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FAAE Rapport du Comité

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LES RELATIONS CANADA-ÉTATS-UNIS :

VIEUX DÉFIS ET NOUVELLES PERSPECTIVES

Introduction

En février 2009, le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes a entrepris un examen des éléments clés de la politique étrangère du Canada. L’élection d’un nouveau gouvernement américain au cours de l’automne 2008 et la décision du président Barack Obama d’effectuer au Canada sa première visite à l’étranger en février 2009 ont amené le Comité à concentrer son attention sur les relations Canada-États-Unis. Pendant sa visite à Ottawa, le président Obama a déclaré, au cours d’une conférence de presse conjointe avec le premier ministre Stephen Harper :

Je suis venu au Canada pour mon premier voyage à titre de président afin de souligner l’étroitesse et l’importance des liens existant entre nos deux pays, et de réaffirmer l’engagement des États-Unis à collaborer avec leurs amis et leurs partenaires pour relever les défis communs qui se posent à nous aujourd’hui. En tant que voisins, nos liens sont si étroits que parfois nous pouvons avoir tendance à tenir notre relation pour acquise. Toutefois, le succès même de notre amitié tout au long de l’histoire exige le renouvellement et l’approfondissement de notre coopération maintenant, en ce XXIe siècle[1].

Pour sa part, le premier ministre Harper a dit :

Nous sommes profondément honorés [que M. Obama] ait choisi le Canada pour sa première visite à l’étranger depuis son arrivée au pouvoir. Son élection à la présidence ouvre un nouveau chapitre de la riche histoire des relations entre le Canada et les États-Unis. C’est une relation entre alliés, entre partenaires, entre voisins et amis très proches, une relation fondée sur des valeurs communes — la liberté, la démocratie et l’égalité des chances — des valeurs personnifiées par le Président lui-même[2].

Le but du Comité était de faire le point sur les défis que posent ces relations et d’examiner les nouvelles perspectives de coopération, plutôt que de faire une étude exhaustive de tous les aspects des relations Canada-États-Unis. Depuis février, le Comité a entendu des universitaires, des fonctionnaires, d’anciens diplomates de haut rang et des gens d’affaires qui étaient disposés à le faire profiter de leur connaissance des États-Unis et de leur expérience des relations bilatérales. Le Comité a reçu des témoins qui ont parlé de toute une gamme de sujets. Bien qu’il ait l’intention d’examiner plus en détail certains d’entre eux (comme la souveraineté et la coopération dans l’Arctique) au cours des prochains mois, le Comité a préféré se concentrer sur la façon dont le Canada gère ses relations avec les États-Unis et sur les moyens d’apporter des améliorations à cet égard. En avril, les membres du Comité se sont rendus à Washington où ils se sont entretenus avec plus d’une douzaine de législateurs américains de la Chambre des représentants et du Sénat, avec des responsables du département d’État et de l’Agence américaine du développement international (USAID) ainsi qu’avec des experts indépendants.

L’analyse des relations Canada-États-Unis dans le cadre de l’étude de la politique étrangère canadienne fait partie d’une longue tradition. Il y a cependant des raisons fondamentales qui expliquent cette répétition. Depuis la Seconde Guerre mondiale, ces relations ont évolué au point de devenir les plus importantes des relations bilatérales du Canada. De fait, lors de sa première comparution devant le Comité, le ministre des Affaires étrangères Lawrence Cannon, parlant de ces relations aussi anciennes que vitales, a dit : « Nous savons tous que la prospérité et la sécurité du Canada sont indissociables de celles des États-Unis. Je suis convaincu que l’arrivée d’un nouveau gouvernement à Washington permettra de redynamiser le dialogue et le partenariat entre le Canada et les États-Unis pour un grand nombre d’enjeux d’intérêt commun[3]. » Bien que leurs points de vue diffèrent, tous les membres du Comité conviennent que ces relations revêtent une importance tout à fait particulière pour le Canada et doivent être traitées comme telles par Ottawa, et que des efforts sont nécessaires en permanence pour les améliorer et les renforcer. Ce dernier point est d’autant plus pressant que les relations sont des interactions dynamiques qui connaissent des hauts et des bas.

Un nouvel élément est venu marquer ces relations : c’est l’élection à Washington d’un gouvernement déterminé à aborder les relations internationales dans une optique de « puissance intelligente », qui reconnaît l’importance de la diplomatie et du développement en même temps que de la puissance militaire. Par ailleurs, la communauté internationale attend de ce nouveau gouvernement un leadership renouvelé sur toute une gamme de sujets allant de l’Afghanistan aux armes nucléaires et à l’environnement. Toutefois, le nouveau gouvernement doit affronter un climat politique marqué par une crise économique mondiale. Par conséquent, la situation présente à la fois des défis et des perspectives pour le Canada. Du côté des défis, il sera d’autant plus difficile d’attirer et de retenir l’attention de Washington – surtout pour défendre la position canadienne sur les questions bilatérales – que nous traversons une période d’énormes changements et de bouleversements financiers. Les perspectives découlent de l’engagement du gouvernement américain à collaborer plus étroitement avec ses alliés et du fait qu’il partage beaucoup des priorités de la politique canadienne au niveau tant bilatéral que multilatéral. Pour atteindre nos objectifs de politique étrangère, nous avons besoin d’un service extérieur canadien créatif, adéquatement financé et bénéficiant de l’appui du gouvernement. Le Canada compte sur son service extérieur hautement professionnel pour transmettre clairement ses messages concernant les politiques et les préoccupations bilatérales et recevoir et correctement interpréter les messages américains. Un service étranger encore plus solide bâti à partir du service extérieur respecté d’aujourd’hui est également essentiel pour veiller à ce que la politique étrangère canadienne soit assez énergique sur la scène mondiale pour susciter l’intérêt et retenir l’attention des Américains. Comme l’a dit au Comité l’ancien diplomate Paul Heinbecker, « plus nous serons efficaces dans le monde, plus on nous prêtera une oreille attentive à Washington; et plus Washington écoutera ce que nous avons à dire, plus nous serons efficaces dans le monde. Ainsi, une politique étrangère indépendante et efficace sert à la fois nos objectifs d’une manière générale et nous aide à atteindre nos objectifs bilatéraux avec Washington[4]. »

Un nouvel environnement mondial

Dans un discours prononcé devant le Parlement du Canada en 1961, le président John F. Kennedy avait dit : « La géographie a fait de nous des voisins; l’histoire a fait de nous des amis; les questions économiques ont fait de nous des associés; et la nécessité a fait de nous des alliés. Que personne ne vienne séparer deux peuples que la nature a ainsi réunis. Ce qui nous unit est beaucoup plus profond que ce qui nous divise. »  Toutefois, même si les fondements des relations Canada-États-Unis demeurent les mêmes, les importants changements survenus dans le monde ont touché les deux pays et, partant, leurs relations bilatérales.

