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FINA Rapport du Comité

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CHAPITRE 1 — AMPLEUR DE L’ÉVITEMENT FISCAL ET DE L’ÉVASION FISCALE

Dans le cadre de leurs observations, les témoins du Comité ont fourni leur définition de l’« évitement fiscal », de l’« évasion fiscale » et du « paradis fiscal », évalué la valeur des actifs détenus dans les paradis fiscaux, parlé de la lutte des gouvernements contre l’évitement et l’évasion et fait état des réactions internationales à ces deux phénomènes.

A. Évitement fiscal et évasion fiscale

Un certain nombre des témoins ont insisté sur les distinctions à faire entre évitement et évasion. Une responsable de l’ARC a déclaré que l’« évitement fiscal » consistait à réduire au minimum l’impôt à payer en contrevenant à l’objet et à l’esprit — mais non à la lettre — de la loi et qu’il fallait entendre par « planification fiscale abusive » les stratégies nationales et internationales visant à échapper à l’impôt en contrevenant à l’esprit — mais non à la lettre — de la loi. Selon elle, l’« évasion fiscale » consiste à sous-estimer délibérément l’impôt à payer en cachant des revenus ou des actifs et en faisant de fausses déclarations. Une responsable a aussi distingué entre l’évitement et l’évasion au regard des tribunaux. En effet, la condamnation pour évitement exige une preuve prépondérante et donne lieu au paiement de l’impôt impayé et des intérêts courus tandis que la condamnation pour évasion requiert la preuve hors de tout doute raisonnable et entraîne l’incarcération et une amende pouvant atteindre 200 % de l’impôt impayé.

Robert Kepes, un avocat chez Morris Kepes Winters LLP qui témoignait à titre personnel, a noté que, comme « l’objet et l’esprit » de la loi ne sont pas définis dans la loi, il est difficile pour le contribuable de déterminer ce qui constitue de l’évitement fiscal légitime. L’évasion fiscale, en revanche, est frauduleuse et la Couronne doit prouver, au-delà de tout doute raisonnable, à la fois que l’impôt était dû et que l’accusé le savait et qu’il a délibérément omis de le payer. Quand la somme due est supérieure à 250 000 $, l’évasion est punissable par mise en accusation aux termes de la LIR ou en tant que fraude aux termes du Code criminel. Selon lui, il est plus facile pour la Couronne de prouver la fraude aux termes du Code.

Selon Arthur Cockfield, un professeur de l’Université Queen’s qui témoignait à titre personnel, l’évitement consiste à faire de la planification fiscale tout en respectant les codes de l’impôt canadien et étrangers et l’évasion à omettre délibérément de déclarer des revenus.

Selon Paul Collier, un professeur de l’Université d’Oxford qui témoignait à titre personnel, l’évitement peut fausser la répartition de l’activité économique au niveau international du fait que des revenus et des activités lucratives sont déclarés dans des pays différents et que les bénéfices sont déclarés volontairement dans des pays à fiscalité élevée. Selon le Tax Justice Network aussi, les paradis fiscaux faussent les marchés.

B. Paradis fiscaux

Quand elle a comparu devant le Comité, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a indiqué que dans les années 1990, elle définissait le « paradis fiscal » comme un pays sans impôt, sans transparence, sans échange de renseignements et « sans activité réelle ». Selon elle, le manque de transparence de certains États pose problème dans la mesure où les contribuables peuvent y mettre des fonds à l’abri de l’impôt.

Le Tax Justice Network définit le paradis fiscal comme un État qui adopte sciemment des lois à l’usage et au bénéfice essentiellement des entités et des particuliers non résidents. Selon lui, ces lois sapent la législation des autres pays. Il croit aussi que les consignes de secret des paradis fiscaux camouflent l’identité des propriétaires bénéficiaires d’un compte ou d’une société. On parle alors de « pays du secret ».

Pour certains témoins, les centres financiers extraterritoriaux servent à des activités légitimes alors que pour d’autres, ce sont des paradis fiscaux. Selon Walid Hejazi, un professeur de l’Université de Toronto qui témoignait à titre personnel, des entreprises canadiennes se servent de ces centres pour accéder à l’économie mondiale en réduisant leurs frais de financement. Gilles Larin, un professeur de l’Université de Sherbrooke qui témoignait à titre personnel, a déclaré que les systèmes juridiques et administratifs des centres financiers extraterritoriaux manquaient de transparence. Selon lui, le manque de transparence compte parmi les marques distinctives d’un paradis fiscal.

