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AGRI Rapport du Comité

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SOUTIEN AUX PEUPLES AUTOCHTONES DANS LE SECTEUR DE L'AGRICULTURE ET DE L'AGROALIMENTAIRE

INTRODUCTION

Le 1er novembre 2018, le Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire (ci-après « le Comité ») a convenu d’entreprendre une étude sur le renforcement du soutien aux peuples autochtones dans le secteur agricole et agroalimentaire, conformément à la motion suivante :

Que le Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire réalise une étude sur le soutien des peuples autochtones dans le secteur canadien de l’agriculture et de l’agroalimentaire, afin de mieux comprendre les besoins, les défis et les possibilités des Autochtones canadiens, et de la façon dont le gouvernement du Canada peut mieux élaborer des politiques et des programmes agricoles qui soient plus inclusifs et appuyant une plus grande participation des Autochtones et de la croissance dans le secteur agricole et agroalimentaire[2].

Le Comité a consacré cinq réunions à cette étude entre le 11 décembre 2018 et le 26 février 2019 et entendu 23 témoins. Ces réunions ont permis au Comité de recueillir les témoignages de représentants des Premières Nations et des Inuits, de chefs de bande, de producteurs et d’entrepreneurs des Premières Nations, d’organismes œuvrant avec les communautés autochtones, de représentants du ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, et de chercheurs universitaires. En raison des disponibilités limitées des témoins et des contraintes de temps, le Comité reconnaît que cette étude n’est pas exhaustive.

Les témoignages recueillis ont permis au Comité de mieux comprendre les opportunités, les besoins et les défis que rencontrent les communautés autochtones dans le secteur canadien de l’agriculture et de l’agroalimentaire.

PORTRAIT DES PEUPLES AUTOCHTONES DANS LE SECTEUR AGRICOLE CANADIEN

Selon Statistique Canada, 1 673 785 personnes s’identifiaient comme Autochtones en 2016 au Canada, ce qui représente 4,9 % de la population totale. Trois groupes principaux composent les peuples autochtones : les membres des Premières Nations, les Métis et les Inuits[3]. Cette section dresse un portrait de la présence des peuples autochtones dans le secteur agricole.

A. Profil socioéconomique des agriculteurs autochtones

Selon le recensement de l’agriculture de 2016, 15 765 personnes appartenant à la population agricole au Canada s’identifiaient comme Autochtones, ce qui représente 2,7 % de la population agricole canadienne. Parmi ces personnes, on dénombrait 5 160 exploitants agricoles autochtones, soit 1,9 % des 270 720 exploitants agricoles du Canada. Les Métis étaient le groupe le plus représenté (69,5 % de la population agricole autochtone), devant les membres des Premières Nations (26,2 %) et les Inuits (0,7 %). La population agricole autochtone a cru de 21,4 % entre 1996 et 2016[4]. Cette augmentation reflète la croissance de la population autochtone dans son ensemble (qui est le résultat de l’allongement de l’espérance de vie et du taux de natalité élevé) et le fait que davantage de personnes s’identifient nouvellement comme Autochtones chaque année[5].

Les exploitants agricoles autochtones se retrouvent dans l’ensemble des régions du Canada où l’agriculture est pratiquée (figure 1). 70 % des exploitants d’identité autochtone se concentrent dans les quatre provinces de l’ouest du pays. L’Alberta est la province qui dénombre le plus d’exploitants autochtones, suivie par la Saskatchewan et la Colombie-Britannique. L’Alberta était aussi la province qui comptait le plus grand nombre d’exploitants métis (965), alors que la Colombie-Britannique (218) et l’Ontario (215) sont les provinces qui comptent le plus d’exploitants agricoles des Premières Nations. À noter qu’en raison de leur faible nombre, les Inuits, qui comptent pour 0,7 % de la population agricole autochtone au Canada, ne sont pas représentés dans les données géographiques et démographiques présentées ci-après.

Figure 1 – Distribution géographique des exploitants agricoles métis et des Premières Nations selon la province, 2016

La carte géographique présentée à la Figure 1 présente la répartition des exploitants agricoles métis et des Premières Nations à travers le Canada, selon la province et compare cette distribution à l’écoumène agricole, c’est-à-dire les zones où l’agriculture est possible. Les exploitants agricoles métis et des Premières Nations sont présents dans l’ensemble de l’écoumène agricole. Ils se retrouvent en plus grand nombre au sud de l’Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba. On note également une concentration d’exploitants agricoles métis et des Premières Nations au centre et au nord-est de la Colombie-Britannique ainsi que dans le sud de l’Ontario et long du fleuve Saint-Laurent au Québec. Il y a moins d’exploitants métis et des Premières Nations dans les provinces de l’Atlantique. Enfin, dans l’ensemble des provinces les exploitants métis sont majoritaires, mais les exploitants membres des Premières Nations se retrouvent en proportion plus importante en Colombie-Britannique et en Ontario.

Note : L’écoumène national agricole comprend toutes les aires de diffusion où règne une activité agricole « importante », qui est déterminée d’après des indicateurs agricoles tels que le rapport entre la superficie des terres agricoles des fermes de recensement et la superficie totale des terres, ainsi que la valeur économique totale de la production agricole (Statistique Canada, Écoumène).

Source : Nicolas Gauthier et Julia White, Les peuples autochtones et l’agriculture en 2016 : un portrait, Statistique Canada, 17 janvier 2019.

Toujours selon le recensement de 2016, la superficie médiane des exploitations était plus petite et le revenu brut médian des exploitants était moins élevé chez les exploitants d’identité autochtone par rapport aux exploitants non-autochtones. De même, le taux d’emploi hors de l’exploitation était plus élevé dans la population autochtone, en particulier chez les membres des Premières Nations. La Figure 2 dresse une comparaison entre les exploitants agricoles non-autochtones, métis et des Premières Nations au Canada.

Figure 2 – Comparaison entre les exploitants agricoles non-autochtones, métis et des Premières Nations au Canada, 2016

L’infographie présentée à la Figure 2 illustre le profil des exploitants agricoles non autochtones, métis et des Premières Nations au Canada, en 2016. Les données présentées sont les suivantes : Nombre d’exploitants agricoles: Non-autochtones: 265 560, Métis: 3 940, Premières Nations: 1060; Exploitantes agricoles en pourcentage: Non-autochtones: 28,6 %, Métis: 33,3 %, Premières Nations: 36,8 %; Superficie médiane des exploitations en acres: Non-autochtones: 225 acres, Métis: 210 acres, Premières Nations: 151 acres; Revenu brut médian en dollars: Non-autochtones: 69 000 dollars, Métis: 26 528 dollars, Premières Nations: 18 000 dollars; Type d’exploitation la plus courante: Non-autochtones: Plantes oléagineuses et céréales, Métis: Bovins de boucherie, Premières Nations: Autres cultures (par exemple, le foin, les betteraves à sucre, le ginseng, le tabac, les herbes et épices, le chanvre et le houblon)

Source: Nicolas Gauthier et Julia White, Les peuples autochtones et l’agriculture en 2016 : un portrait, Statistique Canada, 17 janvier 2019.

