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HERI Rapport du Comité

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MAINTIEN D'UN SYSTÈME UNIQUE

Chapitre 17
Mondialisation et diversité culturelle

Par un appui direct et indirect, les Canadiens ont toujours été disposés à soutenir la radiodiffusion pour servir les objectifs publics. Il en est de même dans d'autres démocraties occidentales, notamment l'Australie, la France et l'Allemagne : on estime qu'une certaine réglementation et une certaine protection sont à la fois un avantage et un soutien pour le réseau de radiodiffusion. Trouver un juste équilibre est toujours difficile : c'est la tâche que le CRTC et d'autres organismes de réglementation essaient d'accomplir quotidiennement.

Nous examinerons dans le présent chapitre les facteurs internationaux qui exercent des pressions sur la diversité du système canadien de radiodiffusion. Pour commencer, nous nous pencherons sur les stratégies d'exemption culturelle dans les ententes commerciales internationales. Nous traiterons ensuite des propositions concernant la création d'un instrument international visant à protéger la souveraineté culturelle, puis nous aborderons brièvement la question de la coopération et de la coordination internationales. Enfin, nous nous pencherons sur les témoignages concernant divers aspects de la diversité culturelle et le système canadien de radiodiffusion1.

A. Stratégies d'exemption culturelle et ententes internationales

Il ne faut pas oublier que la politique canadienne de radiodiffusion est une politique culturelle. Les règles d'application générale ont soulevé des préoccupations, notamment pour le secteur de la radiodiffusion. L'article 2005 de l'Accord de libre-échange-Canada-É.-U. (ALE, 1987), qui a été repris dans l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) en 1992, de même que les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC, 1995), y compris l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) et l'Accord général sur le commerce des services (GATS) étaient la préoccupation principale des témoins qui ont comparu devant le Comité.

Dans les discussions sur le droit d'auteur, les témoins ont soulevé l'Accord sur les ADPIC (aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce) de l'OMC et la Convention de Berne (à l'égard des droits d'auteur). On a aussi mentionné l'article 301 de la Trade Act des États-Unis ainsi que d'autres accords.

L'article 2005 de l'Accord de libre-échange retire sans ambiguïté les industries culturelles du tableau du paragraphe 1, précisant que les industries culturelles sont exemptées des dispositions de l'Accord. Toutefois, au paragraphe 2, il est dit qu'une partie peut prendre des mesures à effet commercial équivalent en réponse à des actions qui auraient été à l'encontre de l'accord, nonobstant le paragraphe 1. Ainsi, la protection de la culture est autorisée, mais non sans conséquences.

Que sont les industries culturelles?

L'exemption culturelle de l'ALENA prévoit que toutes les mesures relatives aux industries culturelles doivent être régies par les dispositions de l'ALÉ, notamment l'article 2005 qui exempte les industries culturelles des obligations découlant de l'ALÉ. Il en résulte que le critère de conformité est celui de l'ALÉ et non celui de l'ALENA.

L'article 2107 de l'ALENA définit l'expression « industries culturelles » comme suit :

« personnes qui se livrent à l'une ou l'autre des activités suivantes :

a) la publication, la distribution ou la vente de livres, de revues, de périodiques ou de journaux, sous forme imprimée ou exploitable par machine, à l'exclusion toutefois de la seule impression ou composition de ces publications,

b) la production, la distribution, la vente ou la présentation de films ou d'enregistrements vidéo,

c) la production, la distribution, la vente ou la présentation d'enregistrements de musique audio ou vidéo,

d) l'édition, la distribution ou la vente de compositions musicales sous forme imprimée ou exploitable par machine, ou

e) les radiocommunications dont les transmissions sont destinées à être captées directement par le grand public, et toutes les activités de radiodiffusion, de télédiffusion et de câblodistribution et tous les services des réseaux de programmation et de diffusion par satellite. »

 

Des témoins ont déclaré au Comité que la stratégie d'exemption culturelle avait donné des résultats inégaux. Le cas des périodiques, porté devant l'Organisation mondiale du commerce par les États-Unis, en est un exemple. En 1997, l'OMC s'est prononcée contre certaines mesures du Canada, notamment un tarif douanier et une taxe d'accise sur les magazines étrangers à tirage dédoublé2. Avant la conclusion, en 1999, d'un accord bilatéral par lequel le Canada était autorisé à conserver certaines restrictions relatives aux services de publicité, le Canada a été menacé d'éventuelles mesures de rétorsion en application de l'article 301 de la Trade Act des États-Unis. La loi américaine autorise des actions unilatérales contre les pratiques commerciales déloyales de pays étrangers dans les industries apparentées ou non conformes.

Nous résumons à la figure 17.1 les principes fondamentaux du commerce multilatéral.

Figure 17.1 - Principes du système commercial multilatéral

Le Canada a, jusqu'à présent, toujours maintenu une politique d'exemption de la culture, en cas de négociations d'un Accord multilatéral sur l'investissement (AMI) et dans les autres négociations. Ainsi, les accords bilatéraux de libre-échange du Canada avec le Chili, le Costa Rica et Israël comportent des exemptions touchant la culture; toutefois, contrairement à l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, aucun de ces accords ne prévoit de mesures de rétorsion contre des mesures non conformes. Des organismes comme la Conférence canadienne des arts ont fait valoir au Comité qu'il fallait continuer d'exclure la culture des accords commerciaux3. D'autres témoins, issus principalement des milieux artistiques, applaudissaient à cet appel, notamment la Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec, l'Association canadienne des distributeurs et exportateurs de films, l'Association des réalisateurs et des réalisatrices du Québec, la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma, l'Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo, l'Association des producteurs de films et de télévision du Québec et l'Union des artistes.

