Monsieur le Président, je prends la parole aujourd’hui au sujet de la motion du gouvernement proposant de prolonger et d’étendre la mission du Canada en Irak. Les députés du Parti libéral n’appuient pas cette motion visant à obtenir le consentement du Parlement concernant une mission mal ciblée et potentiellement sans fin, parce que ce n’est pas dans l’intérêt du Canada.
L’EIIL constitue vraiment une grave menace à la sécurité dans le monde et au Canada. Nous le reconnaissons. Les libéraux croient que le Canada doit participer aux efforts internationaux pour lutter contre l’EIIL. Nous faisons partie des 60 nations qui participent à la coalition pour lutter contre ce fléau terroriste qui propage des idéaux extrémistes, et le Canada doit jouer un rôle constructif. Nous devons offrir la meilleure contribution possible, une contribution qui va dans notre intérêt national.
La mission proposée par le premier ministre n’est pas à la hauteur. Son fondement juridique et ses objectifs ne sont pas clairs, et sa portée est vague. Bref, cette mission va essentiellement à l’encontre de l’intérêt national.
Quelles sont les autres raisons qui poussent les libéraux à s’opposer à la motion actuelle du premier ministre? En voici.
L’automne dernier, les libéraux ont appuyé le plan du gouvernement en vue d’envoyer des forces spéciales en Irak pour aider derrière les lignes de front, former des troupes, donner des conseils et épauler les forces irakiennes. Nous croyons que l’EIIL sera freiné lorsque les forces irakiennes locales parviendront à lutter efficacement contre les saccages de l’EIIL, à protéger les populations locales et les villages, à reprendre et à conserver le territoire perdu, et qu'elles s’engageront à respecter les droits des minorités. Nous voulons les aider à y parvenir.
Toutefois, les libéraux n'appuient pas la motion que le premier ministre a présentée en octobre pour aller en guerre en Irak. Pourquoi? Parce que le premier ministre n'a pas établi un objectif clair pour son plan de combat. Il n'a pas élaboré un plan responsable à cette fin. Il n'a pas réussi à prouver qu'une mission de frappes aériennes était la meilleure contribution que les Canadiens pouvaient apporter. Malheureusement, la motion dont nous sommes saisis aujourd'hui comporte des lacunes semblables.
Plus tôt cette semaine, le chef du Parti libéral a rappelé, dans son discours à la Chambre, les quatre principes de base que les libéraux avaient établis en octobre pour la mission de combat en Irak, et ces principes sont encore valables aujourd'hui. Le premier principe, c'est que le Canada a un rôle à jouer pour répondre aux crises humanitaires dans le monde. C'est là une valeur canadienne importante. Depuis des décennies, les gouvernements du Canada contribuent généreusement, sous forme d'aide militaire et non militaire, à répondre aux urgences humanitaires à l'étranger.
Nous avons ouvert nos portes aux opprimés. Nous avons accueilli des réfugiés pour qu'ils puissent refaire leur vie ici, et ces réfugiés ont aidé à bâtir le Canada. Qu'ils viennent du Vietnam, de l'Ouganda, du Cambodge, de la Somalie, du Nicaragua ou de partout ailleurs, les réfugiés ont fait du Canada un pays meilleur. La motion à l'étude ne contient aucune nouvelle idée, aucun nouveau financement, aucune nouvelle proposition pour atténuer la crise humanitaire catastrophique qui sévit dans la région.
En vertu du deuxième principe, lorsque notre gouvernement envisage le déploiement de nos hommes et de nos femmes en uniforme, la mission et le rôle du Canada doivent être clairement définis. La motion d'octobre n'a pas respecté ce principe, et celle déposée aujourd'hui est tout aussi floue quant à la mission et au rôle du Canada. En octobre dernier, les libéraux ont dit craindre fortement que l'absence d'objectifs clairs masque la véritable intention du premier ministre, à savoir, engager le Canada dans un combat plus long et plus intense.
La motion présentée aujourd'hui valide cette crainte. Le premier ministre déclare que son objectif est d'affaiblir le groupe armé État islamique, tandis que le ministre de la Défense dit que c'est pour le vaincre jusqu'à son élimination complète. Voilà deux mandats fort différents.
