Le privilège parlementaire / Droits de la Chambre

Abus des privilèges de la Chambre relatifs à la papeterie, à l’usage de la poste et à l’affranchissement; allégation de mauvais usage de la papeterie des Communes par un ancien député et une organisation américaine

Débats, p. 11561-11563

Contexte

Le 18 avril 1990, dans un article du Toronto Star. on prétend qu’une association de Virginie, English First, a distribué à un certain nombre de citoyens américains une lettre imprimée sur du papier à en-tête de la Chambre des communes et signée par un ex-député. Dans la lettre en question, on prônerait la négation de la dualité linguistique en vue de faire adopter une modification constitutionnelle faisant de l’anglais la langue officielle des États-Unis.

Le 23 avril 1990, M. Don Boudria (Glengarry—Prescott—Russell) soulève une question de privilège afin d’attirer l’attention de la Chambre sur l’article de journal et la lettre qui en est à l’origine. En plus du Président, d’autres députés présentent leurs observations à ce sujet[1]. Le Président fait mention de l’apport de chaque intervenant à sa décision du 17 mai 1990, reproduite intégralement ci-dessous.

Décision de la présidence

M. le Président : Le lundi 23 avril 1990, le député de Glengarry—Prescott—Russell a soulevé la question de privilège pour attirer notre attention sur une lettre qui circulait aux États-Unis et dont il avait été question dans au moins un article de journal au Canada.

Il s’agit d’une lettre écrite par un ancien député de cette Chambre et qui portait sa signature. Le texte indique clairement que l’auteur n’est plus député. La première phrase, qui s’adresse à des lecteurs américains, est rédigée en ces termes :

Je vous présente des salutations du Canada où j’ai été, pendant huit ans, au service de la nation en qualité de député.

Vient ensuite la déclaration suivante : « J’ai choisi d’abandonner mon siège au Parlement pour protester […] ». Enfin, l’auteur se désigne comme suit dans le bloc-signature : « Member of Parliament (ret) ».

Sauf pour ce qui est des éléments du texte qui indiquent que l’ex-député ne donnait pas une impression incorrecte de sa qualité actuelle, je ne crois pas que la présidence doive faire quelque commentaire que ce soit sur la teneur de la lettre.

Quand la question a été soulevée à la Chambre, au début, j’ai déclaré ceci : « Il s’agit de savoir en l’occurrence s’il convient ou non d’envoyer cette lettre, comme si elle émanait, semble-t-il, de la Chambre des communes. » Et encore : « Il s’agit pour moi de décider en l’occurrence si la personne concernée a violé les privilèges de la Chambre. »

L’auteur de la lettre qui est, ainsi que je l’ai dit, un ancien député, a nié formellement dans une lettre adressée à votre Président, au leader à la Chambre et à plusieurs autres députés, avoir expédié cette lettre sur du papier à lettre de la Chambre des communes. Cette dénégation est renforcée par la déclaration du président du groupe qui revendique la responsabilité des envois postaux en cause. Selon cette déclaration, le groupe a pris le texte de l’auteur rédigé sur papier blanc sans en-tête, l’a incorporé dans un assemblage comprenant deux ou trois spécimens d’en-tête du Parlement et l’a expédié dans des enveloppes préparées selon le même procédé.

Au cours de nos discussions du 23 avril dernier, on a bien précisé, je pense, que notre ancien collègue non seulement n’était nullement responsable de l’utilisation impropre de l’en-tête de la Chambre des communes, mais s’était même donné beaucoup de mal pour expliquer à la Chambre à la première occasion sa position dans cette affaire. En outre, je crois qu’on a reconnu que la Chambre n’avait nullement été induite en erreur au sujet du statut de l’ancien député.

Cela dit, je dois me limiter à la question suivante : cette utilisation non autorisée de l’en-tête de la Chambre des communes par un groupe américain constitue-t-elle une affaire d’une gravité suffisante pour justifier qu’on mette de côté les travaux ordinaires de la Chambre?

À cet égard, je rappelle à tous les députés la fonction limitée que le commentaire 84(2) de la cinquième édition de la Jurisprudence parlementaire de Beauchesne attribue au Président lorsqu’il s’agit pour lui de rendre une décision sur une allégation de violation de privilège. Je tiens aussi à répéter ce que j’ai déjà dit maintes fois par le passé, soit que le Président ne décide pas si une violation de privilège ou un outrage a été effectivement commis. Le Président détermine uniquement si une demande fondée sur une allégation d’outrage ou de violation de privilège revêt à première vue une importance suffisante pour mettre de côté les travaux ordinaires de la Chambre et rechercher immédiatement une décision de la Chambre.

Dans ses remarques, le député de Glengarry—Prescott—Russell m’a renvoyé à une décision rendue le 6 mai 1985 où il s’agissait d’un ancien député qui avait été qualifié de député dans une publicité parue dans un journal. Dans ce cas, le Président conclut que la question de privilège paraissait fondée de prime abord, déclarant que « toute tentative de semer la confusion sur l’identité d’un député risque d’empêcher ce député de remplir ses fonctions comme il se doit »[2].

La présidence indiqua aussi, dans ce cas, que la seule preuve tangible était celle que lui avait fournie le député qui avait soulevé la question de privilège. Cette affaire ne correspond certainement pas exactement à celle qui nous occupe maintenant, car il a été établi dans ce cas-ci qu’il n’y a pas eu de confusion sur l’identité de l’ancien député et, en outre, celui-ci a établi à la première occasion, par une preuve documentaire, qu’il n’était pas responsable de l’utilisation impropre du papier à lettre de la Chambre des communes.