Un certain nombre des témoins qui ont comparu devant le Comité ont évoqué les importantes transformations durables de la distribution géographique du pouvoir économique et démographique qui se sont produites et continuent de se produire dans le système mondial. Plusieurs ont noté que, d’ici 2045, le groupe dit BRIC – le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine – aura collectivement un produit intérieur brut supérieur à celui du G7[5]. La montée de ces acteurs mondiaux émergents, qui devrait se poursuivre malgré l’actuelle crise économique mondiale, implique une baisse de l’importance relative des économies du Canada et des États-Unis dans l’avenir. Même si cette évolution créera des défis pour les deux pays, elle offrira aussi au Canada des occasions à saisir s’il est disposé à renforcer ses capacités internationales. Le très honorable Joe Clark a dit au Comité que « le pouvoir dans le monde est en train de changer », ajoutant :

Comme Fareed Zakaria prend soin de le signaler dans son ouvrage, The Post-American World, le déplacement du pouvoir ne s’explique pas par le déclin de qui que ce soit, mais plutôt par la montée et l’affirmation de forces nouvelles.
[...] le Canada peut avoir, relativement, plus d’influence en politique et en diplomatie que sur les plans commercial et économique. La puissance économique dépend de la taille. La diplomatie dépend davantage de l’imagination, de la souplesse et de la réputation. Les forces politiques et diplomatiques du Canada resteront plus d’actualité si nous décidons de nous en servir, mais nous les laissons se dégrader alors que nous devrions les renforcer[6].

L’ancien diplomate James Taylor a dit au Comité : « Le pouvoir est sans aucun doute redistribué dans le monde... mais une fois que nous aurons traversé les eaux tumultueuses actuelles — comme nous l’espérons tous —, nous constaterons encore que les États-Unis sont le pays le plus puissant du monde. Ils seront peut-être un peu moins puissants dans cinq ans qu’ils ne l’étaient il y a cinq ans, mais il n’en reste pas moins qu’ils seront toujours nos voisins[7]. »

Pour M. Stephen Clarkson, professeur à l’Université de Toronto, le Canada a perdu de l’importance aux yeux des États-Unis sous certains aspects et en a gagné sous d’autres. Ainsi, nous sommes moins importants pour Washington sur le plan de la stratégie militaire à cause de la fin de la guerre froide et sur le plan de l’économie mondiale parce que d’autres pays se sont développés. En même temps, le Canada joue un rôle plus important dans la sécurité intérieure des États-Unis à l’heure du terrorisme international et, plus récemment, dans la sécurité énergétique et environnementale des Américains[8]. Bien que le Comité n’ait pas examiné en détail les questions liées au commerce, à l’énergie et à l’environnement – qui relèvent d’autres comités parlementaires –, il convient qu’elles jouent un rôle essentiel dans les relations canado-américaines.

Selon un des témoins que nous avons entendus, le déplacement des centres de pouvoir américains sur les plans politique, économique et démographique vers le Sud et l’Ouest, à l’écart des États limitrophes du Canada, a eu pour effet d’amoindrir l’influence du Canada aux États-Unis[9]. Clarkson et d’autres ont mis en évidence un autre facteur : le Canada est rarement évoqué dans les débats politiques américains, tout simplement parce qu’il ne constitue pas souvent un « problème » pour les États-Unis. D’après Clarkson, « nous occupons une moins grande place sur la scène politique en ce sens que nous ne sommes pas une source de problèmes — je le dis sans sarcasme — et pour Washington, nous ne constituons pas une préoccupation; nous ne sommes pas sur son écran radar[10]. »

Un autre défi découle du fait que certaines des hypothèses sous-jacentes liées aux grandes caractéristiques des relations bilatérales ne sont plus valides, mais continuent d’être prises en compte dans les débats et les réactions politiques. Par exemple, on dit encore souvent que le Canada et les États-Unis ont des relations commerciales bilatérales qui comptent parmi les plus importantes du monde. Pourtant, quand Michael Hart, de l’Université Carleton, a décrit les relations économiques « très intenses » entre les deux pays, il a précisé « qu’on ne peut plus vraiment parler de relations commerciales ou de relations d’investissement; nous sommes allés bien plus loin. Le Canada et les États-Unis sont tissés serrés. Les industries canadiennes sont profondément ancrées dans l’économie américaine, et les États-Unis dépendent à leur tour de notre contribution à leur économie[11]. » Par suite de cette intégration et de cette transformation économique, le dialogue et les négociations classiques concernant les échanges bilatéraux de marchandises ont cédé la place aux discussions nécessaires pour régler les questions liées aux chaînes de valeurs mondiales intégrées, dont nos relations économiques bilatérales forment une partie importante. Pour Howard Mains, du Conseil des affaires canado-américaines, cette intégration économique signifie que le Canada et les États-Unis continueront à dépendre l’un de l’autre sur le plan de la « sécurité économique[12] ». Même si peu de témoins ont fait plus qu’évoquer les relations tripartites entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, dans le cadre de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), Stephen Clarkson a tenu à affirmer qu’il était impossible de comprendre ces questions et d’autres enjeux connexes sans inclure le Mexique.

