Bienvenue à la 48e réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes.
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement et à la motion adoptée le 30 janvier 2023, le Comité commence son étude sur la réforme de la Loi sur l'extradition.
La réunion d'aujourd'hui se déroule dans un format hybride, conformément à l'ordre de la Chambre du 23 juin 2022. Les membres du Comité assistent à la réunion en personne dans la salle et à distance en utilisant l'application Zoom.
J'aimerais faire quelques commentaires à l'intention des témoins et des membres du Comité.
Les participants doivent attendre que je les reconnaisse par leur nom avant de prendre la parole. Les participants par vidéoconférence doivent cliquer sur l'icône du microphone pour l'activer et doivent se mettre en sourdine lorsqu'ils ne parlent pas.
En ce qui concerne les services d'interprétation, les participants sur Zoom ont le choix, au bas de leur écran, entre le parquet, l'anglais ou le français. Les personnes présentes dans la salle peuvent utiliser l'écouteur et sélectionner le canal souhaité.
Je vous rappelle que tous les commentaires doivent être adressés par l'entremise de la présidence.
Les participants qui sont dans la salle doivent lever la main s'ils souhaitent prendre la parole. Les participants sur Zoom doivent utiliser la fonction « Lever la main ». Le greffier et moi-même gérerons l'ordre des interventions de notre mieux. Nous vous remercions de votre patience et de votre compréhension à cet égard.
Je vais utiliser des cartons et je vous demande donc de me prêter attention, même si c'est parfois difficile à voir sur un grand écran. Lorsqu'il ne vous restera que 30 secondes, je lèverai le carton jaune. Lorsque votre temps sera écoulé, je lèverai le carton rouge. Je vous demande de respecter le temps imparti et de conclure votre intervention par vous-même, afin que je n'aie pas à vous interrompre.
Pour la première heure de la réunion, dans le cadre de notre étude sur l'extradition, nous accueillons Don Bayne, qui comparaît à titre personnel. Nous accueillons également Timothy McSorely, coordonnateur national de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles. Bienvenue à nos deux témoins. Je crois que vous participez à la réunion en personne et que vous êtes dans la salle aujourd'hui. Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation.
Je dois rapidement donner quelques renseignements administratifs avant de commencer.
Je voudrais vous informer d'une lettre que le greffier a envoyée plus tôt aujourd'hui au sujet des casques d'écoute et des microphones obligatoires pour les témoins. Cette lettre a été envoyée à tous les présidents de comité. Je vous encourage fortement à prendre le temps de la lire. Puisque les activités liées à l'organisation de la comparution des témoins sont essentielles, je vous encourage à garder à l'esprit le contenu de cette lettre lorsque vous enverrez vos listes de témoins, afin de faciliter le processus. Je vous remercie de votre collaboration habituelle.
Vous avez maintenant chacun cinq minutes pour faire une déclaration préliminaire. Comme d'habitude, vos déclarations seront suivies de séries de questions de la part des membres du Comité.
Monsieur Fortin, vous avez la parole.
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Je vous remercie, monsieur le président. Je remercie également les membres du Comité de m'avoir invité à leur parler aujourd'hui, au nom de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, de la nécessité de réformer les lois canadiennes en matière d'extradition dans les plus brefs délais.
La Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles est une coalition canadienne de 45 organismes nationaux de la société civile qui ont pour mandat de défendre les libertés civiles contre les répercussions des lois et des politiques antiterroristes, tant au Canada qu'à l'étranger.
Nous participons activement à la campagne visant à obtenir justice pour M. Hassan Diab, une affaire épouvantable dont vous connaissez les détails. Cela nous a amenés à examiner de près la nécessité de réformer les lois canadiennes en matière d'extradition afin de prévenir les violations des libertés civiles et des droits de la personne commises au nom de la lutte contre le terrorisme.
Comme vous le savez, M. Diab a été arrêté par la GRC en 2008 en vue de son extradition vers la France, où il est accusé d'avoir perpétré un attentat terroriste à Paris, en 1980. Même si M. Diab a été accusé d'avoir commis un crime il y a 30 ans, son arrestation, les audiences liées à son cas et son éventuelle extradition se sont entièrement déroulées dans le contexte politique et social de la soi-disant « guerre contre le terrorisme » qui a entraîné de graves violations des droits au Canada.
Ce même contexte s'applique aussi à la France. L'année même de l'arrestation de M. Diab, la Human Rights Watch a publié un rapport accablant selon lequel « les lois et procédures antiterroristes françaises minent le droit à un procès équitable des personnes poursuivies pour terrorisme ». Le rapport indique également qu'il est courant que les personnes soupçonnées de terrorisme subissent des pressions psychologiques pendant leur détention. Cette situation reflète malheureusement l'isolement cellulaire prolongé subi par M. Diab, dont la durée s'apparente à de la torture et représente une violation du droit international en matière de droits de la personne.
Le rapport fait également état d'inquiétudes quant au fait que des juges français ont autorisé l'utilisation de renseignements provenant d’une source inconnue sans en vérifier la validité. Notamment, des juges ont autorisé l'utilisation de témoignages obtenus sous la torture dans des pays étrangers, en violation de la Convention contre la torture, dont la France était et est toujours un pays signataire. Une fois de plus, des renseignements de source inconnue ont été utilisés dans l'affaire Diab.
Tous ces faits étaient connus avant l'extradition de M. Diab vers la France, mais il a quand même été extradé et a dû faire face aux conséquences du régime antiterroriste injuste de la France.
Une procédure d'extradition qui aurait pris en compte de manière appropriée les droits de la personne, les libertés civiles et le droit à un procès équitable aurait pris tous ces éléments en considération. Cependant, comme la France est un pays allié et un partenaire en matière d'extradition, les problèmes sérieux et bien connus du système antiterroriste de ce pays n'ont pas été pris en compte de manière appropriée.
D'autres personnes ont parlé de cas d'extradition dans lesquels les droits de la personne ont été bafoués. Vous avez également entendu que le Canada a conclu un accord d'extradition avec l'Inde, malgré des allégations de torture et le fait que l'Inde n'est pas signataire de la Convention contre la torture. Il est important de souligner que l'Inde invoque la soi-disant nécessité de lutter contre le terrorisme pour justifier ses graves violations aux droits de la personne.
Nos propres recherches ont révélé qu'au moins 10 pays avec lesquels le Canada a conclu des traités d'extradition ont été montrés du doigt au cours des trois dernières années par la rapporteuse spéciale des Nations unies sur la promotion et la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Ils ont été montrés du doigt pour avoir introduit ou adopté des lois antiterroristes qui vont à l'encontre des droits de la personne. La France fait partie de ces pays.
Dans le cadre du système d'extradition actuel du Canada, nous continuons à courir le risque d'extrader des individus pour les soumettre à des systèmes judiciaires injustes et non conformes aux droits de la personne, sous des accusations de terrorisme obscures et politisées. En effet, il existe un risque réel que la France puisse demander une deuxième extradition de M. Diab et que notre système défectueux la lui accorde, malgré tout ce que nous savons maintenant et tout ce que M. Diab a vécu.
