Merci beaucoup.
Démocratie en surveillance invite les membres du Comité non seulement à recommander de nombreux changements pour prévenir les conflits d’intérêts en lien avec les décisions que prend le gouvernement en matière de dépenses, mais aussi à collaborer à la rédaction d'un projet de loi qui serait déposé à la Chambre des communes cet automne. Nous espérons que le projet de loi sera adopté d’ici la fin de l’année sous l'actuel gouvernement minoritaire.
Vous pourriez facilement vous unir pour soutenir un projet de loi qui abaisserait à 100 $ la limite des dons et des prêts politiques, comme au Québec, et cela pour parvenir à plusieurs fins: mettre un terme à l’influence anti-éthique de l'argent dans la politique fédérale canadienne et éliminer les échappatoires qui ouvrent la porte à un lobbying secret, un lobbying anti-éthique; éliminer le secret gouvernemental excessif, les dépenses sans appel d’offres, et les avantages que des politiciens et des hauts fonctionnaires peuvent tirer de décisions prises en secret. Le projet de loi devra aussi servir: à renforcer l’application de la loi par la création d'une commission indépendante chargée de nommer celles et ceux qui sont les gardiens de la démocratie et de la bonne gouvernance; à obliger ces mêmes gardiens à auditer régulièrement nos responsables et à rendre des décisions publiques sur toutes les situations douteuses au lieu de rendre des décisions secrètes ou de faire fi des plaintes; à permettre à quiconque de contester les décisions de ces gardiens devant les tribunaux; à étendre la protection des dénonciateurs à tous les intervenants en politique fédérale, y compris au personnel politique des ministres et des partis; et à imposer des amendes élevées pour toute violation à l’éthique, y compris pour malhonnêteté.
Le lobbying secret et anti-éthique, le secret excessif au sein du gouvernement, les campagnes d’influence anti-éthiques des gros donateurs, les prises de décisions et les dépenses anti-éthiques sont autant de choses légales en politique fédérale et en politique provinciale. Le Canadien ordinaire est plus susceptible d'être sanctionné pour avoir garé sa voiture illégalement qu'un politicien ayant enfreint des règles fondamentales d’éthique ou de gestion des dépenses publiques. Aussi incroyable que cela puisse paraître, partout au pays, les pénalités pour stationnement illégal sont plus élevées que celles imposées pour les infractions graves à l’éthique que peuvent commettre les politiciens et les hauts fonctionnaires fédéraux.
Ce système dangereusement antidémocratique et corrompu est un scandale. Il ne faut pas s'étonner qu’il incite politiciens et hauts-fonctionnaires à prendre des décisions malhonnêtes, contraires à l’éthique, secrètes, non représentatives et inutiles. Il faut y remédier en éliminant toutes les échappatoires, en accroissant la transparence, en renforçant l’éthique politique ainsi que les règles encadrant les dépenses, règles dont il faudra renforcer l'application, et en augmentant les sanctions.
J’ai comparu devant le Comité une quinzaine de fois au cours des 20 à 25 dernières années. Je ne vais pas grandement différer de ce que j’ai dit les 15 fois précédentes, mais à partir du résumé que je viens de vous faire, je vais passer en revue les six principaux aspects auxquels il va falloir s'attaquer pour vraiment prévenir les conflits d’intérêts.
Tout d’abord, il faut mettre fin à l’influence de l’argent en politique. Il est essentiel de le faire parce que les organisations et leurs lobbyistes peuvent faire des faveurs aux partis et aux candidats en canalisant et en regroupant des dons d'une façon contraire à l’éthique, cela pour influencer les décisions des ministres et des autres décideurs du gouvernement fédéral. Les tests cliniques effectués par des psychologues du monde entier ont montré que même les petits cadeaux et les petites faveurs ont une influence et qu'ils sont le meilleur moyen d’influencer les décisions de la personne qui les reçoit. La seule façon de mettre un terme à l'influence anti-éthique de l’argent en politique consiste à mettre fin aux dons et aux prêts d’argent, comme le Québec l’a fait, à interdire les cadeaux, y compris les voyages subventionnés — dont l'acceptation est illégale pour les députés, même de la part de lobbyistes, comme l’a déclaré la commissaire au lobbying l’an dernier — et à restreindre et à exiger la divulgation de toutes les faveurs reçues, y compris l’aide bénévole lors des campagnes.