Les défis bilatéraux actuels

Même si le président Obama a affirmé en février qu’il « aime ce pays », Leslie Campbell, un observateur de longue date de la scène canadienne basé à Washington a écrit en mai 2009 que « rien n’indique que Washington a un nouveau point de vue sur le Canada ». Il a ajouté : « Bien sûr, il n’y a aucun mouvement anticanadien au sein de l’administration  Obama, mais il faut chercher longtemps pour trouver des signes d’une nouvelle ère d’épanouissement des relations Canada-États-Unis. La frontière est de plus en plus opaque, les irritants commerciaux s’accumulent et on semble même dédaigner certaines de nos sources d’énergie[13]. »

Le gouvernement du Canada continue de s’occuper activement de ces dossiers, et d’autres encore.  En mai 2009, le ministre des Affaires étrangères Lawrence Cannon a dit au Comité : « Nous cultivons nos relations bilatérales avec le pays qui est notre principal partenaire commercial et l'un de nos plus proches alliés : les États-Unis. Nous avons entamé un dialogue approfondi avec l'administration Obama — un dialogue que mène le premier ministre avec le soutien actif de près de 20 ministres, dont moi-même, et dans le cadre duquel nous abordons une vaste gamme de sujets[14]. »

Si la majorité des échanges commerciaux bilatéraux ne présentent pas de difficultés particulières, certains irritants hautement médiatisés, dans des domaines qui, historiquement, ont rarement représenté ensemble  plus de 5 p. 100 de nos rapports économiques, continuent de retenir l’attention parce qu’ils ont des effets sur l’économie américaine et font l’objet d’un lobbying actif de la part d’importants groupes d’intérêts intérieurs. Même quand le gouvernement américain est en principe d’accord avec le Canada sur une question particulière, il a bien d’autres chats à fouetter et bien d’autres dossiers qui requièrent davantage le capital politique dont il peut user auprès du Congrès. À l’exception des enjeux tels que le secteur de l’automobile, la portée et l’importance de nos relations bilatérales sont restées relativement constantes ces dernières années. En même temps, la complexité et l’urgence des problèmes mondiaux, qu’il s’agisse de l’Afghanistan, du Pakistan, de la crise financière mondiale ou des défis environnementaux, ont énormément augmenté.

La taille et la complexité des relations Canada-États-Unis sont telles qu’il y aura toujours un certain nombre de questions critiques – frontière de plus en plus difficile à franchir, protectionnisme et autres problèmes permanents comme le bois d’œuvre résineux et l’agriculture – que le gouvernement du Canada doit continuer à défendre avec insistance. Selon l’historien Jack Granatstein, il est évident qu’en fin de compte, le Canada ne pourra jamais gagner une « guerre » totale contre les États-Unis compte tenu des différences de taille et d’autres facteurs, mais il pourrait remporter de nombreuses batailles s’il sait bien les choisir[15]. Bien que chaque irritant bilatéral soit unique en son genre et exige une stratégie particulière pour être réglé, au fil des ans, nous avons appris à nos dépens quelques leçons de base – par exemple, rejeter la tentation de relier un différend à un autre – que nous devons exploiter.

Défendre les intérêts du Canada à Washington

Les témoins ont souligné la difficulté qu’il y a à attirer et à retenir l’attention de Washington, difficulté partiellement attribuable à la multiplicité des centres de pouvoir aux États-Unis – et à d’intenses activités intérieures de lobbying – ainsi qu’au fait que presque tous les pays du monde cherchent à attirer l’attention de Washington. Les témoins ont également proposé des moyens de surmonter cette difficulté, et notamment la recherche de partenaires américains, l’intensification des programmes de diplomatie publique et une attention constante à des secteurs tels que le Congrès des États-Unis. Peu de ces suggestions sont neuves. Le Comité les avait déjà étudiées et avait formulé des recommandations à leur sujet dans un rapport complet publié en 2002 sur les relations en Amérique du Nord[16]. Toutefois, le fait que ces suggestions reviennent sur le tapis en 2009 montre qu’elles concernent des questions qui demeurent fondamentales. Garry Douglas, de la Chambre de commerce Plattsburgh-North Country, qui avait auparavant travaillé pendant plus de 10 ans au Capitole, a proposé au Comité différentes mesures pour exercer des pressions plus efficaces à Washington : reconnaître le rôle des partenariats de la base, des provinces et des villes, concentrer les efforts sur les questions les plus délicates, agir à l’échelle bilatérale plutôt que trilatérale en englobant le Mexique, ne pas perdre de vue les préoccupations relatives à la frontière et à la sécurité et éviter les termes à forte connotation politique tels que « commerce » lors de la discussion des relations économiques Canada-États-Unis. M. Douglas a ajouté :

Ce n’est pas volontaire, mais je crois qu’il n’y a pas eu suffisamment d’efforts concertés de la part du Canada pour identifier – et je ne crois pas qu’il soit difficile de les identifier ­– des personnes intéressées, des groupes et des porte-parole efficaces qui défendent activement les intérêts du Canada aux États-Unis, et partout sur le continent. Il n’y a pas eu non plus suffisamment d’efforts concertés pour les utiliser d’une façon plus coordonnée, cohérente et soutenue afin d’aider le Canada à passer ses messages et à garantir ses accès.
Si je m’arrêtais là, et que je devais laisser un seul message, ce serait qu’il faut faire un effort beaucoup plus concerté et soutenu dans ce domaine. Des efforts bien intentionnés sont faits de temps en temps, çà et là, mais ils ne sont ni soutenus, ni coordonnés de façon cohérente[17].

Dans les années 1980, l’ambassade du Canada à Washington s’était efforcée d’étendre les efforts canadiens de lobbying au-delà de la Maison-Blanche afin d’établir davantage de contacts avec le Congrès. Peter Harder, qui a été sous-ministre dans un certain nombre de ministères, dont les Affaires étrangères et le Commerce international, a dit au Comité que ces efforts se sont poursuivis avec la création d’un Secrétariat à la défense des intérêts canadiens à notre ambassade de Washington. « M. Gotlieb, quand il était notre ambassadeur à Washington, avait créé un service en charge des relations avec le Congrès justement pour dynamiser nos relations avec le Congrès. Puis, notre pensée a évolué et, reconnaissant que les provinces aussi avaient des relations avec Washington, nous nous sommes dit que nous devrions en profiter et être plus actifs dans la défense de nos intérêts en utilisant le Web et d’autres outils[18]. » M. Harder a cependant ajouté : « J’applaudis les efforts du gouvernement du Canada qui ont fait en sorte que nos relations de travail ne soient pas seulement avec la Maison-Blanche, mais nous avons connu moins de succès que d’autres pays – l’Australie, par exemple, qui est très présente à Washington – et n’avons peut-être pas su miser sur nos succès d’il y a 20 ans auprès du Congrès et dans les relations infranationales[19]. »

