La procédure et les usages de la Chambre des communes
Sous la direction de Robert Marleau et Camille Montpetit
Édition 2000Plus d’informations …
 Recherche 
Page précédenteProchaine page

Forme de projet de loi

L’adoption d’une loi par le Parlement est l’aboutissement d’un long processus qui commence par la proposition, la formulation et la rédaction d’un projet de loi. La rédaction d’un projet de loi, en particulier, est l’une des étapes les plus importantes du processus. Les décideurs et les rédacteurs doivent alors prendre en considération certaines contraintes qui, si non respectées, peuvent avoir des conséquences sur l’interprétation et l’application de la loi et sur le bon déroulement du processus législatif.

Cadre de l’intervention législative

La Constitution du Canada fournit un certain nombre des règles qui définissent le cadre de l’intervention législative et imposent au gouvernement et au Parlement des limites [52] . La dualité juridique, qui constitue l’une des spécificités du Canada, pourra avoir des répercussions différentes sur l’application d’une loi fédérale et son interprétation selon que l’on vise un territoire qui est régi par la common law ou par le droit civil [53].

Les projets de loi doivent être adoptés, publiés et imprimés simultanément en français et en anglais. Suivant l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, ceux-ci doivent être établis dans les deux langues dans l’ensemble du processus législatif, y compris à l’étape de la première lecture [54] . L’article 18 de la Loi constitutionnelle de 1982 stipule en outre que les deux versions des lois ont également force de loi.

Rédaction des projets de loi

Projets de loi d’initiative ministérielle

La production d’une mesure ministérielle s’amorce lorsque le gouvernement décide de transformer une initiative politique en proposition législative [55] . Le ministère de la Justice rédige alors un avant-projet de loi selon les instructions du Conseil des ministres [56] . Le ministre de la Justice est tenu d’examiner tous les projets de loi d’initiative ministérielle et d’en vérifier la compatibilité avec la Déclaration canadienne des droits et la Charte canadienne des droits et libertés [57] .

Lorsque la rédaction du projet de loi dans les deux langues officielles est terminée, celui-ci doit être approuvé par le Cabinet avant son dépôt au Parlement. Le leader du gouvernement aux Communes est responsable de l’examen du projet de loi et de la recommandation quant à son dépôt au Parlement. Généralement, il demande au Cabinet de lui déléguer cette tâche [58] .

Projets de loi d’initiative parlementaire

Les députés qui ne font pas partie du Cabinet peuvent présenter des projets de loi qui seront étudiés dans le cadre des affaires émanant des députés. Les députés ont accès aux services législatifs, placés sous l’autorité du Président de la Chambre, pour la rédaction de leurs projets de loi. Avant qu’un projet de loi soit déposé à la Chambre, les services législatifs de la Chambre des communes en vérifient la forme et la conformité aux conventions législatives et parlementaires [59].

Projets de loi d’intérêt privé

Parrainé par un simple député, le projet de loi d’intérêt privé repose sur une pétition qui doit, dans un premier temps, avoir fait l’objet d’un rapport favorable par l’examinateur des pétitions ou par le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre [60] . Bien que la forme de ce type de projet de loi soit identique à celle du projet de loi d’intérêt public, le projet de loi d’intérêt privé doit cependant comporter un préambule, ce qui n’est pas obligatoire pour le projet de loi d’intérêt public [61] . Le Règlement de la Chambre prévoit également certaines règles de rédaction qui visent en particulier les projets de loi ayant pour objet une loi de constitution en corporation et ceux portant modification ou abrogation de lois existantes [62] .

Rédaction par un comité

Un comité peut se voir confier le mandat d’élaborer et de déposer un projet de loi [63] . Un comité peut aussi être créé à cette fin précise. La motion tendant à l’élaboration d’un projet de loi par un comité peut être proposée par un ministre ou par un simple député. Le comité qui aura été chargé d’élaborer un projet de loi devra recommander, dans son rapport à la Chambre, les principes, l’étendue et les dispositions générales du projet de loi et, s’il le juge à propos, son libellé [64] . Si la Chambre adopte le rapport du comité, la motion d’adoption constituera l’ordre de dépôt du projet de loi fondé sur ce rapport.