En 2016, l’âge moyen des exploitants agricoles métis et membres des Premières Nations était de 52,3 ans dans les deux groupes alors que l’âge moyen de leurs homologues non-autochtones était de 55,0 ans[6]. L’âge moyen des exploitants agricoles augmente continuellement alors que les besoins de relève agricole ne sont pas comblés.

Jamie Hall, directeur général de l’Indian Agricultural Program of Ontario a mentionné au Comité que les communautés autochtones pourraient aider à combler des besoins en matière de main-d’œuvre dans le secteur agricole et agroalimentaire:

En effet, la communauté des Premières Nations est très jeune et s'accroît très rapidement. L'âge médian est de 32 ans. Nous avons donc une population jeune à la recherche de possibilités économiques intéressantes, et l'agriculture peut représenter une partie de la solution, qu'il s'agisse du secteur agricole ou agroalimentaire. Lorsque nous examinons l'incidence de cette situation au sein de l'industrie, il est important de tenir compte de la crise de la relève à laquelle l'industrie agricole canadienne pourrait être confrontée. Étant donné que l'âge moyen des producteurs est de 55 ans et que seulement 8 % d'entre eux ont un plan de relève, nous avons l'occasion de réunir ces deux mondes[7]. »

Toutefois, Jamie Hall considère qu’afin de saisir cette opportunité, il est important de réduire l’écart qui persiste en éducation entre les groupes autochtones et la moyenne de la population canadienne. Malgré des améliorations notables, les exploitants agricoles issus des Premières Nations et Métis demeurent en moyenne moins scolarisés que la moyenne des exploitants agricoles dans son ensemble.

Ainsi, on comptait 18,4 % de personnes sans certificat, diplôme ou grade chez l’ensemble des exploitants agricoles du Canada. Cette proportion est plus importante chez les exploitants agricoles membres des Premières Nations où elle s’élève à 20,1 %. Elle est toutefois moins élevée chez les Métis où elle atteint 17,4 %. De même, alors que 17,9 % des exploitants agricoles dans leur ensemble ont un certificat, diplôme ou grade universitaire[8], ils ne sont que 12,7 % chez les Métis et 16,2 % chez les membres des Premières Nations[9].

B. Qu’est-ce que l’agriculture autochtone? Les différentes perspectives entendues

Les témoignages ont permis au Comité de constater que différentes visions de l’agriculture autochtone existent. Comme l’expliquait le chef Byron Louis, de la Bande indienne Okanagan, l’agriculture autochtone peut effectivement prendre différentes formes :

Dans l'Est, on peut observer ce qu'on appelle la méthode des « trois sœurs », c'est-à-dire la culture du maïs, des haricots et des courges. L'utilisation de chaque espèce a été très bien pensée, car les haricots fixent l'azote et grimpent sur la tige de maïs pendant que les courges et les citrouilles fournissent les graines, ce qui permet d'utiliser moins d'eau. […] Dans l'Ouest, on présume souvent que l'agriculture n'est pas allée plus loin dans le Nord que l'extrémité sud du Dakota du Nord. Toutefois, des études menées à Winnipeg révèlent qu'on trouve du pollen de maïs sous terre dans certains sites archéologiques à l'extérieur de Winnipeg. Plus à l'Ouest, le feu était essentiellement utilisé à des fins agricoles et pour la production agricole. On a même trouvé des sites de cultures de certaines espèces hydriques comme la sagittaire à larges feuilles, une plante aquatique qui pousse dans les rivières et le long des lits des rivières, qui avaient été préparés il y a 5 000 ans[10].

Dans les communautés inuites, l’agriculture telle qu’on la conçoit généralement demeure limitée à ce jour, ce qui n’a pas empêché les Inuits de modifier le territoire afin d’assurer leurs moyens de subsistance. Comme le mentionne Natan Obed, président de l’Inuit Tapiriit Kanatami :

En ce qui concerne l'agriculture traditionnelle et en dépit de ce que l'on peut penser des terres fertiles et des pratiques d'élevage au Canada, ce genre d'industrie n'existe pas. Nous avons, dans la région de l'Inuvialuit, une population de caribous qui est gérée par des particuliers. Je ne vois pas beaucoup d'autres exemples de pratiques agricoles auxquelles vous pourriez penser.
D'un autre côté, nous n'allons pas trouver sur nos terres, par un coup de baguette magique, des animaux que l'on peut élever et utiliser. Nous avons traditionnellement l'habitude de faire en sorte que les populations dont nous nous occupons, par exemple celles de caribous, soient en bonne santé. De façon également traditionnelle, nous cherchons à améliorer l'habitat des poissons et à créer des frayères en plaçant des rochers dans des endroits stratégiques ou en changeant le lit des rivières. Nous avons utilisé la totalité de nos terres de la façon dont vous auriez pu le faire sur 5 ou 10 acres. Nous n'avons peut-être pas cultivé de blé, mais nous avons toujours eu des contacts avec les espèces vivantes en garantissant leur santé[11].

Bien que certains témoins aient mentionné que certaines communautés autochtones possèdent aujourd’hui de grandes exploitations axées sur l’exportation, la majorité de l’agriculture autochtone se fait toutefois à petite échelle et vise d’abord à subvenir aux besoins de la communauté et à assurer une plus grande sécurité alimentaire à celle-ci. D’ailleurs la sécurité alimentaire et l’accès à l’eau potable demeurent un défi de taille à ce jour pour plusieurs communautés autochtones du Canada.

L’agriculture autochtone peut ainsi prendre plusieurs formes et il faut regarder celle-ci sous ce spectre large qui jonche à la fois les pratiques traditionnelles et les modes d’agriculture modernes afin de comprendre les défis, les besoins et les opportunités que rencontrent les peuples autochtones dans le secteur agricole canadien. Il est également important de reconnaître et comprendre les liens traditionnels, culturels et spirituels que les peuples autochtones entretiennent vis-à-vis de l’agriculture, des aliments qu’ils consomment ou utilisent pour leur médecine traditionnelle et, plus largement, de la terre qu’ils habitent.

