Le privilège parlementaire / Les droits des députés

Entraver des députés : utilisation non autorisée d’une photographie

Débats, p. 13727-13728

Contexte

Le 30 mai 1995, après les Questions orales, Elsie Wayne (Saint John) soulève une question de privilège parce qu’on a utilisé sans son autorisation une photographie d’elle dans le rapport de la ministre de la Santé sur la banalisation de l’emballage des produits du tabac. La députée affirme que l’utilisation de cette photographie viole ses privilèges, porte atteinte à sa dignité comme personne et comme députée, l’expose au ridicule et donne d’elle une fausse image susceptible de lui nuire dans l’exercice de ses fonctions de députée. Après une intervention de Peter Milliken (secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes), le Président déclare qu’avant de statuer sur le cas, il veut attendre que l’honorable Diane Marleau (ministre de la Santé) revienne à la Chambre pour connaître sa version des faits[1].

Au début de la séance du 1er juin 1995, le Président permet à la ministre Mme Marleau d’intervenir au sujet de la question de privilège soulevée par Mme Wayne deux jours plus tôt. La ministre explique les circonstances ayant conduit à l’utilisation non autorisée de la photographie de Mme Wayne. Elle répond à certaines affirmations de Mme Wayne et dépose une copie de la lettre qu’elle a écrite à Mme Wayne à ce sujet. Le Président prend la question en délibéré[2].

Résolution

Le 13 juin 1995, après les Questions orales, le Président rend sa décision. Bien que sympathisant avec Mme Wayne pour son embarras, le Président ne peut conclure qu’elle est gênée dans l’exercice de ses fonctions de députée, et qu’en l’absence d’intention malveillante ou d’autre motif évident, il ne peut juger qu’il y a eu outrage à la Chambre.

DÉCISION DE LA PRÉSIDENCE

Le Président : Je suis prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée par la députée de Saint John le 30 mai 1995. Je tiens à remercier la députée ainsi que la ministre de la Santé de m’avoir fourni les faits pertinents et les documents qui ont trait à cette affaire et d’avoir participé à la discussion.

Dans son exposé, la députée a attiré l’attention de la Chambre sur une photographie d’elle-même reproduite dans le rapport d’un comité d’experts intitulé « Lorsque les emballages ne s’expriment plus ». Ce rapport, produit à la demande du ministère de la Santé, porte sur l’emballage neutre et générique des produits du tabac.

La députée a soutenu que l’utilisation de sa photo sans autorisation dans une étude sur l’impact visuel intégrée au rapport violait sa vie privée, portait atteinte à sa dignité comme personne et comme députée, l’exposait au ridicule et donnait d’elle, en en faisant un stéréotype, une fausse image qui est susceptible de lui nuire dans l’exercice de ses fonctions de députée. La députée a donc demandé des excuses publiques de la part du premier ministre et une explication de la ministre de la Santé sur la façon dont sa photo a pu se retrouver dans ce rapport.

L’honorable ministre de la Santé a répliqué le 1er juin 1995. Dans son intervention, la ministre a expliqué que, lorsqu’on leur a appris que la photo utilisée était celle de la députée, les membres du comité d’experts, les représentants de l’entreprise privée chargés de sélectionner les photos et elle­ même lui ont adressé immédiatement une lettre d’excuses. La ministre a ensuite déposé une copie de la lettre adressée à la députée dans laquelle elle explique comment la photo fut sélectionnée.

Cette affaire m’a troublé et je l’ai examinée avec grand soin. J’estime important d’informer la Chambre de la chronologie de certains événements qui ont précédé cette question de privilège, car le rapport du comité en cause s’insère dans une étude plus vaste à laquelle la Chambre a participé directement par le biais d’un de ses comités.

Le 21 juin 1994, le Comité permanent de la santé a présenté son premier rapport, intitulé « Objectif consommation zéro : la banalisation de l’emballage des produits du tabac[3] ». Conformément à l’article 109 du Règlement, le comité a demandé au gouvernement de déposer une réponse globale. Le 18 novembre 1994, la ministre de la Santé a déposé la réponse du gouvernement au rapport du comité[4]. Dans sa réponse aux recommandations du comité permanent, le gouvernement disait ceci :

[…] le comité d’experts-formé de spécialistes en matière de marketing, de conception d’emballages et de comportement des consommateurs, choisis avec les participants provinciaux et territoriaux à la Stratégie nationale de lutte contre le tabagisme, a établi un cadre d’étude ayant pour but de déterminer le lien existant entre l’emballage neutre et le fait de commencer à fumer chez les jeunes.

Le gouvernement indiquait également dans sa réponse que Santé Canada examinerait et analyserait en profondeur les éléments de preuve recueillis par le comité d’experts, et tiendrait compte de l’étude et des conclusions du Comité permanent de la santé. Il est donc permis d’affirmer que le comité permanent anticipait l’occasion de faire une étude détaillée du rapport du comité d’experts.