Autres caractéristiques de rédaction

Les projets de loi peuvent aussi, selon le but visé par la mesure législative, revêtir d’autres caractéristiques de rédaction.

  • Textes nouveaux : Projets de loi résultant d’une décision politique ou, dans certains cas, de traités, de conventions, d’accords, de l’acceptation de recommandations figurant dans un rapport de groupe de travail ou de commission royale d’enquête, de l’exécution de mesures administratives ou de situations d’urgence [65] .
  • Textes portant refonte : Projets de loi résultant de l’application d’une disposition de réexamen d’une loi (certaines lois stipulent qu’elles doivent être révisées après un certain temps) ou de l’évolution de la conjoncture économique ou sociale [66] .
  • Textes modificatifs de lois en vigueur : Projets de loi visant à modifier des lois en vigueur. Les modifications peuvent être de fond ou simplement de nature formelle ou administrative.
  • Projets de lois correctives : Une initiative ayant pour but d’éliminer dans les lois en vigueur les anomalies, les contradictions, les archaïsmes ou erreurs qu’elles peuvent contenir et de leur apporter certaines modifications mineures [67] .
  • Projets de loi de voies et moyens : Une initiative fondée sur des motions de voies et moyens et ayant pour objet l’imposition d’une nouvelle taxe ou d’un nouvel impôt, le maintien d’une taxe ou d’un impôt qui expire, l’augmentation d’une taxe ou d’un impôt existant ou l’élargissement du champ d’application d’une taxe ou d’un impôt. Ces projets de loi sont alors régis par des dispositions spécifiques du Règlement [68] . Seul un ministre peut présenter un projet de loi de voies et moyens [69] .
  • Projets de loi de crédits : Une initiative présentée à la Chambre suite à l’adoption du Budget des dépenses principal ou supplémentaire ou de crédits provisoires. Ces projets de loi sont aussi régis par des dispositions spécifiques du Règlement [70] . Seul un ministre peut présenter un projet de loi de crédits.
  • Projets de loi portant pouvoir d’emprunt : Une initiative visant à autoriser l’émission d’emprunts lorsque les recettes de l’État n’arrivent pas à couvrir les dépenses du gouvernement [71] .
  • Projet de loi fictif : Un projet de loi fictif ou pro forma est présenté par le premier ministre au début de chaque session. Il vise à affirmer le droit de la Chambre de délibérer et de légiférer quels que soient les motifs de convocation énoncés dans le discours du Trône. Intitulé Loi concernant la prestation des serments d’office, il porte le numéro C-1 et n’est pas imprimé. Il reçoit une première lecture, mais ne fait pas l’objet d’une deuxième lecture [72] .
  • Avant-projet de loi : Ce terme est utilisé pour désigner l’ébauche d’un projet de loi qui n’a pas encore été déposé dans l’une ou l’autre chambre. À l’occasion, il arrive que l’ébauche d’un projet de loi d’initiative ministérielle soit soumise à un comité pour étude. L’étape de la première lecture n’ayant pas encore eu lieu, le comité peut ainsi en étudier les dispositions législatives, sans être restreint par les règles du processus législatif, et recommander les changements qui devraient y être apportés. Le gouvernement pourra ainsi tenir compte du rapport du comité lorsqu’il finalisera l’ébauche du projet de loi.
  • Projets de loi omnibus : Malgré l’utilisation fréquente de l’expression, il n’existe pas de définition précise d’un projet de loi omnibus, aussi appelé « projet de loi composite ». En général, un projet de loi omnibus vise à modifier, à abroger ou à adopter plus d’une loi et il se caractérise par diverses parties indépendantes, mais ayant néanmoins un lien entre elles [73] . Tout en cherchant à créer ou à modifier plusieurs lois disparates, le projet de loi omnibus a cependant « un seul principe de base et un seul objet fondamental qui justifie toutes les mesures envisagées et qui rend le projet de loi intelligible à des fins parlementaires » [74] . Une des raisons invoquées pour déposer un projet de loi omnibus consiste à vouloir regrouper dans un même projet de loi toutes les modifications législatives découlant de l’adoption d’une politique afin de faciliter le débat parlementaire [75] .

