Bonjour à tous.
Je sais que vous ne tarderez pas à savoir que je dois prendre un vol. Cela ne m'inquiète pas. L'important, c'est de bien faire les choses ici. N'hésitez donc pas à me poser des questions.
Je m'appelle Rick Woodburn et je suis président de l'Association canadienne des juristes de l'État. Nous représentons quelque 7 500 avocats de la Couronne de partout au pays, des 10 provinces et du gouvernement fédéral, tant des procureurs que des juristes. Nos propositions prennent donc en compte un vaste éventail d'opinions.
Je n'ai pas déposé de mémoire. J'ai toutefois réduit le nombre de propositions que nous formulerons, et nous entendrons bien entendu vos questions.
Je remercie le Comité de nous avoir invités. Je vous en suis reconnaissant. Il se peut que certains de nos commentaires soient un peu à contre-courant. Je ne veux dénigrer personne, ni les rédacteurs du projet de loi, ni quiconque y a travaillé avec diligence, mais nous aimerions l'examiner plus en détail.
Notre rôle ne sera pas d’appuyer ou de rejeter le projet de loi en soi. Nous souhaitons toutefois vous faire part des arguments pour et contre et vous donner une idée de ce que les procureurs et les avocats de la Couronne pensent de ce projet de loi sur le terrain.
Les avocats de la Couronne ne sont évidemment pas tous d'accord avec tous les articles du projet de loi. Certains sont pour, d'autres contre, et j'espère arriver à vous en faire part aujourd’hui, à tout le moins à vous transmettre de l'information qui vous permettra peut-être de faire marche arrière; lorsque vous réfléchirez à d'éventuelles modifications et aux différents articles, j'espère que ces renseignements vous aideront à savoir ce qui se passe sur le terrain.
Le premier point que nous aimerions examiner est la réforme du cautionnement, en particulier le remplacement des articles 523 et 524 par le nouvel article 523.1.
Mon interprétation du nouvel article 523.1, qui précéderait directement l'article 524 et qui reprend l'article au complet, c'est que l'article 523 n'est pas supprimé, si j'ai bien compris. Par conséquent, la Couronne a toujours la possibilité de demander la révocation de la mise en liberté sous caution d’une personne. Pour les procureurs de la Couronne, cette procédure supplémentaire ne fait que rajouter, dans certains cas, à une autre audience administrative pour non-respect d'une ordonnance et ainsi de suite. Ce nouvel article est donc redondant à bien des égards. Notre but à tous ici est d'éviter les retards, et l'ajout d'un article redondant dans le Code criminel ne nous aide pas nécessairement à atteindre ce but.
Je m'explique.
Conformément à l'actuel article 523, la Couronne peut, à la discrétion, faire tout ce que dit le nouvel article 523.1. Nous pouvons laisser tomber l'accusation, demander la révocation du cautionnement et ainsi de suite. Nous pouvons déjà faire tout cela. Le nouvel article 523.1 présuppose que les avocats de la Couronne ne prennent pas connaissance des accusations lorsqu'ils interviennent une première fois pour évaluer le bien-fondé de la cause, mais nous le faisons. En tant qu'avocats de la Couronne, il est important pour nous de nous assurer que ces infractions, ce non-respect des conditions de libération sous caution, soient prises en compte. Nous disons que c'est seulement là une étape de plus qui n'est pas nécessaire en réalité parce que les avocats de la Couronne font déjà leur travail à cet égard.
L’autre point intéressant à relever au sujet des infractions contre l'administration de la justice ou des cas de non-respect des conditions de mise en liberté, c'est qu'on semble beaucoup insister sur leur nombre et sur l'engorgement du système qui en découle. Je peux vous dire d'expérience que ces cas n'engorgent pas le système et ne causent pas de retards. Le non-respect d'une ordonnance judiciaire est très facile à prouver, même lorsque cela conduit à un procès, ce qui est très rare. N'oubliez jamais que ces infractions n'engorgent pas le système. Elles sont nombreuses, mais elles n'engorgent pas le système.
L'autre chose qu'il faut savoir au sujet de ces infractions, de ces non-respects d'une ordonnance du tribunal, c'est qu'il est important que tout le monde comprenne que c'est une pierre angulaire de notre système de cautionnement: toute personne mise en liberté sous caution est censée respecter les conditions et, si elle ne le fait pas, elle sera alors arrêtée et conduite devant le tribunal. Il doit avoir une pénalité pour ces manquements. D'après ce que je comprends du nouvel article 523.1, s'il est appliqué, ce sera davantage une tape sur les doigts. Croyez-moi, les contrevenants vont vite comprendre qu'ils peuvent tirer profit de cette nouvelle disposition. Ils seront de plus en plus nombreux à enfreindre leurs conditions de mise en liberté sous caution.
Ce ne sont là que quelques arguments au sujet de la réforme du cautionnement. Nous répondrons, bien entendu, à vos questions à ce sujet.
Concernant les enquêtes préliminaires, beaucoup de choses ont été dites. J'ai entendu certains témoignages et lu une partie des mémoires. Les opinions sont très divergentes sur la suppression des enquêtes préliminaires pour les infractions non punissables d'une peine d'emprisonnement à perpétuité.
