Les comités / Président de comité outrepassant ses pouvoirs

Délibérations des comités; obstruction systématique; limitation du débat; attribution de temps; article 78(3) du Règlement; pouvoirs du président du comité; applicabilité du Règlement de la Chambre aux travaux des comités; retrait d'une motion; absence de consultation; droits de la minorité; droits de la majorité; appel de la décision du président du comité; comités maîtres de leurs travaux; non-ingérence du Président dans les délibérations; conduite du président de comité

Débats, p. 9756-9758

Contexte

Le 21 mars 1990, l'hon. Roger Simmons (Burin- St. Georges) soulève une question de privilège pour contester la décision prise la veille par le président du Comité permanent des finances, M. Don Blenkarn (Mississauga-Sud).  Depuis le 19 mars 1990, le Comité débattait une motion de M. René Soetens (Ontario) relative à l'étude du projet de loi C-62, Loi visant à mettre en œuvre la taxe sur les produits et services. M. Simmons soutient que le président du Comité a outrepassé ses pouvoirs en interrompant les délibérations, en déclarant la motion de M. Soetens retirée d'office et en présentant un projet de motion d'attribution de temps. M. Simmons reproche également au président d'avoir déclaré que cette intervention de sa part constituait une décision et qu'il ne pouvait y avoir de rappel au Règlement ni de débat. Cette décision a alors été contestée par certains membres du Comité, puis maintenue majoritairement par un vote par appel nominal. Le président a par la suite déclaré, sans mise aux voix, la réunion ajournée.

span>Plusieurs députés prennent la parole au cours du long débat qui s'ensuit. Certains se demandent si un président de comité peut présenter une motion, s'il peut attribuer une période de temps pour l'étude d'une question, s'il peut ajourner une séance arbitrairement et si les droits de la majorité et de la minorité ont été équitablement respectés. Le Président prend l'affaire en délibéré[1] et rend une décision le 26 mars 1990. Celle-ci est reproduite intégralement ci-dessous.

Décision de la présidence

M. le Président: Le 21 mars 1990, la présidence a reçu plusieurs avis de questions de privilèges concernant une initiative prise par le président du Comité permanent des finances le 20 mars 1990.

Les députés se sont plaints de ce que le président du Comité, le député de Mississauga-Sud, aurait outrepassé ses pouvoirs en mettant fin au débat sur une motion, en déclarant cette motion retirée et en présentant une nouvelle ordonnance portant attribution de temps pour l'étude en comité du projet de loi relatif à la taxe sur les produits et services. Le président a en outre déclaré que cette intervention de sa part constituait essentiellement une décision et qu'il ne pouvait y avoir de rappel au Règlement ni de débat. L’initiative du président a été formellement mise en question par un membre du Comité et la décision du président a été subséquemment confirmée par un vote par appel nominal, à raison de 7 votes affirmatifs et 4 votes négatifs. Le président du Comité a alors déclaré la réunion ajournée, sans mise aux voix, jusqu'au 26 mars 1990 à 15 h 30.

Le Président a souvent informé la Chambre que les incidents et les points de procédure qui interviennent en comité devraient être réglés en comité, à moins que le comité ne fasse d'abord rapport à la Chambre. J'ai toutefois dit à la Chambre que cette pratique n'avait pas un caractère absolu et que, dans des circonstances spéciales très graves, le Président peut devoir se prononcer sur une question intéressant un comité bien que le comité n'ait pas fait rapport à la Chambre.

L’affaire qui a été portée à l'attention de la présidence est grave. La preuve en est que huit députés ont déposé des avis de questions de privilège et que la présidence a entendu des arguments à ce sujet pendant près de deux heures mercredi dernier.

Comme l'affaire est grave, la présidence l'abordera de façon assez détaillée. Pour que les choses soient claires, je vais d'abord énumérer les points dont j'ai l'intention de traiter.