Recommandation 1

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada, à travers ses politiques et programmes, reconnaisse le rôle que joue l’approvisionnement en aliments locaux et traditionnels pour favoriser la santé des collectivités autochtones ainsi que l’importance traditionnelle de l’agriculture et de la terre pour les communautés autochtones.

DÉFIS VÉCUS PAR LES PEUPLES AUTOCHTONES DANS LE SECTEUR DE L’AGRICULTURE ET DE L’AGROALIMENTAIRE

Plusieurs témoins ont affirmé que l’agriculture autochtone telle que pratiquée aujourd’hui ne peut être dissociée de l’histoire coloniale du Canada. Selon Michel Gros Louis, directeur de la Société agroalimentaire des produits du terroir autochtone, « [l]'agriculture autochtone a subi le contrecoup des écoles résidentielles, de l'acculturation et de l'oppression[12]. »

Hannah Tait Neufeld, professeure adjointe, au Department of Family Relations and Applied Nutrition de l’Université de Guelph a présenté des enjeux auxquels certaines communautés autochtones peuvent être confrontées:

[L]es politiques coloniales ont perturbé ou éliminé l'accès aux sources traditionnelles d'aliments et de médicaments et, dans de nombreux cas, elles ont tout simplement détruit ces sources. Un manque d'accès à l'eau potable et à des aliments sains demeure une préoccupation importante en matière de santé pour de nombreuses familles et collectivités autochtones[13].

La plupart des témoins sont d’avis que l’insécurité alimentaire – soit l’incapacité de pouvoir se procurer des aliments sains et nutritifs en quantité suffisante et de manière régulière[14] – demeure à ce jour le principal défi associé à l’agriculture autochtone. L’insécurité alimentaire est d’ailleurs un enjeu de santé publique majeure pour plusieurs communautés autochtones. Comme l’expliquait Stephen Penner, étudiant au doctorat à l’Université de Guelph :

Les peuples autochtones sont en tête de liste des maladies liées à l'alimentation, comme le diabète, les accidents vasculaires cérébraux, les maladies cardiaques et les maladies rénales, en raison d'un accès réduit aux aliments traditionnels et locaux […][15].

Natan Obed a fait part des problèmes d’insécurité alimentaire qui sévissent dans l’Inuit Nunangat.[16] Selon la région, l’insécurité alimentaire affecte encore à ce jour entre 54 % et 70 % des individus[17].

L’insécurité alimentaire n’affecte pas uniquement les Inuits ou les communautés autochtones éloignées; des collectivités situées dans des régions urbaines ou périurbaines peuvent également vivre des problèmes semblables. Erica Ward, coordonnatrice de programme au Natoaganeg Community Food Centre, a mentionné l’exemple de la communauté micmaque Eel Ground, au Nouveau-Brunswick, qui avoisine la ville de Miramichi. Malgré la proximité avec la ville, « [s]ur les quelque 230 foyers qui composent la communauté d'Eel Ground, il y en a environ 90 qui ont de la difficulté à obtenir régulièrement des aliments sains[18]. »

L’insécurité alimentaire des communautés autochtones est par ailleurs amplifiée par les changements climatiques. En ce qui concerne le nord du Canada, il a été mentionné que la saison des routes d’hiver, qui permettent d’acheminer par camion de la nourriture aux communautés nordiques, est de plus en plus courte en raison des températures à la hausse. Stephen Penner a également expliqué que les changements climatiques ont des impacts sur le parcours emprunté par certaines espèces migratoires comme les caribous. Cette situation est particulièrement problématique pour la Première Nation de Fort McPherson au Yukon qui n’est plus sur le trajet migratoire de cette espèce. Cette communauté doit désormais demander à la Première Nation Gwich'in, située à Old Crow, plus au nord, de lui faire parvenir de la viande de caribous à défaut de pouvoir en chasser elle-même[19].

Patrick Michell, chef du Kanaka Bar Indian Band, en Colombie-Britannique, a expliqué au Comité que les changements climatiques, qui ont déjà un impact significatif sur l’approvisionnement alimentaire, risquent de s’aggraver dans les années à l’avenir:

Kanaka sait intuitivement que ce que nous connaissons sur le terrain ici aujourd'hui — les incendies de forêt, les inondations, la mauvaise qualité de l'air, les couches d'inversion de la fumée, les vents violents, les pannes d'électricité, le changement des régimes de précipitations et la chaleur — gagnera en fréquence, en durée et en intensité, ce qui entraînera des conséquences négatives encore plus importantes pour la production agricole locale et la disponibilité des aliments locaux[20].

Chef Michell a d’ailleurs expliqué au Comité que sa communauté, située sur le littoral du fleuve Fraser, n’a plus accès à sa source traditionnelle de nourriture, le saumon, en raison des risques de disparition de l’espèce et des mesures de conservation mises en œuvre en 2017. Il a fait part au Comité de l’importance pour sa bande de s’adapter à cette nouvelle réalité et a déclaré à cet effet que « le peuple du saumon doit devenir le peuple de la patate[21]. »

En plus de ces enjeux systémiques qui ont posé des défis historiques importants aux peuples autochtones et continuent aujourd’hui de poser des problèmes d’insécurité alimentaire considérables, certains témoins ont évoqué qu’il existe des barrières financières et réglementaires au développement d’entreprises agricoles et agroalimentaires dans les communautés autochtones.

A. Obstacles au développement d’entreprises agricoles et agroalimentaires

Plusieurs témoins ont mentionné au Comité que le développement d’entreprises agricoles et agroalimentaires dans les communautés autochtones au Canada permet non seulement d’atteindre une plus grande sécurité et souveraineté alimentaire, mais également de faire prospérer certaines communautés économiquement et socialement. Les témoins ont toutefois soulevé trois principaux défis auxquels font face les peuples autochtones en matière de développement d’entreprises agricoles et agroalimentaires : l’accès au capital, à des terres de qualité et à des infrastructures adaptées.

1. Accès au capital

Plusieurs témoins ont exprimé qu’il est difficile d’avoir accès à du financement pour les Autochtones vivant dans les réserves. Jamie Hall résume bien cette situation :

La Loi sur les Indiens empêche les personnes résidant dans les réserves de donner leurs biens en garantie, qu'il s'agisse de terres, d'équipement ou d'autres biens. C'est un immense obstacle à la création de richesse et au financement. Au Canada, l'industrie agricole a pris de l'expansion grâce à l'accélération de la valeur des terres et à la possibilité d'emprunter sur ces terres et d'en tirer parti pour poursuivre la croissance. Cette possibilité n'existe pas dans les collectivités des Premières Nations[22].

