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PACP Rapport du Comité

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LA GOUVERNANCE DANS LA FONCTION PUBLIQUE
DU CANADA : OBLIGATION MINISTÉRIELLE DE RENDRE
DES COMPTES

LE PROGRAMME DES COMMANDITES : COMMENT LES MINISTRES ET LE SOUS-MINISTRE ONT COMPRIS LEURS RESPONSABILITÉS

Au cours de son examen du Programme des commandites, le Comité s’est arrêté en particulier à la conduite des ministres de Travaux Publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC), l’hon. Diane Marleau et l’hon. Alfonso Gagliano, et du sous-ministre (de TPSGC) Ranald Quail. Ce sont les décideurs directement associés au Programme des commandites au cours de la période visée par le rapport de novembre 2003 de la vérificatrice générale. Toutefois, dans les témoignages recueillis sous serment par le Comité et que celui-ci considère comme ayant été présentés de bonne foi, aucune de ces personnes n’a accepté d’être tenue responsable des problèmes recensés par la vérificatrice générale.

De toute évidence, il a eu une rupture dans le processus de l’obligation démocratique de rendre des comptes que la doctrine de la responsabilité ministérielle est censée matérialiser. Il y a lieu de se demander sérieusement, toutefois, si le problème dépend des gens dont la conduite devrait refléter la doctrine, ou plutôt de la doctrine elle-même. Est ce que l’une ou l’autre de ces personnes n’a pas satisfait aux exigences d’une doctrine qui demeure claire et raisonnable, ou est ce que leur conduite suggère que la doctrine elle-même est confuse ou inapplicable et doit être révisée?

  1. Les ministres
  2. Comme l’exige la doctrine de la responsabilité ministérielle, les ministres Marleau et Gagliano ont accepté la responsabilité pour leur rôle d’orientation du Programme des commandites et ils ont continué à se dire convaincus de l’importance des efforts du gouvernement pour rendre la présence fédérale plus visible au Québec dans la foulée du référendum de 1995.

    1. Appui au Programme
    2. Lors de sa comparution du 25 mars 2004 devant le Comité, Mme Marleau a déclaré ce qui suit :

      Je confirme que j’ai approuvé, avec le premier ministre, une présentation au Conseil du Trésor en novembre 1996 visant à fournir les sommes nécessaires pour promouvoir l’identité canadienne. Je continue à croire, comme je le croyais alors, à l’importance de veiller à ce que les Canadiens soient conscients du rôle que joue le gouvernement dans leur vie de tous les jours. (15:1205) [*]

      M. Gagliano a également confirmé son appui à la continuation du Programme, bien que ses commentaires à l’intention du Comité aient porté principalement sur les limites imposées aux ministres dans l’exercice de leurs responsabilités au sein de ministères complexes et qu’il ait souligné avoir « hérité » du Programme (c.-à-d. que celui-ci était déjà opérationnel lorsqu’il a assumé ses fonctions) :

      L’objet du Programme était excellent. Il consistait effectivement à préserver l’unité du pays. Il s’agissait d’une stratégie d’unité nationale […] (10:1025) [*]

    3. Orientation et gestion générales
    4. Compte tenu de la priorité accordée aux dossiers de l’unité nationale à cette époque ainsi que de la responsabilité ministérielle générale en matière de gestion et d’orientation, il est compréhensible que les ministres ne se soient pas contentés de donner un feu vert général au ministère concernant le Programme de commandites, pour ensuite passer à autre chose. Ils ont voulu s’assurer de la concrétisation des objectifs du Programme.

