propose que le projet de loi C-268, Loi modifiant le Code criminel (intimidation de professionnels de la santé), soit lu pour la deuxième fois et renvoyé à un comité.
— Madame la Présidente, je suis fière de prendre la parole aujourd'hui pour amorcer le débat sur mon projet de loi d'initiative parlementaire, le projet de loi C-268, Loi sur la protection de la liberté de conscience. Je m'en voudrais de ne pas mentionner que ce projet de loi découle du travail acharné et de la détermination d'anciens députés. La première version d'un projet de loi qui portait sur cet enjeu avait été présentée par le regretté Mark Warawa en 2016. Cependant, il n'avait pas franchi d'étapes subséquentes puisque le gouvernement avait présenté le projet de loi C-14.
J'estime que c'est pour moi un immense honneur que mon projet de loi porte le même numéro que le sien, le projet de loi C-268. Après que le projet de loi C-14 a été promulgué, mon ancien collègue David Anderson avait présenté son projet de loi d'initiative parlementaire, le projet de loi C-418, qui est mort au Feuilleton lors du déclenchement des élections en 2019.
J'aimerais remercier toutes les personnes qui ont défendu cette cause au fil des années et je suis reconnaissante de leur volonté de collaborer avec moi.
Partout au Canada, des spécialistes se sont exprimés pour nous informer et nous conseiller, alors que des milliers de Canadiens manifestaient leur appui pour la protection de nos libertés fondamentales. Même si de nombreux dictionnaires donnent leur propre définition du mot « conscience », tous s’accordent à dire qu’il s’agit du sentiment intérieur qui permet à chacun de différencier le bien et le mal et de guider son comportement.
Cardus a publié un article intitulé La liberté de conscience, un droit essentiel, qui en parle dans les termes suivants:
Le mot « conscience » vient du mot latin conscientia et est lié à la notion grecque de syndérèse. Alors que le mot conscientia renvoie à la mise en application de nos connaissances morales dans des situations particulières, la syndérèse renvoie à la conscience morale que chacun possède et qui lui intime de faire le bien et d’éviter le mal.
Le projet de loi C-268 est simple dans le sens où il cherche à inscrire dans la loi un critère minimal de liberté de conscience à l’échelle nationale pour les professionnels de la santé, tout en respectant la compétence de mes homologues provinciaux, qui pourront aller plus loin à partir de ce texte. Ce projet de loi répond aux appels des groupes de défense des droits des personnes handicapées, des Premières Nations, de l’Association médicale de l'Ontario et d’un grand nombre de professionnels de la santé et de la santé mentale qui souhaitent protéger la liberté de conscience.
Le projet de loi ferait en sorte que les professionnels de la santé qui décident de ne pas participer à la prestation du suicide assisté ou de l'aide médicale à mourir, ou de ne pas aiguiller un patient vers ce service ne puissent jamais faire l'objet de pressions, que ce soit par la violence, par des menaces, par la coercition ou par l'éventuelle perte de leur emploi, pour renoncer aux droits protégés par l'article 2(a) de la Charte. Le projet de loi vise également à protéger le droit des patients d'obtenir un deuxième avis, ce qui protégerait le système de santé.
Au cours de mes consultations, je me suis entretenue avec Heidi Janz, une défenseure des droits des personnes handicapées. Elle m'a raconté qu'elle est née en Union soviétique. Les médecins ont dit à ses parents qu'elle ne pourrait jamais marcher, parler ou penser et qu'elle dépendrait des autres tout au long de sa courte vie. Ils ont conseillé à ses parents de la placer dans un établissement et d'oublier qu'ils l'avaient eue. Heidi Janz a une paralysie cérébrale grave.
Ses parents ont ignoré le discours dominant de leur époque. Ils aimaient leur fille et estimaient que sa vie avait une valeur. Éventuellement, ils ont trouvé le soutien dont ils avaient besoin. Aujourd'hui, Heidi Janz détient un doctorat et est professeure auxiliaire en éthique à l'Université de l'Alberta. Dans ses temps libres, elle est dramaturge et auteure. En dépit de son horaire chargé, elle préside le comité de l'éthique en fin de vie du Conseil des Canadiens avec déficiences.
Mme Janz est une femme remarquable. Bien que certaines personnes la prennent en pitié, elle n'a rien à faire de cette pitié. Elle dit que, bien que tout le monde affirme que la vie avec un handicap est sûrement difficile, elle choisit chaque jour de faire mentir cette impression. Elle dit aussi que les personnes handicapées ne se limitent pas à leur diagnostic et peuvent être beaucoup plus. Elle en est elle-même la preuve.
