Privilège parlementaire / Droits de la Chambre

Le droit de régir ses affaires internes : demandes d’accès à l’information concernant la comparution d’un témoin devant un comité

Débats, p. 10004–10006

Contexte

Le 17 septembre 2012, la Chambre des communes adopte une motion énonçant que, ayant étudié la nature d’une demande faite auprès du vérificateur général en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, la Chambre convenait de ne pas mettre de l’avant ses privilèges relativement à tous les courriels transmis entre le 17 janvier et le 17 avril 2012 et portant sur la comparution du vérificateur général devant un comité parlementaire[1]. L’information demandée prenait la forme de courriels échangés entre les greffiers ou les fonctionnaires de cinq comités permanents et les fonctionnaires du Bureau du vérificateur général.

Suivant l’adoption de la motion, le Président fait une déclaration pour expliquer la situation qui en est à l’origine. Il explique qu’en juin, la Chambre des communes a été avisée par le Bureau du vérificateur général du Canada qu’il avait reçu une demande en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. Après avoir reçu un avis aux tiers, la Chambre s’est vu accorder 20 jours pour présenter des observations écrites sur les raisons qui justifieraient un refus de communication. Étant donné que la Chambre ne siégeait pas au moment où elle a reçu l’avis, les avocats de la Chambre ont demandé au Bureau du vérificateur général de reporter la décision de communiquer les documents jusqu’au retour prévu de la Chambre. En dépit de cette demande, le Bureau du vérificateur général a décidé de communiquer les documents. Le Président, en tant que gardien des droits et privilèges de la Chambre, a déposé dans les délais impartis une demande de contrôle judiciaire visant la décision du vérificateur général afin d’empêcher que les documents soient communiqués et de sorte que la décision finale dans cette affaire revienne à la Chambre.

Résolution

Le Président explique que la résolution de la Chambre n’a pas compromis ses droits et privilèges, pas plus qu’elle n’a entraîné la cession de ses droits et privilèges traditionnels, notamment en ce qui a trait aux comités parlementaires. Il rappelle aussi aux députés que l’affaire n’a pas créé de précédent, soulignant que pareilles situations pouvaient fort bien se répéter. Le Président encourage le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre à procéder à un examen approfondi de la question.

Déclaration de la présidence

Le Président : La Chambre vient d’adopter une importante motion concernant les droits, les privilèges et les immunités qui constituent le fondement des délibérations de la Chambre et de ses comités, et j’aimerais maintenant faire une déclaration afin de clarifier la situation qui a donné lieu à cette décision, particulièrement à la lumière de commentaires qui ont été entendus ces derniers jours.

En juin dernier, le Bureau du vérificateur général du Canada a avisé la Chambre des communes qu’il avait reçu une demande, présentée en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, visant tous les courriels relatifs aux comparutions du vérificateur général devant les comités parlementaires du 17 janvier au 17 avril 2012. L’information demandée consistait en une série de courriels échangés entre les greffiers ou les fonctionnaires de cinq comités permanents et les fonctionnaires du Bureau du vérificateur général.

La Chambre a été informée de la demande par un avis aux tiers, conformément à l’article 27 de la Loi sur l’accès à l’information, et s’est vu accorder 20 jours pour présenter ses observations quant aux raisons qui justifieraient un refus de communication.

Il s’en est suivi une correspondance entre le Bureau du légiste et conseiller parlementaire et le Bureau du vérificateur général dans laquelle les fonctionnaires de la Chambre ont remis en question la diffusion des documents, étant donné que ces documents leur apparaissaient comme étant liés aux délibérations de comités parlementaires, qui sont protégées par le privilège parlementaire. Cette opinion s’inscrivait dans la suite des pratiques passées, selon lesquelles ces documents font partie des délibérations du Parlement — qu’elles aient lieu à la Chambre ou dans ses comités — qui sont protégées par le privilège parlementaire.

En l’espèce, les documents demandés étaient directement liés à des travaux du Parlement et les mesures prises étaient tout à fait conformes aux pratiques de longue date.

Comme le prévoient l’article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867 et l’article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada, les privilèges, immunités et pouvoirs de la Chambre des communes comprennent la liberté de parole et des débats, garantie notamment par l’article 9 du Bill of Rights de 1689, qui stipule, et je cite :

[…] la liberté de parole et des débats ou procédures au Parlement ne devrait être attaquée ou contestée devant aucun tribunal ni ailleurs qu’au Parlement.

Comme il est affirmé à la page 227 d’Erskine May, 24e édition :

[…] le principe qui sous-tend le Bill of Rights est le privilège de chacune des deux chambres d’exercer une compétence exclusive sur ses propres délibérations. Chaque chambre a le droit d’être seul juge du caractère licite de ses délibérations et d’établir ses propres codes de procédure, ainsi que de déroger à ceux-ci.

L’ouvrage La procédure et les usages de la Chambre des communes, [deuxième édition], explique, aux pages 91 et 92, que les termes « délibérations du Parlement » comprend le fait de témoigner devant une Chambre ou un comité; la présentation d’un document à une Chambre ou à un de ses comités; la préparation d’un document à ces mêmes fins ou à des fins connexes; la rédaction, la production ou la publication d’un document, y compris un rapport, par suite d’un ordre d’une Chambre ou d’un comité et le document lui-même. Cette définition a été étendue aux témoignages, aux observations et à la préparation de quiconque participe aux délibérations de la Chambre des communes ou de ses comités, le tout étant protégé par l’ensemble des privilèges et immunités de la Chambre.

