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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 19 novembre 1996

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[Traduction]

Le président: Bonjour à tous. Nous sommes un peu en retard, car nous attendions le Dr Pipe, qui était censé être avec nous ce matin. Nous allons tout de même commencer la séance, en espérant qu'il se joindra à nous sous peu.

Nous souhaitons la bienvenue à nos témoins, qui représentent toutes sortes de milieux ce matin. Nous avons choisi de procéder par table ronde, et nous savons que vous connaissez et avez accepté cette façon de faire.

Veuillez d'abord vous présenter, puis faire une brève déclaration, après quoi les membres du comité vous poseront des questions.

M. William Rickert (président, Labstat Inc.): Puisque mes diapositives sont déjà installées dans l'appareil, je pourrai sans doute commencer.

Je m'appelle Bill Rickert. Depuis 20 à 25 ans, je m'intéresse au programme canadien de caractérisation du tabac, programme qui m'a fait me pencher sur les différents aspects de la fumée dans le milieu ambiant, de la fumée du fumeur, de la fumée des autres, sur les caractéristiques des fumeurs et leurs croyances au sujet des cigarettes, etc. J'ai récemment présidé le Comité canadien d'experts sur les modifications de la cigarette.

J'aurais dû d'emblée remercier le comité de m'avoir invité à comparaître, et j'aurais dû vous expliquer que j'ai un point de vue très limité sur cette question du tabac, limité en ce sens que mes connaissances sont limitées aux diverses caractéristiques de ce produit.

La nicotine est l'élément psychotrope le plus important des cigarettes et celui qui entraîne la dépendance à l'égard de la cigarette. C'est un fait connu de l'industrie du tabac, des législateurs, des scientifiques et des fumeurs. C'est justement à cause de cet élément psychotrope qu'il y a déjà eu diverses initiatives législatives destinées à limiter, voire à éliminer la nicotine des produits du tabac, et c'est l'une des raisons pour lesquelles les fumeurs optent pour les cigarettes identifiées comme étant «légères».

Dans le cadre de l'enquête qu'a récemment effectuée Santé Canada sur le tabagisme au Canada, on demandait aux fumeurs d'expliquer le sens de l'épithète «légère» apposée aux cigarettes. Comme le montre cette diapositive, une grande proportion des sondés croient que par «légère» on entend moins de goudron. Un pourcentage encore plus élevé d'entre eux croient que cela signifie que la cigarette contient moins de nicotine.

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Cette perception n'est pas étayée par la réalité, étant donné que la plupart des cigarettes canadiennes contiennent environ 9 milligrammes de nicotine, peu importe la marque choisie. Ce chiffre de 9 milligrammes représente le maximum de nicotine pouvant être extrait de la cigarette. Toutefois, ce n'est pas nécessairement le cas en ce qui concerne l'étiquetage des cigarettes et du tabac à cigarettes.

Vous ne voyez sans doute pas très bien, mais j'ai ici en main un sac de tabac à cigarettes étiqueté comme étant «léger». Le sac énumère également tous les ingrédients et les constituants toxiques, à savoir le goudron, 22,4 milligrammes; la nicotine, 2,13 milligrammes; et le monoxyde de carbone, 18,1 milligrammes. Gardez en tête le chiffre de 2,13 milligrammes de nicotine et rappelez-vous qu'il s'agit ici d'un produit prétendument léger.

Pour le consommateur moyen, l'étiquette lui garantit que les cigarettes fabriquées à partir de ce tabac contiennent ces ingrédients dans les quantités que je vous ai données plus haut. Pour lui, aucune cigarette fabriquée à partir de ce produit ne contiendrait plus de monoxyde de carbone, ou plus de goudron, ou plus de 2,13 milligrammes de nicotine.

Maintenant, vous ne pouvez sans doute pas reconnaître les produits de la distance où vous vous trouvez, mais j'ai ici en main deux marques populaires de cigarettes canadiennes. L'une d'entre elles est une marque de cigarettes légères et l'autre est une marque de cigarettes ordinaires. La marque légère établit à 1,3 milligramme la quantité de nicotine par cigarette. La marque ordinaire mentionne 1,4 milligramme de nicotine. Autrement dit, le fumeur a l'impression qu'en fumant la cigarette à1,3 milligramme de nicotine il absorbera moins de nicotine que s'il fume la cigarette à1,4 milligramme de nicotine.

Voici maintenant les résultats d'un travail qui s'est terminé en septembre dernier. Je vous demande de remarquer l'endroit où les colonnes bleue et mauve se rejoignent, car cela représente les conditions d'essai utilisées actuellement au Canada pour produire les chiffres qui figurent sur les produits du tabac. La colonne mauve représente ce que retirent du produit les fumeurs moyens. Autrement dit, le chiffre qui est inscrit sur l'emballage représente le minimum que le fumeur peut retirer du produit. Or, le fumeur typique en retire souvent plus. En fait, celui qui fume de façon intensive va chercher une quantité supplémentaire du produit, comme on le voit à la colonne jaune.

Il saute aux yeux que si l'on fume de façon intensive, toutes les marques sont identiques, peu importe le chiffre qui est inscrit sur l'emballage. Toutes les marques vont donner environ2 milligrammes de nicotine aux fumeurs. Autrement dit, lorsque ceux-ci abandonnent la cigarette ordinaire donnant 1 milligramme de nicotine pour opter pour la cigarette ultralégère à0,1 milligramme de nicotine, ils font leur choix en se fondant sur la conviction qu'ils seront exposés à moins de nicotine. Or, comme vous pouvez le voir sur le schéma, si l'accoutumance du fumeur est telle qu'il aura besoin de 1 milligramme de nicotine dans chaque cigarette, il ira chercher ce milligramme, peu importe la façon dont le produit est décrit sur l'emballage.

Il est clair que limiter la quantité de nicotine inhalée par les machines dans des conditions dites normales contribuera peu à faire diminuer l'accoutumance à la nicotine et pourrait avoir d'autres conséquences inattendues. Ainsi, on associe la maladie et la mortalité dérivées du tabagisme surtout à des facteurs autres que la nicotine, même si la question fait toujours l'objet d'intenses recherches. Toutefois, il est communément accepté que l'inhalation des particules de fumée du tabac, que l'on appelle généralement le goudron, est associée à une augmentation du risque de diverses formes de cancer, y compris le cancer du poumon.

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Par conséquent, si on limite la quantité de nicotine dans les produits du tabac, cela pourrait avoir pour conséquence une augmentation de l'incidence des divers cancers reliés au tabagisme. Pourquoi? Parce qu'extraire la nicotine des tabacs à faible teneur en nicotine est difficile pour les fumeurs, ce qui exige d'eux qu'ils fument de façon intensive, et ce qui se traduit par une exposition accrue aux produits carcinogènes, et ce, de façon disproportionnée.

À mon avis, on préserverait le mieux la santé et le bien-être des fumeurs invétérés en introduisant des mécanismes qui réduiraient le plus possible les niveaux de tous les éléments toxiques de la cigarette tout en maintenant des niveaux acceptables de nicotine.

Si l'on se fie à l'augmentation des produits de remplacement de la nicotine qui sont offerts sur le marché, il semblerait que la méthode d'autodosage de la nicotine non dérivée de la cigarette soit considérée de plus en plus comme une façon de contrer la dépendance à l'égard de la cigarette et les effets nocifs qui y sont associés.

Voilà tout ce que j'avais à dire sous forme d'exposé.

Le président: Bien.

Bienvenue, docteur Pipe. Nous vous avons bien attendu un certain temps, mais avons décidé de commencer la séance.

M. Rickert était notre premier témoin. Nous pouvons maintenant suivre la liste telle qu'elle nous a été fournie, ou vous demander de parler dans l'ordre dans lequel vous êtes assis à la table des témoins. C'est le Dr Pipe qui est le suivant sur la liste, mais s'il n'est pas tout à fait prêt, nous pouvons passer à quelqu'un d'autre.

Dr Andrew Pipe (professeur adjoint, Institut de cardiologie de l'Université d'Ottawa): Merci, monsieur le président. Je veux bien y aller.

Veuillez excuser mon retard. J'espère que vous avez reçu le message que je vous ai envoyé de Hamilton, il y a une heure et cinq minutes.

Le président: En effet.

Dr Pipe: Je n'ai malheureusement pas apporté de document, car je me suis rendu directement ici, en faisant à peine un arrêt.

Bonjour, mesdames et messieurs. J'ai grand plaisir à m'adresser à vous ce matin en tant que clinicien qui a une double expérience du tabac et de la nicotine.

En premier lieu, je peux constater quotidiennement les conséquences dramatiques et catastrophiques que peut avoir ce produit mortel pour des centaines de milliers de Canadiens qui en sont dépendants.

En second lieu, dans le cadre de mon travail comme directeur médical de la Clinique de désaccoutumance du tabac à l'Institut de cardiologie de l'Université d'Ottawa, je rencontre des centaines de personnes chaque année qui essayent désespérément de se défaire de cette accoutumance. Il est évident qu'une bonne majorité d'entre eux sont des gens qui sont déjà à un stade avancé d'une maladie cardiovasculaire, mais beaucoup d'entre eux sont des personnes non encore hospitalisées qui doivent se battre quotidiennement contre cette accoutumance très tenace dont vous entendrez beaucoup parler ce matin, j'en suis sûr.

Dans ma vie professionnelle, j'ai également eu affaire aux autres problèmes reliés aux drogues, à l'abus des médicaments et à la consommation à mauvais escient de drogues. Comme je m'occupe depuis plusieurs années de sports d'élite à l'échelle internationale, j'ai pu acquérir une vaste expérience de l'utilisation des stéroïdes anabolisants dans le monde du sport et une grande expérience de la mise au point de procédures et de procédés, à l'échelle nationale et internationale, pour faire face à ce problème, à la suite en grande partie des recommandations de la Commission Dubin pour ce qui est du Canada.

Excusez-moi si je répète certaines choses qui ont été dites ce matin, monsieur le président.

Que savons-nous de la nicotine? C'est un stimulant très puissant de ce que l'on appelle le système dopaminergique du système nerveux central. Il y a certaines régions du cerveau qui sont immédiatement stimulées par la nicotine, laquelle est retransmise très rapidement dans l'organisme. Je suis sûr qu'au cours de vos travaux vous avez découvert qu'il n'y a aucun autre moyen plus rapide que les poumons pour propager dans l'organisme une drogue quelconque.

Excusez-moi si je fais des suppositions ou si je présume certaines choses concernant vos connaissances en anatomie ou en physiologie. Quand vous faites passer de la fumée dans les poumons, vous transmettez directement la nicotine dans le réseau artériel, d'où elle est pompée immédiatement au cerveau.

Chose assez spectaculaire, la nicotine met de six à sept secondes à atteindre le cerveau. L'héroïne met de 14 à 20 secondes à atteindre le cerveau quand elle est injectée dans une veine.

Autrement dit, le système de propagation de la drogue que contiennent les cigarettes est très perfectionné, car il s'agit d'un mécanisme habilement - et je dirais mortellement - conçu pour diffuser des quantités maximales de nicotine à cette partie du système cardiovasculaire qui est capable d'en bombarder le cerveau presque immédiatement.

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Quand la nicotine atteint certaines régions du cerveau, surtout la région du tronc cérébral, il se produit une séquence de réactions, dont le résultat net est la libération d'un médiateur chimique que nous appelons la dopamine. La dopamine irrigue ensuite diverses régions du cerveau, procurant ainsi les sensations très agréables que connaissent les usagers de la nicotine. Mesdames et messieurs, cela s'apparente énormément au mécanisme responsable des «expériences positives» que vivent les toxicomanes qui font usage d'autres drogues.

Ainsi, en deux mots, vous avez là un vecteur qui est conçu spécifiquement pour libérer de la fumée d'une certaine composition chimique, d'un certain pH, de telle sorte qu'une cigarette puisse libérer une quantité maximale de nicotine, qui par la voie du réseau artériel est transmise directement au cerveau. Ce sont là des renseignements que les fabricants de tabac connaissent depuis des années.

Comme scientifique, je suis assez inquiet évidemment de certaines choses que font les fabricants de tabac, mais il en est une que je leur reproche, et c'est d'avoir retardé l'évolution des neurosciences d'au moins 10 ans. Les renseignements qu'ils ont tenus bien cachés auraient été de la plus haute importance pour les scientifiques qui travaillent dans toute une gamme de domaines des neurosciences, mais ils se sont servis plutôt de ces renseignements pour élaborer, concevoir et produire plus habilement et de façon plus achevée ce vecteur de propagation de drogue qu'est la cigarette moderne.

Sachez que le fumeur, quel que soit le genre de cigarettes qu'il fume, absorbe en général de un à trois milligrammes de nicotine chaque fois qu'il fume une cigarette.

Je suis sûr que vous avez déjà entendu ce que je vais vous dire maintenant: nous savons que les gens fument pour maintenir dans leur organisme le niveau de nicotine qui leur convient sur le plan individuel ou suivant leur idiosyncrasie. Une fois que le niveau de nicotine de leur organisme passe sous ce niveau personnel, ils éprouvent le besoin de fumer. C'est alors que le niveau de nicotine de leur organisme est relevé et que le fumeur est soulagé des symptômes de sevrage qui commençaient à se faire sentir, et à cela s'ajoutent d'autres sensations positives que les fumeurs disent obtenir quand ils consomment cette drogue très puissante.