Les sept organismes susmentionnés font partie de la Coalition pour la diversité culturelle, qui croit que la souveraineté culturelle, c'est-à-dire le droit de l'État de légiférer dans le secteur de la culture, ne devrait pas être négociable. À ce propos, la Coalition a dit au Comité :

Pour y parvenir, on a établi deux principes. Le premier, c'est l'exception culturelle. Nous retirons la culture de tous les traités de commerce, qu'ils soient bilatéraux, régionaux, comme la Zone de libre-échange des Amériques, ou internationaux, c'est-à-dire le GATT, le GATS et l'Organisation mondiale du commerce. C'est la première partie. Commençons par exclure complètement les produits, les biens et les services culturels de toute entente, de tout traité de commerce international. Retirons la culture de la libéralisation du commerce, parce que les lois qui s'appliquent à la libéralisation du commerce vont totalement à l'encontre de toute la structure culturelle d'un pays comme le Canada et de la majorité des pays du monde, d'une part, mais il faut cependant, d'autre part, gérer les échanges entre les différentes cultures.

Comment allons-nous y parvenir? C'est l'autre partie du travail de la Coalition. Créons une convention internationale, un organisme international qui gérerait l'ensemble de ces échanges entre les différentes cultures du monde. Ce qui n'est pas défini, c'est quelle forme prendrait cette convention internationale. Quel en serait le contenu? Comment s'assurer que ses principes iraient au-delà des principes d'organisations, comme l'Organisation mondiale du commerce; c'est-à-dire qu'on n'aurait pas a retaliation [sic] quelque part, des représailles quelconques. Comment s'assurer que cet organisme-là aurait préséance sur les autres accords commerciaux? Et l'autre question qui se pose est la suivante : sous quel chapeau serait-il? Est-ce que ce serait les Nations Unies? Est-ce que ce serait un traité comme celui de Kyoto sur l'environnement? Est-ce que d'autres organismes internationaux devraient chapeauter cette convention? Là, il n'y a pas de consensus, il n'y a pas d'accord4.

Ce sont là les deux principales approches : l'exception culturelle dans les accords commerciaux et la création d'une convention internationale sur la diversité culturelle. Dans son rapport de 1999, intitulé La culture canadienne dans le contexte de la mondialisation : Nouvelles stratégies pour la culture et le commerce et rédigé dans le contexte de la numérisation, de la convergence, des technologies naissantes, de la concentration des multinationales et de la libéralisation des institutions internationales, le Groupe de consultations sectorielles sur le commerce extérieur — Industries culturelles (GCSCE) préconisait ces deux grandes approches. Le GCSCE reconnaissait dans son rapport deux autres stratégies possibles touchant le commerce et la culture : ne prendre aucun engagement que ce soit en matière de culture ou conclure des accords ponctuels visant des secteurs spécifiques.

Des témoins ont soutenu que les préoccupations relatives à la souveraineté culturelle n'étaient pas justifiées et qu'une exemption culturelle pourrait avoir des répercussions défavorables. Dans son mémoire au Comité, la société AOL Time Warner a écrit que les craintes en matière de souveraineté étaient injustifiées : l'aide à la culture canadienne et la promotion de celle-ci sont réalisables d'une manière conforme aux traités commerciaux actuels et prévus5. Pour sa part, l'Association canadienne des distributeurs de films (ACDF) a soulevé une autre objection :

Élargir l'exemption aux industries culturelles... ne permet ni transparence ni certitude et laisse les industries canadiennes vulnérables aux représailles unilatérales... l'ACDF recommande que l'industrie culturelle canadienne figure à la table des négociations commerciales multilatérales6.

Mme Susan Peacock, vice-présidente de l'ACDF, a dit au Comité : « une exonération des ententes commerciales pour les industries culturelles ne veut pas dire qu'il n'y aura plus de différends commerciaux7 ». À titre d'exemple, en 1994, le CRTC a approuvé la demande d'un service canadien de musique country, New Country Now (NCN), visant à supprimer un service de musique country de propriété américaine, Country Music Television (CMT), de la liste des services de télévision spécialisés admissibles8. Après avoir été débouté devant un tribunal, CMT a menacé de retirer les artistes canadiens de ses services non canadiens aux États-Unis et ailleurs et a déposé une plainte en vertu de l'article 301. Le bureau du représentant commercial des États-Unis a appuyé la cause de CMT. En 1995, le problème s'est résorbé à la suite d'une entente commerciale conclue par CMT et NCN dans laquelle CMT achetait une part de NCN et où le réseau canadien prenait le nouveau nom de « CMT Canada ».

En ce qui a trait à la création d'un instrument international pour protéger les intérêts de la diversité culturelle, le niveau d'optimisme chez les témoins variait grandement. Certains groupes, par exemple la Canadian Independent Record Production Association (CIRPA) ont donné leur appui au concept du nouvel instrument sur la diversité culturelle préconisé par le GCSCE, même si c'est un secteur des plus complexe qui exigera un examen très approfondi afin de garantir les meilleurs résultats possibles9. De la même façon, l'Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists (ACTRA) a fait remarquer :

Nous donnons notre appui à ceux qui préconisent la mise en œuvre d'un pacte culturel mondial, un nouvel instrument international pour la diversité culturelle, qui servirait de fondement juridique permanent au droit des États sur leur propre culture. Jusqu'à la mise en œuvre de cet instrument, le Canada doit se garder de prendre quelque engagement, dans ses négociations commerciales, qui porterait plus amples restrictions, directement ou indirectement, à notre droit d'adopter, de conserver ou de modifier des politiques dont nous avons besoin au Canada10.

D'autres témoins ont appuyé l'appel de la Fédération nationale des communications, qui estime que le Canada devrait tout simplement « dénoncer et rejeter toute entente économique internationale qui s'attaque au droit des États de déterminer seuls les règles de développement et de protection du secteur de la culture et des communications11 ». La SOCAN (Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) a affirmé au Comité que le gouvernement devait agir avec rapidité et prudence. Sa principale préoccupation était qu'un assouplissement des règles commerciales équivaille à l'ouverture d'une boîte de Pandore :

Par exemple, l'article 1106 de l'ALENA crée des obligations touchant les exigences d'exécution. La SOCAN s'oppose à l'article 1106 puisqu'il limite l'aptitude du Canada à développer sa propre économie grâce à des exigences d'exécution comme les règles qui ont trait au contenu canadien et qui obligent les investisseurs étrangers à embaucher des travailleurs canadiens et à utiliser des produits et services canadiens.