Les avocats de la Couronne sont également divisés sur cette question et j'aimerais vous faire part des arguments pour et contre. Premièrement, l'un des avantages les plus évidents concerne les victimes d'agression sexuelle. Bien sûr, comme l'a fait remarquer un témoin ici même, le fait que ces victimes doivent témoigner deux fois les victimise doublement, comme je l'ai moi-même constaté. Supprimer cette obligation encouragera peut-être certaines victimes à se manifester dans les procès pour agression sexuelle, sachant qu'elles seront appelées à témoigner qu'une seule fois. Quand nous parlons de témoins, j'inclus également les enfants.
Pour une raison ou une autre, le projet de loi n’inclut pas les agressions sexuelles graves. Dans ces cas, bien sûr, le droit à une enquête préliminaire existe.
Du point de vue de la Couronne, les actuelles dispositions sur les enquêtes préliminaires posent problème. Je parle notamment de ce qu'on appelle les audiences de préparation à l'enquête au cours desquelles les avocats de la Couronne et de la défense se présentent devant le tribunal et tentent de circonscrire les points en litige. La plupart du temps, nous constatons que nous n'arrivons pas à le faire. Nous finissons par tenir des mini-procès au cours desquels nous devons défendre notre cause conformément au critère établi dans l'affaire Sheppard, bien entendu. Les audiences préalables à l'enquête dont il est question dans le Code criminel ne fonctionnent pas nécessairement comme on vous l'a expliqué.
L'autre point consiste à présenter notre cas par écrit ou à ajouter les déclarations des témoins et ainsi de suite. Chaque administration a sa propre manière de procéder, mais d'après ce que j'entends, la plupart des tribunaux n'autorisent pas cette pratique et les avocats de la défense n'acceptent pas que la Couronne procède à une enquête préliminaire sur dossier. Les choses se passent différemment d'un tribunal à l'autre. Nous constatons que la suppression de l'enquête préliminaire présente des avantages, je suppose, dans certains cas.
Le côté négatif, c'est que les parties, tant la Couronne que la défense, n'ont pas la possibilité d'analyser le cas, de rencontrer les témoins, de voir comment les éléments de preuve se présentent. Cela ne permet pas aux avocats de la Couronne et de la défense d'en arriver à un règlement après l'enquête préliminaire. Ce sont quelques-uns des éléments manquants qui ressortent lorsque nous discutons de la question.
Il y a des avantages et des inconvénients, et nous avons déjà entendu parler de certains. Il est donc important de les garder à l'esprit.
Un autre point important, ce sont les récusations péremptoires des jurés. J'ai probablement plaidé dans plus d'une cinquantaine de procès devant jury et assisté à de nombreuses récusations motivées; cette procédure dure entre une journée et une journée et demie dans le cas des procès pour homicide. C'est donc un long processus actuellement, surtout si vous devez en plus tenir compte des exemptions générales, des particularités, des récusations péremptoires et, parfois, des récusations motivées dépendant de l'importance du cas.
Je constate, dans les nouveaux articles 638 et 640 du projet de loi, que malgré la suppression des récusations péremptoires, l’article sur la récusation motivée est toujours là. Si vous regardez le nouveau paragraphe 640(2), vous verrez que ni l'avocat de la défense ni l'avocat de la Couronne ne peuvent mettre en doute l'impartialité d'un juré. Selon l'interprétation qui en est faite, le terme « juré » signifie le jury. Pour une récusation motivée, c'est donc cet article-là qui est invoqué. Si vous l'examinez attentivement, vous constaterez que l'aboutissement logique de cet article, c'est que nous risquons d'avoir des récusations motivées dans un plus grand nombre de procès, ce qui exige beaucoup de temps. Cela pose donc un problème.
L'autre point, c'est que la décision ultime concernant chaque juré sera prise par le juge.
Si vous regardez comment cela se traduira dans le cas d'une récusation motivée, certaines questions sont soulevées et tranchées par la Couronne et la défense. Chaque juré est convoqué et interrogé. La manière dont cela se passera, selon nous, c'est que les jurés seront convoqués et interrogés et que la Couronne et la défense auront la possibilité de s'adresser à eux; le juge prendra ensuite une décision quant à l'impartialité de chaque juré, jusqu'à ce que nous en ayons 12, 14 ou 16, en fonction du déroulement du procès, ce qui en allongera de beaucoup la durée, par exemple, d'un, deux ou trois jours, selon les cas.
Cela nous paraît très problématique parce que ce qui était un petit cas au départ devient un cas beaucoup plus important; c'est du moins ce que nous pensons, mais nous pouvons comprendre la logique de cela.
Bien entendu, il y a les affaires. La Cour suprême du Canada a affirmé qu'un juge doit rester à l'écart des audiences sur l'impartialité afin que sa décision sur l'impartialité d'un juré le place directement dans le processus de sélection du jury. La Cour suprême du Canada dit que cette pratique pourrait être inconstitutionnelle et c'est justement là que cette partie du projet de loi pourrait être contestée après quelques procès devant jury. Selon nous, c'est problématique.
Où en sommes-nous pour le temps?