Encore une fois, la nouvelle motion sur la mission de combat n'énonce aucun objectif clair, ni aucun plan sur le moment et la façon dont le Canada s'extirpera de cette situation aux conflits multipartites de cette région complexe minée par les divisions profondément enracinées, les tensions et la haine.
Au contraire, l'alinéa a) de la motion donne au gouvernement une trop grande latitude pour mener la guerre. La motion dit que la Chambre:
a) continue à appuyer la décision du gouvernement de fournir des moyens militaires pour lutter contre l’EIIL et les terroristes alignés sur l’EIIL, notamment une capacité de frappe aérienne pour mener des frappes aériennes en Irak et en Syrie;
C'est pratiquement un chèque en blanc, et le ministre de la Défense nationale comme le ministre des Affaires étrangères semblent empressés de s'en servir. Ils comparent explicitement cette nouvelle mission à celle de l'Afghanistan et disent que le Canada s'y engage à long terme. En Afghanistan, ce long terme a duré une décennie. Ce fut la plus longue guerre de l'histoire du Canada.
À l'émission Power & Politics, Evan Solomon a demandé au ministre de la Défense nationale de dire qui prendrait la relève si l'EIIL était chassé de la Syrie. Le ministre a répondu qu'il ne savait pas comment tout cela allait se terminer.
On ne peut pas se contenter d'objectifs imprécis. Sans objectifs clairs et sans limites bien définies, la guerre que livre le Canada contre l'EIIL en Syrie pourrait consolider l'emprise politique du président syrien Bachar al-Assad. Ce président opprime et terrorise son peuple. En à peine quatre ans, il a mené des attaques au gaz et des bombardements qui ont tué plus de 130 000 citoyens, dont la grande majorité sont des civils, et près du quart des victimes, des femmes et des enfants. Il n'est pas dans l'intérêt du Canada de laisser le pouvoir à M. al-Assad.
Le troisième principe libéral est que l'argumentaire pour le déploiement de nos forces doit être présenté ouvertement et avec transparence, sur la base de faits présentés de façon claire, fiable et rationnelle.
Le gouvernement conservateur actuel n'a pas été transparent et ouvert à propos de cette mission, ni envers les parlementaires ni envers la population canadienne. Les conservateurs ont refusé de fournir une estimation des coûts aux Canadiens tant qu'ils n'y ont pas été contraints par la honte que leur a infligée le directeur parlementaire du budget. Ils ont refusé de donner des séances d'information aux porte-parole jusqu'à hier, alors que les premiers soldats ont été envoyés en septembre dernier.
Ce sont les faits, et non la fiction, qui sont à la base de la valeur morale de l'honnêteté et c'est l'honnêteté qui nous vaut la confiance des autres. Nous ne pouvons pas faire confiance au gouvernement actuel, qui a manqué d'honnêteté envers les Canadiens. Chaque fois qu'ils en ont l'occasion, les ministres font valoir le mythe d'un accroissement constant du financement de la défense, le mythe de l'investissement dans du matériel de pointe. Le fait est que les conservateurs sabrent dans ce budget depuis quatre ans, ayant réduit le financement de la défense à 1 % du PIB — c'est le plus bas niveau en 70 ans — et ils ne sont pas arrivés à remplacer nos avions, nos navires, nos camions, nos chars d'assaut et nos fusils militaires vétustes.
Le ministre de la Défense nationale s'est lui-même pris dans un chapelet de mensonges, donnant une fausse interprétation à une photo de cérémonie religieuse pour alimenter son discours belliciste, faisant de fausses allégations au sujet des votes antérieurs du NPD sur les missions de combat et concoctant de faux chiffres sur les dépenses du précédent gouvernement libéral pour la défense — des chiffres qui sont du domaine public.
Ce qui est encore plus grave, c'est que nos militaires ont participé à des opérations de combat terrestre en dépit des promesses explicites et répétées du premier ministre, qui a dit que cela n'arriverait pas. Le gouvernement et les généraux ont promis aux Canadiens que les forces spéciales n'accompagneraient pas les troupes sur la ligne de front, qu'elles ne fourniraient pas ce qu'on appelle des avis de combat rapproché, et qu'elles ne participeraient pas aux combats. C'est toutefois ce que ces forces ont fait et c'est ce qu'elles sont en train de faire.