Nous savons que, contrairement à d'autres groupes de la population, les fumeurs souffrent de certaines affections qui sont la conséquence de l'abus de cette drogue. Je sais que vous n'êtes pas ici ce matin pour entendre un médecin vous réciter de nouveau la litanie des conséquences néfaste du tabac pour la santé, mais je vais vous donner une description assez vivante de quelque chose qui fait partie de ma vie quotidienne, mais sûrement pas de la vôtre.

Il y a quelques semaines j'ai participé à une intervention chirurgicale, un pontage coronarien, pour rétablir la circulation du sang vers le coeur d'un patient. Sa maladie de coeur était bien entendu causée presque directement par sa tabacomanie.

Pourquoi procéder à cette opération? Eh bien, il s'agissait d'une opération préalable pour permettre à ce patient de pouvoir subir deux ou trois semaines plus tard une intervention chirurgicale visant à lui retirer une tumeur au poumon, affection qui bien entendu était directement causée par son abus du tabac.

L'opération se compliquait, mesdames et messieurs, du fait que nous ne pouvions pas utiliser les vaisseaux sanguins que nous utilisons d'habitude, c'est-à-dire ceux de la jambe, pour remplacer les artères coronaires. En effet, ces vaisseaux avaient été enlevés quelques années auparavant pour rétablir la circulation sanguine dans ses jambes, les vaisseaux sanguins de ces dernières ayant été détruits par son abus du tabac.

Vous voyez là, réunies en un seul patient, les conséquences de la tabacomanie, cette dépendance à l'égard d'une drogue horrible - une drogue qui, ironiquement, a échappé à toute forme de réglementation et de contrôle du fait que, sauf le respect que je vous dois, les fabricants de ce produit ont réussi à influencer le système politique.

Je suis médecin et quotidiennement je suis en contact avec des patients qui se bagarrent contre leur dépendance, et je constate aussi quotidiennement les conséquences de l'usage de cette drogue. Voilà pourquoi je veux demander ceci à chacun des élus au Canada: où étiez-vous? Comment avez-vous pu laisser cette situation se produire?

Je pourrais vous réciter la liste sans fin des répercussions sur la santé qui proviennent des problèmes que cause cette drogue. Je ne le ferai pas. Je me contenterai de vous dire que dans notre société, c'est la drogue la plus répandue parmi celles qui créent une dépendance. Il suffit de consommer bien peu de cette drogue pour que quelqu'un devienne dépendant. Et le taux de rechute chez ceux qui essaient de se débarrasser de cette dépendance est très élevé.

D'aucuns vous diront que le taux de succès est au plus bas quand on essaie de s'attaquer à cette drogue en particulier. Nonobstant les nouvelles méthodes, méthodes qui nous valent un certain succès dans notre propre centre et nous permettent d'aider des patients tabacomanes, un taux de succès de 15 p. 100 à la fin de la première année est considéré comme un excellent résultat quand il s'agit du processus de dépendance envers la nicotine.

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À mon avis, mesdames et messieurs, il y a un besoin criant de réglementation et de contrôle de ce produit mortel. Ce contrôle peut prendre bien des formes. Il faut modifier l'environnement grâce à la suppression de la publicité et des commandites. Il faut relever le prix de ce produit. Nous savons que les adolescents sont particulièrement sensibles aux changements de prix des produits du tabac. L'élasticité-prix est d'environ moins 1,4 pour les adolescents, c'est-à-dire que s'il y a une augmentation de 10 p. 100 du prix du tabac, la consommation chez eux baisse de 14 p. 100. Aucune autre stratégie n'est aussi efficace que l'augmentation du prix du tabac pour réduire au minimum la consommation du tabac et de la nicotine chez les jeunes.

Il faut réglementer le produit lui-même, et je suppose, bien que je sois arrivé en retard, que quelqu'un vous l'a déjà dit ce matin. La cigarette est un vecteur de transmission d'une drogue - rien d'autre. Le fait que ce vecteur échappe à l'examen et à la réglementation de ceux qui, dans l'intérêt public, tentent de protéger le public est un mystère encore non élucidé.

Il y a divers moyens pour cela: réglementer la teneur en nicotine de la cigarette, supprimer les éléments qui maintiennent ou accélèrent la combustion de la cigarette - il y a toute une gamme de stratégies que l'on pourrait mettre en oeuvre à cette fin.

Je tiens à conclure maintenant, car il sera sans doute plus utile d'avoir entre nous un échange de questions et réponses. Je veux ajouter que j'ai découvert une autre conséquence de la tabacomanie pour la santé - l'insomnie - car je ne peux pas croire que ceux qui se portent à la défense des intérêts de cette industrie sont capables de dormir la nuit.

Je vous remercie, monsieur le président.

Dr Roberta Ferrence (directrice, Unité de recherche sur le tabac de l'Ontario): Je vous remercie de me donner l'occasion de prendre la parole devant vous aujourd'hui. Je suis chercheur principal à la Fondation de recherche sur la toxicomanie et je suis également directrice de l'Unité de recherche sur le tabac de l'Ontario, qui est financée par le ministre de la Santé de l'Ontario.

Comme vous le savez, on peut attribuer au tabac la mort prématurée de dizaines de milliers de Canadiens chaque année. Le tabac contient une drogue, la nicotine, qui crée un grand effet d'accoutumance et qui parvient au fumeur par un ensemble de systèmes d'acheminement dangereux dont on vous a parlé ce matin.

Or, le tabac continue de jouir d'un statut spécial par rapport à la plupart des autres drogues. En effet, c'est une drogue peu coûteuse qu'on peut se procurer aussi facilement que du pain et du lait, ce qui fait qu'il est presque impossible d'en contrôler efficacement la vente aux jeunes. Nous avons en outre permis aux fabricants de cette drogue d'en faire une large promotion et de mousser leur image de marque en parrainant des événements sportifs et culturels. Qui plus est, les politiques fédérales et provinciales font en sorte que la plupart des fumeurs peuvent persévérer tous les jours dans leur accoutumance pour à peu près le même coût qu'un billet d'autobus.

J'insisterai aujourd'hui dans mes remarques sur l'effet du prix du tabac et des taxes imposées sur ce produit et je vous dirai aussi quelques mots au sujet des conséquences de tout cela pour la santé future des Canadiens.

Bien que la proportion des fumeurs se soit mise à diminuer dans les années soixante, à la suite de la diffusion de l'information faisant ressortir les conséquences néfastes du tabagisme, la consommation par habitant a continué à augmenter jusqu'au début des années 80. Sur ce graphique, la bande large montre la consommation annuelle par habitant, et la bande étroite le prix réel du tabac en dollars de 1994. Le graphique porte sur la période allant de 1954 à 1994.

Comme vous pouvez le constater, il y a une forte corrélation inverse entre le prix d'un produit et le niveau de consommation. Cela ne vaut pas seulement pour le Canada ni pour le tabac. Depuis de nombreuses années, ce rapport est connu et vaut pour l'alcool ainsi que pour d'autres produits de consommation. La diminution du prix réel du tabac pendant les décennies d'après-guerre a été accompagnée d'une augmentation progressive de la consommation. L'augmentation qui s'est poursuivie dans les années soixante-dix est en grande partie attribuable à l'augmentation du nombre de cigarettes fumées par chaque fumeur. Les années quatre-vingt ont été marquées par une augmentation importante des taxes sur les cigarettes par rapport aux années 70; les taxes sur les cigarettes étaient huit fois plus élevées dans les années quatre-vingt.

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Voici maintenant une comparaison des taxes sur les cigarettes imposées au Canada et aux États-Unis. Les données pour les États-Unis sont en dollars américains, mais on voit que la différence n'est pas très grande. On voit que l'écart entre les taxes canadiennes et américaines a augmenté sans cesse dans les années quatre-vingt, les taxes dans un pays étant huit fois plus élevées que dans l'autre en 1992. Cette augmentation des taxes a été accompagnée d'une diminution sensible de la consommation de tabac parmi les adultes et d'une diminution encore plus marquée parmi les adolescents.

La colonne à gauche indique la population totale âgée de plus de 15 ans. La ligne foncée représente la consommation par habitant, et l'autre ligne le prix réel du tabac. Vous voyez la forte corrélation inverse, corrélation encore plus forte chez les adultes. Le Dr Pipe vous a parlé à ce sujet du principe de l'élasticité. L'effet d'une augmentation des taxes est plus marqué pour les jeunes fumeurs. Au cours de cette période, l'augmentation des taxes a eu un effet plus marqué au Canada qu'aux États-Unis, les taxes n'ayant d'ailleurs pas augmenté dans ce pays-là.

On a aussi constaté pendant cette période une diminution importante du nombre de cigarettes fumées par les adolescents. Cette tendance s'est manifestée avant l'interdiction de la publicité sur le tabac et n'a pas été accompagnée d'autres changements importants dans la politique ou la programmation du tabac au Canada. Il est donc évident qu'on peut attribuer en grande partie cette diminution à l'augmentation des taxes.

Au début des années 90, les taxes sur le tabac au Canada ont atteint un niveau comparable à celui des taxes imposées dans de nombreux pays européens, et dépassaient de beaucoup les taxes en vigueur aux États-Unis. La première barre rouge représente la situation en Colombie-Britannique, et la seconde en Ontario. Vous pouvez constater que même si le public a pu avoir l'impression que nos taxes étaient très élevées, elles étaient en fait inférieures à celles imposées dans de nombreux pays européens. Les barres vertes représentent la situation dans divers États américains. On voit que le niveau des taxes était le moins élevé en Virginie, un État grand producteur de tabac.

L'écart dans les taxes entre le Canada et les États américains a suscité une importation illégale de cigarettes canadiennes exportées. Ce phénomène a été facilité par l'élimination d'une taxe à l'exportation qui devait rendre la contrebande non rentable. Malgré une augmentation importante des exportations de l'industrie du tabac qui ne correspondait manifestement pas à une augmentation de la demande aux États-Unis, aucun véritable effort n'a été fait pour réduire le trafic des exportations.

Au début de 1994, lorsque les cigarettes de contrebande représentaient près de 30 p. 100 des ventes au détail de cigarettes au Canada, le gouvernement fédéral a réduit de 5$ la cartouche la taxe sur le tabac et a offert aux provinces de réduire encore davantage ses taxes dans une proportion égale à la réduction qu'elles seraient prêtes à consentir, jusqu'à concurrence de 10$ la cartouche. Cinq provinces canadiennes ont accepté de réduire leurs taxes. Dans ces provinces, le prix des cigarettes a diminué de moitié, ce qui représente, à ma connaissance, une réduction de prix sans précédent dans le monde. Cinq provinces, cependant, ont maintenu leurs taxes au même niveau.

Avec une réduction de 5$ en Colombie-Britannique, la taxe sur les cigarettes est passée à2,8 p. 100, c'est-à-dire au même niveau que les taxes en Ontario. Les taxes ontariennes sur le tabac sont maintenant inférieures aux taxes imposées au Japon sur le même produit. Les taxes en Ontario ont diminué de 1$, ce qui fait que l'Ontario se situe entre la Grèce et le Japon pour ce qui est des taxes sur le tabac. On voit donc que la réduction des taxes a été très importante en Ontario.

Les recettes tirées en Ontario des taxes sur le tabac ont diminué de façon très marquée en 1995. Ces données montrent les recettes provenant des taxes sur le tabac attribuées aux provinces qui n'ont pas réduit leurs taxes sur ce produit. Même si l'on craignait une augmentation de la contrebande - et il existe une certaine contrebande entre les provinces à l'heure actuelle - , vous voyez que les provinces qui n'ont pas réduit leurs taxes ont maintenu leurs recettes et, comme en Colombie-Britannique et en Alberta notamment, les ont même accrues.

La dernière année pour laquelle nous avons des données - c'est la barre en pointillé - est 1995. Cela nous permet de faire une comparaison avec les provinces qui ont réduit leurs taxes. On constate des augmentations dans toutes les provinces, et en particulier des augmentations importantes en Ontario et au Québec.

Voici ce qu'il en est pour l'Ontario. Les recettes de 1995 ne représentaient que le tiers des recettes de 1993. Cette diminution des recettes fiscales s'est ajoutée aux autres problèmes qui se sont produits.

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La diminution de la consommation de cigarettes constatée dans les années quatre-vingt s'est stabilisée au début des années 90, et il semblerait que la consommation remonte maintenant. Des études menées en Ontario établissent qu'il y a une augmentation du nombre de fumeurs tant chez les adultes que chez les jeunes. Ces données proviennent d'une étude ontarienne menée par la Fondation de recherche sur la toxicomanie sur la consommation de tabac en 1992, 1993, 1994 et 1995.

Cette étude révèle une augmentation importante du tabagisme en 1995 par rapport à 1993. Même s'il semble y avoir augmentation à l'échelle mondiale de la consommation de tabac, de marijuana et d'autres drogues, la consommation de tabac a augmenté en Ontario malgré la mise en oeuvre de la stratégie ontarienne de lutte contre le tabagisme comportant une augmentation des sanctions prévues en cas de ventes de cigarettes aux mineurs, l'élargissement de l'interdiction de fumer dans les lieux publics ainsi que d'autres efforts en vue de faire diminuer la consommation.

Des données provenant d'un projet de prévention du tabagisme à Waterloo pour les années 1993 à 1996 font état d'une augmentation importante du tabagisme tant en 1995 qu'en 1996. Il s'agit des données les plus récentes dont nous disposons sur le tabagisme parmi les jeunes.

Près de 50 p. 100 des élèves de 9e année du sud-ouest de l'Ontario ont fumé une cigarette au cours de la dernière année, et environ 17 p. 100 d'entre eux fument chaque jour; la majorité de ceux-ci fument plus d'une ou deux cigarettes par jour. Il s'agit d'enfants de 13 et 14 ans. Les pourcentages sont évidemment beaucoup plus élevés chez les élèves plus avancés.

