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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 4 février 1997

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[Traduction]

La présidente: Nous traitons aujourd'hui du projet de loi C- 55, et également du projet de loi C-254, qui est le projet de loi d'initiative parlementaire de Val Meredith. Nous entendrons d'abord M. Alan Borovoy, qui est avocat général et représente l'Association canadienne des libertés civiles.

Soyez le bienvenu, et nous sommes impatients de vous entendre. Je sais que mes collègues auront quelques questions à vous poser ensuite.

M. A. Alan Borovoy (avocat général, Association canadienne des libertés civiles): Merci beaucoup. C'est un plaisir que de me trouver de nouveau ici.

Mes propos ce matin vont porter exclusivement sur le projet de modification de l'article 810 du Code criminel, prévoyant des ordonnances de limitation judiciaire assorties d'une surveillance électronique. Bien que nous ayons quelques objections à l'endroit des dispositions intéressant les délinquants dangereux, notre opposition ici porte essentiellement sur le principe. Ce principe existe depuis quelque temps déjà, et nous constatons que ces dispositions du projet de loi ne font que le retoucher légèrement.

Il nous a paru préférable, par conséquent, de réserver nos questions sur le concept jusqu'à un moment plus approprié et de consacrer cette intervention entièrement aux modifications proposées à l'article 810. En effet, on peut dire qu'il s'agit en l'occurrence d'un concept relativement nouveau en droit criminel.

Notre position peut se résumer assez simplement: en l'absence de condamnation ou même d'accusation, nul ne devrait voir sa liberté gravement restreinte. Une société qui chérit la liberté n'a pas à imposer de restriction à une personne, à moins que celle-ci ait mal agi. Cela signifie qu'il faut apporter la preuve que cette personne a commis une infraction. En l'absence d'un tel jugement, cela revient à piétiner les valeurs les plus fondamentales de notre société. Bien entendu, lorsque je parle de preuve, j'entends la preuve d'un délit réel ou, à tout le moins, la preuve que la personne souffre d'un trouble exigeant l'internement.

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La raison pour laquelle nous adoptons cette position est qu'en l'absence d'une inconduite démontrée le risque est trop grand d'imposer des restrictions à des innocents qui ne commettraient jamais les infractions appréhendées. Voilà, en substance, la raison. Une société qui a incarcéré des innocents comme Donald Marshall, Guy Paul Morin et Richard Norris devrait être particulièrement circonspecte avant de se dispenser de faire la preuve d'une inconduite. Bien entendu, il est beaucoup plus facile de prouver une chose advenue qu'une chose qui doit se produire ultérieurement.

La difficulté avec un article comme les modifications proposées à l'article 810, traitant de délits susceptibles d'être commis, est qu'il revient à imposer un châtiment sur la base d'une tentative de voyance et, à notre sens, ce n'est pas là un fondement approprié pour sanctionner des membres de notre société.

En disant cela, je rejette totalement certains des arguments développés devant ce comité, à savoir que ce qui est contestable dans ces modifications, c'est la punition. D'aucuns ont affirmé qu'il ne s'agit pas là de mesures punitives. À notre avis, peu importe. Si vous imposez des restrictions de cette sorte à des personnes, peu importe que vous le fassiez avec un sourire ou une grimace. La personne le ressent néanmoins comme une punition, et toute la question est là.

On a établi des analogies entre cette proposition et ce qui existe déjà dans notre droit pénal, et en common law depuis, je suppose, des temps immémoriaux, à savoir l'engagement de ne pas troubler l'ordre public, la notion que l'on peut contraindre quelqu'un à préserver l'ordre. On implique ainsi que ce que l'on vous demande de faire n'est qu'élargir légèrement la notion pour arriver aux textes dont vous êtes saisis.

Sauf tout le grand respect que je dois à ceux qui présentent cet argument, ce n'est pas une analogie valide à nos yeux. Il y a un monde de différence entre l'engagement traditionnel de ne pas troubler l'ordre public et ce que l'on vous demande d'approuver ici.

L'engagement traditionnel vise à protéger des parties nommément désignées. Les restrictions qu'il comporte sont de ce fait plutôt minimes, dans la panoplie des contraintes possibles.

Par exemple, si «X» craint un acte de violence de la part de «Y», on peut ordonner à «Y» de ne pas s'approcher de la maison de «X». Dans l'ordre des choses, c'est là une restriction relativement minime. L'intéressé peut aller n'importe où dans le monde, sauf près de la maison de «X». Ce n'est pas une contrainte démesurée.

En revanche, lorsque l'on parle de délits anticipés contre le monde en général plutôt que contre des parties nommées, les restrictions peuvent devenir beaucoup plus lourdes. De fait, elles doivent devenir beaucoup plus lourdes pour éviter que se réalise ce que vous appréhendez. Vous avez donc ainsi des restrictions telles que l'interdiction d'aller dans des parcs, l'obligation de rester chez soi, des choses de cet ordre. Ce ne sont pas là des contraintes minimes. Ce sont des contraintes conséquentes imposées à la liberté d'une personne.

Lorsqu'on regarde cela de plus près, on est confronté à certains paradoxes. En général, les contraintes qui pourraient être imposées à l'égard des éventualités qui nous inquiètent sont peu susceptibles de produire plus qu'un surcroît marginal de sécurité publique, tout en représentant une amputation plutôt substantielle de liberté.

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Par exemple, l'interdiction d'aller dans des parcs pouvant être fréquentés par des jeunes. Si l'on parle d'imposer une contrainte de cette sorte pendant un été canadien, ce n'est pas une restriction insignifiante à la liberté d'une personne. Cela revient à interdire essentiellement la fréquentation de tout parc pendant les heures diurnes. Pendant un été canadien, ce peut être là une restriction très substantielle.

Et pourquoi faire? Pour quel avantage? Une personne fortement tentée de commettre l'une des infractions qui nous préoccupent est peu susceptible d'être dissuadée par une ordonnance de cette sorte. Elle peut trouver des victimes ailleurs. Il y a quantité d'autres endroits au monde où elle peut trouver ses victimes. Je suppose que l'intéressé pourrait même enlever son bracelet de surveillance. Cela déclenchera des sonneries d'alarme, mais dans l'intervalle il peut commettre son crime. Cela ne va pas prévenir les dégâts. C'est donc une intrusion assez substantielle, pour des avantages assez illusoires.

Je suppose que l'une des façons de réellement réduire les risques serait d'imposer des contraintes forcément inacceptables. Vous pourriez assigner une personne à résidence. Vous pouvez lui interdire d'aller où que ce soit. Mais ce n'est plus alors simplement une contrainte substantielle, cela devient une contrainte astronomique - mettre un tabou sur le monde entier et obliger la personne à rester chez elle, ou de rester chez elle à certaines heures ou quelque chose du genre. Faire cela à une personne qui n'a pas été condamnée pour le délit considéré revient, dans la pratique, à abroger la présomption d'innocence.

Voilà donc le type de dilemme que soulève la proposition qui vous est soumise. Pour être réellement efficace, la restriction doit être d'ampleur inacceptable. Si vous réduisez le caractère inacceptable de la contrainte, vous réduisez d'autant son efficacité et on peut alors se demander pourquoi faire tout cela? Cela n'en vaut simplement pas la peine. On peut se demander pourquoi on s'engage dans cette direction? Pourquoi imposer des restrictions de cette sorte à des gens qui n'ont pas été reconnus coupables des infractions considérées?

Je sais que nous sommes confrontés de temps à autre à des événements terribles et cruels. Il y a une impulsion inévitable chez chacun de nous à mettre sur pied un système pour prévenir tous les risques imaginables. La réalité est que c'est impossible. Cela ne marche pas. Nous pourrions avoir à payer un prix considérable la tentative sans parvenir à rien, et c'est là le problème réel de ce type de proposition.

Si l'on regarde le problème de la criminalité, ce n'est pas comme si nous avions assisté à une hausse spectaculaire. Si l'on regarde les infractions accompagnées de violence ayant causé des dommages corporels depuis 1983, année où l'on a établi cette catégorie, le nombre est resté relativement stable - plus élevé que nous l'aimerions, mais néanmoins relativement stable. Au cours des 20 dernières années, le taux des meurtres a baissé. Il y a 20 ans, il était d'environ trois pour 100 000. Aujourd'hui, il est de deux pour 100 000. C'est un recul sensible. Pourquoi donc faire cela?

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Notre point de vue, pour conclure et, je sais que le tapotement de votre crayon n'est pas destiné à transmettre ce message...

