Merci, monsieur le président.
Je vais mettre de côté le débat sur la poutine et revenir au projet de loi C-10. Je vais reprendre pratiquement du début, parce que je ne sais pas à quel moment l'interprétation a cessé.
Tout d'abord, je voudrais remercier tous les membres du Comité d'avoir accepté de continuer à débattre de la motion de ma collègue Mme Harder. Le principe qu'elle défend dans sa motion, c'est-à-dire la liberté d'expression, est à la base même de la Charte canadienne des droits et libertés. Je pense qu'il s'agit d'un enjeu que tout député, quelle que soit sa formation politique, devrait prendre en considération dans tout projet.
Certaines personnes à l'écoute ne le savent peut-être pas, mais, pour chaque projet de loi, le ministre de la Justice doit déposer des recommandations, ou du moins un avis, afin de s'assurer que le projet de loi respecte la Charte canadienne des droits et libertés et la liberté d'expression.
En ce sens, j'invite tous les membres du Comité et les gens qui nous écoutent à consulter l'énoncé publié par le ministre de la Justice le 18 novembre 2020 à propos du projet de loi C-10. Il avait fait une analyse de l'article 4.1 proposé par le projet de loi. Or, maintenant que les libéraux ont décidé, il y a plus d'une semaine, de supprimer cet article proposé, l'analyse faite par le ministre quant aux enjeux liés à la liberté d'expression et à la Charte canadienne des droits et libertés ne peut plus du tout s'appliquer de la même manière.
La fin de semaine dernière, dans les médias et dans les réseaux sociaux, on a pu voir les libéraux, en l'occurrence le ministre Guilbeault et ses amis, essayer de faire croire aux Canadiens et aux Canadiennes, ainsi qu'aux Québécois et aux Québécoises, que les conservateurs étaient contre la culture, ne voulaient pas la défendre et s'opposaient au projet de loi visant à modifier la Loi sur la radiodiffusion. Je tiens à souligner que ce n'est pas du tout le cas. Là n'est pas le débat.
Au contraire, depuis le début, l'ensemble des membres du Comité démontrent une volonté réelle de faire avancer ce projet de loi, qui est malheureusement imparfait, tout le monde en conviendra. À preuve, à la suite de diverses consultations, 118 amendements ont été déposés, dont 27 par le gouvernement lui-même et par les députés libéraux du Comité. C'est dire à quel point le projet de loi était mal ficelé dès le départ.
D'après notre analyse, en supprimant sans préavis cet article du projet de loi il y a un peu plus d'une semaine, le gouvernement a donné au CRTC le pouvoir de réglementer les utilisateurs de réseaux sociaux qui font des téléchargements, au lieu de s'occuper des grands joueurs, des GAFA de ce monde, comme il prétend le faire. À la base, nous sommes d'accord qu'il faut une réglementation pour que les diffuseurs numériques soient assujettis à la Loi sur la radiodiffusion au même titre que les radiodiffuseurs conventionnels.
Nous ne sommes pas en guerre contre la culture; la motion dont nous débattons aujourd'hui n'a rien à voir avec cela. En retirant l'article 4.1 proposé à l'article 3 du projet de loi, le gouvernement a lui-même ouvert une brèche. Dès lors, nous ne pouvons pas continuer notre travail sans obtenir un nouvel avis du ministre de la Justice, qui, soit dit en passant, est un libéral. J'ai donc de la difficulté à comprendre pourquoi mes collègues libéraux et le ministre s'opposent à notre demande, c'est-à-dire obtenir un nouvel avis du ministre de la Justice. Nous voulons qu'il comparaisse à notre comité pour clarifier cette question et nous dire si la suppression de cet article du projet de loi crée une brèche dans la liberté d'expression.
Par ailleurs, il est préoccupant de voir que le ministre, lors de sa participation à une émission en fin de semaine, n'a pas été en mesure d'expliquer pourquoi, au départ, le projet de loi proposait l'ajout de cet article à la Loi, ni même pourquoi il avait ensuite décidé de le supprimer complètement, sans prévoir aucune autre précision ou mesure d'encadrement.
Si les partis de l'opposition, c'est-à-dire le Parti conservateur, le NPD, le Bloc québécois et le Parti vert, étaient les seuls à poser des questions là-dessus, les gens qui nous écoutent pourraient penser qu'ils le font de manière partisane. Or, de nombreux experts, que ce soit des spécialistes de la liberté d'expression ou de la Charte canadienne des droits et libertés, des professeurs d'université ou d'anciens commissaires ou administrateurs du CRTC, ont levé un drapeau rouge pour dire qu'une brèche réelle avait été créée par le gouvernement lui-même.