Premièrement, il y a les points soulevés par le député de Burin-Saint­ Georges, à l'appui desquels le député d'Ottawa—Vanier (M. Jean-Robert Gauthier), le député de Yorkton-Melville (M. Lorne Nystrom) et le député d'Edmonton-Est (M. Ross Harvey) sont aussi intervenus.

Le président du Comité a-t-il outrepassé ses pouvoirs: a) en déclarant une motion retirée? b) en refusant les rappels au Règlement? c) en suspendant arbitrairement les travaux du Comité?

Deuxièmement, il y a le point soulevé par le député de Yorkton-Melville, qui concerne une affaire semblable survenue le 6 juin 1984 au Comité permanent de la justice et des questions juridiques. S'agit-il d'un précédent valable qu'il y a lieu de respecter?

Troisièmement, le député de Nickel Belt (M. John Rodriguez) a invoqué le principe du droit parlementaire britannique qui veut qu'on doive protéger la minorité contre la tyrannie de la majorité. Il m'a demandé d'étudier l'article du Règlement et de chercher également ailleurs une orientation à suivre. La question posée est donc la suivante : le Président de la Chambre devrait-il annuler une décision majoritaire prise en comité?

Enfin, le député de Burnaby-Kingsway (M. Svend Robinson) a renvoyé la présidence à l'article 78(3) du Règlement qui concerne l'attribution de temps. La question est la suivante : cet article du Règlement s'applique-t-il aux comités?

Permettez-moi d'examiner maintenant chacun de ces points :

D'abord, le président du Comité des finances a-t-il outrepassé ses pouvoirs? Le président d'un comité est élu par ce dernier. Comme le Président de la Chambre, il est le serviteur du corps qui l'a élu. Il répond de ses actes devant le comité et c'est là qu'on devrait normalement se prononcer sur sa conduite, tant que le comité n'a pas, le cas échéant, choisi de faire rapport à la Chambre-chose que ce Comité n'a pas encore choisi de faire.

Voilà la tradition de la Chambre des communes canadienne. Pour respecter cette tradition, je devrais donc éviter de faire des observations sur la conduite du député de Mississauga-Sud et laisser le Comité donner suite à cette affaire, s'il le désire. Les députés disposent en outre d'autres moyens pour provoquer un débat sur une question de ce genre à la Chambre. Dans le cas présent, en tant que Président, j'ai décidé de résister aux exhortations des députés et à ma tentation de commenter à ce moment -ci la conduite du président du Comité.

Je passe maintenant à la question de savoir si l'incident survenu en 1984 au Comité permanent de la justice et des questions juridiques constitue un précédent valable.

Voici un résumé de cet incident. Le Comité était saisi d'un projet de loi et les choses n'avançaient pas. Le président prit sur lui de dénouer l'impasse. Le Comité confirma sa décision par un vote majoritaire, l'opposition votant contre. Le président du Comité reconnut la portée de son initiative, sur le plan parlementa ire, en démissionnant dès que le projet de loi eut été rapporté à la Chambre. affaire fut soulevée à la Chambre le 8 juin 1984 et Madame le Président Sauvé[2] refusa d'être saisie d'une question de privilège, invoquant le commentaire 76 de la cinquième édition de Beauchesne.

L’affaire ne s'arrête pas là, toutefois, et ce qui s'est produit ensuite est fort intéressant. À la réunion suivante du Comité, on a réélu la même personne à la présidence du Comité sur motion d'un membre de l'Opposition officielle, appuyée par un député du Nouveau Parti démocratique! On relève tous ces faits dans les procès-verbaux du Comité permanent de la justice et des questions juridiques du 6 et du 19 juin 1984. C'est, comme il se devait, le Comité, et non le Président de la Chambre, qui décida de l'issue de l'affaire en question. Je tiens cependant à mettre en garde les députés qui considéraient cette affaire comme un précédent. Ce qui s'est produit ne consiste qu'en une série d'événements et de décisions prises en comité par la majorité. Ni la Chambre, ni le Président n'ont accordé à ces incidents quelque valeur de précédent en matière de procédure. On doit faire preuve de circonspection avant d'attacher à de tels faits et incidents la qualité de balises en matière de procédure.