Un rapport publié en janvier 2009 par l’Université Carleton[20] décrit bien les critères généraux à respecter pour établir des contacts bilatéraux soutenus avec les États-Unis. Le rapport avait été produit dans le cadre d’une étude conjointement dirigée par Derek Burney, ancien ambassadeur du Canada aux États-Unis, et M. Fen Osler Hampson, professeur à l’Université Carleton. M. Colin Robertson, agent du service extérieur qui avait dirigé le Secrétariat à la défense des intérêts canadiens à Washington et qui est actuellement détaché à l’Université Carleton à titre d’agrégé supérieur de recherche pour diriger le projet Canada-États-Unis, a dit au Comité : « Les événements ne font que faire ressortir davantage l’importance du leadership national, de l’initiative et d’une campagne permanente, au regard desquels les parlementaires auront un rôle clé à jouer[21]. » Pour lui, le moment est bien choisi pour intensifier les contacts sur les questions bilatérales parce que la diplomatie canadienne et d’autres efforts ont réussi à nous rendre plus attrayants à Washington. M. Robertson a ajouté :

Les astres sont alignés : les Canadiens sont à l’aise avec Obama, et les provinces et le milieu des affaires s’accordent quant à l’importance d’entreprendre des choses avec les États-Unis.
Notre proximité géographique ainsi que le réseau mondial que nous avons et qui reflète notre pluralisme nous confèrent une sensibilité et une perspective uniques du point de vue des relations internationales. Ces renseignements sont une précieuse monnaie d’échange diplomatique, tout particulièrement à Washington. En jouant habilement ses cartes, le Canada peut se tailler une place unique dans un monde où tous les autres joueurs cherchent à comprendre ce que pensent les États-Unis et à déterminer s’ils se préoccupent véritablement du sort du reste du monde.
Voici donc l’occasion d’établir un partenariat judicieux avec les États-Unis, dont le Canada pourra tirer parti. C’est une occasion à ne pas rater. Étant donné que les trois quarts de nos échanges commerciaux se font avec les États-Unis et que notre prospérité dépend du commerce, les effets d’un partenariat infructueux se feraient sentir très rapidement d’un bout à l’autre du pays. La difficulté du contexte actuel exige du Canada qu’il poursuive un but précis et qu’il le fasse avec détermination[22].

Se fondant sur l’expérience qu’il a acquise à Washington, Robertson a souligné la valeur très réelle des contacts personnels entre les parlementaires canadiens et leurs homologues américains dans le cadre de mécanismes tels que le Groupe interparlementaire Canada-États-Unis, qui a célébré son 50e anniversaire en 2009 et a adopté une série de résolutions traitant de questions d’actualité[23]. Il a proposé, dans ce contexte, de permettre aux parlementaires canadiens d’utiliser les points de voyage actuellement réservés aux visites à Washington pour aller ailleurs aux États-Unis.

Poursuivre des objectifs communs de politique étrangère

À part la poursuite et le renforcement des efforts liés à des enjeux bilatéraux, plusieurs témoins étaient d’avis que l’adoption par l’administration Obama d’une approche de « puissance intelligente » en politique étrangère – qui se combinerait bien avec l’approche pangouvernementale que le Canada a adoptée en matière de politique étrangère – fournirait au Canada une occasion de resserrer ses liens avec les États-Unis en poursuivant des objectifs communs de politique étrangère. Fen Osler Hampson a écrit ce qui suit en janvier 2009 :

Comme l’a souligné Mme Clinton, la notion de puissance intelligente comporte un axiome clé d’après lequel « l’Amérique ne peut pas régler seule les problèmes les plus pressants du monde ». Elle a besoin de l’aide de ses amis et alliés.
Étant un important ami et allié des États-Unis, le Canada devrait s’empresser d’accepter l’invitation de Washington. Comme M. Obama doit effectuer une visite à Ottawa le mois prochain, l’heure n’est vraiment pas aux réticences et aux hésitations. Les dirigeants canadiens doivent offrir leur collaboration au nouveau gouvernement américain sur un certain nombre de fronts diplomatiques tout en soulignant les avantages mutuels d’une coopération bilatérale dans les efforts visant à régler les problèmes mondiaux les plus pressants aux chapitres de l’économie, de la sécurité et de l’environnement. Un partenariat avec les États-Unis sur les enjeux mondiaux pourrait également se révéler essentiel pour retenir l’attention de Washington sur un ensemble plus étroit de questions frontalières, allant d’une réforme de la réglementation à la facilitation du commerce transfrontalier, qui revêtent plus d’importance pour nous que pour les États-Unis[24].

Témoignant devant le Comité, Fen Osler Hampson a ajouté que « les occasions ne manquent pas pour assurer une coopération sur la scène mondiale, mais nous devons être sélectifs et miser sur nos forces[25]. » Michael Byers, professeur à l’Université de la Colombie-Britannique est du même avis :

... j’aimerais dire que rien ne ferait plus plaisir à Barack Obama que de voir le Canada embarquer dans l’arène diplomatique. Son administration et lui-même ont énormément de pain sur la planche. Ils ne peuvent pas s’occuper de tout et être vraiment efficaces. Il serait très apprécié qu’un partenaire de confiance tel que le Canada, qui a de grandes capacités diplomatiques, vienne partager une partie de ce fardeau, prenne des dossiers en main, et que les deux pays collaborent[26].

Parmi les dossiers économiques, environnementaux et de sécurité mentionnés par Hampson, Byers et d’autres témoins, il y a lieu de citer les suivants : l’Afghanistan (le Pakistan), qui constitue une priorité canadienne depuis des années et qui compte maintenant parmi les priorités des États-Unis, la non-prolifération et le désarmement nucléaire ainsi que le renforcement de la coopération avec les pays des Amériques.

