'approche législative permet l'élaboration d'un cadre conceptuel et une certaine pérennité des règles. Celles-ci ne devraient pas changer de manière abrupte, sous la poussée de projets industriels donnés40.

Il a également avancé que :

Tout dispositif canadien visant à encadrer la propriété des médias devrait donc prendre en compte la dimension linguistique et comporter des règles destinées à maintenir une diversité des propriétaires d'abord au niveau local mais également au palier national pour s'assurer aussi de la diversité des sources d'information nationale41.

En outre, il a déclaré :

[T]out dispositif voulant réglementer la propriété croisée gagnerait à tenir compte de l'aire d'influence des groupes en considérant l'ensemble des médias qui leur appartiennent ou qu'ils souhaitent acquérir42.

Le Centre fait remarquer qu'en plus d'adopter des mesures réglementaires relatives à la propriété, il y aurait lieu de prendre des mesures pour accroître la concurrence. Les médias locaux qui font une contribution d'importance à leur collectivité pourraient recevoir une aide financière. Un appui pourrait être dispensé aux entreprises médiatiques qui ajoutent à la diversité de l'information et des points de vue. La première de ces entreprises est, bien sûr, la SRC, et toute mesure visant à résoudre ses problèmes de financement (suivant celles qui sont recommandées au chapitre 6) contribuerait à améliorer la situation.

Propriété croisée

Le Comité est d'avis que les problèmes éventuels découlant de la propriété croisée sont suffisamment graves pour que le gouvernement fédéral publie une politique claire et sans équivoque à ce sujet. Il voudrait d'abord que le gouvernement ordonne au CRTC de reporter l'attribution ou le renouvellement de licences de radiodiffusion faisant intervenir la propriété croisée jusqu'à ce qu'une politique ait été publiée. Cette mesure devrait être prise au cours de l'année suivant le dépôt du présent rapport.

RECOMMANDATION 11.3 :

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada publie un énoncé de politique clair et sans équivoque concernant la propriété croisée au plus tard le 30 juin 2004.

De plus :

RECOMMANDATION 11.4 :

D'ici à ce que le gouvernement du Canada publie sa politique concernant la propriété croisée, le Comité recommande :

(a) Qu'il soit ordonné au CRTC de reporter toutes les décisions concernant l'attribution de nouvelles licences de radiodiffusion lorsqu'il y a propriété croisée.

(b) Que les licences faisant intervenir la propriété croisée soient automatiquement renouvelées (c.-à-d. qu'elles fassent l'objet d'un renouvellement administratif) pour une période minimale de deux ans et une période maximale de trois ans.

C. Propriété étrangère

Sur le plan de la population et de l'économie, le Canada est relativement petit en regard des pays avec lesquels il a des liens historiques, politiques et géographiques. Même s'il a eu recours à des capitaux étrangers pour favoriser sa croissance, il s'est toujours inquiété des conséquences des mouvements de capitaux — et des liens économiques solides avec d'autres pays importants — sur sa souveraineté et son caractère distinct.

Compte tenu de leur proximité, les États-Unis ont toujours préoccupé certains décideurs canadiens. Par exemple, lors des élections de 1887 et 1891, sir John A. MacDonald a su exploiter la fibre patriotique des Canadiens et leur méfiance envers les États-Unis pour remporter la victoire. Au cours de cette période, la plupart des investissements étrangers au Canada provenaient du Royaume-Uni. Il s'agissait plus d'investissements de portefeuille que d'investissements directs, c'est-à-dire d'investissements en obligations plutôt qu'en capital, qui donnent un certain contrôle sur une entreprise.

Au cours des années 50, les États-Unis étaient la principale source d'investissement étranger au Canada, plus particulièrement sous forme de participation au capital. La crainte de perdre le contrôle de notre économie a donné lieu à plusieurs études, notamment le rapport Watkins en 1968 et le rapport Gray en 1972 qui portaient tous deux sur les coûts engendrés par les mouvements importants de capitaux étrangers. Ces études ont, à leur tour, mené à l'adoption de mesures législatives visant à filtrer les investissements étrangers afin de s'assurer que les avantages l'emportent sur les coûts, notamment la Loi sur l'examen de l'investissement étranger de 1973, qui a été remplacée en 1985 par la moins restrictive Loi sur Investissement Canada.

La Loi sur l'examen de l'investissement étranger et la Loi sur Investissement Canada traitaient toutes deux de l'investissement étranger en général. On considérait que certains domaines, notamment le secteur bancaire, étaient particulièrement susceptibles de souffrir des investissements et du contrôle étrangers. Ces domaines étaient régis par des restrictions précises en matière d'investissement étranger. Il n'est donc pas étonnant que les industries culturelles soient assujetties depuis longtemps à telles restrictions.

