Le processus législatif / Forme des projets de loi

Projets de loi omnibus : demande en vertu de l’article 69.1 du Règlement

Débats, p. 15143–15145

Contexte

Le 3 novembre 2017, Pierre Poilievre (Carleton) invoque le Règlement au sujet du projet de loi C-63, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 22 mars 2017 et mettant en œuvre d’autres mesures[1]. Il soutient que le projet de loi regroupe des dispositions sans lien entre elles et qui ne faisaient pas partie de la présentation d’origine du budget. Il ajoute que ces dispositions devraient être mises aux voix séparément en vertu de l’article 69.1(1) du Règlement puisque, n’ayant pas été annoncées, elles ne sont pas exemptées en vertu de l’article 69.1(2). De plus, M. Poilievre insiste sur un élément du projet de loi, soit la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures, qui avait été annoncé, mais pour lequel le montant des dépenses prévues a presque doublé. Par conséquent, cet élément ne devrait pas être exempté en vertu de l’article 69.1(2). Le 7 novembre 2017, Peter Julian (New Westminster —Burnaby) suggère que l’exception prévue à l’article 69.1(2) ne devrait s’appliquer que si toutes les mesures contenues dans le projet de loi ont été annoncées. Ainsi, l’ensemble du projet de loi C-63 devrait être assujetti à l’article 69.1(1), plutôt que seulement les mesures qui n’ont pas été annoncées[2]. Il s’agit du premier recours à ces articles du Règlement, adoptés en juin 2017, relativement à un projet de loi portant exécution d’un budget.

Résolution

Le 8 novembre 2017, le Président rend sa décision. Au sujet de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures, il affirme que l’écart entre l’investissement prévu et l’investissement annoncé ne suffit pas à rendre la mesure nouvelle ou distincte par rapport au budget. Il n’y a donc pas lieu de tenir un vote distinct sur cette question. Par ailleurs, le Président affirme que seules les mesures n’ayant pas été annoncées dans le budget peuvent faire l’objet d’un vote distinct. Ainsi, en l’espèce, quatre mesures feront l’objet de votes distincts à la deuxième lecture du projet de loi. Enfin, le Président donne des explications sur le fonctionnement de cette nouvelle procédure.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur le rappel au Règlement soulevé le 3 novembre 2017 par l’honorable député de Carleton (M. Poilievre) au sujet de l’applicabilité de l’article 69.1 du Règlement au projet de loi C-63, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 22 mars 2017 et mettant en œuvre d’autres mesures.

Je remercie l’honorable député de Carleton d’avoir soulevé la question, ainsi que l’honorable député de New Westminster—Burnaby, l’honorable député de Calgary Shepard et l’honorable secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre des communes de leurs observations.

L’honorable député de Carleton a demandé à la présidence d’utiliser le pouvoir que lui confère l’article 69.1 du Règlement pour diviser les questions, aux fins du vote, sur la motion tendant à la deuxième lecture et, au besoin, à la troisième lecture du projet de loi C-63, parce que, selon lui, le projet de loi contient des mesures qui n’ont pas été annoncées dans le budget du 22 mars 2017.

Il a fait remarquer, par exemple, que le sommaire énonce que la partie 2 du projet de loi met en œuvre une modification aux remboursements de TPS/TVH pour les organismes de services publics, une mesure annoncée le 8 septembre 2017. Il a également soutenu que des mesures visant l’imposition de coopératives agricoles ou de pêches et des mesures concernant la bière faite de concentrés figurant dans la partie 3 ne se trouvaient pas dans le budget, ni d’ailleurs trois mesures de la partie 5, c’est-à-dire la section 5 concernant la Banque du Canada, la section 11 concernant les juges et la section 13 concernant les paiements pour l’acquittement de dettes.

Le député a également soutenu que les dépenses autorisées dans la section 2 de la partie 5, qui porte sur la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (BAII), étaient de beaucoup supérieures à ce qui avait été prévu dans le budget.

Dans son exposé budgétaire, le ministre des Finances avait annoncé que le gouvernement investirait 256 millions de dollars sur cinq ans dans la BAII, alors que l’article 176 du projet de loi l’autorise à dépenser 375 millions de dollars américains, soit environ 480 millions de dollars canadiens.

Le député de Carleton a dit ne pas tenir à ce que chacune de ces mesures fasse l’objet de votes séparés, mais il a insisté pour que cette dernière mesure fasse l’objet d’un vote distinct. Il s’est dit d’avis que le Règlement confère au Président ce pouvoir, étant donné que le projet de loi autorise des dépenses passablement plus élevées que celles prévues dans le budget.

L’honorable député de New Westminster—Burnaby a soutenu que le projet de loi est en fait un projet de loi omnibus parce qu’il contient des mesures qui n’ont pas été annoncées dans le budget. Il a fait observer que c’était surtout le cas pour les mesures visant les coopératives agricoles et de pêches et les mesures concernant la bière faite de concentrés. En outre, il a soutenu que, à cause de ces mesures, le projet de loi C-63 n’est pas visé par l’exception prévue dans le Règlement pour les projets de loi de mise en œuvre du budget et que, par conséquent, l’ensemble du projet de loi pouvait être traité comme un projet de loi omnibus.