Vincent Lévesque, membre de la nation huronne-wendat et fondateur de la Société agroalimentaire des produits du terroir autochtone a fait part des difficultés qu’il a vécues en phase de démarrage d’entreprise agricole :

Quand nous voulons obtenir du financement, on nous dit souvent d'acheter ce qu'il nous faut et qu'on nous remboursera par la suite. C'est souvent ainsi que fonctionnent les programmes. Il faut donc demander un prêt, mais comme nos biens ne sont pas saisissables, la garantie du prêt pose problème[23].

Certains témoins estiment que les conseils de bande peuvent aussi freiner l’accès au capital. Il arrive que des membres des communautés autochtones doivent d’abord obtenir l’appui du conseil de bande afin d’avoir droit à du financement. Jackoline Milne, une Métisse qui habite Hay River dans les Territoires du Nord-Ouest présidente de Northern Farm Training Institute, a constaté que dans certains cas, « les différents bailleurs de fonds forcent les gens à être administrés par la bande[24]. » Cette pratique crée selon elle un « problème démesuré de non-reconnaissance du particulier[25]. »

L’accès limité au capital est également un problème pour les communautés autochtones vivant hors-réserve. Des documents déposés par l’Association nationale des sociétés autochtones de financement ont permis au Comité de constater qu’il demeure difficile d’obtenir du financement pour les entrepreneurs autochtones hors réserves en raison des faibles taux de littératie financière, de l’absence d’antécédents en matière de crédit, des taux d'accession à la propriété plus faibles et de la valeur nette des logements en moyenne moins élevée que dans la population canadienne.

Malgré les difficultés d’accès au capital vécues par plusieurs communautés, certains témoins ont fait part des solutions qui existent. Le Comité a notamment entendu un témoignage de l’Association nationale des sociétés autochtones de financement, qui représente 59 sociétés autochtones de financement et institutions financières à travers le Canada qui « offrent des prêts au développement à des centaines d'entrepreneurs autochtones membres des Premières Nations, métis et inuits[26] » totalisant à ce jour 2,5 milliards de dollars. Ces institutions financières ont développé une structure de financement visant à combler les lacunes existantes en matière de financement agricole autochtone. Selon Shannin Metatawabin, membre de la Première Nation de Fort Albany de la nation Mushkegowuk dans la Baie-James et directeur général de l’Association nationale des sociétés autochtones de financement, « en 2017-2018, 8,9 % des entreprises qui ont reçu un prêt de notre réseau faisaient partie du secteur agricole. Cela a représenté environ 3 millions de dollars en activités de prêts et a permis d'atteindre de grands résultats socioéconomiques[27]. »

L’Association nationale des sociétés autochtones de financement considère que le gouvernement du Canada pourrait initier trois mesures concrètes afin d’accroître l’accès au capital pour les entreprises agricoles autochtones :

  • 1) Que des investissements publics supplémentaires pour les institutions financières autochtones soient octroyés par le gouvernement du Canada[28];
  • 2) Qu’Agriculture et Agroalimentaire Canada collabore avec l’Association nationale des sociétés autochtones de financement dans la prestation de ses services de financement et de soutien aux entreprises[29];
  • 3) Que les conditions actuelles de financement de projets agricoles autochtones soient assouplies[30].

Recommandation 2

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada, en partenariat avec les communautés autochtones, assouplisse les conditions de financement actuelles pour les institutions financières autochtones afin d’accroître l’entrepreneuriat autochtone dans le secteur de l’agriculture et de l’agroalimentaire. 

2. Accès aux terres

Pour plusieurs témoins, l’accès aux terres est primordial afin de développer l’agriculture autochtone, atteindre une plus grande sécurité alimentaire et satisfaire aux besoins de populations autochtones jeunes et croissantes. Cependant, cette réalité peut varier à travers le Canada selon la disponibilité des terres agricoles et d’autres différences régionales. Reginald Bellerose, chef de la Première Nation Muskowekwan, en Saskatchewan,a présenté la situation particulière de sa communauté :

Nous avons une superficie de 64 800 acres. Nous estimons que c'est la voie vers un avenir meilleur. D'autre part, nous devons corriger les torts passés. Le règlement prévoyait le déplacement des membres des Premières Nations dans des régions habitées. Cela s'est accompagné d'une perte de territoire. Nos populations connaissent une croissance démographique, et nous croyons que nous devons accroître la superficie de notre territoire. C'est notre solution[31].

Le chef Patrick Michell a quant à lui mentionné au Comité que sa bande a fait « l'acquisition de six terrains hors réserve adjacents en fief simple dans le but d'améliorer et d'assurer la sécurité alimentaire, la sécurité de logement et la sécurité de l'approvisionnement en eau pour la collectivité[32]. »

Jamie Hall estime pour sa part que les revendications territoriales des Premières Nations pourraient accroître les terres disponibles pour les agriculteurs autochtones :

les revendications territoriales, les terres sous contrôle des réserves continuent de croître. De 2006 à 2014, près de 3 500 kilomètres carrés de terre ont été ajoutés, et comme 40 % de la masse continentale du Canada fait toujours l'objet de revendications territoriales, nous prévoyons que les vastes quantités de terre continueront à augmenter. C'est donc une énorme possibilité sur le plan des ressources[33].

Cependant, l’accès aux terres n’est pas nécessairement toujours facile. Stephen Penner a par exemple constaté que plusieurs communautés autochtones ne peuvent acquérir de terres de qualité en raison du prix trop élevé de celles-ci : « [d]ans la région du Grand Toronto, de London et des alentours, beaucoup de communautés avec qui j'ai travaillé, comme les Chippewas de Thames et la Première Nation Oneida, ont des traditions agricoles très fortes, mais aucun accès aux terres[34]. »

Dans le nord de l’Ontario, comme l’expliquait Sheri Longboat, professeure adjointe, à la School of Environmental Design and Rural Development, de l’Université de Guelph, c’est plutôt la mauvaise qualité des terres qui limite le développement de pratiques agricoles courantes[35].

3. Infrastructures

Le manque d’infrastructures a aussi été identifié comme un des principaux défis au développement d’entreprises agricoles autochtones. L’accès à des technologies, de l’eau potable et des systèmes d’irrigation adéquats, et des sources d’énergie propres fait souvent défaut dans les communautés autochtones du Canada.