Depuis le milieu des années 60, les progrès technologiques et les modifications réglementaires ont aiguisé la concurrence dans le domaine des télécommunications qui, à son tour, a amené un certain questionnement au sujet des restrictions imposées sur la propriété étrangère dans les secteurs des télécommunications et de la radiodiffusion.

Ce que les témoins ont dit

Les témoins ont soulevé de nombreuses questions à propos de la propriété étrangère. Dans un premier temps, on a demandé s'il valait mieux conserver les restrictions ou les assouplir. Dans un deuxième temps, on a cherché à savoir qui était touché par ces changements. Devrait-on assouplir les restrictions sur la propriété tant pour les fournisseurs de contenu que pour les entreprises? Si les composantes sont traitées différemment, que devraient être les différences? La dernière question, qui était liée à la première, portait sur les moyens de conserver les politiques de radiodiffusion canadiennes, et surtout les politiques relatives au contenu canadien, avec la propriété étrangère.

Les discussions sur la propriété étrangère devant le Comité étaient parfois vives, dénotant des divergences d'opinion parmi les participants. De façon générale, les syndicats, les créateurs et les partisans de la radiodiffusion publique s'opposaient aux modifications apportées aux restrictions sur la propriété étrangère. Certains radiodiffuseurs et distributeurs étaient pour un maintien du contrôle canadien dans l'industrie, tout en estimant que l'on pourrait assouplir les restrictions actuelles afin de permettre un taux de participation étrangère maximum de 49 %.

La ministre du Patrimoine canadien a déclaré au Comité que ce sont les objectifs de la politique de la Loi sur la radiodiffusion qui comptent et non la réglementation y afférente. Voici ce qu'elle a affirmé :

Les exigences relatives à la propriété étrangère visent à assurer une diversité des voix. Si nous pouvons atteindre cet objectif d'une autre façon, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de nous presser à en faire l'examen, mais il faut tout de même nous pencher sur la question43.

Mme Joie Warnock, Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, a fait l'une des déclarations les plus percutantes sur la nécessité de maintenir les limites relatives à la propriété étrangère de la radiodiffusion au Canada :

Pour ce qui est de la question des intérêts étrangers, le fait même qu'on se penche sur la question dans le contexte du système de radiodiffusion canadien montre à quel point les forces de la mondialisation sont puissantes.

... L'orientation proposée par le petit groupe qui cherche à faire disparaître les restrictions relatives à la propriété étrangère va à l'encontre des objectifs fondamentaux de la Loi sur la radiodiffusion. Nous devons protéger notre souveraineté dans les derniers bastions de l'identité canadienne44.

AOL-Time-Warner et les entreprises canadiennes de câblodistribution étaient au nombre des intervenants qui ont témoigné en faveur d'un assouplissement des restrictions sur la propriété étrangère. Les câblodistributeurs ont souligné la distinction entre les fournisseurs de contenu (les radiodiffuseurs) et les distributeurs (les EDR) et affirmé que les restrictions devraient être maintenues pour le premier groupe et assouplies pour le deuxième. AOL-Time-Warner (avec AOL Canada) a fait valoir le bien-fondé de l'assouplissement des restrictions sur la propriété dans son mémoire et lors de sa comparution devant le Comité :

Le gouvernement canadien et le CRTC ont reconnu qu'il faut des entreprises canadiennes fortes et bien financées pour faire face à la concurrence sur un marché de la télédiffusion de plus en plus mondial. On constate un phénomène constant de consolidation parmi les entreprises de télédiffusion et dans les médias, et le Canada n'y fait pas exception. L'investissement étranger est indispensable pour que les Canadiens aient accès à une vaste gamme de points de vue45.

L'Association canadienne des radiodiffuseurs a toutefois milité en faveur d'un contrôle canadien de la radiodiffusion, tout en suggérant que cela pourrait permettre un assouplissement des restrictions actuelles et se traduire par un taux de participation étrangère maximum de 49 % :

Nos membres ont diverses façons d'aborder la question de la propriété étrangère, comme vous le savez, et cela est attribuable en majeure partie aux stratégies de leur entreprise, aux stratégies de développement international de leur structure et ainsi de suite.

À l'heure actuelle, il existe un consensus concernant le contrôle canadien majoritaire, et, dans le cas de la propriété étrangère, les opinions varient depuis le maintien du statu quo jusqu'à une propriété illimitée de 49 % liée à une libéralisation réciproque de règles correspondantes de l'autre pays46.

