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INAN Rapport du Comité

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Rapport dissident du Parti conservateur du Canada sur l’étude sur les projets et les stratégies d’infrastructure dans le Nord

« Nous n’avons pas l’habitude de vendre des breloques et des t-shirts et ce genre de trucs. »

Merven Gruben, maire de Tuktoyaktuk

 

Cathy McLeod, députée de Kamloops–Thompson–Cariboo

Kevin Waugh, député de Saskatoon–Grasswood

Arnold Viersen, député de Peace River–Westlock

Propos préliminaires

En tant que conservateurs, nous pensons que les Territoires du Nord-Ouest, le Nunavut et le Yukon jouent un rôle crucial dans l’économie canadienne et qu’ils ont le potentiel de jouer un rôle encore plus grand au cours des décennies à venir.  Cependant, l’un des principaux enjeux qui freinent la prospérité économique au nord du soixantième parallèle est un déficit d’infrastructure écrasant, notamment le manque d’infrastructure de transport, de logement, maritime et numérique.

C’est pourquoi, à titre de membres conservateurs du Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes, nous avons soutenu la motion suivante le 24 septembre 2018 :

Que, conformément à l’article 108(2) du Règlement, le Comité entreprenne une étude approfondie sur les projets d’infrastructure nordique essentiels et les stratégies en matière d’infrastructure stratégique régionale, dans le contexte d’un éventuel appui du gouvernement fédéral.  Aux fins de l’étude :
  • a) le mot « infrastructure » comprend ce qui suit : routes, chemins de fer, ponts, aéroports, ports, infrastructure énergétique, logement, télécommunications et toute composante d’une stratégie d’infrastructure régionale plus vaste ;
  • b) le mot « nordique » vise les régions visées par le Cadre stratégique pour l’Arctique.

Depuis que le Parti libéral a pris le pouvoir en novembre 2015, il affiche une attitude méprisante et paternaliste envers les résidents du Nord.  Nous l’avons de nouveau constaté lors de l’étude sur les projets et les stratégies d’infrastructure dans le Nord qui a eu lieu en octobre et novembre 2018.

Le rapport final du Comité ne comprenait aucune recommandation pratique.  De plus, trois enjeux soulevés, qui étaient cruciaux dans les témoignages entendus, ont fait l’objet d’une faible attention dans le rapport.

Examen des propositions d’infrastructure

Avant de présenter nos critiques, nous tenons à souligner que pendant l’étude, le Comité a entendu diverses propositions sur d’importants projets d’infrastructure.  Ils comprennent, sans toutefois s’y limiter, la route et le port de la baie Grays ; un port en eau profonde à Tuktoyaktuk ; le lien hydroélectrique et de fibre optique à Kivalliq ; des améliorations significatives aux aéroports nordiques (prolongement des pistes, ajout d’éclairage de qualité supérieure sur les pistes et mise en place du système mondiale de localisation (GPS)) ; un approvisionnement en électricité accru ; et une connectivité haute vitesse à large bande.

De nombreux témoins ont vivement défendu des projets semblant à la fois bien conçus et fondés sur des preuves.  Ce sera au gouvernement fédéral de déterminer comment procéder de manière optimale en tenant compte de ces points de vue et des idées pour le Nord canadien, et de présenter une politique claire sur l’Arctique. 

En conséquence, nous recommandons :

Que le gouvernement du Canada entreprenne un examen exhaustif de tous les projets d’infrastructure existants et proposés, avec une analyse des retombées économiques à long terme, pour faciliter un processus décisionnel fondé sur des priorités pour les projets d’immobilisations.

Taxe sur le carbone

Nous notons la référence à la mise en œuvre de la taxe sur le carbone dans la cinquième recommandation du rapport final, selon laquelle le gouvernement du Canada « assure que la tarification du carbone, ou toute autre mesure d’adaptation au changement climatique, n’impose pas de fardeau excessif aux résidents du Nord ».

Ça ne suffit pas.  Il est évident que le changement climatique touche le Nord canadien de manière profondément disproportionnée, mais les résidents du Nord savent qu’ils ne sont pas responsables de ce problème.  En fait, Chris Derksen, un chercheur scientifique à la Division du changement climatique d’Environnement Canada, a dit ce qui suit au Comité le 15 octobre 2018 :

Ce n’est pas le diesel qui brûle dans le Nord qui entraîne les changements climatiques dans le Nord.  C’est le diesel et d’autres processus d’émission de carbone qui se produisent à l’échelle mondiale.

Pourtant, les libéraux fédéraux imposent une taxe sur le carbone aux résidents du Nord sans leur demander leur avis.  En raison de la dépendance au diesel pour tout – transport des aliments et d’autres fournitures vitales, chauffage résidentiel, production d’électricité –, la tarification du carbone entraînera une hausse massive du coût de la vie.