Sans l'exemption culturelle de l'ALENA, qui n'est pas une garantie absolue en soi, l'article 1106 interdirait l'application des règles sur le contenu canadien aux investisseurs américains. Cela pourrait beaucoup nuire aux membres de la SOCAN.

Jusqu'à présent, l'article 1106 n'a pas posé de problème puisque l'investissement étranger se limite pour le moment au secteur de la radiodiffusion. Le Comité doit donc nécessairement tenir compte du fait que les conséquences sur le contenu canadien qui résulteraient d'une ouverture du secteur canadien de la radiodiffusion aux investisseurs étrangers pourraient être considérables. Il est aussi important de souligner que les dispositions sur les différends investisseur-État pourraient exposer nos mesures de protection culturelle aux attaques des entreprises étrangères.

Étant donné les préoccupations que nous avons exprimées au sujet de la position du Canada devant l'OMC, nous croyons que les efforts en vue d'établir l'instrument international proposé pour protéger la diversité culturelle devraient être déployés de façon musclée et le plus tôt possible12.

De même, dans son mémoire au Comité, la Société Radio-Canada a fait remarquer ce qui suit :

Un élément important des futures négociations commerciales touchant les industries culturelles consistera à définir très clairement la nature du mandat de Radio-Canada ainsi que son financement. Sinon, le financement de Radio-Canada pourrait faire l'objet de sanctions commerciales13.

Depuis la fin des années 1990, le Réseau international sur la politique culturelle (RIPC), le Réseau international pour la diversité culturelle (RIDC) et d'autres intervenants travaillent à l'élaboration d'un nouvel instrument international sur la diversité culturelle qui engloberait les industries culturelles telle que l'industrie de la radiodiffusion. Le RIPC intervient au niveau des ministres de la Culture du monde entier, tandis que le RIDC et les autres parties agissent en tant qu'organisations non gouvernementales de la société civile. L'idée même d'un nouvel instrument international (parfois appelé convention ou traité) a été présentée par le Canada et provient du rapport du GCSCE. Nous résumons à la figure 17.2 les caractéristiques que devrait avoir le nouvel instrument, d'après le GCSCE.

Dans ses observations devant le Comité, la ministre du Patrimoine canadien a salué des pays en développement comme le Mexique et la Colombie, pour l'intérêt qu'ils portent aux questions touchant la radiodiffusion14. En mars 2001, le Groupe de travail sur la radiodiffusion dans l'environnement mondial du RIPC tenait sa première réunion, au cours de laquelle la discussion a porté sur un modèle de « communications durables qui est fondé sur les valeurs démocratiques et la liberté d'expression » et qui comporte diverses approches15.

Figure 17.2 - Un instrument international sur la diversité culturelle : à quoi servirait-t-il?

Le 2 novembre 2001, la Déclaration universelle sur la diversité culturelle a été adoptée dans le cadre de la 31e Conférence générale de l'UNESCO, qui s'est tenue dans la capitale française16. Par la suite, lors d'une rencontre tenue au Cap, en Afrique du Sud, du 14 au 16 octobre 2002, le RIPC a convenu que l'UNESCO était l'institut international approprié pour chapeauter et mettre en œuvre un instrument international sur la diversité culturelle17.

D'autres organisations, notamment la Francophonie (dont sont membres le Canada, le Québec et le Nouveau-Brunswick), ont fait des déclarations analogues et mis en place des mécanismes parallèles pour favoriser le progrès. La Déclaration de Beyrouth publiée par les pays de la Francophonie (Sommet de Beyrouth, du 18 au 20 octobre 2002) reprenait l'appel lancé au Cap :

Nous saluons l'adoption de la Déclaration de l'UNESCO sur la diversité culturelle. Nous appuyons le principe de l'élaboration d'un cadre réglementaire universel et nous sommes en conséquence décidés à contribuer activement à l'adoption par l'UNESCO d'une convention internationale sur la diversité culturelle18.

Pourtant, cette déclaration allait au-delà de l'approche du RIPC et rejetait toute solution passant par l'OMC ou d'autres accords commerciaux :

Nous estimons, dans les conditions actuelles, que la préservation de la diversité culturelle implique de s'abstenir de tout engagement de libéralisation à l'OMC en matière de biens et services culturels, et ce afin de ne pas compromettre l'efficacité des instruments visant à la promotion et au soutien de la diversité culturelle19.

Le 12 décembre 2002, le Comité a entendu les témoignages éclairés d'éminents spécialistes : M. Denny Gélinas (directeur général, ministère du Patrimoine canadien), M. Peter Grant (associé principal, McCarthy Tétrault), M. Ivan Bernier (professeur de droit, Université Laval), M. Robert Pilon (vice-président exécutif, Coalition pour la diversité culturelle), M. Ken Stein (président, GCSCE - Industries culturelles) et M. Garry Neil (coordonnateur, Réseau international pour la diversité culturelle).

Chacune de ces personnes pressait le Canada de continuer dans sa voie et, pour la plupart, elles soulignaient l'urgence d'agir sur la scène internationale. Les quatre grandes options présentées au Canada étaient les suivantes : continuer à travailler pour une approche reposant sur l'UNESCO, envisager l'inclusion de la culture dans les accords commerciaux, créer un instrument autonome sur la scène internationale et conserver les programmes nationaux conçus au Canada. Il est aussi possible que la solution retenue soit une combinaison de ces approches.

