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HERI Rapport du Comité

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CONTEXTE

Chapitre 2
Historique de la réglementation

Dès le tout début de la Confédération, compte tenu de l'immensité du territoire canadien, des longs hivers et de la population éparpillée, il a fallu établir un réseau de communication élaboré. Les imprimés et les chemins de fer ont d'abord rempli cette fonction. Plus tard, le télégraphe et le téléphone se sont ajoutés. Au début du XXe siècle, ce fut la radio, suivie de la télévision dans les années 1950 et, depuis le milieu des années 1990, d'Internet. Au fil des années, le système de radiodiffusion du Canada est devenu un des principaux moyens permettant aux Canadiens de nourrir leur sentiment d'appartenance communautaire. En même temps, l'infrastructure de radiodiffusion canadienne est devenue une industrie multimilliardaire offrant des occasions inestimables à des dizaines de milliers de Canadiens dans d'innombrables secteurs de la radiodiffusion, des télécommunications et de la technologie.

L'infrastructure physique complexe du système de radiodiffusion du Canada que les fiduciaires ont mis sur pied pour dispenser les services de radio et de télévision aux publics potentiels, constitue un point fort du système. Son point faible a toujours été la quantité de programmes originaux canadiens écrits et produits par des Canadiens, pour les Canadiens.

Certains font valoir que l'absence de programmes canadiens appropriés et l'omniprésence de la programmation populaire américaine nuisent grandement aux intérêts sociaux, culturels, économiques, publics et nationaux des Canadiens. Pour cette raison, les gouvernements successifs ont établi et financé depuis plus de 70 ans un radiodiffuseur public, une industrie de production indépendante et un organisme de réglementation autonome pour superviser les pratiques et les activités des entités qui dispensent nos services de programmation.

L'avènement de la radio a suscité au moins autant d'engouement que l'établissement du réseau ferroviaire. Les communautés étaient dorénavant en mesure d'échanger de l'information sur de grandes distances sans avoir à se préoccuper de l'état des routes, des chemins de fer ou de la température. Il suffisait d'avoir l'électricité — un cristal au tout début — et plus tard, un récepteur radio à quatre ou cinq lampes.

Dès le début, les avantages des émissions radiophoniques étaient perçus comme énormes. En effet, la Commission Aird de 1928-1929 croyait que :

... la radiodiffusion doit représenter une importance telle pour promouvoir l'unité de la nation qu'une subvention par le gouvernement du Dominion doit être considérée comme une aide essentielle à l'avantage général du Canada plutôt qu'une mesure de circonstance pour compenser tout déficit dans le coût de maintien du service1.

La remarque suivante a été faite :

... Nous sommes frappés par les potentialités de la radiodiffusion comme instrument d'éducation; éducation au sens large, non pas telle qu'on l'entend dans les écoles et les collèges; une éducation qui divertit et informe le public sur les questions d'intérêt national2.

Ainsi, l'éducation, l'information, le divertissement et l'unité nationale étaient les principales raisons pour lesquelles la Commission Aird a recommandé la création d'un radiodiffuseur public national. Et ce sont ces mêmes motivations qui ont éclairé chaque examen canadien de la radiodiffusion depuis cette époque.

Par exemple, en 1932, le premier ministre R.B. Bennett évoquait une :

... association solide fondée sur une entente claire et amicale, résultant d'une connaissance mutuelle plus intime. À ce stade de notre développement national, nous affrontons des problèmes particuliers que nous devons résoudre par tous les moyens à notre disposition. La radio a un rôle à jouer dans la solution. [...] C'est donc le devoir du Parlement de la sauvegarder, de façon que l'ensemble de la population bénéficie de ses services3.

Dans le même ordre d'idées, la Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, des lettres et des sciences au Canada (Commission Massey-Lévesque) a conclu en 1951 que :

Depuis vingt ans, le Canada ne s'est pas écarté du principe selon lequel la radiodiffusion est une institution de responsabilité publique [par conséquent] à notre avis, la radiodiffusion est, au Canada, un service d'État dirigé et régi dans l'intérêt public par un organisme comptable au Parlement4.

Près de 20 ans plus tard, en 1970, le rapport du Comité spécial du Sénat sur les moyens de communications de masse a conclu que :

... les radiodiffuseurs utilisent la propriété publique pour transmettre leurs signaux sur les ondes et les Canadiens ont le droit de s'attendre à ce que les radiodiffuseurs utilisent la politique publique pour renforcer notre culture plutôt que de la diluer5.

Ce point de vue a été confirmé par le groupe de travail de 1986 sur la radiodiffusion canadienne lorsqu'il a été affirmé que :

Ceux à qui l'on accorde le droit d'utiliser les fréquences radio doivent assumer une responsabilité importante. Ils doivent contribuer à la diffusion de la culture canadienne, une tâche inhérente au privilège qu'ils reçoivent comme fiduciaire public représentant les Canadiens6.

Dix ans plus tard, le rapport du Comité d'examen des mandats en est arrivé à une conclusion semblable en faisant valoir que :

Nous avons besoin d'émissions et de films qui permettent à nos citoyens de se comprendre les uns les autres, de développer une conscience nationale et communautaire pour nous aider à façonner nos solutions aux problèmes sociaux et politiques et d'inspirer l'imaginaire de nos enfants et d'exprimer leur espoir7.

Il est étonnant de noter que la Commission Aird avait fait valoir le même
point — mais de façon plus provocante — en 1929 lorsqu'elle a fait remarquer que :

... la majorité des émissions entendues proviennent de sources extérieures au Canada. Il a été porté à notre attention que la réception continue de ces émissions a tendance à mouler l'esprit des jeunes gens chez eux à des idéaux et à des points de vue qui ne sont pas canadiens8.

Ainsi, même si toutes les études de la radiodiffusion n'ont pas nécessairement employé l'expression « fiducie publique », il est certain qu'elles ont constamment souscrit à la vision d'un système de radiodiffusion qui sert les intérêts publics de tous les Canadiens. Il est donc à la fois approprié, et quelque peu troublant, de constater que le rapport de la Commission royale de la radiodiffusion de 1929 — qui ne compte que neuf pages et 19 pages d'annexes — semble tout aussi pertinent aujourd'hui, soit plus de 70 ans après qu'il a été écrit.

Ceci étant dit, le Comité permanent du patrimoine canadien se situe dans un monde beaucoup plus complexe que ce que nos prédécesseurs auraient pu imaginé. Il est donc inévitable que le rapport du comité ne soit pas aussi concis que le rapport Aird l'était en 1929, mais cela ne l'empêche pas d'être aussi osé et provocateur.

Les sections suivantes décrivent brièvement les circonstances sous-jacentes à la législation qui a établi la radiodiffusion au Canada comme une fiducie publique9. Comme on le verra, cette évolution s'est produite en une série d'étapes déclenchées par une succession d'études gouvernementales et de lois du Parlement. De courtes biographies des principales personnes qui ont contribué au processus ponctuent le présent rapport afin d'ajouter une dimension humaine à ce qui ressemblerait, autrement, à une simple énumération de rapports déjà publiés10.