Plusieurs témoins ont parlé des investissements étrangers dans certains pays et de l’activité économique qui en résulte. Selon Paul Collier, les investissements étrangers à la Barbade et dans les îles Caïmans ne créent pas d’emplois et servent seulement à échapper au fisc canadien. Luis Carlos Delgado Murillo, ambassadeur du Costa Rica au Canada, a déclaré au Comité que les investissements étrangers dans son pays créaient des emplois dans les secteurs des services, de la fabrication de pointe et des instruments médicaux.

C. Valeur des actifs détenus dans les paradis fiscaux

Selon certains témoins, deux problèmes interreliés empêchent de savoir dans quelle mesure au juste les contribuables pratiquent l’évasion fiscale, à savoir le peu d’information dont disposent les autorités fiscales et la répugnance des contribuables à leur communiquer des renseignements. Les témoins divergeaient beaucoup dans leur estimation de la valeur des actifs détenus par les Canadiens et les non-Canadiens dans les centres financiers extraterritoriaux et des pays que l’OCDE considéraient naguère comme des paradis fiscaux encore que le terme soit resté dans l’usage.

Dans son mémoire au Comité, le Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires déclare que les individus les plus riches au monde détiennent des actifs de 12 billions de dollars dans les paradis fiscaux ou les centres financiers extraterritoriaux. Selon un rapport du Boston Consulting Group cité par Arthur Cockfield, les actifs détenus dans les paradis fiscaux ou les centres financiers extraterritoriaux totaliseraient entre 5 et 38 billions de dollars. Selon une étude du Tax Justice Network citée par les Canadiens pour une fiscalité équitable, entre 21 et 32 billions de dollars ont été transférés de pays à revenu faible ou moyen à plus de 80 paradis fiscaux. Le Tax Justice Network a déclaré que, selon ses recherches, l’évasion fiscale était surtout le fait de bien nantis, c'est-à-dire de personnes dont l’avoir liquide dépasse le million de dollars. Selon David Sohmer, un avocat chez Spiegel Sohmer qui témoignait à titre personnel, les actifs que détiennent les Canadiens dans des comptes extérieurs se chiffrent à 100 milliards de dollars.

Selon le supplément d’information que l’ARC a communiqué au Comité après sa comparution, les particuliers, sociétés et fiducies résidant au Canada qui possèdent des « biens étrangers déterminés » dont la valeur totale dépasse 100 000 $ dans une année donnée doivent communiquer à l’ARC certains renseignements par le formulaire T1135. Le tableau 1 présente, pour les exercices 1999-2009, le nombre de T1135 déposés et le revenu imposable annuel total et moyen correspondant aux biens étrangers ainsi déclarés. Le tableau 2 montre, pour les exercices 1999-2009, le nombre de particuliers résidents canadiens qui déclarent par le T1135 des biens étrangers d’une valeur supérieure à 1 million de dollars et l’endroit où se trouvent ces biens.

Tableau 1 — Nombre de formulaires T1135 déposés par des particuliers, des sociétés et des fiducies résidant au Canada et revenu imposable annuel total
et moyen correspondant aux biens étrangers déclarés par le T1135, exercices 1999 à 2009

Exercice

Nombre de T1135 déposés

Revenu imposable annuel total correspondant aux biens étrangers déclarés par le T1135

Revenu imposable annuel moyen correspondant aux biens étrangers déclarés par le T1135

1999

53 424

4 109 439 624 $

76 921 $

2000

61 534

4 692 503 828 $

76 259 $

2001

68 822

2 505 543 860 $

36 406 $

2002

70 884

3 677 239 712 $

51 877 $

2003

72 607

3 335 167 958 $

45 935 $

2004

76 362

3 968 423 574 $

51 969 $

2005

73 146

8 619 889 777 $

117 845 $

2006

88 348

6 415 302 539 $

72 614 $

2007

98 649

8 065 798 650 $

81 763 $

2008

110 952

8 125 500 289 $

73 234 $

2009

119 712

3 706 081 259 $

30 958 $

Source : Agence du revenu du Canada, données communiquées au Comité permanent des finances de la Chambre des communes le 22 mars 2011.