La présidente: Non. J'ai toujours la bougeotte, veuillez m'excuser. Je vais m'asseoir sur mes mains, dorénavant.

M. Borovoy: Je suis comme vous lorsque quelqu'un d'autre parle.

Une voix: Oh, oh!

M. Borovoy: Tout compte fait, nous soumettons respectueusement à votre comité l'avis que les modifications proposées à l'article 810 doivent être rejetées. Elles constituent une atteinte importante à la liberté de personnes innocentes, sans rien apporter de commensurable à la sécurité publique.

Pour résumer, nous vous demandons respectueusement de rejeter les modifications proposées.

La présidente: Je vous remercie, monsieur Borovoy.

Madame Meredith, vous avez dix minutes.

Mme Meredith (Surrey - White Rock - South Langley): Je vous remercie, madame la présidente.

J'apprécie vos remarques sur l'atteinte à la liberté de circulation des personnes. Mais lorsque vous dites qu'il faut considérer ces dernières comme des victimes innocentes, qu'elles n'ont été jugées coupables d'aucun crime ou d'aucun acte, ce n'est pas ce qu'il me semble. Il me semble que cela ne s'appliquerait qu'à des personnes mises en accusation ou condamnées.

M. Bryden (Hamilton - Wentworth): Ce n'est pas ce que dit le projet de loi.

Mme Meredith: Il n'est donc pas nécessaire qu'elles aient été condamnées pour une infraction préalable démontrant l'intention?

M. Bryden: Elles peuvent être totalement innocentes de toutes les accusations...

M. Borovoy: Je ne peux que répondre en prenant la question à l'envers, en quelque sorte.

Mme Meredith: D'accord.

M. Borovoy: Premièrement, le projet de loi ne dit pas ce que vous donnez à entendre. Il vise quiconque dont on a des «motifs raisonnables» de croire qu'il ou elle va faire quelque chose.

Deuxièmement, si vous limitez cela à des personnes antérieurement condamnées, il faut présumer que celles-ci ont déjà payé leur dette à la société. Ce qui vous préoccupe en l'occurrence n'est pas ce qu'elles ont fait, mais ce que vous pensez qu'elles vont faire. Et comme je le dis, cela revient à punir sur la base d'une voyance.

Mme Meredith: Pour que cette mesure puisse être imposée, et si elle doit être justifiée par des motifs raisonnables, ne doit-on pas présumer qu'une enquête a eu lieu, que des accusations ont été portées, et que l'existence de motifs raisonnables a été établie par un tribunal?

M. Borovoy: Un tribunal doit effectivement déterminer s'il y a des motifs raisonnables, mais il n'est pas nécessaire qu'une accusation soit portée.

Ce serait différent si l'on parlait d'une situation où une accusation a été portée contre la personne et que, dans l'attente du procès, certaines restrictions soient imposées à cette dernière. Ce serait une situation différente.

Mais, ici, il ne s'agit pas d'une situation où ce que vous appréhendez, ce que vous craignez, s'est effectivement produit. Vous craignez simplement qu'une personne soit susceptible de commettre l'acte. Il n'est pas nécessaire qu'il y ait condamnation ni même mise en accusation.

Mme Meredith: Mais il faut prouver l'existence de motifs raisonnables afin de conclure que cette personne représente une menace pour d'autres et qu'il convient donc de lui imposer ces restrictions. Je ne puis croire - et peut-être en cela faites-vous moins confiance aux institutions que moi - qu'un gouvernement, une autorité policière ou un tribunal imposerait ce genre de contrainte à une personne à moins qu'il soit prouvé que des motifs raisonnables existent de soupçonner que le comportement de l'individu représente un danger pour des personnes dans notre société.

M. Borovoy: La difficulté avec que vous dites... et je suppose que la question de la confiance dépend de l'évaluation que l'on fait de la capacité humaine. Sans vouloir attribuer de mauvaise intention à quiconque, lorsqu'il s'agit de prouver ce qu'une personne va faire... Il est déjà assez difficile de prouver ce qu'une personne a fait et même alors, comme je l'ai indiqué, des erreurs judiciaires très tragiques ont été commises, où l'on a incarcéré quelqu'un pendant dix ans pour un meurtre qu'il n'a pas commis. Il est beaucoup plus facile de prouver ce qui est advenu que de prouver ce qui va advenir. C'est pourquoi le concept même est si fragile.

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Mme Meredith: Je trouverais plus répréhensible la notion que la société sache que des personnes sont susceptibles de commettre des actes criminels contre autrui et de tourner le dos à ce risque et de l'ignorer - autrement dit, dire qu'à cause des droits de l'accusé ou du contrevenant, nous devons ignorer les droits des victimes ou des victimes potentielles.

J'estime que les enfants de notre pays méritent protection. Si la seule façon de les protéger est de surveiller les activités de personnes qui représentent un danger pour eux, par opposition à jeter ces personnes en prison et les enfermer pour supprimer cette menace potentielle... À bien des égards, c'est une façon beaucoup plus humaine de régler le problème, en surveillant simplement leur comportement et leur accès aux enfants.

M. Borovoy: Mais c'est précisément là le dilemme. Je dis que, à moins que les restrictions que vous imposez soient virtuellement équivalentes à l'incarcération, par exemple l'assignation à résidence, la protection que vous aurez sera au mieux marginale.

C'est une chose que de formuler des théories et dire que vous préférez faire ceci plutôt que cela afin de protéger les enfants, mais si vous regardez l'aspect pratique, le type de protection que vous allez obtenir par ce biais est illusoire. Vous savez que vous imposerez des contraintes considérables à des personnes, mais vous n'avez aucune assurance qu'il en résultera un avantage réel.

Mme Meredith: Je ne conteste pas que c'est bien loin de ce qu'il faudrait pour protéger les victimes innocentes. Mais je sais, d'après l'expérience de la Colombie-Britannique où cette méthode est utilisée pour surveiller des individus bénéficiant de la liberté conditionnelle au lieu de rester incarcérés, que l'on peut contrôler ainsi certains comportements qui peuvent déboucher sur des actes criminels, et c'est peut-être là l'avantage de tout cela. Dans le cas d'une personne qui se livre à des sévices, cela pourrait permettre de contrôler le comportement de cette personne et l'inciter à s'abstenir de pratiques qui, autrement, transformeraient des personnes innocentes en victimes.

M. Borovoy: Je n'ai rien contre cela s'agissant d'une libération conditionnelle, comme solution de rechange à l'incarcération. Je précise bien que je n'ai aucune objection à la surveillance électronique comme solution de rechange à l'incarcération d'un contrevenant dûment condamné. Mon problème est que vous parlez là d'une personne qui n'a été dûment condamnée à rien, dont vous n'avez pas fait la preuve de l'inconduite. Dans ce cas, je nourris de graves objections.

Mme Meredith: Vous dites qu'il faut attendre que quelqu'un ait commis un nouveau crime passible d'incarcération, au lieu d'essayer de prévenir le crime en premier lieu. Autrement dit, vous privilégiez les droits du délinquant, de la personne qui est susceptible de commettre un délit, par rapport aux droits de la victime innocente.

M. Borovoy: Sauf votre respect, je pense que vous cherchez à toute force de m'enfermer dans une boîte qui n'est pas la mienne. Vous m'opposez un conflit théorique - les intérêts de la victime et les droits de l'accusé. Mais vous n'allez pas assurer avec ces mesures la protection désirée de la victime et le fait d'imposer ce type de restrictions peut équivaloir à une forme de punition gratuite.

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Mme Meredith: Ces restrictions dont nous parlons ne sont pas l'assignation à résidence. Elles n'empêchent pas quelqu'un de mener sa vie.

M. Borovoy: Précisément.

Mme Meredith: Tout ce que cela fait, c'est que nous connaissons les allées et venues de cette personne. Cela ne l'empêche pas d'aller et venir.

M. Borovoy: Précisément. Avec le genre de restrictions que vous envisagez, vous n'allez empêcher en rien la personne de commettre le délit qui vous inquiète. Dans ces conditions, pourquoi lui imposer ces restrictions à sa liberté alors que vous n'avez pas prouvé qu'elle ait fait quoi que ce soit de mal? Si vous mettez tout cela bout à bout, cela ne me paraît pas très rationnel.

La présidente: Votre temps est écoulé, mais je reviendrai à vous.

Madame Torsney.