Compte tenu de tout cela, nous ajoutons notre voix à toutes celles qui réclament une réforme des lois canadiennes en matière d'extradition. Nous avons publiquement appuyé les recommandations formulées lors du colloque de Halifax, comme nous vous l'avons annoncé plus tôt cette semaine.
En raison des contraintes de temps, j'aimerais simplement vous communiquer cinq points importants que nous souhaitons mettre en évidence au sujet de cette réforme.
Tout d'abord, le processus d'extradition doit être modifié pour veiller à ce qu'il ne privilégie pas autant l'État requérant. Il s'agit notamment de permettre la divulgation d'éléments de preuve pertinents à la personne visée par la demande d'extradition et de permettre à cette personne de présenter ses propres éléments de preuve.
Deuxièmement, les obligations nationales et internationales du Canada en matière de droits de la personne et de liberté civile doivent être explicitement prises en compte.
Troisièmement, il faut rétablir l'équilibre et accroître le rôle des juges dans la pondération de facteurs tels que l'équité, les libertés civiles et les droits de la personne, entre autres, dans la décision finale d'extradition.
Quatrièmement, il faut faire preuve d'une plus grande transparence en ce qui concerne les extraditions au Canada, notamment par l'entremise d'un rapport annuel.
Enfin, cinquièmement, les accords d'extradition du Canada avec des pays étrangers devraient être constamment assujettis à un examen. En premier lieu, le Canada ne devrait pas conclure de traité d'extradition avec des pays qui ont des antécédents de violation des droits de la personne ou qui n'ont pas ratifié les traités sur les droits de la personne.
Je vous remercie beaucoup de votre temps et j'ai très hâte de répondre à vos questions.
Je suis très heureux de comparaître avec M. Don Bayne qui, j'en suis sûr, vous en dira beaucoup plus sur les rouages du système d'extradition du Canada.
Je vous remercie.
Mesdames et messieurs les membres du Comité, à titre d'homme qui travaille depuis 51 ans dans le système de justice pénale de notre pays, je suis d'avis qu'il s'agit du processus et de la loi les plus injustes que j'ai vus au cours de ce demi-siècle. Je suis également l'avocat de M. Hassan Diab.
Le premier jour de l'audience d'extradition de M. Diab, un avocat du ministère de la Justice appartenant au Groupe d'entraide internationale qui représentait la France est venu me voir et, après s'être présenté, il m'a dit qu'il n'avait jamais perdu une affaire. Je n'ai rien répondu à cela, car il n'y avait rien à répondre. Les bons avocats ne gagnent pas toujours. Parfois, la partie adverse est plus efficace, parfois elle a une affaire plus facile à traiter. Dans un système équitable, une même personne ne peut pas toujours gagner. Si une personne gagne toujours, quelque chose ne tourne pas rond dans le processus, et c'est essentiellement ce qu'a déclaré fièrement cet avocat sans le vouloir.
J'ai envoyé deux documents au Comité. Le premier est une lettre datée du 31 mai 2018 qui a été envoyée au et l'autre est une note d'information sur la décision de la Cour d'appel française.
Le premier document expose des lacunes graves dans la loi et le processus du Canada en matière d'extradition. Le second révèle la décision tragiquement — on pourrait presque dire comique, mais c'est tragique — déraisonnable de la Cour d'appel française qui consiste à ordonner le procès de cet homme, alors que les propres juges d'instruction de ce pays avaient déjà tranché qu'il n'y avait aucune preuve justifiant de faire subir un procès à cet homme. En fait, les preuves de son innocence sont si convaincantes qu'il ne devrait pas faire l'objet — pas plus que sa famille — de nouvelles poursuites.
Je serai heureux de répondre à vos questions sur ces documents.
Je ne suis pas le seul à être d'avis que cette loi et ce processus présentent une asymétrie et des lacunes criantes. Vous vous souvenez peut-être de l'ancien juge La Forest, de la Cour suprême du Canada. Sa fille, Anne Warner La Forest, a fait des déclarations au sujet de cette loi à titre de doyenne de la faculté de droit de l'Université du Nouveau-Brunswick. C'était en 2002, et elle avait donc 10 ans d'expérience avec cette loi. La situation n'a fait qu'empirer depuis ce temps‑là. Voici ce qu'elle a dit: « À mon avis, cette nouvelle approche accorde une importance exagérée au droit de l'État requérant comparativement à la liberté de la personne ». C'est là l'essentiel du message. Ce qui s'est passé dans ce cas‑ci dépasse le cadre prévu.
J'aimerais vous citer certains de ses autres commentaires, comme celui‑ci: « Dans les faits, le Canada est allé plus loin que presque tous les autres pays pour faciliter l'extradition ». Nous laissons aller nos citoyens. « Il l'a fait en l'absence d'un solide soutien empirique pour étayer l'idée selon laquelle une telle atteinte à la liberté de la personne était nécessaire et dans des circonstances où le Canada extrade ses ressortissants ». Les Canadiens sont assujettis à ce processus. Nous ne protégeons pas nos propres citoyens comme le font d'autres pays.
Elle conclut avec ce qui suit: « La nouvelle Loi adopte une approche fondée sur le dossier d'extradition qui permet l'utilisation de preuves par ouï-dire de deuxième et de troisième main sans aucune garantie de fiabilité ». Cela s'est produit à maintes reprises dans l'affaire Diab.
Enfin, elle dit aussi ce qui suit: « Je soutiens que les dispositions applicables à l'admissibilité et à l'exhaustivité dans la nouvelle Loi sur l’extradition vont à l’encontre de la justice fondamentale, à moins que les tribunaux n'interprètent les dispositions relatives à la preuve de la nouvelle Loi de façon à rétablir un équilibre approprié » — un mot qui revient à nouveau — « qui permet au juge d'extradition de protéger la liberté du fugitif en évaluant la valeur probante et la fiabilité de la preuve ».
Mesdames et messieurs les membres du Comité, dans le cadre de cette loi, un juge n'est pas du tout autorisé à évaluer la valeur probante de la preuve.
Le juge Maranger, qui a entendu la longue procédure d'extradition, a déclaré que cette preuve était « suspecte » et qu'elle n'avait aucun sens, mais qu'il était tenu de faire son devoir. Il a dit qu'elle était si « faible » qu'il était obligé de déclarer qu'il n'y avait aucune perspective raisonnable de déclaration de culpabilité dans un procès équitable, mais qu'il était contraint par la loi de procéder à l'extradition, ce qui a conduit à trois ans et demi en France.
C'est tout ce que j'ai à dire.
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Je crois que les deux premières pages traitaient du genre d'examen que le gouvernement allait exiger, mais je vais plutôt vous parler de ce qui est susceptible d'intéresser le Comité.