Le rapport, daté de mars 1995, a été diffusé auprès des médias et du public le 19 mai 1995. Pour veiller à ce que les membres du comité permanent soient au courant du contenu du rapport. Santé Canada a organisé à leur intention, dans la matinée du même jour une séance d’information sans formalités à laquelle les membres du personnel et les attachés de recherche ont également assisté. Des exemplaires du rapport ont été distribués à tous les députés comme d’habitude.

La télévision, les journaux et les revues diffusent chaque jour des photos de députés et des images de la Chambre des communes et des édifices du Parlement. Cela fait partie des reportages sur la vie parlementaire auxquels nous sommes habitués. Que ces photos soient utilisées de façon directe ou de manière satirique, leur message est, en dernière analyse, ciblé sur le travail du Parlement et des parlementaires.

Il est toutefois possible que ces mêmes images des députés et de l’institution du Parlement soient présentées sous un faux jour. Les utilisations inacceptables des symboles du Parlement ne sont pas inédites dans l’histoire du Canada. Des objections ont été soulevées à la Chambre dans chaque cas.

Pour donner des exemples, je renvoie les députés aux décisions du Président concernant la Sperry and Hutchison Company, aux pages 156 à 158 des Journaux du 16 février 1960, et le Steelworkers of Hamilton Council, aux pages 1159 [et] 1160 des Journaux du 23 mars 1965. Dans ces deux cas, des entités non parlementaires ont publié et distribué des documents qu’on voulait faire passer pour le Hansard, publication auréolée du prestige de la Chambre des communes. Le Président a décidé dans les deux cas qu’il y avait présomption d’atteinte au privilège.

Comme les députés le savent, le privilège est défini ainsi à la page 69 de la 21e édition de Erskine May :

Le privilège parlementaire est la somme des droits particuliers dont jouit chaque Chambre, collectivement, en tant que partie constitutive de la Haute Cour qu’est le Parlement, dont jouissent aussi les membres de chaque Chambre, individuellement, et faute desquels il leur serait impossible de s’acquitter de leurs fonctions. Aucun autre organisme, ni citoyen, n’a de droits équivalents.

La définition du privilège au sens strict ne s’étend cependant pas à tout ce qui peut sembler offensant à la Chambre. May poursuit ainsi :

Lorsqu’on lèse l’un de ces droits et immunités, l’infraction qualifiée d’atteinte aux privilèges est punissable en vertu du droit parlementaire. Par ailleurs, chacune des Chambres revendique également le droit de punir des actes qui, sans porter atteinte à un privilège spécifique, l’entravent dans l’exercice de ses fonctions, ou font offense à son autorité ou sa dignité; c’est le cas de la désobéissance à ses ordres légitimes, ou des propos diffamatoires à son égard ou à celui de ses fonctionnaires ou de ses membres.

May fait aussi observer, à la page 121 de la 21e édition, ce qui est plus pertinent pour le cas qui nous occupe :

Les paroles et les textes publiés qui discréditent la réputation ou les travaux de la Chambre sont constamment sanctionnés par la Chambre des lords et la Chambre des communes en vertu du principe que de telles critiques, parce qu’elles diminuent le respect qui est dû aux Chambres, ont tendance à entraver l’exercice de leurs fonctions.
Lorsqu’on tient des propos désobligeants à l’égard des membres, personne en particulier n’étant nommé ou désigné, on blâme en fait la Chambre elle-même.

Il m’incombe donc de déterminer si oui ou non, de prime abord, les circonstances visées par la question de privilège dont je suis saisi correspondent aux critères établis par May. La question est la suivante : l’utilisation et la publication de la photographie de la députée de Saint John constituent-elles un outrage à la Chambre?

La ministre de la Santé a expliqué à la Chambre et à la députée de Saint John comment l’incident s’est produit. Elle a aussi présenté des excuses plus d’une fois, comme l’ont fait d’autres personnes qui ont participé à la production du rapport.

En me fondant sur mes recherches et mon interprétation des commentaires relevés dans Erskine May, je ne saurais conclure que l’incident, même s’il a pu la mettre dans l’embarras, a pu gêner la députée dans l’exercice de ses fonctions à la Chambre des communes.

En l’absence d’intention malveillante ou d’autre motif évident, il est difficile de conclure qu’il y a eu outrage à la Chambre.

Les députés sont des personnalités publiques qu’on voit souvent dans les médias. Ceux qui ont des rapports avec le gouvernement et le Parlement doivent se rappeler que l’utilisation de la photographie d’un député dans une situation qui n’a rien à voir avec ses fonctions parlementaires peut très bien entraîner des difficultés imprévues et créer une situation passablement embarrassante.

Dans le cas présent, je ne puis rien faire de plus que de rappeler à tous que la Chambre des communes et ses députés doivent être traités avec respect et dignité, d’abord de la part des députés eux-mêmes, mais aussi de la part de tous les intervenants. J’espère que tous les députés comprennent la gravité de la situation et les dangers que pourrait entraîner sa répétition.

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1995-06-13

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[1] Débats, 30 mai 1995, p. 13009-13010.

[2] Débats, 1er juin 1995, p. 13087-13088.

[3] Journaux, 21 juin 1994, p. 628.

[4] Journaux, 18 novembre 1994, p. 899.