Si ses parents avaient suivi le point de vue dominant de l'époque, elle n'aurait jamais eu la chance de montrer qu'une autre avenue était possible. Si ses parents n'avaient pas eu la possibilité d'obtenir l'aide dont ils avaient besoin pour avoir accès à une seconde opinion cruciale, aucun député n'entendrait aujourd'hui parler de cette femme fantastique. Il ne s'agit pas d'une histoire purement théorique.
Dans la même ligne d'idées, plus tôt cette année, la ministre des Relations Couronne-Autochtones, qui est médecin, a écrit aux gens de sa circonscription pour leur parler de l'âgisme qu'elle a constaté dans le système de santé à l'endroit de son père, un homme de 93 ans.
Je ne vais pas répéter toute l'histoire, mais je vais seulement citer les deux dernières phrases:
L'état de santé de mon père s'est amélioré sans qu'il soit pris en charge par le service de soins intensifs, mais je me rappelle avoir su défendre fermement ma position en tant que médecin. J'étais inquiète à l'idée que d'autres familles ne soient pas en mesure de remettre en question les options manifestement âgistes qui leur sont proposées.
Le père de la ministre et tous les Canadiens ont le droit de trouver un médecin qui leur offrira de l'espoir, un autre choix, une deuxième option. Tous les Canadiens méritent de pouvoir se prévaloir de ce droit.
Cependant, ce droit est loin d'être garanti au Canada. Nous avons adopté des mesures législatives qui ont comme conséquence imprévue de forcer des médecins et des professionnels de la santé à donner la mort à des patients, peu importe s'ils croient ou non que c'est dans l'intérêt supérieur du patient. Le projet de loi C-14 et le projet de loi C-7 ont établi des normes pour offrir l'aide médicale à mourir et l'aide au suicide, mais pas pour protéger la liberté de conscience. Malgré ce qu'en disent certaines personnes, il est tout à fait absurde d'affirmer qu'un projet de loi sur le droit à la liberté de conscience nuirait au rôle des provinces, mais que ce n'est pas le cas des mesures législatives sur l'aide médicale à mourir.
Nous parlons de la toute première liberté fondamentale qui est énoncée dans la Charte. Protéger la liberté de conscience est la responsabilité du Parlement et du gouvernement du Canada. C'est pourquoi j'ai présenté ce projet de loi et pourquoi il devrait être adopté. Surtout, c'est la chose à faire pour les patients et les professionnels de la santé.
Certains ont tenté de présenter la liberté de conscience comme opposant les droits du patient et ceux du médecin. Or, rien n'est plus faux. La liberté de conscience est en fait essentielle au fonctionnement de notre système de santé. Les patients ont le droit d'obtenir une deuxième opinion, mais ce n'est pas possible si tous les professionnels de la santé sont obligés de fournir la même liste d'options.
Les soins de santé reposent essentiellement sur la relation entre le médecin et son patient. Prenons l'exemple d'un psychiatre qui est en faveur de l'aide médicale à mourir dans certains cas, mais qui traite depuis 15 ans un patient souffrant de périodes de dépression accompagnées d'idées suicidaires. Pendant ces 15 années, ils ont construit une relation de confiance. Qu'arriverait-il si ce patient, alors aux prises avec des idées suicidaires, demandait le suicide assisté? Selon la loi actuelle, le psychiatre serait obligé de renvoyer le patient à quelqu'un d'autre afin qu'il puisse mourir. Le psychiatre doit le faire même s'il sait que les idées suicidaires sont temporaires et que le patient est joyeux et aime la vie en dehors de ces épisodes difficiles et que ce serait une erreur de mettre fin à cette vie. Il a les mains liées. Est-ce bien ce qu'on entend par des soins médicaux?
Certains diront peut-être qu'il y a des mesures en place pour éviter de telles tragédies, mais les députés en sont-ils tout à fait sûrs? L'adoption du projet de loi C-7 a contribué à la disparition de bon nombre de ces mesures. Nous parlons de mettre fin à une vie humaine. Il n'y a pas de place pour le « peut-être » quand il y a une vie dans la balance. En matière de protection, la première ligne de défense ne devrait-elle pas être l'expertise des professionnels de la santé qui sont les plus compétents sur le sujet? S'ils ne croient pas que la mort soit la solution, ne devrions-nous pas au moins nous demander s'ils ont raison? Il s'agit, après tout, d'une question de vie ou de mort.
L'aide médicale à mourir et le suicide assisté sont faciles à obtenir partout au Canada. Il y a des lignes téléphoniques où obtenir des renseignements, des hôpitaux dotés de professionnels de la santé prêts à intervenir et même des adresses électroniques pour aider à fixer des rendez-vous. En un mot, l'aide médicale à mourir devient le statu quo. Prétendre que protéger la liberté de conscience des professionnels de la santé empêchera ceux qui souhaitent vraiment s'en prévaloir d'avoir accès à l'aide médicale à mourir est trompeur et alarmiste.