Mme Torsney (Burlington): Je vous remercie, monsieur Borovoy. C'est un honneur que de vous écouter. Mais je me demande ce que nous pourrions...

M. Borovoy: Ne dites pas «mais».

Mme Torsney: Nous savons tous le type d'incidents que nous cherchons à prévenir. Tout le monde dit rétrospectivement - car évidemment, la vision rétrospective est de 20 sur 20 - que chacun savait que ce type allait tirer. La police ne pouvait l'accuser de rien et les tribunaux ne pouvaient rien faire pour l'empêcher. Il n'y avait aucun moyen de l'empêcher et regardez ce qui s'est passé. Tout le monde savait que cela allait arriver.

Par quel autre moyen peut-on éviter que ces incidents se produisent?

M. Borovoy: Je ne suis pas venu ici comme magicien. Je ne suis qu'un humble avocat. Je n'ai pas de pouvoirs magiques, mais d'une certaine façon la manière dont vous avez exprimé la question montre bien ce qui sous-tend ce projet. Ce n'est pas que je conteste ses objectifs, mais il faut bien voir qu'aussi nobles soient-ils, il est irréaliste de penser que l'on peut avec une série de modifications du Code criminel mettre en place un système de prévention aussi complet. Il nous faut en prendre conscience et nous devons construire un système de droit pénal en sachant quelles sont les limites dans la réalité. Je pense que c'est la différence entre les débats théoriques et les discussions pratiques.

Mme Torsney: Nous traitons là de la troisième partie du projet de loi. Les première et deuxième parties, je suppose que vous n'avez...

M. Borovoy: Celles sur les délinquants dangereux?

Mme Torsney: Oui.

M. Borovoy: Nous laissons cela pour un autre jour. Je reviendrai, promis.

Mme Torsney: Est-ce que vous en aurez l'occasion? La première partie est manifestement plus prometteuse, et on peut espérer qu'elle empêchera certains de ces individus de créer d'autres victimes. La deuxième partie concerne la période post-détention, post-liberté conditionnelle. C'est la nouvelle période de surveillance maximale de dix ans. J'espère que ces deux feront beaucoup pour les personnes déjà inculpées et condamnées.

La troisième partie vise la personne qui peut avoir ou non un casier judiciaire, mais dont tout le monde sait qu'elle va griller ses fusibles. Seriez-vous moins opposé si ces mesures étaient utilisées très rarement?

M. Borovoy: J'imagine que la réponse précise à votre question est oui, mon opposition serait moindre si c'était utilisé très rarement, mais songez à une chose. En dépit des meilleures intentions du législateur, ce n'est pas vous qui décidez en fin de parcours ce que l'on fait des textes que vous adoptez. Nous avons une longue expérience dans ce pays avec les pouvoirs substantiels conférés à diverses entités. Invariablement, ces pouvoirs sont utilisés, si une loi le permet, d'une manière qui n'était pas voulue ou envisagée. Je pose donc la question: si vous mesurez réellement les coûts et les avantages, est-ce que cela en vaut la peine?

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Je sais que c'est terriblement frustrant. Vous ne voulez pas quitter la table sans avoir accompli tout ce qui était humainement possible. Mais ce que vous allez accomplir avec ce genre de choses, c'est virtuellement le néant du point de vue de la protection. Vous aurez fini par imposer... et n'oubliez pas, il est probable que cette mesure sera utilisée non seulement à l'égard de la personne à laquelle vous songez et dont nous savons tous qu'elle va commettre un crime, mais à l'égard de quantité d'autres aussi. C'est la conséquence virtuellement inévitable de ce type de législation.

Mme Torsney: Mais un autre élément dont nous devons tenir compte en tant que législateurs, certainement en cette période où les gens sont extrêmement préoccupés par les problèmes de justice et la nécessité réelle de rétablir un peu de foi dans le système judiciaire, c'est qu'en l'absence de tels outils, s'il n'y a pas la possibilité d'imposer ce genre de mécanismes, les gens vont aller régler leurs comptes d'autres façons. L'existence de cet outil dans certaines provinces - et peut-être à juste titre sera-t-il utilisé davantage dans certaines régions du pays que dans d'autres et dans certaines juridictions à l'intérieur d'une même province - s'il peut rétablir la confiance, s'il peut empêcher que certaines personnes deviennent victimes, s'il peut accomplir certaines de ces choses...

Oui, il y a aussi un coût. Peut-être certains seront-ils plus surveillés qu'ils ne devraient l'être car peu susceptibles de commettre un crime. Mais d'aucuns feront valoir qu'un an de surveillance ne suffit pas, qu'il faudrait surveiller certaines personnes plus longtemps que cela. Mais ce sera toujours un avantage.

M. Borovoy: Quel est l'avantage dont vous parlez? Vous parlez d'un avantage psychologique...

Mme Torsney: Et au niveau de la prévention.

M. Borovoy: ...consistant à pacifier un certain nombre de gens en colère. Je ne veux pas minimiser l'importance de cela, mais c'est réellement de cela dont vous parlez.

Je vous invite à réfléchir à quelque chose. Réfléchissez à la perspective affreuse que vous soyez réélue et qu'une personne portant un bracelet électronique ait commis une infraction, l'infraction même pour laquelle vous l'avez placée sous surveillance. Comment allez-vous expliquer alors aux gens en colère ce que vous avez fait?

Songez aussi - et bien entendu, la difficulté dans tout cela est l'impossibilité virtuelle de savoir ce qui aurait pu se passer - que vous savez, vous savez, que cela va être utilisé contre des gens qui ne commettront pas les délits considérés. Voyez donc le prix qui aura été payé pour accomplir rien du tout.

Mme Torsney: Voulez-vous parler de gens qui n'auraient jamais rien fait?

M. Borovoy: Qui ne feront jamais rien, oui.

Mme Torsney: Si l'on constate que l'on a surveillé des gens et que ces personnes n'ont pas commis de délit, ce sera une bonne chose.

M. Borovoy: Oui, mais la surveillance n'y changera rien. Vous l'aurez imposée à des personnes qui n'auraient pas commis de délit. Voilà mon argument.

Mme Torsney: Qui ne l'auraient jamais fait.

M. Borovoy: C'est là l'aspect tragique.

Je lance un défi aux députés. Il se peut que la façon de calmer la colère de vos électeurs est de les prendre davantage dans votre confidence et de leur exposer franchement les limites du droit pénal, les limites de ce qu'il est possible de faire et combien il peut être terrible d'imposer ces restrictions à des personnes entièrement innocentes, comme cela risque d'arriver.

Cela peut vous paraître naïf, mais on voit périodiquement les dégâts causés lorsqu'une erreur judiciaire est commise, même avec les règles de la preuve. Face à la colère de vos électeurs, c'est peut-être le moment d'utiliser ces exemples.

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Mme Torsney: Je pense que cet outil pourrait aussi être efficace, à tort ou à raison, pour prévenir en partie ce phénomène d'autojustice, lorsqu'on libère des détenus à la fin de leur peine et de leur période de liberté conditionnelle etc.. On l'a constaté un peu partout, où l'on appose des affiches, publie les photos dans les journaux et où les gens se font chasser de la ville. Tout cela se passe dans un climat où le public a décidé que le Code criminel n'est pas efficace, que notre système judiciaire n'est pas efficace et que, très bien, ils vont prendre les choses en mains eux-mêmes.

Il n'y a alors pas de processus, pas de garde-fou et de contrepoids dans un tel système. C'est un phénomène courant dans certaines parties du pays. Peut-être sera-ce là un outil qui va calmer un peu les choses, ou empêcher... Je pense que c'est un mal beaucoup plus grand que de... Dieu, je n'aimerais pas avoir à décider quel est le mal le plus grand, mais c'est un système pire que même les plus graves abus que ce système pourrait occasionner.

Que répondez-vous à cela?

M. Borovoy: Comme le dirait l'un des mes amis, vous essayez de m'embrocher sur les cornes d'un dilemme non existant. Je vous répondrai qu'il y a des options autres que les deux que vous me citez.

Mme Torsney: Lesquelles?

M. Borovoy: Parlez franchement au public. Lorsque quelqu'un sort de prison et que vous avez des raisons de penser, ou que la police a des raisons de penser, qu'il présente un danger particulier, le choix n'est pas entre diffuser la photo de cette personne dans toute la presse et ne rien faire. Traditionnellement, des agents de police plus diplomates pouvaient aller dans certains quartiers et informer discrètement les gens du risque potentiel, ou si l'intéressé postulait un certain type d'emploi où il y a un danger particulier, on pouvait en informer l'employeur. Vous n'êtes pas obligé de choisir entre afficher les photos partout et un avantage illusoire tel qu'une surveillance électronique. Il y a des façons de régler ce genre de choses. Elles ne sont pas aussi voyantes.