Le député de Glengarry—Prescott—Russell a déclaré ceci :

Ce qui est grave, c’est que les personnes qui ont lu ces articles, dont plusieurs milliers d’exemplaires ont été distribués, auront cru, à tort, qu’ils émanaient de la Chambre ou d’un de ses représentants. C’est en ce sens […] qu’il a été porté atteinte aux privilèges des députés de la Chambre.

Le ministre d’État et leader du gouvernement à la Chambre (l’hon. Harvie Andre) a dit qu’il était évidemment inadmissible que quiconque utilise frauduleusement le papier à en-tête de la Chambre des communes en lui attribuant une valeur officielle. Tout en affirmant que la personne responsable des envois postaux en question avait certes abusé des privilèges de la Chambre, il s’est demandé si nous pouvions faire appliquer ces privilèges en dehors de nos frontières.

Le député de Kamloops (M. Nelson Riis), qui avait aussi donné avis de son intention de soulever cette question, a fait remarquer que « le leader du gouvernement à la Chambre a reconnu qu’il y avait bel et bien eu atteinte au privilège de la Chambre ».

Le député s’est reporté à [la première édition de] l’ouvrage de Maingot, Le privilège parlementaire au Canada, page 233, où l’atteinte aux droits collectifs de la Chambre est qualifié d’outrage.

Le député de Kamloops a ajouté : « La Chambre a assurément les mêmes droits que d’autres entreprises, y compris le droit important de revendiquer l’usage exclusif de ses armes héraldiques et de son papier à lettre et de ne pas être obligé de tolérer que d’autres personnes faussent ses opinions. »

J’ai écouté avec une vive attention les avis exprimés sur cette affaire par les députés qui ont fait une intervention et examiné les faits avec un très grand soin. Il apparaît que la perpétration de cet affront a provoqué un sentiment d’outrage unanime. Il semble aussi qu’on soit d’accord, de tous les côtés de la Chambre, pour reconnaître qu’il y a eu atteinte aux privilèges de la Chambre dans le sens le plus large du terme.

Il reste toutefois que la présidence doit déterminer quel est le privilège de la Chambre auquel on a précisément porté atteinte. Je dois reconnaître que l’acte reproché n’entre proprement dans aucune des grandes catégories sous lesquelles sont classés les droits et immunités personnels des députés ou les droits et pouvoirs collectifs de la Chambre.

La difficulté de classer dans une catégorie cette violation de privilège prétendue a amené la présidence à se demander si l’acte en cause ne constituait pas en fait un cas d’outrage et non de violation de privilège, soit, généralement parlant, une atteinte à l’autorité ou à la dignité de la Chambre des communes.

La présidence a conclu qu’il n’y a pas eu atteinte à un privilège et qu’on peut au moins soutenir, par contre, qu’il s’agit d’un cas d’outrage. Cette conclusion a peu d’importance en pratique, cependant, car, de toute façon, la question que la présidence doit ensuite trancher est la même, et c’est la suivante : cette affaire a-t-elle assez d’importance pour qu’on lui accorde un traitement privilégié — en d’autres termes, devrait-elle être soumise à la Chambre immédiatement?

Si je répondais affirmativement, le député qui a soulevé la question de privilège serait invité à proposer à la Chambre une motion portant renvoi de l’affaire au Comité des privilèges et des élections. Cette motion pourrait alors être débattue, amendée et mise aux voix. Selon l’issue de cette procédure, l’affaire pourrait ensuite être étudiée par un comité et revenir devant la Chambre, le cas échéant, lors du rapport du comité.

Lorsqu’il s’agit de décider s’il y a lieu de conclure que la question de privilège ou d’outrage se pose à première vue, la présidence doit tenir dûment compte de tout le processus complexe qu’entraîne le traitement privilégié de la question.

Dans le cas qui nous occupe, nous avons affaire à l’utilisation impropre d’un fac-similé du papier à lettre de la Chambre des communes, vraisemblablement dans une tentative désespérée pour conférer un semblant de valeur officielle à la cause de l’auteur du méfait. D’autre part, Je délit s’est produit aux États-Unis, là où ni la Chambre ni ses comités ne peuvent exercer quelque autorité que ce soit. La présidence est peu disposée à accorder à une affaire de cette nature l’importance qui s’y attacherait sans aucun doute si je concluais que la question d’outrage se pose à première vue et je refuse par conséquent de le faire.

Pour conclure, la présidence veut exprimer sa gratitude au député de Glengarry—Prescott—Russell, au député de Kamloops et au leader du gouvernement à la Chambre pour la qualité de leur [contribution] à cette discussion. Ils ont fait leurs interventions dans les plus pures traditions de cet endroit, se concentrant sur la question de procédure soulevée et évitant de débattre la teneur de la lettre litigieuse.

La présidence a noté la retenue dont ils ont fait preuve à cet égard. Nous courons toujours le risque d’offrir, sous le couvert de la défense de nos privilèges, une tribune à ceux qui professent des opinions contraires aux nôtres. Ce danger a été fort bien évité en l’occurrence et je sais gré à tous les députés de la collaboration qu’ils ont apportée à cet égard.

F0107-f

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1990-05-17

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[1] Débats, 23 avril 1990, p. 10522-10528.

[2] Débats, 6 mai 1985, p. 4439.