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INDU Rapport du Comité

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CHAPITRE 4 -- SOUVERAINETÉ CULTURELLE DU CANADA

Dans le monde d’aujourd’hui, où règne la convergence technologique dans le domaine des télécommunications, la dimension culturelle occupe une place encore plus importante dans tout débat sur la règlementation de la propriété étrangère. La convergence technologique et des activités commerciales est, de loin, l’argument le plus souvent invoqué contre l’élimination des restrictions relatives à la propriété étrangère aux réunions du Comité.

A. Restrictions relatives à la propriété étrangère des entreprises de télécommunications et arguments habituels en faveur du maintien des restrictions

Text Box: La radiodiffusion canadienne est un bien public. Elle est primordiale pour la santé de notre démocratie et notre identité culturelle unique. La radiodiffusion façonne nos opinions, notre aperçu de notre communauté, de notre nation, de notre monde et de nous-mêmes. Elle a trop d’influence, elle est trop précieuse et elle est trop liée à ce que nous sommes pour la laisser entre des mains étrangères.
Mémoire de l’Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists présenté au Comité permanent de l’industrie, des sciences et de la technologie de la Chambre des communes le 26 avril 2010.
Comme les représentants d’Industrie Canada l’ont mentionné au Comité, les restrictions relatives à la propriété étrangère des services de télécommunications imposées par le Canada sont relativement récentes. Annoncé en 1987, le cadre stratégique a été officiellement mis en vigueur en 1993. Il est important de souligner que les négociations en matière de libre-échange avec les États-Unis ont catalysé l’imposition des restrictions. À l’époque, les législateurs canadiens voulaient appliquer les mêmes restrictions qu’aux États-Unis, tout en veillant à préserver les droits acquis sous le régime de l’entente de libre-échange. De plus, on invoquait la souveraineté et la sécurité nationales, ainsi que le mieux-être économique, social et culturel pour justifier l’imposition de restrictions sur la propriété étrangère. Le Comité s’est fait dire que ces raisons étaient toujours valables. Des témoins opposés à l’élimination des restrictions ont notamment fait ressortir le caractère géostratégique de l’infrastructure des télécommunications et souligné que le contrôle exercé par les actionnaires étrangers sur les entreprises de télécommunications pourrait mettre en péril la sécurité nationale.

Un représentant de l’OCDE a fait valoir que le contexte a beaucoup évolué depuis les années 1980, la plupart des pays ayant assoupli leurs règles en matière de propriété pour leur marché intérieur tout en continuant de réglementer le contenu de radiodiffusion. Selon l’OCDE, de tous les États membres, le Canada est celui qui impose les restrictions les plus sévères :[51]

Parmi les 30 pays membres de l’OCDE, seulement trois pays ont des limites en matière d’investissement et de propriété qui s’appliquent à tout le domaine des télécommunications publiques. Il s’agit du Canada, du Mexique et de la Corée. Des trois pays, le Canada est celui qui impose les restrictions les plus sévères. Certains des autres pays de l’OCDE ont des limites, en ce sens que l’État doit être propriétaire majoritaire de l’entreprise de télécommunication titulaire. Par exemple, en Suisse, la Confédération suisse doit être propriétaire majoritaire de Swisscom. La France doit être propriétaire en partie de France Télécom, mais pas nécessairement propriétaire majoritaire. Dans le cas de la France, la part de l’État a diminué pour se chiffrer à environ 23 p. 100. Le Canada est le pays le plus sévère en matière d’investissement étranger dans le secteur des télécommunications.

Les porte-parole des organismes Friends of Canadian Broadcasting, Writers Guild of Canada et Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists ont mentionné qu’il est difficile de comparer le Canada avec d’autres pays de l’OCDE, puisqu’aucun de ces pays ne partage une langue officielle et que leur situation géographique fait en sorte qu’ils ne subissent pas l’énorme influence économique de États-Unis.