Par contre, pour au moins un radiodiffuseur, l'assouplissement du niveau de participation maximum à 49 % n'était qu'une première étape pour réunir plus de capital pour l'industrie. Ce radiodiffuseur ne serait pas contrarié si la propriété étrangère s'élevait à 100 %, pourvu que les exigences relatives au contenu canadien demeurent en place et qu'elles s'appliquent à tous les radiodiffuseurs. M. Leonard Asper, CanWest Global Communications, a déclaré au Comité :

Nous recommandons aux entreprises de réduire le pourcentage à 49 % en tant que mesure pratique lors de la première étape. Elles devraient aussi maintenir les règles en matière de contenu, s'assurer d'obtenir la réciprocité afin que nous puissions élargir le contenu jusqu'à leurs marchés et élargir leurs points de vente, ce qui permettra de rentabiliser la programmation canadienne, par exemple.

La deuxième étape pourrait comprendre l'augmentation du pourcentage à 100 %. Peu importe, pourvu qu'il y ait une réglementation en matière de contenu47.

Une autre raison invoquée pour assouplir les règles sur la propriété était le coût accru de l'investissement en capital canadien, que ce soit sous forme de placements par emprunt ou de placements en actions, souvent appelé le coût du capital. En effet, les limites actuelles sur la propriété étrangère dans le secteur de la radiodiffusion imposées aux États-Unis et dans d'autres pays peuvent restreindre ou mettre à rude épreuve la capacité des entreprises canadiennes d'établir des partenariats stratégiques. Comme l'expliquait M. Geoffrey Elliot de CanWest Global Communications :

Les partenariats stratégiques exigent un niveau d'investissement suffisant pour garantir une participation à la direction et à l'orientation stratégique d'une entreprise, ce qui n'est pas la même chose que les investissements de portefeuille que les limites actuelles induisent généralement48.

M. Elliot a poursuivi en déclarant que l'élimination complète des règles, bien que CanWest Global ne s'y objecte pas, n'était pas nécessaire et que le Canada ne devrait modifier ses règles que si d'autres pays en faisaient autant.

M. Matthew Fraser a abondé dans le même sens en affirmant que le modèle d'interfinancement en matière de radiodiffusion canadienne (c'est-à-dire les restrictions sur la propriété étrangère qui permettent aux radiodiffuseurs de réaliser des profits en montrant des émissions américaines afin d'être en mesure de produire et de montrer des émissions canadiennes non rentables) ne fonctionnait pas vraiment et qu'il était, à certains égards, paradoxal. Il a déclaré ce qui suit :

Je soutiens que nous devons revoir le marché canadien et comprendre que le Canada fait maintenant partie d'un marché continental. La distinction entre le Canada avec son régime de réglementation distinct et les États-Unis en tant que territoire différent ne tient plus49.

L'un des principaux arguments d'ordre économique en faveur de la propriété étrangère est que celle-ci diminuerait le coût du capital pour les firmes canadiennes. Cet argument est revenu plusieurs fois. Si les restrictions sur la propriété étrangère étaient assouplies ou éliminées, le coût du capital chuterait pour les radiodiffuseurs visés ou, autrement dit, la valeur de leurs actifs pourrait s'accroître, de même que la valeur de leurs actions. Une question difficile, mais importante consiste à savoir de combien le coût du capital serait diminué si on levait les restrictions.

Un premier vice-président de Rogers Communications Inc., M. Dean MacDonald, qui a comparu devant le Comité avec l'Association canadienne de télévision par câble, a tenté d'esquisser une réponse à cette question :

Le plus grand défi auquel fait face notre industrie est celui que posent les importantes dépenses d'infrastructure nécessaires pour maintenir notre avantage concurrentiel. Il est impératif de trouver de nouvelles façons d'avoir accès au capital requis pour poursuivre nos investissements en matière de technologie de pointe, et pour maintenir notre position de chef de file mondial des communications, et non seulement de chef de file de notre industrie mais aussi notre rôle de chef de file au pays50.

Puis, il a fait remarquer que :

... les abonnés des entreprises de câblodistribution aux États-Unis sont en moyenne évalués à environ 2 000 $ de plus que les entreprises canadiennes. Cette évaluation supérieure va de paire évidemment avec une capacité plus grande d'exercer des investissements en capital. Les entreprises canadiennes sont nettement défavorisées comparativement aux entreprises américaines. Par conséquent, si nous voulons poursuivre nos investissements au niveau des infrastructures, il nous faut accéder au capital selon des conditions plus favorables51.