      Après avoir signé la présentation au Conseil du Trésor réclamant le financement initial, l’hon. Diane Marleau s’en est remise essentiellement à la délégation de pouvoirs aux responsables du Ministère. D’après son témoignage, le directeur exécutif du Programme à cette époque, M. Charles Guité, l’a approché pour obtenir sa participation directe et elle lui a répondu de suivre la filière hiérarchique. (15:1220) [*] En outre, le Comité a recueilli le témoignage de représentants du Ministère qui ont indiqué que, pendant le mandat de Mme Marleau comme ministre, M. Guité recevait des instructions politiques du Cabinet du premier ministre (principalement de M. Pelletier), bien que Mme Marleau ait nié avoir été au courant de cette relation. (15:1225) [*]

      M. Gagliano semble avoir pris une part beaucoup plus active au Programme, d’après son propre résumé de la situation :

      Je peux résumer mes activités reliées au Programme de commandites ainsi: lorsque j'ai été avisé d'un problème, j'ai essayé de le régler, et lorsque je n'en étais pas avisé, j'étais impuissant […]

      Plus particulièrement, dans le cas du Programme de commandites, j'ai posé les gestes suivants:

      J'ai hérité du programme des communications, le ministre des Travaux publics s'étant vu conférer cette responsabilité, le 23 juin 1994, par une décision du Conseil du Trésor. Le programme a fait l'objet d'au moins deux révisions par le Conseil du Trésor.

      À mon arrivée à la tête du ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux, en 1997, j'ai révisé et suivi les recommandations du Secrétariat du Conseil du Trésor. Celles-ci comprenaient la réorientation du processus d'achat au sein du ministère.

      J'ai été témoin de l'organisation du Service de coordination des communications. Cette organisation était rendue nécessaire par la privatisation du Groupe Communication Canada, qui laissait un certain nombre de programmes orphelins dans divers ministères. La politique du gouvernement voulait que les communications soient réunies sous une seule et même autorité.

      En août 1998, j'ai signé une soumission au Conseil du Trésor afin de créer le poste de sous-ministre adjoint, gouvernement du Canada, Services de coordination des communications, afin que le titulaire de ce poste m'assiste en ma capacité de président du comité du Cabinet chargé des communications. Cette soumission a été approuvée en septembre.

      J'ai commandé la vérification de la gestion des commandites à la Direction générale des services de coordination des communications, ce qui a donné lieu au rapport du 31 août 2000, dont la principale constatation se lit comme suit:

      Le processus de sélection retenu par la DGSCC pour choisir les firmes de communications et l'agence de distribution ne respectait pas l'esprit ni la lettre des règles et directives établies par le Conseil du Trésor.

      Après la présentation de ce rapport, j'ai demandé au vérificateur si je devais appeler la police, mais je me suis fait dire que les problèmes étaient de nature administrative et non criminelle. J'ai immédiatement ordonné un arrêt du Programme de commandites jusqu'à ce qu'un nouveau plan d'action des gestionnaires soit conçu et mis en place.

      Le nouveau plan d'action des gestionnaires a été mis en place à la fin de 2000 ou au début de 2001. De nouvelles firmes de communication ont été choisies à la suite d'un nouveau concours, et le programme a recommencé, le tout selon les normes du Conseil du Trésor.

      En 2001, le conseiller en éthique, à qui j'avais demandé de réviser le contenu de quelques-uns des contrats de publicité qui avaient été donnés à Groupaction et à Groupe Everest, a émis un rapport dans lequel il a conclu que je n'avais pas participé à l'octroi desdits contrats, mais que j'avais simplement approuvé la recommandation du comité de sélection afin de me conformer aux exigences liées au pouvoir de signature.

      Durant la même année, j'ai combiné le Bureau d'information du Canada et la Direction générale des services de coordination des communications. J'ai fait cela parce que je voulais séparer les personnes en charge des programmes de celles qui octroyaient les contrats. Effectivement, il s'agissait d'une tentative de remettre les choses telles qu'elles étaient avant 1994. (10:0930) [*]

    5. Participation aux opérations
    6. En plus de donner une orientation générale, un ministre peut s’acquitter de ses responsabilités en intervenant directement dans les décisions qui touchent un programme ou une activité. L’absence de critères axés sur l’optimisation des ressources ainsi que lignes directrices précises sur le choix des commandites, mentionnée par la vérificatrice générale et confirmée par les témoignages consignés au Neuvième rapport du Comité, aurait augmenté la probabilité d’une participation du ministre et de son cabinet aux opérations. La raison tient à ce qu’un ministre, voulant donner une orientation particulière aux opérations à cause de l’importance perçue du dossier, n’aurait rien sur quoi s’appuyer si ce n’est intervenir dans la prise de décisions individuelles sur les commandites.