Le Comité loue les travaux du Réseau international sur la politique culturelle (RIPC), du Réseau international pour la diversité culturelle (RIDC), de la Coalition pour la diversité culturelle et d'autres intervenants visant à créer un nouvel instrument international sur la diversité culturelle. Il estime que cet instrument devrait jouer un rôle déterminant dans la protection de la souveraineté culturelle du Canada. C'est pourquoi il appuie fermement et loue les efforts déployés par le gouvernement, l'industrie et les associations de création du Canada afin de promouvoir des mesures internationales garantissant la possibilité pour les gouvernements nationaux d'adopter et d'appliquer des politiques culturelles sans ingérence découlant d'accords commerciaux. En conséquence :

RECOMMANDATION 17.1 :

Le Comité recommande que le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international maintienne la position du gouvernement fédéral qui vise à exclure la culture de toute négociation actuelle ou future concernant des accords commerciaux internationaux.

B. Coopération et coordination internationales en matière de réglementation de la radiodiffusion

Nonobstant l'assurance de la protection de notre souveraineté culturelle, le Comité signale que la scène internationale revêt une importance particulière pour la culture, notamment sur les plans de la coopération et de la coordination. Dans le contexte du système canadien de radiodiffusion, mentionnons à cet égard les ententes internationales de coproduction, l'établissement de normes techniques et les règles concernant l'investissement commercial20.

Les préoccupations des entreprises en matière de radiodiffusion portent surtout sur la souplesse dans un environnement mondialisé. CanWest Global a dit au Comité croire que les entreprises canadiennes devraient pouvoir regarder au-delà de nos frontières et être présentes dans le régime de radiodiffusion à l'échelon international. Sur ce point en particulier, un représentant disait au Comité que l'« établissement et l'évolution d'entreprises médiatiques canadiennes capables d'être concurrentielles, à l'échelle internationale, devraient constituer un but explicite de la politique gouvernementale... [et] permettre de jouir d'une plus grande souplesse dans les périodes de changement rapide21 ». D'autres, par exemple BCE, sont en faveur d'un assouplissement des règles du commerce international, tant que les Canadiens peuvent en tirer des avantages importants22. L'Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR) est du même avis, ajoutant qu'il est nécessaire de revoir les incitatifs à l'investissement et les ententes internationales, particulièrement en ce qui a trait aux coproductions, au développement et à la promotion23. Pour AOL Time Warner, il n'est pas nécessaire de conclure de nouveaux accords internationaux pour appuyer les infrastructures protectionnistes, car les progrès technologiques autorisent une plus large diffusion de divers documents audiovisuels canadiens : « Internet et les pressions mondiales en général ne menacent pas l'identité canadienne mais, en fait, sont à l'origine de niveaux plus élevés et plus efficaces d'expression et de contenu canadiens24 ».[Traduction]

Les préoccupations des créateurs et des groupes de la société civile contrastaient vivement avec celles du secteur privé. Pour eux, les promesses d'AOL Time Warner et d'autres intervenants ne sont pas particulièrement rassurantes. M. R.H. Thomson, qui a comparu avec l'ACTRA, a expliqué que son groupe ne s'opposait pas aux investissements étrangers et aux accords commerciaux à proprement parler, mais plutôt à l'effet antidémocratique de la délégation de pouvoirs à des organisations internationales ou à des propriétaires étrangers qui ne comprennent rien aux préoccupations culturelles du Canada. Un assouplissement des règles à suivre ne devrait pas être adopté avant d'avoir obtenu des garanties quant au maintien de la précieuse tradition canadienne d'intervention gouvernementale en faveur de l'intégrité culturelle. M. Thomson a déclaré ce qui suit :

Les politiques publiques [du Canada] sont de plus en plus menacées du fait des restrictions figurant dans les accords commerciaux internationaux. Ces restrictions sont le résultat des politiques de libéralisation du commerce ...

La conséquence politique de la libéralisation du commerce [...], c'est que les pouvoirs de mon gouvernement élu [...] sont diminués et que mon vote démocratique personnel perd de sa valeur.

La conséquence pour [un] artiste, c'est que les mesures culturelles que les gouvernements canadiens qui se sont succédés ont mises en place au cours des deux dernières générations, mesures qui ont été en grande partie responsables des magnifiques succès obtenus au niveau de l'écriture, de l'édition, de la radiodiffusion, de la production de films et d'émissions de télévision ainsi que d'autres entreprises artistiques, sont considérées par les partisans de la libéralisation du commerce comme des barrières commerciales ou des subventions faussant le jeu du commerce25.

En conséquence :

RECOMMANDATION 17.2 :

Le ministère du Patrimoine canadien devrait participer aussi activement que possible à toute discussion internationale sur la réglementation de la radiodiffusion.

Le Comité croit en outre que les intervenants de la société civile devraient participer à ce processus s'il y a lieu.

C. Diversité culturelle

Il est utile de signaler que le terme « diversité » a le même sens en anglais et en français. Le dictionnaire Oxford donne la définition suivante : « Being diverse, unlikeness : different kind, variety »; le Larousse définit la diversité comme suit : « caractère de ce qui est divers; variété. Différence, opposition ». Étant donné que le sens profond dans les deux langues officielles concerne la différence et la variété, il n'est pas étonnant que les témoins qui ont comparu devant le Comité aient utilisé le terme « diversité » de nombreuses façons différentes dans leurs propos concernant le système canadien de radiodiffusion. Ces diverses perspectives peuvent donc être réparties en différentes catégories aux fins de la discussion : diversité des points de vue, diversité de la représentation et diversité des sources.

Ce que les témoins ont dit

Lorsque M. John Meisel, éminent universitaire et ancien président du CRTC, a pris la parole devant le Comité, il a insisté sur la nécessité pour notre système de radiodiffusion de présenter une diversité de points de vue et il a mentionné deux approches relatives à la diversité culturelle :

La culture des arts au Canada et les cultures liées aux différents styles de vie. Même si l'alinéa 3(1)d) [de la Loi sur la radiodiffusion] ne les englobe pas de façon explicite, il ne fait aucun doute qu'il insiste pour que la radiodiffusion en tienne compte.

