Monsieur le Président, je suis très contente de m'exprimer sur ce projet de loi extrêmement problématique. Je vais expliquer cela plus en détail dans mon discours.
Ce projet de loi est né à la suite du dépôt du rapport no 80 par le Comité mixte permanent d'examen de la réglementation, en décembre 2007, et qui avait conclu que:
[...] l’incorporation par renvoi de documents externes « avec leurs modifications successives » dans les règlements devrait, en l’absence d’une habilitation expresse, être considérée comme [inappropriée et] illégale.
En fait, le secrétaire parlementaire vient de nous confirmer que cette pratique d'adoption par incorporation dans les règlements se fait depuis toujours dans les ministères. Toutefois, nous avons ici un rapport qui dit que sans une loi qui le dit clairement, ces incorporations devraient être considérées comme inappropriées et illégales. Je vais lire le dernier article de ce projet de loi:
18.7 Est confirmée la validité de toute incorporation par renvoi conforme à l'article 18.1 qui a été effectuée avant l'entrée en vigueur de cet article.
Je vais expliquer aux gens qui me regardent aujourd'hui, et je sais qu'ils sont nombreux, ce que le gouvernement vient de faire et ce que le secrétaire parlementaire vient de nous confirmer. Ce dernier vient de valider l'illégalité des incorporations par renvoi en les rendant légales. Ces incorporations ont été faites sans pouvoir habilitant et sans loi habilitante, ce qui fait en sorte qu'on se retrouve peut-être malheureusement avec des centaines de milliers d'incorporations par renvoi. Je ne connais pas le nombre. Quelques milliers ont peut-être été faites sans pouvoir législatif. C'est quand même assez problématique.
On peut se demander quel est le but d'un projet de loi comme celui-ci. On sait que dans le budget des conservateurs, on a adopté un petit article, dans un gros budget de centaines de pages, qui rendait légal un acte illégal commis par la GRC. Ici, on vient de valider la légalité d'incorporations qui seraient considérées inappropriées et illégales par le Comité mixte permanent d'examen de la réglementation. J'ai les conclusions du rapport. La première chose qui m'est venue à l'esprit est la question suivante: comment pourrait-on vraiment voter pour un projet de loi qui serait une modification rétroactive pour permettre des actes qui n'étaient pas permis avant l'adoption du projet de loi S-2? Je rappelle que ce projet de loi n'est pas encore adopté. Si des incorporations par renvoi sont encore faites aujourd'hui, selon ce projet de loi, elles ne sont pas légales et elles sont inappropriées. Alors, je tiens simplement à mettre cela sur la table et il faudra juger si c'est acceptable ou non. Toutefois, selon moi et selon le NPD, on ne peut pas permettre ce genre de modification rétroactive sans qu'il n'y ait une loi permettant d'adopter par renvoi des règlements.
C'était un peu le contexte de l'adoption du projet de loi S-2. On a dit qu'on avait un problème, qu'on n'avait pas de pouvoir réglementaire et qu'alors, on adopterait une loi qui va donner ce pouvoir réglementaire d'adopter par incorporation dans les règlements.
Dans son discours, le secrétaire parlementaire du ministre de la Justice a dit que ce projet de loi donne des balises et des indications sur les différents mécanismes d'adoption par renvoi. J'aimerais lui rappeler que j'ai posé la question à plusieurs témoins venus au Comité permanent de la justice et des droits de la personne.
Ils m'ont répondu clairement que ce projet de loi ne répondait malheureusement pas à leurs préoccupations et qu'il ne créait pas ces règles et ces directives pour l'adoption de règlements et d'incorporations par renvoi. J'ai le compte rendu des réunions du comité. Les témoins m'ont clairement dit qu'il fallait absolument que le Conseil du Trésor et le gouvernement adoptent le plus rapidement possible des directives et des règles directrices pour l'adoption de règlements et pour l'incorporation par renvoi. En effet, en ce moment, il n'y en a pas, et ce n'est pas le projet de loi S-2 qui change la donne. Il n'accorde que le pouvoir général d'adopter des règlements par renvoi. Il ne comprend pas de directives ni de balises.
Je vais faire un résumé très rapide de ce qu'est l'incorporation par renvoi. Il s'agit d'une technique de rédaction de règlements ou de lois qui fait un renvoi à un autre texte législatif afin d'éviter de devoir tout le recopier dans les projets de loi. Je concède que nous économisons du papier en faisant cela. Cette technique est utilisée pour incorporer des textes législatifs, par exemple, des règlements, des taux, des textes d'autres législations, provinciales ou fédérales, ou encore des textes législatifs d'autres gouvernements, donc d'autres États.