Je lui demandais ce qui clochait autant avec la Loi sur l'extradition en vigueur. Je lui proposais ensuite des réponses dans des paragraphes numérotés. Dans le premier, je lui indiquais, explications à l'appui, que la Loi prive injustement des gens de leur liberté. Dans le deuxième, je déplorais le fait qu'une allégation non assermentée d'un fonctionnaire étranger soit réputée être une preuve digne de foi.
L'affaire Diab a montré à quel point une telle présomption pouvait être absurde. À titre d'exemple, le fonctionnaire étranger a déclaré, même en sachant que ce n'était pas vrai étant donné qu'il était responsable du dossier Diab, que les autorités françaises n'avaient découvert aucune empreinte digitale sur la fiche d'inscription à l'hôtel de l'auteur de l'attentat à la bombe. Il a rédigé le dossier d'extradition à la fin de 2008 et au début de 2009. En 2007, les Français avaient trouvé une empreinte identifiable sur la fiche en question et avaient déterminé que cette empreinte n'était pas celle de Hassan Diab. Alors, non seulement il y a quelque chose qui ne tourne pas rond, comme Dean La Forest l'indiquait dans son évaluation approfondie de cette loi, lorsqu'on s'en remet à des ouï-dire multiples, mais on ne peut même pas compter sur le fait qu'un allié de longue date va nous dire la vérité.
Et ce n'est pas la seule chose que l'on nous a cachée. Il y avait de nombreuses autres empreintes digitales qui innocentaient M. Diab. Lorsque le coupable a été arrêté, lors d'un incident presque caricatural, alors qu'il volait des pinces avant l'attentat, on l'a amené au poste de police. Les policiers n'ont alors pris aucune photographie de lui. Ils ont seulement enregistré sa déclaration qu'il a signée par la suite. Pas moins de 16 empreintes digitales différentes ont été trouvées sur cette déclaration. Il a été déterminé que 10 d'entre elles appartenaient à des policiers qui avaient manipulé le document. Parmi les six autres qui n'ont pas été identifiées, aucunes ne correspondaient à celles de Hassan Diab.
Il n'est aucunement fait mention de cet incident dans le dossier d'extradition. Nous nous retrouvons ainsi avec un système permettant à un fonctionnaire étranger, qui ne peut pas être soumis à un contre-interrogatoire et qui n'a pas à jurer sous serment qu'il dit la vérité, de simplement affirmer que c'est la preuve à la disposition de son pays. Malheureusement, il ne dit pas la vérité et nous cache certaines choses.
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Merci, monsieur le président.
Je suis heureux de vous revoir, monsieur Bayne. Merci d'être avec nous et merci pour tout votre travail de sensibilisation au sein de la communauté juridique. Monsieur McSorley, je vous souhaite la bienvenue.
Comme je l'ai déjà dit à mes collègues, je suis très sympathique à la cause de M. Diab. Je connais d'ailleurs assez bien M. Diab et sa famille. Je suis toutefois un peu réticent à l'idée de refaire son procès devant le Comité.
Il va de soi par ailleurs que nous pouvons tirer des enseignements de cette cause en vue d'éclairer nos politiques à venir. Je souhaite donc éviter d'aborder les détails concrets de cette affaire pour traiter plutôt de certaines politiques que vous préconisez en vue de guider les recommandations que nous formulerons dans notre rapport.
À cet effet, monsieur McSorley, vous nous avez soumis à la fin de votre exposé cinq éléments à prendre en considération.
Voulez-vous prendre un peu de temps pour nous en dire plus long sur deux ou trois de ces recommandations que vous jugez particulièrement importantes en nous indiquant pourquoi, selon vous, nous devrions les faire nôtres?
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Je vais vous parler de celles qui sont plus directement liées au mandat de notre groupe en laissant peut-être M. Bayne compléter.
Comme je l'indiquais dans mes observations préliminaires, Il est extrêmement important d'apporter des changements au système de telle sorte que les droits internationaux de la personne et les obligations relatives aux libertés civiles soient explicitement pris en considération. Je répète que l'examen des lois antiterroristes françaises a clairement mis au jour des violations et des préoccupations quant au respect de la Convention contre la torture et à l'engagement du Canada de lutter contre la torture, des facteurs qui n'ont toutefois pas été adéquatement pris en compte par le tribunal à ce moment‑là.
Il y a eu un cas plus récent sur lequel nous avons travaillé, l'affaire Boily. Il s'agit en fait d'un individu qui a été extradé vers le Mexique, pays où il était exposé à la torture. Il a fait part de ses inquiétudes à cet égard, mais on n'en a pas tenu compte au moment de l'extrader. On vient d'ailleurs tout juste de lui accorder une indemnisation de 500 000 $ à verser par le gouvernement du Canada qu'il a poursuivi au civil par ce que l'on avait porté atteinte à ses droits. Nous considérons que c'est un jugement crucial qu'il convient de garder à l'esprit.
Lors de votre séance de lundi, Mme Harrington vous a abondamment parlé de la nécessité d'une plus grande transparence, et nous partageons également cet avis. Nous estimons qu'une transparence accrue est nécessaire dans les rapports du gouvernement sur le nombre, les types et les différents cas d'extradition, parce que les gens ne savent pas exactement à quoi s'en tenir à ce sujet.
Même aux fins de notre travail de défense des droits, il nous est difficile de savoir exactement combien il y a de cas d'extradition et quels sont les motifs invoqués. CBC a pu démontrer dans un article que le Canada acquiesce à près de 99 % des demandes d'extradition — tout au moins en provenance des États-Unis. CBC a dû présenter une demande d'accès à l'information pour compiler ces données. Ce ne sont pas des renseignements qui sont facilement accessibles.
Enfin, comme on l'a déjà fait valoir, il n'est pas rare que des pays garantissent qu'ils vont aller de l'avant — comme par exemple dans l'affaire Diab — pour traiter une cause sans délai et sans porter atteinte aux droits tout en nous assurant que leur système est compatible avec le nôtre. Nous constatons toutefois que le Canada n'a pas fait le nécessaire pour s'assurer lui-même que les pays en question respectent les libertés civiles et les droits de la personne au sein de leur système judiciaire. Comme je l'ai mentionné, la rapporteuse spéciale sur les droits de l'homme et la lutte antiterroriste des Nations unies a constaté que plusieurs partenaires du Canada en matière d'extradition ont adopté des lois antiterroristes qui contreviennent aux droits fondamentaux de la personne.
Il faut revoir en profondeur les accords d'extradition conclus par le Canada. À notre avis, il devrait être inscrit dans la loi que le Canada ne peut pas signer de traité d'extradition avec un pays trouvé coupable de porter atteinte aux droits de la personne aussi bien sur son territoire qu'à l'échelle internationale.
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Oui, monsieur Naqvi. Il y a quatre recommandations que je pourrais vous faire pour nous permettre de retrouver l'équilibre, si je puis m'exprimer ainsi.