Par contre, comme l'expliquait M. Richard Paradis, président de l'Association canadienne des distributeurs et exportateurs de films :

... je voudrais souligner la faible crédibilité de l'argument voulant que les entreprises canadiennes aient un besoin pressant de capitalisation étrangère afin d'assurer leur croissance, capitalisation qui ne pourrait être obtenue sans l'abandon des exigences de propriété canadienne. Depuis quelques années, un nombre considérable de transactions de grande envergure sont survenues dans le secteur canadien des communications, de la radiodiffusion et des médias en général. Or, toutes les entreprises canadiennes impliquées dans ces transactions ont réussi à trouver aisément les milliards de dollars nécessaires au financement de celles-ci. De plus, la majorité d'entre elles ont obtenu ce financement entièrement au Canada sans même se prévaloir du niveau de propriété étrangère déjà autorisé, soit de 33,33 % pour les sociétés mères et de 20 % pour les titulaires de licences52.

On trouve un autre exemple de cette opinion dans une entrevue que le nouveau président du CRTC, M. Charles Dalfen, a accordée à la presse en juillet 2002. M. Dalfen a laissé entendre que la réglementation sur la propriété étrangère en télécommunications et en radiodiffusion n'a pas besoin d'être modifiée étant donné que les restrictions actuelles ne limitent pas la croissance économique dans ces secteurs. Il a fait valoir ce qui suit :

J'ai travaillé à plusieurs de ces dossiers dans le secteur privé. J'ai rarement, sinon jamais, vu des affaires échouer à cause d'un manque de capital étranger. Elles étaient dictées par des plans d'activités, et dans la mesure où le plan d'activités avait du sens, le capital était disponible53.

Comme il a été mentionné, les entreprises de câblodistribution ont établi la distinction entre les restrictions relatives à la propriété étrangère pour les entreprises de télécommunications et celles pour les fournisseurs de contenu. Allant dans le même sens, vient l'allégation que ce sont les fournisseurs de contenu qui ont une responsabilité de protection à l'égard de la culture canadienne et, en raison de cette position, les restrictions relatives à la propriété étrangère devraient être conservées pour eux. Les entreprises de télécommunications, qui ne font qu'acheminer les chaînes ou la programmation autorisées quelles qu'elles soient, n'ont pas besoin de ces restrictions. Plusieurs témoins ont accepté la possibilité d'avoir des restrictions différentes pour les deux segments de l'industrie de la radiodiffusion. Par exemple, l'Association de l'industrie du film de l'Alberta a fait observer ce qui suit :

... si la distribution est prise en considération, la participation canadienne n'est pas un problème. Si, toutefois, ce sont les opérations de radiodiffusion qui sont prises en compte, alors c'est clair qu'il faut que les Canadiens possèdent les intérêts majoritaires et les contrôlent.

Si une entreprise disposait des deux, il faudrait qu'elle les sépare et seule la distribution pourrait détenir une plus grande part d'investissements étrangers, alors que les Canadiens devraient participer majoritairement aux opérations de radiodiffusion et les contrôler. Je suis d'avis que cette division est logique. Peu importe qui a le pouvoir et comment l'émission est distribuée, ce qui compte, c'est la nature de l'émission. Cependant, nous devons nous assurer qu'ils ne s'approprient pas du contenu de quelque façon que ce soit. Aussi longtemps que le contenu reste de notre côté, tout ira pour le mieux54.

Cependant, les Entreprises Bell Canada (BCE), qui sont propriétaires des radiodiffuseurs conventionnels, de chaînes spécialisées et du diffuseur par satellite Bell ExpressVu, étaient en désaccord, et ont préconisé le maintien des restrictions relatives à la propriété étrangère pour les deux parties de l'industrie canadienne de la radiodiffusion :

BCE croit qu'il demeure nécessaire que ce soit des Canadiens qui contrôlent les entreprises de radiodiffusion, tant au niveau de la programmation que de la distribution. Il est une politique fondamentale et de longue date au Canada que la propriété et le contrôle du système canadien de radiodiffusion soient entre les mains des Canadiens. ...

BCE croit aussi que les entreprises de câblodistribution, tout comme celles de radiodiffusion par satellite, sont correctement définies comme étant des « entreprises de radiodiffusion » en vertu de la Loi sur la radiodiffusion, plutôt que des "entreprises de télécommunications". Il y a une différence fondamentale entre les deux activités. ...

... nous exploitons des entreprises de distribution de radiodiffusion, qui font concurrence aux services de câblodistribution et services câblés. [...] nous prenons des décisions différentes de celles des entreprises de télécommunications du genre "common carrier". Nous faisons des choix qui influent considérablement sur ce que les Canadiens peuvent voir et entendre.