Que pouvons-nous prévoir pour l'avenir si aucune mesure importante n'est prise pour contrer cette tendance? Des projections établies l'an dernier pour la province du Manitoba laissent prévoir qu'une réduction des taxes s'accompagnerait d'une augmentation des morts prématurées pendant les 40 prochaines années, et, après cette période, d'une augmentation de 15 à 30 p. 100 des morts à un âge peu avancé. Ces projections pour le prochain siècle montrent de petites augmentations dans les quelques années qui viennent.

Les effets de cette augmentation sur la santé mettront des années à se faire sentir. Les carrés montrent la mortalité prévue d'ici à l'an 2035 ou 2040 s'il n'y a pas de réduction des taxes au Manitoba, et les deux lignes plus haut montrent quel serait l'effet de diverses réductions de taxes sur la mortalité de diverses réductions de taxes. On voit donc qu'on prévoit une augmentation de la mortalité de 10,5 points - ces données valent pour les hommes, mais elles sont identiques pour les femmes - par mille habitants s'il n'y a pas de réduction des taxes et une augmentation de 12 à 13 points par mille habitants si on réduit les taxes dans la même proportion qu'en Ontario.

Voilà donc ce à quoi on peut s'attendre s'il n'y a pas de changements dans les provinces qui ont réduit leurs taxes. C'est en partie en raison de cette information que le Manitoba aurait décidé de ne pas réduire ses taxes.

Ces décès se produiront parmi les poupons et les enfants qui naîtront dans les années quatre-vingt-dix, soit parmi nos enfants et petits-enfants. Le Canada s'est déjà doté de nombreux programmes et politiques visant à décourager les jeunes de commencer à fumer et ensuite à fumer de façon régulière. Or, ces activités sont beaucoup moins efficaces en l'absence de taxes suffisantes et de contrôle sur la publicité et la promotion du tabac. Une série d'augmentations de taxes progressives, l'introduction de comptoirs de vente contrôlés et la mise en oeuvre de toutes les mesures législatives fédérales envisagées sont essentielles si nous voulons empêcher une augmentation de la consommation de tabac et prévenir les coûts à long terme découlant des maladies et des morts attribuables au tabagisme.

Je vous remercie.

[Français]

Dr Michael Goodyear (Société canadienne d'oncologie): Monsieur le président, honorables députés, bonjour encore et merci. La Société canadienne d'oncologie

[Traduction]

est un organisme qui représente tous les spécialistes du domaine médical qui travaillent à comprendre le cancer au Canada ainsi que plusieurs chercheurs de renom en oncologie. J'insiste aussi sur le fait que nous écoutons très attentivement nos patients, et leur famille, dans l'espoir de vous faire part de leurs préoccupations.

Nous ne sommes pas des spécialistes en pharmacologie, ni des spécialistes de l'accoutumance. Il y a d'ailleurs suffisamment de spécialistes de ces domaines pour répondre à vos questions. Ce qui nous amène à comparaître devant le comité, c'est que nous croyons que la nicotine devrait être réglementée comme toute autre substance dangereuse.

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Pourquoi sommes-nous ici? Vous trouverez dans les documents qui vous ont été remis des extraits de statistiques officielles sur le cancer au Canada pour l'année 1996. Le plus décourageant, c'est que dans deux mois paraîtront les statistiques pour 1997, et nous savons déjà qu'elles seront pires que celles-ci.

Ces documents renferment aussi des graphiques montrant l'évolution des cancers les plus communs au Canada. Vous verrez que l'anomalie parmi tous les types de cancers, c'est qu'il y a augmentation du cancer du poumon chez les hommes, mais en particulier chez les femmes. Nous avons alerté des comités comme celui-ci et des députés qui ont appartenu aux différents gouvernements fédéraux sur les conséquences d'une inaction dans ce domaine depuis que nous savons à quoi nous en tenir au sujet de l'évolution de ce cancer, et malgré nos avertissements rien n'a été fait.

L'une des questions qui nous sont le plus souvent posées par les politiciens, c'est si nous gagnons ou perdons la lutte contre le cancer. Vous trouverez aussi dans ces documents un graphique montrant ce qui se passe lorsqu'on ne tient pas compte dans l'équation des morts par cancer attribuables au tabagisme. Vous voyez que le taux de mortalité serait le même chez les hommes, et que chez les femmes on constaterait une nette amélioration, si ce n'était du cancer du poumon.

Étant donné que l'heure est aux réductions budgétaires et à la lutte contre le déficit, nous avons inclus un graphique montrant que les coûts de santé directs découlant de la lutte contre le cancer s'élèvent à 3,5 milliards de dollars au Canada, et j'insiste sur le fait qu'il ne s'agit pas de coûts totaux, mais de coûts directs seulement.

Je ne pense pas que nous ayons à démontrer à qui que ce soit dans cette salle le lien qui existe entre le cancer du poumon et le tabagisme, mais nous avons quand même cru bon d'inclure un dépliant sur le sujet dans la trousse d'information qui vous a été remise. Le graphique en question montre, pour une période de 20 ans, une corrélation exacte entre la consommation de tabac et l'incidence du cancer du poumon au Canada, avec un léger plafonnement de la courbe au haut du plafonnement de l'augmentation de la consommation de tabac dans les années soixante-dix.

Pour renforcer ce qu'a dit le Dr Pipe, l'autre côté du tableau montre une correspondance exacte entre les décès attribuables à la cardiopathie ischémique et la consommation de tabac. Les preuves à cet égard sont irréfutables.

Le tiers des décès par cancer sont attribuables au tabac. Permettez-moi d'insister sur le très grand sentiment de frustration que nous ressentons du fait de l'inaction dans ce domaine des partis de toutes les allégeances politiques, non seulement au Canada, mais ailleurs dans le monde.

Je vous rappelle qu'en 1963 le ministre libéral de la Santé de l'époque, Mme Judy LaMarsh, a révélé à la Chambre des communes le fait surprenant que le tabagisme était une cause principale du cancer du poumon. La lecture des documents du Cabinet de l'époque montre qu'elle comptait faire une déclaration beaucoup plus catégorique, mais que ses collègues ont craint qu'elle ne sème la panique au pays.

Cette déclaration n'a pas abouti au dépôt d'un projet de loi précis, mais je vous rappelle que ce comité a produit en 1969 un très important rapport sous la présidence de Gaston Isabelle dans lequel on recommandait de contrôler et de réglementer la nicotine. Ce rapport a donné lieu au dépôt du projet de loi C-248 à la Chambre en 1971. Ce projet de loi qui visait à réglementer et à contrôler la nicotine au Canada est malheureusement mort au Feuilleton.

Il sera très difficile aux générations futures d'historiens de comprendre le paradoxe effroyable d'une société qui a une tolérance plutôt faible envers les risques inutiles, mais qui permet néanmoins à une industrie qui connaît très bien les raisons de l'accoutumance à la nicotine et des risques pour la santé du tabagisme de faire la promotion et la vente d'un produit à base de nicotine.

Pour nous, la lutte contre le cancer et le tabagisme repose sur le contrôle de la nicotine. La nicotine est une drogue hautement toxique créant un fort effet d'accoutumance qui ne sert aucune fin utile dans notre société, sauf celle de rendre des adolescents esclaves à vie du tabac. Je vous rappelle que le recours à la nicotine a été interdit à des fins agricoles - les agriculteurs l'appelaient «le pavillon des pirates» en raison de sa toxicité - or, ce produit est facilement disponible si on veut l'inhaler.

Les documents de l'industrie du tabac montrent que celle-ci connaît pleinement depuis au moins 1945 l'effet d'accoutumance créé par la nicotine ainsi que la façon d'en tirer parti. Pour reprendre les mots du juge Jean-Jude Chabot, de la Cour supérieure du Québec, qui a écouté les témoignages de l'industrie du tabac lors de la première contestation constitutionnelle faite aux termes de la Loi réglementant les produits du tabac, au sujet des questions de santé, l'industrie du tabac lui faisait penser à Tiny Tim marchant sur la pointe des pieds à travers les tulipes avec son ukulélé.

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L'introduction des cigarettes douces et légères constitue sans doute la plus grande supercherie qu'aient subie le public canadien et la population du reste du monde. Voilà où l'on peut dire que l'industrie marche effectivement sur la pointe des pieds.

Selon l'industrie du tabac, le fait de fumer n'est pas nocif pour la santé, et pourtant elle sait très bien que les fumeurs qui craignent pour leur santé passeront à des cigarettes douces ou légères, croyant à tort que celles-ci posent moins de risques pour leur santé.

Malheureusement, en raison de l'énorme influence économique et politique de l'industrie du tabac dans notre pays et dans d'autres pays, elle est parvenue à établir les règles du jeu pour ce qui est du contrôle du tabac, créant ainsi le plus grand problème lié aux drogues dans notre société, une grande part du problème étant due à des activités illicites. Je songe ici particulièrement à la contrebande et à la vente de cigarettes aux enfants, des activités illégales dans les deux cas.

Où en est-on dans notre lutte contre le tabagisme? Mon collègue, le Dr Ferrence, vous a présenté des statistiques récentes sur la question, et je crois que le Dr Richard Shaver, médecin hygiéniste en chef pour l'Ontario, a clairement résumé la situation il y a quelques jours lorsqu'il a présenté son rapport annuel en disant que nous étions en train de perdre la guerre.

Personne ne sous-estime la complexité de la question du contrôle du tabac et de la nicotine. Ce que nous déplorons cependant, c'est l'incohérence totale de la politique publique, laquelle ne considère pas la nicotine comme une drogue dangereuse et ne réglemente pas tous les aspects de son importation, de sa fabrication, de sa distribution, de sa vente et de sa promotion soit de façon directe par la publicité, soit de façon indirecte par l'intermédiaire du parrainage d'événements sportifs et culturels.

La nicotine n'est pas nécessairement un problème en soi, et je ne veux pas m'étendre inutilement sur les conséquences exactes de la nicotine pour la santé, mais un porte-parole de l'industrie a comparé la nicotine à un appât, et c'est évidemment l'appât par lequel le consommateur ressent les effets nocifs de la fumée du tabac.

Si la nicotine était une substance contrôlée dans notre pays, cela fournirait au gouvernement un cadre réglementaire par lequel contrôler tous les autres aspects du tabagisme. Des spécialistes de l'accoutumance, dont Henningfield et Benowitz, du National Institute on Drug Abuse, soutiennent que le fait de contrôler la nicotine, et notamment la quantité maximale de nicotine dans une cigarette - non pas le rendement, mais la teneur en nicotine - réduirait les propriétés causant l'accoutumance, ce qui ferait en sorte d'empêcher des jeunes de devenir des fumeurs pour la vie. Je n'en dirai pas plus là-dessus, mais je renvoie à ce sujet à ce que disent les spécialistes de l'accoutumance.

Tout intéressés que nous soyons par la question de la nicotine, cela ne doit pas nous empêcher d'adopter une optique générale tenant compte à la fois de l'offre et de la demande, et en particulier de l'établissement des prix des produits contenant de la nicotine, si nous voulons atteindre nos objectifs nationaux.

En faisant de la nicotine une substance réglementée, on casserait l'argumentation de l'industrie, pour qui la nicotine est un produit licite et dont la publicité doit par conséquent l'être également.

Vous aurez sans doute constaté que j'arbore un coquelicot. C'était le 11 novembre il n'y a pas longtemps, ce qui nous a remémoré quelques moments particulièrement affligeants de l'histoire de notre siècle. Nous nous sommes en particulier souvenus de la dernière grande guerre et du fait qu'entre 1939 et 1945, en six ans, 42 000 Canadiens ont perdu la vie. Et pourtant le même nombre de gens perdent la vie chaque année de façon totalement inutile et totalement évitable à cause de la nicotine.

Vous avez entre les mains les moyens voulus pour empêcher ce genre de chose. Je vous remercie.

Le président: Merci à nos quatre témoins qui ont fait bénéficier le comité de toutes leurs connaissances du dossier.

Nous allons maintenant avoir une période de questions et réponses, mais je vais devoir m'absenter pendant quelques instants, car je dois soumettre à la Chambre un rapport au nom du comité. Je vous reviendrai dès que je le pourrai, mais je vais inviter l'un de nos vice-présidents, en l'occurrence Mme Picard, à assumer la présidence en mon absence.

Nous avons un ordre d'intervention. Êtes-vous prêt, Pierre?

M. de Savoye (Portneuf): Oui.

Le président: Nous aurons donc Pierre, Grant et puis Joe, dans l'ordre. Je vous reviens dans quelques instants.

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[Français]

M. de Savoye: Madame, messieurs, merci de nous avoir présenté, avec beaucoup de conviction et des faits indiscutables, ces éléments d'information sur la nocivité de la consommation du tabac.

J'ai quelques questions à vous poser, mais je voudrais vous faire remarquer que je souhaite que nous ayons, comme vous l'avez dit auparavant, la possibilité d'influer sur le cours des choses.

Je dois vous dire que j'ai arrêté de fumer il y a une vingtaine d'années, après avoir fumé pendant plus de 12 ans. Ça m'a pris trois ans. Il m'a fallu trois ans pour me débarrasser, non seulement physiquement mais psychologiquement, du réflexe de chercher quelque chose à mettre dans ma main et à porter à ma bouche.

Je dois vous dire aussi qu'avant d'arrêter de fumer, si je manquais de cigarettes, quelle que soit l'heure, je me levais, je prenais ma voiture et j'allais chercher des cigarettes. Je suis, par conséquent, très bien placé pour dire que c'est un produit qui crée une grande dépendance.