La première est la plus importante. Il faudrait se débarrasser de cette déraisonnable présomption de fiabilité des ouï-dire multiples et exiger plutôt de l'État requérant, et non du Canadien concerné, qu'il démontre que la preuve produite est digne de foi, tout au moins selon la prépondérance des probabilités — on ne demande pas une preuve au‑delà de tout doute raisonnable, mais simplement selon la prépondérance des probabilités.
Dans le système actuel, le fardeau de la preuve est renversé au détriment du Canadien dont on demande l'extradition. C'est lui qui doit démontrer que la preuve produite est « manifestement peu digne de foi », un critère que les tribunaux considèrent désormais comme étant impossible à satisfaire. On n'est pas parvenu à le faire dans la défense de M. Diab, et ce, même si le juge a indiqué que cette preuve par l'analyse de l'écriture, sur laquelle reposait en fait toute l'accusation, était de toute évidence peu digne de foi. C'est ce qu'ont affirmé également tous les grands experts internationaux. La France vient tout juste de le reconnaître elle-même dans le cadre d'une analyse distincte de son propre rapport. Les experts français indiquent maintenant qu'ils souscrivent totalement aux arguments présentés par les experts de la défense relativement à ce dossier d'extradition.
Le renversement du fardeau de la preuve et la présomption de fiabilité créent une situation sans issue pour les citoyens de ce pays. Il devient impossible de satisfaire à tous les critères. C'est tout simplement absurde.
Voici maintenant mes trois autres recommandations. Lorsque l'on s'en remet à une preuve d'expert, il faut procéder à une divulgation pleine et entière de la preuve disculpatoire et de toutes les sources de preuves au Canada. Ce n'est pas ce qu'on a fait dans l'affaire Diab.
Le président: Merci.
M. Donald Bayne: Il y en a deux autres, mais...
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Merci, monsieur Fortin.
Je ne dirais pas qu'il y en a seulement quatre, mais je pense que ce sont les quatre qui sont essentielles au bon fonctionnement du système.
Il faudrait en troisième lieu que le Canada n'extrade pas ses ressortissants vers un État requérant, comme la France, qui n'est pas prêt à son tour à extrader ses propres citoyens vers le Canada à notre demande.
Je vous donne l'exemple du prêtre français — et vous vous rappelez peut-être de ce cas récent — recherché pour de multiples agressions sexuelles commises aux dépens de jeunes Canadiens il y a un certain nombre d'années. La France a refusé de participer au processus en soutenant que les événements remontaient à trop longtemps. Ce cas n'était pourtant pas plus ancien que l'affaire Diab.
C'est donc ma troisième recommandation: une réciprocité véritable. L'extradition est censée s'appuyer sur le principe de la courtoisie internationale, mais il n'y a ni courtoisie ni réciprocité avec la France lorsqu'il s'agit d'extrader des ressortissants.
En dernier lieu, monsieur Fortin, on doit procéder à une extradition uniquement si l'on est prêt à instruire un procès dans un délai raisonnable, et non simplement à des fins d'enquête. Nous pensions que c'est ce que la loi prévoyait. Nous l'avons signalé à la Cour d'appel et à la Cour suprême du Canada, mais on a tout de même permis que cela se fasse. Il en a bien sûr résulté plus de trois années d'isolement cellulaire.
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J'ai effectivement une liste sous les yeux, mais la mise en surbrillance n'est malheureusement pas ressortie à l'impression, ce qui fait qu'il m'est impossible de vous dire quels sont exactement ces 10 pays. Je peux peut-être vous en citer certains de mémoire. Vous serez peut-être surpris d'apprendre de quels pays il s'agit. Je sais que la France en fait partie, et l'Autriche également. J'essaie de voir si je peux vous en donner d'autres. J'ai bel et bien cette liste, et je vais la faire parvenir au Comité.
Nous avons pu constater, et je crois que c'est important, qu'il y a de nombreux pays qui ont été blâmés par les Nations unies en raison du déploiement de lois antiterroristes portant atteinte aux droits de la personne, souvent au détriment de leurs critiques. Nous avons ainsi vu certains pays dirigés par des gouvernements plus populistes instaurer des lois semblables afin de, comme je l'indiquais, faire taire leurs critiques et cibler les minorités.
Nous observons une augmentation qui est peut-être... Après le 11 septembre, on a pu noter un recours accru aux lois de ce type dont l'utilisation a ensuite diminué. Depuis quelques années, nous constatons une recrudescence dans des pays qui ne figureraient pas nécessairement sur la liste de ceux dont les lois antiterroristes devraient nous préoccuper. Il n'en reste pas moins que les pays en question adoptent de nouvelles lois qui permettent la détention pour une période indéterminée, le recours aux données de renseignement et à des informations de source inconnue et l'emploi de pratiques pouvant être assimilées à de la torture.
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À mon avis, il ne s'agit pas seulement d'un conflit d'intérêts apparent, mais bien d'un véritable conflit d'intérêts.
Le travail du SEI ne s'arrête pas là. Lorsqu'on en arrive à l'étape d'une décision ministérielle, le ministre se tourne vers les mêmes personnes qui s'étaient montrées des défenseurs très ardents dans la salle d'audience pour obtenir des conseils sur l'extradition possible du fugitif. Il y a clairement un parti pris dans ce processus-là aussi.
Il y a une recommandation à cet égard, mais elle ne fait pas partie des quatre recommandations que j'ai moi-même formulées, car je ne suis pas venu ici pour étaler une longue liste d'épicerie. Mais en vérité, je dois vous dire que cette situation place ces personnes, aussi bien intentionnées soient-elles... Cette situation mettrait n'importe lequel d'entre nous en apparence de conflit d'intérêts, et même probablement, en conflit d'intérêts bien réel.
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Anne Warner La Forest s'est interrogée sur la raison pour laquelle le Canada fait participer les juges au processus d'extradition, alors qu'ils ont si peu de marge de manoeuvre. Elle était très perspicace quant à la manière dont cette loi allait faire dérailler le processus, et comme je l'ai dit, la situation n'a fait qu'empirer parce que les juges ne peuvent pas...
Une culture judiciaire s'est développée autour de l'idée que l'extradition est inévitable. Nous organisons bel et bien une audience, mais, au final, ce n'est qu'une mascarade et cela débouche toujours sur une extradition, peu importe le juge. Le juge Maranger a déploré la nature des preuves qu'on lui soumettait, mais il ne pouvait rien y faire. À un moment, il s'est tourné vers moi pour me dire: « Vous savez ce que je ferais, monsieur Bayne, si ce procès avait lieu au Canada. »
Les juges sont intimidés par le concept de relations internationales et par l'idée qu'ils ne sont pas censés nuire aux relations que nous entretenons avec la France ou avec d'autres pays en refusant une demande d'extradition. Les juges n'ont vraiment aucun rôle, ils ne prennent aucune décision juridique.