Selon Jamie Hall, un « fossé technologique » persiste entre les exploitants agricoles autochtones et les exploitants agricoles non-autochtones :

Il est bien connu que les entreprises autochtones ont moins accès à la technologie et l'utilisent donc moins. En effet, 4 entreprises autochtones sur 10 déclarent qu'elles n'ont pas de connexion Internet ou qu'elles n'ont pas de connexion Internet fiable, tandis que 81 % des exploitants agricoles déclarent utiliser régulièrement Internet pour les courriels, l'information sur les produits et la recherche[36].

L’accès à de l’eau potable et des systèmes d’irrigation modernes demeure aussi problématique. Les pénuries d’eau potable dans certaines régions de l’Inuit Nunangat sont telles qu’il n’est pas question à ce jour d’usage commercial de l’eau pour le développement d’entreprises agricoles ou agroalimentaires. L’enjeu demeure pour l’instant de subvenir aux besoins individuels. Afin d’illustrer ce propos, Natan Obed a d’ailleurs mentionné que « la brasserie qui avait été proposée à Iqaluit, au Nunavut, n'a pas pu voir le jour en raison des pénuries d'eau dans la communauté[37]. »

Certaines communautés qui désirent pratiquer une agriculture intensive constatent par ailleurs que le manque d’infrastructures aquifères limite leurs ambitions. Comme le chef Patrick Michell en a fait part au Comité, la communauté autochtone de Kanaka « aurait besoin d'aide financière pour payer la conception et l'aménagement des ouvrages de déviation des cours d'eau, des conduites, des réservoirs et des installations de traitement d'eau[38] » afin de développer une agriculture commerciale viable à long terme.

Le faible accès à des sources d’énergie fiables et écologiques est également un frein au développement agricole. Plusieurs communautés autochtones nordiques et éloignées dépendent encore à ce jour de systèmes d’électricité fonctionnant au diesel. Faire pousser des fruits et légumes en serre demeure donc une opération peu rentable en raison des coûts d’opération, comme l’explique Natan Obed :

Il n'y a aujourd'hui que quatre serres parmi les 51 communautés de l'Inuit Nunangat, mais elles ne répondent pas vraiment aux besoins alimentaires des communautés. Certes, elles sont utiles, mais ne constituent pas une solution de rechange, qui reste à trouver. Étant donné les coûts élevés d'exploitation, l'option la plus rentable reste le transport aérien des produits frais plutôt que leur culture en serre, localement. Nous n'avons pas encore le rapport idéal coûts-avantages[39].

Malgré les défis vécus par les Autochtones œuvrant dans le secteur agricole et agroalimentaire, plusieurs programmes de soutien existent. La prochaine section fait état des programmes du gouvernement fédéral et d’organismes privés mis en œuvre à ce jour et présente les limites de ceux-ci.

SOUTIEN AUX PEUPLES AUTOCHTONES

Le gouvernement du Canada dispose de compétences étendues dans l’administration des services aux peuples autochtones. Dans le cadre de cette étude, le Comité a pris connaissance de l’existence des initiatives et programmes mis en place par le gouvernement fédéral et des organismes privés en soutien aux communautés autochtones dans le secteur agricole.

A. Les initiatives existantes et leurs limites

Le gouvernement du Canada, par l’entremise du ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, a mis en place plusieurs programmes afin de soutenir les initiatives agricoles autochtones et assurer la sécurité et la souveraineté alimentaire des communautés autochtones du Canada.

Par l’entremise du Partenariat canadien pour l’agriculture (2018-2023) – un accord-cadre fédéral-provincial-territorial de 3 milliards de dollars sur cinq ans dans le secteur agricole et agroalimentaire – différents programmes s’adressent aux peuples autochtones.

Tom Rosser, sous-ministre adjoint, Direction générale des politiques stratégiques au ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire, a notamment parlé d’Agri-diversité, un programme de 5 millions de dollars financé sur cinq ans (2018-2023) qui vise à accroître la participation des groupes sous-représentés dans le secteur agricole. À ce jour, deux initiatives autochtones ont reçu du financement via ce programme : le Conseil pour l'avancement des agents de développement autochtones et le Northern Farm Training lnstitute[40].

Agriculture et Agroalimentaire Canada a également mis en place l’Initiative sur les systèmes agricoles et alimentaires autochtones. Comme l’expliquait Tom Rosser, « cette initiative quinquennale de 8,5 millions de dollars vise à augmenter les possibilités de développement économique pour les peuples autochtones en renforçant leur capacité à se tailler une place et à réussir dans le secteur agricole[41]. »

Jane Taylor, sous-ministre adjointe, Direction générale des programmes, au ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire a également mentionné que « [d]ans le Partenariat canadien pour l'agriculture, il y a des programmes fédéraux, mais aussi des programmes provinciaux et territoriaux. La plupart ou peut-être toutes les provinces et tous les territoires ont des programmes qui s'adressent spécifiquement aux Autochtones[42]. » De plus, comme Mme Taylor l’a évoqué, « c'est la première fois cette année que, dans tous les types de programmes, il y a des programmes fédéraux qui s'adressent spécifiquement aux Autochtones[43]. »

Selon Tom Rosser,

AAC fait maintenant davantage d'efforts pour mesurer ses progrès en matière de participation des peuples autochtones aux programmes exclusivement fédéraux du Partenariat canadien pour l'agriculture. Les demandes reçues jusqu'à maintenant vont de la prestation de services de planification d'entreprise et de gestion financière pour aider les peuples autochtones à démarrer ou à agrandir une exploitation agricole, à la réalisation de projets pilotes de culture d'aliments traditionnels en serre et dans des jardins communautaires, en passant par le transfert de connaissances aux femmes et aux collectivités autochtones[44].

Lors de son témoignage, Tom Rosser a aussi été questionné à propos de la politique alimentaire canadienne. Bien que cette politique soit encore en développement au moment de son témoignage, il suggérait que « [g]râce à la politique alimentaire et à d'autres changements à nos programmes actuels, nous espérons être en mesure de mieux soutenir l'agriculture autochtone au Canada[45]. » La politique alimentaire nationale a finalement été annoncée dans le Budget fédéral 2019-2020, le 19 mars 2019. Cette politique prévoit 134,4 millions de dollars sur cinq ans afin d’accroître l’accès à des aliments nutritifs pour les Canadiens, favoriser la sécurité alimentaire dans les communautés autochtones et du Nord et réduire les déchets alimentaires, entre autres[46].

Les représentants d’Agriculture et Agroalimentaire Canada ont mentionné au Comité que ce ministère est le premier à créer un poste d’aîné autochtone, dont le but est de :

[F]ournir une perspective autochtone au sein du ministère; assurer la liaison avec les Autochtones, c'est-à-dire contribuer à l'établissement de partenariats avec les collectivités et les entreprises autochtones; offrir un soutien culturel et émotionnel à tous les employés autochtones du ministère; et mieux sensibiliser les gens à la culture autochtone au sein du ministère dans le cadre de diverses séances de sensibilisation à la culture offertes à tous les employés[47].

