Monsieur le Président, je remercie mon presque voisin de Longueuil—Saint-Hubert de son accueil chaleureux.
Nous parlons aujourd'hui du projet de loi C-82, qui n'a pas nécessairement le titre le plus excitant au monde, mais qui touche un enjeu extrêmement important. Je parle de la Loi mettant en œuvre une convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices. Il peut y avoir des projets de loi compliqués à la Chambre, mais rares sont ceux dont le titre peut utiliser une portion importante du temps que nous avons pour prendre la parole.
Blague à part, l'évitement fiscal et l'évasion fiscale sont des enjeux fondamentaux. L'urgence d'agir à l'égard de ces enjeux est de plus en plus présente, non seulement dans nos esprits comme législateurs, mais aussi dans l'esprit de la population. Cela peut sembler être un sujet qui n'interpelle pas nécessairement le commun des mortels. Quand nous faisons du porte-à-porte dans nos circonscriptions, quand nous avons la chance d'échanger avec des citoyens lors de différentes activités dans nos circonscriptions, les lois sur le revenu et l'impôt et les ententes fiscales signées avec d'autres pays peuvent sembler être des concepts qui sont très loin de l'esprit des gens. Ces derniers se concentrent sur la vie quotidienne, sur le fait d'envoyer les enfants à l'école, de prendre soin de leur santé et de gérer leur propre budget.
Or, ce qui interpelle les gens, c'est l'iniquité fondamentale que représente cette situation. Les gens paient leurs impôts, et l'Agence du revenu du Canada s'attaque avec acharnement à des mères de famille monoparentale, qui ont simplement mal compris un formulaire, ou qui ont changé de situation, qui se sont séparées du père de leur enfant, par exemple. Je connais personnellement des individus dans mon entourage qui ont vécu ces situations déplorables. Je ne sais pas si mes collègues ont déjà eu la chance de lire les lettres que l'Agence envoie à ces personnes. Même en tant que membre du Comité permanent des finances, je me demande si on pourrait bien comprendre les pages et les pages de texte et de phrases qui ne veulent rien dire. C'est tellement compliqué. On ne devrait pas avoir à faire affaire avec un comptable ou même, dans certaines cas, avec un avocat, simplement à cause des agissements d'une agence qui est supposé être le bon gestionnaire de l'argent des contribuables.
Cette situation est déjà déplorable en soi, mais elle l'est encore plus quand on considère que des PDG d'entreprises, des individus les mieux nantis, et, malheureusement, très souvent, des amis de ceux qui sont au pouvoir, profitent de toutes ces exemptions, de toutes ces lois qui sont mal ficelées, de toutes ces ententes qui ne vont pas assez loin. Contrairement à la mère de famille monoparentale, pour garder cet exemple, ils sont en train de profiter de vacances personnelles à la Barbade. En plus, ils laissent leur argent là tandis qu'ils y sont. C'est inacceptable.
En tant que société, nous ne pouvons l'accepter. Notre richesse collective, le contrat social dans lequel nous nous engageons comme citoyens d'une société en payant des impôts, et le travail que nous demandons au gouvernement de faire en notre nom avec notre argent, est l'un des aspects les plus fondamentaux de notre société. Quand on considère que des personnes ne veulent pas respecter ce contrat, ne veulent pas respecter cet engagement, on réalise que, quelque part, on a échoué. Quelque part, le gouvernement a échoué à une de ses fonctions de base.
Ces politiques, ces échecs, creusent un fossé profond et noir, un grand écart inéquitable entre les mieux nantis et ceux qui le sont moins. C'est drôle, parce que le premier ministre aime parler de la classe moyenne et de ceux qui travaillent fort pour s'y joindre. La réalité, c'est que, quand je suis dans ma circonscription, je ne n'observe pas la classe moyenne et ceux qui travaillent fort pour s'y joindre. Ce que je constate, c'est qu'il y a des honnêtes citoyens qui travaillent fort, et il y a ceux qui n'ont besoin de rien faire, sachant pertinemment qu'ils vont toujours avoir la faveur de ceux qui sont au pouvoir. C'est ce qui est déplorable.