Toutefois, cela m'amène à dire que, si le Parlement adoptait un loi ayant pour but de bannir l'usage du tabac au Canada, on verrait certainement des gens en faire pousser dans leur cave. Le marché noir deviendrait également florissant. Il y a des gens qui deviendraient des criminels pour s'en procurer. Par conséquent, on peut se dire que ce n'est pas en tentant de bannir le produit qu'on pourra nécessairement améliorer la situation.

Tantôt, le Dr Pipe a indiqué qu'il y avait peut-être d'autres façons d'influer sur les habitudes de consommation. En fait, il s'agit de comportements, et il faut essayer de changer le comportement des gens.

J'ai deux questions. D'abord, est-ce que la nicotine est le produit qui crée tous les dommages ou est-ce que ce sont les autres produits comme le goudron qui sont transportés dans la fumée qui sont mauvais? Quel est l'ingrédient nocif? Qu'est-ce qui crée vraiment le dommage?

Deuxièmement, quels seraient les moyens que le Parlement pourrait mettre en oeuvre pour aider les gens à avoir moins de problèmes de santé ou à changer leurs comportements?

Qu'est-ce que vous avez à nous suggérer dans ce domaine-là? Je vous indique également qu'une hausse des prix peut avoir des effets bénéfiques pour autant qu'elle n'enclenche pas un problème de contrebande. En effet, si on ne peut contrôler le marché, la contrebande viendra contrecarrer les bienfaits de la hausse des prix.

[Traduction]

M. Rickert: Je voudrais mentionner une lettre que m'a adressée le professeur Neal Benowitz, qui, on l'a dit un peu plus tôt, préconisait pour sa part une certaine teneur en nicotine dans les produits du tabac. Il m'écrit ceci: «La nicotine en tant que telle est probablement un élément contributif mineur de la toxicité du tabac; ce sont les produits de la combustion du tabac qui sont les plus dangereux.»

S'agissant de ce dont vous avez parlé, il y avait par exemple un article qui a été publié dans Science il y a quelque temps, qui associait un composé cancérigène présent dans la fumée du tabac, le benzoapyrène, au cancer du poumon. Je crains beaucoup qu'en axant surtout l'attention sur la nicotine et sur le problème de la toxicomanie on ne perde de vue le fait que le danger que présente le tabagisme est surtout attribuable aux produits de combustion comme le benzoapyrène, le 4-aminobiphényle et toute une kyrielle d'autres composés. Je disais dans mon exposé qu'à mon sens la meilleure façon de protéger la santé des fumeurs chroniques, de ceux qui sont habitués au tabac, c'est de limiter autant que possible la présence de ces composés.

.1000

On a d'ailleurs introduit une norme en la matière à la suite de l'introduction de produits qui ne nécessitent pas la combustion du tabac, mais simplement le fait de le chauffer. En chauffant le tabac au lieu de le brûler, il est possible d'arriver à une diminution de la présence de ces composés allant de 65 à 99 p. 100. Je pense qu'il faut axer les efforts sur tous les composés en présence, et non pas simplement sur la nicotine.

La vice-présidente (Mme Picard): Docteur Pipe.

Dr Pipe: Je vous remercie.

Il y a un aphorisme qu'on se plaît à répéter dans les milieux médicaux selon lequel les fumeurs fument pour la nicotine, mais meurent à cause du goudron. Pour ce qui est du cancer, c'est tout à fait exact, parce que, comme M. Rickert l'a signalé, ce sont les produits de la combustion qui sont pour l'essentiel cancérigènes.

Cela étant toutefois, c'est la nicotine qui accroche le fumeur, comme on le sait fort bien dans l'industrie du tabac. Effectivement, il est difficile de comprendre pourquoi quelqu'un, s'il n'y avait pas cette nicotine, accepterait de se mettre dans la bouche un petit cylindre comme celui-là, de l'allumer et d'en inhaler le contenu. Si vous voulez faire quelque chose pour contrer la façon dont ces produits de la combustion sont ingérés, vous devez commencer par vous attaquer au problème de la nicotine.

La nicotine, il faut également le préciser, est un puissant vasoconstricteur. Elle fait monter la tension artérielle, elle contracte les artères, et elle sensibilise le ventricule gauche du coeur à tel point qu'il devient plus facilement dysrhytmique. Pour ce qui est du cancer, la nicotine n'est pas nécessairement un facteur très important, mais, du point de vue cardiovasculaire, elle est un composé important de la fumée de cigarette, un composé qui exige d'être davantage étudié.

En réponse à votre question, il y a une chose que je voudrais avancer, et c'est que je ne pense pas avoir entendu qui que ce soit ici ce matin - et, je le répète, j'étais en retard - demander l'interdiction des produits du tabac. Je pense, monsieur, que c'était là une notion qui faisait partie de votre question. Mais je n'ai rien entendu dans ce sens ce matin. Nous admettons tous, je crois, qu'il serait tout à fait irréaliste d'interdire un produit qui provoque, pour les raisons que vous nous avez exposées, un état de dépendance chez 26 p. 100 de la population du Canada.

Personnellement, je n'utiliserais jamais le terme «chronique» pour décrire le comportement des fumeurs. L'expérience affligeante que j'ai acquise auprès des fumeurs dans notre centre de recherche sur la dépendance à l'endroit de la nicotine me montre que ces fumeurs sont véritablement drogués. Je pense que le terme «chronique» est un euphémisme, et c'est un mot qui me met mal à l'aise lorsqu'il s'agit de décrire ce qui se passe chez ces gens qui sont en état de dépendance par rapport à la nicotine.

M. de Savoye: C'est le terme qu'ont utilisé les interprètes, n'est-ce pas?

Dr Pipe: Effectivement.

M. de Savoye: Je vous remercie.

La vice-présidente (Mme Picard): Madame Ferrence.

Mme Ferrence: Je voudrais rectifier un malentendu à propos des taxes et de la contrebande. La contrebande n'est pas le résultat inévitable d'une augmentation des taxes. Dans de nombreux pays, le prix d'un paquet de cigarettes représente parfois la moitié d'un salaire. Même au prix le plus élevé, à 4 ou 5$ le paquet, les cigarettes restent relativement peu coûteuses par rapport au prix réel des cigarettes dans la plupart des pays en développement.

Un autre élément qu'il importe de prendre en compte, c'est le fait que la principale raison pour laquelle nous avons eu un problème de contrebande, c'est parce que l'augmentation des taxes s'est faite au niveau des prix de détail. Pour empêcher cela, il suffit d'ajouter les taxes en amont du détaillant de sorte que lorsque les cigarettes sont exportées les taxes correspondantes sont déjà payées. Il y a toute une série de stratégies qui peuvent être utilisées pour lutter contre la contrebande; celle-ci n'est pas un résultat inévitable.

L'autre chose qu'il faut faire valoir, c'est que la différence entre le Canada et les États-Unis s'amenuise. Bon nombre des États contigus à la frontière ont déjà augmenté leurs taxes sur les produits du tabac, et dans certains d'entre eux le prix du paquet de cigarettes est déjà plus élevé qu'en Ontario et au Québec.

Je ne pense donc pas que la contrebande soit incontournable; il suffit d'un peu d'imagination, mais aussi de la volonté politique d'augmenter les taxes.

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[Français]

M. de Savoye: Je vais vous conter une véritable anecdote.

Avant d'être en politique, j'avais une entreprise. J'avais des employés et j'insistais pour que personne ne fume dans l'entreprise. Une dame était une fumeuse et, à intervalles réguliers, elle sortait du bureau pour aller fumer. Je lui ai offert une augmentation de salaire de 2 000$ par année si elle arrêtait de fumer, mais elle n'a jamais profité de mon offre. Merci.

La vice-présidente (Mme Picard): Docteur Hill.

[Traduction]

M. Hill: Monsieur Rickert, j'ai mal compris, ou alors j'ai décelé une incohérence dans vos propos. Vous avez commencé en disant que la plupart des cigarettes contiennent neuf milligrammes de nicotine.

M. Rickert: C'est exact.

M. Hill: Un autre témoin nous a dit que chaque cigarette produit de un à trois milligrammes de nicotine.

Dr Pipe: Il s'agit de la quantité absorbée.

M. Hill: Il faut absolument être cohérent dans ce que nous disons.

M. Rickert: Je pense qu'il y a là quelque chose qui est mal compris par les fumeurs, par les législateurs et par beaucoup de gens en général. Il faut faire nettement la différence entre la teneur et la quantité produite par les machines à fumer dans des conditions artificielles. La mention qui figure sur le paquet n'a rien à voir avec la teneur.

M. Hill: Fort bien. Vous nous avez dit très éloquemment d'ailleurs que si une cigarette contient moins de nicotine, le fumeur fume de façon beaucoup plus intense et donc que la quantité de nicotine qu'il absorbe augmente.

M. Rickert: Ce que j'ai dit, c'est que la mention figurant sur le paquet de cigarettes, et qui représente le résultat de la machine, parlera d'un milligramme pour une cigarette ordinaire et, mettons, de 0,1 milligramme pour une cigarette ultralégère. Si le fumeur a besoin, chaque fois qu'il fume une cigarette, d'un milligramme de nicotine, il absorbera ce milligramme, peu importe le résultat qui aura été affiché par la machine à fumer.

M. Hill: À ce moment-là, pour les fumeurs en état de dépendance, il ne sert absolument à rien de diminuer la teneur en nicotine des cigarettes, parce qu'il leur suffira de fumer de façon plus intense pour absorber la même quantité.

M. Rickert: Il est absolument inutile de faire reposer la réglementation ou les références, quelles qu'elles soient, sur les chiffres produits par la machine à fumer. On a laissé entendre que la solution consisterait à baser la réglementation, quelle qu'elle soit, sur la teneur en nicotine du tabac proprement dit.

M. Hill: D'accord. Ce que je veux savoir, c'est ceci: il est évident que ce serait utile dans le cas des enfants qui ne sont pas encore en état de dépendance, qui fument une cigarette et dont le goût est atroce, si la cigarette en question ne contient pas suffisamment de nicotine pour les mettre en état de dépendance. J'imagine que c'est à cela que nous devrions tendre en faisant baisser la teneur en nicotine des cigarettes. Oui ou non? J'ai ici tout un tas de trucs, de sorte que...

M. Rickert: J'aimerais répondre très brièvement à cette question que j'estime importante moi aussi. À mon avis, si vous faisiez cela, vous ne tiendriez pas compte des conséquences pour la santé de millions de fumeurs dépendants. À mon avis, si vous voulez lutter contre l'initiation - et c'est ce dont vous parlez - il faut recourir à d'autres mécanismes que la modification du produit.

M. Hill: C'est juste.

M. Rickert: Alors nous sommes d'accord.

M. Hill: Madame Ferrence, vous avez parlé de la réduction des taxes que vous voudriez voir ramenée à zéro, n'est-ce pas? Vous voulez que personne ne fume. Vous ne voulez pas que l'on fasse le commerce de ce produit.

Mme Ferrence: Je ne pense pas que cela soit réaliste, mais continuez.

M. Hill: Voyez-vous, c'est là l'incohérence contre laquelle luttent les parlementaires. C'est un produit très lucratif pour le gouvernement. Le gouvernement en tire des recettes et voilà pourquoi il y a cette incohérence dans la politique du gouvernement. Chercher une façon de réduire la consommation tout en continuant d'encaisser ces énormes recettes... Je veux que ce produit ne rapporte rien du tout en recettes fiscales.

Mme Ferrence: S'il y a une chose que nous savons c'est que l'on peut augmenter les taxes à des niveaux assez élevés sans qu'il y ait perte de recettes à cause de cette dépendance. Les gens continueront de fumer et continueront d'acheter des cigarettes mais en moins grande quantité. Il faut augmenter les taxes de beaucoup - et nous ne savons pas au juste de combien - avant de remarquer une baisse des recettes. Comme l'illustre le cas des provinces qui ont maintenu leurs taxes à des niveaux plus élevés, elles ont des recettes plus élevées que les provinces qui ont réduit le montant des taxes.

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Alors c'est une source de préoccupation moins importante que vous ne semblez le croire. En outre, quand vous calculez en contrepartie des recettes non seulement les coûts de santé directs, qui sont déjà très considérables, mais aussi tous les coûts indirects qui sont plus difficiles à mesurer, il n'est pas du tout clair que le pays en tire un bénéfice net.

M. Hill: Ce que j'essaie de faire valoir, cependant, c'est que si les recettes tombaient à zéro parce qu'au fil du temps personne ne fumerait plus, vous applaudiriez, n'est-ce pas?

Mme Ferrence: Oui, puisque mis à part les avantages au plan de la santé, ce n'est pas du tout clair... La bonne santé est un plus au plan économique. C'est ce qu'on a conclu partout dans le monde. On n'a rien à gagner au plan économique à rendre les gens malades.

Dr Pipe: Bien sûr, dans votre question vous tenez pour acquis que les gens qui sont en bonne santé, qui ne dépensent plus d'argent pour s'acheter des cigarettes, ne dépensent pas cet argent pour autre chose non plus. Nous savons que les gens qui s'achètent des produits autres que des cigarettes dépensent d'une façon qui rapporte davantage à l'économie dans son ensemble. Ils stimulent la consommation de skis nautiques, de lits, de maisons, de voitures et d'autres produits de consommation qui sont tous taxés d'une façon ou d'une autre. Ainsi, le gouvernement a la possibilité d'obtenir des recettes en taxant ces autres produits. Il y a dans votre question un sophisme puisque cet argent ne disparaîtra pas.