La culture des arts, où j'inclus la culture tant élitiste que populaire, est extrêmement variée au Canada, mais elle est traitée de façon très inégale à la radio et à la télévision. Certains genres bénéficient d'une couverture et d'une attention exhaustives, alors que d'autres sont à peu près invisibles et inaudibles. La diversité, ou la divergence si vous préférez, est horriblement négligée, et elle ne devrait pas l'être. Il n'existe pas de MusiquePlus pour les menuets.

Par la culture du style de vie, j'entends l'ensemble des valeurs et des comportements de toutes sortes de groupes liés par leurs activités professionnelles, leurs efforts à l'échelle locale, leurs loisirs et d'autres liens qui font que ces groupes ont des expériences communes et ont souvent un sentiment d'appartenance. On parle par exemple de la culture des affaires, de la culture sportive, de la culture universitaire et de la culture des entreprises. Il est frappant de constater comme le monde de la radiodiffusion accorde énormément de temps à certaines de ces cultures, la sportive par exemple, et qu'il n'accorde presque pas de temps à d'autres. On n'a qu'à voir comme les questions de religion sont importantes pour un grand nombre de Canadiens et comme elles retiennent peu l'attention du monde de la radiodiffusion. Peut-on dire que la couverture des multiples questions de spiritualité s'approche le moindrement, sur le plan de l'efficacité, de celle du sexe ou de la consommation d'automobiles ou d'aliments vides26?

D'autres témoins ont développé cette définition. Par exemple, M. Will Straw, professeur de l'Université McGill, a déclaré qu'une augmentation du nombre de sources d'émissions différentes favoriserait la diversité des points de vue :

À mon avis, la diversité, cela ne consiste pas pour nous à réaliser des émissions télévisuelles où toutes les voix sont représentées, mais il s'agirait plutôt d'accueillir au Canada une palette beaucoup plus large de sources d'émissions27.

Abondant dans le même sens, Mme Deanie Kolybabi, Aboriginal Peoples Television Network, a déclaré au Comité :

Je suis d'accord pour dire que la diversité culturelle est en grande partie représentative de pratiques et croyances diverses qui émanent de l'expérience humaine au niveau du patrimoine, de l'âge, du sexe, de la spiritualité—au fond, de nos origines28.

Lors de sa comparution devant le Comité, M. Matthew Fraser, professeur de l'Université Ryerson, a fait remarquer qu'il importe de reconnaître les différences générationnelles qui façonnent nos points de vue sur la culture et la diversité. Il a expliqué ce qui suit :

En ce qui concerne la diversité en général, j'inviterais les membres du comité à venir à Ryerson, où j'enseigne, pour parler à mes étudiants, qui ont 18, 19, 20, 21 et 22 ans, et leur demander quels médias ils consomment. Le débat actuel est ni plus ni moins à mon avis un débat générationnel, et à 44 ans, je m'inclus dans la génération des plus vieux. Le plus souvent, les élites d'aujourd'hui sont aussi de cette génération, ou d'une génération encore plus vieille29.

Enfin, la plupart des témoins qui ont comparu devant le Comité dans le cadre des audiences sur la propriété étrangère et croisée des médias ont également mentionné l'importance d'avoir une diversité de propriétaires pour assurer une diversité de points de vue au sein du système canadien de radiodiffusion. Le chapitre 11 donne des précisions sur cette question.

En plus de souligner l'importance d'avoir accès à une vaste gamme de points de vue, les témoins ont parlé de la nécessité d'avoir une représentation variée. Cette question s'apparente à celle du reflet régional et local au sein du système de radiodiffusion. Dans ce cas, toutefois, il faut déterminer si les émissions que produisent et regardent les Canadiens reflètent ou représentent divers groupes ethniques et raciaux. Le sous-alinéa 3(1)d)(iii) de la Loi sur la radiodiffusion porte que le système canadien de radiodiffusion devrait :

... par sa programmation et par les chances que son fonctionnement offre en matière d'emploi, répondre aux besoins et aux intérêts, et refléter la condition et les aspirations, des hommes, des femmes et des enfants canadiens, notamment l'égalité sur le plan des droits, la dualité linguistique et le caractère multiculturel et multiracial de la société canadienne ainsi que la place particulière qu'y occupent les peuples autochtones.

C'est donc dans l'esprit de cette exigence que plusieurs témoins ont soulevé la question de la représentation.

Les préoccupations relatives à la diversité de la représentation s'apparentaient à celles qu'avaient de nombreux témoins au sujet du reflet communautaire et local. Par exemple, les médias nous présentent-ils nos points de vue et une image de nous-mêmes? Y a-t-il des entrevues, des histoires et des articles qui sont réalisés par des personnes provenant de divers groupes et qui portent sur ces personnes?

Le professeur Karim Karim de l'Université Carleton est peut-être celui qui a expliqué le plus simplement le problème lorsqu'il a déclaré ce qui suit au Comité :

Pour ce qui est de la diversité culturelle et de la signification qu'on peut lui donner, la façon dont j'envisage la chose dans ce contexte, c'est qu'au niveau de la radiodiffusion, nous en sommes peut-être arrivés à voir cette diversité comme la présence matérielle à la télévision ou à la radio de différents groupes qui vivent au Canada. Et ce n'est peut-être pas là la solution complète au problème selon le point de vue qui en a été donné dans la [L]oi. Pour commencer, dans toutes sortes d'émissions différentes, on semble trouver de façon prépondérante tel ou tel groupe ethnique. Dans la publicité par exemple, pour une raison qui m'échappe, on voit rarement des Latino-Américains, des Arabes ou des Asiatiques30.

Ce qu'il voulait ainsi souligner, c'est le fait que nous voyons « rarement » certains groupes ou genres de personnes.

Mme Deanie Kolybabi a signalé la portée de cette réalité pour l'APTN : « Dans le cas de l'APTN, c'est tout un défi, puisque nous avons quelque 58 différentes cultures à qui nous nous adressons, même s'il s'agit de notre propre culture, notre culture autochtone31 ».

