Le processus législatif / Divers

Les projets de loi omnibus : recevabilité

Débats, p. 2859-2861

Contexte

Le 25 mars 1994, pendant l’étude des Ordres émanant du gouvernement, Stephen Harper (Calgary-Ouest) invoque le Règlement pour dénoncer le caractère omnibus du projet de loi C‑17, Loi d’exécution du budget 1994, et demander au Président de déclarer le projet de loi irrecevable. M. Harper soutient que le projet de loi n’obéit à aucun principe de cohérence; qu’il vise à modifier plusieurs lois; qu’il force les députés à décider de plusieurs questions différentes au moyen d’une décision unique et, enfin, que la diversité des sujets visés par le projet de loi causera des difficultés au comité qui sera chargé de l’examiner. Peter Milliken (secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes) et Don Boudria (Glengarry—Prescott—Russell) déclarent alors que les dispositions du projet de loi sont toutes liées puisqu’elles sont basées sur le récent discours du budget et qu’elles constituent un tout correspondant à l’orientation globale du gouvernement. Ils font également valoir qu’au cours de l’étude en comité, les députés pourront amender ou supprimer plusieurs dispositions du projet de loi. Le Président réserve alors sa décision[1].

Résolution

Le 11 avril 1994, le Président rend sa décision. Il déclare qu’il est courant et conforme à la procédure de modifier, d’abroger ou d’adopter plusieurs lois dans un projet de loi et qu’il est arrivé à maintes reprises que ses prédécesseurs refusent d’intervenir en raison de la complexité de projets de loi. Le Président signale alors que M. Harper et tous les députés pourront proposer des amendements au projet de loi à l’étape de son étude en comité ou à l’étape du rapport et par le fait même exprimer leurs opinions et qu’ils pourront voter sur chacun de ses articles.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis prêt à rendre ma décision en ce qui concerne l’objection que le député de Calgary-Ouest a soulevée, le 25 mars dernier, au sujet des projets de loi omnibus.

J’aimerais remercier l’honorable député ainsi que le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre et l’honorable député de Glengarry—Prescott—Russell pour leur contribution à la discussion.

Le député de Calgary-Ouest soutient que le projet de loi C‑17, Loi modificative portant exécution de certaines dispositions du budget, déposé au Parlement le 22 février 1994, est un projet de loi omnibus, qu’il doit donc être déclaré irrecevable et que la Chambre ne doit pas l’étudier dans sa forme actuelle.

Il soutient également que le projet de loi ne contient aucun principe unificateur; qu’il vise à modifier plusieurs lois existantes; qu’il force les députés à prendre une décision applicable à plusieurs questions différentes; et, enfin, que la variété des sujets traités dans le projet de loi peut causer des difficultés au comité chargé de l’étudier.

À l’appui de son argument, l’honorable député invoque la décision rendue le 26 janvier 1971 par le Président Lamoureux[2] ainsi que le commentaire 626(1) de Beauchesne, 6e édition.

Avant d’examiner les divers points soulevés par l’honorable député, j’aimerais, comme mes prédécesseurs l’ont fait par le passé, passer en revue nos pratiques concernant les projets de loi omnibus.

Tout d’abord, je lirai à l’intention des députés la définition d’un projet de loi omnibus qui se trouve dans le Vocabulaire de procédure parlementaire publié par la Chambre des communes. Un projet de loi omnibus y est défini comme un, et je cite : « Projet de loi composé de plusieurs parties connexes, mais indépendantes, qui visent à faire adopter une ou plusieurs lois [ou] à abroger ou modifier une ou plusieurs lois déjà existantes. »

L’honorable député a raison de signaler que le projet de loi C‑17 est un projet de loi omnibus. Toutefois, comme l’ont indiqué les anciens Présidents dans de nombreuses décisions, et comme l’a souligné récemment encore le Président Fraser dans une décision rendue le 1er avril 1992, nos règles et usages en matière de procédure n’interdisent nullement au gouvernement de présenter de tels projets de loi.

Dans sa décision, le Président Fraser, citant l’honorable député de Windsor-Ouest (l’honorable Herb Gray), l’actuel leader du gouvernement à la Chambre, a décrit de la façon suivante les projets de loi omnibus :

La défense essentielle de la procédure omnibus, c’est que le projet de loi en question, bien qu’il cherche à créer ou à modifier beaucoup de lois disparates, a en fait un seul principe de base ou un seul objet fondamental qui justifie toutes les mesures envisagées et qui rend le projet de loi intelligible à des fins parlementaires.

Cet extrait se trouve à la page 9147 des Débats du 1er avril 1992.

Le gouvernement présente des projets de loi omnibus pour, entre autres raisons, favoriser la discussion parlementaire en groupant dans le même texte de loi tous les amendements législatifs touchant la mise en œuvre d’une politique. Comme l’a fait observer le Président Jerome le 11 mai 1977, à la page 5522 des Débats, le recours aux projets de loi omnibus constituait à cas. De fait, il existe de nombreux exemples de mesures législatives portant mise en œuvre de dispositions budgétaires qui ont pris la forme de projet de loi omnibus.