Les débuts : 1913-1928

En vertu de la Loi du radiotélégraphe de 1913, un ministre du gouvernement était autorisé à délivrer un permis aux radiodiffuseurs et à exiger des frais peu élevés pour chaque appareil récepteur. À compter de 1922, l'administration de la radio relevait uniquement de la Direction générale de la radio du ministère de la Marine et des Pêcheries. À ce moment-là, la radiodiffusion, sauf dans l'armée, relevait généralement du secteur privé et était utilisée par les amateurs, les diffuseurs commerciaux et les groupes sans but lucratif. La programmation populaire comprenait de la musique, les nouvelles, les bulletins météorologiques, les sports, les divertissements et les événements en direct. Le réseau radiophonique exploité par les Chemins de fer nationaux du Canada (CN) était le seul à l'époque à diffuser à l'échelle nationale.

Dès 1928, 68 stations de radio et plus de 400 000 récepteurs à pile étaient exploités au Canada, y compris CKUA, le premier radiodiffuseur éducatif. Les frais de permis pour les récepteurs radios étaient d'un dollar et très peu de règlements limitaient le contenu des émissions.

CKUA : premier radiodiffuseur
éducatif au Canada

En 1925, le département d'éducation à distance de l'Université de l'Alberta a commencé à diffuser des émissions sur CJCA, la station de radio du Edmonton Journal. Ces émissions comportaient de courts exposés de professeurs en études classiques, en histoire et en sciences politiques, des enregistrements de musique d'orchestre accompagnés de commentaires, et de musique interprétée en directe. Le gouvernement provincial a accordé une subvention de 700 $ en 1926 pour construire un transmetteur sur le campus. Un an plus tard, l'université a mis sur pied la station de radio CKUA pour diffuser des programmes éducatifs. CKUA a non seulement été le premier radiodiffuseur éducatif canadien, mais il aussi devancé de cinq ans la SRC.

Propriété publique et réglementation gouvernementale : 1928-1936

Comme il a déjà été mentionné, le gouvernement fédéral a lancé une Commission royale de la radiodiffusion en 1928 pour étudier l'état du système de radiodiffusion canadien. Présidée par Sir John Aird, la Commission avait le mandat officiel de déterminer comment la radiodiffusion au Canada pouvait être réalisée dans l'intérêt des auditeurs canadiens et dans l'intérêt national du Canada11. La Commission devait également « soumettre des vœux quant à l'avenir, à l'administration, à la direction, au contrôle et aux finances de ladite industrie »12.

La Commission royale de la
radiodiffusion de 1928

Dans son rapport, la Commission recommandait qu'un organisme public réglemente les radiodiffuseurs privés et diffuse ses propres émissions. Par suite de ces recommandations, la Commission canadienne de radio-diffusion (CCRD), ancêtre de la Société Radio-Canada, a vu le jour en 1932. Les membres de la Commission étaient sir John Aird, Charles Bowman et Augustin Frigon.

Sir John Aird (1855-1938) a été nommé à la tête de la Commission royale en 1928. Charles Bowman, éditeur du Ottawa Citizen, était un fervent défenseur de la radiodiffusion publique. Il avait visité la British Broadcasting Corporation (BBC) en 1926 et milité en faveur d'un système supervisé par Ottawa.

Tout au long de sa carrière d'ingénieur électrique et de directeur général de l'éducation technique au Québec, Augustin Frigon a aidé à façonner la radiodiffusion publique canadienne. Il s'est battu pour donner un rôle important au gouvernement provincial dans la radiodiffusion. En 1936, il est devenu directeur général adjoint de la SRC, chargé du développement technique de la Société, et, en 1943, directeur général. Dans le cadre de ses fonctions, il a mis en œuvre le plan proposé dans le rapport Aird, mis sur pied de nouveaux services de radio comme le réseau FM, le service international et les ondes courtes, ce qui a permis à la Société de se bâtir une réputation enviable auprès de la communauté internationale de la science de la radiodiffusion. Pendant la guerre, M. Frigon a aussi participé au débat pour savoir si la SRC devait donner du temps d'antenne aux deux groupes pendant le plébiscite sur la conscription. Il a donc joué un rôle majeur dans le développement de la Société Radio-Canada.

L'interférence de signaux et la surcharge des ondes, faute d'une gestion adéquate du spectre, étaient certaines des raisons de la mise sur pied de la Commission Aird. Toutefois, le nombre disproportionné de Canadiens qui recevaient et qui écoutaient des signaux américains, un phénomène qui, en plus de ralentir le développement de la radio canadienne, avait, comme il a déjà été mentionné, tendance à mouler l'esprit des jeunes gens chez eux aux idéaux et opinions qui n'étaient pas canadiens, constituait une préoccupation prédominante14.

Graham Spry (1900-1983) a été toute sa vie un fervent défenseur de la radiodiffusion publique. Il a fondé avec Alan Plaunt la Canadian Radio League en 1930. Il a joué un rôle important pour mobiliser l'opinion publique et politique en faveur de la radiodiffusion publique au Canada.

Il a été président de la Canadian Radio League de 1930 à 1934, puis de la Canadian Broadcasting League de 1968 à 1973. La Canadian Radio League a milité pour l'application de la recommandation générale de la Commission royale sur la radiodiffusion de 1929, à savoir la création et l'exploitation par l'État d'un système national.

Un autre sujet de préoccupation pour bien des gens de cette époque était l'accessibilité inégale aux services et aux programmes canadiens dans les diverses régions du Canada. La Commission Aird a reconnu ce problème et a affirmé que « dans un pays aussi étendu que le Canada, la radiodiffusion deviendra sans aucun doute un puissant facteur dans l'épanouissement du sentiment national et du civisme »15. Le rapport a donc proposé la création d'un diffuseur public national, semblable à la BBC. Seulement de cette façon, selon la Commission, serait-t-il possible de servir adéquatement les intérêts des auditeurs et de la nation16.

Parallèlement à la Commission Aird, le gouvernement du Québec a joué un rôle de premier choix pour établir la place du provincial dans la radiodiffusion. Il a adopté la première loi sur la radio en 1929, alors que la Commission Aird siégeait encore, et l'a renforcée en 1931 par une loi sur les licences et la responsabilité civile en matière de radiodiffusion17.

L'année suivante, en 1932, à la suite des jugements de la Cour suprême du Canada et du Comité judiciaire du Conseil privé de Londres, il a été confirmé que la compétence fédérale sur les ondes et sur le contenu des émissions permettait la création d'un radiodiffuseur public national. Par la suite, un comité parlementaire spécial était créé pour mettre en œuvre les recommandations de la Commission Aird. Cela a donné lieu, grâce à l'appui de tous les partis, à la promulgation la même année de la Loi canadienne sur la radiodiffusion, une loi créant la Commission canadienne de radiodiffusion (CCRD).

Conformément à la vision de la Commission Aird d'une « société nationale qui possédera et exploitera tous les postes de radio situés au Canada »18, la CCRD a été conçue comme une commission de trois personnes chargée de réglementer, de contrôler et d'exécuter les activités de radiodiffusion au Canada dans l'intérêt public. La CCRD a reçu le mandat de diffuser les émissions; de louer, d'acheter ou de bâtir des installations; et, avec le temps, d'assumer le contrôle complet de tous les aspects de la radiodiffusion canadienne. Autrement dit, elle devait créer une situation de monopole semblable à celle dont jouissait la BBC au Royaume-Uni.

La création de la CCRD a toutefois coïncidé avec la dépression économique de 1930, de sorte que le gouvernement du premier ministre Bennett ne pouvait pas assurer le financement nécessaire à la CCRD. Par conséquent, la Commission a établi des stations dans cinq villes seulement et a compté sur des radiodiffuseurs privés pour retransmettre les émissions de son réseau dans d'autres villes et régions. Cela a eu pour effet d'établir un système public-privé, une situation qui caractérise le système de diffusion canadien encore aujourd'hui.