La Conférence canadienne des arts et la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique se sont prononcées en faveur du statu quo en se fondant sur les accords de libre-échange. En effet, elles ont fait valoir que l’exemption culturelle prévue dans l’Accord de libre-échange nord‑américain (ALENA) n’est valable que pour les industries qui existaient à l’époque, ce qui exclut le secteur des nouveaux médias, comme les médias basés sur le Web. Elles ont indiqué que l’ouverture des industries des télécommunications et de la radiodiffusion à la propriété étrangère risque d’exposer le gouvernement du Canada à une contestation en vertu du chapitre 11 de l’ALENA par une entité étrangère qui s’estime désavantagée, en raison de la réglementation canadienne, par rapport à un concurrent canadien. À leur avis, c’est uniquement parce qu’il n’y a pas eu d’investissement étranger dans le secteur de la radiodiffusion que cet aspect de l’ALENA n’a pas posé problème jusqu’ici.

B. Règlementation relative à la propriété étrangère à l’ère de la convergence technologique et des activités commerciales

Paradoxalement, l’argument le plus fréquent en faveur du statu quo sur les restrictions relatives à la propriété étrangère — la convergence technologique et des activités commerciales — n’était pas un facteur au moment de l’annonce des restrictions imposées aux entreprises de télécommunications en 1987.

(i) Contexte de la convergence technologique et des activités commerciales

Text Box: De toute évidence, le Canada doit se doter d’une loi commune couvrant à la fois les télécommunications, la radiodiffusion et les radiocommunications. D’autres pays ont déjà agi. Il est temps que nous fassions de même.
Konrad W. von Finckenstein (président, Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), Comité, Témoignages, 3e session, 40e législature, 13 avril 2010, 1005.
Le chapitre 3 a traité brièvement du concept de convergence technologique et des activités commerciales. La convergence technologique fait référence à l’utilisation d’une infrastructure matérielle donnée pour fournir des services technologiques hautement différenciés. Par exemple, une entreprise de téléphonie utilisant un réseau filaire conventionnel peut maintenant offrir des services Internet et de télévision (comme la télévision par IP), ou un câblodistributeur peut se servir de son infrastructure câblée pour offrir des services de téléphonie. La convergence des activités commerciales englobe deux notions : la convergence « naturelle », qui résulte directement de la convergence technologique, et la convergence « expansionniste », qui s’apparente à une intégration verticale ou horizontale conventionnelle. La convergence technologique et des activités commerciales a changé radicalement le contexte des télécommunications et de la radiodiffusion. La figure 3 présente certaines des sociétés canadiennes « en convergence » ainsi que le contexte de concurrence dans lequel elles évoluaient avant la téléphonie mobile et Internet. La figure 4 brosse le portrait actuel de la concurrence. À la lumière de la récente vente aux enchères du spectre ainsi que des dernières acquisitions de sociétés (Canwest par Shaw, et les stations de radio du groupe Corus, au Québec, par Cogeco), il ne serait pas exagéré d’affirmer que l’ensemble des marchés des uns sont maintenant convoités par tous les autres.

La législation ne tient pas compte de l’environnement de convergence actuel, les industries des télécommunications et de l’information étant régies par trois lois distinctes : la Loi sur la radiocommunication, la Loi sur les télécommunications et la Loi sur la radiodiffusion. À titre d’exemple, le service de téléphonie de Bell et Bell Mobilité sont tous deux assujettis à la Loi sur les télécommunications, mais les services de télévision satellite proposés par Bell (une EDR) relèvent de la Loi sur la radiodiffusion. Durant les audiences du Comité, le CRTC a proposé que les législateurs envisagent de fusionner ces trois lois. Certains acteurs du marché, dont Rogers et Shaw, ont toutefois démontré peu d’intérêt à l’égard d’un tel changement.