Le Comité a examiné un certain nombre de ces suggestions et propositions au cours de ses réunions à Washington en avril 2009 en interrogeant des témoins sur les perspectives générales d’une collaboration accrue sur les questions de politique étrangère ainsi que sur quelques idées précises portant sur différents domaines. De nombreux interlocuteurs ont commencé par exprimer leur reconnaissance pour les sacrifices consentis par les Canadiens et leur contribution en Afghanistan. Le rôle canadien à cet égard est considéré comme un exemple parfait de poursuite d’un objectif commun de politique étrangère qui a attiré l’attention des Américains sur le Canada. Ces interlocuteurs se sont également félicités de la perspective d’une collaboration accrue entre les deux pays en matière de politique étrangère, quoique leur degré d’enthousiasme et de connaissance de la situation variait. Encore une fois, ce résultat n’est pas surprenant compte tenu de la diversité des champs d’intérêt des législateurs américains avec lesquels les membres du Comité se sont entretenus. Pour beaucoup d’entre eux, les enjeux de « politique étrangère » mettent beaucoup plus souvent en cause l’Iran ou l’Afghanistan que le Canada. Peter Harder a ajouté une autre dimension à la question de la collaboration en matière de politique étrangère en disant au Comité qu’une participation accrue du Canada pourrait être très utile pour les États-Unis dans un certain nombre de domaines et de régions, pourvu que nous soyons disposés à agir parfois dans les coulisses :

Je crois que le Canada pourrait certainement jouer un rôle à ce chapitre, à condition qu’il n’en parle pas. C’est l’un des plus grands défis de la politique étrangère. Au Parlement, dans les médias et en public, on souhaite décrire ce qu’on fait, et Cuba est un exemple parfait de notre expérience – nous sommes à Cuba depuis longtemps — et de l’expertise que nous avons acquise et que les Américains recherchent et qui pourrait être mise à profit, à condition que nous n’en parlions pas... Je vous donnerai un autre exemple : l’Iran. Les Américains ne sont pas présents, tandis que nous si. Et voilà un autre exemple classique de la façon dont le Canada peut discrètement apporter une autre perspective[27].

D’autres réunions ont donné lieu à des suggestions plus détaillées, notamment une séance d’information sur la non-prolifération et le désarmement nucléaire organisée à l’intention du Comité par le Carnegie Endowment for International Peace. Tant à Ottawa qu’à Washington, des témoins ont signalé que les questions nucléaires avaient pris une nouvelle importance pour plusieurs raisons. Malgré le maintien de grands arsenaux d’armes nucléaires et plusieurs cas de prolifération, la coopération internationale dans ce domaine est plus ou moins au point mort depuis quelques années. De plus, le président Obama s’est engagé à poursuivre l’objectif d’un monde exempt d’armes nucléaires. On peut en outre s’attendre à une demande accrue, un peu partout dans le monde, de programmes nucléaires civils pour réduire les émissions de carbone, même si on ne s’entend pas sur la question de savoir si l’énergie nucléaire constitue la solution la plus efficace. À Ottawa, des témoins ont dit au Comité que le Canada pourrait s’engager sérieusement à redynamiser la coopération internationale dans le cadre de ses politiques traditionnelles de soutien de la non-prolifération et du désarmement. À Washington, les experts du Carnegie Endowment partageaient cet avis, soulignant qu’à titre de grand producteur d’uranium, le Canada peut jouer un important rôle de leadership en faveur de l’utilisation pacifique de l’énergie atomique parmi les États non dotés d’armes nucléaires, en veillant à ce que les programmes nucléaires civils ne favorisent pas la prolifération et en appuyant l’Agence internationale de l’énergie atomique. Il est urgent de réaliser des progrès dans le domaine nucléaire compte tenu de l’évolution de la situation en Corée du Nord et en Iran et en prévision de la prochaine conférence d’examen du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, qui doit se tenir en 2010.

Au Woodrow Wilson International Center for Scholars, organisme de Washington créé par une loi du Congrès, le directeur Lee Hamilton, qui a servi pendant 34 ans à la Chambre des représentants et a été membre de haut rang et président du Comité des affaires étrangères, a présenté aux membres du Comité un aperçu détaillé de l’administration Obama et de la politique étrangère américaine. Depuis qu’il a quitté le Congrès, M. Hamilton a été coprésident de la Commission sur les attentats du 11 septembre et du Groupe d’études sur l’Irak. Il est actuellement membre du conseil consultatif du directeur du FBI, du Groupe d’étude de la sécurité nationale du secrétaire à la Défense et du Groupe d’étude du département de la Sécurité intérieure sur la prévention de l’entrée en territoire américain d’armes à effet massif. M. Hamilton a dit au Comité que ceux qui s’intéressent à la politique étrangère connaissent actuellement une période d’enthousiasme débordant à Washington. Pour lui, le président Obama a changé le ton et l’attitude des États-Unis en politique étrangère et a lancé des initiatives dans une foule de domaines. La grande question qui se pose est de savoir si la nouvelle approche donnera des résultats. M. Hamilton croit que, dans l’ensemble, les États-Unis se sont bien positionnés. Le président Obama comprend que la puissance militaire est un moyen important en relations internationales, mais qu’elle ne suffit pas et que les États-Unis ne peuvent pas régler seuls tous les problèmes internationaux. Quand on lui a demandé si une plus grande collaboration du Canada en matière de politique étrangère serait utile pour les États-Unis, M. Hamilton a répondu qu’il n’existe pas, à sa connaissance, un seul domaine dans lequel le Canada ne peut pas intervenir utilement. Lorsqu’un membre du comité a noté que les législateurs américains avaient différents points de vue à cet égard, il a dit qu’il ne fallait pas attendre le Congrès : c’est la Maison-Blanche qui mène en matière de politique étrangère, le Congrès n’étant qu’un joueur « marginal ». Interrogé sur des questions comme les relations avec Cuba, M. Hamilton a répondu que le Canada était déjà en avance sur les États-Unis dans des domaines tels que le soutien de la société civile dans ce pays et a encouragé le Canada à poursuivre ses efforts.