La SRC, organisme de réglementation et exploitant : 1936-1958

Au début des années 1930, plus d'un million de foyers canadiens détenaient un permis de radio et les auditeurs avaient l'habitude de recevoir chaque jour plusieurs heures d'émissions du réseau CCRD, sans mentionner la poignée de postes privés qui diffusaient de la musique, des bulletins de nouvelles locales, des sports et rediffusaient des émissions de divertissement populaires américaines. En même temps, les Canadiens vivant en région limitrophe continuaient de recevoir les radiodiffusions hertziennes en provenance des États-Unis.

À la suite de l'élection d'un nouveau gouvernement en 1935, le premier ministre Mackenzie King a décidé que la Loi canadienne de la radiodiffusion de 1932 devait être révisée pour saisir plus pleinement l'essence du rapport Aird et tenir compte des reproches selon lesquels la CCRD n'était pas suffisamment autonome. Peu après, en 1936, une loi considérablement modifiée a été adoptée par le Parlement, qui intégrait le principe que le radiodiffuseur public était public et non pas un radiodiffuseur d'État. Elle a également créé un organisme plus autonome, la Société Radio-Canada (SRC) pour remplacer la CCRD.

La nouvelle loi a conféré à la SRC le mandat d'émettre des permis et de réglementer tous les aspects du système national de radiodiffusion, y compris les stations privées qui ne lui appartenaient pas et qu'elle n'exploitait pas directement. Financée à même une redevance plus élevée, la SRC a été en mesure de prendre des mesures énergiques pour élargir sa portée grâce à la construction d'un réseau de transmetteurs régionaux. Elle a également augmenté ses heures de diffusion en important des émissions américaines. Par conséquent, après huit ans, la SRC exploitait deux réseaux anglophones (TransCanada et Dominion) et un réseau francophone. En même temps, même si elles n'étaient pas autorisées à former des réseaux nationaux, les stations de radio privées étaient florissantes.

Arnold Davidson Dunton (1912-1987) était un fonctionnaire et un éducateur. En 1945, il est devenu le premier président à plein temps de la Société Radio-Canada. Il militait ardemment en faveur du financement public d'un système de télévision qui serait d'un grand intérêt national et était un défenseur convaincant de l'indépendance de la Société.

De 1932, année où il a lancé un mouvement de jeunes nationalistes québécois, jusqu'à sa mort en 1968, André Laurendeau a été un journaliste et un intellectuel qui a vécu au cœur du débat nationaliste du Québec. Secrétaire de la Ligue pour la défense du Canada, il a remis en question le rôle de la SRC dans la promotion de la politique gouvernementale pendant la crise de la conscription de 1942. Il a milité en faveur d'un Canada biculturel dans lequel les cultures française et anglaise pouvaient coexister et ce, avant la Commission Massey, dont il a d'ailleurs critiqué l'approche centralisatrice. Il a au cours de sa carrière, siégé à l'Assemblée législative du Québec. Éditeur du Devoir, il a souvent publié des articles influents sur les questions propres à la radiodiffusion. De 1963 à 1968, il a coprésidé aux côtés de Davidson Dunton la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme.

Comme il a déjà été mentionné, la Commission Massey-Lévesque a reconnu et affirmé les caractéristiques de fiducie publique des activités de diffusion canadienne en 1951. Son rapport — qui n'a paru que quelques mois avant l'avènement de la télévision au Canada — n'a pas prévu et peut-être, ne pouvait pas prévoir, la rapidité avec laquelle la nouvelle technologie rendrait intenable le double rôle de la SRC comme monopole de radiodiffusion et organisme de réglementation.

Charles Vincent Massey est né à Toronto en 1887 et est décédé à Londres (Angleterre) en 1967. Politicien et diplomate, il a été le tout premier gouverneur général du Canada né au pays. Il a été nommé à la présidence de la Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, lettres et sciences au Canada. Le rapport qui a découlé de ses travaux, publié en 1951, a mené à la création du Conseil des arts du Canada en 1957.

Le père Georges-Henri Lévesque était un frère dominicain et un éducateur. Précurseur intellectuel de la Révolution tranquille québécoise, qui a bouleversé le paysage social de la province, ses idées d'avant-garde ont causé des frictions entre lui et le premier ministre québécois Maurice Duplessis. Le père Lévesque a donné une telle importance à la Commission Massey en 1949, qu'elle a souvent été appelée Commission Massey-Lévesque, bien qu'il n'en ait pas été coprésident. Il a fondé la Faculté des sciences sociales de l'Université Laval, dont il a été doyen jusqu'en 1955. Plus tard, il a fondé et dirigé la Maison Montmorency, un centre près de Québec consacré aux débats culturels, sociaux et religieux ainsi qu'à l'activisme. En 1963, il a débarqué au Rwanda, où il a fondé l'Université nationale du Rwanda. Il en a été le recteur jusqu'en 1972. Le père Lévesque est décédé en 2000 à l'âge de 96 ans.

Hilda Neatby, historienne et auteure canadienne connue, était directrice intérimaire du département d'histoire de l'Université de la Saskatchewan lorsqu'elle a été recrutée pour faire partie de la Commission Massey, de 1949 à 1951. Cette étude approfondie sur l'éducation et la culture l'a amenée à publier So Little for the Mind en 1953, une critique controversée du système d'éducation canadien fondée sur quatre décennies à titre d'étudiante et de professeure. En plus de sa grande préoccupation concernant l'éducation, Mme Neatby était connue pour ses opinions tranchées sur des sujets allant de la religion à la politique. Historienne et féministe avant que le mot ne devienne à la mode, elle a étudié le rôle du Québec dans le Canada.

En septembre 1952, la télévision de la SRC est entrée en ondes à Montréal et à Toronto. Au début, chaque marché canadien était limité par l'organisme de réglementation de la diffusion de la SRC à une station de télévision (en général un détenteur de permis de poste privé) qui devait transmettre les émissions nationales de la SRC. Toutefois, il est devenu évident que la soif du public pour plus de choix et plus de contenu ne pourrait pas être étanchée dans le cadre d'un régime de politique où le seul fiduciaire de diffusion public du système était également l'organisme de réglementation. La question était tellement épineuse qu'une Commission royale de la radiodiffusion canadienne, présidée par Robert M. Fowler, a été formée en 1955. Elle devait recommander de nouvelles dispositions législatives en matière de radiodiffusion.

Robert MacLaren Fowler (1906-1980) était un avocat et un dirigeant. Il a présidé une commission royale et le comité fédéral sur la radiodiffusion. En 1955, il a été nommé à la tête de la Commission royale d'enquête sur la radio et la télévision. Son rapport, déposé en mars 1957, appuyait fermement la Société Radio-Canada, mais recommandait la création d'un nouvel organisme de réglementation de la radiodiffusion publique et privée. Le gouvernement de l'époque n'a pas donné suite à toutes les recommandations et en 1965, Fowler a présidé un nouveau comité fédéral chargé d'étudier la question. Ce comité a lui aussi recommandé des changements, qui ont mené à la création du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) en 1968.