Examinons maintenant les points soulevés par le député de Burnaby­ Kingsway relativement à l'attribution de temps. Voici le texte de l'article 78(3) du Règlement:

Un ministre de la Couronne qui, de son siège à la Chambre, a déclaré à une séance antérieure qu'il n'avait pas été possible d'en arriver à un accord, en vertu des dispositions des paragraphes (1) ou (2) du présent article, relativement aux délibérations à l'étape de l'étude d'un projet de loi public dont la Chambre ou un comité est saisi, et qui a donné avis de son intention de ce faire, peut proposer, au cours des délibérations relatives aux Ordres émanant du gouvernement , une motion aux fins d'attribuer un nombre spécifié de jours ou d'heures aux délibérations à cette étape et aux décisions requises pour disposer de cette étape; cependant, le temps attribué à une étape quelconque ne doit pas être moindre qu'un jour de séance et, aux fins du présent paragraphe, une seule motion peut prévoir l'attribution de  temps pour les délibérations tant à l'étape du rapport qu'à celle de la troisième lecture d'un projet de loi, pourvu qu'elle soit conforme aux dispositions de l'article 76(10) du Règlement. Lors de l'étude d'une motion de ce genre, aucun député ne peut prendre la parole plus d'une fois ni pour plus de dix minutes. Deux heures au plus après le début des délibérations à ce sujet, l’Orateur doit mettre aux voix toutes les questions nécessaires en vue de disposer de ladite motion. Toutes délibérations interrompues conformément au présent paragraphe sont réputées ajournées.

On peut effectivement rendre cette disposition du Règlement applicable à l'étape de l'étude en comité, mais il faut pour cela qu'une proposition en ce sens soit faite à la Chambre par un ministre. Dès lors qu'une telle motion est adoptée, elle devient une directive faisant obligation au comité chargé de l'étude du projet de loi de mener ses travaux relatifs à ce dernier conformément au vœu exprimé par la Chambre.

Enfin, je dois dire que le point qu'a soulevé le député de Nickel Belt est celui qui cause le plus de souci à la présidence, car c'est un point extrêmement valable. La question est la suivante : quand le Président de la Chambre intervient-il et décide-t-il que la majorité a commis un abus de pouvoir?

J'aimerais rappeler aux députés certaines observations que j'ai faites à la Chambre le 14 avril 1987 (à la page 5119 du Hansard). J'ai alors dit ce qui suit:

Il est essentiel pour notre régime démocratique que les sujets controversés puissent faire l'objet d'un débat d'une durée raisonnable, que l'on dispose de toutes les occasions raisonnablement possibles d'entendre les arguments pour et contre les sujets en cause, et que des tactiques dilatoires raisonnables soient permises afin de donner aux adversaires d'une mesure la chance de convaincre le public d'appuyer leur point de vue. Toute question doit, tôt ou tard, être tranchée et c'est la majorité qui décide. Les règles de la procédure protègent à la fois la minorité et la majorité, et elles sont conçues pour permettre aux partisans et aux adversaires d'une mesure de s'exprimer à fond. Elles assurent à l'opposition un moyen de retarder une décision et permettent aussi à la majorité de limiter le débat afin d'en arriver à une décision. Ce genre d'équilibre est essentiel à la procédure d'une assemblée démocratique. Nos règles n'ont certainement jamais été conçues pour permettre la frustration totale d'une partie ou de l'autre, la stagnation totale du début ni la paralysie totale du système.

