Monsieur le Président, je proposerai un amendement à la fin de mon discours. J'aimerais donc qu'on me l'indique lorsqu'il restera une minute à mon temps de parole.
J'aimerais faire part à la Chambre de quelques citations pertinentes.
Tout d'abord, je vais aborder le sujet dont je viens de parler dans la question que j'ai posée au député de Yellowhead. Au Canada, l'isolement préventif est un fléau. On en abuse depuis de nombreuses années. Ce dossier date d'avant l'arrivée au pouvoir du gouvernement actuel.
Lors de la législature précédente, deux de nos collègues, soit le député d'Esquimalt—Saanich—Sooke, qui était le porte-parole en la matière, et l'ancienne députée d'Alfred-Pellan, Rosane Doré Lefebvre, qui était la porte-parole adjointe, posaient de nombreuses questions au sujet de la commission d'enquête chargée d'examiner les circonstances tragiques entourant la mort d'Ashley Smith. D'ailleurs, j'invite tous les parlementaires qui veulent se prononcer sur cette affaire à prendre connaissance du dossier.
C'est horrifiant de constater que cette adolescente, cette enfant, a été tuée. Les conclusions de l'enquête témoignaient de la négligence et de l'abus du système carcéral. Le Service correctionnel du Canada doit assumer sa responsabilité dans cette tragédie.
C'est particulièrement troublant quand nous considérons que sa famille — sa mère et sa sœur, si je me souviens bien — est venue témoigner devant le comité sénatorial. La sénatrice Pate, qui a fait un travail extraordinaire dans ce dossier bien avant d'être nommée au poste de sénatrice, les avait invités à témoigner. Lors de leurs témoignages, les membres de la famille ont exprimé leur déception et leur colère à l'égard du premier ministre et du ministre de la Sécurité publique. Ces derniers avaient le mandat de mieux faire les choses, afin que les circonstances entourant la mort d'Ashley ne se reproduisent pas. Ils se sont servis de son nom et de sa mémoire pour justifier leur approche. Or, au bout du compte, leur approche ne fera rien pour régler la situation.
Depuis l'arrivée au pouvoir des libéraux, deux tribunaux et la Cour suprême ont fait des demandes de prolongation et le gouvernement a fait une demande de sursis, étant donné que la législation qui est devant nous n'a pas encore été adoptée. Les tribunaux ont constaté ce que nous savons depuis fort longtemps, soit que l'utilisation abusive de l'isolement préventif est anticonstitutionnelle.
Ce constat est extrêmement troublant. Il y a de nombreux cas d’abus. En passant, ces cas d’abus n’ont pas seulement cours au niveau fédéral. Toutefois, vu nos champs de compétence et le temps limité dont nous disposons, nous ne pouvons pas examiner les nombreux cas troublants qui nous préoccupent, dont celui qui s’est produit récemment en Ontario.
Il ne faut pas oublier, et c'est important, que la solution proposée par le gouvernement n'en est pas une. C'est tout le contraire en fait. Si les parties prenantes, dont les proches de victimes de l'usage excessif de l'isolement dans certains cas, trouvent cette mesure législative déplorable, c'est qu'il ne s'agit en fait que d'un changement superficiel. C'est toujours le même isolement, mais sous un autre nom.
Comme c'est malheureusement trop souvent le cas avec le gouvernement, nous nous retrouvons à proposer des amendements et à apporter des changements au projet de loi, en indiquant que certaines choses pourraient être améliorées. Selon les spécialistes, les tribunaux vont continuer de juger cette pratique contraire à la Constitution, et ce, même si on lui donne un autre nom, comme unités d'intervention structurée. J'aurai quelques citations pour la Chambre à ce sujet un peu plus loin.
Le projet de loi C-83 est un des premiers projets de loi étudiés par le comité auquel tous les témoins s'opposaient. J'avais rarement vu une telle chose jusqu'à il y a tout récemment. Il y a eu quelques autres cas du genre depuis. Je suis sûr que les députés libéraux pourraient produire quelques citations pour montrer que les agents correctionnels pensent que l'approche est valable. Les témoins s'opposaient cependant à cette approche parce qu'un certain nombre d'éléments nécessaires manquaient.
Un des amendements qui nous sont proposés par le Sénat est l'approbation judiciaire de la présence d'un détenu en isolement cellulaire. Cela ne date pas d'hier. La juge Louise Arbour avait fait une enquête à la suite d'émeutes dans une institution en Saskatchewan. Elle avait constaté que l'utilisation abusive de l'isolement carcéral avait une incidence sur le détenu.