Réglementation par le Bureau des gouverneurs de la radiodiffusion : 1958-1968

Le rapport de la Commission Fowler de 1957 sur la radiodiffusion canadienne a reconnu le conflit inhérent au rôle double de la SRC à titre d'exploitant et d'organisme de réglementation. Il a recommandé que ses fonctions de diffusion statutaires soient séparées de ses obligations en matière de réglementation de la diffusion et qu'un organisme distinct et indépendant soit établi pour réglementer la diffusion dans l'intérêt public. Les auteurs du rapport expliquaient :

À notre avis, deux facteurs ont déterminé en fait les destinées de la radio et de la télévision. Une séparation effective des pouvoirs devrait être plus clairement définie dans la loi. D'abord, un organisme doit être chargé de diriger les postes de l'État et les réseaux nationaux et d'assurer la production et la distribution d'un service national d'émissions dans tout le Canada ...

L'autre organisme public, dans le domaine de la radio-télévision canadienne, devrait être une commission créée par le Parlement, autorisée à agir en son nom, et comptable à celui-ci de la direction et de la surveillance du régime canadien de radio-télévision. Cette commission serait responsable de tous les éléments de la radio et de la télévision au Canada. Elle ne devrait pas faire partie de la Société Radio-Canada et ses membres ne devraient pas [...] constituer la Société19.

Convaincu par cet argument, le gouvernement du premier ministre Diefenbaker a rapidement présenté et adopté la Loi sur la radiodiffusion de 1958 qui créait un nouveau cadre de politique pour le système de diffusion canadien.

La Loi sur la radiodiffusion de 1958 a créé le Bureau des gouverneurs de la radiodiffusion (BGR), comptant 15 membres, qui était chargé de réglementer les activités et les relations entre les diffuseurs publics et privés du Canada et d'assurer le fonctionnement efficace de la radiodiffusion nationale. Le BGR devait examiner les demandes de nouveaux postes et faire des recommandations sur les licences de radiodiffusion au ministre responsable. La Loi a également créé un conseil des gouverneurs pour superviser les activités de la SRC et qui ferait rapport indépendamment au Parlement.

Ingénieur de formation, Joseph-Alphonse Ouimet (1908-1988) a présidé la Société Radio-Canada. Il a travaillé pour une entreprise qui développait la télévision et il a construit un prototype de récepteur de télévision en 1932. En 1934, il est entré au service de la Commission canadienne de radio-diffusion, qui est devenue plus tard la Société Radio-Canada. À titre d'ingénieur en chef à compter de 1948, il a en quelque sorte créé la radiodiffusion canadienne. En 1953, il est devenu directeur général de la SRC puis président en 1958. Sous sa direction, le service de télévision national a pris de l'expansion, d'un océan à l'autre et dans les deux langues.

Sous la supervision du BGR, la télévision canadienne s'est développée rapidement, tandis que la radio est devenue dans la plupart des cas un service local ou communautaire, à l'exception de la SRC, qui a continué de maintenir et d'élargir son réseau national. Entre-temps, un réseau de télévision privé, Independent Television Organization — qui devait devenir bientôt CTV — a commencé à diffuser dans les grands centres au début des années 1960. Vers cette époque, la diffusion (autant la télévision que la radio) se situait déjà au troisième rang sur le plan de la rentabilité parmi les 140 plus grandes industries canadiennes.

En 1964, le gouvernement fédéral a créé le Comité Fowler sur la radiodiffusion pour étudier la présence et la domination croissantes des émissions américaines au Canada. Le Comité Fowler devait également se pencher sur certains points ambigus de la Loi sur la radiodiffusion qui étaient sources de conflits entre le BGR et la SRC, et apporter des mesures correctives.

Le Comité Fowler a présenté son rapport au Parlement en 1965. Il critiquait fermement les réalisations du BGR, de la SRC et des radiodiffuseurs privés et déclarait que le Parlement devrait énoncer clairement et sans ambiguïté sa politique de radiodiffusion. Cela dit, il reconnaissait que ni le gouvernement ni le Parlement ne devraient prendre part aux détails de l'administration, du financement et de la programmation. C'est pourquoi il proposait qu'un nouvel organisme de réglementation de la radiodiffusion voie le jour et rende compte au Parlement de l'atteinte des objectifs adoptés.

En réponse à ce rapport, le gouvernement a publié en 1966 un livre blanc sur la radiodiffusion et l'a confié au Comité permanent de la radiodiffusion, des films et de l'assistance aux arts. Dans son livre blanc, le gouvernement déclarait qu'il demanderait au Parlement d'adopter une nouvelle politique et une nouvelle loi sur la radiodiffusion qui établiraient l'autorité et les responsabilités de la gestion de la SRC et de la réglementation de la radiodiffusion privée et publique au Canada.

En mars 1967, le Comité permanent a déposé son rapport dans lequel il déclarait que :

Un système de radiodiffusion distinctement canadien est essentiel pour notre identité nationale, notre unité et notre dynamisme au cours de notre second siècle d'existence. ... Le Comité est d'avis que ce n'est au Parlement ou au gouvernement de s'occuper de la programmation ou du fonctionnement quotidien du système de radiodiffusion. Il incombe cependant au Parlement de définir l'intérêt public que doit servir notre système de radiodiffusion et d'énoncer une politique nationale à cet égard. Le Parlement a aussi la tâche de mettre sur pied une structure viable dans laquelle le service que nous recherchons pourra être assuré aux Canadiens20.

Le Comité permanent a par conséquent formulé plusieurs recommandations qui ont eu un effet durable sur l'élaboration de la politique visant la réglementation et la supervision du système de radiodiffusion canadien. Il a ainsi recommandé que la Société Radio-Canada devienne le principal instrument de politique publique dans le domaine de la radiodiffusion; que le conseil de réglementation ne participe pas au fonctionnement quotidien (décisions et politiques) de la SRC; que le conseil de réglementation ne soit pas autorisé à donner des directives aux radiodiffuseurs quant à des programmes spécifiques, sauf par des règlements généraux ou les conditions d'une licence; que l'on encourage l'épanouissement du talent canadien; que la concentration excessive des médias soit contrôlée par le conseil de réglementation; que les émissions étrangères soient diffusées à conditions que les Canadiens aient accès à des émissions canadiennes de grande qualité.

Réglementation par le CRTC : 1968-1991

Fort des propositions contenues dans le rapport Fowler, le livre blanc et le rapport du Comité permanent, le Parlement a adopté une nouvelle Loi sur la radiodiffusion en 1968. Il créait ainsi un nouvel organisme de réglementation indépendant, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC)21. La Loi conférait au CRTC le pouvoir de délivrer des licences de radiodiffusion et un mandat visant à assurer : que la propriété et l'administration de la radiodiffusion restent entre les mains des Canadiens; que la programmation soit de haute qualité avec un contenu canadien substantiel; que la radiodiffusion canadienne sauvegarde, enrichisse et renforce la nation du Canada d'un océan à l'autre. La Loi a également ramené la télédistribution, qui était déjà bien établie dans quelques villes, sous l'autorité du CRTC. Le premier président du CRTC fut Pierre Juneau.

Seule femme du Cabinet de Lester B. Pearson de 1963 à 1968, Judy LaMarsh était une militante bien connue de la lutte contre la pauvreté. En plus de superviser la mise sur pied d'un régime de pensions national et la conception du régime d'assurance maladie canadien, elle a contribué à moderniser notre système de radiodiffusion. À titre de secrétaire d'État, elle a signé le Livre blanc sur la radiodiffusion et piloté la Loi sur la radiodiffusion de 1968. Parmi ses réalisations, mentionnons la nomination de Pierre Juneau au poste de président du CRTC et la création de la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme au Canada. En 1968, elle a écrit Memoirs of a Bird in a Gilded Cage, un compte rendu de ses années en politique. Elle est plus tard devenue communicatrice à la radio et à la télévision. En 1976, elle a présidé la Commission royale d'enquête sur la violence dans le secteur des communications de l'Ontario.