Une certaine confusion entoure souvent la distinction entre le pouvoir de la présidence de diviser des motions compliquées, et les décisions passées de la présidence de ne pas fractionner des projets de loi omnibus. Cette confusion tient en partie à notre façon d’envisager l’adoption d’une motion portant deuxième lecture d’un projet de loi.

Le débat en deuxième lecture a trait au principe du projet de loi et non à ses dispositions précises. Le principe peut être très simple ou passablement complexe. Puisque le principe n’est pas nécessairement défini dans un seul article du projet de loi, on considère que le débat revêt un caractère général à cette étape, l’examen du détail étant réservé à des étapes ultérieures.

Toutefois, la question dont la Chambre est saisie est très simple. Il s’agit pour elle d’approuver que le projet de loi « soit maintenant lu une deuxième fois et renvoyé à un comité », et non que certaines parties du projet de loi soient traitées d’une certaine manière. Par conséquent, la Chambre décide simplement si le projet de loi doit être renvoyé à un comité pour plus ample examen. La question du principe d’un projet de loi est de toute évidence étroitement liée à la motion de deuxième lecture.

D’après l’honorable député de Calgary-Ouest, « le contenu du projet est tellement hétéroclite que, pour se prononcer par un seul vote, les députés devraient transiger avec leurs principes. »

La présidence est cependant d’avis que, au moment de l’adoption d’une motion de deuxième lecture, la Chambre approuve en principe le projet de loi, puis procède à l’examen de ses dispositions particulières à des étapes ultérieures.

Il convient aussi de rappeler que la présidence ne voit rien de répréhensible, sur le plan de la procédure, à ce qu’un projet de loi renferme plus d’un principe. Le Président Sauvé l’a exprimé dans une décision rendue le 20 juin 1983, et, à ce sujet, je renvoie les honorables députés à la page 26538 des Débats. Elle a dit à l’époque :

[…] bien que certains titulaires de la présidence aient exprimé des réserves au sujet de la pratique qui consiste à englober plusieurs principes distincts dans un même projet de loi, il a été décidé à chaque fois que de tels projets de loi étaient conformes à la procédure établie et recevables à la Chambre.

L’honorable député de Calgary-Ouest a aussi cité le commentaire 626(1) de la 6e édition du Beauchesne, lequel porte précisément sur cette question. Je vais lire cette citation à l’intention des députés :

Il n’existe aucune prescription rigoureuse en ce qui concerne le contenu d’un projet de loi. Néanmoins, ses diverses dispositions doivent conserver entre elles un rapport à peu près logique, traiter du même sujet et s’inscrire dans le cadre général défini par son titre intégral.

L’honorable député a soutenu qu’on demande à la Chambre de se prononcer sur un certain nombre de questions non connexes. Toutefois, de l’avis de la présidence, il existe bien un fil conducteur dans le projet de loi C‑17, c’est-à-dire l’intention du gouvernement d’adopter les mesures contenues dans le récent budget, notamment celles visant à prolonger les restrictions financières actuellement appliquées.

Dans leurs remarques, le secrétaire parlementaire comme l’honorable député de Glengarry—Prescott—Russell ont aussi signalé que les dispositions du projet de loi découlaient du budget présenté par le ministre des Finances et dont la Chambre a déjà débattu.

Comme l’ont précisé le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre et l’honorable député de Glengarry—Prescott—Russell, la Chambre a entendu le ministre des Finances faire une déclaration sur la politique budgétaire du gouvernement le 22 février 1994. Elle a ensuite débattu de la motion sur le budget pendant plusieurs jours avant de l’adopter lors d’un vote par appel nominal le 23 mars 1994.

Le titre du projet de loi C‑17 renvoie nettement à la déclaration budgétaire originale et le projet de loi même ne vise qu’à faire adopter certaines mesures contenues dans cette déclaration.

Le projet de loi C‑17 est un projet de loi omnibus, mais il a un seul but et on y trouve un fil conducteur.

En conclusion, il est acceptable sur le plan de la procédure et il arrive souvent qu’un projet de loi modifie, abroge ou promulgue plusieurs mesures législatives. Il est arrivé à de nombreuses reprises que la présidence refuse d’intervenir simplement parce qu’un projet de loi était complexe, et qu’elle permette de poursuivre l’étude d’une mesure omnibus.

Par conséquent, bien que je ne puisse accepter qu’on divise ou qu’on écarte le projet de loi C‑17 comme le demande l’honorable député, je peux souligner à celui-ci et à ses collègues qu’ils peuvent, s’ils le souhaitent, proposer des amendements en comité ou à l’étape du rapport, et qu’ils auront ainsi l’occasion d’exprimer leurs opinions et de voter sur des parties précises du projet de loi.

Je remercie tous les députés de leur contribution.

P0501-f

35-1

1994-04-11

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[1] Débats, 25 mars 1994, p. 2775-2780.

[2] Débats, 26 janvier 1971, p. 2786.