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CIIT Rapport du Comité

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Rapport dissident du NPD au sujet de l’étude du Comité permanent du commerce international sur l’Accord économique et commercial global

Le NPD tient à remercier le Comité et les témoins pour le temps qu’ils ont consacré à cette importante question. Le commerce international joue un rôle crucial dans la croissance économique et la prospérité du Canada et il est important de chercher à multiplier les échanges commerciaux avec la Communauté européenne. Cependant, si le NPD souscrit aux efforts déployés pour supprimer les droits de douane et diversifier nos marchés d’exportation, il estime en revanche que la conclusion d’accords de libre-échange n’est pas la panacée pour stimuler les exportations. Pour réussir, nous aurons besoin d’un plan stratégique prévoyant des investissements et des mesures de soutien du secteur public aux secteurs industriels clés à valeur ajoutée afin d’appuyer les entreprises championnes au niveau international. Nous sommes donc heureux de voir une recommandation en ce sens dans le rapport du Comité.

Parallèlement, il est clair que les enjeux des accords sur le commerce et l’investissement, comme l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (AECG), vont bien au-delà du seul commerce international. En effet, ces traités ont des répercussions sur la régulation, par les pouvoirs publics, de l’investissement, des services, de la propriété intellectuelle, des marchés publics et d’autres questions qui ne concernent le commerce international que de manière très périphérique. Il importe donc d’examiner de près les détails et les modalités de l’accord pour bien en peser les avantages et les coûts. Nous ne souscrivons pas à l’idée de conclure l’accord tel qu’il est actuellement prévu dans la période recommandée par la majorité au Comité.

La transparence est essentielle. Le NPD reproche au processus de négociation son manque de transparence. Des réunions à huis clos ont instillé un climat de secret dans le processus de négociation de l’AECG. L’information diffusée est vraiment insuffisante pour que la population et ses représentants, à tous les niveaux de gouvernement, puissent en arriver à une conclusion éclairée sur les avantages et les risques que présente l’AECG. Seul un véritable processus de consultation auquel participeront toutes les parties concernées permettra de négocier des accords commerciaux avantageux pour l’ensemble de la population. Même l’étude du Comité n’a pas permis la pleine participation de toutes les parties concernées; bien des témoins proposés par le NPD, notamment, n’ont pas pu être consultés.

Le traitement des services publics dans les accords de libre-échange suscite la controverse. Il arrive trop souvent en effet que les mesures intégrées aux traités pour protéger des secteurs sensibles comme la santé, l’éducation, les services sociaux et les services municipaux d’épuration et d’acheminement de l’eau et de transport en commun laissent la porte ouverte à des contestations en matière de commerce et d’investissement. Or, dans le contexte de la négociation de l’AECG, l’UE s’intéresse de près aux marchés publics dans ces secteurs. Le Canada doit obtenir l’exclusion explicite des services publics en général, ainsi que des garanties protégeant la capacité des pouvoirs publics de tous ordres à établir des politiques publiques.

Dans le cas de la santé, les spécialistes et les groupes de citoyens craignent en particulier que le gouvernement renonce à exiger même les protections qui figurent dans l’ALÉNA. Or, il est nécessaire de prévoir une solide exclusion pour les services de santé et de tout faire pour éviter une augmentation des coûts des médicaments, le volet des coûts de la santé qui augmente le plus rapidement.

L’AECG serait le premier accord de libre-échange canadien depuis l’ALENA à comporter un chapitre sur les droits de propriété intellectuelle (DPI), qui va bien au-delà des obligations courantes du Canada. L’UE exige notamment que la période requise pour obtenir l’homologation d’un médicament (elle peut aller jusqu’à cinq ans) soit ajoutée à la période de protection conférée par le brevet, qui est normalement de 20 ans; elle demande par ailleurs aussi un allongement de la période de protection des données (qui passerait de 8 à 10 ans) et de nouveaux droits d’appel qui pourraient retarder l’homologation des médicaments génériques. De tels changements réduiraient l’offre de médicaments et feraient grimper leur coût, ce qui pourrait menacer la viabilité de notre système de santé public. Suivant une étude récente, ces coûts supplémentaires pourraient totaliser 2,8 milliards de dollars par an.

Comme les dispositions sur les DPI sont très rares dans les accords commerciaux bilatéraux conclus par le Canada et que les négociateurs européens leur accordent une grande importance, nous nous devons d’en examiner les retombées de très près. D’autres études sont nécessaires pour étudier les conséquences de l’harmonisation de notre système de DPI et de celui de l’UE dans tous les secteurs concernés et pour déterminer les coûts et les avantages qui en résulteront pour les consommateurs et pour les producteurs du Canada. 