Nous estimons aussi que si des gens de New York ou de Los Angeles les faisaient à notre place, ils feraient probablement affaire avec des gens qu'ils connaissent sur les plans professionnel et personnel. Entre connaissances, les gens se rendent service et se renvoient l'ascenseur et préfèrent rester entre eux pour faire des affaires. On imagine sans peine qu'un Canadien de St. John's, Toronto ou Vancouver ne serait même pas reçu pour présenter une proposition à une chaîne spécialisée55.

Une des questions importantes dans le débat sur la propriété étrangère est celle de savoir si les politiques canadiennes sur la radiodiffusion, en particulier les exigences relatives au contenu canadien, pourraient être conservées et appliquées dans un système canadien dominé par des investisseurs étrangers. L'Association canadienne de télévision par câble (ACTC) a fait valoir que toute loi ou tout règlement canadien, serait quand même pleinement en vigueur. La présidente de l'ACTC, Mme Janet Yale, a indiqué qu'il était alarmiste de suggérer que des entreprises sous contrôle étranger ignoreraient les politiques canadiennes :

J'aimerais faire l'analogie avec différents types de multinationales qui décident d'exercer des activités au Canada ou ailleurs dans le monde. Personne ne laisse entendre que, lorsque General Motors établit une fabrique de voitures au Canada, il est moins probable que l'entreprise se conforme aux lois nationales, qu'il s'agisse de fiscalité, d'emploi, d'environnement, peu importe. C'est un fait que la condition pour faire des affaires au pays est la conformité aux lois nationales.

Je crois que cela est aussi vrai des entreprises de câblodistribution. Nos sociétés acheminent une programmation, et c'est le CRTC qui détermine les chaînes que nous sommes obligés de diffuser. Pourquoi croirait-on qu'une entreprise de câblodistribution dont les propriétaires ne sont pas Canadiens ne se conformerait pas aux lois du Canada en matière d'obligation de diffusion, de la même façon qu'il se conforme aux autres types de lois? Lorsque l'on parle de contenu canadien, il faut se dire que les câblodistributeurs sont des fournisseurs de programmation, et les propriétaires d'une entreprise de câblodistribution, quels qu'ils soient, sont tenus de se conformer aux lois du pays en matière d'exigences de diffusion.

Cela dit, nous établissons une distinction bien précise entre les entreprises de distribution et les entreprises créatrices de contenu. Du côté du contenu, nous appuyons l'idée que ces entreprises devraient être sous le contrôle intégral ou majoritaire de Canadiens56.

M. Peter Murdoch, Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, a toutefois avisé le Comité que le fait de déplacer les responsabilités de l'administration centrale à l'extérieur du Canada mènerait tôt ou tard à un affaiblissement des politiques canadiennes en radiodiffusion.

Le simple fait de déménager des administrations centrales à l'extérieur de notre frontière nationale nous ferait perdre diverses fonctions relevant de ces administrations centrales, entre autres les décisions, la recherche, la réaction aux politiques culturelles, les compétences en gestion de la radiodiffusion, etc.57

Un fonctionnaire du ministère du Patrimoine canadien a également reconnu que des problèmes pourraient résulter de la propriété étrangère en radiodiffusion, mais il les percevait plutôt comme des défis et, à l'instar de son ministre, il demeurait ouvert à cette question :

Il existe toutes sortes de réglementations sur la distribution conçues pour gérer l'incidence d'une politique culturelle. Par exemple, les diffuseurs doivent inclure une chaîne autochtone dans leur attribution de canaux. Ils doivent inclure des chaînes dans la langue officielle minoritaire, et il y a d'autres règles. Il est déjà suffisamment difficile de réglementer les radiodiffuseurs canadiens. Le fait de réglementer des radiodiffuseurs étrangers et de leur imposer les mêmes conditions, présentera fort probablement un tout nouveau défi, mais comme l'a dit la ministre, ce qui compte au bout du compte c'est la façon d'agir de ces diffuseurs. Que font-ils vraiment? Je crois qu'elle a dit que s'il y avait d'autres modèles disponibles ou d'autres façons de faire les choses, nous serions évidemment responsables de leur analyse58.

Solutions proposées

Même si des conglomérats américains comme AOL-Time-Warner et d'importantes entreprises de câblodistribution et de télécommunications telles que Rogers souhaitent que les plafonds imposés à la propriété étrangère soient relevés voire levés complètement, le Comité estime qu'un faux pas à cet égard causerait un tort irréparable au système canadien. Une fois ce pas franchi, il ne pourra y avoir de retour en arrière. Pour cette raison, le Comité est d'avis que l'on se trompe lourdement si l'on croit que les restrictions imposées à la propriété peuvent être levées dans le secteur des télécommunications sans vraiment nuire au contenu de la radiodiffusion.

