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PACP Rapport du Comité

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LA GOUVERNANCE DANS LA FONCTION PUBLIQUE
DU CANADA : OBLIGATION MINISTÉRIELLE DE RENDRE
DES COMPTES

Comité spécial sur la réforme de la Chambre des communes

En 1985, la question a de nouveau été étudiée, cette fois par un comité de la Chambre, le Comité spécial sur la réforme de la Chambre des communes (Comité McGrath), lequel a signalé ce qui suit :

La responsabilité individuelle du ministre s'étend à l'administration du ministère dont il a la charge. Mais il n'est plus raisonnable de dire qu'un ministre doit être tenu responsable lorsque, sans qu'il n'y soit pour rien, ses hauts fonctionnaires abusent de leurs pouvoirs [14].

La notion qu’un ministre puisse continuer d’avoir une connaissance approfondie du fonctionnement quotidien de son ministère et, par conséquent, être tenu responsable des mesures opérationnelles et administratives était peut-être valable au XIXe siècle, mais plus de nos jours. Comme l’ont fait remarquer les membres du Comité :

La notion selon laquelle le ministre doit être responsable de tout ce qui se passe dans son ministère était peut-être réaliste à une certaine époque, mais elle a depuis longtemps cessé de refléter la réalité. Comme le ministre ne peut absolument pas être au courant de tout, la doctrine de la responsabilité ministérielle limite la responsabilité de celui qui devrait être tenu responsable, à savoir le plus haut fonctionnaire du ministère [15].

Pourtant, vingt ans plus tard, on n’aperçoit aucun changement dans la façon d’interpréter la doctrine de la reddition de comptes ministérielle, et, par conséquent, le Comité des comptes publics n’a pu obtenir d’attestation claire de la responsabilité de l’administration du Programme de commandites, et donc identifier un responsable.

Le principe britannique des agents comptables

Comme tout le monde le sait, la démocratie parlementaire façon Westminster a pris naissance et évolué au Royaume-Uni, et de même que la doctrine de la reddition de comptes ministérielle. Ce système, avec ses doctrines et ses pratiques, a formé le modèle des phases subséquentes des gouvernements coloniaux en Amérique du Nord britannique, et c’est ce modèle que l’on a adopté à l’époque de la Confédération pour le régime canadien de gouvernement représentatif.

Au cours des années qui ont suivi la Confédération, le régime britannique a évolué et acquis une nature propre qui n’est pas reflétée au Canada.

En 1866, la Loi sur l’échiquier et la vérification des comptes publics a créé un nouveau poste, celui « d’agent comptable », bien que ce terme ne soit pas entré dans l’usage avant 1872 [16]. Par suite de ces mesures, les secrétaires permanents britanniques (équivalant aux sous-ministres) ont été désignés comme agents comptables pour leur ministère. Ils sont ainsi chargés de l’administration financière des ministères et en sont tenus responsables par le Comité des comptes publics.

Soulignons que ce changement n’a pas compromis la doctrine de la reddition de comptes ministérielle. On dit aux administrateurs permanents britanniques qu’il doivent combiner leurs fonctions en tant qu’agents comptables et leur :

devoir de servir le ministre de tutelle de leur ministère, à qui ils rendent compte et de qui ils tiennent leur autorité. Le ministre, à son tour, rend compte au Parlement des politiques, des mesures et de la conduite du ministère [17]. [traduction]

Les agents comptables sont personnellement responsables de :

l’organisation, de la gestion et de la dotation globales du ministère et des procédures à l’échelle du ministère, le cas échéant, pour les questions financières et autres. [Il] doit faire en sorte que la gestion financière de l’ensemble du ministère soit de haute qualité, que les systèmes et mécanismes financiers favorisent le déroulement efficace et économique des travaux et préservent la rectitude et la régularité financières dans tout le ministère, et que l’on prenne pleinement en compte l’aspect financier dans les décisions sur les énoncés de politiques [18]. [traduction]

En tant qu’agents comptables, les secrétaires permanents sont tenus responsables de l’exercice de leurs fonctions devant le Comité des comptes publics. La responsabilité du ministre et la réceptivité de la fonction publique aux consignes provenant des représentants élus sont préservées, car on précise ce qui arrive lorsqu’un ministre et un secrétaire permanent ne sont d’accord :