Certaines citations passées du premier ministre et du ministre lui-même laissent entendre qu'ils étaient en faveur de la réglementation d'Internet et des discours qu'on y retrouve. Croyez-moi, cela fait peur. Or, quand on voit que, dans le cadre de ce même débat sur la liberté d'expression vendredi passé, le gouvernement a essayé de nous bâillonner en mettant fin au débat, c'est doublement épeurant.
Nous devons prendre le temps de faire les choses correctement. Même si, afin de protéger la liberté d'expression, nous devions prolonger d'une semaine, de deux semaines ou de trois semaines notre étude du projet de loi C-10, nous devrions tous être très fiers de le faire.
Nous ne remettons pas en question la culture. Nous voulons tous protéger notre culture et nos radiodiffuseurs. Nous voulons tous nous assurer que la réglementation sera juste et équitable pour les diffuseurs numériques et les radiodiffuseurs conventionnels. Présentement, une brèche a été créée au cours du processus par lequel nous nous prononçons sur les amendements un à la fois. Nous ne pourrons pas continuer notre travail tant et aussi longtemps que nous n'aurons pas de réponse à ce sujet.
Comme je l'ai dit précédemment, l'ancien commissaire du CRTC Peter Menzies a déclaré, dans une entrevue, que le projet de loi C-10 ne faisait pas qu'enfreindre la liberté d'expression, mais qu'il constituait une attaque en règle contre celle-ci et, par voie de conséquence, contre les fondements mêmes de la démocratie.
Nous avons également entendu l'opinion de Michael Geist, professeur émérite de droit à l'Université d'Ottawa. Il est tellement reconnu dans son domaine que le gouvernement subventionne ses projets. Il est tout sauf un conservateur ou un libéral; il n'a aucune couleur politique. Il était même très critique à l'égard de l'ancien gouvernement conservateur. Ceux qui ont bien fait leurs devoirs et vérifié ses déclarations à l'aide d'une recherche sur Google ont pu le constater. Il a dit qu'il n'avait jamais vu, dans l'histoire du Canada, un gouvernement aussi anti-Internet.
On peut également penser à tous les autres intervenants et groupes de défense des droits et libertés qui ont fait des déclarations publiques, notamment la directrice d'OpenMedia.
Je pense aussi à James Turk, directeur du Centre pour la liberté d'expression de l'Université Ryerson, qui a dit que le gouvernement Trudeau, en modifiant le projet de loi C-10, prévoyait donner au CRTC le pouvoir de réglementer le contenu généré par les utilisateurs sur des sites Web comme YouTube. Selon lui, c'est dangereux; le gouvernement va trop loin et on doit l'arrêter.
Nous n'inventons rien. Je ne cite même pas tous les analystes politiques qui s'intéressent à ces questions. Malheureusement, je dois souligner qu'au Québec, on n'en entend pas beaucoup parler encore. Cette idée commence à peine à percoler. Cependant, je pense que les analystes du Canada anglais ont compris ce que le gouvernement libéral avait tenté de faire.
J'espère que mes collègues seront capables de mettre de côté la partisanerie. Dieu sait qu'il ne devrait pas y en avoir lorsqu'il est question de liberté d'expression. Nous devrions attendre d'obtenir un avis clair sur cette question avant de poursuivre l'étude article par article du projet de loi.
Si quelqu'un doit se sentir responsable du fait que ce processus prend du temps, c'est le ministre du Patrimoine canadien lui-même. Premièrement, son gouvernement a prorogé le Parlement. Deuxièmement, ce gouvernement, qui est au pouvoir depuis bientôt six ans, a mis tout ce temps à déposer un projet de loi afin de légiférer en matière de radiodiffusion. Troisièmement, il a décidé de son propre chef de faire supprimer un article complet du projet de loi, ce qui a eu pour effet de s'attaquer à la liberté d'expression.
Pour toutes ces raisons, nous devons prendre le temps nécessaire pour bien faire les choses. Le ministre peut bien nous attaquer tant qu'il veut, je vais continuer de bien dormir le soir, car je saurai que je travaille pour protéger les droits et les libertés des Canadiens, des Canadiennes, des Québécois et des Québécoises. Je suis d'autant plus satisfait de le faire quand je me trouve en face d'un gouvernement qui tente de son propre chef de s'attaquer à ces libertés.
J'espère que mes collègues nous appuieront et nous permettront de demander des clarifications au ministre du Patrimoine canadien et au ministre de la Justice, d'une part, et de demander au ministre de la Justice de fournir un nouvel avis légal, afin que nous pussions continuer à faire notre travail en tant que législateur au Parlement du Canada.