Madame la Présidente, kwe kwe, ullukkut, tansi, bonjour et hello. Avant de commencer, je tiens à souligner que le Parlement du Canada est situé sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe.
Je suis heureuse d'avoir l'occasion de dire quelques mots alors que nous débattons d'amendements importants à la Loi sur les Indiens, une relique de notre histoire coloniale qui doit changer.
Je présenterai d'abord un contexte historique pour montrer pourquoi ces amendements sont primordiaux et pourquoi nous ne pourrions pas les présenter aujourd'hui sans avoir pris le temps d'écouter et de comprendre les Premières Nations et les partenaires autochtones qui représentent les Premières Nations non inscrites.
Avant l'arrivée des Européens, les Premières Nations avaient leurs propres méthodes de longue date pour déterminer la citoyenneté. Même si les méthodes variaient d'une nation à l'autre, les questions de liens familiaux et d'appartenance à une communauté se trouvaient au cœur de ces processus. Les gouvernements coloniaux, puis les gouvernements canadiens successifs ont adopté une série de lois qui ont radicalement changé la signification et la nature de la citoyenneté au sein des Premières Nations. L'objectif de ces lois était l'assimilation. Par la Loi sur les Indiens, le processus d'émancipation a été introduit.
En choisissant l’émancipation, les membres des Premières Nations qui voulaient voter aux élections canadiennes, posséder des terres, servir dans les Forces armées canadiennes, épouser une personne qui n'était pas autochtone ou soustraire leurs enfants à l'obligation de fréquenter un pensionnat autochtone perdaient le droit d'être inscrits au Registre des Indiens et n'étaient plus membres de leur communauté d’origine. Ce processus juridique n'abolissait pas seulement les droits individuels d'inscription en vertu de la Loi sur les Indiens, il privait aussi les personnes concernées du droit d'accéder à un éventail de droits et d'avantages, y compris la capacité de voter aux élections de leur nation.
Les personnes, y compris les hommes, leur épouse et leurs enfants mineurs, pouvaient être émancipées sans le vouloir ou sur demande. Comme je l’ai mentionné, de nombreux parents ont demandé l’émancipation simplement pour soustraire leurs enfants à l'obligation de fréquenter un pensionnat autochtone. Certains ont été émancipés sans le vouloir après avoir obtenu un diplôme; être devenu médecin, avocat ou membre d'une profession libérale; ou avoir résidé en dehors du Canada pendant plus de cinq ans sans permission.
Dans ces conditions, l'émancipation impliquait que l'héritage et la culture des Premières Nations étaient incompatibles avec les notions de modernité et de réussite professionnelle.
L'évolution de la Loi sur les Indiens a eu des conséquences particulières pour les femmes des Premières Nations. À partir de 1869, la définition d'« Indien » ne reposait plus sur les liens de parenté et l'appartenance à une communauté des Premières Nations, mais sur la prédominance de l'ascendance masculine et les liens avec la communauté. En application de la Loi sur les Indiens, une femme qui épousait un Indien était automatiquement transférée de la nation de son père à la communauté de son époux. Les femmes qui épousaient un non-Indien perdaient entièrement leur statut et tout avantage qui y était associé.
Ces politiques ont eu un résultat dévastateur. Le rapport final de l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées explique que cette politique a contribué à limiter l'indépendance sociale et économique des femmes. L'enquête a confirmé que la marginalisation sociale et économique est l'une des causes premières de la violence indescriptible qu'endurent les femmes et les filles autochtones dans ce pays.
Au fil des ans, il y a eu des tentatives en vue d'améliorer les choses, mais aucune n'est allée assez loin. Les modifications apportées à la Loi sur les Indiens en 1951 étaient une tentative en vue d'éliminer une partie des restrictions politiques, culturelles et religieuses odieuses, mais elles ont également confié aux provinces le pouvoir dans le domaine du bien-être des enfants autochtones. Cela a ouvert la voie à la rafle des années 1960, un exercice douloureux où l'on a retiré des enfants des Premières Nations de leur famille et de leur communauté plutôt que de leur fournir les ressources et le soutien dont ils avaient besoin.
En 1985, on a supprimé le processus d'émancipation de la Loi sur les Indiens. Les personnes qui avaient été émancipées sur demande ont recouvré leur droit à l'inscription, mais elles ne pouvaient toujours pas transmettre ce droit à leurs petits-enfants.
Voilà pourquoi il est si crucial que toute modification soit coordonnée avec les personnes directement concernées. Aujourd'hui, nous progressons sur la voie de la réconciliation. Nous tentons d'être à l'écoute, d'apprendre et de faire mieux. L'élaboration de politiques doit refléter les recommandations et les perspectives des peuples des Premières Nations ainsi que des partenaires autochtones qui représentent les membres non inscrits des Premières Nations.