Dans son intervention, le secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre a assuré à la Chambre que certaines mesures découlaient bel et bien du budget. Il a souligné que la proposition visant à ce que le Canada adhère à la BAII avait bel et bien été annoncée dans le budget et que le projet de loi ne faisait que mettre en œuvre cette proposition. Il a également soutenu que les modifications à la Loi sur les juges prévues à la section 11 donnaient effet à l’intention annoncée dans le budget de mettre en œuvre les recommandations de la Commission d’examen de la rémunération des juges de 2015. Les modifications concernant la Banque du Canada à la section 5, selon lui, font partie du plan du gouvernement consistant à renforcer la trousse d’outils permettant de gérer le processus de règlement des grandes banques du Canada, comme le prévoyait le budget.

Enfin, il a insisté sur le fait que le Règlement ne prévoit pas la division des questions d’un projet de loi aux fins du débat ou du renvoi à des comités, mais seulement aux fins de la mise aux voix des motions tendant à la deuxième et à la troisième lecture.

L’honorable député de Calgary Shepard a fait valoir que, dans sa décision, le Président devrait s’inspirer de la procédure suivie à l’Assemblée nationale du Québec pour les motions de scission des projets de loi. Il a soutenu que la présidence ne devrait pas confondre les principes que contient un projet de loi avec le domaine sur lequel il porte. Il a ensuite affirmé que, même si toutes les mesures du projet de loi sont de nature économique, il ne s’ensuit pas que le Président doit conclure qu’elles sont liées. Il a également présenté un certain nombre d’arguments ne concernant pas uniquement le projet de loi C-63, mais visant plutôt la mécanique de l’exécution d’une décision concluant à la division des questions aux fins de la mise aux voix, ce dont, d’après lui, le Règlement ne fait pas mention. En particulier, il a soulevé des questions concernant les amendements aux motions tendant à la deuxième et à la troisième lecture, les renvois aux comités, l’étape du rapport et l’étude des amendements proposés par le Sénat.

Hier, en réponse à un rappel au Règlement soulevé par l’honorable leader de l’opposition à la Chambre, j’ai rendu une première décision où entrait en jeu le nouvel article 69.1 du Règlement, qui porte sur les projets de loi omnibus. Cet article du Règlement confère au Président le pouvoir de diviser les questions, aux fins du vote, sur toute motion tendant à la deuxième lecture ou à la troisième lecture d’un projet de loi lorsque celui-ci contient des dispositions qui n’ont rien en commun.

La question qui nous occupe aujourd’hui concerne le paragraphe (2) de cet article, qui prévoit une exception pour les projets de loi de mise en œuvre du budget. Ce paragraphe est rédigé ainsi :

69.1 (2) Le présent article ne s’applique pas si le projet de loi a comme objectif central la mise en œuvre d’un budget et contient des dispositions qui ont été annoncées lors de l’exposé budgétaire ou qui étaient contenues dans les documents déposés lors de l’exposé budgétaire.

La question que le Président doit trancher est la suivante : les mesures relevées par l’honorable député de Carleton et l’honorable député de New Westminster—Burnaby correspondent-elles à des dispositions qui ont été annoncées dans le budget?

D’entrée, je précise qu’il n’est pas toujours facile d’établir si un tel lien existe ou non. Le document déposé lors de l’exposé budgétaire compte près de 300 pages à lui seul, auxquelles s’ajoute la centaine de pages de renseignements supplémentaires sur l’impôt. La présidence a fait de son mieux pour examiner ces documents avant de tirer ses conclusions.

Penchons-nous tout d’abord sur les mesures concernant la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures, la BAII, que prévoit le projet de loi. L’honorable député de Carleton reconnaît que ces mesures ont bel et bien été annoncées dans le budget. Il ne reste qu’à déterminer si la différence entre les sommes annoncées et celles prévues dans le projet de loi suffit pour rompre ce lien.

À mon avis, la disposition du Règlement en cause vise, au fond, la tenue de mises aux voix distinctes dans les cas où le projet de loi de mise en œuvre du budget prévoit des mesures nouvelles ou n’ayant rien en commun. Le fait que l’investissement prévu soit plus élevé que celui annoncé — bien que l’écart entre les deux soit considérable, je l’admets — ne fait pas en sorte, à mon avis, que les mesures visant la BAII soient nettement différentes de celles annoncées dans le budget.

On peut concevoir que, entre la présentation du budget et le dépôt du projet de loi de mise en œuvre du budget, la situation ait pu changer de façon à justifier un tel écart. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’exiger que les sommes soient parfaitement identiques tant que la politique générale reste la même pour l’essentiel. Par conséquent, je ne crois pas qu’il serait opportun de tenir un vote distinct sur cette question.

Passons aux autres questions soulevées par les honorables députés. Je suis prêt à accepter les arguments de l’honorable secrétaire parlementaire selon lesquels la section 5 de la partie 5, qui porte sur la Banque du Canada, et la section 11 de la partie 5, qui porte sur le traitement des juges, découlent de mesures annoncées dans le budget. J’estime donc qu’il est opportun que ces mesures soient mises aux voix dans le cadre du vote général à l’étape de la deuxième lecture et, au besoin, à l’étape de la troisième lecture.