Dès ses premiers jours, le CRTC a été beaucoup plus actif que le Bureau des gouverneurs de la radiodiffusion (BGR) pour maintenir les quotas du contenu canadien. Pour la SRC, il n'a jamais été très difficile de respecter ou de dépasser les quotas du CRTC en matière de contenu canadien22. Toutefois, en ce qui concerne les diffuseurs privés, le respect du contenu canadien, même au strict minimum, particulièrement durant les heures de grande écoute de 19 h à 23 h, a été et reste difficile, surtout avec l'expansion du marché télévisuel, à cause de la délivrance de permis pour de nouvelles chaînes canadiennes et l'importation de services de radiodiffusion étrangers.

En 1980, le ministre des Communications, l'honorable Francis Fox, a mis sur pied le Comité d'étude de la politique culturelle fédérale, présidée par Louis Applebaum et Jacques Hébert.

Louis Applebaum (1918-2000) était un compositeur, un chef d'orchestre et un administrateur. Il a écrit et dirigé des centaines de pièces musicales pour le cinéma, le théâtre, la radio et la télévision et il a été consultant auprès de divers organismes de promotion des arts. Il a aussi siégé à plusieurs comités et a coprésidé, avec Jacques Hébert, le Comité d'étude de la politique culturelle fédérale.

Né en 1923, Jacques Hébert a été écrivain, éditeur et sénateur. Il a dirigé un journal, a animé une émission d'affaires publiques à la télévision et a présidé deux maisons d'édition. En 1980-1982, il a coprésidé, avec Louis Applebaum, le Comité d'étude de la politique culturelle fédérale. Il a pris sa retraite du Sénat en 1998.

Le rapport Applebaum-Hébert, publié en 1982, portait sur des sujets pertinents à la politique culturelle canadienne, y compris la radiodiffusion. À cet égard, il a formulé plusieurs recommandations sur le système de radiodiffusion canadien, notamment les suivantes :

La SRC doit cesser de vendre du temps d'antenne pour la publicité commerciale et renoncer à la production d'émissions locales et se consacrer à la programmation régionale.

Le CRTC doit exiger des radiotélédiffuseurs privés qu'ils affectent à la production d'émissions canadiennes des proportions importantes de leur grille horaire et de leurs budgets.

Le CRTC doit autoriser la création de services privés de télévision dans les localités capables de les recevoir.

Un nouveau projet de loi sur la radiotélédiffusion doit être présenté au Parlement.

Il faut qu'une nouvelle loi sur la radiotélédiffusion confère au CRTC une autorité bien définie dans les questions intéressant la Société Radio-Canada.

La nouvelle loi sur la radiotélédiffusion devra mettre le CRTC totalement à l'abri de toute intrusion politique, mais permettre au ministre d'émettre des directives de politique générale.

En 1984, pour relever les défis que présentait le système de diffusion canadien à cause de la fragmentation de l'auditoire, des changements technologiques et des préoccupations de l'époque relativement à la souveraineté culturelle du Canada, un groupe de travail sur la radiodiffusion canadienne, coprésidé par Florian Sauvageau et Gerald Caplan, a été créé pour conseiller le gouvernement fédéral sur les changements à apporter à la politique du Canada en matière de radiodiffusion et de télédiffusion.

Florian Sauvageau (1941-...) est un avocat, un journaliste et un professeur au département d'information et de communication de l'Université Laval. En 1985-1986, il coprésidait, avec Gerald Caplan, le groupe de travail sur la radiodiffusion canadienne.

Gerald Lewis Caplan (1938-...) a été administrateur politique et historien. En 1985, il a coprésidé le groupe de travail sur la radiodiffusion canadienne. Dans son rapport, le groupe de travail proposait une série de recommandations axées sur le Canada.

Faisant écho à la vision de la radiodiffusion comme fiduciaire public de la Commission Massey en 1951, le groupe de travail a présenté un rapport unanime en 1986 qui, comme il a déjà été mentionné, concluait que la contribution à la diffusion de la culture canadienne est un devoir inhérent au privilège accordé aux radiodiffuseurs à titre de fiduciaires publics pour les Canadiens24. Par conséquent, le groupe de travail a recommandé :

que toutes les entreprises de radiodiffusion fassent partie d'un système composite;

que tous les détenteurs de licence soient considérés comme des fiduciaires du public canadien;

que la SRC joue un rôle central pour faire en sorte que les Canadiens jouissent d'un système de radiodiffusion réellement national, à la radio et à la télévision, en anglais et en français;

que le financement de la SRC soit stable et assuré pour la durée de sa licence;

que toutes les émissions américaines présentées à la télévision de la SRC soient éliminées progressivement dès que possible;

qu'un nouveau radiodiffuseur national, TVCanada, soit créé25.

En ce qui concerne les stations privées, le groupe de travail a recommandé que le CRTC établisse des conditions de licence plus strictes pour faire en sorte que les chaînes et les réseaux privés investissent davantage dans la création et la production de programmes canadiens. Dans son rapport, il demandait également le soutien et la protection du gouvernement à l'égard du secteur privé, en échange de quoi le secteur privé (à titre de fiduciaire) contribuerait à travailler dans le sens des objectifs de la Loi.

Flora McDonald a été députée fédérale de 1972 à 1988. Elle a été ministre des Affaires extérieures, ministre de l'Emploi et de l'Immigration et ministre des Communications. Elle a remplacé Marcel Masse au portefeuille des Communications en juin 1986, quelques jours seulement après que le Groupe de travail sur la politique de la radiodiffusion a déposé son rapport. C'est sous sa direction que la Loi sur la radiodiffusion de 1988 a été préparée et déposée à la Chambre des communes, avant de mourir au Feuilleton du Sénat lorsque le Parlement a été dissous lors des élections générales. Un projet de loi similaire a été déposé par Marcel Masse puis a été adopté en 1991. Plus récemment, Mme McDonald a siégé aux conseils d'administration de groupes de défense des droits de la personne et à œuvrer en faveur de la paix mondiale. Elle a reçu la Médaille Pearson pour la paix en 1999.

Marcel Masse est né à St-Jean-de-Matha (Québec) le 27 mai 1936. Il a étudié l'histoire et les sciences politiques à l'Université de Montréal, à Londres et à Paris, avant d'enseigner à l'école secondaire de Joliette de 1962 à 1966. Député à l'Assemblée nationale du Québec de 1966 à 1973, il a occupé plusieurs postes au sein du Cabinet. En 1974, il s'est joint à la firme d'ingénieurs Lavalin de Montréal. Élu à la Chambre des communes en 1984, il a été ministre des Communications de 1984 à 1986, années pendant lesquelles il a défendu les industries culturelles lors des négociations de l'Accord de libre-échange avec les États-Unis. En 1985, il a créé le Groupe de travail Caplan-Sauvageau. En 1988, il a été reconduit dans ses fonctions de ministre des Communications. Il a alors déposé le projet de loi qui allait devenir la Loi sur la radiodiffusion de 1991.