Le NPD éprouve par ailleurs de vives préoccupations quant aux répercussions de l’AECG sur les marchés publics au niveau sous-fédéral. D’après les renseignements dont on dispose, les règles envisagées empêcheraient les administrations publiques d’intégrer aux marchés publics ou aux appels d’offres des secteurs visés des ‘conditions’ visant à stimuler le développement économique local, même si le processus est exempt de discrimination envers les soumissionnaires étrangers. Cette interdiction prive les autorités provinciales et les autorités municipales de la possibilité, cruciale, surtout en période de ralentissement économique, de se servir des marchés publics pour stimuler l’économie et multiplier les retombées locales.

Le NPD ne conteste pas l’importance d’une procédure d’attribution des marchés publics ouverte et juste, mais cela ne veut pas dire qu’il faille pour autant renoncer à la possibilité, pour les gouvernements, de se servir des marchés publics pour atteindre des objectifs économiques de portée locale. Des municipalités incluant Toronto, l’Union des municipalités de la Colombie-Britannique (représentant 150 municipalités) et plus de vingt autres à travers le pays, ont fait part de leurs inquiétudes concernant la tenue à huis clos des pourparlers concernant l’AECG. Ces municipalités ont demandé à leur gouvernement provincial et au gouvernement fédéral d’assurer la protection de leurs droits actuels au sein de toute nouvelles entente commerciale et de les exclure de l’AECG. Les municipalités de tout le pays sont de plus en plus inquiètes à l’idée que l’on est en train de brader leurs droits sans leur consentement. Leurs préoccupations doivent être entendues.

Comme on le note dans le rapport du Comité, la participation des provinces aux négociations ajoute un degré de complexité au processus. Le fait que l’on envisage d’assujettir des ordres de gouvernement sous-fédéraux à l’AECG dans un grand nombre de domaines allant des marchés publics aux services soulève d’importantes questions de compétence d’un point de vue constitutionnel, en particulier sur le plan de l’exécution de l’accord et les obligations financières. Il convient de pousser l’étude de ces questions.

Le NPD voit d’un bon œil toute perspective de croissance réelle des exportations du secteur agricole canadien, mais note que l’Union européenne continue de résister à l’ouverture de ses marchés à divers niveaux. Nous sommes par ailleurs toujours préoccupés par les pressions exercées en vue d’amener le Canada à ouvrir ses secteurs à offre réglementée, qu’il faut absolument protéger.

L’AECG doit aussi tenir compte de la très grande intégration de la production à l’échelle de l’Amérique du Nord, et le NPD est heureux que le Comité aborde la question dans son rapport. Les dispositions sur les règles d’origine doivent être suffisamment souples pour faire en sorte que la grande majorité des exportations canadiennes échappent aux droits de douane. À cet égard, on pense en particulier au secteur de l’automobile en raison du fort degré de production transfrontalière et de la sensibilité des décisions en matière de production aux divers seuils afférents aux règles d’origine.

Enfin, le NPD considère que les dispositions sur les différends entre investisseurs et États sont un élément injuste des accords commerciaux, car elles privilégient les sociétés au détriment de l’intérêt public. L’arbitrage entre investisseurs et États permet aux investisseurs étrangers de contourner les systèmes judiciaires nationaux.

Les tribunaux d’arbitrage, qui ne rendent pas compte de leurs actions, peuvent ordonner à un gouvernement d’indemniser un investisseur qui serait considéré comme lésé par les politiques ou règlements des pouvoirs publics. Or, le Canada comme l’Union européenne possèdent un excellent système judiciaire qui protège les droits de tous les investisseurs, quelle que soit leur nationalité. Le NPD est contre l’inclusion, dans l’AECG, de dispositions d’arbitrage des conflits entre investisseurs et États et recommande que le Canada suive l’exemple de l’Australie et qu’il rejette ce type d’arbitrage dans tout accord futur sur le commerce et l’investissement.

En conclusion, le NPD demande instamment que l’on repense la démarche du Canada vis-à-vis de l’élargissement des échanges avec l’Europe, et l’examen de moyens afin de stimuler la prospérité économique de part et d’autre en contribuant à verdir l’économie, en stimulant la création d’emplois de qualité et en protégeant les droits des travailleurs tout en respectant le processus démocratique de prise de décisions relativement aux services publics, à la réglementation, aux marchés publics des administrations locales et à l’intérêt public.

Recommandations

1.    Le gouvernement devrait rendre public le texte de négociation et l’offre du Canada (au niveau du fédéral, des provinces et des territoires) avant que le traité ne soit finalisé.

2.    Le gouvernement devrait s’assurer de consulter tous les gouvernements municipaux au Canada concernant l’offre et la position de négociation du pays en vertu de l’AECG. Le gouvernement devrait modifier son échéancier de négociations afin de procéder à ces consultations.