Étant donné que la Chambre avait ajourné ses travaux lorsque ces discussions ont eu lieu, les avocats de la Chambre ont demandé au bureau du vérificateur de reporter sa décision de communiquer les documents jusqu’en septembre, au moment où la Chambre siégera de nouveau.

Malgré cette demande, le Bureau du vérificateur général a pris la décision de communiquer les documents en question, estimant que le privilège parlementaire ne faisait pas partie des exemptions ou exclusions prévues par la Loi qui auraient justifié un refus. Cette décision a déclenché le compte à rebours prévu par la Loi. De façon précise, cela signifie que la Chambre avait le droit de demander la révision de cette décision en vertu de l’article 44 de la Loi, qui impose un délai strict de 20 jours suivant la transmission de l’avis pour présenter un avis de demande à la Cour fédérale. En d’autres termes, parce qu’il n’a pas été possible de convaincre le Bureau du vérificateur général de reporter sa décision, la Chambre des communes a dû faire face à un délai qu’elle devait respecter et a par conséquent présenté non pas une demande d’injonction mais une demande de contrôle judiciaire visant la décision du vérificateur général de communiquer les documents. Si cette demande n’avait pas été déposée au plus tard le 10 septembre 2012, les documents auraient été divulgués sans le consentement exprès de la Chambre, ce qui aurait été clairement inacceptable. Nous avons donc agi de manière à protéger la primauté que la Chambre détient depuis longtemps dans les décisions de cette nature.

Je tiens à souligner que les mesures qui ont été prises dans la présente affaire avaient pour seul objectif de préserver les droits et privilèges de la Chambre et de faire en sorte que la décision définitive revienne à la Chambre.

À la page 307 de La procédure et les usages de la Chambre, deuxième édition, il est écrit ce qui suit :

Le Président est le gardien des droits et privilèges de la Chambre des communes, en tant qu’institution, et des députés qui la composent.

Quelles que soient les circonstances, je crois que ma principale responsabilité en tant que Président est de préserver les droits et privilèges de la Chambre et de ses comités, et de veiller à ce que rien ne soit fait qui puisse les miner par inadvertance.

Bien entendu, même si j’ai le devoir de protéger les privilèges de la Chambre, je suis aussi le secrétaire des Communes, et à ce titre, je suis entièrement au service de la Chambre pour la mise en œuvre de ses décisions.

Comme il est indiqué à la page 307 de l’ouvrage d’O’Brien et Bosc :

[...] le Président n’est au service ni d’une partie de la Chambre ni d’une majorité de ses députés, mais de l’institution tout entière et de ses meilleurs intérêts, fixés dans ses pratiques au fil des générations.

Le Président doit veiller à la défense des intérêts de la Chambre et faire en sorte que celle-ci demeure maître de ses délibérations.

C’est ce principe qui est à la base de la décision de présenter une demande de contrôle judiciaire, de manière à respecter le délai strict imposé par la Loi et à permettre à la Chambre de prendre sa propre décision dans cette affaire.

La Chambre a maintenant tranché. Nous savons bien entendu que sa décision ne s’applique qu’à la présente affaire et qu’elle ne crée pas de précédent. La résolution de la Chambre n’a pas compromis les droits et privilèges de cette dernière, pas plus qu’elle n’a entraîné la cession de ses droits et privilèges traditionnels, notamment en ce qui a trait aux comités parlementaires.

Cependant, il est fort probable qu’une problématique similaire à celle qui nous occupe aujourd’hui se présentera de nouveau. La présidence serait par conséquent ravie que le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre examine la question rapidement et de manière approfondie, étant donné que les comités et les fonctionnaires de la Chambre seront très probablement confrontés à d’autres demandes de même nature. Ce ne serait pas la première fois que le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre examine, en vue d’en faire rapport, une question portant sur la nature et la portée du privilège parlementaire — d’ailleurs, il l’a fait en novembre 2004 dans son 14e rapport. Il y a aussi eu d’autres cas, notamment en 2007 et en 2009, où les comités avaient jugé bon de faire rapport à la Chambre de certains aspects du privilège parlementaire qui étaient pertinents dans le cadre des questions dont ils étaient saisis.

J’espère que cela clarifie suffisamment le contexte de la situation, et je remercie les honorables députés de leur attention et de l’intérêt qu’ils portent à cette importante question.

Post-scriptum

Le 2 décembre 2013, la Chambre adopte le 42e rapport du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, initialement déposé à la Chambre lors de la première session de la 41e législature. La Chambre accepte de suivre les recommandations formulées par le Comité en vue de déterminer sa réponse aux demandes d’accès à l’information dans lesquelles la Chambre est en cause en tant que tiers. Dans son rapport, le Comité précise que la Chambre, en convenant de communiquer ou de ne pas communiquer les documents demandés, n’abandonne pas pour autant ses privilèges, et que les protections normales dont jouissent les députés, le personnel et les témoins demeureraient[2].

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[1] Journaux, 17 septembre 2012, p. 1918, Débats, p. 10004.

[2] 42e rapport du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, initialement présenté à la Chambre le 7 mars 2013 (Journaux, p. 2836) et réputé présenté et adopté le 2 décembre 2013 (Journaux, p. 259).