Mervin Traverse, de la Première Nation Ojibwée de Lake St. Martin, au Manitoba, est le premier aîné autochtone du ministère, poste qu’il occupe depuis 2016. Depuis qu’il est en poste, il constate de grands progrès au sein d’AAC en termes de soutien à l’agriculture autochtone. Comme Tom Rosser l’a expliqué, le ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire a plusieurs projets qui s’adressent aux communautés autochtones du Canada en cours de développement :

Concernant les travaux à venir, le ministère collabore avec des partenaires métis pour développer une stratégie de sensibilisation à la culture des Métis. Nous continuerons de travailler avec l'Assemblée des Premières Nations et d'autres organisations autochtones nationales afin qu'elles puissent établir une stratégie agricole des Premières Nations. Nous continuerons d'examiner différents moyens de soutenir les initiatives sur la sécurité alimentaire dans le Nord. Nous travaillerons avec d'autres ministères pour mieux comprendre le contexte des programmes fédéraux. Nous établirons un dialogue fédéral-provincial-territorial sur les politiques et les programmes autochtones[48]

Le Ministère des Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada (RCAANC) administre pour sa part le programme Nutrition Nord Canada lancé en 2011 afin de procurer des aliments nutritifs à prix abordable pour les communautés nordiques isolées. Plusieurs témoins ont critiqué ce programme. Ils considèrent, à l’instar de Stephen Penner, que « les communautés ne sont pas bien desservies par ce programme[49]. » Natan Obed considère pour sa part que le programme est sous-financé : « le Canada subventionne les pratiques agricoles à hauteur de 7 milliards de dollars, tandis qu'il consacre environ 80 millions de dollars au programme Nutrition Nord Canada, dont 80 % des bénéficiaires sont des communautés inuites[50]. » Il affirme que le programme Nutrition Nord « doit être avant tout un programme social » et « garantir que pas un seul centime de ce programme ne soit utilisé à des fins autres que la sécurité alimentaire des bénéficiaires[51]. »

En raison de la panoplie de programmes qui s’adressent aux communautés autochtones, gérés par différents ministères et parfois par différents ordres de gouvernement, certains témoins ont observé qu’il est parfois difficile de savoir où chercher l’information. Comme Stephen Penner l’a mentionné :

Bon nombre de vos systèmes permettent d'accorder des fonds, mais aucun ne permet de joindre les gens qui ont besoin d'être joints. On ne travaille pas avec le Conseil canadien pour le commerce autochtone, l'organisme Cando ou les agents de développement économique de la communauté afin qu'ils sachent que les fonds sont disponibles. Le système est morcelé. Il y a des fonds disponibles, mais on ne sait pas comment les octroyer aux communautés[52].

À la suite de consultations publiques tenues auprès de groupes autochtones par Agriculture et Agroalimentaire Canada lors desquelles des enjeux semblables ont été soulevés, le ministère a décidé de créer, en 2018, le service Explorateur pour les Autochtones, qui propose d’accompagner de façon personnalisée les Autochtones qui cherchent à obtenir de l’information à propos des services ou des programmes existants dans le secteur agricole et agroalimentaire canadien. En vertu de ce programme, comme l’expliquait Jane Taylor :

Chaque fois que nous recevons un appel ou un courriel, nous travaillons avec la personne ou l'organisation pour l'aider à trouver un programme qui correspond à ses besoins. Ce pourrait être un programme au sein de notre ministère ou au sein d'un autre ministère fédéral, mais nous examinons également ce qui est offert dans la province ou le territoire où se trouve la personne ou l'organisation[53].

Le Comité a également pris connaissance du rôle d’organismes non-gouvernementaux qui aident au développement de l’agriculture et d’une plus grande sécurité alimentaire pour les communautés autochtones du Canada.

Dans le but d’améliorer la souveraineté alimentaire des communautés nordiques, le Northern Farm Training Institute fondé par Jackoline Milne vise par exemple à combler le manque « de compétences locales en matière de production alimentaire locale[54] » en formant les membres des communautés autochtones à l’agriculture qui pourront à leur tour construire des jardins dans leurs communautés et transmettre leurs connaissances nouvellement acquises. Pour ce faire, cet institut mise sur la formation pratique et l’apprentissage expérientiel.

Le centre alimentaire communautaire Natoaganeg s’emploie pour sa part à réduire l’insécurité alimentaire dans la Première Nation Eel Ground grâce à l’éducation alimentaire, la création de jardins communautaires et d’une banque d’alimentation.

L'initiative « Going Off, Growing Strong », au Nunatsiavut, permet à des jeunes d'accompagner à la chasse des chasseurs expérimentés. Comme l’expliquait Natan Obed :

Ils partent à la recherche de nourriture, puis ils garnissent les congélateurs de la communauté, auxquels ont accès les aînés et d'autres membres de la communauté. Ainsi, les jeunes peuvent à la fois acquérir de nouvelles compétences et s'intégrer à leur société et à leur communauté de manière à surmonter les traumatismes intergénérationnels causés par les pensionnats indiens. C'est aussi un moyen très concret de répondre aux besoins de la communauté en partageant les aliments traditionnels selon les coutumes inuites[55].

Lors de son témoignage, Debra Brown, directrice exécutive de 4-H Ontario, a mentionné que son organisme aide à intéresser les jeunes à l’agriculture et faire connaître les métiers disponibles dans ce secteur[56]. 4-H est un organisme qui vise à favoriser le développement positif des jeunes dans le secteur agricole et travaille depuis près de 20 ans auprès des communautés autochtones dans ce but. Comme l’a évoqué Reginald Bellerose, investir en éducation est primordial afin de faire découvrir l’agriculture aux jeunes autochtones et les sensibiliser aux enjeux de sécurité alimentaire[57].

B. Comment mieux soutenir les peuples autochtones

Il est clair selon plusieurs témoins qu’accorder un soutien aux peuples autochtones du Canada dans le secteur de l’agriculture et de l’agroalimentaire permet non seulement de stimuler le développement économique dans les communautés autochtones, mais également de favoriser leur sécurité alimentaire et la préservation de leurs cultures et traditions. Le Comité a entendu un certain nombre de propositions qui pourraient être mises en place en ce sens.