Le Comité permanent des communications et de la culture de la Chambre des communes a examiné le rapport du groupe de travail entre 1986 et 1988. Ce rapport, qui faisait l'unanimité entre les partis et qui contenait plus de 140 recommandations, a contribué au renouvellement de la Loi sur la radiodiffusion adoptée par la Chambre des communes en 1991.

Réglementation par le CRTC depuis 1991

Comme il est indiqué ci-dessus, le CRTC a été établi par une loi du Parlement en 1968. Depuis 1985, le Conseil a fonctionné à titre d'administration publique indépendante constituée en vertu de la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes et, depuis 1993, il fait rapport au Parlement par l'intermédiaire du ministre du Patrimoine canadien. En vertu de la Loi, le Cabinet peut nommer un maximum de 13 commissaires à temps plein et de 6 commissaires à temps partiel pour des mandats renouvelables maximaux de cinq ans. Le Conseil est également assujetti aux décrets du Cabinet et il doit tenir compte des besoins et des préoccupations des citoyens, des industries et des divers groupes d'intérêt du Canada.

Le CRTC a pour mandat de garantir que les dispositions de la Loi sur la radiodiffusion sont respectées, particulièrement la politique canadienne de radiodiffusion (article 3). Le Conseil y parvient en maintenant un équilibre, dans l'intérêt public, entre les buts sociaux, culturels et économiques de la Loi. Comme l'explique le site Web du Conseil :

Notre mandat est d'assurer une programmation dont le contenu reflète, ici et à l'étranger, les talents créateurs canadiens, notre dualité linguistique, notre diversité multiculturelle, la place particulière qu'occupent les peuples autochtones dans notre société, et nos valeurs sociales. Et simultanément, nous veillons à ce que tous les Canadiens bénéficient, à un prix raisonnable, de services de communication novateurs, variés, de haute qualité et concurrentiels au niveau national et international26.

En tenant compte de tous ces intérêts, le Conseil agit aujourd'hui comme l'organisme de réglementation pour plus de 5 900 radiodiffuseurs, y compris la télévision hertzienne; la distribution par câble; la radio AM, FM et numérique; la télévision payante, spécialisée et numérique; les satellites de radiodiffusion directe à domicile (DTH); les systèmes de distribution multipoints (SDM); la télévision par abonnement et l'audio payant27. Ce faisant, le Conseil tient des audiences publiques périodiques, des tables rondes et des forums informels pour traiter les demandes et prendre des décisions relativement aux licences de radiodiffusion et aux demandes connexes28.

A. La Loi sur la radiodiffusion et les principes de sa politique publique

La Loi sur la radiodiffusion de 1991, qui est toujours en vigueur aujourd'hui, est l'aboutissement de plus de 60 ans de consultation et de négociations publiques auprès des intervenants du système. Cette section résume deux des éléments les plus importants de la Loi : l'article 3 : « Politique canadienne de radiodiffusion », et la partie II : « Mission et pouvoirs du Conseil en matière de radiodiffusion »29.

Politique canadienne de radiodiffusion

Aux fins de cet examen par le Comité du système de radiodiffusion canadien, les principes de politique publique les plus importants se trouvent au paragraphe 3(1) de la Loi, qui explique en détail la politique canadienne de radiodiffusion.

Le paragraphe 3(1) commence par répéter le principe selon lequel le système canadien doit être « effectivement, la propriété des Canadiens et sous leur contrôle ». Il réaffirme également dans le paragraphe suivant le point de vue adopté depuis longtemps selon lequel les ondes sont une fiducie publique qui doit être utilisée par ses fiduciaires dans l'intérêt public :

b)   le système canadien de radiodiffusion, composé d'éléments publics, privés et communautaires, utilise des fréquences qui sont du domaine public et offre, par sa programmation essentiellement en français et en anglais, un service public essentiel pour le maintien et la valorisation de l'identité nationale et de la souveraineté culturelle.

Il est expliqué ensuite au paragraphe 3(1) que :

d)   le système canadien de radiodiffusion devrait :

   (i)   servir à sauvegarder, enrichir et renforcer la structure culturelle, politique, sociale et économique du Canada,

   (ii)   favoriser l'épanouissement de l'expression canadienne en proposant une très large programmation qui traduise des attitudes, des opinions, des idées, des valeurs et une créativité artistique canadiennes, ...

   (iii)   par sa programmation et par les chances que son fonctionnement offre en matière d'emploi, répondre aux besoins et aux intérêts, et refléter la condition et les aspirations, des hommes, des femmes et des enfants canadiens, notamment l'égalité sur le plan des droits, la dualité linguistique et le caractère multiculturel et multiracial de la société canadienne ainsi que la place particulière qu'y occupent les peuples autochtones,

   (iv)   demeurer aisément adaptable aux progrès scientifiques et techniques.

Ensuite, il énonce les responsabilités de chaque élément du système de diffusion canadien et explique comment chacun doit « contribuer, de la manière qui convient, à la création et la présentation d'une programmation canadienne ». Il précise également que les diffuseurs ont la responsabilité d'utiliser les talents et les ressources du Canada, d'offrir une programmation de haute qualité et de présenter une programmation qui représente la nature hétérogène de la population canadienne.

Sont ensuite décrites les attentes relativement à la programmation de la Société Radio-Canada. Voici l'énoncé de l'alinéa 3(m) :

m)   la programmation de la Société devrait à la fois :

   (i)   être principalement et typiquement canadienne,

   (ii)   refléter la globalité canadienne et rendre compte de la diversité régionale du pays, tant au plan national qu'au niveau régional, tout en répondant aux besoins particuliers des régions,

   (iii)   contribuer activement à l'expression culturelle et à l'échange des diverses formes qu'elle peut prendre,

   (iv)   être offerte en français et en anglais, de manière à refléter la situation et les besoins particuliers des deux collectivités de langue officielle, y compris ceux des minorités de l'une ou l'autre langue,

   (v)   chercher à être de qualité équivalente en français et en anglais,

   (vi)   contribuer au partage d'une conscience et d'une identité nationales,

   (vii)   être offerte partout au Canada de la manière la plus adéquate et efficace, au fur et à mesure de la disponibilité des moyens,

   (viii)   refléter le caractère multiculturel et multiracial du Canada.

D'autres dispositions soulignent par la suite l'importance de la diffusion autochtone, la nécessité de servir les personnes handicapées, et la valeur des services de programmation télévisée qui sont complémentaires et répondent aux goûts et aux auditoires particuliers.

Enfin, relativement aux réseaux privés et aux entreprises de programmation, la Loi précise très clairement à l'alinéa 3(1)s) que ces fiduciaires en particulier doivent « contribuer de façon notable à la création et à la présentation d'une programmation canadienne tout en demeurant réceptifs à l'évolution de la demande du public ».

Mission et pouvoirs du Conseil en matière de radiodiffusion

La mission et les pouvoirs du Conseil sont définis entre les articles 5 et 34. Il n'est pas nécessaire dans ce contexte de décrire chacun de ces articles en détail, mais ceux qui se rapportent le plus directement à la mise en œuvre par le Conseil de la politique canadienne de radiodiffusion sont : l'article 5, réglementation et surveillance; le paragraphe 9(1), catégories de licences; le paragraphe 10(1), règlements généraux en matière de radiodiffusion; et l'article 21, compétences en matière d'établissement des règles.