Bien d’autres changements permettraient de démocratiser notre système de financement des partis. Démocratie en surveillance a publié aujourd’hui un communiqué de presse, qui a également été soumis au Comité avec les liens appropriés dont un renvoyant aux tests effectués par des psychologues cliniciens. Ces tests démontrent que le fait de donner des cadeaux et d'accorder des faveurs, notamment sous la forme de dons, est la meilleure façon d’influencer les gens dans leurs prises de décisions parce que cela crée un sentiment de retour d'ascenseur obligé. C’est pourquoi cela est profondément anti-éthique et qu’il faut y mettre un terme en abaissant la limite des dons et en interdisant les cadeaux, notamment les voyages gratuits.
Mettre fin au lobbying secret et anti-éthique est le deuxième des six aspects fondamentaux.
Le comité de l’éthique de la Chambre — ce comité — a recommandé certains changements en 2012 en vue d'éliminer les échappatoires secrètes en matière de lobbying, mais pas tous. Or, il faut fermer toutes les échappatoires.
Si l'on avait éliminé celles qui permettent le lobbying secret il y a des années, aucun des employés d'UNIS n’auraient eu le droit de faire du lobbying auprès du cabinet du premier ministre, du cabinet du ministre des Finances et de son ministère, en raison de leurs liens avec ces gens-là. Cependant, à cause de ces échappatoires, non seulement ils n’ont pas eu à enregistrer leur démarche de lobbying pour obtenir le financement qu’ils ont reçu, mais ils ont pu, en toute légalité, offrir des cadeaux, consentir des faveurs, faire campagne et contribuer aux campagnes politiques de n’importe quel politicien fédéral. Seuls les lobbyistes enregistrés doivent respecter le code d’éthique des lobbyistes. Si vous n’arrêtez pas le lobbying secret, vous n’arrêterez pas le lobbying anti-éthique parce que ceux qui peuvent encore légalement faire du lobbying secret pourront aussi faire du lobbying anti-éthique.
Le lobbying secret n’est qu’un aspect du secret excessif qui règne au gouvernement fédéral. Les libéraux de Trudeau ont promis que l’information gouvernementale serait a priori ouverte et ils ont promis d’appliquer la Loi sur l’accès à l’information aux cabinets des ministres. Rien de cela ne s'est fait. Les gouvernements précédents n’ont pas non plus tenu leurs promesses de gouvernement ouvert.
Il y a beaucoup d’échappatoires dans la Loi sur l’accès à l’information. Il faudrait en fait l’appeler « Loi guide sur la protection des renseignements confidentiels », parce que c’est vraiment de cela dont il s’agit, tant ce texte regorge d’échappatoires. Il y a lieu d'éliminer ces échappatoires pour mettre fin à la culture du secret excessif qui cache souvent des actes répréhensibles et ceux qui les commettent au gouvernement fédéral.
Quatrièmement, il faut mettre fin aux décisions anti-éthiques. En vertu de la Loi sur les conflits d’intérêts, il est légal que les ministres et les hauts fonctionnaires retirent un bénéfice de leurs décisions. Tant que ces décisions sont d'application générale, ce qui est le cas de 99 % d'entre elles, ils ne sont pas tenus de démissionner s’ils se sont placés en conflit d’intérêts. Ils ont le droit d’être en conflit d’intérêts financier et de continuer à prendre part aux décisions. C'est ce que l'on a constaté tout récemment dans le cas du ministre des Finances, Bill Morneau, qui a présenté un projet de loi qui aurait aidé la société de gestion des pensions de sa propre famille à faire plus d’argent. Comme il était actionnaire à l’époque, M. Morneau aurait fait plus d’argent. La commissaire à l’éthique a jugé que tout cela était acceptable en raison de cette énorme échappatoire dans la Loi sur les conflits d’intérêts. Cette échappatoire existe également dans le code d’éthique des députés et du Sénat.
La Loi sur les conflits d’intérêts est une loi déterminante qui protège les fonds publics et notre démocratie. En 1996, la Cour suprême du Canada a statué que, si elle n’était pas strictement et fermement appliquée — à l'instar d’autres mesures comme les dispositions anticorruption du Code criminel —, nous n’aurions pas de démocratie. Cette loi déterminante ne s’applique pas 99 % du temps aux décisions prises par les gens les plus puissants du gouvernement fédéral. Cette échappatoire doit être éliminée et il faut interdire à tous les intervenants politiques fédéraux de participer à tout processus décisionnel dès qu’il y a simple apparence de conflit d’intérêts.