M. Hill: Vous avez mal compris ma question. Je n'aime pas que mes collègues du domaine de la santé utilisent cet argument pour maintenir les recettes provenant des taxes sur les cigarettes. Je veux que cela cesse... et il n'y a aucun sophisme. Voilà pourquoi nous avons un tel problème.

Docteur Goodyear, vous avez dit que les ventes illégales aux enfants sont un énorme problème. Dans le cas d'autres produits vendus aux enfants, nous nous en prenons aux enfants qui achètent illégalement certains produits. Par exemple, si un enfant va acheter une boisson alcoolisée, il est accusé de possession illégale. Quand un enfant entre dans un magasin et achète des cigarettes, qui accusons-nous? Nous portons des accusations contre le vendeur. Cela ne me semble pas très cohérent.

Dr Goodyear: Nous discutions justement de cette question peu avant le début de la séance. Cela m'a rappelé une invitation que j'avais reçue à comparaître devant le Conseil local des services de police, il y a de cela environ un an. Nous avons parlé justement de l'application de la loi à cet égard.

J'ai fait remarquer que dans la région où j'habite il y a une douzaine de magasins de la régie des alcools mais environ 1 000 magasins qui vendent le tabac. Et nous nous demandions pourquoi la police ne fait pas respecter les lois sur le tabac avec la même rigueur que les lois sur l'alcool.

Sur le plan pratique, il est assez facile de surveiller les magasins de la régie des alcools, qui d'ailleurs réussissent assez bien à empêcher les enfants d'y avoir accès. Ce n'est pas parfait, car les enfants peuvent obtenir de l'alcool par d'autres moyens. Cependant, compte tenu de l'absence presque totale de contrôle sur les détaillants du tabac, il est à peu près impossible de faire respecter les dispositions à cet égard.

Au début du XXe siècle, le gouvernement fédéral a adopté une loi intéressante, la Loi sur la répression de l'usage du tabac chez les adolescents, qui s'était attaquée au problème. En vertu de cette loi, il était interdit de vendre le tabac aux enfants et ces derniers n'avaient pas le droit d'être en possession du tabac. Un agent de la paix, qui était le terme utilisé dans la loi, pouvait confisquer le tabac, obliger le possesseur à divulguer où il l'avait acheté de façon à poursuivre aussi en justice la personne qui l'avait vendu.

On a perdu cette possibilité dans la dernière loi, la Loi sur la vente du tabac aux jeunes, mais c'est sans doute une formule intéressante. Beaucoup de jeunes gens m'ont dit qu'ils aimeraient voir une telle disposition dans la loi.

M. Hill: Mais on l'a peu utilisée.

Dr Goodyear: On ne l'a presque pas utilisée, sauf dans le cas de certains groupes qui essayaient de faire valoir leur point de vue. L'exécution de la loi était le point principal.

Je crois qu'il faut se donner ici une vue d'ensemble. Il est très facile de se concentrer sur un seul élément de la stratégie globale de lutte contre le tabagisme. À force de se pencher exclusivement sur un point, on le fait presque disparaître. J'ai expliqué dans mon exposé qu'il n'y a pas de solution unique, sinon on ne continuerait pas de débattre de la question année après année alors que le problème s'aggrave.

Il faut établir un équilibre entre le contrôle et l'offre. Du point de vue du comportement humain, il est très intéressant de constater que la stratégie qui a probablement le mieux réussi a été celle de l'imposition. La baisse importante de consommation du tabac observée au Canada au cours des années 80 découle presque directement de la décision du ministre des Finances, Allan MacEachen, d'indexer les taxes de consommation sur les produits tels l'alcool, le tabac et le pétrole, qui a par la suite fait monter en flèche les impôts.

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Cela se voit partout: les augmentations importantes du prix du tabac font baisser considérablement la consommation.

Mais au fur et à mesure que les impôts continuaient d'augmenter - à notre demande je dois préciser - , je m'inquiétais de plus en plus de voir que c'était le seul élément de la politique gouvernementale. En d'autres termes, le gouvernement rendait plus difficile l'accès au produit mais n'en réduisait pas la demande.

Si les autorités avaient essayé au même degré de modifier le comportement des gens en réduisant la demande du tabac, certaines des conséquences économiques catastrophiques qui ont mené à la situation actuelle ne se seraient pas produites, même s'il va sans dire que personne, et surtout pas dans les services de santé, ne croit vraiment que l'augmentation des activités de contrebande s'explique simplement par la hausse du prix du tabac.

Le premier ministre lui-même, dans son discours à la Chambre en février 1994, disait croire que les compagnies de tabac étaient elles-mêmes en grande partie coupables. Comme preuve, nous voyons maintenant que les autorités américaines commencent à poursuivre en justice les employés de l'industrie du tabac. Des différences de prix semblables existent dans d'autres parties du monde, par exemple entre Hong Kong et la Chine, le Danemark et l'Allemagne, mais on n'y voit pas le même niveau de contrebande.

Nous croyons que la décision des compagnies de tabac d'envoyer des quantités importantes de tabac en franchise de droits de douane de l'autre côté de la frontière constituait un effort concerté de leur part d'encourager la contrebande. Comme Mme Ferrence l'a signalé, l'année précédente le gouvernement avait imposé une taxe à l'exportation du tabac qui avait donné des résultats spectaculaires. Cette taxe n'est restée en vigueur que pendant environ huit semaines, mais elle a eu pour effet de changer radicalement le mouvement du tabac entre les pays. On n'a pas utilisé cet outil.

Nous ne sommes donc pas vraiment impressionnés par les arguments voulant que les augmentations de prix encouragent la contrebande. Ce n'est qu'un petit élément de la stratégie globale, et nous ne devrions pas y porter une attention excessive.

[Français]

La vice-présidente (Mme Picard): Docteur Pipe, je vous donne quelques secondes seulement parce que je dois passer la parole à M. Volpe.

[Traduction]

M. Hill: J'aimerais vous remercier aussi de votre excellent témoignage.

Dr Pipe: Monsieur Hill, j'aimerais répondre au point que vous avez soulevé concernant la cohérence des règlements. La décision de poursuivre en justice ceux qui vendent le tabac aux jeunes est tout à fait cohérente et logique avec notre politique à l'égard des autres drogues.

Nous poursuivons en justice ceux qui essaient de vendre des drogues dans les cours de récréation. Nous poursuivons aussi en justice ceux qui travaillent dans un bar et vendent l'alcool à quelqu'un qui est déjà en état d'ébriété, ou ceux qui le vendent aux mineurs. Nous estimons donc que ce que nous proposons correspond étroitement à la façon dont les autorités traitent les autres drogues.

[Français]

La vice-présidente (Mme Picard): Monsieur Volpe.

[Traduction]

M. Volpe (Eglinton - Lawrence): Merci, madame. Madame et messieurs, j'ai trouvé votre témoignage intéressant et instructif. Je m'excuse d'avoir manqué les premières minutes.

N'étant pas un fumeur, et n'ayant jamais fumé sauf autour d'une table de jeu où on est obligé d'inhaler la fumée des autres joueurs de poker qui essaient ainsi de nous faire perdre le tour suivant, je dois avouer que j'ai un certain parti pris en ce sens que j'accepte du point de vue médical tout ce que vous avez dit.

J'ai été très content d'entendre les derniers commentaires du Dr Goodyear, car ils indiquent que les pouvoirs publics essaient vraiment de faire quelque chose pour lutter contre le tabagisme. Par votre référence au budget malheureux de M. MacEachen en 1982, vous nous avez rappelé que les législateurs n'ont pas été absents du débat.

Docteur Pipe, j'aimerais vous poser quelques questions afin de me permettre de mieux comprendre certains des chiffres et des idées qui ont été exprimés. Ayant manqué la première partie de votre exposé, je ne suis pas sûr d'avoir bien compris si c'est le goudron et non forcément la nicotine qui constitue le danger le plus grave pour le fumeur.

Dr Pipe: J'essaierai d'éclaircir la question. Il est très important de ne pas donner l'impression qu'on peut choisir entre les deux.

M. Volpe: J'aimerais mieux comprendre la source de tous les dangers dont vous parlez.

Dr Pipe: Je comprends que cela peut prêter à confusion. Permettez-moi donc de répéter ce que j'ai dit.

Les fumeurs fument pour la nicotine. Ceux qui succombent au cancer meurent à cause de la combustion du produit, surtout à cause du goudron, qui fait partie intégrante de la fumée de cigarette. La nicotine elle-même est un élément vaso-actif, c'est-à-dire elle peut influencer le comportement des vaisseaux sanguins et d'autres parties du système cardiovasculaire.

Nous savons, par exemple, que le risque de la cécité est deux fois plus grand chez les fumeurs que chez les non-fumeurs à cause de la dégénérescence maculaire, qui est une maladie de la rétine. Cela n'a aucun rapport avec le goudron. La maladie résulte en grande partie du fait que la nicotine provoque la restriction des vaisseaux de l'oeil et entrave donc la circulation du sang à certaines parties de l'oeil.

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Vous voyez donc, monsieur Volpe, qu'on ne peut pas préciser un seul problème associé à la fumée du tabac. Un problème énorme est la nicotine car c'est la raison pour laquelle les gens continuent de fumer, mais les produits de la combustion qui accompagnent la nicotine sont responsables aussi d'un grand nombre de problèmes de santé.

M. Volpe: Quand vous parlez d'une solution équilibrée pour ce problème, une possibilité qui vient toujours à l'esprit est celle d'interdire le tabac. Le Dr Pipe parlait tout à l'heure des mécanismes de mise en application des dispositions régissant d'autres drogues et d'autres produits qui sont inacceptables ou dangereux. Étant donné le grand nombre de gens qui fument, j'aimerais savoir si vous avez évalué la possibilité de faire respecter une interdiction pure et simple du tabac.

Dr Goodyear: Je vous renvoie à deux publications intéressantes qui résument tout ce qu'on sait sur la nicotine et l'accoutumance. Il y a en une de la Société royale du Canada, et une autre publiée l'an dernier par la Food and Drug Administration des États-Unis.

Dans cette dernière, qui a contribué en partie à la victoire du président Clinton lors des dernières élections - les premières élections fédérales où le tabac était un thème important - , on explique clairement que le tabagisme est proportionnellement beaucoup plus grave que tous les autres problèmes de drogue que connaît notre société. Quand on voit qu'un tiers de la population consomme actuellement le tabac, il est évident qu'on ne peut pas simplement l'interdire ou le traiter comme un stupéfiant ou comme la marijuana. Il faut aborder le problème de façon plus nuancée. Il faut adopter une stratégie à long terme destinée à modifier le comportement et les attitudes des gens.

Certains d'entre vous ont peut-être vu la publicité entourant la deuxième grande conférence nationale sur le tabac et la santé qui a eu lieu ici à Ottawa il y a une semaine. Je crois qu'une des choses les plus encourageantes découlant de cette conférence était les études longitudinales sur les attitudes de la population envers le tabac et le tabagisme. Ces dernières démontrent clairement qu'année après année, la proportion de la population qui trouve inacceptable la façon dont on utilise et cherche à promouvoir le tabac dans notre société augmente constamment. En sensibilisant...

M. Volpe: Excusez-moi. Toujours est-il que la consommation chez certains groupes augmente.

Dr Goodyear: À court terme, oui. Mais pour ce qui est de la tolérance de la société, il y a un niveau critique.

D'un point de vue réaliste, personne d'entre nous ne croit que ce que nous préconisons aura pour effet d'éliminer la consommation du tabac au Canada. Mais je crois que la plupart d'entre nous seraient assez contents si le nombre de fumeurs devait tomber à un petit pourcentage de la population.

Il faut se rappeler aussi que quand vous décidez de fumer, vos chances d'une mort prématurée sont deux fois plus grandes que celles d'un non-fumeur. Cette population de fumeurs va donc diminuer constamment, non seulement parce qu'elle vieillit mais aussi malheureusement à cause des effets du tabac.

Il devient donc essentiel de créer une nouvelle génération de fumeurs pour remplacer ceux qui meurent ou arrêtent de fumer. À l'heure actuelle, il y a chaque mois environ 10 000 enfants canadiens qui commencent à fumer. Il faut formuler des stratégies tout à fait différentes pour répondre aux besoins d'une part des fumeurs toxicomanes et d'autre part des enfants canadiens arrivant à l'adolescence qui, à ce moment critique de leur vie, décident s'ils vont s'adonner au tabac pour une grande partie de leur vie ou le refuser. La tabacomanie est reconnue comme une maladie à cause de l'enfance. Il va sans dire que si l'on trouvait une mesure très efficace pour empêcher les jeunes de commencer à fumer, le nombre de fumeurs au Canada tomberait petit à petit à un niveau beaucoup plus facile à contrôler. Mais il serait absurde de proposer l'interdiction complète du tabac.

La vice-présidente (Mme Picard): Madame Ferrence.

Mme Ferrence: J'aimerais prendre cela comme un défi. Personne ne proposerait sérieusement une interdiction...

M. Volpe: Quand vous dites défi, parlez-vous de ces propos ou de mes questions d'il y a cinq minutes?

.1025

Mme Ferrence: Les propos de Michael.

M. Volpe: Des siens. D'accord.

Mme Ferrence: Je pense qu'il est important de parler de cette question. Dans ma jeunesse je fumais beaucoup, et j'ai beaucoup de compassion pour les fumeurs. Je me souviens que je voulais qu'on interdise la vente des cigarettes, et beaucoup d'autres fumeurs ont dit la même chose. La vie serait beaucoup plus facile si le tabac était interdit et inaccessible. La plupart des fumeurs veulent arrêter. La plupart des fumeurs veulent cesser leur accoutumance au tabac.