Dans ma circonscription, il y a des personnes qui sont relativement bien nanties. Ce sont des personnes que le premier ministre aime bien cibler, parce qu'il les traite de tricheurs. Ce sont des entrepreneurs qui gèrent des petites et moyennes entreprises et qui, du point de vue de certains, sont peut-être parmi une classe plus privilégiée de la société. Ils ont bien gagné leur vie et ils ont travaillé très fort comme entrepreneurs, mais ce n'est pas d'eux qu'il est question.
Il y a aussi des personnes dans ma circonscription qui peinent à mettre de la bouffe sur la table et qui peinent à payer leur loyer ou leur hypothèque. Ces personnes ont une différence énorme de moyens et de mode de vie. Cependant, ils ont une chose en commun, et c'est une chose qui anime mon travail comme député. Tous sont honnêtes et tous pensent ceci:
« La marée montante fait avancer tous les bateaux. »
C'est l'idée que nous sommes dans une société où cette richesse collective nous sert tout un chacun. Ils sont d'accord là-dessus. Ultimement, ce qu'on voit, c'est le fameux 1 % le mieux nantis, parfois, c'est littéralement le 1 % de la population et des fois c'est une manière de décrire les donateurs du Parti libéral, qui sont les amis du ministre des Finances. Ultimement, ils profitent d'un système qui fondamentalement ne fonctionne plus.
Revenons à la substance du projet de loi. Je voudrais tout d'abord saluer l'excellent travail du député de Sherbrooke qui est notre porte-parole en matière de revenu national. Il a fait un travail extraordinaire sur cette question qui est extrêmement complexe. C'est difficile de le croire pour certains, mais il est le plus jeune député élu dans l'histoire du Canada au fédéral. Non seulement a-t-il réussi à se faire réélire grâce à son travail acharné, mais il est aussi un député qui connaît si bien ses dossiers qu'il peut travailler à cette question extrêmement compliquée.
On peut aussi saluer le travail du député de New Westminster—Burnaby qui, comme porte-parole en matière de finances pour le NPD, fait aussi un travail exceptionnel. Après tout, c'est notre travail.
Nous avons déposé une motion à la Chambre et notre collègue de Joliette a déposé aussi une motion dans le même sens. Nous demandons au gouvernement d'en faire plus et de régler les différents problèmes et les échecs qui existent dans le système et que je viens d'énumérer il y a quelques instants, dans mon discours.
Le projet de loi qui est devant nous vise à mettre en oeuvre des instruments multilatéraux et tente de régler le fait que certaines de nos conventions avec d'autres pays sont caduques. Ces instruments sont une étape importante qui va permettre d'apporter plus facilement des changements à nos ententes multilatérales ou bilatérales.
Les gens doivent comprendre que les ententes, les accords et les conventions qui sont signés entre le Canada et d'autres pays, souvent, empirent le problème. En effet, on nous dit que ces ententes sont signées pour éviter la double imposition. Par exemple, une entreprise ou un individu va payer ses impôts soit au Canada soit dans un autre pays. Or, on constate que la loi qui doit être mise à jour, ainsi que d'autres éléments du cadre légal font que ces conventions facilitent l'évasion fiscale et l'évitement fiscal, bien qu'elles ne le devraient pas, dans un monde idéal.
Nous allons appuyer le projet de loi parce nous considérons que ce sont de bonnes mesures qui vont nous permettre de faire un pas dans la bonne direction. Cependant, soyons clairs. Notre appui à ce projet de loi en deuxième lecture n'est pas un chèque en blanc. Nous sommes loin d'appuyer l'approche du gouvernement libéral qui s'est avérée jusqu'à présent un échec. Le projet de loi que nous appuyons ne nous permet pas non plus d'ignorer que le gouvernement n'a pas agi dans toutes les autres questions qui nous préoccupent relativement à l'évitement fiscal et à l'évasion fiscale.
Regardons le paragraphe 95(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu et le règlement 5907 de l'impôt sur le revenu. On considère que les dividendes d'une société filiale étrangère sont exempts d'imposition au Canada. Cela veut dire qu'il y a des entreprises qui font beaucoup d'argent grâce à une activité et même à la consommation des consommateurs québécois et canadiens. Ils font leur argent ici, mais ils sont en train de gonfler leurs profits parce qu'ils sont exemptés de payer de l'impôt au Canada.