De plus, une règle exigeant l’honnêteté devrait être ajoutée à la loi fédérale sur l’éthique et aux codes, afin que les politiciens et les fonctionnaires soient pénalisés s’ils induisent les électeurs en erreur sur quoi que ce soit, y compris au sujet de leurs propres actes répréhensibles.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, les règles et les codes que le Cabinet a imposés aux plus petits fonctionnaires du gouvernement fédéral — qui n'ont qu'un pouvoir décisionnel très limité — interdisent à ces employés de participer à toute prise de décisions s’ils sont en situation de conflit d’intérêts potentiel ou apparent, même lorsque la décision s’applique de façon générale. Ces employés des échelons inférieurs doivent également être honnêtes et donner des conseils honnêtes. Ils peuvent être suspendus ou mis à l’amende s’ils enfreignent ces règles.
Il s’agit d’un système véritablement pervers selon lequel les gens les moins puissants du gouvernement fédéral et de la politique fédérale sont ceux à qui s'appliquent les normes éthiques les plus élevées et les peines les plus sévères.
En outre, il faut interdire les fiducies dites sans droit de regard, comme l’ont recommandé le rapport Starr-Sharp de 1984 et la commission Parker de 1987. Comme la personne qui établit une fiducie sait ce qu’elle y met, on ne peut parler de fiducie sans droit de regard. C’est une imposture totale. C’est une façade. Les politiciens et les représentants du gouvernement devraient plutôt être tenus de se départir de leurs placements pendant qu’ils sont au pouvoir, comme l’a recommandé la commission Parker.
Les filtres anti-conflits d’intérêts devraient également être interdits parce que ce sont des écrans de fumée qui empêchent de savoir si la personne en conflit d’intérêts se retire vraiment des décisions.
Les deux derniers aspects — cinq et six — visent, premièrement, à mettre fin aux contrats douteux accordés à des fournisseurs uniques. Il y a beaucoup trop d’échappatoires qui permettent d'accorder de tels contrats. Une façon de contrôler ce phénomène consiste à fermer quelques-uns de ces contrats, mais aussi à exiger, quand il s’agit de dépenses importantes, que l’institution responsable vérifie auprès du vérificateur général et effectue une petite vérification de conformité avant d’entamer le processus de dépenses. Le vérificateur général pourrait alors dire: « Non, vous ne pouvez pas faire cela. Vous devez lancer un appel d’offres concurrentiel, sinon je vais rendre une décision négative quand je ferai un audit dans cinq ans et que je constaterai que vous avez enfreint toutes les règles. »
Enfin, nous devons renforcer l’application de la loi. Les gardiens du temple sont triés sur le volet par les ministres et les hauts fonctionnaires du gouvernement qu’ils ont pour mission de surveiller. Ils n’ont généralement pas le pouvoir d’imposer des pénalités. Ils ont le droit de rendre des décisions secrètes et, par conséquent, il n’est pas surprenant qu’ils aient agi comme des chiens de poche et qu'ils aient laissé de nombreuses personnes s’en tirer à bon compte. Tout le monde doit pouvoir contester leurs décisions devant les tribunaux. Ils doivent être choisis par une commission indépendante. Ils doivent être tenus de mener des vérifications et de rendre des décisions publiques sur toutes les situations douteuses, et ils doivent avoir le pouvoir d’imposer des amendes élevées en cas de violation des règles fondamentales d'un bon gouvernement.
Enfin, la protection des dénonciateurs, comme je l’ai mentionné, doit être étendue à tout le personnel politique des ministres ou des partis. En juin 2017, un comité de la Chambre des communes a recommandé à l’unanimité plusieurs changements clés visant à renforcer la protection des dénonciateurs. Le gouvernement n’a pas tenu compte de ces recommandations, pas plus qu'il n’a tenu compte des recommandations du Comité qui étaient de renforcer la Loi sur l’accès à l’information. En 2012, le gouvernement conservateur de M. Harper n’a pas tenu compte des recommandations de ce comité en vue d'éliminer bon nombre des échappatoires secrètes du lobbying.
Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions sur l’un ou l’autre de ces six aspects. Tous ces changements sont nécessaires pour éliminer les échappatoires et mettre fin aux conflits d’intérêts dans les décisions de dépenses du gouvernement. J’espère que les membres du Comité travailleront ensemble pour rédiger un projet de loi, pour le présenter à la Chambre et, puisqu'il s'agit d'un gouvernement minoritaire, pour mobiliser les autres députés afin de faire adopter cette mesure cet automne et de faire enfin le ménage dans ce processus antidémocratique et corrompu...