1. Accorder un financement adéquat et adapté aux réalités locales

Un élément souvent discuté par les témoins est l’importance d’un financement adéquat et durable pour les peuples autochtones. Hannah Tait Neufeld estime « qu'il est temps d'octroyer un financement à long terme et une infrastructure durable aux citoyens pour aider les producteurs alimentaires autochtones, tant dans les réserves qu'à l'extérieur[58]. »

Certains témoins ont par ailleurs souligné l’importance d’accorder un financement qui répond aux besoins des communautés autochtones. Pour ce faire, il est important que les besoins de financement soient établis pour et par les peuples autochtones. Comme l’a expliqué Natan Obed :

Nous espérons retrouver une certaine souveraineté alimentaire, mais pour cela, il nous faut de nouvelles subventions, en plus de la volonté de trouver quel genre de système serait susceptible de nous permettre d'améliorer notre situation alimentaire tout en contribuant à l'économie canadienne davantage, mais selon les modèles que nous préconisons, plutôt que ceux que les gouvernements ou les institutions du sud préféreraient adopter[59].

Selon Stephen Penner il essentiel de « consulter les collectivités pour préciser les besoins agricoles et agroalimentaires et trouver des solutions à l'échelle locale » afin « de respecter, de renforcer et de protéger la relation sacrée entre les systèmes alimentaires autochtones et les collectivités autochtones[60]. » Sheri Longboat ajoute également que « l’on a besoin de politiques adaptées au milieu qui tiennent compte des façons de faire ainsi que des réalités sociales, culturelles, politiques et économiques locales, car il peut y avoir une grande diversité d'une région à une autre[61]. »

Les représentants du ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire reconnaissent l’importance d’établir un tel dialogue avec les communautés autochtones. Comme Tom Rosser l’a mentionné, il est primordial de « comprendre les points de vue, les préférences et les visions des collectivités afin de leur permettre de réaliser leur potentiel en agriculture[62]. » Discutant de la situation dans le nord du Canada, Brian Gray, champion du Cercle de réseautage des employés autochtones et sous-ministre adjoint, Direction générale des sciences et de la technologie, ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire, confirme l’importance d’une telle approche personnalisée. « En général, je pense que notre approche dans le Nord, que ce soit à la limite forestière ou avec les Inuits, consiste à se rendre dans une collectivité et de découvrir ce qu'elle veut et ce qu'il lui faut[63]. »

Recommandation 3

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada consulte les communautés autochtones du Canada afin d’évaluer comment un meilleur soutien financier pourrait être mis en place dans le secteur de l’agriculture et de l’agroalimentaire.

Recommandation 4

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada développe des approches collaboratives dans l'élaboration de politiques liées aux aliments et à l'alimentation auxquelles les peuples autochtones peuvent participer et dans le cadre desquelles ils sont directement consultés.

2. Soutenir les exportations de produits alimentaires autochtones

Certains témoins ont évoqué que le gouvernement du Canada devrait supporter les exportations de produits alimentaires autochtones notamment en favorisant l’accès aux marchés internationaux et aux capitaux étrangers. Reginald Bellerose a suggéré par exemple que le développement et la diffusion d’une image de marque autochtone qui met l’emphase sur la qualité des terres autochtones aideraient à mettre en valeur les produits agricoles et agroalimentaires autochtones du Canada. Cependant, ce témoin n’a pas évoqué quel rôle le gouvernement du Canada pourrait jouer en ce sens.

Certains témoins ont évoqué que la mise en valeur de l’agriculture autochtone traditionnelle est essentielle au développement de marchés pour les produits alimentaires autochtones. Natan Obed a toutefois constaté qu’il peut s’avérer difficile pour les produits alimentaires autochtones prélevés dans la nature et commercialisés par de petites entreprises de se retrouver sur les étagères des marchés d’alimentation. Selon lui, « cela est en partie attribuable à la réglementation qui fait obstacle à la vente d'aliments prélevés dans la nature ici au pays. Il est obligatoire de détenir un permis de l'Agence canadienne d'inspection des aliments, surtout lorsque des aliments traversent les frontières d'une province ou d'un territoire à l'autre[64]. » À son avis, « [l]es frais de ce processus créent ensuite des prix élevés prohibitifs pour les aliments prélevés dans la nature lorsqu'ils entrent dans quelque magasin secondaire que ce soit[65]. »

La solution passerait donc, selon certains témoins, par une plus grande reconnaissance des pratiques autochtones et du savoir ancestral qui permettent aux peuples autochtones de connaître la qualité des produits qu’ils consomment et souhaiteraient pouvoir vendre en magasin.

Recommandation 5

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada s’assure que les communautés autochtones soient informées du soutien à  l’exportation offert aux petites entreprises canadiennes et qu’elles puissent en bénéficier.

3. Promouvoir l’enseignement et le partage des connaissances agricoles

Plusieurs témoins ont indiqué l’importance de promouvoir l’enseignement de l’agriculture, notamment auprès des jeunes, et d’assurer un meilleur partage des connaissances et des bonnes pratiques agricoles entre les communautés autochtones.

En ce qui a trait à l’éducation, Jackoline Milne considère que le gouvernement fédéral pourrait aider les communautés autochtones à établir des centres de formation agricoles qui répondent aux besoins locaux :

Nous devons donner aux gens locaux les moyens nécessaires pour rétablir leurs systèmes alimentaires en fonction de ce qu'ils veulent, en renforçant les capacités directes, et amener les Autochtones à diriger de nouveaux centres de formation et de soutien qui portent sur le thème de la nourriture. Il peut s'agir d'aliments cultivés localement ou d'aliments prélevés dans la nature. Nous avons besoin de ces deux systèmes pour qu'ils se complètent mutuellement[66].

À propos du partage des connaissances, comme Hannah Tait Neufeld l’a fait remarquer au Comité : « il y a des choses fantastiques qui se passent, beaucoup de diversité et d'innovation, mais il n'y a pas vraiment de façon de faire les liens entre tous ces exemples et de permettre aux communautés d'apprendre les unes des autres[67]. » Mme Tait Neufeld estime que le gouvernement du Canada pourrait aider à créer des ponts entre les communautés afin qu’ils partagent leurs bonnes pratiques agricoles. À cet effet, Byron Louis a suggéré que « [c]e serait bien d'avoir un tel organisme national qui se penche sur les façons de diffuser les pratiques exemplaires dans différentes régions[68]. »

CONCLUSION

Le Comité a eu l’occasion d’entendre des témoins issus des communautés autochtones du Canada raconter comment leurs entreprises agricoles développent des produits agricoles de qualité destinés aux marchés d’exportations et contribuent à transmettre le savoir autochtone traditionnel aux jeunes générations. Le Comité a également été renseigné au sujet des problèmes d’insécurité alimentaire importants qui persistent au sein de certaines réserves et d’une majorité de communautés inuites et nordiques et de l’importance de développer une agriculture de proximité afin de contribuer à résoudre ce problème. Le Comité tient à rappeler que l’étude n’est pas exhaustive compte tenu du nombre limité de témoins entendus. Il ressort néanmoins de ces discussions que le soutien aux agriculteurs autochtones du Canada doit être diversifié et adapté à des besoins locaux variés. L'agriculture offre d'importantes possibilités économiques qui profitent aux communautés autochtones vivant au Canada.