Les juges exercent leurs responsabilités et utilisent leur pouvoir en imposant parfois une sentence d'incarcération à un détenu. Or on constate que, s'il y a une utilisation abusive de l'isolement carcéral, les institutions, leurs dirigeants et, au bout du compte, Service correctionnel Canada se trouvent à modifier la décision du juge. Ils sont en train de modifier la sentence qui a été mise en avant par le juge. C'est ce que la juge Arbour avait argüé, et c'est pour cette raison qu'elle avait évoqué l'utilisation d'une surveillance judiciaire.
Ce qui me préoccupe tout particulièrement, c'est que le gouvernement a rejeté mon amendement et l'amendement de la sénatrice Pate. Après avoir écouté le discours que la secrétaire parlementaire a prononcé plus tôt ce soir, je crois comprendre que le gouvernement a rejeté ces amendements parce qu'ils alourdiraient la charge de travail des tribunaux provinciaux. Toutefois, ce qui est triste et tragique dans cet argument, c'est que le recours abusif à l'isolement est la seule raison pour laquelle ces amendements causeraient ce problème. En effet, de nombreuses personnes sont inutilement assujetties à cette pratique.
Pour ce qui est des délinquantes en particulier, j'ai présenté au comité un amendement visant à mettre fin complètement à cette pratique dans les établissements pour femmes. Pourquoi? Les chiffres nous révèlent deux choses. Premièrement, le nombre de femmes placées en isolement cellulaire est infime. Cette pratique n'est pas nécessaire pour assurer la sécurité dans les établissements, alors que, manifestement, c'est la principale raison invoquée pour y avoir recours. Deuxièmement, les femmes enceintes, les femmes atteintes de problèmes de santé mentale et les femmes autochtones sont celles qui sont les plus perturbées par le recours abusif à l'isolement cellulaire. Il y a certainement un argument à faire valoir à ce sujet. Par ailleurs, la pratique devrait à tout le moins être assujettie à un contrôle judiciaire.
En fait, on pourrait également soutenir que l'amendement de la sénatrice Pate va trop loin, mais je ne le crois pas. Comme je l'ai dit, cela nous incite à appuyer l'amendement, mais il y a aussi d'autres solutions. J'ai présenté un amendement qui proposait une période plus longue de 15 jours avant d'exiger un contrôle judiciaire. C'était certainement un seuil plus long et plus large que celui proposé par la sénatrice Pate. Cet amendement a aussi été rejeté.
Le fait est que le problème auquel nous sommes confrontés est très contradictoire. J'aimerais revenir à une autre question soulevée par la secrétaire parlementaire au sujet du fardeau que nous imposons aux provinces. La secrétaire parlementaire a parlé du fardeau imposé aux établissements et aux hôpitaux provinciaux de santé mentale. C'est une des raisons pour lesquelles je tenais aux amendements du Sénat. Les députés me pardonneront de ne pas me rappeler l'amendement précis, mais c'est ce qui a été proposé.
Ma collègue provinciale à Queen's Park, Jennifer French, travaille avec le même ministère de la Sécurité publique. Le ministère se dispute avec le gouvernement ontarien depuis des années sur le fait qu'il a des contrats avec Sécurité publique Canada pour garder en détention — parfois dans des conditions douteuses en matière de respect des droits de la personne — des immigrants qui parfois n'ont même pas commis de crime et qui ont un statut juridique incertain au Canada. Cela relève du gouvernement fédéral, et ces personnes sont très mal traitées.
Je n'ai pas noté le titre, mais je serais heureux de les diriger vers l'excellent rapport paru dans le Toronto Star il y a deux ans, si je ne m'abuse, sur certaines de ces personnes. Aux États-Unis, par exemple, une personne a apparemment été accusée d'avoir volé un DVD, mais n'a jamais été reconnue coupable devant la justice. Elle est venue au Canada, a entamé le processus de demande de résidence permanente et, en raison de divers problèmes, elle est maintenant détenue dans une prison provinciale dans de mauvaises conditions, et ce, sans la reddition de comptes qu'exigerait normalement un processus de détention. Même si c'est sa responsabilité, il y a des problèmes comme le surpeuplement que le gouvernement fédéral refile aux provinces.