Cependant, j’ai été incapable de trouver de lien entre les autres questions soulevées par les députés de Carleton et de New Westminster—Burnaby et les mesures prévues dans les documents budgétaires. Le secrétaire parlementaire n’a pas réfuté l’allégation selon laquelle il s’agit bel et bien de questions nouvelles n’ayant rien en commun avec le budget.

Par conséquent, j’estime qu’il est de mon devoir d’exercer les pouvoirs que me confère le Règlement et de diviser les questions, aux fins de la mise aux voix, sur la motion tendant à la deuxième lecture et, au besoin, à la troisième lecture.

Puisque je suis arrivé à cette conclusion, il faut maintenant établir comment pareille division doit s’opérer. L’honorable député de New Westminster—Burnaby soutient que l’ensemble du projet de loi est susceptible d’être divisé. Il estime que, étant donné que le projet de loi ne prévoit pas que des mesures qui ont été annoncées dans le budget, l’exception prévue à l’article 69.1(2) du Règlement ne trouve pas application.

Comme je l’ai déjà dit, selon mon interprétation, la disposition du Règlement en cause vise à permettre la division des questions qui n’ont rien à voir avec le budget, si l’on tient pour acquis que le reste du projet de loi a comme objectif la mise en œuvre du budget.

Les mesures visant les coopératives agricoles et de pêches sont prévues à l’article 48 du projet de loi. Celles portant sur les remboursements de la TPS/TVH demandés par des organismes de services publics se trouvent aux articles 139 et 163. La partie 3 du projet de loi comporte des modifications à la Loi sur l’accise visant la bière faite de concentrés; la partie 3 est composée des articles 165 à 168. Enfin, la section 13 de la partie 5 prévoit des modifications à la Loi sur la gestion des finances publiques et porte sur l’acquittement de dettes; voir l’article 261. Chacune de ces initiatives fera l’objet d’un vote distinct à l’étape de la deuxième lecture et, au besoin, à l’étape de la troisième lecture. Tous les autres éléments du projet de loi seront regroupés et mis aux voix ensemble à la fin des autres votes. Autrement dit, cinq votes seront tenus à la conclusion du débat à l’étape de la deuxième lecture.

Il convient de souligner que la présidence n’a pas ordonné que chacune de ces mesures fasse l’objet d’un projet de loi distinct ou qu’elle soit renvoyée séparément au comité. Le Règlement est clair : le Président peut diviser les questions aux étapes de la deuxième et de la troisième lecture aux fins du vote seulement. Il n’y aura donc qu’un seul débat sur la motion tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-63.

En réponse aux questions soulevées par le député de Calgary Shepard, soulignons que la motion tendant à la deuxième lecture du projet de loi peut encore être amendée de la façon habituelle, qu’il s’agisse de l’amendement de renvoi, de l’amendement motivé ou de l’amendement de renvoi de l’objet d’un projet de loi à un comité.

Je ne crois pas que le Règlement me permette de créer, aux fins du débat, cinq motions distinctes tendant à la deuxième lecture et pouvant chacune être amendée. À la conclusion du débat, je mettrai aux voix les cinq groupes de dispositions de la façon décrite ci-dessus. Les groupes de dispositions qui seront adoptés feront partie de l’ordre de renvoi au Comité permanent des finances. Les groupes de dispositions qui seront rejetés ne seront pas renvoyés au Comité et ne feront plus partie du projet de loi. En cas de rejet d’un groupe de dispositions, j’ordonnerais alors la réimpression du projet de loi au bénéfice du Comité.

Si le comité fait rapport du projet de loi et que la Chambre n’a donné aucune autre instruction, il ne produira qu’un seul rapport, avec ou sans amendements. Par la suite, les députés pourront, comme bon leur semble, proposer des motions à l’étape du rapport visant à amender le projet de loi. Je m’en remettrai alors aux règles habituelles à l’étape du rapport en ce qui concerne le choix et le regroupement des motions aux fins du débat et du vote. Il va de soi que les regroupements pourraient calquer les divisions que j’annonce aujourd’hui. Je prendrai cette décision en temps et lieu, lorsque je prendrai connaissance des motions qui auront été proposées. Si tous les groupes de dispositions font encore partie du projet de loi à l’étape de la troisième lecture, la mise aux voix à cette étape sera menée de la même façon qu’à l’étape de la deuxième lecture.

Je suis conscient qu’il s’agit d’une nouvelle pratique pour la Chambre, et je remercie les députés de leur attention et de leur patience pendant les explications que je viens de donner sur la façon dont j’ai l’intention de l’appliquer.

Certains sites Web de tiers peuvent ne pas être compatibles avec les technologies d’assistance. Si vous avez besoin d’aide pour consulter les documents qu’ils contiennent, veuillez communiquer avec accessible@parl.gc.ca.

[1] Débats, 3 novembre 2017, p. 14947–14949.

[2] Débats, 7 novembre 2017, p. 15048–15049.