Je ne pense pas que notre société soit actuellement prête à accepter une interdiction, mais c'est un élément qu'on devrait garder à l'esprit dans la planification des stratégies à long terme - on pourrait élaborer une stratégie qui aboutisse à une interdiction au bout d'un certain nombre d'années, et il faut savoir que nous souhaitons éliminer totalement le tabagisme.

En ce qui concerne la réduction de l'exposition à la fumée secondaire, l'industrie du tabac a effectivement accusé les activistes de la santé d'en tirer argument, et il se pourrait qu'un jour, il soit interdit de fumer partout. De toute évidence, les gens souhaitent obtenir une interdiction de l'exposition à la fumée secondaire.

Je crois que c'est un élément auquel il faut réfléchir, mais qu'on ne peut pas forcément proposer dès maintenant. Il devrait servir de thème de réflexion quant aux mesures à prendre par la suite. De toute évidence, toute interdiction comporte un prix à payer, mais les gens se plaisent à dire que la prohibition de l'alcool a été un échec total, ce qui n'est pas entièrement vrai. Comme vous l'avez peut-être déjà entendu dire, le taux de décès par cirrhose à l'époque a diminué de 50 p. 100.

Une interdiction entraîne notamment des problèmes de criminalité, mais dans certains cas, son résultat net peut-être positif. Tout dépend du degré d'évolution de la société, des modalités d'application de l'interdiction et de la façon dont l'opération est structurée.

M. Volpe: Et si M. Pipe voit encore un défi dans vos propos?

Dr Pipe: Je pense que d'un point de vue universitaire, on ne peut pas ignorer la réalité. On a cité l'exemple de la prohibition, et cette forme d'interdiction a effectivement eu des effets positifs.

Je considère tout de même que dans le contexte actuel, il est totalement irréaliste d'envisager une interdiction des produits du tabac. Cela ne marcherait pas. Une telle décision ne pourrait pas sortir de cette salle de comité. Il est impossible d'interdire carrément une substance dont 30 p. 100 de la population est dépendante. Il est intéressant d'envisager ce qui pourrait se passer à l'avenir et de considérer ce qui s'est produit aux époques antérieures. Quant à moi, je ne préconiserais certainement pas une interdiction des produits du tabac.

[Français]

La vice-présidente (Mme Picard): Monsieur Scott. Si on veut faire le tour, il faut se dépêcher.

[Traduction]

M. Scott (Fredericton - York - Sunbury): Merci beaucoup, madame la présidente. J'ai quelques questions à poser.

Tout d'abord, en ce qui concerne la publicité des cigarettes «légères», qui donne l'impression qu'elles sont moins nocives ou... Je suis sûr que c'est bien là l'objectif poursuivi. Peut-on dire, d'un point de vue scientifique, qu'il existe un élément autre que la nicotine ou le goudron qui détermine le niveau de «légèreté»? Est-ce qu'on peut prétendre que les cigarettes légères provoquent moins de problèmes de santé?

M. Rickert: On trouve sur le marché une très vaste gamme de produits du tabac. Si l'on considère les cigarettes dites très très légères, c'est-à-dire auxquelles la publicité attribue moins d'un milligramme, je sais par exemple qu'au laboratoire, il n'est pas possible, dans des conditions normales, de transformer ce genre de cigarette en une cigarette ordinaire. Le procédé a donc des limites.

Autrement dit, au lieu d'avoir disons 115 marques de cigarettes au Canada, on pourrait distinguer deux ou trois marques en fonction de ce critère. Son utilisation peut être plus ou moins justifiée, mais il faudrait le définir de façon plus précise.

M. Scott: Parfait. Quelle est la fiabilité de l'information concernant les cigarettes vendues illégalement avant l'augmentation des prix?

.1030

Je ne veux pas dire que dans ma communauté, le prix des cigarettes ait baissé, ni même augmenté, mais c'est peut-être le cas. Je serais prêt à dire que 50 p. 100 des cigarettes achetées dans ma communauté étaient des cigarettes illégales vendues à bas prix. On trouvait partout des camions pleins de cigarettes à vendre.

Je parle de cette question de prix parce que j'aimerais que la consommation du tabac diminue - j'ai de jeunes enfants - , j'ai donc souhaité que ces camions disparaissent, et ils ont disparu. Je ne veux pas relancer le débat, mais quelle est la fiabilité des chiffres concernant la consommation de cigarettes lorsqu'une bonne partie des ventes étaient illégales? Comment peut-on mesurer le volume des ventes à la sauvette lorsque les cigarettes ne sont pas...? Je vous le demande par simple curiosité.

Mme Ferrence: On procède notamment par sondages. Juste après la diminution des taxes, on a fait un sondage auprès des jeunes, et on a demandé aux étudiants si les cigarettes leur coûtaient moins chers. C'était le cas pour la plupart d'entre eux, ce qui indique qu'ils n'avaient sans doute pas facilement accès aux cigarettes de contrebande avant la réduction des taxes. D'après les meilleures estimations, environ 28 p. 100 du marché était occupé par des cigarettes de contrebande, et même les fumeurs qui achetaient des cigarettes de contrebande achetaient aussi des cigarettes vendues légalement, car même à 4$ ou 5$, le prix d'un paquet n'est pas prohibitif; ce serait différent à 50$ le paquet.

Je crois qu'on a surestimé le volume des cigarettes de contrebande. Nous croyons que les jeunes avaient moins facilement accès aux cigarettes de contrebande, en particulier ceux des foyers normaux, qui vont tous les jours à l'école, etc. Et au risque de me répéter, je vous rappelle que la contrebande était due en grande partie au fait qu'à un moment donné, on a taxé les cigarettes au niveau de la vente au détail.

M. Scott: Je ne prétends pas connaître la situation en dehors... Je viens du Nouveau-Brunswick. La ville que j'habite n'est pas frontalière, mais elle est située à 50 milles de la frontière et on trouvait des cigarettes de contrebande partout. Toute la culture locale s'en est trouvée transformée. J'ai déjà fumé, et je suis heureux que mon ami de Portneuf soit de retour car je craignais de ne pas avoir la possibilité de m'inscrire rétroactivement à son programme.

Des voix: Oh, oh!

M. Scott: Je comprends assez bien le problème, étant moi-même passé par les cigarettes douces, qui m'ont amené à tirer plus fort. Tout ce qu'on vient de dire se comprend facilement lorsqu'on a cessé de fumer comme je l'ai fait, car je m'intéresse de près à ma santé. Mais dans une certaine mesure, comme notre pays est immense et qu'on peut évoquer toutes sortes de circonstances dans le débat... Vous le savez, chacun peut contester n'importe quel argument se fondant sur son cas particulier. C'est comme cela qu'on a tendance à perdre de vue l'intégralité de la situation.

Je voudrais revenir un instant sur la distinction entre la nicotine et le goudron, ou les «particules», pour reprendre le mot utilisé ici. Lorsqu'on essaie d'abaisser le niveau de nicotine pour atténuer l'effet d'accoutumance chez les fumeurs débutants, on augmente en fait l'intensité des particules, ce qui cause un problème de santé différent... Quelqu'un a dit qu'il était difficile de résoudre le problème par une réduction de la nicotine, car elle a un effet pernicieux chez les fumeurs dépendants.

N'y aurait-il pas une autre formule qui permette aux personnes dépendantes d'absorber de la nicotine d'une autre manière - je pense notamment aux timbres adhésifs - et par conséquent, de diminuer la teneur en nicotine des cigarettes, qui de ce fait, créeraient moins d'accoutumance chez les fumeurs débutants, les besoins des fumeurs dépendants étant par ailleurs satisfaits?

.1035

Dr Pipe: Si, il est possible d'obtenir un tel résultat. Il faut considérer la cigarette comme un dispositif pour administrer une drogue.

M. Scott: D'accord.

Dr Pipe: À noter qu'il y a réglementation de la façon dont ces dispositifs sont conçus, fabriqués et vendus dans notre pays. Il n'est pas difficile de concevoir une formule qui permette de fabriquer un tel dispositif de façon qu'il n'administre qu'une certaine quantité de nicotine.

Évidemment, si les gens peuvent absorber la quantité de nicotine qu'ils veulent, ils risquent beaucoup plus l'accoutumance que ceux qui contrôlent de très près leur niveau d'absorption. Il est possible de modifier ou de réglementer la conception du dispositif de façon qu'une quantité précise de la substance soit administrée.

Actuellement, on utile du papier à micro-porosité dans le filtre et on tasse moins le tabac dans la cigarette, de sorte que la machine à fumer attire davantage d'air, ce qui dilue le niveau de concentration de la fumée de même que celui de tous ses composants. Par des activités subconscientes comme l'augmentation du nombre de cigarettes, la neutralisation des perforations, etc., le fumeur réussit à faire remonter la quantité de nicotine que lui procure cette cigarette.

On peut arriver à réglementer la teneur en nicotine en réglementant la conception et la fabrication du dispositif d'administration.

Également, pour les personnes qui dépendent véritablement de la nicotine, on peut fournir la nicotine en l'administrant autrement. C'est ce qu'on fait d'ailleurs pour aider les gens à cesser de fumer. On leur fournit une très petite quantité de nicotine qui correspond à peu près au seuil individuel, qui dépend de chacun. Ils bénéficient alors d'une période durant laquelle ils sont exempts de symptômes de retrait, de sorte qu'ils ont l'occasion d'apprendre un ensemble de nouveaux comportements où la cigarette est absente. C'est évidemment une possibilité.

Vous avez bien raison de dire, en effet, que nous pouvons réglementer le mode d'administration de la nicotine.

Le président: Monsieur Rickert.

M. Rickert: J'ai deux commentaires.

Tout d'abord, aux États-Unis, on a introduit un produit qu'on a appelé la prochaine cigarette. Il s'agissait d'une cigarette qui ne contenait pas du tout de nicotine. Elle était bonne au goût. Les gens ont pu la trouver intéressante au début mais, à terme, ce fut un échec commercial. Personne ne la fumait. On en est donc arrivé à la conclusion que le fait de supprimer la nicotine de la cigarette a le même effet que la prohibition. Personne n'en veut plus.

En deuxième lieu, il existe toute une gamme de produits de remplacement de la nicotine. La particularité de la cigarette réside dans le mode d'administration de la nicotine. Aucun autre produit - qu'il s'agisse du patch, de la gomme, du vaporisateur nasal ou d'un autre - n'administre la nicotine de la même façon que la cigarette. La dépendance existe non pas tant à l'égard de la nicotine qu'à l'égard de la nicotine qui provient de la cigarette.

Le président: Le premier tour est terminé.

Pour le deuxième, trois personnes souhaitent intervenir. J'aimerais que nous ne perdions pas de temps, puisque nous devons traiter brièvement d'une affaire qui concerne le comité à la fin de la séance, ce qui prendra deux minutes environ.

Tout d'abord Bonnie et Harb, et ensuite j'aimerais moi-même intervenir. Bonnie.

Mme Hickey (St. John's-Est): Je serai brève. Je vais poser toutes mes questions, après quoi vous pourrez répondre.

J'aimerais revenir à la question des jeunes fumeurs. Les jeunes sont-ils plus vulnérables à la dépendance à la nicotine? Si tel est le cas, les effets nocifs du tabagisme sont-ils pires si une personne commence à fumer quand elle est jeune?

Dr Pipe: Me demandiez-vous, dans un premier temps, si les jeunes sont plus susceptibles d'acquérir une dépendance à la nicotine?

Mme Hickey: En effet. Est-ce que le danger de dépendance à la nicotine augmente plus on est jeune?

Dr Pipe: Il faut dire que le fait d'être exposé à un petit nombre d'occasions à la nicotine, même en quantité minime, peut très rapidement créer la dépendance. Il suffit, dit-on, de fumer la cigarette régulièrement quelques fois au cours d'une semaine ou deux pour devenir dépendant à l'égard de la cigarette.

Comme deuxième question, vous m'avez demandé si les conséquences pour la santé sont plus graves pour ceux qui s'exposent plus longtemps au tabagisme. Je dois certainement répondre par l'affirmative. C'est justement pour cette raison qu'il est si scandaleux de voir les jeunes se faire inciter à consommer une substance qui crée la dépendance à un si bas âge.

Mme Hickey: Les effets diffèrent-ils selon qu'il s'agisse d'un garçon ou d'une fille? Autrement dit, la nicotine a-t-elle un effet plus grave pour la femme ou la fille que pour le garçon, ou serait-ce le contraire?

.1040

Dr Pipe: Pas nécessairement. Cependant, le cancer du col utérin ne concerne évidemment que la santé des femmes. C'est d'ailleurs un cancer qui n'est attribuable qu'au tabagisme, comme nous le savons. Certains risques pour la santé s'appliquent très précisément aux femmes. Je pense par exemple à l'ostéoporose, à la ménopause précoce et à d'autres effets.

À l'heure actuelle, nous constatons même une épidémie du cancer du poumon. Le cancer du poumon est la principale cause de mortalité par le cancer chez les femmes canadiennes. Et nous connaissons la cause. Nous connaissons la cause et pourtant, nous continuons de tergiverser.

Le tabagisme a donc, en effet, des conséquences spécifiques selon le sexe.

Mme Hickey: J'aurais une petite question qui me concerne. J'ai déjà moi-même fumé la cigarette, ce que bien d'autres reconnaissent volontiers. J'ai commencé à l'âge de 12 ans, du jour au lendemain, mais j'ai cessé de la même façon. J'ai abandonné la cigarette du jour au lendemain et je n'ai pas fumé depuis six ou sept ans.