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Eh bien, c'est... Comme je suis plutôt pointilleux, je vais vous poser une question à ce sujet.
Un élément que je trouve intéressant — et je m'excuse si vous avez déjà abordé cet aspect —, c'est le flou qui subsiste entre une décision juridique et une décision politique. C'est une nuance à laquelle nous ne pensons pas souvent.
J'aimerais entendre votre opinion sur la chose suivante. Dans certains pays, si je comprends bien, la fonction de procureur général, qui est un conseiller juridique, est séparée de la fonction de ministre de la Justice, un poste politique qui implique donc un certain degré de partisanerie.
Le fait qu'une même personne puisse occuper ces deux fonctions distinctes peut‑il avoir certaines répercussions sur le processus d'extradition?
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Un indicateur important pourrait être l'examen d'études telles que celles publiées par Human Rights Watch, Freedom House et Amnistie internationale, ainsi que les rapports internationaux des organisations de défense des droits de la personne. Affaires mondiales Canada effectue régulièrement des évaluations de la situation des droits dans divers pays. Je pense que nous pourrions les examiner et les analyser pour voir, au‑delà des enjeux de lutte contre le terrorisme, les problèmes dans le système judiciaire et s'il existe des rapports qui révèlent si les personnes font l'objet de procès équitables ou si elles sont victimes d'abus ou de violations des droits pendant leur détention. C'est un enjeu important.
Comme nous l'avons entendu, M. Diab a passé trois ans en détention, et d'autres personnes ont passé du temps en détention après avoir été extradées vers des endroits où leurs droits ont été violés. Il ne s'agit pas seulement du système judiciaire: le Canada a des normes, apparemment dans la Loi sur l'extradition, selon lesquelles les lois du pays vers lequel nous extradons une personne doivent également répondre aux normes de nos propres lois. Nous devrions examiner cela de plus près.
Vous avez mentionné Haïti, qui est l'un des deux pays, avec l'Inde, avec lesquels le Canada a des accords d'extradition. Il a signé, mais n'a pas ratifié la convention contre la torture. En examinant les traités relatifs aux droits de la personne qu'ils ont signés et leur bilan, on obtiendrait une analyse concrète de leur système.
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C'est énoncé dans la loi.
La première partie, la présomption législative de fiabilité des preuves par ouï-dire non solennelles, est dans la loi.
En 2006, dans une contestation constitutionnelle du régime dans l'affaire Ferras, la Cour suprême a tenté de sauver le système, en déclarant qu'il fallait outiller les juges pour qu'ils puissent évaluer la fiabilité. Le problème, c'est que depuis 2006, l'affaire Ferras s'est révélée être une fausse promesse, car le grand défi de démontrer le manque de fiabilité manifeste n'a pas été relevé. On n'y arrive pas.
Si M. Diab n'y est pas parvenu, avec tous les experts dans le monde... Je m'explique.
Avec les deux premiers échantillons d'écriture présumée utilisés par la France contre M. Diab, il s'est avéré que les deux soi-disant experts français se sont appuyés sur l'écriture connue de la mauvaise personne. Ils ne comparaient pas l'écriture de M. Diab. Ils comparaient l'écriture de son épouse. Ils l'ont identifiée comme l'homme de 40 à 45 ans qui s'est enregistré à l'hôtel.
Lorsque ces preuves ont été fournies par les experts internationaux, qui ont reconnu qu'ils ne comparaient même pas l'écriture de M. Diab... C'était l'écriture d'une autre personne. Ils ont trouvé une autre personne. Cette personne n'a pas suivi la méthodologie acceptée.
Les experts suisses ont dit que ces preuves n'étaient pas du tout fiables. Les grands experts américains ont dit qu'elles n'étaient pas fiables. Les grands experts britanniques ont dit qu'elles n'étaient pas fiables. Les grands experts canadiens ont dit qu'elles n'étaient pas fiables.
Ces conclusions se sont implantées dans la jurisprudence, mais il devrait être clair que si on n'a pas cette présomption, on n'a pas inversé le fardeau de la preuve.
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Nous allons reprendre la réunion. Je souhaite la bienvenue à tous. Nous passons maintenant à la deuxième heure de notre étude sur la réforme de la Loi sur l'extradition.
Avec nous maintenant pour compléter leur comparution du 1er février, du ministère de la Justice, nous accueillons Janet Henchey, directrice générale et avocate générale principale, Service d'entraide internationale, Secteur national du contentieux, et Erin McKey, directrice et avocate générale, Section de la politique en matière de droit pénal.
Merci d'être à nouveau avec nous, et bienvenue au Comité.
Si les fonctionnaires veulent ajouter quoi que ce soit, veuillez le faire.
Sinon, nous avons suspendu la réunion au tour de M. Fortin, alors nous pouvons commencer à partir de là, mais je vous laisse le soin de décider. Si vous voulez formuler des observations ou ajouter quelque chose avant de reprendre une série de questions, je vous laisse le soin de le faire, madame Henchey et madame McKey.
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Il est difficile de demander à une avocate si elle veut ajouter quelque chose et qu'elle dise non.
Des députés: Oh, oh!
Mme Janet Henchey: Je vais seulement faire quelques remarques, car j'ai eu l'occasion de passer en revue certains des témoignages des jours précédents et un peu de ceux de cet après-midi.
Je pense que nous n'avons pas eu l'occasion d'en parler la dernière fois: le principe vraiment important de l'extradition qui ne semble pas être accepté par la plupart des témoins que vous avez entendus, à savoir que l'extradition n'est pas un procès. La raison pour laquelle il ne s'agit pas d'un procès, c'est que le principe même de l'extradition est qu'une personne va avoir un procès là où elle est extradée. Transformer une audience d'extradition en procès, c'est tout d'abord de retarder la possibilité pour cette personne de faire face à la justice dans le pays où on l'envoie. Cela retarde l'accès aux témoins et au processus dans le pays étranger, ce que nous essayons d'éviter dans le système canadien, comme vous le savez. Nous essayons d'amener les gens à un procès le plus rapidement possible.
La majorité des recommandations qui ont été formulées par de nombreux témoins semblent avoir fait fi de ce point, à savoir que ces personnes dont l'extradition est demandée auront un procès. Le système est conçu de manière à ce que ce soit ce qui est prévu. En appelant des témoins et en les contre-interrogeant et en transformant le processus d'extradition en un procès, nous retardons en fait l'accès de la personne à la justice dans le pays qui demande son extradition.
Je pourrais continuer encore longtemps, mais je vais m'arrêter là et vous laisser poser des questions.
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Merci, monsieur le président.
Merci, mesdames Henchey et McKey. Je suis désolé pour les inconvénients liés à l'interprétation lors de votre dernière comparution.
Avant vous, nous avons reçu deux témoins, MM. Bayne et McSorley. Pour sa part, M. Bayne a avancé quatre propositions qui pourraient améliorer la Loi sur l'extradition. Je vous les nomme rapidement.