[2]              Chambre des communes, Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire (AGRI), Procès-verbal, 1re session, 42e législature, 1 novembre 2018.

[3]              Statistique Canada, Les peuples autochtones au Canada : faits saillants du Recensement de 2016, 25 octobre 2017.

[4]              Nicolas Gauthier et Julia White, Les peuples autochtones et l’agriculture en 2016 : un portrait, Statistique Canada, 17 janvier 2019.

[5]              Statistique Canada, Les peuples autochtones au Canada : faits saillants du Recensement de 2016, 25 octobre 2017.

[6]              Nicolas Gauthier et Julia White, Les peuples autochtones et l’agriculture en 2016 : un portrait, Statistique Canada, 17 janvier 2019.

[7]              Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 11 décembre 2018, 0850 (Jamie Hall, directeur général, Indian Agricultural Program of Ontario).

[8]              Statistique Canada, Exploitants agricoles canadiens : un portrait éducatif.

[9]              Nicolas Gauthier et Julia White, Les peuples autochtones et l’agriculture en 2016 : un portrait, Statistique Canada, 17 janvier 2019.

[10]            Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 11 décembre 2018, 0845 (Byron Louis, chef, Bande indienne Okanagan).

[11]            Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 7 février 2019, 1225 (Natan Obed, président Inuit Tapiriit Kanatami).

[12]            Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 31 janvier 2019, 1250 (Michel Gros Louis, directeur, Société agroalimentaire des produits du terroir autochtone).

[13]            Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 5 février 2019, 1110 (Hannah Tait Neufeld, professeure adjointe, Department of Family Relations and Applied Nutrition, University of Guelph).

[14]            Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 7 février 2019, 1115 (Natan Obed).

[15]            Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 5 février 2019, 1100 (Stephen Penner, University of Guelph).

[16]            L’Inuit Nunangat est composée de quatre régions (Inuvialuit, Nunavut, Nunavik et Nunatsiavut) qui jalonnent le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest, le Nunavut, le nord du Québec et le nord du Labrador. Comme le rappelait Natan Obed au Comité, « chacune [de ces régions] est couverte par un traité ou un accord moderne de revendication territoriale avec la Couronne. » Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 7 février 2019, 1100 (Natan Obed).

[17]            Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 7 février 2019, 1100 (Natan Obed).

[18]            Ibid., 1105 (Erica Ward, coordonnatrice de programme, Natoaganeg Community Food Centre).

[19]            Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 5 février 2019, 1145 (Stephen Penner).

[20]            Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 7 février 2019, 1135 (Patrick Michell, chef, Kanaka Bar Indian Band).

[21]            Ibid., 1135 (Patrick Michell, chef, Kanaka Bar Indian Band).

[22]            Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 11 décembre 2018, 0850 (Jamie Hall).

[23]            Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 31 janvier 2019, 1230 (Vincent Lévesque, fondateur, Société agroalimentaire des produits du terroir autochtone).

[24]            Ibid., 1245 (Jackoline Milne, présidente, Northern Farm Training Institute)

[25]            Ibid.

[26]            Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 26 février 2019, 1210 (Shannin Metatawabin, directeur général, Association nationale des sociétés autochtones de financement).

[27]            Ibid.

[28]            Ibid.

[29]            Ibid., 1215.

[30]            Ibid

[31]            Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 7 février 2019, 1145 (Reginald Bellerose, chef, Muskowekwan First Nation)

[32]            Ibid., 1135 (Patrick Michell, chef, Kanaka Bar Indian Band).

[33]            Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 11 décembre 2018, 0850 (Jamie Hall).

[34]            Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 5 février 2019, 1130 (Stephen Penner).

[35]            Ibid., 1150 (Sheri Longboat).

[36]            Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 11 décembre 2018, 0855 (Jamie Hall).

[37]            Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 7 février 2019, 1220 (Natan Obed).

[38]            Ibid., 1135 (Patrick Michell).

[39]            Ibid., 1220 (Natan Obed).

[40]            Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 31 janvier 2019, 1100 (Tom Rosser, sous-ministre adjoint, Direction générale des politiques stratégiques, ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire).

[41]            Ibid.

[42]            Ibid., 1155 (Jane Taylor, sous-ministre adjointe, Direction générale des programmes, ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire).

[43]            Ibid.

[44]            Ibid., 1100 (Tom Rosser).

[45]            Ibid., 1130.

[46]            Gouvernement du Canada, Le budget de 2019 – Investir dans la classe moyenne, Ottawa, 19 mars 2019, p. 195.

[47]            Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 31 janvier 2019, 1110 (Brian Gray, champion du Cercle de réseautage des employés autochtones et sous-ministre adjoint, Direction générale des sciences et de la technologie, ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire).

[48]            Ibid., 1100 (Tom Rosser).

[49]            Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 5 février 2019, 1145 (Stephen Penner).

[50]            Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 7 février 2019, 1115 (Natan Obed).

[51]            Ibid., 1210

[52]            Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 5 février 2019, 1150 (Stephen Penner).

[53]            Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 31 janvier 2019, 1145 (Jane Taylor).

[54]            Ibid., 1215 (Jackoline Milne).

[55]            Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 7 février 2019, 1120 (Natan Obed).

[56]            Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 5 février 2019, 1215 (Debra Brown, directrice exécutive, 4-H Ontario).

[57]            Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 7 février 2019, 1145 (Reginald Bellerose).

[58]            Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 5 février 2019, 1115 (Hannah Tait Neufeld).

[59]            Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 7 février 2019, 1100 (Natan Obed).

[60]            Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 5 février 2019, 1105 (Stephen Penner).

[61]            Ibid., 1140

[62]            Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 31 janvier 2019, 1200 (Tom Rosser).

[63]            Ibid., 1140 (Brian Gray).

[64]            Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 7 février 2019, 1130 (Natan Obed).

[65]            Ibid.

[66]            Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 31 janvier 2019, 1215 (Jackoline Milne).

[67]            Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 5 février 2019, 1130 (Hannah Tait Neufeld).

[68]            Chambre des communes, AGRI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 11 décembre 2018, 0900 (Byron Louis).