De plus, à l'exception des grandes entreprises de distribution et de quelques témoins qui ont pris la parole à titre personnel, les témoignages sur cette question étaient pratiquement tous en faveur du maintien du contrôle canadien. Il importe de souligner que le Canada se trouve dans une position tout à fait unique du fait de sa proximité, à la fois culturelle et géographique, avec les principaux producteurs de radiodiffusion du monde. On peut raisonnablement supposer que les radiodiffuseurs canadiens représenteraient une cible de choix pour la mainmise et l'intégration au marché médiatique nord-américain et que la politique mise en place pour assurer une présence canadienne sur les ondes serait peu de temps après la cible d'attaques.

Le Comité est donc convaincu que les règles actuelles visant la propriété étrangère devraient être maintenues étant donné que les plafonds sont suffisamment élevés pour favoriser une entrée de capitaux étrangers sans pour autant céder de contrôle canadien. Ce que veulent les investisseurs, c'est de placer leurs fonds dans des entreprises viables, pas forcément d'exploiter celles-ci. Les règles actuelles permettent une propriété étrangère pouvant atteindre 46,7 % dans le cas d'une société de portefeuille propriétaire d'entreprises de radiodiffusion ou de télécommunication (comme Rogers ou BCE). Cette limite n'a jamais été atteinte jusqu'ici. Bref, il y a déjà de la place pour accepter de nouveaux investissements étrangers tout en maintenant le cap en ce qui concerne la propriété et le contrôle majoritaires canadiens.

Le Comité fait remarquer que, parallèlement à son étude, le Comité permanent de l'industrie a déposé une étude sur la question de la propriété étrangère dans les télécommunications canadiennes le 28 avril 2003. La principale recommandation énoncée dans le rapport à cet égard est la suivante :

Que le gouvernement canadien élabore toutes les modifications législatives nécessaires afin d'éliminer complètement les exigences minimales actuelles en matière de propriété canadienne, y compris l'exigence à laquelle sont assujetties les entreprises de télécommunication au chapitre du contrôle canadien59.

Le Comité de l'industrie recommande également que les « entreprises de distribution de radiodiffusion soient assujetties aux mêmes exigences » que les entreprises de télécommunication60.

Le Comité du patrimoine est en profond désaccord avec ces recommandations du Comité de l'industrie concernant la propriété étrangère. Les principaux arguments du Comité de l'industrie sont d'ordre économique. Celui-ci soutient qu'un accès plus large à l'investissement étranger stimulera la concurrence dans les télécommunications, ce qui servira les intérêts des consommateurs. Comme M. Michael MacMillan, président et directeur général, Alliance Atlantis Communications Inc., l'a déclaré au Comité permanent du patrimoine canadien au sujet de la propriété dans le domaine de la radiodiffusion :

[Elle] a une importance qui dépasse celle de la plupart des autres produits. C'est plus qu'un produit, c'est une influence culturelle, et c'est la raison pour laquelle nous en parlons aujourd'hui et que nous ne parlons pas de tasses ou de soucoupes, de plumes ou de crayons. L'identité du propriétaire a une influence considérable, à mon avis, sur ce qui est produit et pourquoi61.

Le Comité abonde dans ce sens et il considère que les recommandations du Comité de l'industrie représentent une solution simpliste à un ensemble d'enjeux complexes. Dans son rapport, le Comité de l'industrie oublie notamment que plusieurs politiques et enjeux culturels sont au cœur de cette question. Comme on l'a vu dans la première partie de ce chapitre, la concentration des médias au Canada comporte des enjeux importants qu'on ne saurait écarter du revers de la main. Par exemple, lors d'une discussion sur l'incidence de l'intégration verticale sur le journalisme, M. Marc-François Bernier a déclaré :

La culture journalistique a aussi beaucoup de tares et de défauts, notamment dans son manque de rigueur ou son manque d'équité [...] Donc, il ne faut pas tout mettre sur le dos de la convergence et de la concentration, mais ces phénomènes-là ajoutent au risque qui existe déjà ou qui pèse sur la qualité de l'information62.

Par conséquent, « une des hypothèses à envisager, c'est qu'à long terme, cela va nuire à la légitimité sociale du journalisme et à sa crédibilité »63.

Quant à l'assouplissement des règles relatives à la propriété étrangère, le Comité a plusieurs réserves. Par exemple, si l'on s'inquiète de la concentration des médias appartenant à des Canadiens, il nous paraît logique de s'inquiéter de toute concentration excessive de médias canadiens appartenant à des sociétés étrangères. À ce sujet, Mme Anne-Marie Des Roches a déclaré au Comité :

Il y a, à cet égard, un danger flagrant de glissement. Si on ouvre le domaine de la téléphonie, à mon avis, d'ici sept ans environ, soit la durée d'une licence du CRTC, tout va nous échapper. Il faut dire que la pression n'est pas engendrée seulement par les capitaux étrangers; elle vient aussi de tous les accords de libre-échange et, à ce sujet, aucun engagement ferme n'a encore été pris64.