Mme Torsney: Eh bien, je ne suis pas certaine que ces procédés soient aussi pratiques dans une grande ville ou un grand pays, où les gens ont beaucoup de mobilité.

M. Borovoy: Au contraire, ils sont encore plus pratiques, car même si vous parlez de publier à répétition la photo d'une personne dans les journaux, les personnes mêmes qu'il faudrait avertir ne sont pas au courant, et alors que vous placez la marque de Caïn sur cette personne, l'empêchant de fonctionner, ceux-là même qui devraient être au courant ne le sont pas. Donc, des avertissements discrets sont beaucoup plus susceptibles de produire le résultat voulu, sans causer tous ces dégâts.

La présidente: Madame Meredith.

Mme Meredith: Je vous remercie, madame la présidente.

J'aimerais revenir sur ce que vous venez de dire à Mme Torsney, à savoir que pour un individu jouissant de mobilité dans ce pays, de voir son visage dans les journaux, avec un avertissement pour les parents de se méfier parce qu'il a emménagé dans leur quartier, n'est-ce pas beaucoup plus préjudiciable que d'avoir cette surveillance peu visible dans le cadre d'un système? Ne diriez-vous pas que c'est la meilleure des deux solutions?

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M. Borovoy: Je rejette les deux. Je ne voulais pas vous donner à entendre que la deuxième est préférable. J'ai dit que des avertissements discrets, sur une base sélective, seraient une façon beaucoup plus intelligente de procéder que de publier une photo dans tous les journaux.

Mme Meredith: Mais est-ce que cela ne nuit pas davantage à la capacité de cette personne de mener sa vie, mettons, que d'être astreinte à une forme de surveillance électronique?

M. Borovoy: Cela dépend de qui l'on avertit et dans quelles circonstances. Peut-être oui, peut-être non. Mais si vous êtes inquiet de voir quelqu'un sortir de prison et si vous craignez qu'il ait certaines propensions, vous pouvez peut-être avertir certaines personnes qui pourraient se trouver en contact avec lui. Cela laisse l'intéressé libre de jouir de la vie en société. Il ne pourra peut-être pas obtenir un travail dans une garderie, par exemple, et ce serait une sage précaution que de lui refuser.

Mme Meredith: Je vais changer l'orientation de ce débat, car si je peux certes admettre l'utilisation de la surveillance électronique en cas de libération conditionnelle, pour un délinquant à faible risque, un voleur à l'étalage, les individus de cette sorte, en revanche j'ai moi aussi du mal à envisager la surveillance électronique dans le cas de délinquants dangereux ou de gens qui présentent un risque d'agresser sérieusement ou de tuer d'autres personnes. Je ne considère pas cela comme une option.

Je vois un intérêt à ce type de surveillance dans le cas d'individus à faible risque. Je peux envisager de l'appliquer à de jeunes personnes condamnées en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants ou bien qui se sont avérés être ou susceptibles d'être un risque dans la société. Au lieu de les châtier durement à titre d'adultes, on pourrait leur appliquer une telle mesure à titre de dissuasion.

Dans quelles conditions pensez-vous que cette méthode pourrait être employée sans soulever vos objections?

M. Borovoy: Je pense qu'il y a un problème avec ce que vous venez de dire. Vous parlez là d'une situation autre que celle couverte par le projet de loi. Ce dernier vise des personnes dont on considère qu'elles vont commettre des sévices graves. Le type de contrevenant à faible risque dont vous parlez n'est pas couvert par ce projet de loi.

La deuxième situation survient lorsque vous voulez imposer ce type de surveillance à une personne condamnée pour un délit. Comme je l'ai dit, si vous ne voulez pas incarcérer la personne, et s'il s'agit là d'une solution de rechange à une incarcération qui pourrait autrement être légitimement imposée, ce serait une utilisation acceptable du dispositif électronique. Mais il ne faut pas l'utiliser contre une personne qui n'a été reconnue coupable de rien.

Mme Meredith: Je suis d'accord avec vous, mais vous avez déjà indiqué que ce type de surveillance ne va pas arrêter quiconque a l'intention de commettre le genre de crime auquel nous faisons tous allusion ici. La surveillance électronique n'y changera rien.

M. Borovoy: C'est juste.

Mme Meredith: Je suis en train de lire l'article qui en traite, où il est question d'une comparution devant un juge de cour provinciale. Je crois qu'il doit y avoir des motifs raisonnables pour que la personne ait à comparaître en tribunal, puisse être déférée devant un organe judiciaire. Vous ne pensez pas que cela suffise à protéger les droits de cette personne. Vous estimez qu'une décision est prise par des magistrats de ce pays et que ce type de peine, si vous voulez - ce n'est pas de l'incarcération, mais c'est une condamnation à une surveillance - est inadéquate?

M. Borovoy: J'espère que personne ne sera offensé par ce que je vais dire, mais n'oubliez pas que les juges ne sont que des juristes, tout comme les avocats. Eux non plus n'ont pas le don de double vue. Aussi équitable qu'un juge puisse être, il ne sait pas ce que va faire la personne et c'est là le problème dans toute cette procédure. S'il s'agissait d'imposer une surveillance électronique à un contrevenant reconnu coupable, à la place d'une peine de prison, il n'y aurait pas d'objection. Mais si vous allez le faire uniquement sur la base de ce que j'appelle un exercice de voyance, alors, sauf tout le respect que je dois à mes confrères et consoeurs magistrats, eux non plus n'ont pas ce don.

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La présidente: Je vous remercie, madame Meredith.

Monsieur Telegdi.

M Telegdi (Waterloo): Merci beaucoup, madame la présidente.

Monsieur Borovoy, je suis ravi de vous avoir parmi nous. Moi aussi, je partage la préoccupation que vous exprimez. Je pense qu'il importe que notre comité cerne bien la question. Nous parlons là de gens qui n'ont été reconnus coupables de rien, n'ont pas été mis en accusation, simplement de gens qui pourraient faire quelque chose.

Lorsque je considère le système judiciaire, je vois qu'il souffre déjà d'une très grave pénurie de ressources. Je vois que des audiences de libération sous caution de personnes accusées de crimes graves sont déjà présidées par des juges de paix. On voudrait maintenant détourner des juges de cour provinciale de l'audition de ces cas, à un moment où des accusations contre des personnes sont retirées parce que leur procès n'a pu avoir lieu dans les délais voulus et que nous manquons de magistrats pour entendre toutes les affaires.

J'ai sauté ce matin dans un avion pour me rendre à Ottawa. Supposons que mon avion ait eu un accident. Je suppose qu'il serait raisonnable pour moi de dire: «Mon Dieu, si vous me tirez de là, je promets de ne plus jamais prendre l'avion». Mais pour qu'un gouvernement puisse vous garantir la sécurité physique absolue, il doit également vous priver absolument de toutes vos libertés. Je pense que c'est l'essence de ce projet de loi. Nous ne parlons pas là de quelqu'un qui sort de prison. Nous ne parlons pas là de personnes ayant commis des délits par le passé. Nous parlons de personnes innocentes.

Je suppose que cela fait vibrer en moi une corde sensible, car je peux vous dire que pendant ma jeunesse en Hongrie, nous avions des gens qui disparaissaient un soir et que l'on ne revoyait plus pendant des années et peut-être plus jamais. L'État avait le pouvoir de les arrêter et de les envoyer quelque part en Sibérie. Il vous suffit de lire L'archipel du Goulag pour comprendre ce genre de situation.

Monsieur Borovoy, j'aimerais vous soumettre un scénario, une éventualité qui me paraît possible. Chaque fois qu'il y a une grève pendant laquelle certains des ouvriers de l'usine franchissent le piquet de grève à ce moment de grande tension, une fois la grève finie, les grévistes et les non-grévistes se retrouvent côte à côte dans les ateliers. L'ambiance n'est peut-être pas excellente, mais ils travaillent quand même pour le même employeur.

Si ce projet de loi est adopté, il serait très facile pour cette personne - celle qui franchit le piquet de grève pour aller travailler - de demander qu'une personne qui l'a menacée de représailles soit placée sous quelque forme de surveillance. Que pensez-vous de ce scénario?