Figure 3 — Portrait de la concurrence avant Internet et la téléphonie sans fil pour
les principaux fournisseurs actuels

Figure 3 — Portrait de la
    concurrence avant Internet et la téléphonie sans fil pour les principaux
    fournisseurs actuels

Remarque : La période précédant l’arrivée de la téléphonie mobile et d’Internet doit être interprétée ici comme étant celle qui s’est terminée vers le milieu des années 1980. Certaines des sociétés mentionnées dans le diagramme n’existaient pas encore sous le nom indiqué, mais leur nom actuel a été utilisé afin de faciliter la comparaison des diagrammes 3 et 4 (p. ex. TELUS est le fruit de plusieurs fusions, Telus dans le diagramme ci-dessus désigne donc les ancêtres de la société actuelle. De même, Vidéotron n’appartenait pas à Quebecor à l’époque).

Source : Service d’information et de recherche parlementaires, Bibliothèque du Parlement.

Figure 4 — Portrait de la concurrence à l’ère de la convergence pour les
principaux fournisseurs actuels

Figure 4 — Portrait de la
    concurrence à l’ère de la convergence pour les principaux fournisseurs actuels

Source : Service d’information et de recherche parlementaires, Bibliothèque du Parlement.

(ii) Réaction en chaîne sur la culture canadienne provoquée par la levée des restrictions relatives à la propriété étrangère

Text Box: Dans ce milieu intégré des communications, si on modifie les exigences relatives à la propriété étrangère dans un secteur, soit les télécommunications, on peut s’attendre à des répercussions dans les autres secteurs.
Ian Morrison (porte-parole, Friends of Canadian Broadcasting), Comité, Témoignages, 3e session, 40e législature, 30 mars 2010, 0900.
Permettre le contrôle par des intérêts étrangers des satellites et des télécommunications n’a qu’un effet : entraîner une réaction en chaîne et faire en sorte que des intérêts étrangers deviennent propriétaires des radiodiffuseurs et des entreprises de câblodistribution.
Alain Pineau (directeur général, Conférence canadienne des arts), Comité, Témoignages, 3e session, 40e législature, 1er avril 2010.
Compte tenu de la convergence croissante des entreprises de télécommunications et des sociétés de radiodiffusion, et de l’avenir d’Internet mobile et de la télévision mobile, DOC estime qu’il est imprudent de permettre à des entités étrangères d’avoir un contrôle accru sur les nouveaux venus sur le marché des télécommunications sans fil ou les titulaires.
Mémoire de l’Association des documentaristes du Canada présenté au Comité permanent de l’industrie, des sciences et de la technologie de la Chambre des communes, le 30 avril 2010.
Puisque les trois lois renferment des dispositions semblables — mais non identiques — sur les restrictions à l’égard de la propriété étrangère, les fournisseurs intégrés ne voient pas la situation actuelle comme injuste. De leur point de vue, la question de l’équité, comme on l’explique dans le chapitre 3, entre en jeu lorsqu’on envisage d’apporter un changement dans un segment de marché, mais non dans l’autre. En effet, un tel changement pourrait forcer des sociétés en convergence à procéder à de coûteuses restructurations afin d’être sur un pied d’égalité avec les sociétés non diversifiées pour ce qui est de l’accès au capital étranger, et, par ricochet, nuirait à leur capacité de regrouper des services pour proposer des forfaits à leurs clients.

Les opposants à la levée des restrictions sur la propriété étrangère s’appuient sur ce raisonnement pour avancer que l’élimination des restrictions pour les entreprises de télécommunications se répercutera irrémédiablement sur le contenu de radiodiffusion, provoquant une réaction en chaîne. En effet, si les restrictions devaient être levées uniquement pour les entreprises de télécommunications, les sociétés en convergence y verraient une injustice et exerceraient une énorme pression pour que cette mesure soit aussi appliquée aux EDR. Si le gouvernement fédéral englobait les EDR, les sociétés en convergence œuvrant dans la programmation (qui s’occupent donc du contenu) pourraient, à leur tour, y voir une injustice et exercer une pression pour que cette mesure englobe aussi la programmation. Cette réaction en chaîne ouvrirait ainsi la porte à la propriété étrangère dans le domaine de la radiodiffusion et, selon certains témoins, minerait la souveraineté culturelle du Canada.