3.    Le gouvernement devrait s’assurer que le texte final de l’accord ne contienne aucune disposition concernant l’arbitrage entre les investisseurs et l’État.

4.    Le gouvernement devrait s’assurer que le texte final de l’accord ne présente pas de changement aux dispositions sur les brevets qui aurait pour effet de réduire la disponibilité des médicaments génériques ou d’augmenter le coût des médicaments.

5.    Le gouvernement devrait s’assurer que le texte final de l’accord exempte les approvisionnements publics des gouvernements provinciaux, territoriaux et municipaux.

6.    Le gouvernement devrait s’assurer que les services d’eau potable et de traitement des eaux usées soient explicitement inclus dans la liste d’exclusions de l’annexe 2.

7.    Le gouvernement devrait chercher à obtenir une exclusion claire et de large portée pour les services publics. Il devrait également s’assurer que tous les niveaux de gouvernement aient la flexibilité nécessaire dans le futur afin d’augmenter leur nombre de services publics ou de ramener les secteurs privatisés sous le contrôle public sans s’exposer à des litiges.

8.    Le gouvernement devrait négocier une nouvelle exemption pour les soins de santé, indiquant qu’aucune disposition de l’AECG ne peut être interprétée comme s’appliquant aux mesures prises par une partie signataire concernant les soins de santé ou l’assurance maladie.

9.    Le gouvernement devrait inclure une exemption culturelle générale dans l’AECG afin d’exclure les livres, les magazines, les journaux, les films, les vidéos, le secteur de la publication, la radiodiffusion, les arts de la scène et autres aspects de l’industrie culturelle.

10.    Le gouvernement devrait exclure les tarifs applicables sur les produits assujettis à la gestion de l’offre de réduction tarifaire et devrait réitérer le fait que les producteurs et leurs représentants élus maintiendront la latitude voulue pour gérer collectivement l’approvisionnement national des œufs, de la volaille et des produits laitiers.

11.     Le gouvernement devrait protéger efficacement la capacité d’établir ou de rétablir un comptoir unique de commercialisation du grain, et ce, dans n’importe quelle région géographique, dans l’éventualité ou une majorité de représentants élus des agriculteurs en décidait ainsi.

12.    Le gouvernement devrait élaborer une stratégie industrielle pour le Canada en association avec les intervenants industriels, dans le but d’identifier les secteurs hautement productifs et compétitifs qui ont le potentiel de se développer en tant que champions de l’exportation à valeur élevée, ainsi que les secteurs d’exportation qui actuellement pourraient avoir besoin de soutien pour demeurer compétitif avec l’Union Européenne (incluant les secteurs forestiers, automobile, etc.). Cela pourrait comprendre l’optimisation des achats, l’appui à la recherche et au développement par le biais de subventions directes et l’amélioration à la fois de l’infrastructure physique et du savoir.

13.     Le gouvernement devrait conserver la capacité d’adopter des mesures financières incitatives assurant que les collectivités puissent bénéficier du développement et de l’utilisation des sources d’énergie propre, incluant l’énergie solaire, éolienne et hydraulique. Le Canada devrait développer des technologies énergétiques vertes innovantes qui nous aideront à répondre aux besoins nationaux et à accéder au marché mondial en croissance.

14.    Le gouvernement devrait commander une étude indépendante de l’AECG qui aurait pour objectif spécifique de déterminer le véritable coût de l’harmonisation du système de propriété intellectuelle du Canada avec celui de l’Union européenne.

15.     Le gouvernement du Canada devrait insister pour que l’AECG établisse un cadre permettant de garantir l’accès au marché, et la production continue, pour les producteurs canadiens de produits agricoles comparables qui utilisent des dénominations protégées en vertu du régime d’indications géographiques de l’UE.

16.     Que le gouvernement du Canada procède à une étude pour réviser les domaines de l’AECG qui touchent à des compétences provinciales en relation avec les règles de distribution des pouvoirs :

-       en particulier en ce qui concerne la section 92 de la Loi constitutionnelle de 1867;

-       pour tous les domaines où il est question de compétences partagées, concurrentes ou qui se chevauchent,

Cette étude devrait inclure un rapport sur les problèmes d’implantation et d’application de l’accord qui pourraient survenir.

17.    Que le gouvernement du Canada s’assure que les dispositions de l’AECG concernant les règles d’origine soient suffisamment larges pour permettre des gains d’accès au marché significatifs pour les exportations canadiennes, particulièrement dans les secteurs de l’automobile, agricole et de la pêche, tout en reconnaissance la présence de chaînes d’approvisionnement hautement intégrées en Amérique du Nord. En référence spécifique à l’industrie automobile canadienne, l’AECG doit définir des seuils réduits sur les règles d’origine pour les automobiles assemblées au Canada.