M. Borovoy: Je ne suis pas certain de bien comprendre l'exemple que vous me donnez, mais si vous parlez d'une situation où une inculpation est prononcée par suite des tensions sur le piquet de grève et que ce soit une condition de libération sous caution...

M. Telegdi: Aucune accusation n'est portée. Il n'y a que la confrontation verbale qui se produit habituellement lorsqu'un travailleur franchit un piquet de grève.

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M. Borovoy: De quel type de surveillance parlez-vous donc, dans ce cas?

M. Telegdi: Eh bien, la personne qui a franchi le piquet de grève pour aller travailler pourrait dire que tel autre gréviste l'a menacée de violence physique. Mais si vous regardez la situation après la grève, les gens retournent travailler côte à côte et règlent leurs divergences de manière différente, même si...

M. Borovoy: Je ne vois toujours pas quelle est votre question.

M. Telegdi: Si je traverse ce piquet de grève et que quelqu'un me dit: «Toi, le briseur de grève, j'aurai ta peau»...

M. Borovoy: Pourriez-vous demander à un tribunal de mettre cette personne sous surveillance électronique?

M. Telegdi: Oui. Je pourrais dire que l'on m'a menacé de sévices physiques graves.

M. Borovoy: Je suis toujours réticent à donner des avis juridiques, particulièrement quand je songe aux honoraires que je touche pour cela. L'avis pourrait valoir le prix que vous payez.

Je suppose que la question serait de savoir s'il y a des motifs raisonnables de penser que la personne va effectivement commettre un acte de violence grave. Est-ce que la rétribution prendrait la forme d'un crachat dans l'oeil ou serait-ce quelque chose de plus grave? J'imagine que beaucoup dépendrait de cela.

Mais si ce qui vous inquiète, ce sont les possibilités d'abus inhérentes à ce genre de disposition - pour ramener la discussion à un niveau plus conceptuel - la possibilité que ce mécanisme soit utilisé dans le genre de situation dont vous parlez, effectivement, c'est une disposition qui se prête grandement aux abus. C'est dû au fait que vous devez chercher à établir quelque chose qui ne s'est pas produit. C'est nécessairement un exercice délicat qui expose des personnes innocentes à des atteintes réelles à leur liberté.

La présidente: Monsieur DeVillers.

M. DeVillers (Simcoe-Nord): Monsieur Borovoy, lorsque le ministre de la Justice a comparu devant le comité, il nous a demandé de réfléchir à trois amendements possibles. Le premier consisterait à limiter l'application de cette disposition à des personnes condamnées antérieurement. Le deuxième est de la limiter aux personnes ayant des antécédents de comportement violent, à des cas où une condamnation antérieure serait pertinente mais non nécessairement déterminante. Le troisième consisterait à prévoir, comme dans l'article 518 du Code criminel, des listes ou catégories de facteurs. Est-ce que l'un ou l'autre de ces amendements possibles ou suggérés modifierait votre position concernant cet article?

M. Borovoy: Non, ces amendements éventuels ne changeraient pas ma façon de voir. Encore une fois, voyez-vous, vous ne surmontez pas le problème fondamental, celui de restrictions considérables imposées en échange d'avantages illusoires. Peu importe la façon dont vous amendez le projet de loi, vous ne pouvez surmonter cette faiblesse fondamentale.

Si vous me demandiez si je pense que le fait d'ajouter un certain nombre... Sans vouloir me prononcer individuellement sur chacune de ces suggestions, je peux dire de façon générale que, plus vous imposerez de conditions à l'exercice de ce pouvoir, et moins il sera néfaste. C'est tout ce que je puis dire.

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M. DeVillers: Toujours pas acceptable, mais ces amendements l'amélioreraient. Peut-on dire cela?

M. Borovoy: Eh bien, je dirais «moins néfaste», en ce sens que la syphilis est moins néfaste que le cancer.

M. DeVillers: C'est donc une amélioration.

M. Borovoy: Si vous voulez appeler cela une amélioration, libre à vous.

La présidente: Vous connaissez l'art de la sémantique, monsieur.

M. Borovoy: Lequel de nous deux?

M. DeVillers: Pour ce qui est de votre argument concernant la distinction entre l'engagement traditionnel de ne pas troubler l'ordre public et ces dispositions du projet de loi, vous dites que dans le premier cas la personne est empêchée de se rendre à la maison de «X», alors qu'ici la contrainte serait de ne pas fréquenter les parcs. N'est-ce pas là une différence de degré, plutôt que de principe?

M. Borovoy: C'est une différence de degré mais qui devient une différence de nature. Si vous dites à une personne qu'il y a un endroit au monde où elle ne peut aller, c'est très différent que de lui interdire, par une belle journée d'été, de se rendre dans un parc. J'estime que cela devient une différence de nature.

M. DeVillers: Bien. Je vous remercie.

La présidente: Monsieur Bryden.

M. Bryden: Je vous remercie, madame la présidente.

Pour rester sur ce sujet, si la personne porte un bracelet électronique et s'approche d'un lieu donné et que le signal retransmis par satellite déclenche une sonnerie d'alarme et que la police vient pour l'embarquer, n'est-ce pas là une contrainte physique? Est-ce que ce bracelet ne représente pas alors une contrainte physique?

M. Borovoy: Bien entendu.

M. Bryden: Pourrait-on alors le qualifier de boulet électronique? N'est-ce pas davantage un boulet au pied qu'une ordonnance?

M. Borovoy: Selon la manière dont le dispositif fonctionne, ce pourrait effectivement devenir un boulet électronique. C'est possible.

M. Bryden: Mais c'est fondamentalement une contrainte physique.

M. Borovoy: Ce pourrait le devenir, oui.

M. Bryden: Je veux dire, même au minimum...

M. Borovoy: Je suppose que l'anticipation du résultat équivaut à cela, certainement.

M. Bryden: ...si ma crainte est que la police débarque parce que je m'approche d'un endroit, alors c'est une contrainte physique, n'est-ce pas?

M. Borovoy: C'est équivalent.

M. Bryden: Oui. C'est équivalent à une contrainte physique.

Juste pour votre gouverne, et celle de mes collègues, j'ai fait pas mal de lectures là-dessus. La Revue canadienne de criminologie a publié un article sur la surveillance électronique en Colombie-Britannique. On y établit des comparaisons avec d'autres juridictions. On y qualifie diversement la surveillance électronique «d'assignation à résidence», «de peine purgée dans la collectivité», «de punition intermédiaire» etc. etc..

Je considère donc - et je demande votre confirmation - que la surveillance électronique est largement perçue au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni comme une forme intermédiaire de châtiment appliqué aux contrevenants. N'ai-je pas raison?

M. Borovoy: C'est ce qu'il me semble. Je crois que beaucoup de textes publiés penchent dans ce sens.

M. Bryden: N'est-il pas vrai que ceci est le premier texte de loi, dans toute juridiction de pays démocratiques occidentaux, à appliquer ce type de sanction, de contrainte physique, à des personnes avant qu'elles soient condamnées pour un crime?

M. Borovoy: Pas nécessairement avant, mais sans être condamnées.

M. Bryden: Mais n'est-ce pas vrai? C'est un précédent.

M. Borovoy: Je ne sais pas si une autre démocratie occidentale a jamais tenté cela. Je n'en ai jamais fait le tour. Mais il est juste de dire que c'est là une mesure extraordinaire.

M. Bryden: C'est donc une mesure énorme.

M. Borovoy: Je considère cela comme une atteinte substantielle à la liberté qui n'est pas justifiée.

M. Bryden: Est-ce que la pierre angulaire de notre démocratie et de la justice dans une démocratie n'est pas la présomption d'innocence? Autrement dit, on ne vous punit pas avant d'être passé devant un juge. N'est-ce pas là la pierre angulaire de nos libertés?

M. Borovoy: Oui, monsieur.

M. Bryden: Et ceci n'est-il pas directement contraire à ce principe?

M. Borovoy: Précisément.

M. Bryden: Juste un dernier point, si vous le permettez, madame la présidente.

J'aimerais éprouver vos connaissances d'histoire. D'aucuns ont dit...

M. Borovoy: Vous n'éprouvez pas mes connaissances d'histoire, vous éprouvez ma mémoire. Ce sont deux choses différentes.

Des voix: Oh, oh!

