Bonjour. Merci, c'est un honneur pour moi que d'être invité à participer au travaux du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre.
J'espère que mon témoignage saura contribuer, même humblement, à votre réflexion sur une question d'une importance capitale pour le développement de la démocratie parlementaire. C'est bien souvent lorsque l'on s'éloigne des pratiques habituelles que nous redécouvrons les principes qui habitent et régissent ces pratiques. Or, les deux dernières prorogations du Parlement que nous avons connues semblent s'éloigner de ces pratiques habituelles. La première a eu lieu alors que le gouvernement faisait face à un possible vote de non-confiance et la seconde, au moment où certaines actions du gouvernement dans la conduite du conflit en Afghanistan faisaient l'objet d'un examen parlementaire portant sur des allégations de violations du droit humanitaire.
À l'écoute même des témoignages précédents, c'est véritablement un séminaire de droits constitutionnels auquel on assiste. Souhaitons que ce séminaire imposé par les événements puisse éclaircir le fonctionnement de nos institutions et surtout puisse susciter une réflexion plus approfondie sur les moyens de les rendre plus représentatives. En effet, l'histoire du parlementarisme de type britannique est une histoire de transfert continu de pouvoirs détenus par la Couronne au profit du Parlement, auquel participent des élus de la population. Deux principes cardinaux du droit constitutionnel à la britannique sont le fruit de cette évolution.
Pensons, tout d'abord, au principe de la souveraineté parlementaire qui implique que la volonté du Parlement est supérieure à celles des autres branches du gouvernement, y compris l'exécutif. Cette souveraineté du Parlement a été acquise de chaude lutte grâce à une attrition graduelle des pouvoirs discrétionnaires de la Couronne. Ce que l'on nomme prérogatives de la Couronne ne sont en fait, selon la définition traditionnelle, que les résidus de ces pouvoirs royaux qui n'ont pas encore été écartés ou abolis par législation.
Pensons, ensuite, au principe du gouvernement responsable qui implique que le gouvernement doit rendre des comptes au Parlement et qu'il ne peut légitimement gouverner que dans la mesure où il jouit de la confiance des élus de la Chambre des communes. Je note, ici, que nous sommes dans un système de gouvernement responsable qui signifie qu'il est responsable auprès du Parlement et que nous ne sommes plus à un moment de l'histoire où on avait ce qu'on appelait « le parlement dualiste », où le gouvernement devait être, à la fois, responsable auprès des élus et du monarque. Maintenant, le concept de gouvernement responsable, c'est uniquement auprès des élus. La reconnaissance de ce principe a mis fin à un système de gouvernement où un exécutif non élu n'avait pas d'obligation de rendre des comptes aux élus de la Chambre des communes.
Ces deux principes au cœur de notre système constitutionnel proviennent de l'idée que la légitimité politique repose entre les mains des élus. Or avons-nous besoin de le rappeler ici? Je dis bien « ici », car le besoin de le faire s'est fait sentir tout récemment et, dès que l'on ouvre les journaux ou que l'on écoute la radio, ce besoin paraît évident. Devons-nous rappeler ici que, contrairement à un système présidentiel, l'exécutif au Canada n'est pas élu? Il ne jouit donc que d'une légitimité démocratique indirecte. Cette légitimité repose uniquement sur le fait que l'exécutif jouit de la confiance des élus et qu'en principe — et nous avons connu des exceptions à ce principe il n'y a pas si longtemps —, les ministres sont choisis au sein des élus. La personne nommée ministre sans être élue a toutefois l'obligation de tenter de se faire élire à la première occasion.
Tout cela explique peut-être le fait qu'au Canada, le principe de la séparation des pouvoirs, du moins la séparation entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, n'est pas aussi clair et étanche que dans d'autres systèmes politiques. On a peine à considérer ce principe réellement comme un principe constitutionnel au Canada, tant il est difficile à concilier avec la souveraineté parlementaire.