En janvier, nous avons appris que la mission s'était transformée depuis le mois de novembre dernier. Les soldats canadiens sont régulièrement actifs sur les lignes de front. Ils participent régulièrement à des combats directs. Contrairement à nos plus proches alliés, qui postent leur conseillers loin des zones de combat, nous mettons inutilement en danger la vie de nos soldats. C'est dans cette zone de combat que le sergent Andrew Joseph Doiron a tragiquement perdu la vie.
Le gouvernement fournit maintenant de fausses raisons pour justifier la participation du Canada à la mission de bombardement en Syrie. Les conservateurs prétendent que l'aide du Canada a été sollicitée parce qu'il est le seul pays à disposer de bombes intelligentes à guidage de précision pouvant appuyer les États-Unis, mais c'est faux. Même l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis disposent de ces munitions et les utilisent de façon très efficace dans la région, selon le général Dempsey, chef d'état-major des États-Unis.
Il n'est tout simplement pas dans l'intérêt des Canadiens que nous votions en faveur d'une participation plus longue et plus intense du Canada à cette guerre, menée par un gouvernement malhonnête auquel on ne peut pas faire confiance.
Notre principe final, c'est que le rôle du Canada doit être le reflet de son plein potentiel, afin que nous puissions venir en aide de la meilleure façon qui soit.
Étant donné les compressions massives qu'ont faites les conservateurs dans le budget de la Défense, les libéraux sont préoccupés à l'idée qu'on demande aux Forces armées canadiennes d'en faire encore davantage. Selon l'Institut de la Conférence des associations de la défense, le déploiement actuel des forces dans le monde « camoufle un déclin considérable dans leurs capacités et leur disponibilité opérationnelle ». D'ailleurs, des soldats blessés pendant la guerre en Afghanistan n'ont toujours pas obtenu des soins en santé mentale en temps opportun. C'est inadmissible.
De quels moyens le Canada dispose-t-il? Comment peut-il faire un apport constructif dans cette région fort perturbée? Quels rôles correspondent aux valeurs canadiennes et à nos intérêts nationaux? Que préconisent les libéraux?
Le Canada peut faire mieux. Le Canada peut défendre les valeurs qui font sa renommée dans le monde entier, qu'il s'agisse de collaborer de manière constructive, d'aider les plus démunis, de faire plus que sa juste part ou d'agir avec droiture.
Je m'arrête sur trois éléments qui remportent l'aval des libéraux. Tout d'abord, le Canada peut collaborer de manière constructive avec ses alliés coalisés de manière à accélérer l'entraînement et à renforcer les capacités d'un plus grand nombre de soldats irakiens. Selon le major-général Michael Hood, 69 membres des forces spéciales se concertent actuellement avec les Étatsuniens pour prodiguer des conseils stratégiques et tactiques aux forces de sécurité de l'armée irakienne. Jusqu'à présent, ils ont offert 42 camps d'entraînement à 650 soldats peshmergas.
Le Canada est manifestement qualifié pour contribuer à l'entraînement des forces irakiennes dans le but de contrer et d'éradiquer l'EIIL. Il faut sans aucun doute davantage de personnel à cet effet. Le Canada a fourni plus de 1 000 formateurs émérites au cours des dernières années passées en Afghanistan. De toute évidence, le Canada peut dès maintenant en faire davantage en Irak, mais à condition que ce soit loin des lignes de front.
C'est un point sur lequel nous ne sommes pas d'accord avec les néo-démocrates, qui ne savent pas sur quel pied danser lorsqu'il est question de missions militaires. Parfois ils affirment être éventuellement favorables au transport aérien stratégique ou à l'idée de faire appel aux militaires pour l'approvisionnement. Aujourd'hui, nous apprenons que le NPD refuse la moindre participation militaire, contrairement à nous, libéraux, qui respectons les membres des Forces armées canadiennes, car nous savons qu'ils peuvent jouer un rôle charnière dans ce dossier.
Deuxièmement, le Canada peut diriger une intervention internationale d'aide humanitaire bien financée et bien planifiée pour aider les personnes démunies de la région du Levant. Le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, António Guterres, affirme que 3,8 millions de Syriens sont maintenant inscrits comme réfugiés, alors que 12 millions de personnes déplacées ont besoin d'aide à l'intérieur même de la Syrie. C'est sans compter les millions d'autres déplacés et réfugiés irakiens.