Tableau 2 – Nombre de particuliers résidents canadiens déclarant des biens étrangers d’une valeur supérieure à 1 million de dollars par le formulaire T1135, total et ventilé suivant l’endroit où se trouvent les biens, exercices 1999 à 2009

Exercice

Nombre de particuliers résidents canadiens déclarant des biens d’une valeur supérieure à 1 million de dollars par le formulaire T1135

Total

États-Unis

Royaume-Uni

Europe

Asie du Sud-Est

Caraïbes

Autres

1999

1 073

656

156

241

102

90

169

2000

1 397

946

196

293

114

109

225

2001

1 611

1 047

253

369

160

131

278

2002

1 695

1 091

253

395

162

123

319

2003

1 800

1 148

254

449

211

123

299

2004

1 766

1 099

248

445

220

125

290

2005

1 743

1 068

264

409

241

104

301

2006

2 186

1 279

329

508

362

130

429

2007

2 447

1 428

378

567

415

141

455

2008

2 598

1 444

384

583

490

139

562

2009

2 877

1 389

365

610

631

160

756

Note : Comme un particulier résident canadien peut détenir des actifs dans plusieurs pays et les déplacer de l’un à l’autre durant l’exercice, les mêmes actifs peuvent être déclarés dans plus d’un pays.

Source : Agence du revenu du Canada, données communiquées au Comité permanent des finances de la Chambre des communes, 22 mars 2011.

D. La lutte des gouvernements contre l’évitement fiscal et l’évasion fiscale

1. Recettes fiscales et manque à gagner

Selon certains témoins, l’une des raisons pour lesquelles les gouvernements s’intéressent aux comptes extérieurs, c’est la nécessité où ils se trouvent d’augmenter leurs recettes fiscales par suite de la crise financière et économique mondiale. Ces témoins ne s’entendent pas toutefois sur l’ampleur des recettes fiscales non perçues — le « manque à gagner fiscal » — par suite de l’évitement et de l’évasion.

Selon un de ses fonctionnaires, l’ARC n’évalue pas le manque à gagner fiscal. Depuis 2006 toutefois, l’ARC a vérifié 8 000 dossiers et repéré 4,6 milliards de dollars en impôts impayés. Un fonctionnaire du ministère des Finances a déclaré que le Canada n’était pas le seul pays à ne pas évaluer le manque à gagner fiscal résultant des actions internationales des contribuables et que de toute façon il serait trop difficile d’obtenir une estimation exacte. Cela dit, l’Association québécoise pour la taxation des transactions financières et pour l'aide aux citoyens estime que le gouvernement fédéral devrait prioriser la lutte contre la fraude fiscale et le recours aux paradis fiscaux et financer des études pour déterminer l’ampleur de l’évitement et de l’évasion fiscale au Canada.

L’OCDE nous a déclaré que le manque à gagner fiscal était difficile à calculer et que ce n’était pas nécessaire de le faire pour mesurer l’efficacité des autorités fiscales. Elle a ajouté que les stratégies d’évitement fiscal rendaient difficile le calcul du manque à gagner. Néanmoins, le Tax Justice Network a évoqué les diverses méthodes pouvant être employées pour calculer le manque à gagner d’un pays et affirmé qu’il avait évalué l’ampleur de l’évasion fiscale au Royaume-Uni en fonction du montant de la taxe sur la valeur ajoutée impayée; le gouvernement britannique s’est déjà servi du nombre de déclarations de revenu inexactes pour évaluer le manque à gagner fiscal. Sur la foi du manque à gagner fiscal mondial tel qu’estimé par le Tax Justice Network, les Canadiens pour une fiscalité équitable calculent que l’évasion fiscale fait perdre au fisc canadien entre 5,3 et 7,8 milliards de dollars par an.

Selon Arthur Cockfield, le gros du manque à gagner d’un pays résulte de l’évasion pratiquée sur son territoire par ceux qui n’acquittent pas par exemple la taxe sur les produits et services. Walid Hejazi a avancé qu’il y avait plus d’abus fiscaux à l’échelle nationale que dans les centres financiers extraterritoriaux et que l’ampleur du manque à gagner fiscal était exagérée par certains commentateurs.