Cela étant dit, la volonté de la Chambre des communes de mieux encadrer l'usage de la prérogative de la prorogation, en exigeant l'approbation de la Gouverneure générale, participe de ce mouvement en faveur de l'élargissement des responsabilités des élus au regard des décisions importantes relatives au fonctionnement de l'État.
Pour examiner la question du contrôle démocratique de l'usage de prorogation, nous devons examiner trois grandes questions. La première sert à rappeler brièvement qui exerce présentement la prérogative de prorogation et à quelles conditions. Je crois que cette question peut être traitée très rapidement. Présentement, en ce qui concerne la prorogation, comme tout le monde le sait, c'est la Gouverneure générale qui décrète la prorogation sur avis du premier ministre.
La deuxième question est à savoir comment infléchir l'usage de la prérogative par la Gouverneure générale de manière à s'assurer que son usage soit plus près, ou du moins appuyé par les valeurs démocratiques. Plusieurs propositions ont été faites jusqu'à présent au cours des débats. On a discuté d'un amendement constitutionnel et de toutes les difficultés qui entourent cette procédure. On a identifié la possibilité de distinguer ce qui constitue la charge de la Gouverneure générale de ses autres fonctions afin de permettre peut-être une modification de l'exercice de prérogative par les voies législatives. Il s'agit d'une voie possible, mais risquée. On a parlé de modifier les conventions constitutionnelles qui dictent dans quelles conditions le premier ministre peut demander la prorogation et dans quelles conditions la Gouverneure générale doit obéir à cet avis.
Or je rappelle rapidement les trois critères, Peter Russell les a mentionnés, mais on oublie souvent de les énumérer. Il y a, premièrement, une pratique, un seul cas peut être suffisant s'il est appuyé par un consentement et une bonne raison. Une série de pratiques habituelles qui ne seraient pas appuyées par un consentement des agents, et ne seraient pas soutenues par une bonne raison, ne pourraient pas constituer une coutume, donc une pratique. Deuxièmement, il y a le sentiment de la part des acteurs qui sont liés par cette pratique. Troisièmement, il faut que cette convention ait une utilité dans le bon fonctionnement du parlementarisme.
En ce qui concerne les types de convention qui pourraient être modifiées, il y aurait notamment l'exercice même de la prérogative. Par exemple, on pourrait s'assurer qu'une session est d'une durée minimale, comme ça se fait dans d'autres systèmes parlementaires. Toutefois, si l'on visait à modifier les conventions constitutionnelles portant directement sur l'exercice de la prérogative de prorogation, il faudrait s'assurer de limiter l'espace discrétionnaire que la Gouverneure générale pourrait avoir dans l'exercice de cette prérogative.
On pourrait modifier la liste des personnes auprès de qui la Gouverneure générale pourrait prendre conseil ou aller chercher de l'information. Certains ont mentionné qu'il serait possible que le Président de la Chambre puisse s'adresser à la Gouverneure générale. Certains ont pu paraître surpris. Il est évident que lorsqu'un premier ministre démissionne, donc qu'il n'y a pas de premier ministre au pays, évidemment la Gouverneure générale n'est pas coupée de toute communication avec son Parlement. Il y a donc évidemment d'autres moyens de communication qui sont déjà reconnus. On pourrait modifier cet élément-là. Je remarque que, dans le livre classique sur les procédures parlementaires, on dit que le conseil auprès du Gouverneur général demandant la prorogation fait partie de ce qu'on appelle les prérogatives spéciales du premier ministre. Toutefois, je note que parmi les prérogatives traditionnellement dites « spéciales » du premier ministre, plusieurs ont été modifiées avec le temps afin de permettre à d'autres membres de les exercer. C'est notamment le cas de la prérogative spéciale traditionnelle de nommer un administrateur pour le gouvernement d'une province. Un administrateur pour le gouvernement d'une province est la personne qui sert à remplacer le lieutenant-gouverneur lorsqu'il n'est pas disponible.