Pourquoi est-ce que je parle d'un dossier complètement différent? C’est tout simplement pour démontrer l’hypocrisie du gouvernement.
On ne se gêne pas pour travailler avec les provinces. Dans certains cas, on leur impose même l’application de la loi et des différents mécanismes relatifs à notre système judiciaire et à notre système carcéral. Maintenant, on va utiliser les provinces comme argument pour continuer à bafouer les droits des gens en milieu carcéral.
Comme j'ai promis que j'allais revenir aux citations, je vais le faire. Je ferai part à la Chambre de deux citations.
Tout d'abord, j'aimerais parler de la décision de la Cour d'appel de l'Ontario d'accorder la deuxième prolongation, en avril. Les députés qui sont avocats n'aimeront certainement pas que je choisisse certaines citations plutôt que d'autres. C'est toujours une pratique douteuse et dangereuse, mais je vais le faire parce que c'est commode. La cour a dit:
De nombreux témoignages sont présentés pour décrire le processus législatif, les étapes nécessaires à la mise en œuvre du projet de loi [projet de loi C-83], notamment les coûts, la formation du personnel, les infrastructures, les consultations publiques [...] Toutefois, rien n'a changé depuis la première prolongation: nous n'avons pratiquement rien qui indique que la violation de la Constitution établie par le juge saisi de la demande est traitée ou qu'elle le sera.
D'après cette citation et cette prolongation — et même pas d'après la décision initiale selon laquelle la pratique était inconstitutionnelle —, il est assez facile de comprendre que le projet de loi ne réglera pas ce problème.
C'est un peu ce que j'ai laissé entendre au début, et je n'ai pas tout à fait terminé de dire ce que j'en pensais, mais je voulais y revenir, car je viens de mentionner la deuxième prolongation.
Le projet de loi C-56 a été déposé en 2017. C'était la première fois que le gouvernement tentait de s'attaquer à cette question. Après tout, c'était demandé dans la lettre de mandat, non pas d'un, mais de deux ministres: la ministre de la Justice et le ministre de la Sécurité publique. Comme je l'ai dit, ce débat a commencé au cours de la législature précédente et même avant, au fil de diverses commissions d'enquête publiques et ainsi de suite.
Enfin, nous arrivons au projet de loi C-83, qui a été déposé vers la fin de l'année dernière. Nous en sommes maintenant à la onzième heure. Il a été étudié à la hâte parce que le gouvernement, bien franchement, n'a pas fait ses devoirs. C'est problématique, car les libéraux demandent des prolongations et ont dû s'adresser au cours des dernières semaines à la Cour suprême, rien de moins, pour obtenir une autre prolongation. Le fait est que les témoins au comité n'ont pas été consultés. Personne n'a été consulté si ce n'est les représentants du cabinet du ministre, et ils sont tous venu au comité pour nous dire cela.
J'aimerais que l'on m’explique comment cela pourrait être un enjeu, alors que le premier ministre l’a inclus dans les lettres de mandat des ministres responsables en 2015. Un projet de loi a été déposé en 2017 et deux décisions provenant de deux tribunaux différents ont été rendues, soit la Cour suprême de la Colombie-Britannique et la Cour supérieure de justice de l’Ontario, à la fin de 2017 et au début de 2018. Puis, le projet de loi C-83 a été présenté à la fin de 2018. Ensuite, il y a eu non pas une ou deux demandes, mais bien trois demandes de prolongation en lien avec la mise en œuvre de ce qui est demandé par les tribunaux.
C’est intéressant. J’ai beaucoup de respect pour ma collègue d’Oakville-Nord—Burlington. Plus tôt, lorsqu'elle a posé une question au député de Yellowhead, elle a dit que, pour les agents correctionnels, ce serait peut-être même mieux d'adopter le projet de loi, pour ne pas avoir à imposer ce que la cour demande.
Personnellement, si je veux défendre les droits de la personne et que je veux éviter que des personnes meurent dans nos prisons à cause de l’utilisation abusive de l’isolement préventif, j’aimerais bien que les restrictions et les paramètres des tribunaux soient imposés. Bien entendu, c’est ce que nous aurions souhaité voir dans la loi.
Dans le même ordre d’idée, j'aimerais revenir sur les critères des Nations unies relatifs à l’isolement carcéral. On appelle ces critères les Règles Nelson Mandela.