Adoptant un autre point de vue, Mme Rebecca Sullivan, professeur de l'Université de Calgary, a déclaré ce qui suit au Comité :

Je voudrais aller un petit peu plus loin dans cette notion de diversité culturelle pour évoquer des choses comme la religion, comme le signalait John Meisel, la sexualité et l'affinité sexuelle, ainsi que les classes et l'économie. Lorsque nous parlons de diversité et que nous y intégrons cette notion de culture, nous avons tendance à esquiver certains des problèmes pourtant bien réels d'inégalités sociale, politique et économique, problèmes pas uniquement dus à la façon dont ces différentes cultures sont représentées, mais plutôt à la possibilité pour ces groupes d'avoir leur juste part des ondes32.

Pour illustrer son propos, elle a parlé de la façon dont le service spécialisé PrideVision a d'abord été offert aux abonnés du câble de Calgary :

Au moment de la conversion au numérique, PrideVision n'a pas reçu le même accès que toutes les autres stations, et s'il n'a pas reçu le même accès que les autres stations, c'était prétendument pour des raisons de normes communautaires. En d'autres termes disait Shaw, nous ne répondons qu'aux besoins culturels de notre auditoire. Si un téléspectateur voulait avoir PrideVision dans son abonnement de base, il devait téléphoner. [...] Il fallait donc sans cesse demander ce service, alors que toutes les autres stations étaient considérées comme bien canadiennes en ce sens qu'elles n'offensaient pas les normes communautaires. Eh bien, que nous le voulions ou non, ce genre de traitement est basé sur un préjugé33.

Mme Cynthia Reyes, vice-présidente, ProMedia International Inc., a également traité de l'importance de respecter les besoins culturels de l'auditoire. Elle a mentionné au Comité que, lorsque son entreprise a interrogé plus de 300 Canadiens au sujet des médias canadiens, de nombreux interlocuteurs :

... dont un bon nombre venaient de minorités culturelles, [ont déclaré se sentir] isolés des grands médias. Quelle que soit leur origine, ils se sentaient tous totalement exclus des grands médias. Ils ont l'impression d'être d'un côté et les médias de l'autre, sans que le courant passe34.

Par contre, elle a ajouté ce qui suit :

Il faut cependant reconnaître, lorsqu'on examine les émissions d'actualité diffusées aujourd'hui au pays, que les choses commencent à bouger. Nous ne savons pas dans quelle mesure cette situation s'explique par les nouvelles conditions appliquées au renouvellement des licences par le CRTC ou si c'est parce que les gens se rendent mieux compte des possibilités qui s'offrent à eux. Il se passe cependant quelque chose, nous tenons à le signaler35.

Pour sa part, M. Hamlin Grange, président, ProMedia International Inc., a ajouté ce qui suit :

Il y a un besoin fondamental de recherches et d'information en matière de politiques publiques permettant de refléter pleinement la diversité culturelle et sociale dans le monde de la radiodiffusion. Il faut par exemple pouvoir disposer de données nouvelles et exactes, tant sur le plan qualitatif que quantitatif, sur l'utilisation des médias par les groupes ethniques36.

Enfin, certains témoins ont laissé entendre que le fait d'avoir un grand nombre de sources différentes de produits culturels (p. ex., films et émissions de télévision) assurait en partie la diversité culturelle. M. Will Straw a bien exprimé ce point de vue particulier :

La diversité est devenue à mon avis quelque chose de très intéressant. Ce n'est pas simplement une question de diversité de choix, c'est plutôt une question de diversité de source.

Je dirais d'ailleurs que la production américaine et ses auditoires sont de plus en plus fragmentés. Le pôle a disparu. Les enfants qui vont à l'école ne parlent plus de la même émission qu'ils ont regardée la veille parce qu'ils regardent tous des émissions différentes. Les gens qui nous arrivent d'autres pays apportent avec eux leurs vieux films, leur musique et ainsi de suite. Plus nous permettons à tous ces éléments culturels de pénétrer chez nous, plus nous faciliterons la création d'une nouvelle version de la culture canadienne qui sera davantage planétaire mais qui sera aussi de moins en moins américaine.

Je pense que c'est un genre de compromis. Il est impossible de recentrer davantage la culture canadienne en espérant que tout le monde va regarder Les filles de Caleb ou que sais-je encore, mais nous pouvons néanmoins rendre très différente de la culture américaine cette variété très riche de la culture canadienne, et c'est cela qui sera notre force. Je pense que c'est également cela qui fera du Canada un endroit extrêmement intéressant37.

Autrement dit, le Canada se trouve dans une situation particulière. Selon M. Straw, en ouvrant nos portes à une vaste gamme de sources, nous n'affaiblirions pas la diversité culturelle, mais la renforcerions. Et notre culture en serait plus riche — elle serait plus réceptive au monde et moins attirée par la programmation américaine.

Solutions possibles

Dans l'ensemble, les témoins avaient des avis partagés quant à ce qu'il faudrait faire pour encourager le système canadien de radiodiffusion à refléter et à représenter les Canadiens, plus particulièrement compte tenu de la grande variété de types et de groupes de personnes au Canada. Plusieurs témoins à qui on a demandé directement dans quelle mesure le système canadien de radiodiffusion avait « renforcé la structure culturelle, politique, sociale et économique du Canada » ont rapidement laissé entendre que c'était une réussite. Par exemple, M. John Meisel a déclaré ce qui suit au Comité :

Je crois que la Loi sur la radiodiffusion a connu un très grand succès. J'essaie d'imaginer à quoi le Canada ressemblerait sans cette loi. Sans cette loi, notre industrie serait une réplique parfaite de l'industrie américaine, sans plus. Donc je crois qu'en ce sens, la loi a donné de très bons résultats.

Il subsiste certaines lacunes, mais on note avec intérêt ici que ces lacunes sont largement causées par le fait que le système de radiodiffusion représente trop bien la communauté canadienne. Ce qui manque dans le système de radiodiffusion, ce sont aussi les éléments qu'on oublie ailleurs au pays38.

De même, M. Karim Karim a déclaré au Comité :

... dans l'ensemble, la loi semble donner les résultats escomptés. Je constate qu'il y a une diversité remarquable dans ce qu'offre notre univers à 200 canaux. J'ignore le nombre des autres pays qui offrent cette diversité.