Ma question porte sur la fumée secondaire. J'aimerais savoir quels sont véritablement les effets de la fumée secondaire sur une personne comme moi ou sur une personne qui n'a jamais fumé. Je ne comprends pas vraiment comment la fumée secondaire me touche à l'heure actuelle.

Dr Goodyear: Eh bien, madame, je devrais peut-être vous demander comment cela vous touche d'après votre expérience.

Mme Hickey: Je puis vous dire que je n'aime pas ça.

Dr Goodyear: Il est certain que les effets de la fumée secondaire peuvent facilement être les mêmes que ceux du tabagisme actif si la période d'exposition et suffisamment longue et si la concentration est suffisante. Si 85 p. 100 des cancers du poumon sont attribuables au tabagisme actif, on peut dire que, dans une large mesure, les 15 p. 100 restants sont attribuables au tabagisme passif.

Évidemment, on a notamment étudié les cas de personnes vivant ensemble ou l'une d'elles est un fumeur. On a pu constater dans ces cas que l'incidence du cancer du poumon chez les non-fumeurs est nettement plus forte. Évidemment, il faudrait parler d'autre chose que du cancer du poumon; le tabagisme entraîne toutes sortes d'autres conséquences. Nous avons tendance, me semble-t-il, à trop mettre l'accent sur le cancer du poumon.

Je suis content que M. Pipe soit ici puisque le nombre de maladies cardiaques et vasculaires est beaucoup plus important que le nombre de cancers.

Il y a lieu de signaler que nous avons fait des progrès en matière de limitation de la fumée de tabac ambiante, d'une part au palier fédéral grâce à la Loi sur la santé des non-fumeurs - et je suis d'ailleurs très heureux de voir les affiches apposées aux murs, même si cette mesure législative pourrait certainement aller beaucoup plus loin - mais surtout au palier municipal. Malheureusement, compte tenu du nombre de municipalités au Canada, cette forme de lutte au tabagisme ne s'est pas avérée très efficace. Dans les milieux de la santé, nous préférerions certainement que la lutte soit menée aux paliers provincial et fédéral.

Comme l'a signalé Mme Ferrence, le fait de limiter les lieux où l'on peut fumer incite très fortement les gens à ne pas fumer. On a pu constater de façon assez probante, par exemple, que le fait de transformer les lieux de travail des fonctionnaires en environnement sans fumée a entraîné une assez forte baisse de la consommation de tabac et que les taux d'abandon ont augmenté. C'est ce qui explique pourquoi tant de fumeurs appuient les mesures législatives qui créent des environnements sans fumée.

Les médias et, assurément, les fabricants de tabac se plaisent à donner l'impression qu'il existe une sorte d'état de guerre entre fumeurs et non-fumeurs. Or, selon la plupart des enquêtes, les fumeurs appuient presque autant les mesures antitabac que les non-fumeurs. Il s'agit donc d'une stratégie extrêmement efficace pour ce qui est de réduire la consommation de tabac et d'une stratégie que la population appuie très largement.

Mme Hickey: Merci.

Le président: Brièvement, s'il vous plaît, puisque le temps va nous manquer.

Mme Ferrence: Je tenais à ajouter quelque chose.

La recherche sur la fumée de tabac ambiante n'est pas encore aussi avancée que celle qui porte sur le tabagisme actif. L'une des difficultés a trait au fait que, bien souvent, dans les groupes témoins, on n'a pas recours à des personnes qui n'ont jamais été exposées à la fumée de tabac.

D'après certains documents qui servent à la rédaction du rapport du Surgeon General, il est très clair que le tabagisme passif a des effets sur le système cardiovasculaire et cause le cancer. Selon certaines données récentes du CDC aux États-Unis, par exemple, il existe une corrélation proportionnelle à la dose entre la fumée de tabac ambiante et le poids des enfants à la naissance. Plus la mère est exposée, moins le poids à la naissance est élevé.

On ne retrouve pas cela dans les rapports du Surgeon General encore, parce que les données sont insuffisantes; une étude récente révèle toutefois que les femmes qui ont été exposées ne serait-ce qu'une année à la fumée de tabac ambiante avaient trois plus de risque d'avoir un cancer du sein, ce qui est extrêmement effrayant. Il faudra que cela soit confirmé dans d'autres études, et on produira sans doute beaucoup d'autres renseignements au cours des 10 à 20 prochaines années. En outre, on semble croire que les non-fumeurs sont plus sensibles aux effets de la fumée secondaire que les fumeurs eux-mêmes. On en apprendra bientôt davantage, je crois.

.1045

Le président: Harb.

M. Dhaliwal (Vancouver-Sud): Merci, monsieur le président.

Contrairement à mes collègues, je suis moi-même non-fumeur et descendant de nombreuses générations de non-fumeurs. Si j'ai déjà fumé une cigarette, je n'ai pas inhalé et la dépendance ne s'est donc pas créée.

J'aimerais ajouter quelque chose à ce que vous avez dit. En passant, c'était là un excellent exposé. À cause d'un accident impliquant des produits chimiques, j'ai inhalé de l'ammoniaque. J'ai pu survivre. On m'a dit que si j'avais été un fumeur, je n'aurais pas survécu et je ne serais donc pas ici aujourd'hui.

Notre capacité de résister à des difficultés de cette nature est bien moindre, si nos poumons sont plus faibles, je présume. Nous devons donc faire tout ce qui est possible et je souscris tout à fait à ce qui a été dit.

Pour ce qui est des pays où on a mieux réussi à contrer ce problème qu'au Canada, pourriez-nous dire quelles solutions ont été appliquées là-bas? Quels pays ont un nombre inférieur de fumeurs per capita? Comment ont-ils pu réduire le nombre de fumeurs ou le tabagisme en général dans leur pays? Je n'en sais pas beaucoup au sujet de l'expérience d'autres pays.

Dr Pipe: Avant de commencer, je vous signale que je parle de mémoire et que celle-ci est peut-être affectée par un manque de sommeil.

Ce qui est ironique, c'est que le Canada était chef de file dans la mise en oeuvre des approches les plus modernes pour s'attaquer au tabagisme comme problème de santé publique. Nous avions un programme complet. On y trouvait des éléments liés au prix du tabac et des restrictions sur la publicité et les commandites. Nos collectivités ont des lois visant à limiter la fumée, etc.

D'autres pays ont adopté des méthodes semblables, y compris les pays scandinaves et plus particulièrement la Norvège. C'est ironique, que le Canada ait défait tout ce qu'il avait accompli, et nous en avons vu les conséquences dans le recrutement de fumeurs chez les adolescents, dans l'érosion de la réglementation relative à la publicité et aux commandites, etc.

L'approche modèle de lutte contre le tabagisme doit être menée sur tous les fronts. Elle doit comprendre divers éléments, notamment les prix, l'élimination de la publicité et de toute forme de commandite, des règlements municipaux pour protéger la population contre les effets de la fumée secondaire, etc. Nous savons ce qui marche. Nous l'avons fait au Canada. Malheureusement, quelqu'un l'a défait.

Une voix: La Cour suprême, entre autres.

Dr Goodyear: Quand on considère l'épidémiologie du tabagisme dans divers pays, il faut distinguer entre ceux où la prévalence est historiquement faible, et ceux où il y a eu une évolution. Pour des raisons culturelles et religieuses, dans bien des pays d'Europe, d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine, il y a peu de fumeuses.

Si l'on considère les pays qui ont fait du progrès, comme disait Andy, la grande ironie, c'est que nous sommes un modèle très intéressant pour le monde puisque nous avions tout ce qu'il fallait et que tout est tombé à l'eau; on en a vu les effets, c'est comme une expérience naturelle.

Pour ce qui est des pays qui nous devancent, pensons aux États-Unis, où soudain, les choses bougent. En effet, grâce à un décret présidentiel, la nicotine est devenue une substance réglementée et divers règlements se rapportant au tabac ont été pris par la Food and Drug Administration. Il sera intéressant d'en voir les incidences.

Il sera intéressant aussi d'observer le Royaume-Uni, où le contrôle des prix est presque la seule stratégie adoptée. Ils ont suivi à peu près les mêmes méthodes que nous pour ce qui est du changement de prix, sinon qu'ils ont maintenu ces prix. La politique du chancelier de l'échiquier du Royaume-Uni est d'augmenter les taxes sur le tabac de 3 p. 100 de plus que le taux d'inflation, chaque année. Il devient donc de plus en plus coûteux, relativement, de fumer. Et là-bas, on a réussi à éviter que la contrebande devienne un grave problème.

Malheureusement, il n'y a pas beaucoup d'autres stratégies dans ce pays pour le moment. Ils ont pourtant réussi à obtenir des diminutions notables. Lors d'une réduction importante des taxes sur le tabac au Royaume-Uni, il y a environ 15 ans, le changement produit a été semblable à celui que nous avons vu au Canada: la consommation du tabac a augmenté rapidement, jusqu'au retour des taxes sur le tabac.

.1050

Je le répète, ce n'est qu'une méthode. C'est toutefois une méthode très efficace, puisque, comme chacun le sait, plus c'est cher, moins on achète.

M. Dhaliwal: Une dernière question, rapide. Pour ce qui est des efforts à faire, je présume qu'il faut cibler surtout les adolescents, afin qu'ils ne commencent pas à fumer; en effet, quand ils commencent, il est très difficile de les arrêter. Nos efforts doivent être ciblés sur les adolescents, pour voir des avantages à long terme et si l'on en veut pour notre argent. Est-ce que c'est...?

Dr Goodyear: Oui, c'est tout à fait l'attitude qu'ont adopté le président Clinton et la Food and Drug Administration. Dans notre jeunesse, beaucoup d'entre nous ont travaillé à des projets de lutte contre le tabagisme. Je travaille avec Countdown et l'Association pulmonaire du Canada.

Pour ce qui est d'en avoir pour notre argent, pour nos efforts, ce n'est pas très encourageant. C'est en empêchant le recrutement des fumeurs qu'on obtient les résultats les plus tangibles même si, comme ceux qui ont des enfants le savent, il est difficile de changer leur comportement.

Encore une fois, il n'y a pas de solution facile. On se demande pourquoi les jeunes fument, de nos jours. Beaucoup d'influences sont en jeu, notamment celles de la rébellion contre ce qui se passe dans le monde et contre les messages qu'on leur transmet. Mais si on écoutait bien les enfants, on constate que ce sujet les intéresse de près. Au sujet de la lutte contre le tabagisme, ils ont des solutions très judicieuses à proposer.

Récemment, j'ai vécu une expérience intéressante dans une école secondaire d'un milieu défavorisé de la région d'Hamilton. J'ai montré aux jeunes des vidéos du ministère ontarien de la Santé, destinés aux jeunes de la 5e à la 7e année. Les enfants ne s'identifiaient pas du tout aux vidéos. Ils ne se reconnaissaient pas dans les publicités. Je leur ai donc demandé ce qu'ils feraient, s'ils étaient ministres de la Santé pour une journée, pour que leurs amis de la classe cessent de fumer. Sans question dirigée, ils ont dit qu'il fallait faire quelque chose au sujet de l'industrie du tabac. Autrement dit, ils voyaient dans cette question l'exploitation des enfants par l'industrie du tabac, qui les rend esclaves de la cigarette pour toute leur vie.

Malheureusement, au Canada, nous nous sommes détournés de cette approche. C'est pourtant une réussite en Californie. Je suis convaincu que certains d'entre vous ont vu, à la télévision, l'annonce produite par le Département de santé de l'État de Californie, s'attaquant à l'industrie, qui y est désignée comme revendeuse de drogue. Ce genre de chose séduit les enfants. Les crises cardiaques, l'emphysème et le cancer ne leur disent rien, puisque c'est quelque chose qui ne leur arrivera que dans un avenir très lointain, dans une soixantaine d'années; par contre, ils ne veulent certainement pas se faire exploiter.

Le président: Il ne nous reste presque plus de temps, mais il y a une question dont je veux qu'on parle. Pour moi, la grande tragédie, c'est la destruction causée par le tabac, la misère de la mort, les coûts en soins de santé, etc. La tragédie secondaire, c'est que la première ne se produit qu'à cause des actions délibérées de l'industrie du tabac. Mais devant nos témoins d'aujourd'hui, je dirais qu'il y en une troisième et c'est que ceux qui sont au courant des choses, comme vous, se sont plus occupés de trouver des coupables que d'éduquer la population et de trouver des solutions.

Par exemple, monsieur Pipe, vous disiez ce matin que vous vouliez demander aux politiciens où ils étaient et ce qu'ils faisaient pendant tout ce temps. C'est une question raisonnable et je vais y répondre.

En 1988, nous menions le combat par des méthodes que vous qualifiez de modernes, mais en cours de route, la Cour suprême nous a fait trébucher. Bien entendu, on n'en blâmera pas les politiciens, à moins que ce soit parce que la mesure n'était pas bien conçue. On peut nous faire des reproches indirects, s'il faut en faire. Depuis que la Cour suprême a rendu sa décision il y a 13 mois, nous nous fendons en quatre pour trouver une mesure qui se tienne. Voilà où nous étions et ce que nous faisions.

Comme vous me posiez la question, je songeais à vous poser la même. J'ai écouté votre exposé, et je me disais que si vous pouviez dire à suffisamment de gens ce que vous nous disiez, vous pourriez en convaincre beaucoup. Avant de devenir membre du comité, je savais en gros que fumer, ce n'était pas très bon pour la santé, mais je n'avais jamais entendu les arguments frappants que des spécialistes nous ont donnés ici. C'est vraiment une chose terrible. Comme vous parliez, je me disais, presque avec les mêmes mots, mais qu'ont fait ces gens? Pourquoi ne s'occupent-ils pas d'éducation? Voilà ma première question.