Le 31 octobre, le président d’AGT Food and Ingredients Inc., Murad Al-Katib, a dit au Comité : « La taxe sur le carbone suscite une certaine angoisse.  Dans le Nord, qui est déjà un environnement assez difficile nécessitant une base de coûts importante, on s’inquiète beaucoup du fait que cela pourrait représenter des coûts supplémentaires. »

De plus, le 5 novembre, Curtis Shaw, le président de Northwestel Inc. – dont les opérations servent 121 000 personnes dans 96 communautés nordiques éloignées –, a parlé de trois répercussions considérables de la taxe sur le carbone imposée par le fédéral, les deux premières étant liées au coût de la production d’énergie pour son entreprise, et la troisième au coût de la vie croissant pour ses employés.  Il a dit :

La taxe sur le carbone aura une incidence sur deux aspects de nos activités.  Un est, bien sûr, le coût pour produire de l’énergie à nos principaux sites de production où nous utilisons du diesel et, bien sûr, le coût de l’énergie commerciale que nous achetons. 
Dans le Nord, il y a un troisième élément, en fait, et c’est le coût de la vie pour nos employés.  L’employé type doit chauffer sa maison.  Dans certaines régions où nous nous trouvons, le mercure est sous zéro pendant huit ou neuf mois par année.  Nous suivons la situation de près à l’heure actuelle pour savoir comment composer avec les augmentations du coût de la vie pour nos employés.

Il est clair que les communautés nordiques peuvent le moins se permettre un coût de la vie élevé ; elles seront les plus touchées par la taxe sur le carbone.

Quand le premier ministre du Nunavut de l’époque Peter Taptuna a signé, avec ses homologues territoriaux, le Cadre pancanadien sur les changements climatiques en décembre 2016, on lui avait promis que les « circonstances uniques » des territoires seraient prises en compte.  On lui avait dit qu’un répit serait accordé et que le gouvernement fédéral mènerait une étude sur les conséquences potentielles d’une taxe sur le carbone dans les territoires.

Comme l’ont dit au Comité des responsables fédéraux le 15 octobre, cette étude n’a pas été menée et aucun accommodement n’a été offert aux résidents du Nord.  En conséquence, nous recommandons :

Que le gouvernement du Canada retire immédiatement sa menace d’imposer un prix sur le carbone aux territoires nordiques en raison des conséquences négatives qu’il aura sur l’économie et le coût de la vie.

Moratoire dans la mer de Beaufort

Le deuxième point qui est pratiquement absent du rapport final du Comité est l’effet du moratoire du gouvernement fédéral sur l’exploration et le développement pétroliers et gaziers dans la mer de Beaufort.  Juste avant Noël 2016, le premier ministre Justin Trudeau s’est rendu à Washington D.C. pour faire cette annonce avec le président américain de l’époque Barack Obama.  Il n’y avait eu aucune consultation avec les résidents du Nord malgré une rhétorique continue sur la consultation des peuples autochtones du Canada avant toute prise de décision.  Cette résolution a été prise unilatéralement par le Cabinet du premier ministre.

Les représentants élus du Nord canadien ont été informés de l’annonce moins d’une heure avant qu’elle soit faite.  L’hon. Wally Schumann, le ministre de l’Industrie, du Tourisme et des Investissements et ministre de l’Infrastructure des Territoires du Nord-Ouest, l’a précisé lors de son témoignage le 17 octobre :

J’imagine que nous pouvons être vraiment francs devant le Comité.  Initialement, lorsqu’il a été mis en place, nous n’avons pas vraiment reçu un préavis concernant toute la question du moratoire et du potentiel dans la mer de Beaufort.  Il y avait des millions et des millions — peut-être même des milliards — de dollars de dépôts de soumission et de baux fonciers là-haut.  Le moratoire a éliminé tout espoir que nous avions de mettre en valeur la mer de Beaufort.

De plus, Merven Gruben, le maire de Tuktoyaktuk, a dit au Comité le 22 octobre :

Je conviens que les libéraux devraient nous aider.  Ils ont mis fin aux activités de gazéification extracôtière et imposé un moratoire sur l’ensemble de l’Arctique sans même nous consulter.  Ils ne nous ont jamais dit un mot.

Le moratoire imposé a poussé le premier ministre du Nunavut de l’époque, Peter Taptuna, à émettre une « alerte rouge » sur le développement économique du territoire.  Il a dit à la CBC :

Nous voulons arriver à un point où nous pouvons déterminer nos priorités nous-mêmes, et la façon de le faire est de générer des recettes significatives par le développement des ressources.  Parallèlement, quand une source de revenus potentielle est supprimée, ça nous remet pratiquement au point de départ, avec Ottawa qui prend les décisions à notre place.

Le Comité a bien entendu : le moratoire doit prendre fin, mais le rapport final n’y fait pas référence dans ses recommandations au gouvernement du Canada.  Personne ne l’a mieux exprimé que le maire de Tuktoyaktuk quand il a dit au Comité le 22 octobre :

Il est tellement facile de rester assis et de porter des jugements sur des gens qui vivent à 3 500 clics, et de prendre des décisions à notre place, surtout avec ce moratoire dans la mer de Beaufort.  Il devrait être éliminé, levé, s’il vous plaît et merci.  Ça donnera des emplois à nos gens – une formation et tout ce que nous souhaitons.