Tandis que M. Hamilton et d’autres témoins préconisaient une plus grande collaboration du Canada avec Washington, Paul Heinbecker a noté que pour entreprendre un tel effort, il fallait du personnel capable d’établir des contacts à Washington. L’ambassadeur Michael Wilson a dit au Comité que le gouvernement reconnaît la valeur d’une approche consistant à faire « cause commune » avec les États-Unis. Heinbecker est cependant d’avis que cette approche doit figurer plus haut dans la liste des priorités du gouvernement et doit se traduire par un modus operandi précis pour les diplomates canadiens affectés à Washington :

Si nous voulons entretenir de bonnes relations avec Washington, nous devons bien faire les choses au niveau de l’ambassade, notamment nous devons veiller à ce que l’ambassade prenne de nouveau une part active à la politique étrangère américaine. En examinant la façon dont l’ambassade canadienne s’est comportée, plus particulièrement au cours des dernières années, on constate que ses relations ont toutes été bilatérales. En effet, les représentants de l’ambassade n’ont pas été très présents sur la scène internationale et, ce faisant, nous nous sommes privés de moyens étant donné qu’aujourd’hui la meilleure carte que nous pouvons jouer est probablement celle de l’Afghanistan...
Il faut nous doter d’une politique étrangère et désigner des personnes qui, à l’ambassade auront pour tâche d’entretenir des liens avec les hauts responsables américains de la politique étrangère... Et je peux vous dire que tant les Britanniques, les Français, les Allemands, les Russes et les Chinois le font, tout comme les Indiens. En fait, tous ceux à qui je pense souhaitent procéder ainsi parce que c’est le signe que nous prenons nos responsabilités à cœur et que nous assumons la responsabilité de tout ce qui arrive dans le monde[28].

RECOMMANDATION 1

Compte tenu du besoin de régler d’urgents problèmes mondiaux tout en renforçant les relations avec les États-Unis, le Comité recommande que le gouvernement du Canada accentue sa collaboration avec les États-Unis dans la poursuite d’objectifs communs de politique étrangère. Plus précisément, le gouvernement du Canada devrait intensifier ses efforts sur les questions économiques et les relations commerciales bilatérales et faire de la diplomatie la pierre angulaire de sa politique étrangère s’agissant des objectifs d’intérêt commun.

Au cours de plusieurs des audiences du Comité, des témoins ont mentionné un mécanisme concret et de niveau élevé de collaboration en matière de politique étrangère : il s’agit des réunions trimestrielles couramment tenues dans le passé entre le ministre des Affaires étrangères du Canada et son homologue américain. Peter Harder a dit au Comité : « Quand George Shultz était secrétaire d’État, il s’entretenait avec le ministre canadien des Affaires étrangères tous les trois mois. Il disait qu’il s’occupait alors de son jardin. Il est certain que, lors de ces entretiens, on parlait de questions bilatérales, mais on discutait aussi des points chauds du globe; le point de vue canadien n’était pas toujours celui des Américains, mais cet échange d’idées et de points de vue était bénéfique[29]. » Interrogé au sujet de ce mécanisme, Joe Clark, qui avait assisté à beaucoup de ces réunions à titre de secrétaire d’État aux Affaires extérieures, a répondu :

En fait, la relation entre le secrétaire Shultz et moi-même était très efficace en raison de la structure qui avait été mise en place, et, pour rendre à César ce qui appartient à César, cette structure existait déjà quand je suis arrivé... Elle procurait l’avantage suivant. Le ministre des Affaires étrangères du Canada ne peut échapper aux événements qui surviennent aux États-Unis, mais le secrétaire d’État américain doit faire beaucoup d’efforts pour prêter attention à ce qui se passe au Canada. Grâce à ces réunions trimestrielles, il y avait un moment où le secrétaire d’État américain devait laisser de côté tout le reste et s’attarder à certains détails – souvent des détails très précis – concernant le Canada, de sorte que nous recevions constamment une très grande attention.
[...] Je crois que, si nous avions l’occasion de remettre sur pied ce genre de structure, nous devrions la saisir, et je crois que c’est le genre d’initiative à laquelle il faudrait rapidement donner suite pour amener l’administration américaine à la considérer comme une bonne idée... Si ce mécanisme ne convient pas – car il pourrait ne pas être adapté aux besoins actuels –, il faudrait trouver une structure semblable[30].

Le Comité convient qu’une telle structure serait précieuse.

RECOMMANDATION 2

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada propose de rétablir la pratique des réunions régulières à date fixe entre le ministre des Affaires étrangères du Canada et le secrétaire d’État des États-Unis et que ces réunions aient lieu au moins deux fois l’an.

Réinvestir dans la diplomatie canadienne

Il n’existe ni une solution unique pour relever les défis décrits ci-dessus ni une clé pour ouvrir les nouvelles perspectives qui s’annoncent. Le facteur commun, dans les deux cas, est la nécessité d’avoir un service extérieur professionnel créatif et doté de ressources suffisantes pour mettre en œuvre la politique étrangère canadienne de différentes façons :

  • en recourant à la diplomatie traditionnelle aux États-Unis et ailleurs;


  • en usant de la discipline et de la perspective diplomatique ainsi que d’une fonction de coordination et d’intégration pour aborder diverses questions qui auraient traditionnellement été considérées comme « intérieures », mais qui ont d’importantes dimensions mondiales, comme l’énergie et l’environnement;


  • en suscitant des idées et en leur donnant suite de concert avec d’autres pays et avec des organisations non gouvernementales.

Plusieurs témoins ayant comparu devant le Comité étaient de cet avis, particulièrement ceux qui avaient une expérience de première main de la politique étrangère. Ces témoins croyaient qu’il est essentiel pour le Canada de renforcer son service extérieur. Peter Harder, qui a occupé les fonctions de sous-ministre des Affaires étrangères aussi bien sous le gouvernement actuel que sous le gouvernement précédent, a dit à ce sujet :

... j’ai bien peur que notre infrastructure de politique étrangère se soit atrophiée et qu’elle ne soit pas à la mesure des ambitions que nous pourrions avoir dans le monde que je vous ai décrit où de grands changements sont en cours au chapitre des pouvoirs, de l’économie et de la politique. L’infrastructure, les mécanismes de la politique étrangère sont tout aussi importants que la politique même. Si vous n’êtes pas présents dans un pays, vous ne pourrez le comprendre. Notre service extérieur est inférieur à la moyenne de l’OCDE; nous sommes d’ailleurs parmi les derniers de l’OCDE à cet égard. Nous consacrons moins d’argent que la Nouvelle-Zélande à l’enseignement d’une troisième langue et dans 80 p. 100 de nos missions à l’étranger, il y a trois Canadiens ou moins.
Je ne suis pas ici pour défendre mon ancien ministère, mais bien pour vous rappeler que, tout comme il y a 10 ans, j’aurais encouragé le Comité de la défense à réinvestir dans la capacité militaire du Canada, je vous demande de réinvestir dans la politique étrangère du Canada et dans la représentation du Canada à l’étranger. Je vous demande de réinvestir pas seulement dans les pays où nous sommes déjà présents, mais dans les pays de l’avenir, et pas seulement dans les capitales, et de permettre au service extérieur d’acquérir les compétences linguistiques et la compréhension du reste du monde qu’il lui faut pour faire valoir les intérêts du Canada auprès du gouvernement et des acteurs canadiens du monde des affaires et de la société civile. Je vous encourage, dans votre étude de la politique étrangère, à vous demander si notre service extérieur est bien équipé et bien organisé[31].