Il convient de noter que les arguments présentés par les milieux artistiques et des télécommunications se sont partiellement avérés, certains des fournisseurs en convergence (dont TELUS, Rogers, Shaw, MTS Allstream et Bell) soulignant vigoureusement que les changements apportés aux règles sur la propriété devraient s’appliquer aussi aux EDR. Cela dit, aucun témoin n’a recommandé d’éliminer les restrictions relatives à la propriété étrangère pour les initiatives de programmation canadienne. Les fournisseurs intégrés ont indiqué qu’il est possible de séparer par un mur législatif et réglementaire la propriété de la distribution (ce qu’on appelle parfois silo ou canalisation) et le contenu. Ce commentaire a été repris par Dimitri Ypsilanti de l’OCDE.

À l’inverse, Mme Solange Drouin, de l’Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo, a indiqué qu’il ne faut pas dissocier la création de la distribution. Pour promouvoir la création, il importe de contrôler la distribution. À son avis, le fait que le gouvernement fédéral ait été en mesure d’exercer un contrôle sur les entreprises canadiennes a joué un rôle prépondérant dans la réglementation du contenu canadien. Selon Astral Communications, dont les activités se limitent à la radiodiffusion, à moins que certaines mesures de protection ne soient prises, dont forcer les EDR à désinvestir le secteur du contenu de radiodiffusion, tout scénario de séparation stricte de la distribution et du contenu de radiodiffusion est improbable[52] :

Dans les propositions sur la libéralisation de la propriété dans le secteur des télécommunications, comme celle des sociétés de télécommunications et des entreprises de distribution de radiodiffusion, il faut absolument tenir compte du rôle clé que les EDR ont traditionnellement joué dans l’atteinte des objectifs sociaux et culturels figurant dans la Loi sur la radiodiffusion.
Contrairement aux entreprises de télécommunications pure laine, les EDR jouent un rôle actif et crucial en influençant le contenu qu’elles offrent aux consommateurs. Elles ne se contentent pas de diffuser et prennent quotidiennement des décisions en matière de programmation, exerçant ainsi un contrôle et un pouvoir décisionnel sur les services de programmation auxquels les consommateurs accéderont. Elles prennent des décisions fondamentales sur les services qui seront commercialisés, promus et offerts, sur le prix qu’elles paieront pour ces services de programmation et sur les frais qui seront imposés aux consommateurs. L’influence des EDR sur les services de programmation pourrait s’accroître, en raison de la décision récente du CRTC concernant la valeur des signaux des stations conventionnelles de télévision. Ainsi, la libéralisation des restrictions imposées à la propriété des EDR pourrait facilement déboucher sur un degré inacceptable d’influence des entreprises non canadiennes sur le réseau de télédiffusion. En fait, cela pourrait se produire même si on ne modifie pas les règles de propriété qui régissent les services de programmation.

En conséquence, la réaction en chaîne mentionnée par les tenants du statu quo se déroulerait ainsi : l’élimination des restrictions relatives à la propriété étrangère dans les télécommunications aurait un effet sur le contenu de radiodiffusion, puis, ultimement, sur la souveraineté culturelle du Canada. Ainsi, une EDR appartenant à des intérêts étrangers pourrait promouvoir vigoureusement une programmation de contenus étrangers au détriment du contenu canadien, tout en respectant techniquement les règles régissant ce dernier.


[51] Dimitri Ypsilanti (chef, Direction de l’information, communications et politiques des consommateurs, Direction des sciences, technologie et industrie (Paris), Organisation de coopération et de développement économiques), Comité, Témoignages, 3e session, 40e législature, 13 avril 2010, 0900.

[52] André Bureau, président du Conseil d’administration, Astral Media inc., Comité, Témoignages, 3e session, 40législature, 4 mai 2010, 0910.