Le mois dernier, le Haut-Commissaire a lancé un appel afin d'obtenir 3,7 milliards de dollars canadiens en aide humanitaire, seulement pour 2015. Le Haut-Commissaire Guterres signale que les besoins humanitaires en Syrie augmentent beaucoup plus rapidement que les contributions de la communauté internationale. Il a exhorté les donateurs à hausser considérablement l'aide aux réfugiés et le soutien à la communauté d'accueil. Cette crise des réfugiés menace la stabilité et la sécurité de la région. Des pays voisins, comme le Liban et la Jordanie, sont déstabilisés. La Turquie nourrit et héberge des millions de réfugiés.
Que devons-nous faire pour servir les intérêts supérieurs du Canada? Nous devons en faire davantage pour aider les familles des réfugiés vulnérables parce que cela s'inscrit dans le droit fil de nos valeurs et parce que nous voulons donner une certaine assurance aux soldats issus de ces familles qui combattent l'EIIL.
Troisièmement, le Canada devrait élargir sa cible pour l'établissement de réfugiés syriens. Faisons en sorte qu'un nombre accru de victimes de la guerre aient la possibilité de commencer une nouvelle vie au Canada. Les promesses du gouvernement conservateur ont été timides, et leur réalisation encore plus.
Voici un exemple de la générosité des gouvernements précédents: en 1979 et 1980 seulement, 50 000 réfugiés vietnamiens se sont établis au Canada.
Connus sous le nom de réfugiés de la mer, ces immigrants venaient autant des villes que des campagnes. La plupart ne parlaient ni français ni anglais et n'avaient pas de parenté au Canada. De surcroît, ils sont arrivés au pays durant une période de ralentissement économique. Ces facteurs ont rendu leur intégration au Canada et leur parcours vers l'autonomie financière très difficile. Aujourd'hui, ces Canadiens d'origine vietnamienne sont salués pour leurs réussites, leurs communautés solides et pour leur contribution immense à la société canadienne. Nous devrions garder en tête ce chiffre de 50 000 en deux ans.
À l'opposé, le gouvernement conservateur se montre plutôt mesquin pour ce qui est du traitement des réfugiés syriens. Le gouvernement s'était fixé comme objectif initial de réinstaller seulement 1 300 réfugiés sur 18 mois mais, à la date cible de décembre dernier, il n'en avait réinstallé que la moitié. À l'insistance de l'opposition, le gouvernement a récemment porté son engagement à 10 000 réfugiés sur trois ans, mais les organismes d'aide aux réfugiés sont sceptiques puisqu'une grande partie du financement devra venir des familles qui parraineront ces réfugiés et d'organisations privées, et non du gouvernement. Les Canadiens n'ont pas pour habitude de faire moins que leur juste part. Les Canadiens croient qu'il faut en faire plus, ce qui est d'ailleurs dans l'intérêt du Canada.
En définitive, des quatre engagements qui figurent dans la motion du gouvernement, les libéraux n'appuient que le dernier, mais avec enthousiasme. Voici le libellé de cet engagement:
En conséquence, la Chambre: [...]
d) offre son soutien sans réserve et de tout coeur aux courageux hommes et femmes des Forces armées canadiennes qui sauront protéger nos foyers et nos droits à tous.
Au Parti libéral, nous respectons et reconnaissons le professionnalisme, le courage et le dévouement dont font preuve tous ceux et celles qui servent notre pays. Nous n'avons jamais hésité à déployer nos Forces armées canadiennes très compétentes en zone de combat, lorsque cela servait clairement l'intérêt national du Canada et des Canadiens. Dans chacun des cas, cet intérêt national était exprimé clairement.
Une mission visant à défendre les intérêts du Canada doit reposer sur des objectifs transparents, sur un plan responsable pour les atteindre et sur un plan de retrait du théâtre de guerre. Or, ces éléments sont absents de la motion et de la mission de combat proposée.
Les libéraux invitent le gouvernement à changer le rôle du Canada en Irak de façon aussi rapide et responsable que possible, pour qu'au lieu de bombarder la Syrie, notre pays se donne une mission non combattante et se concentre davantage sur la formation des troupes irakiennes, sur son rôle de chef de file en matière d'aide humanitaire et sur un accueil beaucoup plus généreux et chaleureux aux réfugiés de cette guerre. Voilà qui serait conforme à l'approche canadienne.