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Deuxièmement, vous avez mentionné que l'industrie du tabac nous avait volé quelques années, parce qu'elle avait accès à de la recherche qu'elle utilisait pour modifier ses produits. L'industrie était-elle la seule à avoir accès à ces recherches? Pourquoi des gens de votre domaine, dans votre spécialité, n'ont pas eu accès aux mêmes résultats de recherche? Était-ce un secret bien gardé, si bien que vous n'étiez pas au courant?

Dr Pipe: Merci pour vos compliments au sujet de mon exposé.

Je comprends que nombre de vos collègues ont travaillé sans compter pour s'attaquer à ce problème. Il reste que malheureusement, depuis trente ans, nous avons des preuves incontournables du fait que le tabac a des effets sur la santé. Pourtant, ce n'est qu'au cours des quatre ou cinq dernières années qu'on a consacré au problème l'attention dont vous parlez.

Je dirais que si nous avions été aussi lents à agir avant de procéder à la pasteurisation du lait et des produits laitiers, on se poserait de graves questions. Il n'y a pas de domaine en médecine où le lien entre la cause et l'effet soit aussi connu qu'entre la consommation du tabac et les diverses maladies qui en découlent. J'ai lu des tonnes et des tonnes de documents produits par divers comités savants comme celui-ci, dont certains ont été cités il y a quelques minutes par mon collègue. J'ai parlé auDr Gaston Isabelle, un grand combattant pour cette cause.

Inévitablement, j'en arrive à la conclusion que quelqu'un nous met des bâtons dans les roues. Souvent, celui qui tient le bâton a un accès inégalé au processus politique, connaît très bien les rouages du gouvernement et reçoit d'importantes sommes d'argent de l'industrie du tabac pour exercer ses talents particuliers, talents qui ont été acquis dans bien des cas dans le cadre d'un mandat de ministre ou de député au Parlement.

Vous avez raison de nous pointer du doigt et de nous dire que mes collègues et moi-même avons la responsabilité de renseigner le public. J'accepte ce commentaire entièrement et je ne saurais être plus en accord avec vous. D'ailleurs, une bonne part de ma vie professionnelle a été consacrée, ces dernières années, à cet aspect du problème. Manifestement, il faut en faire plus encore.

Dr Goodyear: Pour vous répondre, monsieur Simmons, je reconnais encore une fois l'une de vos questions des plus astucieuses. Je vois bien où vous voulez en venir. La réponse, bien entendu, se trouve quelque part à mi-chemin.

Comme le Dr Pipe l'a fait remarquer, il est vrai qu'on est intervenu au niveau politique, mais chaque fois, soit la réglementation a été diluée, soit le processus s'est immobilisé. La lecture du Globe and Mail de ce matin permet de se faire une idée de ce qui vous attend à compter de jeudi. Trente-deux lobbyistes enregistrés ont demandé à comparaître devant le comité, et je regrette de voir que parmi ceux-ci figure Marc Lalonde.

Il y a un lien étroit intéressant - et je connais votre intérêt pour l'éducation - entre l'éducation et la réglementation. Depuis 1950, c'est-à-dire depuis la parution des premiers rapports scientifiques importants établissant un lien entre le tabagisme et le cancer du poumon, nous avons essayé d'alerter la population à cet état de fait. Comme je l'ai dit plus tôt, nous évaluons maintenant mieux les résultats de nos efforts. Nous constatons un changement dans l'attitude du public au sujet du tabagisme, et il s'agit d'un changement pour le mieux. Voilà pourquoi il est maintenant politiquement possible de légiférer dans ce domaine.

La législation comme la réglementation jouent aussi un rôle éducatif. En fait, un travail de recherche très intéressant rendu public à Ottawa la semaine dernière montre les effets sur l'attitude du public de la réglementation. À titre d'exemple, on a étudié l'effet de l'interdiction de vendre des produits du tabac dans les pharmacies en Ontario. Cette même interdiction n'existe pas dans le reste du Canada. Cette mesure a suscité un appui considérable chez le public, appui qui s'est encore accru une fois que la mesure a été mise en oeuvre. Autrement dit, une fois que la mesure est devenue une réalité et que le public s'est rendu compte de son effet, son appui pour celle-ci a augmenté considérablement. Il y a donc interaction constante entre la réglementation et l'éducation.

Nous croyons faire notre part. Pendant longtemps, tous les efforts portaient dans le domaine de l'éducation. Je reviens aux enfants avec lesquels je parle. Ils me disent tous que fumer ne doit pas être si mauvais pour la santé sinon le gouvernement l'aurait interdit. Ils me demandent si fumer peut être vraiment aussi nocif que cela pour la santé si le gouvernement n'a pas interdit la publicité qu'on voit sur les panneaux d'affichage.

Il y a la question de la crédibilité. Si les jeunes voient que le gouvernement intervient de façon concrète pour lutter contre le tabagisme comme le rapporte le Globe and Mail d'aujourd'hui, ils croient alors ce qu'on leur dit au sujet des effets nocifs du tabac. Nous devons - vous et nous - mettre nos efforts en commun et travailler en équipe. Ce n'est que de cette façon que nous atteindrons nos objectifs.

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Le président: J'aimerais faire deux remarques. Premièrement, ne croyez pas tout ce que vous lisez dans le Globe and Mail, et je songe en particulier à la date qui est donnée dans l'article. Je ne miserais pas trop là-dessus.

Deuxièmement, je vous remercie, Michael, de votre intervention. Je pense comme vous qu'il ne sert à rien d'essayer de distribuer des blâmes et qu'il vaut mieux travailler en équipe. Je reviens à l'exemple que vous donniez plus tôt. Vous avez parlé d'affiches sur les murs en disant qu'on ne va pas assez loin. Peut-on aller plus loin qu'une interdiction totale? Voulez-vous que la mesure soit rétroactive? L'interdiction est totale. Peut-on vraiment faire mieux?

Dr Goodyear: C'est vrai que l'interdiction est totale dans cette pièce, mais dans les trains... on a réglé le cas des avions. Plusieurs dispositions de cette mesure législative pourraient être resserrées...

Le président: J'ai une question qui se rapporte à mon travail de dirigeant politique pour lequel je suis bien rémunéré. Même lorsqu'on fait de son mieux et qu'on donne 110 p. 100 de soi-même, il se trouve encore des gens pour dire que cela ne suffit pas.

Nous avons fait de notre mieux. Ce n'est pas nous qui nous sommes opposés à la loi parfaite dont parlait Dr Pipe. Le gouvernement a cependant proposé une nouvelle loi qui résisterait à une contestation judiciaire. Je crois que le projet de loi qui sera déposé non pas jeudi mais avant Noël méritera qu'on s'y arrête.

Il se trouvera cependant encore des gens pour réclamer toujours davantage. Je regrette, mais nous ne pouvons pas faire mieux. Nous faisons tout ce que nous pouvons dans les circonstances.

Je vous remercie tous d'être venus comparaître devant le comité. Comme Dr Pipe l'a fait remarquer, vous jouez un rôle éducatif, rôle que vous avez d'ailleurs joué ce matin. Nous vous remercions de votre contribution et je suis sûr que nous communiquerons de nouveau avec vous dans le cours de cette étude. Je vous remercie beaucoup.

Je demande aux membres du comité de bien vouloir rester deux minutes. Nous devons régler quelques questions.

Je vous signale qu'on nous a référé le projet de loi C-47, Loi concernant les techniques de reproduction humaine et les opérations commerciales liées à la reproduction humaine. J'aimerais créer un sous-comité qui étudiera ce projet de loi et Bonnie Hickey a accepté de le présider. Je propose qu'il se compose de trois autres députés ministériels, d'un représentant de l'Opposition officielle et d'un représentant du Parti réformiste.

Pauline.

[Français]

Mme Picard (Drummond): Oui, mais je voudrais faire partie du sous-comité.

Le président: Ah, oui?

Mme Picard: Oui.

Le président: Pourquoi?

[Traduction]

Et vous ferez certainement partie du comité.

M. Volpe: Bien sûr, je me dois d'en faire partie.

Le président: Y a-t-il d'autres libéraux qui souhaitent ardemment siéger à ce sous-comité? Si ce n'est pas le cas, nous reviendrons sur cette question un peu plus tard.

Quelqu'un veut-il proposer la création du sous-comité et proposer aussi que Bonnie en soit présidente. Joe et Pauline acceptent de siéger au comité et les autres membres du comité seront choisis mardi prochain.

Quelqu'un veut-il donc proposer que conformément aux alinéas 108(1)a) et b) du Règlement, un sous-comité du Comité permanent de la santé soit créé et se compose de Bonnie Hickey, présidente, de trois autres représentants du Parti libéral, d'un représentant du Bloc québécois et d'un représentant du Parti réformiste après consultation avec les whips des différents partis. Ce comité se voit conférer tous les pouvoirs normalement dévolus au comité, sauf celui de faire rapport à la Chambre. Le sous-comité aura pour mandat d'étudier le projet de loi C-47, une loi...

M. Scott: Je le propose.

La motion est adoptée

Le président: Félicitations et merci Bonnie.

Il y a aussi la question des déplacements. Nous avons adopté il y a quelques semaines une motion sur les déplacements, mais le comité de liaison n'avait pas de fonds à nous accorder. J'ai eu un entretien avec Bill Graham, président du comité de liaison, et il m'a dit que ce comité avait obtenu 700 000$ de plus. Bill m'a dit hier soir que nous devrions présenter une nouvelle demande.

Le problème c'est que les leaders à la Chambre demandent que nous dations notre demande. Nous sommes presque à la date de notre dernière motion. Je crois qu'il nous faut donc adopter une nouvelle motion avec une nouvelle date. Pour le reste, la motion est la même.

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Une voix: Sauf que le montant a changé.

Le président: En effet. La dernière fois, nous demandions 73 000$. Nous présumions que tous les membres du comité participeraient aux audiences tenues à l'extérieur de la ville. Nous pouvons demander la même somme, ou la moitié de celle-ci, ce qui signifierait que seulement la moitié du comité se déplacerait.

M. de Savoye: Cette somme a été calculée en supposant que nous n'utiliserions pas nos points de voyage, n'est-ce pas? C'est le comité qui paiera la note. Je signale simplement que si nous utilisions nos points de voyage, cela coûterait beaucoup moins cher.

Le président: Oui, avec 73 000$, le comité pourra assumer la dépense.

Le greffier: Comme le comité l'a recommandé nous voyagerons aussi par vol nolisé.

Le président: Oui.

M. Dhaliwal: J'aimerais fournir la précision suivante, monsieur le président. Lorsque j'ai participé à la réunion avec les whips, le problème qui s'est posé c'est que le whip du Parti réformiste n'a pas voulu approuver la dépense parce que M. Hill s'y opposait. C'est du moins ce qu'on m'a dit à la réunion à laquelle j'ai participé en votre nom avec les whips. On nous a donc demandé de consulter à nouveau les membres du Parti réformiste sur cette question. On m'a dit que c'est la raison pour laquelle on n'avait pas adopté le budget initial.

[Français]

Mme Picard: Monsieur le président, je ne comprends pas. Je siège à ce comité depuis 1993, et je pense que ce comité ne s'est jamais vraiment déplacé sauf pour l'étude des autochtones. Nous n'avons jamais gaspillé d'argent pour voyager et aller tenir nos réunions ailleurs, comme peuvent le faire d'autres comités comme ceux la défense ou de l'environnement qui voyagent sans cesse. Je sais que le Comité de la défense nationale et des anciens combattants a déjà fait le tour du monde. Je ne vois donc pas pourquoi on nous met toujours des bâtons dans les roues. Est-ce que M. Hill utilise tout le pouvoir qu'il a au Comité permanent de la santé uniquement pour nous empêcher de faire notre travail convenablement? Pourquoi le Comité de la santé est-il toujours pénalisé par rapport à d'autres comités qui ont toujours le feu vert?

[Traduction]

Le président: Vous avez tout à fait raison et je partage votre frustration. Je vous signale cependant que lorsqu'un whip refuse son consentement lors d'une réunion, cela ne met pas fin à l'affaire. Le membre du comité ne jouit pas d'un droit de veto par l'intermédiaire de son whip. Cela signifie simplement que le leader du gouvernement à la Chambre doit s'y prendre d'une autre façon. Je crois qu'il faut procéder à un vote. Cela vous paraît-il juste?

Nous pouvons le faire même si un parti a des objections. Le whip du gouvernement préférerait évidemment que tous les partis s'entendent, car de cette façon, les whips peuvent alors s'entendre entre eux.

M. Volpe: Je comprends le dilemme dans lequel vous vous trouvez monsieur le président, et pour que nous gagnions du temps, je me permets de faire remarquer, si cela peut être utile, que je partage les vues de Mme Picard et je crois que nous devrions les énoncer clairement. Ce comité a un travail à faire et ce qui vaut pour un autre comité - le Comité des affaires étrangères étant le dernier en date - vaut aussi pour ce comité. On devrait nous permettre de faire notre travail. Voilà tout.

Le président: Compte tenu de ce qui vient d'être dit, nous pouvons reporter les choses jusqu'à mardi prochain pour pouvoir en discuter avec un représentant du Parti réformiste. Cela vous convient-il?

Des voix: Oui.

Le président: Je vous remercie.

La séance est levée.

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