Dans son témoignage devant le comité, le très honorable Joe Clark a soutenu que le financement du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international est insuffisant, ce qui, à son avis, a d’importants effets sur le moral et la créativité :

... il y a trois entités fédérales qui ont une vocation internationale explicite. Elles sont classées ici d’après les rapports gouvernementaux publiés sur les dépenses de 2008-2009. La Défense nationale accapare 8,29 p. 100 des dépenses fédérales de programme; le budget de l’ACDI représente 1,39 p. 100 et celui des Affaires étrangères et du Commerce international 1 p. 100. Par rapport à 2007-2008, le budget du ministère de la Défense nationale a augmenté de près de 8,4 p. 100 et celui de l’ACDI de 0,68 p. 100, alors que celui du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international a diminué de 17,96 p. 100. Le MAECI estime que cette diminution va se poursuivre pendant au moins les deux prochaines années et que, d’ici 2010-2011, son budget fléchira encore de 13,38 p. 100. En chiffres absolus, il s’agit d’une perte de 700 millions de dollars en trois ans, sur un budget qui s’élève maintenant à environ 2,4 milliards de dollars[32].

Même si les diplomates canadiens affectés aux États-Unis ne peuvent pas seuls transmettre la totalité des messages du Canada, les témoins ont dit au Comité que le fait de réinvestir dans le service extérieur canadien donnera au Canada de meilleurs moyens d’interaction avec les États-Unis. Pour Peter Harder :

Pour l’efficacité de notre politique étrangère et notre pertinence à Washington, il est essentiel que nous contribuions activement aux affaires internationales à l’extérieur de l’espace économique nord-américain. Quand nous avons joué notre rôle comme nous devions, les Américains étaient heureux de s’entretenir avec les Canadiens, car grâce à nos idées et à notre présence dans le monde, nous informions les décideurs américains sur les grands enjeux qui les intéressaient.
[...] nous devons exploiter notre engagement dans les grands débats mondiaux pour exercer une influence sur Washington. Si nous nous contentons d’avoir une relation avec nos voisins du Sud à travers le prisme des relations bilatérales économiques, nous ne serons pas écoutés par l’administration américaine. Ce serait un travail de minutie pour les fonctionnaires qui administrent une entreprise commerciale. Nous devons présenter des idées, une perspective mondiale bien articulée et d’autres actifs qui rendront notre contribution précieuse pour les Américains[33].

En fait, ces mêmes idées, cette même perspective mondiale bien articulée et ces mêmes actifs qui rendent notre contribution précieuse pour les Américains aideraient aussi le Canada à mener à bien sa campagne actuelle visant à obtenir un siège non permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies.

Michael Byers croit lui aussi que le Canada devrait réinvestir dans la diplomatie et le développement :

Parallèlement à ce qui se passe à Washington, il faudrait s’assurer qu’Ottawa augmente son soutien financier au ministère des Affaires étrangères pour que nous puissions jouer notre rôle de partenaire d’une manière vraiment efficace... Je ne dis pas que nous devrions soutirer cet argent à un autre ministère comme le ministère de la Défense nationale, mais nous avons sous-financé le ministère des Affaires étrangères et nous en subirons des conséquences sérieuses tandis que notre principal partenaire se dirige vers un cadre de pouvoir intelligent pour les prochaines années[34].

S’il est urgent d’améliorer l’efficacité du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international au vu des défis et des perspectives mentionnés dans le présent rapport – y compris le fait que les États-Unis ont finalement commencé eux-mêmes à réinvestir dans la diplomatie et le développement –, il importe de se rappeler que le Comité a déjà présenté des recommandations semblables à des gouvernements antérieurs. Par exemple, dans son rapport de 2002 sur les relations en Amérique du Nord, le Comité avait formulé la recommandation suivante : « Le gouvernement devrait s’attaquer, dans le prochain budget et dans le suivant, à l’amenuisement des capacités du Canada en matière de politique internationale et faire en sorte d’attribuer au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international des ressources suffisantes pour qu’il puisse diriger d’une main ferme l’élaboration et la mise en place d’un cadre stratégique solide et crédible pour les relations du Canada avec ses partenaires nord-américains[35]. » De même, dans sa contribution de 2003 au Dialogue sur la politique étrangère, le Comité avait rappelé « qu’afin de réaliser les objectifs de la politique étrangère du Canada, il sera nécessaire d’augmenter et de maintenir les budgets consacrés aux principaux éléments de cette politique qui sont la diplomatie, la défense et l’aide au développement[36] ».

RECOMMANDATION 3

Indépendamment des difficultés économiques actuelles, le Comité recommande que le gouvernement du Canada établisse d’urgence un plan pour renforcer sensiblement les capacités de la diplomatie canadienne et s’engage à fournir le financement nécessaire au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international.

Les députés conservateurs ont ajouté ce qui suit :

Le gouvernement du Canada examine systématiquement les ressources affectées à tous les ministères, y compris le MAECI, en vue d’assurer un emploi optimal des ressources de l’État. Il en résulte évidemment des transferts de ressources fondés sur les priorités du gouvernement du Canada vers des secteurs où elles seront le plus utiles. Les recommandations contenues dans le présent rapport doivent être étudiées dans le contexte de ce processus continu.

Reconnaître la valeur de relations étroites avec les États-Unis

En 2004, Allan Gotlieb, ancien sous-ministre des Affaires extérieures qui a aussi longtemps occupé les fonctions d’ambassadeur du Canada à Washington, avait parlé de l’importance des relations avec Washington dans la politique étrangère canadienne. Pour lui, « une politique étrangère internationaliste efficace, qui permettrait au Canada d’influencer les grandes questions qui se posent dans le monde sur les plans politique, économique, social ou institutionnel, doit se fonder sur la réalité, c’est-à-dire sur le fait que les États-Unis sont la puissance indispensable et que notre capacité de les influencer pourrait constituer notre plus grand atout[37] ».