Si le ministre à la tête du ministère envisage un plan d’action comprenant notamment une mesure qui, de l’avis de l’agent comptable, contreviendrait aux exigences de rectitude ou de régularité (y compris, s’il y a lieu, la nécessité d’obtenir l’autorisation du Trésor), l’agent comptable devrait faire part par écrit de ses objections au projet, des raisons de ces objections et de son devoir d’en aviser le contrôleur et auditeur général si l’on passait outre à ses conseils. Si le ministre décidait néanmoins d’aller de l’avant avec son projet, l’agent comptable devrait tenter d’obtenir une directive écrite afin de prendre la mesure en question. Après avoir reçu cette directive, il devrait s’y soumettre, tout en informant le Trésor de ce qui s’est passé et en communiquant également les documents au contrôleur et auditeur général le plus rapidement possible. Sous réserve qu’il se soit conformé à cette procédure, le Comité des comptes publics devrait reconnaître que l’agent comptable n’assume aucune responsabilité personnelle eu égard à la transaction.

Si la ligne de conduite envisagée soulève une question litigieuse non pas quant à la rectitude ou à la régularité officielles, mais plutôt quant aux responsabilités plus vastes de l’agent comptable en matière d’économie, d’efficacité et d’efficience […], ce dernier a alors le devoir d’attirer l’attention de son ministre sur les renseignements clés et de le conseiller de la manière qu’il croit utile… Si le ministre rejette les conseils de l’agent comptable et que ce dernier se sent incapable de défendre le projet devant le Comité des comptes publics comme garantissant l’optimisation des ressources, il doit obtenir une directive écrite avant de procéder. Il désirera sans doute invoquer la probabilité d’une enquête du Comité. Il doit alors se conformer à la directive, tout en informant le Trésor et en communiquant la demande de directive et la directive même au contrôleur et auditeur général dans des délais raisonnables, tout comme pour une question de rectitude ou de régularité [19]. [traduction]

Ces mesures clarifient la doctrine de la reddition de comptes ministérielle en établissant une distinction entre le rôle d’un ministre en matière de politique et le rôle administratif d’un sous-ministre [secrétaire permanent], tout en préservant la responsabilité et la reddition de comptes ultimes du ministre à l’égard des mesures prises par son ministère.

Une dernière particularité, remarquable, du modèle de l’agent comptable est que la responsabilité et la reddition des comptes dans les formes prescrites par ce modèle sont rattachées à la personne et non au poste. Ainsi, comme le Pr Franks l’a mentionné au Comité, « cette responsabilité des agents comptables est personnelle et leur reste rattachée même s'ils changent de poste ou prennent leur retraite » (43:1115) [*]. Au Canada, la situation est inversée : selon l’interprétation dominante de la reddition de comptes ministérielle, la responsabilité est rattachée au poste et non à la personne. Cette interprétation (qui est appliquée officiellement à la responsabilité ministérielle) influence la perception de la responsabilité sous-ministérielle. Joint au roulement rapide des sous-ministres, cela a pour résultat, comme l’explique le Pr Franks, que, lorsqu’un problème est porté à la connaissance du Comité des comptes publics, il est plus que probable que le sous-ministre qui présidait au moment mentionné dans la vérification aura quitté son poste, et le Comité ne pourra blâmer personne pour ce qui a mal tourné [20]. C’est ce qui s’est produit dans le cas du ministre et du sous-ministre au sujet de l’enquête sur le Programme de commandites effectuée par le Comité.


* Témoignages 37e législature, 3e session.

[14] Comité spécial sur la réforme de la Chambre des communes, Rapport du Comité spécial sur la réforme de la Chambre des communes, juin 1985, p. 20–21.

[15] Ibid., p. 21.

[16] C.E.S. Franks, Not anonymous: ministerial responsibility and the British accounting officers, Canadian Public Administration/Administration publique du Canada, hiver 1997, vol. 40, no 4, p. 629.

[17] Her Majesty’s Treasury, The Responsibilities of an Accounting Officer, Londres, Royaume-Uni, paragraphe 2.

[18] Ibid., paragraphe 5.

[19] Ibid., paragraphes 15 et 16.

[20] Responsabilité et reddition de comptes pour les ministres et sous-ministres au Canada. Mémoire présenté au Comité des comptes publics de la Chambre des communes par C.E.S. Franks, le 11 janvier 2005, en particulier p. 36-41.