La question des échappatoires est une question de gros bon sens. On ne parle pas ici d'entreprises qui mènent 95 % de leurs activités dans d'autres pays et 5 % de leurs activités au Canada. On parle d'entreprises qui font l'inverse. Grossièrement, ce sont des entreprises qui ont ouvert un compte de banque dans un autre pays où elles n'ont presque aucune activité économique et qui mènent la majeure partie de leurs activités aux États-Unis ou encore au Canada. C'est un grand échec et on n'a toujours pas mis la loi à jour, ce qui aurait pourtant été si facile. Le projet de loi dont nous débattons contient des éléments liés à l'évasion fiscale et à l'évitement fiscal, mais nulle part il n'y est question de réviser ces éléments de la loi.
C'est drôle, car plus tôt aujourd'hui, j'ai entendu un député libéral dire que c'était une priorité du gouvernement depuis son premier jour au pouvoir. Pourtant, trois ans après l'arrivée au pouvoir des libéraux, rien n'a été fait, malgré toutes les pressions de la société civile, d'acteurs importants de la société et même, dans certains cas, d'anciens candidats du Parti libéral. Au Québec, il y a eu une mobilisation extraordinaire sur cette question. Nous et nos collègues des autres partis étions très fiers d'être les porte-étendards de ces voix. Pensons au collectif Échec aux paradis fiscaux et à l'organisme non partisan Réseau pour la justice fiscale Québec. Ce sont des exemples frappants.
En ouvrant une parenthèse, sans vouloir être trop méprisant, c'est ce qui arrive quand les 41 députés libéraux québécois demeurent muets. Quand on entend ces voix fortes de la société civile au Québec, on se dit que ces députés ne sont pas seulement muets, mais sourds aussi, parce qu'ils n'entendent pas la voix de leurs concitoyens.
Je suis extrêmement inquiet de constater qu'aucun parti ayant été au pouvoir n'est irréprochable dans cette histoire. Je n'ai qu'à reprendre l'exemple que j'ai soulevé plus tôt, lorsque j'ai posé une question à un député conservateur. Dans la dernière législature, au cours du débat sur le projet de loi de mise en oeuvre de l'entente de libre-échange avec le Panama, qui a été négociée et signée par les conservateurs, j'ai soulevé un point extrêmement important qui démontre que cette question d'évasion fiscale et d'évitement fiscal ne date pas d'hier. Cela fait longtemps qu'on en parle et cela fait longtemps que le fédéral ne prend pas les mesures nécessaires attendues par les citoyens.
Pour revenir à cette entente avec le Panama, celui-ci est connu comme étant l'un des mauvais acteurs en matière d'évasion fiscale et d'évitement fiscal. Même les États-Unis, qui sont très loin d'être un berceau progressiste, surtout à la lumière des événements récents, ont compris qu'il était primordial d'exiger formellement de la part d'un pays comme le Panama, en échange d'une entente de libre-échange et de l'ouverture de leurs marchés, qu'il veille à ce que leur soit retourné tout l'argent qui appartient au gouvernement et aux contribuables et qui a été mis de côté par des personnes qui ne respectent pas leurs obligations envers notre société. Par l'entremise de cette entente, entre autres, les États-Unis ont réussi à rapatrier une partie de cet argent, malgré qu'il reste beaucoup de travail à faire.
Toutefois, qu'est-ce que le Canada a fait à ce sujet? On a seulement soulevé la question, sans même parler des problèmes liés aux normes de protection de l'environnement ou aux conditions de travail des travailleurs au Panama. On a ignoré ces questions cruciales. Même si on se limite à ce seul élément, le gouvernement n'a rien fait quand nous avons soulevé la question.
Cela est extrêmement préoccupant, parce que le gouvernement ne cesse de nous répéter qu'il va négocier sur la base de valeurs progressistes et qu'il va parler de la réconciliation avec les peuples autochtones, de l'égalité des genres et de la protection de l'environnement. Je suis d'accord là-dessus, bien sûr. Après tout, ce sont des questions que nous soulevons fièrement, au NPD, tous les jours à la Chambre des communes.