Joseph Nye, professeur à Harvard qui a contribué à l’adoption de la notion de « puissance intelligente » à titre de coprésident de la Smart Power Commission bipartite de 2007[38], avait également évoqué la possibilité d’influencer les États-Unis lorsqu’il avait comparu devant le Comité lors de sa dernière étude des relations en Amérique du Nord. Il avait soutenu que, même si le Canada avait bien réussi à exploiter sa « puissance douce » – c’est Nye lui-même qui avait inventé l’expression soft power – dans un certain nombre de domaines, une collaboration encore plus étroite avec les États-Unis aurait pu produire des résultats plus positifs. Il avait alors dit au Comité que « l’important... c’est la façon dont le Canada peut se faire entendre... Vous pouvez avoir de bonnes idées, mais il faut voir comment les réaliser de la façon la plus efficace possible[39]. »

Les Canadiens sont en droit de se demander si une plus grande collaboration avec les États-Unis en politique étrangère aurait pu aboutir à de meilleurs résultats dans le passé. Toutefois, ils conviendront sans doute aujourd’hui que nous avons besoin d’une politique étrangère canadienne ferme qui nous permette de tenir tête aux États-Unis lorsque c’est nécessaire, qui insiste sur la collaboration chaque fois que c’est possible et qui oriente les idées produites par un ministère des Affaires étrangères et du Commerce international disposant de ressources suffisantes. Pour reprendre les propos du très honorable Joe Clark, qui a été premier ministre du Canada et a longtemps occupé les fonctions de secrétaire d’État aux Affaires extérieures :

... le Canada a été particulièrement efficace au plan international – et je le dis parce que j’ai été secrétaire d’État à une époque où, simultanément, nous avons dit non à l’initiative de défense stratégique du président Reagan et persuadé les Américains de conclure un accord de libre-échange et un traité sur les pluies acides – lorsqu’il a poursuivi simultanément deux priorités. Nous avons cultivé avec soin notre amitié avec les États-Unis, et nous nous sommes efforcés d’affirmer notre rôle indépendant et innovateur dans l’ensemble du monde... ce ne sont pas là des positions contradictoires. Ce sont les deux faces d’une même pièce[40].

[1] Conférence de presse conjointe du président des États-Unis Barack Obama et du Premier ministre du Canada Stephen Harper, Ottawa, 19 février 2009, http://www.canadainternational.gc.ca/washington/offices-bureaux/media_room-salle_de_presse/transcript-transcription-20090219.aspx?lang=fra.

[2] Ibid.

[3] Témoignages, réunion n° 2, 10 février 2009.

[4] Témoignages, réunion n° 7, 4 mars 2009.

[5] Témoignages, réunion n° 6, 12 mars 2009.

[6] Témoignages, réunion n° 8, 9 mars 2009.

[7] Témoignages, réunion n° 6, 2 mars 2009.

[8] Témoignages, réunion n° 8, 9 mars 2009.

[9] Témoignages, réunion n° 6, 2 mars 2009

[10] Témoignages, réunion n° 8, 9 mars 2009.

[11] Témoignages, réunion n° 4, 23 février 2009.

[12] Témoignages, réunion n° 4, 23 février 2009 et Témoignages, réunion n° 9, 11 mars 2009.

[13] Leslie Campbell, « Where Did Obama’s Love for Canada Go? », Embassy, 6 mai 2009.

[14] Témoignages, réunion no 20, 25 mai 2009.

[15] Témoignages, réunion n° 9, 11 mars 2009.

[16] Voir Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes, Partenaires en Amérique du Nord : Cultiver les relations du Canada avec les États-Unis et le Mexique, décembre 2002.

[17] Témoignages, réunion n° 9, 11 mars 2009.

[18] Témoignages, réunion n° 6, 2 mars 2009.

[19] Témoignages, réunion n° 6, 2 mars 2009.

[20] From Correct to Inspired: A Blueprint for Canada-US Engagement, Université Carleton, janvier 2009.

[21] Témoignages, réunion n° 9, 11 mars 2009.

[22] Ibid.

[23] « Le Groupe interparlementaire Canada-É.-U. tient sa 50e réunion annuelle », Communiqué, 19 mai 2009, http://www2.parl.gc.ca/IIAPublications/Index-f.aspx?sectionpage=2317_1.

[24] Fen Osler Hampson, « What Smart Power Means For Canada: As A Key Friend of the US’ We should Move Quickly to Accept Washington’s Invitation to Work with Its Allies To Solve Global Problems”, Ottawa Citizen, 29 janvier 2009.

[25] Témoignages, réunion n° 4, 23 février 2009.

[26] Témoignages, réunion n° 7, 4 mars 2009.

[27] Témoignages, réunion n° 6, 2 mars 2009.

[28] Témoignages, réunion n° 7, 4 mars 2009.

[29] Témoignages, réunion n° 6, 2 mars 2009.

[30] Témoignages, réunion n° 8, 9 mars 2009.

[31] Témoignages, réunion n° 6, 2 mars 2009.

[32] Témoignages, réunion no 8, 9mars 2009.

[33] Témoignages, réunion n° 6, 2 mars 2009.

[34] Témoignages, réunion n° 7, 4 mars 2009.

[35] Voir Comité permanent des affaires étrangères du commerce international de la Chambre des communes, Partenaires en Amérique du Nord : Cultiver les relations du Canada avec les États-Unis et le Mexique, décembre 2002, recommandation 2.

[36] Comité permanent des affaires étrangères du commerce international de la Chambre des communes, Une contribution au dialogue sur la politique étrangère, mai 2003, /HousePublications/Publication.aspx?DocId=1032318&Mode=1&Parl=37&Ses=2&File=5&Language=F.

[37] Allan Gotlieb, Romanticism and Realism in Canada’s Foreign Policy, C.D. Howe Institute Benefactor’s Lecture, 3 novembre 2004., p. 32.

[38] Voir Center for Strategic and International Studies, Commission on Smart Power, A Smarter, More Secure America, Richard L. Armitage & Joseph S. Nye, Jr. (novembre 2007), http://www.csis.org/component/option,com_csis_pubs/task,view/id,4156/type,1/.

[39] Témoignages, Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes, 37e législature, 1re session, réunion n° 74, 2 mai 2002.

[40] Témoignages, réunion n° 8, 9 mars 2009.