L'article 5 expose en détail la politique réglementaire par laquelle le Conseil peut s'acquitter de son mandat, c'est-à-dire superviser et réglementer le système canadien de radiodiffusion. À cet égard, il est établi au paragraphe 5(2) que :

(2)   La réglementation et la surveillance du système devraient être souples et à la fois :

   a)   tenir compte des caractéristiques de la radiodiffusion dans les langues française et anglaise et des conditions différentes d'exploitation auxquelles sont soumises les entreprises de radiodiffusion qui diffusent la programmation dans l'une ou l'autre langue;

   b)   tenir compte des préoccupations et des besoins régionaux;

   c)   pouvoir aisément s'adapter aux progrès scientifiques et techniques;

   d)   favoriser la radiodiffusion à l'intention des Canadiens;

   e)   favoriser la présentation d'émissions canadiennes aux Canadiens;

   f)   permettre la mise au point de techniques d'information et leur application ainsi que la fourniture aux Canadiens des services qui en découlent;

   g)   tenir compte du fardeau administratif qu'elles sont susceptibles d'imposer aux exploitants d'entreprises de radiodiffusion.

Le paragraphe 9(1) accorde au Conseil les pouvoirs suivants :

... dans l'exécution de sa mission,

   a)   établir des catégories de licences;

   b)   attribuer des licences pour les périodes maximales de sept ans et aux conditions liées à la situation du titulaire qu'il estime indiquées; ...

   c)   modifier les conditions d'une licence soit sur demande du titulaire, soit, plus de cinq ans après son attribution ou son renouvellement, de sa propre initiative;

   d)   renouveler les licences pour les périodes maximales de sept ans et aux conditions visées à l'alinéa b);

   e)   suspendre ou révoquer toute licence;

   f)   obliger les titulaires de licences à obtenir l'approbation préalable par le Conseil des contrats passés avec les exploitants de télécommunications pour la distribution — directement au public — de programmation au moyen de l'équipement de ceux-ci;

   g)   obliger les titulaires de licences d'exploitation d'entreprises de distribution à privilégier la fourniture de radiodiffusion;

   h)   obliger ces titulaires de licences d'exploitation d'entreprises de distribution à offrir certains services de programmation selon les modalités qu'il précise.

Le paragraphe 10(1) confère au Conseil l'autorité de réglementer, notamment :

   a)   fixer la proportion du temps d'antenne à consacrer aux émissions canadiennes;

   b)   définir « émission canadienne » pour l'application de la présente loi;

   c)   fixer les normes des émissions et l'attribution du temps d'antenne pour mettre en œuvre la politique canadienne de radiodiffusion;

      ...

   g)   régir la fourniture de services de programmation — même étrangers — par les entreprises de distribution.

Enfin, l'article 21 délimite la portée des règles que le Conseil peut imposer relativement à ce qui suit :

... la procédure applicable à la présentation des demandes d'attribution, de modification, de renouvellement, de suspension ou de révocation de licences, la présentation des observations et des plaintes et le déroulement des audiences.

B. Évaluation du système de radiodiffusion du Canada

Les extraits précédents de la Loi sur la radiodiffusion donnent le ton au fonctionnement du système de radiodiffusion et de télédiffusion du Canada, mais ils imposent des attentes et des responsabilités particulièrement élevées aux fiduciaires de la diffusion canadienne. En effet, la pression exercée sur le système de radiodiffusion canadien est tellement grande que le Comité Davey a dû déclarer en 1970 que :

... la radiodiffusion est un fardeau tellement lourd que nous devons lui imposer la responsabilité de garder intacte la culture canadienne. Aucune loi du Parlement n'impose à aucun autre médium de communication cette mission de sauvegarder, d'enrichir, de renforcer le tissu culturel, politique, social et économique du Canada. Nous comptons pour cela sur le médium qui est également le principal organe de publicité de l'industrie du savon30.

Compte tenu de ces responsabilités, qui ont été réitérées dans la version de 1991 de la Loi, le présent rapport propose des recommandations quant à la façon dont ces principes et objectifs peuvent encore s'appliquer. Toutefois, avant de passer à cette étape, examinons dans le prochain chapitre l'évolution des technologies de la télédiffusion.

Notes en fin de chapitre

1Rapport de la Commission royale de la radiodiffusion (Commission Aird). F.A. Acland, Ottawa, 1982, p. 10.
2Ibid., p. 6.
3Faire entendre nos voix : Le cinéma et la télévision du Canada au 21e siècle. Rapport du Comité d'examen des mandats, ministère du Patrimoine canadien, 1996, p. 21.
4Rapport de la Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, lettres et sciences au Canada : 1949-1951 (Commission Massey). Ottawa, Imprimeur du Roi, 1951, p. 279, 283.
5Le miroir équivoque. Rapport du Comité spécial du Sénat sur les moyens de communications de masse (Comité Davey). Ottawa, Imprimeur de la Reine, 1970, p. 195.
6Rapport du Groupe de travail Caplan-Sauvageau sur la politique de la radiodiffusion. Ottawa, ministère des Approvisionnements et Services Canada, 1986, p. 147.
7Comité d'examen des mandats, p. 23-24.
8Commission Aird, p. 6.
9La « citoyenneté » est liée au concept de « fiducie publique », c'est-à-dire le droits des citoyens d'accéder à l'information dont ils ont besoin pour prendre des décisions relatives à leur vie et leur collectivité; le droit des contribuables de dépenser de l'argent dans leur intérêt d'une manière responsable; le droit d'accès; et l'importance des droits démocratiques.
10Règle générale, les données biographiques sont adaptées des pages de la Canadian Encyclopedia, www.thecanadianencyclopedia.com.
11www.rcc.ryerson.ca.
12Commission Aird, p. 5.
13Ibid.
14Ibid., p. 6.
15Ibid.
16Ibid.
17En 1945, le gouvernement de Maurice Duplessis a adopté une loi pour créer un service provincial de radiodiffusion, affirmant que la Constitution lui accordait ce droit. La loi créait aussi Radio-Québec.
18Commission Aird, p. 7.
19Rapport de la Commission royale d'enquête sur la radio et la télévision (Commission Fowler), Ottawa, Imprimeur de la Reine, 1965, p. 90-91.
20Frank Foster cité dans Broadcasting Policy Development. Ottawa, Franfost Communications, 1974, p. 229.
21En 1976, le CRTC a été renommé Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes pour tenir compte de l'élargissement de sa compétence pour inclure les entreprises de télécommunication.
22Voir www.ryerson.ca.
23Voir au chapitre 5 un aperçu de ce qui constitue le contenu canadien d'après les définitions existantes.
24Caplan-Sauvageau, p. 147.
25Voir plus de précisions sur la proposition relative à TVCanada au chapitre 7.
26Voir www.crtc.gc.ca.
27Le CRTC réglemente également plus de 61 entreprises de télécommunication, y compris les grandes compagnies de téléphone canadiennes.
28En 1999 par exemple, le Conseil a traité 1 754 demandes de radiodiffusion et 1 533 demandes de télécommunications. Il a également émis 1 230 ordonnances et octroyé 90 permis à des compagnies de téléphone qui dispensent des services interurbains. De plus, il a répondu à 8 900 documents transmis électroniquement, ainsi qu'à plus de 53 900 appels téléphoniques et 16 000 lettres et courriels de demandes et de plaintes.
29Voir le texte intégral de la Loi de 1991 sur la radiodiffusion à l'annexe 2.
30Comité Davey, p. 194.
  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le premier réseau radiophonique national au Canada

En 1922, lorsque le gouvernement canadien a chargé Sir Henry Thornton de créer les Chemins de fer nationaux du Canada (CN) à partir de plusieurs sociétés ferroviaires en faillite, il ne se doutait pas qu'il créerait ainsi le premier réseau radiophonique national du Canada.