Actuellement, lorsqu'il y a une nomination à faire, par exemple, pour un remplaçant de l'administrateur du gouvernement d'une province, cela se fait souvent par un décret au Conseil privé. Et au cours des dernières années, ces décrets ont été proposés par les ministres du Patrimoine et non par le premier ministre.
Il y a donc flexibilité sur le plan de ces éléments.
La quatrième possibilité est de créer des incitatifs ou des éléments dissuasifs pour infléchir le comportement du premier ministre. On pourrait prévoir, par motion ou modification du Règlement, la nécessité d'un avis préalable à la Chambre et une menace de sanction si le premier ministre conseille à la Gouverneure générale de proroger le Parlement sans avoir obtenu l'assentiment d'une majorité des députés.
La cinquième proposition est, je crois, nouvelle ou originale. Elle s'appuie sur le fait que, puisque la Gouverneure générale n'est liée par l'avis du premier ministre que si ce dernier jouit de la confiance du Parlement et que la confiance du Parlement est octroyée par le Parlement lui-même et non par le gouvernement, c'est à la Chambre de déterminer si le gouvernement en place jouit toujours de sa confiance. Il serait possible d'adopter une mesure de censure à condition suspensive. Ce pourrait être quelque chose comme ceci. Le premier ministre serait réputé avoir perdu la confiance de la Chambre s'il se présentait au bureau de la Gouverneure générale pour demander la prorogation sans, au préalable, avoir obtenu l'approbation d'une majorité des députés, auquel cas, dès que le premier ministre se présenterait au bureau de la Gouverneure générale sans avoir obtenu un vote favorable, la Gouverneure générale ne serait plus liée par l'avis du premier ministre parce que ce dernier aurait perdu la confiance du Parlement.
C'est un moyen qui pourrait faciliter les choses. Peu importe le mécanisme qui sera adopté, il est important de voir à ce que la discrétion de la Gouverneure générale soit réduite au maximum et qu'elle soit orientée de manière à être conforme à la volonté de l'organe étatique élu, soit la Chambre des communes.
Il y a un troisième type de question. Comment s'assurer que la prorogation ne privera pas pour une période indue la population d'un Parlement actif? Vous connaissez tous la règle de la Loi constitutionnelle de 1982 qui exige une session par année. On peut combiner les méthodes d'approbation parlementaires à différentes durées. On pourrait modifier les règles de la Chambre afin de permettre à certains types de comités de continuer à fonctionner lors de la prorogation. En effet, si, en général pendant une prorogation, les députés sont relevés de leurs fonctions parlementaires jusqu'à ce que la Chambre et ses comités reprennent leurs activités à la nouvelle session, il serait toutefois faux de croire qu'à l'heure actuelle le Parlement cesse complètement de fonctionner lors d'une telle prorogation.
À moins que je ne m'abuse, le présent comité ne cesse pas nécessairement de fonctionner durant la prorogation, ou, à tout le moins, il ne perd pas ses membres, parce que les membres sont nommés pour la durée complète d'une législature, en vertu du paragraphe 104(1) du Règlement. Le président, le vice-président et les membres du Bureau de régie interne demeurent aussi en fonction. Il existe donc au moins un comité qui fonctionne durant la prorogation. La prorogation n'a aucune incidence sur les activités des députés qui prennent part aux associations parlementaires ou à des programmes d'échanges internationaux et interparlementaires. Bref, il est possible de modifier le Règlement sur ce point.
Il y a un dernier point: on pourrait prévoir un mécanisme de rappel au cas où le premier ministre tarderait à donner des instructions pour l'ouverture d'une nouvelle session. Par exemple, une majorité du Bureau de régie interne pourrait tenir un vote qui serait ensuite communiqué au Président de la Chambre des communes qui, à son tour, pourrait communiquer avec la Gouverneure générale.
Voilà donc quelques mécanismes que je suggère afin de répondre à ces questions. J'espère que ces quelques suggestions sauront nourrir votre réflexion et vous permettre d'accomplir votre responsabilité face à l'histoire du parlementarisme.
Merci beaucoup.