En outre, si les règles de propriété devaient être changées, les créateurs canadiens seraient-ils assurés d'avoir le même accès aux marchés canadiens qu'aujourd'hui? Enfin, qu'arriverait-il des programmes de subventions si les entreprises à propriété canadienne n'exploitaient plus de réseaux nationaux au Canada? Les succès actuels de la programmation française, par exemple, se poursuivraient-ils? Comme M. Alain Gourd l'a dit au Comité :

Pour ce qui est de la programmation télévisuelle [...], si la politique d'acquisition des contenus se décide à Los Angeles, est-il plus facile de vendre des contenus canadiens-français à Los Angeles ou à Montréal? Certains peuvent dire qu'il y a une réglementation du CRTC qui dit qu'il faut qu'il y ait un minimum de 60 % dans l'ensemble de la grille et de 50 % en temps primé [...] Si, soudainement, TVA et TQS étaient contrôlées par des intérêts étrangers anglophones, comme des intérêts américains, n'y aurait-il pas une tentation, de la part des propriétaires américains, de réduire la quantité du contenu québécois au strict minimum pour insérer des produits américains traduits en français? Personnellement, je crois qu'oui65.

Quant au marché de langue anglaise, M. Bernard Courtois a évoqué le scénario suivant :

Prenons la diversité des points de vue exprimés au Canada quand il est question de contenu et de marchés. Si Time Warner ou AT&T Broadband achète des compagnies de câblodiffusion canadienne, ou si CBS, NBC et ABC s'implantent au Canada, on aura un marché nord-américain. Ce secteur d'activité permet d'importantes économies d'échelle, et le nombre des sources d'information va diminuer. Quand on parle de diversité de points de vue, on parle de diversité des sources66.

De même, Mme Megan Williams, directrice nationale de la Conférence canadienne des arts a déclaré au Comité :

... certains soutiennent que l'auteur ou le diffuseur d'une émission importe peu tant qu'il respecte le contenu canadien, mais nous ne partageons pas cet avis. [...] Les choix artistiques dans la création d'un disque, d'un long métrage, d'une émission de radio, d'un documentaire télévisé ou d'un drame subissent évidemment des influences mondiales, mais ces influences sont filtrées grâce aux sensibilités des artistes et des producteurs canadiens. De même, la programmation devrait être fonction de ce qui attire les spectateurs canadiens et non pas en fonction d'un auditoire international. Le téléspectateur canadien doit être le souci principal de la programmation67.

Autre problème, si les règles de la propriété sont assouplies pour permettre tout investissement étranger, cela impliquera une réforme des organismes de réglementation et des mesures de soutien du gouvernement, car comme le professeur Matthew Fraser l'a rappelé au Comité, contrairement aux États-Unis où :

le ministère de la Justice et les responsables de la législation anti-trust s'emploient avec beaucoup de ferveur à surveiller les déficiences du marché, comme l'intégration verticale ou la domination excessive. Au Canada [...] nous n'avons pas cette tradition. Nous n'avons pas cette même ardeur institutionnelle. Nous n'avons pas de lois qui donnent à nos institutions le pouvoir de véritablement s'attaquer aux déficiences du marché68.

Par conséquent, compte tenu des témoignages entendus dans le cadre de l'étude du Comité sur le système canadien de radiodiffusion au sujet de la convergence des entreprises et de la technologie, il est convaincu que tout assouplissement des règles actuelles concernant la propriété étrangère dans le secteur des télécommunications pourrait avoir une incidence négative sur le système canadien de radiodiffusion. Pour cette raison :

RECOMMANDATION 11.5 :

Le Comité recommande que les restrictions actuelles relatives à la propriété étrangère dans le secteur de la radiodiffusion et des télécommunications soient maintenues aux niveaux actuels.

Notes en fin de chapitre

1 Dans le cadre de son étude du système canadien de radiodiffusion, le Comité a tenu une série de réunions d'experts concernant la propriété croisée et étrangère à l'automne 2002. Pour prendre connaissance des paramètres de ces audiences, voir l'annexe 12.
2 Rapport du Groupe de travail sur la politique de la radiodiffusion (Caplan-Sauvageau). Ministre des Approvisionnements et Services Canada, Ottawa, 1986, p. 697.