Le premier critère est d'exiger que l'État demandeur s'acquitte du fardeau de la preuve, pas hors de tout doute raisonnable, mais en fonction de la prépondérance des probabilités.
Le deuxième critère est d'exiger une divulgation complète de la preuve, même les éléments qui pourraient disculper l'accusé, un peu comme on le fait dans une poursuite criminelle habituelle au Canada.
Le troisième critère est d'exiger que l'État demandeur ait un accord de réciprocité avec le Canada en matière d'extradition.
Le quatrième critère est de s'assurer que le procès sera tenu dans un délai raisonnable, afin d'éviter ce qu'on a vu dans l'affaire Diab, soit une détention durant plusieurs années avant la tenue du procès si l'État demandeur n'est pas en mesure de procéder rapidement.
J'aimerais entendre vos commentaires sur ces quatre conditions.
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C'est un peu un amalgame entre les deux choses, comme l'ont peut-être décrit les témoins précédents.
En effet, il n'est pas nécessaire de déterminer si la preuve est admissible en ce sens qu'elle est versée au dossier de l'affaire. L'État requérant s'appuie sur un résumé des preuves, mais le caractère suffisant de ces preuves... Une fois que la cour reçoit cette preuve et l'examine, c'est à elle de déterminer si elle est suffisante. Cela n'est pas déterminé à l'avance. La personne visée par la demande n'a pas à prouver que la preuve n'est pas suffisante; l'État requérant doit faire valoir le caractère suffisant de la preuve sur laquelle il s'appuie.
Vous avez entendu certains commentaires selon lesquels toutes les preuves n'ont pas été présentées. Je pense que cela fait partie de l'une de vos questions. L'État requérant qui ne présente pas suffisamment de preuves y perd. Il nous fournit un document qui expose les preuves sur lesquelles il s'appuie.
C'est comparable à l'enquête préliminaire au Canada. Nous ne tenons pas un véritable procès, mais nous déterminons simplement qu'il existe des preuves justifiant la tenue d'un procès. C'est le même test que pour les enquêtes préliminaires au Canada; on cherche à ne pas faire perdre de temps à la cour s'il n'y a pas de preuve pour justifier la tenue d'un procès.
Le test est le même et le processus est semblable. Cela correspond à l'enquête préliminaire dans le cas d'une affaire criminelle au Canada. Le ministère public définit les éléments sur lesquels il s'appuie, mais il ne soumet pas nécessairement l'ensemble du dossier au tribunal.
Bref, pour que tout soit clair, je précise que, dans le cas d'une extradition, c'est l'État requérant qui détermine ce qui sera présenté devant le tribunal; ce n'est pas la personne qui comparaît devant le tribunal, ce que nous appelons le procureur ou l'avocat du procureur général du Canada. Cette personne dépose le dossier qui lui a été fourni par l'État requérant. Il ne nous appartient pas de décider de la quantité de preuves que nous allons présenter; elles sont là, et nous les déposons. Ils nous demandent de nous appuyer sur ces éléments. Si ce n'est pas suffisant, c'est à leur détriment.
Je pense que cela répond assez bien à la première question.
Je ne trouve pas logique de hausser les exigences en matière de preuve. Nous connaissons bien les exigences actuelles du système de justice pénale, à savoir la preuve prima facie qui est utilisée dans le cadre d'une enquête préliminaire. Il ne serait pas logique d'exiger une preuve « au‑delà de tout doute raisonnable », car cette norme correspond à celle d'un procès. La norme qui est proposée est celle que l'on utilise dans le cadre d'un procès civil.
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Il y a diverses choses à dire à cet égard.
Je ne sais même pas vraiment ce que l'on entend par la production de rapports sur les procédures. Étant donné qu'il s'agit de procédures publiques, elles sont rendues publiques, dans le sens où elles se déroulent devant les tribunaux. Lorsqu'une affaire d'extradition est traitée, elle est publique et se déroule dans un palais de justice. Tous les documents sont ouverts au public. Cela en fait une affaire publique.
Nous avons des statistiques, dont certaines sont publiées sur notre site Web. Il n'y a aucun problème à ce sujet. Nous présentons des statistiques. Les médias nous demandent régulièrement des statistiques, et nous leur en fournissons. Les statistiques ne sont pas vraiment un problème.
Comme je l'ai dit, je ne sais pas vraiment ce que vous entendez par « rapport », mais lorsqu'il s'agit de savoir si nous avons une véritable raison de produire un rapport... Nous recevons des demandes d'extradition. À ce stade, elles sont confidentielles, sauf si nous y donnons suite. Nous recevons un grand nombre de demandes d'extradition qui n'aboutissent jamais, car nous ne les autorisons pas.
Le problème, si nous devons divulguer tout cela, c'est que nous révélons une affaire qui en est peut-être au stade de l'enquête, en ce sens qu'elle est toujours en cours dans l'État étranger. Si nous disons que nous avons reçu une demande et que nous l'avons refusée, cela vise une personne qui risque toujours de faire l'objet de poursuites à un moment donné. Il existe un processus, même au Canada, selon lequel on n'indique pas, par exemple, qu'une personne fait l'objet d'une enquête avant de lui faire subir un procès. Cependant, une fois que des accusations sont portées contre une personne, c'est du domaine public.
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Oui. C'est un bon point.
Toutes les demandes convergent au ministère fédéral de la Justice, qui détermine si elles sont conformes ou non aux exigences du traité établi avec le Canada. Certains cas peuvent soulever des difficultés selon l'État auquel il est rattaché. Les demandes sont alors traitées individuellement.
Par exemple, la peine de mort est appliquée dans certains États, mais pas dans d'autres. Par conséquent, si la peine de mort a été recommandée, nous voudrons obtenir la garantie auprès de l'État concerné qu'elle ne sera pas infligée.
Il peut y avoir d'autres questions à régler qui sont propres à certains États. Le cas échéant, nous tentons de retracer les informations liées aux circonstances du cas en question, qui nous permettront de déterminer si l'extradition est juste et équitable.
Pour répondre à un commentaire formulé plus tôt au sujet des cas qui ne sont pas remis par le à un État étranger, je tiens à préciser que nous ne rendons pas ces cas publics, car la décision du ministre est transmise à la personne dont l'extradition a été demandée et elles sont personnelles. Lorsque la personne est absoute, cette décision n'est pas rendue publique non plus. Cela dit, lorsqu'il y a procès et que la décision est infirmée par le tribunal, le cas devient public. Tout le monde peut en prendre connaissance.
Par exemple, au cours des cinq dernières années environ, ou plutôt des cinq derniers exercices... En 2021‑2022, le a libéré trois personnes. L'exercice précédent, il en a libéré deux, et l'année précédente, quatre. Auparavant, il en a libéré cinq. Alors, oui, le ministre absout des cas.