      Mme Marleau ne semble pas être intervenue sur le plan opérationnel. Toutefois, tant M. Gagliano que les responsables du Programme des commandites au cours de son mandat de ministre ont témoigné du fait que celui ci et son cabinet sont intervenus dans le choix d’événements particuliers à commanditer (mais non, a t on soutenu, dans le choix des agences qui ont été financées). M. Gagliano a indiqué ce qui suit :

      Pour ce qui est des directives que j'ai données, je pense avoir été clair hier — oui, les directives sur la politique. La politique était que nous devions avoir une visibilité au bon moment. Nous parlions d'événements sportifs, de festivals — des activités qui surviennent dans le temps. Nous vivions également dans un environnement très concurrentiel, parce que le gouvernement du Québec de l'époque ne voulait pas que le gouvernement fédéral s'affiche nulle part au Québec. Mais je n'ai donné que des directives concernant la politique. Oui, j'ai discuté des événements, mais je ne suis jamais intervenu dans l'attribution des contrats ou dans la gestion des agencies — ce sont les fonctionnaires. (11:0955) [*]

      Le témoignage des responsables donne une image quelque peu différente de la nature de cette participation. Par exemple, une personne employée au cours du mandat de M. Tremblay en tant que directeur exécutif (il a succédé à M. Guité) a mentionné au Comité :

      Je me rappelle qu’à quelques occasions M. Tremblay a exprimé son opinion au bureau en disant que le bureau du ministre ne nous laissait pas faire notre travail, qu’il s’ingérait assez souvent dans les activités quotidiennes du Programme de commandites. (15:0955) [*]

    7. Les constatations de la vérificatrice générale
    8. En ce qui concerne les problèmes mis au jour par les vérifications internes et dans le rapport de novembre 2003 de la vérificatrice générale, tant Mme Marleau que M. Gagliano ont refusé d’être tenus responsables. Les deux ministres ont affirmé s’en être remis, de manière implicite, aux responsables ministériels pour l’exécution de leurs directives, selon les exigences établies au sein du Ministère et du Conseil du Trésor et conformément à la Loi sur la gestion des finances publiques (LGFP) et à d’autres dispositions législatives.

      Mme Marleau a fait valoir ce qui suit au Comité :

      À mon arrivée au ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux, j'ai dit clairement aux fonctionnaires que tant que je serai à ce poste tous les protocoles et règles de contrôle des dépenses et de transparence seraient respectés. Parce que l'intégrité était le mot d'ordre lorsque je dirigeais des ministères, je suis fière de ce que j'ai accompli. (15:1205) [*]

      M. Gagliano a pour sa part déclaré :

      Si vous examinez les documents du Cabinet que vous avez devant vous, il est toujours mentionné que cet argent était censé être dépensé en conformité avec la Loi sur la gestion des finances publiques et avec les lignes directrices du Conseil du Trésor. Nul n'a jamais donné l'ordre à quiconque de faire autrement. (10:1025) [*]

      Vous savez, je comptais sur la vigilance du sous-ministre. En fait, le ministère est géré par le sous-ministre.

      Si je puis me permettre une simple comparaison, le ministre est comme le président d'un conseil d'administration, et le sous-ministre en est le directeur général. (10:1200) [*]

      M. Gagliano a également souligné qu’il s’empressait de s’acquitter de sa responsabilité ministérielle d’agir lorsque des problèmes étaient relevés : « Oui, il y avait des problèmes. Toutefois, lorsque nous avons constaté ces problèmes, nous avons pris des mesures immédiates, et les problèmes ont été corrigés. C’est là le rôle d’un ministre, Vous ne pouvez corriger des choses dont vous n’êtes pas au courant. » (10:1005) [*]

  3. Le sous-ministre
  4. Les sous-ministres ont une double responsabilité. Tout d’abord, ils sont généralement responsables de fournir des avis et conseils et d’appliquer les directives d’orientation de leur ministre et du premier ministre, qui est responsable de leur nomination. Deuxièmement, ils assument tout un éventail de responsabilités législatives plus précises, dont celles décrites ci après.