Lorsqu'on examine l'histoire de plus près, il semble logique que les chemins de fer — la technologie qui a permis au Canada de conquérir les distances et de prendre forme — seraient le point de départ d'un nouveau lien électronique. Cependant, les raisons qui ont poussé Thornton à développer la radio sont beaucoup plus terre à terre : il avait besoin de publicité positive pour sa nouvelle société et il pensait que la radio, ce nouveau médium, pouvait y parvenir.

Thornton a établi le département de la radio du CN en 1923 et il a lancé immédiatement après une série d'événements publicitaires sous forme de programmes radiophoniques diffusés dans les trains dont les wagons-foyers étaient dotés de récepteurs radios. C'est ainsi que le premier ministre britannique Lloyd George a écouté un programme spécial de nouvelles internationales pendant son trajet d'Ottawa à Montréal et qu'il a ensuite été interviewé par plusieurs journalistes, qui ont fait connaître le service radiophonique du CN dans le monde entier.

En 1924, Thornton s'est attaqué au problème du contenu en obtenant des licences pour trois stations qui allaient être construites et exploitées par le CN. De cette façon, il aurait beaucoup d'émissions de qualité à offrir à ses passagers. Sept autres stations présentaient de temps à autre les émissions du CN.

Le 1er juillet 1927, lors du 60e anniversaire de la Confédération, le « dernier crampon » électronique a été planté lorsque le réseau du CN a diffusé les célébrations de la colline du Parlement partout au Canada, aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Il s'agissait de la première diffusion radiophonique nationale au Canada. La diffusion régulière a
commencé l'année suivante. Au fil des années, le réseau a pris de l'expansion et comportait 25 stations dans 22 villes. Bien entendu, le CN possédait un avantage indéniable en utilisant ses lignes de télégraphe interurbaines pour diffuser trois heures hebdomadaires d'émissions aux stations participantes. Il a poussé plus loin et investi dans la technologie actuelle des télécommunications : il pouvait alors transmettre 24 signaux sur le même fil.

Ce succès du système d'État a cependant suscité des critiques, surtout de la part du Canadien Pacifique (CP), qui se retrouvait loin derrière. De nouvelles questions de politique ont été soulevées lorsque les émissions américaines ont fait leur entrée au Canada. Le tout a culminé dans le rapport de la Commission Aird sur la radio. Finalement, la dépression et un changement de gouvernement à Ottawa ont mis fin à la période de croissance de la radio du CN. Les stations ont été vendues à la nouvelle Commission canadienne de radio-diffusion (CCRD), qui est devenue en 1936 la Société Radio-Canada.

Après qu'une commission royale s'est penchée sur les sociétés de chemins de fer, Thornton a été forcé de démissionner — bon nombre ont pensé qu'il avait été traité de manière injuste par le gouvernement. Mais son dossier de réalisations diverses, notamment la construction du premier système de radiodiffusion national, était extraordinaire. Thornton avait raison lorsqu'il a dit au rédacteur en chef du Winnipeg Free Press : « Je laisse aux futures générations le soin de me juger. J'estime que, lorsque mes ennemis politiques auront étanché leur soif, justice me sera rendue. Peu importe ce qui arrivera, l'administration qui me succèdera recevra une entreprise en bien meilleure posture que lorsque j'en ai pris la tête... »13

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pierre Juneau : une carrière vouée à la production et à la diffusion de créations culturelles canadiennes

Un des principaux objectifs de la politique du gouvernement fédéral en matière de radiodiffusion depuis les années 1930 a été de rendre accessible aux Canadiens un choix de programmes réalisés au Canada par des Canadiens qui reflètent les dimensions culturelles, sociales et économiques de la société canadienne. La carrière de Pierre Juneau fut étroitement liée aux objectifs du gouvernement fédéral en radiodiffusion. Pendant 20 ans, il allait occuper les postes les plus sensibles ayant trait à la mise en œuvre de la politique fédérale dans ce domaine.

Son début de carrière à l'Office national du film (ONF) en 1949 lui permit de saisir pour la première fois l'ampleur des défis qui relèvent de la production de films au Canada, mais aussi, du peu de moyens dont disposait le Canada à l'époque pour assurer la diffusion de cette production cinématographique. Ces premières années ont été formatrices et ses nombreuses responsabilités à l'ONF, un organisme dédié au développement des cinéastes canadiens ainsi qu'à la production et à la diffusion de leurs œuvres, ont préparé Pierre Juneau au rôle de président du CRTC qu'on allait lui confier en 1968.

Compte tenu de l'expérience qu'il avait vécue à l'ONF, il était à prévoir que le CRTC, sous la présidence de Pierre Juneau, interviendrait énergiquement sur les questions de propriété et de contenu canadiens qui préoccupaient fort le public et le gouvernement fédéral à la fin des années 1960. Un décret, 1968-1809, exigeait que les entreprises en radiodiffusion voulant obtenir une licence du CRTC soient de propriété canadienne à 80 %. Pierre Juneau avait alors dit aux radiodiffuseurs que la télévision canadienne devait refléter la vie des canadiens et que le CRTC allait établir le maximum de contenu étranger. En outre, la décision du CRTC en 1971 d'imposer un seuil minimal de contenu canadien aux radiodiffuseurs a consterné ces derniers. Néanmoins, cette décision fort controversée, surtout chez les radiodiffuseurs privés, s'est avérée bien fondée et salutaire pour les auteurs-compositeurs et interprètes canadiens dans le domaine de la musique populaire.

Nommé à la présidence de la Société Radio-Canada (SRC) en 1982, Pierre Juneau a dû faire face à un double défi : maintenir le cap sur les grands objectifs de la société concernant une production variée d'origine canadienne accessible dans toutes les régions du pays, dans les deux langues officielles, alors même que les moyens disponibles pour le faire étaient réduits suivant des mesures budgétaires prises par le gouvernement fédéral de l'époque. Coincé entre l'arbre et l'écorce, la SRC a dû prendre des mesures autant pénibles que nécessaires et les critiques à son endroit se sont multipliées, allant jusqu'à proposer le démantèlement du radio-diffuseur public.

Pour l'homme dont la carrière était vouée à la promotion de la production et diffusion d'œuvres canadiennes, ce fut une période difficile et particulièrement exigeante. Les temps étaient durs et Pierre Juneau n'est pas sorti indemne du combat qu'il livrait en faveur de la SRC. Néanmoins, malgré des circonstances contraignantes, un nouveau Centre au service de la radiodiffusion de CBC était construit à Toronto, réunissant dans le même édifice des activités qui, jusque là, étaient logées à différents endroits et le canal News World fut lancé. Sous la direction de Pierre Juneau, Radio-Canada a su défendre son mandat et conserver son rythme. L'engagement du radiodiffuseur public envers les artistes et artisans canadiens était encore une fois confirmé.

En 1996, sept ans après avoir quitté la présidence de Radio-Canada, Pierre Juneau a été nommé communicateur de l'année par le Ryerson School of Radio and Television Arts à Toronto. L'honneur lui a été rendu « pour son importante contribution de valeurs humaines à la radiodiffusion canadienne »23.