Il y a plusieurs choses qui sont en jeu: le nombre de jours consécutifs passés en isolement préventif, le nombre d’heures consécutives passées en isolement préventif et le nombre d’heures passées en dehors de la cellule. Cette dernière formulation pose peut-être problème à ceux qui nous écoutent, mais les détenus ne sont pas à l'extérieur de leur cellule en train de courir dans les champs de fleurs. J'espère que mes collègues me pardonneront d'utiliser un ton humoristique pour parler d'un enjeu aussi sérieux que celui-ci. On parle de l’extérieur de la cellule où l’isolement a lieu. Il y a aussi l'importance des contacts humains significatifs.
J'aimerais maintenant lire la citation que j’ai commencé à lire brièvement lorsque j'ai posé une question à la secrétaire parlementaire.
Mme Adelina Iftene est professeur de droit à l'Université Dalhousie. Je vais lire la citation et je demande aux députés de faire preuve d'indulgence. Elle dit:
Le gouvernement prétend que la définition de l'isolement cellulaire ne s'applique pas à ces unités parce que les détenus passeront 20 heures seuls dans leur cellule au lieu de 22. Même s'il est vrai que cette façon de faire répond aux normes de l'ONU, la période pendant laquelle les détenus auront des contacts humains réels — deux heures par jour — ne répond pas à ces mêmes normes. Les normes de l'ONU considèrent qu'à deux heures ou moins par jour, les périodes de contacts humains équivalent malgré tout à de l'isolement cellulaire. Le gouvernement ne peut tout simplement pas soutenir que son régime ne correspond pas à de l'isolement. L'adoption d'un projet de loi qui n'impose pas de limite à la durée de l'isolement et ne prévoit pas de surveillance judiciaire entraînera une autre contestation constitutionnelle [...] Refuser d'adopter le projet de loi avec amendements est un signe de mauvaise foi et de mépris pour l'argent des contribuables et la primauté du droit. Il est affligeant de constater une telle résistance au respect des droits de la personne chez nous, dans un pays qui se fait le champion de ces droits à l'étranger.
Quand on entend cela, on comprend que, malgré le changement de vitrine, le contenu du magasin reste le même. On me pardonnera le ton léger de cette expression. Le système demeure le même et il a des conséquences importantes sur les gens, des conséquences mortelles dans certains cas.
Certains diront qu'on a des objectifs de sécurité publique et que certaines de ces personnes ont commis des crimes horribles et qu'elles méritent d'être punis. Or la très grande majorité des personnes qui sont victimes de l'utilisation abusive de l'isolement préventif sont aux prises avec des problèmes de santé mentale. C'est problématique, car ces personnes ne reçoivent pas les soins nécessaires à leur réhabilitation et à l'atteinte des objectifs de sécurité publique, c'est-à-dire afin qu'elles cessent de poser une menace pour les communautés et la société. Cet abus va à l'encontre des objectifs que nous voulons atteindre en matière de santé mentale et de réhabilitation, ce qui cause préjudice à la sécurité publique. Alors, j'invite tous ceux qui diront que c'est au nom de la sécurité publique qu'on poursuit en ce sens à y penser deux fois, car en fin de compte, il y a quand même une situation qui doit être réglée.
J'en aurais beaucoup plus à dire, mais le temps file. Comme on peut le voir, c'est un problème qui persiste depuis des années. Plusieurs intervenants ont fait des plaidoyers inspirants, malgré la noirceur du dossier et notre découragement face à ce que le gouvernement propose et à l'inaction. Par ailleurs, le Sénat a eu un comportement déplorable à l'égard de certains projets de loi adoptés démocratiquement à la Chambre. Je pense au projet de loi de mon collègue de la Baie-James et à celui de notre ancienne collègue d'Edmonton, Rona Ambrose, sur les agressions sexuelles. Cela dit, la sénatrice Pate fait un travail extraordinaire. Elle provient du milieu et elle a travaillé à la Société Elizabeth Fry. Elle sait donc de quoi elle parle, beaucoup plus que quiconque à la Chambre. Je lui tire mon chapeau pour les amendements qu'elle a réussi à faire adopter au Sénat. Je les appuie.
En ce sens, je propose, appuyé par la députée de Jonquière:
Que la motion soit modifiée par substitution du texte de celle-ci par ce qui suit: « Que les amendements apportés par le Sénat au projet de loi C-83, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et une autre loi, soient maintenant lus une deuxième fois et agréés. »