3 Ibid.

4 Ibid.

5 Ibid., p. 687.

6 Avis public CRTC 1999-97.

7 Ibid..

8 Gouvernement du Canada, Politique sur la convergence, 6 août 1996, www.strategis.ic.gc.ca.

9 Ibid.

10 Ibid.

11 La 1re section des Instructions donne les définitions pertinentes. En résumé, pour être canadienne, une société doit être une « personne morale qualifiée ». Le texte intégral de ces Instructions figure à l'Annexe 13.

12 Il vaut la peine de mentionner une exception à l'exclusion des non-Canadiens quant à la possession d'une licence de radiodiffusion. Il y a deux entreprises de télécommunications (BC Tel et Québec-Téléphone) dont plus de 50 % des actions ordinaires sont détenues de longue date par des étrangers. La Loi sur les télécommunications reconnaît leur situation particulière, et ces entreprises ont été maintenues en vertu des exigences relatives à la propriété canadienne. Par surcroît, les Instructions au CRTC (inadmissibilité de non-Canadiens) émises en 1997 comportent une définition de l' « ayant droit qualifié » qui a eu pour effet de d'adapter le statut particulier des deux entreprises de télécommunications au domaine de la radiodiffusion. Une entreprise de câblodistribution a contesté cet élément des Instructions devant les tribunaux. La décision de Rogers Communications Inc. v Canada (Attorney General) (1998) 145 F.T.R. 79 (F.C.T.D.) a établi la distinction entre les entreprises individuelles du domaine de la radiodiffusion et le système de radiodiffusion dans son ensemble : « Avoir deux entreprises qui ne sont pas "effectivement, la propriété des Canadiens et sous leur contrôle", parmi les milliers de sociétés concernées dans l'industrie, n'altère en rien le caractère et le contrôle canadiens du système dans l'ensemble ».

13 Konrad von Finckenstein. Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 22 mai 2002.

14 Centre d'études sur les médias, La propriété des médias au Canada, rapport présenté au Comité permanent du patrimoine canadien, 5 février 2003, p. 9.

15 ACPFT (en collaboration avec PwC Conseil), L'industrie canadienne de la production cinématographique et télévisuelle — Profil 2002, février 2002, p. 6.

16 Janet Yale, Association canadienne de télévision par câble. Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 19 février 2002.

17 Cette figure dépeint la situation au 23 octobre 2002. Les renseignements peuvent avoir changé depuis. L'annexe 14 comprend une figure beaucoup plus détaillée qui résume les actifs de ces groupes.

18 Centre d'études sur les médias, p. 6.

19 Ibid., p. 7.

20 Ibid.

21 Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 26 novembre 2002.

22 Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 3 décembre 2002.

23 Centre d'études sur les médias, p. 95.

24 Ibid.

25 Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 26 novembre 2002.

26 Ibid.

27 Ibid.

28 Ibid.

29 Ibid.

30 Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 5 décembre 2002.

31 Ibid.

32 Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 26 novembre 2002.

33 Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 5 décembre 2002.

34 Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 26 novembre 2002.

35 Ibid.

36 Réunion du Comité permanent du Patrimoine canadien, 19 février 2002.

37 Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 21 novembre 2002.

38 Centre d'études sur les médias, p. 112.

39 Rapport de la Commission royale sur les quotidiens (Commission Kent), Éditions du gouvernement du Canada, 1981.

40 Centre d'études sur les médias, p. 104.

41 Ibid., p. 106.

42 Ibid.

43 Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 8 novembre 2001.

44 Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 25 février 2002.

45 Casey Anderson, AOL Time Warner/AOL Canada, réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 12 mars 2002.

46 Glenn O'Farrell, président, Association canadienne des radiodiffuseurs, réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 21 mars 2002.

47 Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 1er mars 2002.

48 Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 26 novembre 2002.

49 Ibid.

50 Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 19 février 2002.

51Ibid.

52 Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 16 avril 2002.

53 Ian Jack. « Foreign Ownership Rules Don't Need Review: Dalfen », The National Post, 29 juillet 2002.

54 Nic Wry. Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 27 février 2002.

55 Bernard Courtois. Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 26 novembre 2002.

56 Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 19 février 2002.

57 Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 25 février 2002.

58 Michael Wernick. Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 20 novembre 2002.

59 Ouverture sur le monde pour les communications canadiennes, rapport du Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie, Chambre des communes, Ottawa, 2003, p. 41.

60 Ibid., p. 59.

61 Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 4 décembre 2002.

62 Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 26 novembre 2002.

63 Ibid.

64 Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 3 décembre 2002.

65 Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 26 novembre 2002.

66 Ibid.

67 Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 10 décembre 2002.

68 Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 26 novembre 2002.