Abstraction faite de tout cela, nous recevons des demandes pour un nombre relativement élevé de cas, mais nous ne délivrons pas d'arrêté introductif d'instance. Je le répète, l'an dernier, nous avons refusé de délivrer un arrêté introductif d'instance pour 18 demandes qui nous ont été présentées.
Habituellement, nous n'autorisons pas de procédure pour environ 25 % des demandes que nous recevons. La plupart de ces demandes ne proviennent pas des États-Unis, puisque le système de ce pays est passablement similaire au nôtre. Autrement dit, nous allons de l'avant la plupart du temps, mais toujours en fonction de la preuve qui nous est fournie.
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J'ai plaidé ce cas devant la Cour suprême. Je ne me souviens pas de tous mes propos. Comme vous, je présume que j'ai été bien citée.
J'essayais de dire qu'un des principes de l'extradition est d'accepter que les pays ne soient pas tous comme nous. Les procès dans des pays étrangers ne se déroulent pas de la même manière qu'au Canada. Même si nous supposons qu'il y a certains garde-fous fondamentaux, nous ne pouvons pas nous attendre exactement à voir le même système qu'ici.
Notre système n'est pas parfait. Lorsque nous faisons des demandes d'extradition auprès d'autres pays, ils nous critiquent eux aussi. Ces échanges de vues font partie intégrante du système d'extradition. Il faut avant tout nous assurer que les imperfections ne contreviennent pas aux principes fondamentaux de la justice. Nous devons vérifier que la personne aura droit à un procès équitable et qu'elle sera bien traitée en prison.
Dans l'affaire Badesha et Sidhu, pour le meurtre de Jassi Sidhu, l'extradition s'est faite en échange de la garantie que ces deux personnes seraient bien traitées en Inde. Autrement dit, nous nous sommes assurés qu'elles auraient droit à un procès — en présence de gens du ministère des Affaires étrangères — et à des services consulaires. Nous avons obtenu la garantie qu'elles seraient bien traitées en prison et qu'elles auraient droit à des soins médicaux appropriés. Voilà le type de garanties qui sont parfois nécessaires lorsque les systèmes judiciaire et correctionnel du pays concerné diffèrent considérablement des systèmes au Canada.
Les différences et les difficultés sont minimes. Aucun système n'est parfait. C'est ce que j'essayais de dire.
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Je pense que la nationalité française de M. Rivoire est une des raisons pour lesquelles la France ne l'a pas extradé. C'est un sujet qui a souvent été abordé, c'est‑à‑dire la question de savoir si certains pays extradent leurs ressortissants. Le Canada le fait, contrairement à d'autres.
C'est vraiment une réalité du monde de l'extradition. Nos partenaires similaires — les États-Unis, l'Australie et le Royaume-Uni — extradent tous leurs ressortissants. C'est une caractéristique des pays où la common law est appliquée. La raison, c'est que nous n'avons pas la compétence nécessaire pour intenter des poursuites relatives à des infractions qui ont lieu à l'extérieur du pays, la plupart du temps. Il y a des exceptions. Dans le but d'éviter l'impunité, nous extradons nos ressortissants accusés d'infractions graves pour qu'ils soient traduits en justice.
Des pays comme la France n'extradent pas leurs ressortissants. Dans le cas de la France, cela fait partie de sa constitution. Cette différence sur le plan politique est vraisemblablement une source de désaccord, car nous estimons qu'une personne doit être poursuivie où elle a commis l'infraction. C'est un choix politique légitime fait par la France et quelques autres pays de droit civil.
Au bout du compte, il faut soit extrader la personne, soit la poursuivre en justice. C'est en quelque sorte la politique applicable, à savoir qu'il faut envisager une poursuite au pays lorsque la personne n'est pas extradée.
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J'ai parlé de la divulgation.
Nous nous sommes arrêtés à la réciprocité, mais je pense que c'est de cela que j'ai parlé pour répondre à la dernière question.
La réciprocité ne veut pas nécessairement dire que c'est identique. Cela signifie que lorsque nous présentons une demande à la France ou que la France nous en présente une pour extrader des ressortissants, il faut soit les extrader, soit les traduire en justice. L'idée est de veiller à ce que justice soit faite et d'éviter que la personne se retrouve à l'abri de poursuites si elle n'est pas extradée.
Le traité précise que nous ne sommes pas obligés d'extrader les ressortissants, mais notre droit prévoit l'extradition de ressortissants puisque nous ne voulons pas qu'ils évitent des poursuites tout simplement parce que nous n'avons pas la compétence nécessaire pour ce qui est d'infractions criminelles de base, comme le meurtre, les agressions sexuelles et ainsi de suite.
C'est tout ce que j'avais à dire.
Quelles étaient les deux autres recommandations?
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Je dois faire preuve de la plus grande prudence lorsque je parle d'affaires concrètes. Celle‑ci se poursuit de différentes façons.
Cela dit, lorsqu'une personne est extradée, il faut la preuve qu'elle est accusée d'une infraction. On a fait valoir devant les tribunaux — je pense que je peux le mentionner parce que c'était justement devant les tribunaux — que dans le cas de M. Diab, il n'y avait pas d'accusations puisqu'il était visé par une forme d'enquête. Il a été établi que c'était l'équivalent de l'étape de l'enquête préliminaire au Canada.
Le système français est grandement différent. Une fois de plus, c'est ici que nous devons faire très attention de ne pas superposer notre approche à celle d'un autre pays. Les tribunaux au Canada, tout comme au Royaume-Uni, ont déterminé que l'approche de la France, qui consiste à faire comparaître la personne devant un commissaire enquêteur, ce qui correspond un peu à la version longue de l'enquête préliminaire, est l'équivalent d'être accusé.
Nous exigeons que la personne soit accusée; la question est de savoir ce que cela signifie dans un autre pays.
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Merci, monsieur le président.
Madame Henchey, vous avez rapidement abordé le quatrième critère avec mon collègue M. Naqvi, en lien avec ce que nous disait M. Bayne. Il faut s'assurer que le procès va être tenu dans un délai raisonnable, ce qui permettrait d'éviter des situations comme celle qu'a vécue M. Diab, qui a été détenu pendant trois ans dans une prison étrangère sans procès ni rien. Personnellement, ce critère m'apparaît tout à fait raisonnable, mais il me manque peut-être des informations.
Ne considérez-vous pas qu'il serait important de modifier la Loi sur l'extradition pour que le Canada, avant d'extrader quelqu'un, exige d'un État étranger qu'il lui garantisse que le procès va être tenu dans un délai maximum, de six mois par exemple, ou qu'il fournisse une preuve quelconque qu'il est prêt à le tenir?
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Merci, monsieur le président.
Bien entendu, j'aimerais que nous ayons deux heures de plus, et je vais donc devoir choisir parmi mes questions.
Madame Henchey, je ne veux pas dire, à propos de votre déclaration liminaire, que d'autres témoins laissaient entendre qu'il faudrait que ce soit un procès, car cela ne correspond pas fidèlement à ce qu'ils ont suggéré.