M. Bryden: Je vais donc mettre à l'épreuve votre mémoire, vos lectures.

.1040

D'aucuns affirment que les tribunaux vont, bien entendu, agir de façon très responsable si cette disposition est adoptée et pèseront soigneusement les renseignements à l'effet que cette personne pourrait représenter un danger. N'est-il pas vrai que l'Inquisition envoyait les gens au bûcher sur la base de l'interprétation par les tribunaux de la législation de l'époque? N'étaient-ce pas les juges qui envoyaient les gens au bûcher?

M. Borovoy: Peut-être... Je ne me souviens pas des événements de l'Inquisition.

M. Bryden: Je pense que c'étaient des tribunaux ecclésiastiques, mais c'étaient néanmoins des tribunaux et des juges.

Je ne suis pas certain de ce que je vais dire, mais j'aurais pensé... J'ai pris très à coeur les remarques de mon collègue sur la Hongrie. Mais sous le régime nazi, là encore, les tribunaux ou les organes quasi-judiciaires envoyaient des gens en camp de concentration en application des lois de l'époque, des lois promulguées par des gouvernements. N'en est-il pas ainsi?

M. Borovoy: Oui.

J'aimerais souligner une chose. Je vois bien que vos questions abondent dans mon sens. Je l'apprécie. Néanmoins, je pense qu'il faut se méfier des métaphores hyperboliques.

M. Bryden: Très bien.

M. Borovoy: Les pays totalitaires de ce siècle présentaient une différence de nature. Je fais toujours attention aux termes que j'emploie lorsque je condamne quelque chose. Je condamne ce projet, mais je suis un peu réticent devant les métaphores du totalitarisme utilisées pour le décrire, car nous parlons d'un type de société totalement différent. De mon point de vue - et je ne veux pas faire un sermon - il suffit de condamner cette mesure en termes simples et directs. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'aller plus loin que cela.

La présidente: Je vous remercie, monsieur Bryden.

Monsieur Telegdi.

M. Telegdi: Je vous remercie, madame la présidente.

M. Borovoy, êtes-vous en faveur du contrôle des armes à feu?

M. Borovoy: Du contrôle des armes à feu?

La présidente: Oh non, ne parlez pas de contrôle des armes à feu!

Des voix: Oh, oh!

M. Borovoy: Notre organisation ne s'est pas prononcée sur le contrôle des armes à feu. Nous avons adopté la position que le droit de posséder des armes à feu ne constitue pas l'une des libertés fondamentales dans une démocratie.

Nous avons, néanmoins, critiqué un certain nombre d'aspects techniques du projet de loi initial qui, à notre sens, empiétaient sur les libertés civiles et les garanties fondamentales. Nous avons adressé une lettre au comité à l'époque. Nous voulions comparaître devant le comité et faire valoir ces vues, mais nous n'avons jamais pris position sur le principe du contrôle des armes à feu lui-même.

M. Telegdi: Je vous remercie. Ce n'est pas quelque chose qui exige une réforme fondamentale, si vous voulez.

C'est intéressant, car j'aurais pensé que le Parti réformiste, considérant comme il le fait que le contrôle des armes à feu porte atteinte à la liberté individuelle, se montrerait plus prudent avant d'exposer des innocents au genre de situation pouvant découler de cet article, sachant que les personnes visées n'ont pas été préalablement inculpées ou condamnées.

L'un des aspects que j'ai soulevés intéresse la répartition des ressources des tribunaux. Pourriez-vous nous en parler? Premièrement, pourriez-vous parler en particulier de la pénurie de juges? Deuxièmement, pourriez-vous nous parler de l'alourdissement de leur charge de travail qui résulterait de cela? Le mécanisme prévu ici n'est même pas le processus normal des juges de paix, à qui on a conféré maintenant beaucoup de pouvoirs et qui sont responsables de la plupart des audiences de justification.

M. Borovoy: Vous soulevez là une question importante. Il est certain que des problèmes sérieux se posent. Tout le monde parle de l'incapacité des tribunaux à expédier quantité d'affaires dans les délais voulus, par manque de ressources. Évidemment, plus vous encombrez les tribunaux, et plus ce problème deviendra aigu. C'est inévitable.

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Il faut donc se demander, pour chaque fardeau supplémentaire, quel avantage la société en retire. Si le mieux que l'on puisse dire, c'est que c'est une façon de calmer psychologiquement les gens - si c'est le mieux que l'on puisse en espérer, comme je le pense - alors cela justifie difficilement le fardeau supplémentaire. En sus, comme je l'ai dit, il est peu probable que cela apporte un apaisement psychologique.

La présidente: Madame Meredith.

Mme Meredith: Comme vous pouvez l'imaginer, je ne peux m'empêcher de répondre aux propos de M. Telegdi. Il montre à quel point il comprend mal la position du Parti réformiste. Je pensais avoir montré très clairement au comité et aux témoins que je ne souscris pas à la position du gouvernement là-dessus. Je pense que cette mesure est très insuffisante pour régler le problème des délinquants dangereux. S'il est établi qu'ils présentent un risque élevé d'infliger des dommages corporels graves ou la mort à une personne, le tribunal devrait prendre des mesures beaucoup plus énergiques que la surveillance électronique. Je pensais avoir été parfaitement claire à ce sujet.

M. Borovoy: Il est intéressant que vous et moi, vous qui jugez cette mesure insuffisante et moi qui la juge excessive, marchions ensemble vers le soleil couchant. Néanmoins, je serais ravi de vous tenir la main.

Mme Meredith: Ce pourrait être mal interprété.

La présidente: Monsieur Bryden.

M. Bryden: J'aimerais revenir rapidement sur mes remarques antérieures. J'apprécie votre réponse.

Ce à quoi je voulais en venir, c'était de vous demander si vous considérez, en tant que citoyen canadien, que l'une des missions fondamentales d'un législateur comme moi est d'essayer d'empêcher la promulgation de lois qui portent atteinte aux libertés fondamentales qui nous tiennent à coeur, en tant que démocratie. C'est là, en fait, un sujet très important pour les députés. Il ne s'agit pas simplement d'une loi parmi d'autres.

M. Borovoy: Absolument. Je pense que c'est un rôle des plus appropriés et des plus souhaitables à remplir par le législateur dans notre société.

J'ajouterais l'obligation de parler franchement à vos mandants de ce problème - et ne prenez pas cela comme un sermon - , d'éduquer le public sur les limites et les dangers, les limites de ce que peut faire le droit pénal par rapport aux résultats recherchés et les dangers qu'il y a à utiliser le droit pénal à cette fin. Je pense que c'est un élément de très haute importance de la mission du législateur: réellement expliquer les choses au public et essayer de le sensibiliser.

M. Bryden: J'ai une dernière remarque. Nous avons vu que la présomption d'innocence est un principe fondamental et une liberté fondamentale. Son corollaire est l'absence d'arrestation arbitraire. Est-ce que la notion d'arrestation arbitraire n'entre pas précisément dans la même catégorie que l'imposition d'un boulet électronique, d'une surveillance électronique, avant même d'avoir été condamné ou même accusé d'un crime? N'est-ce pas là une arrestation arbitraire?

M. Borovoy: En un sens. Je n'assimile pas tant cela à une arrestation, car l'arrestation est le début du processus. Si vous avez des motifs raisonnables de craindre initialement certain comportement d'une personne, vous pouvez avoir un motif d'arrestation. Je fais plutôt l'analogie avec un châtiment. En fait, je ne fais pas d'analogie, je dis carrément que c'est un châtiment. Lorsque vous imposez une peine à une personne, l'interdiction de se rendre en certains endroits et que vous lui imposez un dispositif de surveillance électronique comme moyen de contrôle, vous lui imposez à toutes fins pratiques une punition sans preuve de culpabilité.

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La présidente: Je vous remercie, monsieur Bryden. La parole est à M. Telegdi.

M. Telegdi: J'ai une brève remarque à adresser à ma collègue réformiste d'en face, madame la présidente.

Je pense que ce qui est réellement crucial - et j'aimerais bien que les Réformistes en prennent conscience - c'est que vous prenez là des gens qui n'ont pas de condamnation préalable, n'ont été reconnus coupables de rien, n'ont été accusés de rien...

Mme Meredith: Ne commencez pas à nous mettre cela sur le dos.

M. Telegdi: Si vous dites que c'est une façon insuffisante...

Mme Meredith: C'est le gouvernement libéral qui a concocté cela.

M. Telegdi: ...de protéger les innocents, alors je suis totalement abasourdi.

M. Borovoy: Je suis tellement ravi d'être la plate-forme de cet échange.

La présidente: J'aimerais poser quelques questions moi-même.