Par exemple, dans le cadre du processus collaboratif concernant l'inscription au registre des Indiens, l'appartenance à une bande et la citoyenneté des Premières Nations, les partenaires des Premières Nations ont orienté l'élaboration du projet de loi S‑3, projet de loi qui élimine les iniquités fondées sur le sexe des dispositions relatives à l'inscription au registre dans la Loi sur les Indiens et qui a reçu la sanction royale en 2017 et est entré en vigueur en 2019. Dorénavant, grâce à ces changements, les lignées matrilinéaires et patrilinéaires, jusqu'à 1867, donnent le même droit à l'inscription.
Même si les iniquités fondées sur le sexe ont pu être éliminées du processus d'inscription, le gouvernement du Canada et les Premières Nations reconnaissent qu'il reste des problèmes hérités du passé qui touchent les femmes, ainsi que des problèmes relatifs à l'inscription et à l'appartenance et qu'ils doivent être réglés.
En mars, la ministre des Services aux Autochtones a réaffirmé l'engagement du gouvernement fédéral à éliminer les iniquités en matière d'émancipation de la Loi sur les Indiens le plus rapidement possible. Nous avons élaboré ces modifications en collaboration avec des membres des Premières Nations et des partenaires autochtones qui représentent les Premières Nations non inscrites. Nous les remercions de leurs conseils; nous savons à quel point il peut être difficile de raconter son vécu à répétition dans le cadre d'un combat qui dure depuis des décennies pour obtenir des changements.
Les modifications proposées dans le projet de loi qui nous occupe aujourd'hui sont le fruit de discussions avec des membres des Premières Nations concernés, des représentants des Premières Nations, des administrateurs du Registre des Indiens et des organismes autochtones nationaux, dont l'Assemblée des Premières Nations, le Congrès des peuples autochtones, l'Association des femmes autochtones du Canada, la Nation métisse du Canada et la Fédération des Métis du Manitoba. Certains ont fourni par écrit des commentaires officiels sur l'ébauche du projet de loi, tandis que d'autres ont participé à des discussions sur la nécessité et l'objet des modifications.
Je vais maintenant donner un aperçu de la teneur des modifications proposées, qui élimineront notamment la discrimination causée par des antécédents familiaux d’émancipation. Ils porteront également sur la désinscription individuelle, sur l'appartenance à la bande natale et sur une terminologie désuète et offensante utilisée dans la Loi sur les Indiens.
Grâce aux modifications, les membres des Premières Nations qui ont des antécédents familiaux d’émancipation seront traités de la même façon que ceux qui n’en ont pas. Les modifications permettront également aux personnes qui le souhaitent de retirer leur nom du Registre des Indiens. Nous savons que c'est important pour les membres de groupes métis ou de tribus américaines qui souhaitent se prévaloir de cette option en raison des critères d'appartenance de leur groupe respectif.
Soulignons que les personnes retirées du registre conserveront légalement leur droit à l’inscription en vertu de la Loi sur les Indiens, et que ce droit sera aussi transmis à leurs descendants. Les amendements proposés créeraient également un mécanisme juridique garantissant que les femmes ayant perdu leur droit d'appartenir à leur Première Nation natale avant les modifications de 1985 aient le droit de demander le rétablissement de leur appartenance.
Enfin, nous savons que la Loi sur les Indiens contient toutes sortes de termes désuets et offensants. Les amendements d’aujourd’hui mettront l’accent sur le terme « Indien mentalement incapable », qui serait remplacé par le terme « personne dépendante », plus respectueux.
Nous reconnaissons qu'il reste encore beaucoup à faire pour éliminer les vestiges coloniaux de la législation. À compter du début de 2023, nous entamerons des consultations sur les autres inégalités qui subsistent dans les modalités d'inscription, notamment l'exclusion après la deuxième génération. Nous prévoirons de nouveaux amendements une fois que nous aurons mené des consultations à grande échelle.
Nous sommes déterminés à travailler main dans la main avec les Premières Nations pour atteindre cet objectif. Nous nous efforçons d'apporter des changements fondés sur la reconnaissance et le respect du droit à l'autodétermination. Nous ne cessons jamais d'apprendre. Nous apprenons à écouter et à agir avec humilité.
Je remercie une fois de plus les membres des Premières Nations et les partenaires autochtones qui représentent les Premières Nations non inscrites qui ont consacré temps et énergie à cette démarche, ainsi que les nombreuses personnes qui travaillent dur tous les jours à rendre notre pays meilleur. Leur résilience et leur patience ouvrent la voie à un avenir plus prometteur, et je leur exprime ma plus profonde gratitude.
J'espère que cette mise en contexte historique vient justifier la nécessité de ces modifications aux yeux des députés. J'espère que tous les députés se joindront à moins pour appuyer ce projet de loi important et continuer d'œuvrer pour une véritable réconciliation.