Je veux parler du processus d'extradition.
Selon la loi, le ministre est tenu de considérer certaines choses, et il y en a d'autres qui sont laissées à sa discrétion. L'une de mes préoccupations, c'est que la liste de considérations requises ne concorde pas avec la Loi canadienne sur les droits de la personne. Autrement dit, dans la Loi, nous avons des choses comme l'identité ou l'expression de genre qu'on pourrait s'attendre à voir dans ce que le ministre doit prendre en considération avant de rendre une décision d'extradition.
Pouvez-vous me dire comment cela fonctionne actuellement alors que la liste est différente?
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Je voudrais souligner que l'extradition est un domaine qui soulève de nombreux litiges. Si on pense qu'on fait fi des droits des gens, on ne tient pas compte du fait que le domaine est très litigieux. La Cour suprême du Canada s'est prononcée à ce sujet plus souvent que dans de nombreux autres domaines du droit. Nous disposons donc de bien des orientations de la Cour suprême du Canada. De prétendre que le peut faire tout et n'importe quoi parce qu'il dispose d'un grand pouvoir discrétionnaire... La discrétion, c'est fonctionner dans le cadre de la Loi. Si le ministre outrepasse ce cadre, les tribunaux invalideront ses décisions.
En maintes occasions, la Cour suprême nous a fourni des orientations sur la manière de gérer certains aspects de l'extradition. Ainsi, même si la Loi établit des conditions, la Cour suprême a fixé la norme de contrôle et déterminé comment procéder avec la défense dans les pays étrangers. Elle a expliqué comment établir la double criminalité, quelles sont les règles à suivre pour remettre un citoyen canadien visé par une mesure d'extradition et ce qu'on fait avec les réfugiés. La Cour d'appel de l'Ontario, et non la Cour suprême, a fourni des orientations sur la manière de traiter les Autochtones visés par une mesure d'extradition. On ne fait pas n'importe quoi. L'extradition fait l'objet d'une surveillance judiciaire considérable, et la Cour suprême a prodigué de nombreuses orientations qui ont contribué à mettre en place un régime permettant de protéger les droits d'autrui.
Comme certains semblent avoir laissé entendre que le régime canadien ne prévoit aucun droit pour qui que ce soit comparativement à d'autres régimes, j'ajouterais que le régime d'extradition du Canada figure parmi les plus rigoureux du monde, si ce n'est le plus rigoureux, et nous le savons parce que nous faisons affaire avec tous les autres pays. Nombre d'entre eux utilisent une approche très pro forma. Il suffit de demander l'extradition d'une personne pour une infraction donnée et, parce que cette personne est accusée et que nous avons un traité, on l'extrade. Les pays européens ont adopté la règle « sans preuve » qui leur permet d'extrader rapidement des gens entre eux sans qu'il soit nécessaire de présenter des preuves à l'appui. Je ne propose pas de faire de même; je vous dis qu'il serait faux de prétendre que le régime d'extradition canadien est une sorte de Far West de l'extradition et que tous les autres pays offrent plus de droits. Nous sommes dotés d'un des régimes d'extradition les plus rigoureux du monde.
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Quand nous recevons une demande, si elle n'émane pas d'un pays avec lequel nous sommes très à l'aise et avec lequel nous sommes habitués de transiger, la première question que nous nous posons, c'est: « Est‑ce un pays où il est sécuritaire d'envoyer quelqu'un? » Nous consultons alors nos partenaires du ministère des Affaires étrangères pour leur demander des informations sur les conditions du pays en question. En l'absence de problème évident, nous pourrions passer à l'étape suivante, mais la première chose que nous faisons, c'est consulter le ministère des Affaires étrangères quand nous faisons affaire avec un pays avec lequel nous ne sommes pas parfaitement à l'aise.
Puis, à mesure que le processus avance, si nous n'y mettons pas fin dès le départ en raison de problèmes, nous consulterons de nouveau le ministère des Affaires étrangères à l'étape de la décision du ministre. Nous consulterons également certains des rapports sur les droits de la personne dont M. McSorley a parlé pour savoir quelles seraient les conditions pour la personne dans le pays étranger. Le ministère des Affaires étrangères participe activement à ces discussions.
Par la suite, si la personne est extradée, elle l'est parfois à titre conditionnel, conformément aux garanties. Comme je l'ai indiqué plus tôt, c'est le ministère des Affaires étrangères qui est essentiellement responsable de ces garanties. Si nous réclamons la supervision du procès, un membre de notre mission dans le pays concerné assistera au procès à titre d'observateur pour s'assurer que tout se fait dans les règles. Le ministère des Affaires étrangères s'occupe des affaires consulaires, dont les citoyens canadiens peuvent se prévaloir pendant qu'ils purgent leur peine dans un pays étranger. Une fois qu'ils sont dans l'autre pays, c'est le ministère des Affaires étrangères qui s'occupe principalement du dossier.
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Tout d'abord, il ne convient pas que je me prononce directement sur les propositions de Halifax.
J'ai examiné le rapport et je suis familière avec certaines mesures proposées. Je dirai que ce rapport présente un point de vue sur la question. Je ne prétends pas qu'il n'est pas valable, mais ce n'est pas le seul point de vue qui existe. Les propositions sont faites d'après un certain point de vue, et pour déterminer ce qu'il faudrait faire et si quelque chose doit être fait pour modifier la loi, nous devons examiner un éventail de points de vue, consulter nos partenaires étrangers, les services des poursuites et la police, et examiner le point de vue que présente le rapport.
Ce rapport aborde de nombreux points. Ce qui m'a quelque peu étonnée, c'est l'accent mis sur le besoin de présenter plus de preuves devant les tribunaux. Comme je l'ai souligné, les tribunaux interviennent beaucoup dans les affaires d'extradition; pourtant, le rapport indique qu'ils devraient jouer un rôle plus important. Les auteurs du rapport sont en désaccord avec un grand nombre de décisions de la Cour suprême du Canada et suggèrent de légiférer de manière différente de celle proposée par la Cour suprême. C'est un aspect du rapport que je trouve surprenant.
Un certain nombre de propositions ne cadrent pas avec ce que je comprends du principe d'extradition. La présomption de bonne foi est un principe fondamental de l'extradition que nous appelons « courtoisie ». Sans ce principe, il ne peut y avoir d'extradition, puisqu'on ne peut se fier à personne.
Je vous remercie, madame Diab.
Je remercie de nouveau tous les témoins d'être revenus en raison des difficultés techniques que nous avons éprouvées la dernière fois. Vous pouvez maintenant partir, puisque nous devons examiner les travaux du Comité.
Distingués membres du Comité, un budget concernant les demandes de remboursement de témoins dans le cadre de notre présente étude devrait vous avoir été envoyé par courriel afin d'être adopté. Avez-vous des questions à ce sujet?
Monsieur le greffier, est‑ce que tout le monde a approuvé le budget?