Le comité est saisi également du projet de loi C-254, le projet de loi d'initiative parlementaire de Mme Meredith. Je pense qu'il est à peu près identique à un projet de loi que le dernier gouvernement a essayé d'introduire.

Ai-je raison?

Mme Meredith: C'est un projet de loi que le dernier gouvernement n'a pas introduit mais avait l'intention de présenter, sur la détention post-sentencielle d'une personne qui a été jugée et condamnée. C'est très différent du sujet ici, car la personne a été jugée et condamnée pour une infraction et incarcérée.

La présidente: Très bien. Pour ce qui est du projet de loi C- 254, si j'ai bien saisi, il instaure un régime où les contrevenants violents ou à haut risque de récidive peuvent être détenus au-delà de l'expiration de leur peine ou bien se voir imposer une ordonnance de surveillance après leur libération. En gros, la surveillance est un prolongement de leur détention. Votre texte facilite également le refus de la libération statutaire de contrevenants jugés susceptibles de commettre des délits sexuels sur des enfants.

Outre les bonnes intentions ou les préoccupations sociales de ce projet de loi, il me semble qu'il présente un problème de constitutionnalité.

Je ne sais pas si vous avez eu le temps d'y réfléchir, monsieur Borovoy, lorsque le dernier gouvernement parlait d'une mesure de ce genre. Avez-vous quelque chose à dire sur sa constitutionnalité?

M. Borovoy: Je ne peux dire que je me suis immergé dans la jurisprudence. Néanmoins, j'en ai discuté avec un certain nombre de personnes que je considère expertes. Il me semble que l'on s'accorde à dire que cette mesure serait contraire à la Charte. Elle serait probablement déclarée contraire à la Charte.

Je considère, par principe, qu'une société démocratique ne doit pas imposer une punition rétroactive de cette façon. Si vous considérez qu'une personne comparaissant en justice... Si elle avait su ce que vous voulez lui imposer aujourd'hui, peut-être n'aurait-elle pas plaidé coupable. Peut-être aurait-elle interjeté appel au lieu de s'en abstenir. Le juge aurait peut-être imposé une peine différente.

C'est réellement une violation de principes importants dans notre société. Pour ces raisons, la Charte et tout le raisonnement qui sous-tend la Charte seraient enfreints par une mesure de cette sorte.

La présidente: Vous êtes venu parler des modifications à l'article 810. J'imagine que vous avez réfléchi à l'application de la Charte ou à ce qui se passerait si ce projet de loi était promulgué et était contesté en vertu de la Charte. Qu'en pensez- vous?

M. Borovoy: Encore une fois, je ne puis prétendre donner un avis expert. Le consensus des divers experts avec qui je m'en suis entretenu est qu'il y aurait des arguments respectables et convaincants à faire valoir dans une contestation. Que cette dernière aboutisse ou non, le dire exigerait cet exercice même de voyance que j'ai refusé ce matin.

La présidente: Merci beaucoup.

Monsieur Borovoy, je vous remercie d'avoir comparu et de nous avoir fait part de vos vues sur le projet de loi. Je peux vous assurer que nous prendrons très à coeur ce que vous nous avez dit.

Nous allons maintenant nous arrêter pour reprendre à 11 heures.

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La présidente: Nous sommes de retour. Nous allons maintenant entendre M. Stephen Fineberg, président de l'Association des avocats et avocates en droit carcéral du Québec.

Bienvenue, monsieur Fineberg. Si j'ai bien compris, vous allez nous dire quelques mots, après quoi nous vous poserons des questions.

M. Stephen Fineberg (président, Association des avocats et avocates en droit carcéral du Québec): Merci beaucoup. J'aimerais commencer par dire que j'apprécie l'occasion qui m'a été ici donnée de comparaître devant le comité. Ce n'est pas la première fois que nous avons été invités à venir vous rencontrer, mais nous trouvons toujours cela utile.

L'Association des avocats et avocates en droit carcéral du Québec, en anglais Association of Quebec Prison Lawyers, réunit les avocats du Québec spécialisés en droit carcéral, c'est-à-dire en droit relatif à l'emprisonnement et à la libération conditionnelle. Voilà pourquoi nous avons une connaissance professionnelle des textes de loi, règlements, politiques et programmes qui occupent le comité dans le cadre de son étude.

Notre groupe a vu le jour en mai 1992. Depuis, nous avons comparu ici plusieurs fois et nous nous sommes toujours efforcés de participer de notre mieux.

Cette fois-ci, nos membres n'ont pas eu l'occasion d'avoir une discussion exhaustive et d'en arriver à un consensus relativement à nombre des questions qui sont abordées dans les projets de loi. C'est pourquoi je vais limiter mes observations à quelques points seulement, mais je sais que vous allez rencontrer de nombreux témoins qui pourront vous fournir des renseignements utiles relativement à toute une gamme de questions. Je vais donc tâcher de limiter mes observations aux aspects dont nous avons discuté en profondeur.

Dans le cas du projet de loi C-254, cependant, nous sommes tout à fait prêts à exhorter le comité à rejeter tout ce qui y est décrit sous la rubrique détention post-pénale. Nous savons que cette opinion a été exprimée dans d'autres milieux, mais ce serait négligent de notre part de ne pas prendre quelques minutes pour exprimer notre opposition à cette proposition législative, pour laquelle l'approbation du Parlement est toujours demandée.

Je dois m'excuser auprès de vous de ne pas vous avoir envoyé un mémoire à l'avance. Nous nous sommes attaqués à tout cela à la dernière minute. Je vais essayer de finaliser mon mémoire écrit ce soir, à mon retour à Montréal, afin de pouvoir vous l'envoyer par télécopieur demain.

La présidente: Sachez que le procès-verbal de la réunion sera de toute façon transcrit.

M. Fineberg: Oui.

En ce qui concerne le projet de loi C-254, la notion d'imposition d'une peine d'emprisonnement d'une durée indéterminée après que le délinquant a purgé une peine d'une durée déterminée est une violation d'un principe fondamental de notre système judiciaire, notamment qu'une fois qu'une personne a été punie pour un crime, celle-ci ne peut pas être punie une nouvelle fois pour le même crime. Ce principe est enchâssé dans notre histoire ainsi que dans notre Constitution, au paragraphe 11 h) de la Charte des droits et libertés, qui dit:

11. Tout inculpé a le droit:

h) d'une part de ne pas être jugé de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement acquitté, d'autre part de ne pas être jugé ni puni de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement déclaré coupable et puni;

À notre avis, le projet de loi C-254 va clairement plus loin que les actuelles dispositions du Code criminel relativement aux délinquants dangereux, en ce sens que les peines d'une durée indéterminée telles que proposées ne seront pas envisageables dans les cas où l'intéressé est jugé coupable, mais seront imposées une fois que le contrevenant a déjà purgé sa première peine pour la même condamnation. Même si une peine de détention préventive de durée indéterminée imposée tout de suite après la condamnation ne viole pas le paragraphe 11 h) de la Charte des droits et libertés, à notre avis, ce serait le cas d'une nouvelle forme de détention préventive qui interviendrait une fois la peine initiale purgée.

Étant donné la décision majoritaire du juge LaForest rendue par la Cour suprême dans l'affaire R. c. Lyons 1987, nous devons conclure que l'article 7 de la Charte serait lui aussi violé par une telle démarche. Celle-ci concerne l'individu qui a plaidé coupable puis a fait l'objet d'une demande de déclaration qu'il est un délinquant dangereux. M. Lyons a argué que l'actuelle loi relative aux délinquants dangereux viole les principes de justice fondamentale énoncés à l'article 7, car elle punit des personnes pour des crimes qu'elles n'ont pas commis ou pour des crimes pour lesquels elles ont déjà été punies.

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La Cour suprême n'a pas convenu que les gens sont punis pour des crimes qu'ils n'ont pas commis. La Cour suprême a dit que l'article 688 - l'ancien article du Code criminel concernant les délinquants dangereux - autorise un juge à imposer une peine de détention pour une durée indéterminée à une personne qui a commis un crime, et la peine doit tenir compte de toute autre peine qui a été imposée relativement au crime dont le contrevenant a été jugé coupable.

Comme vous pouvez le voir, selon la décision majoritaire rendue dans l'affaire Lyons, si une peine de durée indéterminée est imposée pour un crime qui a déjà été puni, alors il y a violation de l'article 7. C'est là notre interprétation des conclusions du juge LaForest dans l'affaire R. c. Lyons. Bien sûr, les réserves exprimées par la Cour s'appliqueraient à la nouvelle proposition visant l'imposition d'une peine d'une durée indéterminée une fois la première peine purgée.