L'Association médicale canadienne a dit en termes clairs que le respect de la liberté de conscience par des mesures de protection n'aurait pas d'effets sur l'accès à l'aide médicale à mourir parce qu'il y avait plus de médecins que nécessaire prêts à l'offrir. Une étude de l'Université McGill, qui montre que 71 % des jeunes diplômés de l'école de médecine accepteraient de l'offrir, confirme cet état de fait.
Toutes les affaires judiciaires en la matière montrent clairement que les droits des professionnels de la santé prévus par la Charte sont violés lorsqu'ils sont obligés de proposer ou de recommander le suicide assisté ou l'aide médicale à mourir. En faisant preuve de bon sens, on peut s'en rendre compte aussi. Nous sommes certainement assez intelligents pour garantir l'accès à l'aide médicale à mourir tout en protégeant le droit fondamental à la liberté de conscience garanti par la Charte.
Selon moi, ce n'est pas un hasard si l'ancien premier ministre Pierre Trudeau a placé le droit à la liberté de conscience en tête des droits énumérés dans notre Charte. Cela vise à reconnaître que l'État ne peut ni ne doit tenter de forcer quiconque à faire quelque chose qu'il considère comme étant immoral.
Des dizaines de dirigeants des Premières Nations ont écrit à l'ensemble des députés et des sénateurs. Ils ont dit: « Compte tenu des conséquences néfastes du colonialisme que nous avons eu à subir au cours de notre histoire ainsi que des valeurs et des idées rattachées à une autre culture qui nous sont involontairement imposées, nous estimons que les gens ne devraient pas être contraints de fournir l'aide médicale à mourir ou d'y participer. »
Nous prétendons être une société pluraliste et libre. Si c'est bien le cas, nous sommes tenus de faire preuve de tolérance à l'égard des points de vue moraux d'autrui. Certains soutiennent que des protections existent déjà dans le projet de loi C-14. Bien que je félicite l'ancienne ministre de la Justice, la députée de Vancouver Granville, d'avoir fait en sorte que le projet de loi reconnaisse le droit à la liberté de conscience, la reconnaissance ne suffit plus. On relève des cas où des professionnels de la santé se voient forcés, parfois par la voie de l'intimidation, de participer au suicide assisté même si cela va à l'encontre de leur conscience.
La Dre Ellen Warner, une oncologue au service de ses patients depuis 30 ans, m'a raconté son expérience. Elle a dit:
Les Canadiens seront à mon avis choqués d'apprendre que les fournisseurs de soins de santé sont contraints d'administrer l'aide médicale à mourir, mais c'est pourtant souvent le cas. Un brillant collègue a été contraint de devenir le médecin légalement responsable de l'aide médicale à mourir dans son service. Son départ, quand il a choisi de changer de poste, a représenté une grande perte pour nous. Deux autres collègues de travail m'ont dit que, malgré de fortes objections morales, ils administreraient l'aide médicale à mourir si on le leur demandait par crainte de perdre leurs emplois. Lors d'une de nos réunions de service, un psychiatre a affirmé haut et fort que tout médecin qui n'appuie pas activement l'aide médicale à mourir n'a pas sa place dans notre hôpital.
Enfin, d'aucuns ont laissé entendre que les professionnels de la santé devraient laisser leurs principes moraux chez eux. Pourtant, personne ne croit ou ne veut vraiment cela. À titre d'exemple, personne ne voudrait qu'un médecin fasse abstraction de ses principes si on lui offrait un pot-de-vin pour faire passer une personne devant d'autres sur une liste d'attente. Si nous demandons aux professionnels de la santé de s'astreindre à respecter des normes plus élevées, nous ne pouvons pas leur dire de faire fi de leurs principes moraux. Comme la Dre Ellen Warner l'a dit, « le groupe qui a le plus à perdre, s'il n'y a pas de protection de la liberté de conscience, c'est celui des patients, les personnes que nous voulons tous aider ».
Le projet de loi protégerait la relation médecin-patient de sorte que les médecins et les autres professionnels de la santé soient toujours en mesure de recommander et de fournir les soins qu'ils estiment les meilleurs pour leurs patients. Les Canadiens tiennent à ce que le projet de loi soit adopté. Les professionnels de la santé du Canada y tiennent aussi. De plus, il faudra que les gouvernements provinciaux protègent leurs droits au moyen de lois et de règlements provinciaux.
J'encourage tous les députés à faire ce qui s'impose et à adopter la loi sur la protection de la liberté de conscience.