Selon Don Johnston — avocat chez Heenan Blaikie, ancien secrétaire général de l’OCDE et ancien président du Conseil du Trésor du Canada, qui témoignait à titre personnel —, les contribuables honnêtes ne doivent pas subventionner ceux qui ne paient pas leur juste part d’impôt. L’OCDE a déclaré, quant à elle, qu’il fallait répartir également le fardeau fiscal et que les sociétés qui paient leurs impôts rubis sur l’ongle ne devaient pas être désavantagées par rapport à celles qui recourent aux paradis fiscaux pour réduire leurs impôts.

2. Pays du secret

Selon plusieurs témoins, la divulgation par les banques du Liechtenstein et de la Suisse de renseignements jadis gardés secrets permet de mieux saisir l’ampleur des revenus qui échappent en tout ou en partie aux fiscs nationaux. Don Johnston a déclaré qu’il était difficile dans certains pays de savoir si le bénéficiaire d’un compte est résident canadien et que les informateurs contribuaient grandement au respect des obligations fiscales et au partage des renseignements sur les revenus non déclarés. Selon Scott Michel, avocat représentant le cabinet Caplin & Drysdale, les États-Unis ont poursuivi 25 clients de l’UBS depuis que leur identité a été révélée au fisc américain en 2007. Un responsable de l’ARC nous a informé que l’Agence avait mené 47 vérifications sur la foi de renseignements clandestins concernant des comptes ouverts dans des banques du Liechtenstein et repéré 22,4 millions de dollars en impôts impayés.

E. Réaction internationale à l’évitement fiscal et à l’évasion fiscale

1. Évitement fiscal

Quand elle a comparu devant nous, l’OCDE a parlé de la « double exonération de l’impôt », qui consiste pour les sociétés multinationales à faire un usage légitime de pays, de conventions fiscales et de législations nationales pour ne pas payer les impôts dus ou les réduire sensiblement. Selon l’OCDE, les conventions, règles et normes fiscales internationales ne devraient pas pouvoir être utilisées pour échapper à l’impôt où que ce soit ou pour déclarer des bénéfices dans un pays à fiscalité nulle ou faible par l’entremise de filiales. Comme il est dit dans le rapport de l’OCDE intitulé Lutter contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices, les efforts internationaux visent désormais à garantir qu’au moins un pays puisse imposer les bénéfices d’une société multinationale en réglementant, par exemple les modalités de déclaration des revenus ou l’établissement des prix de cession de biens et de services entre les filiales d’une société.

2. Évasion fiscale

L’OCDE a mis le Comité au courant des efforts internationaux pour réduire l’évasion fiscale et le recours aux comptes extérieurs en augmentant la transparence au moyen d’une norme internationale en matière d’échange de renseignements entre les autorités fiscales ainsi qu’entre les institutions financières et les autorités fiscales. Dans le cadre du Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements fiscaux de l’OCDE, les pays du G20 collaborent à la mise en œuvre de la norme internationale par un examen par les pairs du régime juridique et réglementaire des pays membres. Fondée sur l’article 26 du Modèle OCDE de Convention fiscale et le Modèle OCDE d’accord sur l’échange de renseignements en matière fiscale de 2002, la norme oblige les membres du Forum mondial à :

  • échanger sur demande des renseignements « vraisemblablement pertinents » pour l’administration et l’application des lois d’un pays;
  • s’assurer que l’échange de renseignements n’est pas entravé par les consignes de secret ou la politique fiscale nationale;
  • assurer la disponibilité de renseignements dignes de confiance et la possibilité de les obtenir;
  • respecter les droits des contribuables;
  • échanger les renseignements sous le sceau d’une stricte confidentialité.

L’OCDE a déclaré que les membres du Forum mondial avaient signé avec des paradis fiscaux et des centres financiers extraterritoriaux des accords d’échange de renseignements fiscaux (AERF) incorporant la norme internationale de transparence et d'échange de renseignements. Le Comité a par ailleurs appris que depuis 2009, les membres du Forum mondial avaient signé plus de 550 AERF. Selon un fonctionnaire du ministère des Finances, le Canada en a signé 16 et en négocie actuellement 12.

L’OCDE a informé le Comité des mesures qui sont prises après l’établissement d’un mécanisme d’échange de renseignements, à savoir la conduite de vérifications conjointes par les autorités fiscales de pays tiers, le partage de renseignements sur les stratagèmes de planification fiscale et la conclusion de conventions multilatérales d’administration et de perception conjointes de l’impôt. À propos des conventions multilatérales, Arthur Cockfield préconise la ratification de la Convention concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale, que le Canada a signée en 2004.