    Puisque M. Quail, sous-ministre en poste au cours de la période visée par le rapport de la vérificatrice générale, était comptable aux ministres Marleau et Gagliano, leur évaluation de son rendement est pertinente dans tout examen de l’exercice de sa responsabilité générale en tant que sous-ministre.

    Mme Marleau a fait l’évaluation suivante de son travail :

    J’ai constaté qu’il était un sous-ministre extrêmement bon, extrêmement compétent. Ma collaboration avec lui à l’époque ne se définit qu’en termes positifs. C’est tout. (15:1240) [*]

    J’aimerais également ajouter que j’ai eu une excellente relation de travail avec M. Ran Quail tout le temps que j’ai été ministre des Travaux publics. J’ai énormément de respect pour son intégrité et pour l’excellence de ses compétences de sous ministre. (15:1210) [*]

    M. Gagliano a aussi exprimé une opinion favorable :

    Je tiens à dire que j’entretenais de bonnes relations avec le sous-ministre de l’époque. Je le voyais régulièrement. (10:1035) [*]

    M. Quail n’a pas offert de témoignage exhaustif sur les responsabilités respectives des ministres et des sous-ministres, mais un de ses commentaires fait ressortir clairement l’importance accordée par le sous-ministre à la prestation de conseils et à la mise en œuvre des directives ministérielles :

    … il s'agit d'une situation difficile, cette interface entre ministres et sous ministres. Dans ce cas particulier, vous donneriez votre avis au ministre, et si le ministre décidait vouloir aller de l'avant, vous iriez de l'avant. C'est le modèle en question. Si vous pensez que certaines questions dépassent votre champ de compétences et celui du ministre et du ministère, j'imagine que vous pourriez parler au greffier [du Conseil privé], si vous le souhaitez. (07:1200) [*]

    Cette approche de ses responsabilités transparaît clairement dans son compte rendu des origines du Programme des commandites, où l’accent est mis sur la priorité de l’action gouvernementale et la nécessité de réagir sur un mode urgent :

    J'ai expliqué plus tôt la façon dont nous avons examiné et géré 99 p. 100 des activités du ministère. Pour ce qui est de la situation de la DGSCC [Direction générale des services de coordination des communications], les présentations, comme je l'ai fait remarquer, étaient signées par le ministre et le premier ministre. On y signalait les défis qui, d'après le gouvernement, devaient être relevés. (07:1055) [*]

    Écoutez, la présentation a été signée par le ministre. Elle a été signée par le premier ministre. C'était sur ordre du gouvernement que le gouvernement voulait faire avancer ce dossier. C'était une situation urgente. (07:1150) [*]

    M. Quail n’a pas établi à cet égard de rapprochement avec la doctrine de la responsabilité du ministre et du sous ministre, mais, dans sa réponse aux questions concernant la relation de travail directe entre le ministre Gagliano et le directeur exécutif du Programme des commandites, il était évident qu’il percevait une tension entre son obligation générale d’appliquer les directives d’orientation du ministre et ses responsabilités plus particulières touchant les pratiques de gestion et d’administration :

    Bien sûr, c'est une situation très difficile pour un sous-ministre dans ses relations avec le ministre. Vous pouvez toujours dire au ministre qu'il ne peut s'adresser à ce groupe en particulier, qu'il doit passer par vous. Je ne l'ai pas fait. Le ministre voulait se charger des discussions. Il voulait s'en occuper. C'était sa responsabilité. Il avait signé les présentations et il avait l'approbation directe pour agir. (07:1115) [*]


* Témoignages 37e législature, 3e session.