Cependant, lorsqu'on a un programme progressiste, il faut aussi promouvoir l'équité. Il faut poser des gestes visant à éliminer l'écart entre les amis du pouvoir, ceux qui peuvent se permettre d'aller en vacances à la Barbade et d'apporter leur portefeuille avec eux, et les honnêtes personnes qui travaillent fort dans nos communautés, les biens nantis comme les moins bien nantis, soit les entrepreneurs, les mères monoparentales et toutes les autres personnes qui se font harceler par l'Agence du revenu du Canada. Cela doit cesser. Je me répète, mais il le faut.
Je ne peux donc qu'espérer que le gouvernement, au moment de négocier ces ententes, reconnaîtra qu'on doit poursuivre dans cette voie et exiger un meilleur comportement de la part de certains acteurs délinquants sur la scène internationale. C'est peut-être un optimisme mal placé, puisque ce gouvernement a une mauvaise tendance à cet égard.
Lorsqu'ils sont arrivés au pouvoir, les libéraux ont dit en grande pompe que le Canada était de retour, mais qu'est-ce que le Canada fait? D'abord, on permet à Netflix, à Facebook, à Google et aux grandes entreprises multinationales américaines de se sauver sans payer leur juste part d'impôt. Puis, on permet aux milliardaires donateurs du Parti libéral et amis du ministre des Finances de faire la même chose et de se soustraire à leurs obligations envers notre pays. Ensuite, on permet aux acteurs délinquants en matière d'environnement de se soustraire à leurs obligations. Nous ne respectons même pas nos propres obligations. De plus, on continue d'exporter des armes vers des pays comme l'Arabie saoudite. À ce sujet, on dirait que les libéraux essaient de se racheter, à en croire les reportages médiatiques.
Si tout cela est pertinent dans le cadre du débat sur le projet de loi C-82, c'est parce que celui-ci parle d'un instrument multilatéral. Si le Canada était véritablement de retour, il ferait davantage preuve de leadership pour ce qui est de prêter main-forte aux pays qui veulent lutter contre l'évasion fiscale, l'évitement fiscal et tous les autres problèmes que je viens d'énumérer. Or le Canada donne plutôt un abri aux acteurs délinquants et laisse perdurer une situation qui existe depuis trop longtemps.
J'aimerais expliquer pourquoi tout cela est si important en termes que les gens à la maison peuvent comprendre. Je ne dis pas cela de façon condescendante, au contraire. Quand je reçois moi-même des lettres de l'Agence du revenu du Canada, ma première réaction est souvent de me demander de quoi il s'agit. Lorsqu'on reçoit ces lettres, on demande parfois à des amis si on s'en va en prison, parce qu'on ne comprend pas. Voilà comment on traite les mères monoparentales, les personnes malades et les personnes handicapées qui veulent obtenir les prestations auxquelles ils ont droit.
La députée de Sarnia—Lambton disait qu'il s'agissait de gestes criminels. Elle s'est elle-même levée à la Chambre des communes pour parler des personnes diabétiques qui ont été ciblées par l'Agence du revenu du Canada, ce qui est complètement inacceptable. Toutefois, la ministre du Revenu national continue de parler de la somme de 1 milliard de dollars. On n'arrête pas de parler d'argent, mais si la loi et les conventions ne changent pas, on ne fait que lancer de l'argent par la fenêtre. L'expression est ici bien employée, car après tout, c'est ce que les mieux nantis de notre société sont en train de faire, et c'est d'autant plus comique que cet argent tombe très loin des coffres du gouvernement fédéral. C'est inacceptable.
Je m'adresse maintenant à tous mes concitoyens. On peut débattre du code de conduite fiscal et de la loi sur l'impôt, mais en fin de compte, on doit reconnaître que le gouvernement n'a connu que des échecs pour ce qui est de resserrer l'écart entre les mieux nantis et les moins nantis. Pour y arriver, le gouvernement doit commencer par des gestes concrets et simples.
En appuyant le projet de loi C-82 en deuxième lecture aujourd'hui, j'implore de nouveau le gouvernement d'agir pour mettre fin à l'évasion fiscale et à l'évitement fiscal, ce qu'il aurait pu faire en appuyant la motion du NPD. Il doit surtout mettre fin à cette injustice qui pèse lourd dans l'esprit des personnes honnêtes qui tentent simplement de vivre leur vie et de profiter d'une collectivité et d'un contrat social important selon lequel il faut d'abord fournir sa part d'efforts.