Mme Rebecca Sullivan a exprimé sensiblement la même opinion lorsqu'elle a déclaré :

Nous avons toujours partagé cette angoisse collective constante au sujet de la radiodiffusion canadienne, mais je trouve que le Canada est bien loin de faire piètre figure. [...] Nous diffusons les émissions les plus ouvertes et les plus diversifiées au monde39.

Par contre, de nombreux témoins ont signalé un certain nombre de problèmes différents, mais connexes, concernant les approches actuelles et éventuelles à l'égard de la diversité et de la propriété. C'est ce qui a incité M. Kirk Lapointe à dire au Comité qu'il aurait du mal à trouver une solution universelle. Il a donné l'explication suivante :

... il est très difficile de relever le défi de la diversité. On n'y arrive pas en un temps deux mouvements. Il ne s'agit pas de fixer des objectifs quantitatifs, d'adopter certaines méthodes de recrutement et de promotion et de suivre les progrès obtenus. C'est un processus quotidien, méthodique et lent, auquel tous les membres de l'organisation doivent participer sans y être forcés, pour créer un média plus perfectionné40.

D'autres témoins ont convenu qu'une approche simple ne fonctionnera vraisemblablement pas. M. Bart Beaty, professeur de l'Université de Calgary, a déclaré ce qui suit au Comité :

L'un des problèmes que pose la diversité culturelle, c'est que nous avions jadis tendance à penser qu'il est possible de faire en sorte que les chaînes réservées par le CRTC aux voix minoritaires... qu'il est possible d'en faire une solution parfaite. Nous pensions pouvoir faire de cette chaîne un médium s'adressant de façon parfaite à une composante bien délimitée de la population canadienne, un médium qui donnerait à cette population l'image exacte de ce qu'elle veut voir à la télévision et de la façon dont elle veut être entendue. Mais je ne pense pas que ce soit vrai41.

Même si certains témoins étaient d'accord avec l'idée d'une plus grande diversité de sources, au moins deux témoins ont signalé qu'il y aurait des problèmes importants si l'ensemble du système de radiodiffusion avait comme but ultime la diversité sans porter attention à d'autres questions. Par exemple, Mme Deanie Kolybabi a déclaré au Comité :

Si en fait nous allons envisager une programmation culturellement diverse, nous devons au départ, je crois, nous interroger sur les instruments de mesure qu'on utilise pour juger ces programmes, ces initiatives et même ces réseaux42.

Elle a poursuivi en faisant remarquer que les fonds d'appui aux émissions (p. ex., Téléfilm et le FCT) « accordent une grande importance aux cotes Nielsen et BBM43 » et que, ces cotes n'évaluant pas véritablement les auditoires autochtones, l'APTN s'en trouve défavorisé lorsqu'il présente une demande de financement. Elle a terminé en disant :

Quand on adhère à la diversité, il faut bien prendre garde que nos attentes ne soient pas exagérées, ce qui ferait du tort au modèle d'entreprise dont ces émissions et ces réseaux ont besoin pour survivre44.

Le modèle d'entreprise était aussi présent à l'esprit d'un autre témoin, M. Kirk Lapointe, lorsqu'il a répondu à la question d'un membre du Comité concernant la viabilité financière de l'industrie au cours des cinq ou dix prochaines années. M. Lapointe a déclaré :

Je sais que c'est un équilibre délicat qu'il faut maintenir, qu'il ne suffit pas de laisser entrer au pays toute la programmation qui n'est pas assortie des mêmes conditions que celles que nous imposons aux entreprises de radiodiffusion canadiennes.

Une telle approche serait désastreuse. Cela servirait peut-être minimalement les intérêts des consommateurs, mais nous mènerait progressivement vers une perte de qualité, laquelle est déjà mise à mal, dans la programmation canadienne. Il en résultera tout simplement que les ressources affectées aujourd'hui ne seront plus disponibles dans les années à venir. L'équation est très simple.

Je ne comprends pas pourquoi on raisonne de façon circulaire à ce sujet. Il me semble que l'on perd de vue l'essentiel, à savoir, l'état de la radiodiffusion au sens traditionnel dans notre pays à l'heure actuelle, et les défis qui vont se poser au cours des cinq ou dix prochaines années. Si nous permettons que l'industrie soit menacée davantage, nous mettrons en péril le peu de programmation proprement nationale qui nous reste45.

M. Bart Beaty a également présenté plusieurs observations qui vont dans le sens des préoccupations de M. Lapointe quant à la capacité du système de radiodiffusion de continuer à offrir des émissions canadiennes autochtones. Il a expliqué ce qui suit :

[...] la technologie va évoluer assez rapidement. Par exemple, on commence à constater l'arrivée sur le marché de magnétoscopes numériques [...] Ils permettent aux auditeurs de choisir des émissions plutôt que des canaux. Dans dix ans, les émissions auront beaucoup plus d'importance que les canaux. [...]

Si nous voulons que l'industrie soit viable à l'avenir pour offrir du contenu canadien, il faudra offrir les subsides qui existent déjà et les étoffer encore, les donner à ceux qui travaillent à ces émissions plutôt qu'aux canaux46.

Bref, le Comité a entendu des témoins qui ont présenté des arguments probants concernant la réussite de la politique canadienne de radiodiffusion et de l'approche à l'égard de la diversité, mais il a aussi entendu des témoignages concluants au sujet de la nécessité de veiller à ce que les attentes de la politique — énoncée dans la Loi sur la radiodiffusion — soient remplies.