Le député de Nickel Belt a suggéré que je cherche ailleurs des éléments d'orientation, mais j'ai relevé un commentaire du Président Lamoureux qui est tout à fait à point. Le 24 juillet 1969, le Président Lamoureux disait ceci :

Des députés veulent que la présidence invoque l'article 51 du Règlement pour substituer son jugement à celui de certains députés. Puis-je agir ainsi tout en respectant la tradition au Canada, en Grande-Bretagne et dans tous les régimes parlementaires, selon laquelle l'Orateur n'est pas le maître de la Chambre, malgré les dispositions de l'article 51? L’Orateur est un serviteur de la Chambre. On veut peut-être faire de moi le maître de la Chambre aujourd'hui, mais si demain, en d'autres circonstances, je cherchais à me prévaloir de ce privilège, on changerait peut-être alors d'avis. Je deviendrais un héros, je suppose, si je prenais sur moi de juger des situations politiques comme celle-ci et de substituer mon jugement à celui de certains députés, d'une majorité d'entre eux ou peut-être, parfois, d'une minorité. Ce n'est pas là, je pense, le rôle d'un Orateur dans notre régime de gouvernement. Je ne me sens pas en mesure d'assumer cette responsabilité. Il est de mon devoir, je crois, de statuer sur de telles questions conformément aux règles et aux dispositions du Règlement dont les députés eux-mêmes ont confié l'application à l'Orateur[3].

Fin de la citation.

À la lumière de notre longue pratique et des sages observations du Président Lamoureux, j'ai choisi de ne pas substituer mon jugement à celui qu'a exprimé la majorité au Comité des finances, à moins que cette majorité ne décide de soumettre son dilemme à la Chambre.

La présidence a été incapable de trouver une justification pour agir à ce moment-ci; cela ne veut pas dire que le Président n'interviendrait pas dans des circonstances différentes-si je suis circonspect dans ma façon d'agir aujourd'hui c'est simplement parce que la présidence n'exerce pas de surveillance sur les présidents de comités permanents. Cette fonction est celle des membres de chaque comité et ceux-ci disposent de toute évidence de voies de recours autres que celle consistant à invoquer la question de privilège à la Chambre.

D'un autre côté, les présidents de comité devraient être soucieux de leurs responsabilités et veiller à ce que les décisions qu'ils prennent ou rendent ne s'écartent pas de l'équilibre délicat prévu par nos règles.

Je remercie la Chambre de sa patience et les députés, de leurs interventions.

J'exhorte tous les présidents et tous les membres de comité, autant que faire se peut, à respecter scrupuleusement dans leurs délibérations le Règlement de la Chambre des communes. Je rappelle aux députés que l'examen interminable des questions de privilège soulevées au sujet de ce qui se passe aux comités, sauf les cas extrêmes où le Président de la Chambre doit intervenir, occupe une grande partie du temps de la Chambre. J'invite tous les députés à réfléchir avec soin à ce que j'ai dit, et peut-être aussi à ce que je n'ai pas dit, dans le cadre de cette décision.

Post-scriptum

Dans son quatrième rapport déposé le 30 avril 1990, le Comité permanent des finances a en effet recommandé « d'examiner les règles de procédure qui ont trait à la limitation des débats lorsque les travaux d'un comité sont dans l'impasse » et que cette proposition soit soumise au Comité permanent des privilèges et des élections. Le rapport a été adopté le même jour[4] et, par conséquent, le Comité des privilèges et des élections a étudié cette question. Le vingt-cinquième rapport du Comité permanent des privilèges et des élections intitulé « Procédure relative à la clôture des débats en comité » a été déposé à la Chambre le 20 mars 1991 mais n'a jamais été adopté [5].

F0914-f

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1990-03-26

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[1] Débats, 21 mars 1990, p. 9588-9604.

[2] Débats, 8 juin 1984, p. 4484. Ce fut en fait le Président Francis et non le Président Sauvé.

[3] Débats, 24 juillet 1969, p. 11568.

[4] Journaux, 30 avril 1990, p. 1612-1613.

[5] Journaux, 20 mars 1991, p. 2727.