    L’utilisation des projets de loi omnibus est propre au Canada. Le Parlement britannique adopte de tels projets de loi, mais sa pratique législative est différente, notamment en raison d’un contrôle beaucoup plus rigoureux qui est exercé sur la durée des débats. Au Parlement australien, la pratique semble contraire (la procédure permet de regrouper les projets de loi connexes aux fins du débat et de la mise aux voix) [76] .

    On ne sait exactement à quelle époque les premiers projets de loi omnibus ont fait leur apparition, mais comme en témoigne le dépôt d’un projet de loi d’intérêt privé visant à confirmer deux accords ferroviaires distincts, l’usage semble remonter à 1888 [77] . Plusieurs projets de loi omnibus ont été déposés et adoptés sans que leur forme soulève, de la part des députés, la moindre objection sur le plan de la procédure [78] .

    Il est en effet tout à fait admissible, sur le plan de la procédure, qu’un projet de loi modifie, abroge ou édicte plusieurs lois à condition d’en donner le préavis requis, de l’assortir de la recommandation royale (au besoin) et de respecter la forme exigée [79] . Pour ce qui est, toutefois, d’amener la présidence à diviser un projet de loi simplement parce qu’il est complexe ou de caractère composite, nombre de précédents permettent de conclure que la pratique canadienne n’autorise rien de tel [80] .

    Refusant les raisons invoquées par le gouvernement, les députés ont souvent maintenu que certains projets de loi omnibus n’étaient pas recevables. Ils ont souvent invoqué leur « ancien privilège » de voter séparément sur chacune des propositions que présente une question complexe. Cependant, les Présidents de la Chambre ont précisé que leur pouvoir de diviser les questions complexes ne devait viser que les motions de fond, et non pas les motions ayant trait à la progression des projets de loi [81] . Les députés font parfois valoir, pour en réclamer la division, que les projets de loi omnibus renferment plus d’un principe [82] . À l’occasion, les députés soutiennent aussi que le titre long d’un projet de loi omnibus devrait faire mention de toutes les lois qu’il tend à modifier. Sur ce point, la présidence a jugé qu’il n’était pas nécessaire qu’il en soit ainsi [83] .

    Des motions portant division de projets de loi omnibus ont parfois été proposées en comité. Les présidents de comité ont jugé irrecevables les motions visant à diviser un projet de loi. À moins d’avoir reçu une instruction de la Chambre, un comité n’est autorisé qu’à faire rapport du projet de loi avec ou sans amendement [84] . Les présidents de comité ont aussi rejeté des motions visant à permettre à un comité de présenter deux rapports sur un même projet de loi, chacun devant porter sur des sujets distincts, ce qui aurait eu pour effet de diviser le projet de loi [85] . Toutefois, les présidents ont jugé recevables les motions visant à permettre à un comité de demander à la Chambre une instruction l’autorisant à diviser un projet de loi [86] .

    Malgré son refus à diviser les projets de loi omnibus, la présidence a exprimé de profondes inquiétudes quant au droit des députés de bien se faire entendre [87] . Aussi a-t-elle parfois senti le besoin de leur suggérer les recours dont ils disposent pour parer au dilemme créé par le fait de devoir approuver en même temps plusieurs dispositions législatives [88] .