Le sous-alinéa 3(1)d)(iii) de la Loi prévoit notamment que « le système canadien de radiodiffusion devrait, [...] par sa programmation et par les chances que son fonctionnement offre en matière d'emploi (l'italique est de nous), répondre aux besoins et aux intérêts et refléter, [entre autres choses], le caractère multiculturel et multiracial de la société canadienne ». Des témoins ont laissé entendre que cela ne correspond pas nécessairement à la réalité. Par exemple, Mme Cynthia Reyes a déclaré au Comité :

Des professionnels indépendants, ceux qui ne travaillent pas à l'intérieur des médias et qui s'efforcent de faire passer leurs idées ou de passer eux-mêmes dans les médias [...] nous ont dit qu'il y avait une culture et une langue dominante ainsi qu'un réseau d'opérateurs à l'intérieur des médias qui les maintenaient à l'écart parce qu'ils n'en faisaient pas partie. Ils nous ont dit que ce n'est pas à l'intérieur des grandes organisations qu'ils obtenaient leurs qualifications mais que, même lorsqu'ils devenaient des professionnels chevronnés ayant une solide qualification et une grande expérience, on ne leur offrait que des postes de stagiaire ou de débutant. On ne prenait pas en compte leur candidature à des postes supérieurs ou même intermédiaires dans les grandes organisations des médias47.

Le Comité fait remarquer que la Loi sur la radiodiffusion contient également une gamme de dispositions stratégiques visant à accroître la diversité du système canadien de radiodiffusion et qu'il a entendu des témoignages probants concernant l'importance d'assurer le respect de ces dispositions. Un grand nombre des recommandations du présent rapport portent sur différentes mesures pour assurer la diversité. Par exemple, celles qui visent à donner à un contrôleur de la radiodiffusion canadienne (chapitre 19) le mandat d'examiner la situation générale du système de radiodiffusion, à demander au CRTC de réexaminer où se situent les radiodiffuseurs publics tels que l'APTN et Vision TV dans les listes de services de la câblodistribution et de la distribution par satellite (chapitre 7) et à créer un Programme de radiodiffusion locale (chapitre 9) qui favoriserait les initiatives locales pourraient toutes encourager une plus grande diversité au sein du système. Le Comité recommande également, au chapitre 18, que la nomination des membres du CRTC et du conseil d'administration de la SRC reflète une plus grande variété de points de vue et d'expériences, tandis qu'au chapitre 16, il propose que les entreprises de distribution de radiodiffusion du Canada soient autorisées à offrir plus de canaux qui intéresseraient les populations multiraciales et multiculturelles du pays.

Le Comité voudrait toutefois ajouter au contenu de ces recommandations en demandant un financement accru pour faire en sorte que les dispositions de la Loi sur la radiodiffusion concernant la diversité puissent être respectées. En effet, le Comité estime qu'il est essentiel que des mesures soient prises pour que la diversité demeure un principe fondamental du système canadien de radiodiffusion et de sa programmation. Par conséquent :

RECOMMANDATION 17.3 :

Le Comité est en faveur d'une augmentation du financement accordé aux initiatives visant à accroître la diversité de la radiodiffusion canadienne. Le CRTC, la SRC et le Fonds canadien de télévision devraient rechercher des moyens pour faire en sorte que leurs politiques et leurs procédures reflètent la nécessité d'accroître la diversité.

Notes en fin de chapitre

1Dans le cadre de son étude sur le système canadien de radiodiffusion, le Comité a tenu une série de réunions d'experts sur la diversité culturelle à l'automne 2002. Pour en savoir plus sur le mandat de ces groupes d'experts, voir l'annexe 15.
2La décision finale, après appel, a été rendue en 1999.
3Conférence canadienne des arts, Mémoire, p. 12.
4Pierre Curzi (président, Union des artistes). Séance du Comité permanent du patrimoine canadien, 16 avril 2002.
5AOL Time Warner Inc., Mémoire, p. 15.
6Association canadienne des distributeurs de films, Mémoire, p. 7.
7Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 21 mai 2002.
8Voir l'avis public CRTC 1994-61.
9Canadian Independent Record Production Association, Mémoire, p. 3.
10Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists, Mémoire, p. 4.
11Fédération nationale des communications, Mémoire, p. 23.
12Paul Spurgeon (vice-président, Services juridiques et chef du contentieux, Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique). Séance du Comité permanent du patrimoine canadien, 21 mai 2002.
13Société Radio-Canada. Mémoire, p. 60.
14Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 8 novembre 2001.
15Conclusions du président, http://206.191.7.19.
16Pour en savoir plus, consulter le site www.incp-ripc.org.
17C'était là une option clé recommandée par l'Équipe spéciale chargée des recherches politiques sur les questions de régie du RIPC : l'UNESCO semblerait être l'agence repère « naturelle » où pourrait reposer cet instrument à moyen ou à long terme. L'Équipe estimait qu'il était trop difficile de l'intégrer à l'OMC et l'éventualité d'une entente autonome posait un risque, en raison d'un manque de fonds et surtout, de la « masse critique insuffisante » des pays signataires. Voir http://206.191.7.19. On trouvera également la version provisoire d'une convention/instrument international sur la diversité culturelle à l'adresse http://206.191.7.19.
18Déclaration de Beyrouth, IXe Conférence des chefs d'État et de gouvernement des pays ayant le français en partage, 20 octobre 2002.
19Ibid.
20La question des coproductions est traitée aux chapitres 5 et 8 et celle de l'investissement étranger, analysée au chapitre 11.
21Leonard Asper (président et directeur général, CanWest Global Communications Corp.) Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 1er mars 2002.
22Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 7 mai 2002.
23Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 21 mars 2002.
24AOL. Mémoire, p. ii.
25Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 9 mai 2002.
26Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 21 novembre 2002.
27Ibid.
28Deanie Kolybabi (directrice, Développement stratégique et marketing, Aboriginal Peoples Television Network). Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 21 novembre 2002.
29Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 26 novembre 2002.
30Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 21 novembre 2002.
31Ibid.
32Ibid.
33Ibid.
34Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 9 mai 2002.
35Ibid.
36Ibid.
37Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 21 novembre 2002.
38Ibid.
39Ibid.
40Ibid.
41Ibid.
42Ibid.
43Ibid.
44Ibid.
45Ibid.
46Ibid.
47Réunion du Comité permanent du patrimoine canadien, 9 mai 2002.