Il y a deux types d'incorporation par renvoi. Il y a le renvoi statique, qui signifie que lorsqu'on fait un renvoi à un règlement, c'est le règlement tel qu'il est en date de l'adoption du document qui est valide, sans les modifications qui seront adoptées ultérieurement.
Il y a aussi le renvoi dynamique, ou ouvert, qui incorpore de facto toutes les modifications à d'autres règlements incorporés. Cela signifie que, si on incorpore le règlement d'un autre pays, comme les États-Unis — le secrétaire parlementaire du ministre de la Justice a parlé de commerce international —, et que ce pays adopte des modifications à son règlement, le nôtre sera également changé. Les gouvernements changent, et on ne sait pas exactement quelles modifications un nouveau gouvernement va adopter, mais ces modifications vont êtres incluses de facto dans la loi canadienne.
Cela veut dire que ces modifications ne seront jamais soumises à l'examen des parlementaires. C'est problématique. Les Canadiens, qui sont censés connaître la loi, et les parlementaires, qui sont censés étudier la loi, ne pourront pas le faire. Ils ne seront pas nécessairement au courant des modifications adoptées dans les centaines de milliers de règlements de différentes législations et de différents pays. De plus, les incorporations par renvoi ne sont même publiées obligatoirement dans la Gazette du Canada.
C'est quand même assez problématique parce que tous les règlements adoptés par le gouvernement doivent absolument, avant de devenir lois ou règlements effectifs, être publiés dans la Gazette du Canada pour empêcher les abus. Le problème, c'est que l'article 18.4 confirme que les exigences d'enregistrement et de publication des règlements prévues dans la Loi sur les textes réglementaires ne s'appliquent pas aux documents incorporés par renvoi. Ceux-ci ne sont donc pas obligatoirement publiés dans la Gazette du Canada. On est en train de créer une exception. Habituellement, comme je l'ai dit, toutes les lois et tous les règlements doivent être publiés dans la Gazette du Canada. Toutefois, l'article 18.4 confirme que l'incorporation par renvoi n'y sera pas obligatoirement publiée.
Il y a là un double standard. Je lis dans les pensées des députés du gouvernement conservateur, qui diront que cela a déjà été publié. Or le problème n'est pas là. Cela a peut-être déjà été publié comme tel, mais on ne disait pas que cela s'appliquait à une autre loi ou à un autre règlement. Le problème, ce n'est pas que le règlement a déjà été publié. L'important, c'est de savoir que l'application de ce règlement à un autre règlement ne sera jamais publié. Alors, comment est-on censé savoir qu'est-ce qui s'applique à quoi, si ce n'est pas publié dans la Gazette du Canada? Cela est très problématique.
Si on ne peut pas savoir qu'est-ce qui s'applique à quoi, et si ce n'est pas publié dans la Gazette du Canada, quel est le critère d'accessibilité des conservateurs? Pensent-ils que tout le monde devrait savoir comment aller chercher l'information sur Internet? Si c'est le cas, je leur rappelle que c'est souvent sur le site Web de la Gazette du Canada, justement, que l'on fait des recherches pour savoir quel règlement s'applique à quelle loi ou quel règlement par incorporation s'applique à quel règlement.
Alors, si ce n'est pas publié dans la Gazette du Canada, où cela sera-t-il publié? Cela sera-t-il publié sur le site du ministère? Si c'est cela, leur critère d'accessibilité, j'espère qu'aucun frais n'y sera relié, car l'accès à la Gazette du Canada est gratuit. Y aura-t-il donc des frais? Cela sera-t-il traduit dans les deux langues officielles?
En tous cas, je l'espère fortement, parce que les États-Unis ne sont pas soumis à un critère de bilinguisme. Si nous incorporons par renvoi des règlements des États-Unis, j'espère que le gouvernement s'assurera que ces règlements seront traduits en français et en anglais pour tous les Canadiens et Canadiennes.
Dans une lettre envoyée par le Comité mixte permanent d'examen de la réglementation, on soulève quelques préoccupations que j'ai soulevées lors de l'étude en comité et auxquelles le gouvernement n'a pas répondu, malheureusement. En général, l'incorporation par renvoi à caractère évolutif de documents administratifs produits à l'interne par le gouvernement fédéral ne devrait pas être permise dans les règlements fédéraux.
Pourquoi? On explique que, lorsque les documents sont incorporés par renvoi par l'autorité réglementante elle-même, il y a risque d'abus et de créer tout un système de passe-droit, qui fera en sorte que les incorporations par renvoi et les modifications à la réglementation ne seront pas soumises à l'examen des parlementaires. C'est très problématique.
Que quelques milliers de règlements soient incorporés par renvoi chaque année, sans que les parlementaires en soient avisés et sans que ces règlements soient soumis à l'examen d'un comité parlementaire, je trouve cela très problématique. Cela démontre que le fait de créer un chemin parallèle d'adoption et d'abus potentiels en utilisant l'incorporation par renvoi n'inquiète pas du tout les conservateurs.