    Il n’est jamais arrivé que la présidence ait décidé qu’un projet de loi devait être divisé en raison de sa complexité. Trois cas présentent cependant un intérêt particulier. En 1981, durant l’étude du projet de loi C-54 visant à modifier la Loi de l’impôt sur le revenu et à renouveler le pouvoir d’emprunt, le Président Sauvé a ordonné que la partie 1 du projet de loi, relative au pouvoir d’emprunt, soit radiée, parce que le préavis requis faisait défaut [89] . Plus tard au cours de la même session, un autre projet de loi modificatif qui englobait à la fois des questions fiscales et le pouvoir d’emprunt fut déposé (le projet de loi C-93). Devant l’insistance de l’opposition, le gouvernement décida de retirer le projet de loi le 7 mai 1982 et présenta deux mesures législatives distinctes le 10 mai 1982 [90] . La division du projet de loi omnibus fut le résultat, dans ce cas-ci, du processus politique et non pas du recours à la procédure. Le cas le plus notable est celui du projet de loi C-94 sur la sécurité énergétique. Le 2 mars 1982, suite à un rappel au Règlement qui avait été soulevé la veille pour que la présidence procède à la division du projet de loi, le Président Sauvé déclara qu’il n’existait aucun précédent lui permettant de diviser le projet de loi [91] . C’est à ce moment que se produisit l’épisode des « cloches » qui poussa par la suite le gouvernement à proposer, et la Chambre à adopter, une motion portant division du projet de loi en huit mesures législatives distinctes [92] . La division du projet de loi omnibus fut le résultat, encore une fois, de l’interaction politique.

Blancs et forme incomplète

Depuis la Confédération, la présidence a établi que la présentation de projets de loi comprenant des passages en blanc ou dans une forme incomplète est manifestement contraire au Règlement [93] . Un projet de loi en blanc ou dans une forme incomplète est un projet de loi qui n’a qu’un titre ou dont la rédaction n’est pas terminée [94] . Bien que cette disposition mette l’accent sur les erreurs relevées au moment de la présentation, des députés ont porté ces défauts ou ces anomalies à l’attention de la présidence à diverses étapes de l’étude des projets de loi. Le Président a déjà donné instruction d’annuler l’ordre de deuxième lecture de certains projets de loi après avoir découvert qu’on ne leur avait pas donné leur forme finale et qu’ils n’étaient donc pas prêts à être présentés [95] .

À l’occasion, certains projets de loi comportent des dispositions qui font référence à des mesures législatives n’ayant pas encore été adoptées. En avril 1970, des députés ont soutenu qu’un projet de loi devait être considéré comme incomplet et ne devait pas être étudié parce qu’il incorporait des dispositions relatives à deux propositions de loi qui n’avaient pas encore été adoptées. Bien que le Président Lamoureux ait jugé le projet de loi conforme, il a précisé que cette question pourrait être à nouveau soulevée à l’étape de la troisième lecture si, à cette étape, la Chambre était appelée à entériner un texte qui dépendait de l’adoption d’autres mesures législatives [96] .

Impression et réimpression des projets de loi

Après que le projet de loi a subi l’étape du dépôt et de la première lecture, il est imprimé dans les heures qui suivent et distribué aux députés. Tout projet de loi doit être imprimé dans les deux lngues officielles [97] . Le projet de loi sera réimprimé après l’étape de l’examen en comité, si celui-ci a fait l’objet d’amendements et que le comité en a ordonné la réimpression. Il servira alors de document de travail à l’usage de la Chambre à l’étape du rapport. Après adoption à l’étape de la troisième lecture, il sera réimprimé à l’intention du Sénat, tel qu’adopté par la Chambre dans sa forme finale. Enfin, il sera réimprimé sous forme de loi après avoir reçu la sanction royale. Il paraîtra ensuite dans la Gazette du Canada et, à la fin de l’année, dans le Recueil des lois annuelles [98].

Changements rédactionnels

Dans le passé, la présidence a clairement établi que lorsque la Chambre est saisie d’un projet de loi, celui-ci devient sa propriété et ne peut subir de modifications importantes, à moins qu’elles ne soient faites par la Chambre elle-même. Seuls les « simples changements de rédaction » sont autorisés [99] . Au moyen d’une rectification au projet de loi, le Président [100]  peut faire corriger toute erreur d’impression ou faute de copiste évidente, à n’importe quelle étape de l’étude du projet de loi [101] . Par contre, aucun changement de fond ne peut être apporté au libellé qu’avait un projet de loi au moment de sa présentation ou lorsqu’un comité en a fait rapport, sauf au moyen d’un amendement adopté par la Chambre [102] .


Haut de la pagePage précédenteProchaine page