Tom Zubko, le président de New North Networks, a été jusqu’à dire le 17 octobre que le moratoire était influencé par des « intérêts spéciaux et des groupes environnementaux » financés par l’étranger qui « n’agissent pas dans le meilleur intérêt du Nord canadien ».  Il a ajouté :

De telles activités financées ou soutenues par le gouvernement perpétuent et amplifient le point de vue selon lequel l’étude et la consultation sont plus importantes que la prise de risques en matière de développement.  Dans un tel contexte, il a été très troublant de voir le premier ministre imposer un moratoire sur le forage dans la mer de Beaufort sans aucune consultation.

Le moratoire imposé par le gouvernement libéral a un impact dévastateur sur l’économie des communautés nordiques éloignées.  Le gouvernement conservateur précédent avait offert un financement pour une importante route toutes saisons, l’autoroute Inuvik Tuktoyaktuk, mais la communauté de Tuktoyaktuk ne profitera pas des pleines possibilités de cette infrastructure sans l’extraction des ressources de la mer de Beaufort.  « Nous sommes des gens fiers qui aimons travailler pour gagner notre vie », a dit le maire au Comité le 22 octobre.  Il a parlé de la dépendance grandissante envers l’aide sociale et du « petit changement » apporté par le tourisme comparativement à la promesse du développement pétrolier et gazier.  « Nous n’avons pas l’habitude de vendre des breloques et des t-shirts et ce genre de trucs. »

En conséquence, en tenant compte du témoignage puissant des résidents du Nord, nous recommandons :

Que le gouvernement du Canada lève immédiatement le moratoire sur l’exploration pétrolière et gazière dans la mer de Beaufort et consulte les gouvernements territoriaux sur meilleures avenues pour le développement durable de la région sur les plans environnemental et économique.

Souveraineté canadienne

Le troisième et dernier point important que nous allons soulever, bien que ce ne soit pas le seul qui soit à peine mentionné dans le rapport final du Comité, est un témoignage relatif à la souveraineté canadienne.

Malgré l’affirmation du rapport selon laquelle la souveraineté de l’Arctique « n’était pas au centre de l’étude du Comité », c’est un enjeu crucial qui a été soulevé par cinq témoins et dans un mémoire de l’Inuvialuit Regional Corporation (IRC), qui a écrit :

Aujourd’hui, la souveraineté de l’Arctique nécessite plus que de grandes déclarations à des rencontres internationales et les ordres d’Ottawa.  Notre région a des décennies de retard sur certains éléments d’infrastructure clés, ce qui pousse des États étrangers à la considérer comme s’ils pouvaient « la prendre » au lieu de « négocier avec elle ».  La véritable souveraineté requiert en partie une infrastructure stratégiquement placée qui invite l’industrie dans des conditions qui bénéficient au Canada et aux résidents du Nord et qui soutient la croissance durable et la sécurité à long terme.

Le 31 octobre, le Dr Barry Prentice a pressé le Comité de tenir compte de l’impact que la fonte des glaces et l’augmentation de la navigation dans le Nord auront sur les menaces pour notre souveraineté.  Murad Al-Katib a dit le même jour : « En tant que nation canadienne, nous devons décider si nous allons exercer un contrôle sur ce passage du Nord ou si nous allons permettre à la Chine et à la Russie d’en prendre le contrôle. »

C’est un enjeu majeur pour les résidents du Nord, pas seulement pour le sud du Canada comme le laissent entendre de nombreuses personnes.  L’IRC a même parlé de la nécessité d’une « infrastructure militaire visible liée aux gens qui occupent le territoire ».  C’est un appel à l’action auquel nous devons répondre.

En conséquence, nous recommandons :

Que le gouvernement du Canada, ce qui comprend le ministère des Affaires autochtones et du Nord et le ministère de la Défense nationale, envisage des mesures spécifiques pouvant être prises pour protéger la souveraineté des eaux et des territoires canadiens, en consultation avec les gouvernements territoriaux et les peuples inuits.

Propos de clôture

Les trois territoires nordiques du Canada ont beaucoup de potentiel si le gouvernement fédéral cesse son contrôle paternaliste et permet l’innovation et l’exploration axées sur le Nord.  C’est pourquoi les citations des résidents du Nord sont si importantes.  C’est leur voix qui doit être entendue.  Il ne faut pas que des annonces soient faites en leur nom dans d’autres pays, sous l’influence d’organisations financées par l’étranger.

Le rapport final du Comité illustre le désir continu des libéraux fédéraux d’ignorer la volonté clairement exprimée des résidents du Nord.  Ce n’est pas comme ça que le gouvernement du Canada devrait fonctionner.