D'ailleurs, c'est seulement lorsque ce serait jugé essentiel et fondamental que cela devrait être permis, et cela devrait être indiqué clairement dans une loi habilitante, pas dans le projet de loi S-2. Celui-ci est une loi habilitante générale concernant le pouvoir général d'adopter des mesures par incorporation, pas un pouvoir précis accordé à un ministère ou à un organisme ministériel, par exemple.
Pour les conservateurs, ce n'est pas grave. Ils vont tout simplement adopter le projet de loi S-2 et créer un pouvoir général qui s'applique à tous les ministères et organismes ministériels. Ainsi, ils n'auront pas besoin d'inclure cela dans des lois habilitantes précises. C'est ce que fait le projet de loi S-2.
Par exemple, le projet de loi parle du pouvoir d'incorporer par renvoi des taux, des nombres et des indices, entre autres, par un organisme autre que l'autorité réglementante. Par contre, on ne sait pas de quel organisme il s'agit. On parle de personnes ou d'organismes autres que l'autorité réglementante. Cela peut-il être des fonctionnaires ou des agents de la paix? Je ne sais pas.
Généralement, quand on adopte une loi, on veut que ce soit clair. Qu'est-ce qu'une personne ou un organisme autre que l'autorité réglementante?
D'ailleurs, dans les débats sur le projet de loi S-2 au Sénat, cela a été relevé à plusieurs reprises. Il a été dit que ce n'était pas assez clair et qu'il fallait adopter des lignes directrices. Malheureusement ce n'est pas le projet de loi S-2 qui va changer cela, parce qu'il n'adopte pas des lignes directrices déterminant qui peut vraiment utiliser ce nouveau pouvoir ou qui est une personne ou un organisme autre que l'autorité réglementaire. Comme je l'ai déjà dit, cela a d'ailleurs été soulevé à plusieurs reprises dans les études au Sénat.
Le renvoi successif de législations étrangères est un autre problème. D'ailleurs, encore une fois, dans le rapport et dans la lettre envoyés au ministre, le Comité mixte permanent d’examen de la réglementation dit clairement qu'il estime que l'incorporation par renvoi évolutif de législations étrangères ne devrait jamais être permise non plus.
Il continue d'expliquer que le caractère évolutif de lois d'incorporation par renvoi de lois fédérales, provinciales ou de législations étrangères soustrait ces modifications à l'examen des parlementaires. Je ne l'invente pas. C'est dans un rapport et dans une lettre du Comité mixte permanent d’examen de la réglementation. Celui-ci donne des exemples, comme le fait que la perspective d'interdire l'incorporation par renvoi de législations étrangères existe déjà en Ontario, en Australie, en Nouvelle-Galles du Sud, en Australie méridionale et dans les territoires de la capitale d'Australie.
Il y a donc déjà des pays du Commonwealth qui disent que l'incorporation par renvoi de législations étrangères ne devrait jamais être successive ni incluse, parce que cela soustrait à l'examen des parlementaires des modifications qui pourraient se faire dans la loi. On ne peut permettre que des modifications à la loi canadienne soient incorporées dans la loi sans qu'il n'y ait eu un débat à la Chambre des communes. C'est clair. Toutes les modifications à des réglementations doivent être soumises à la Chambre. C'est clair, c'est comme ça qu'un Parlement fonctionne. C'est une législation.
Le rapport du Comité mixte permanent d’examen de la réglementation parle également de la possibilité qu'un tel pouvoir ne doive nécessairement pas être appliqué sans lignes directrices. Par exemple, on peut lire dans le rapport que l'autorité en question qui rédige le texte du règlement proprement dit ou qui décide d'incorporer des documents par renvoi doit agir dans les limites claires du pouvoir qui lui est conféré par la loi. La promulgation de dispositions générales régissant l'incorporation par renvoi pourrait soulever des questions quant à savoir si elles sont censées constituer des pouvoirs autonomes ou si elles sont assujetties aux conditions de la loi habilitante en vertu de laquelle l'autorité réglementaire prend le règlement par incorporation de documents par renvoi.
En fait, on dit ici que l'adoption du projet de loi S-2, qui est un pouvoir général d'adoption par incorporation, pourrait malheureusement ne pas respecter les conditions et les directives. Comme ces dernières n'existent pas, c'est un peu difficile. Toutefois, cela pourrait faire en sorte que cela ne respecte pas les conditions de la loi habilitante qui fait partie du ministère ou de la loi habilitante de l'organisme.
C'est donc très problématique. Je pense que tous les députés devraient réfléchir avant de laisse des centaines de pages de réglementation échapper à l'examen du Parlement. Je leur demande de voter contre ce projet de loi.