La juge Bertha Wilson, même si elle s'est rangée du côté de la décision majoritaire sur les articles 9 et 12 de la Charte, a différé d'opinion relativement à l'article 7, maintenant que même l'actuelle loi sur les délinquants dangereux viole la Charte à au moins un égard. Elle a dit:

Il est, à mon avis, un principe de la justice fondamentale en vertu de l'article 7 de la Charte, qu'un accusé connaisse toute la mesure de son risque avant de plaider coupable d'une infraction pour laquelle une peine d'incarcération peut être imposée.

Selon l'argument de la juge Wilson, tant et aussi longtemps que l'accusé, ayant plaidé coupable, est en train de purger une peine, une peine de durée indéterminée qu'il ou elle n'aurait pas pu prévoir au début de la peine en cours ne devrait pas pouvoir être imposée. Et l'on constate que la nouvelle méthode de renvoi pour une peine d'une période indéterminée sera toujours un événement que le détenu n'aurait pas pu prévoir lors de sa condamnation. Il nous semble donc que ce qui est proposé va carrément à l'encontre de l'avis de Mme Wilson.

Passant maintenant au projet de loi du gouvernement, d'aucuns disent que les amendements proposés au Code criminel en vertu du projet de loi C-55 ont réussi à éviter les écueils constitutionnels du projet de loi C-254.

Mais nous pensons que la caractéristique centrale de la nouveauté proposée dans le projet de loi C-55 continue d'aller à l'encontre de l'article 7 de la Charte. Le problème, bien sûr, est que le projet de loi C-55 permettrait à la Couronne de faire une demande de déclaration de délinquant dangereux jusqu'à six mois après la condamnation de l'intéressé, la seule garantie étant l'obligation d'aviser le contrevenant avant l'imposition de sa peine de ce que l'on appelle dans le projet de loi «la possibilité qu'elle (la poursuite) présente une demande».

Cela nous semble être une violation manifeste du principe sur lequel s'est appuyée la juge Wilson dans l'affaire Lyons: soit qu'un accusé doit connaître toute la limite de son risque avant qu'il ne plaide coupable d'une infraction pour laquelle une peine d'emprisonnement peut être imposée.

Le texte du nouveau paragraphe 753(2) a) du Code criminel établit clairement que le moment opportun pour exposer au contrevenant l'envergure de son risque est tout de suite après sa condamnation et avant la détermination de la peine.

Par conséquent, rien dans le libellé proposé n'obligerait la Couronne à annoncer la possibilité d'une demande de déclaration de délinquant dangereux lorsque l'accusé est en train d'exercer son droit d'organiser sa meilleure défense possible ou d'entreprendre une négociation de plaidoyer. L'on peut prévoir le cas où certains accusés accepteraient de plaider coupable pour apprendre par la suite l'intention de la Couronne de réserver son option de demander une déclaration de contrevenant dangereux pour une période de six mois. Cela nous semble anticonstitutionnel, et constituer une violation des droits de l'accusé.

Par ailleurs, même si l'accusé devait décider de plaider coupable sachant l'intention de la Couronne de faire une demande en vertu du paragraphe 753(2) a), le principe évoqué par la juge Wilson n'aurait pas été respecté. L'avis du dépôt possible d'une demande à partir de renseignements qui pourront ou ne pourront pas ressortir à l'avenir peut-il être assimilé à la connaissance du contrevenant de la pleine envergure de son risque? Nous pensons que non.

Le paragraphe 753(2) b) du projet de loi définit explicitement la menace à la liberté du contrevenant comme étant une menace qui était inconnue au moment de la négociation de plaidoyer, car si les preuves pertinentes avaient été à la disposition de la poursuite lors de l'imposition de la peine mais ne sont ressorties que dans la période de six mois qui a suivi, alors, la demande ne sera pas acceptée.

Par conséquent, en vertu du libellé actuel du projet de loi, la seule situation où une telle demande serait acceptée serait celle où, par définition, le contrevenant ignorait l'envergure de son risque lors de son plaidoyer de culpabilité.

En d'autres termes, le projet de loi vise précisément à refuser au contrevenant la possibilité de connaître l'envergure de son risque lorsqu'il monte sa défense et lorsqu'il soupèse l'avantage qu'il aurait à plaider coupable.

.1115

À ce chapitre, le droit de connaître l'envergure de son risque est perçu comme étant un facteur non seulement dans une décision de plaider coupable ou de monter sa défense, mais également dans la question pratique des ressources à consacrer à sa défense. Il est un fait que les personnes qui sont jugées devant les cours criminelles aux frais de l'État doivent évaluer ce que cela leur coûtera de monter une défense adéquate.

Souvent, des décisions très pratiques, par exemple décider s'il faut ou non demander à des parents de prendre une hypothèque sur leur maison ou de vendre leur ferme, seront fondées sur la menace perçue à l'endroit de la liberté de l'accusé. C'est une chose de parler du droit de l'accusé à une bonne défense, et c'en est une autre pour l'accusé de l'organiser. Des choix doivent souvent être faits en regardant les ressources d'un oeil et, de l'autre, les périls qu'impose le droit pénal à sa liberté et à son avenir.

Étant donné le fossé qui existe entre les conséquences d'une peine d'une durée déterminée et celles d'une peine d'une durée indéterminée, après sa condamnation, un accusé sera peut-être amené à regretter amèrement les choix qu'il a faits.

J'aimerais maintenant dire qu'à notre avis le fait que les accusations soient très sérieuses et que les conséquences d'une condamnation soient extrêmement graves ne devrait pas amener le comité à prendre plus à la légère les droits de l'accusé.

Nous comprenons que les personnes qui font l'objet de demande de délinquant dangereux sont accusées d'avoir commis des crimes haineux. Mais étant donné la gravité du crime et la gravité des conséquences d'une condamnation, nous pensons qu'il y a encore davantage lieu de prendre toutes les précautions et de respecter tous les droits en matière de procédure lorsqu'on tente, par le système judiciaire, de déterminer qui est coupable et qui est innocent. Étant donné la gravité des conséquences et de l'accusation, il nous faut respecter intégralement le droit de l'intéressé à une bonne défense. L'objet de l'exercice n'est pas de punir sévèrement des personnes qui ne sont pas coupables des crimes.

Nous arguerions par ailleurs que la nouvelle période de six mois semble aller à l'encontre des principes selon lesquels fonctionnent toutes les autres formes d'activités de poursuite. En règle générale, l'État est obligé de présenter son meilleur dossier tout à la fois, en d'autres termes, de lancer sa meilleure tentative.

C'est le droit de l'accusé de connaître le dossier qu'a l'État contre lui et de monter une défense qui, si elle réussit, peut être utilisée par l'accusé par la suite. Si l'État parvient à réunir suffisamment de preuves pour obtenir une condamnation et une peine pour une période déterminée selon l'arrangement traditionnel, il doit alors mettre fin à sa poursuite de l'individu.

Dans le système proposé, cependant, la déception de l'État sur la durée de la peine imposée peut alimenter une attaque soutenue contre la personne qui vient d'être condamnée. Si la Couronne est mécontente de la peine, tant et aussi longtemps qu'elle a collaboré en déposant un avis avant la détermination de la peine, la police peut continuer de demander une peine d'une durée indéterminée pendant six mois. Pendant cette période de prolongation, le contrevenant ne peut pas savoir ce que l'avenir lui réserve.

Nous pensons qu'il est important de rappeler au comité que les tribunaux ont déjà clairement reconnu que toutes les formes de détention n'ont pas le même degré de sévérité. Les tribunaux ont convenu que le temps passé en détention préventive en attendant son procès ou la détermination de sa peine devrait en règle générale compter pour le double, comparativement aux périodes passées en prison après la déclaration de la peine.

Nous tenons à rappeler également au comité que d'une certaine façon le projet de loi vise à créer une catégorie de détenus incarcérés sans savoir si leur peine sera de durée délimitée et que le mandat les concernant expirera un jour donné, ou s'ils purgent tout simplement une peine dont on leur révélera un jour qu'elle continuera sans fin.

Les principes de justice fondamentale énoncés à l'article 7 de la Charte, sinon à l'article 12, qui traite de l'interdiction de traitement ou de peine cruels et inusités, devraient assurément être considérés comme suffisamment généraux pour être en collision avec une peine qui serait purgée sans que l'intéressé ne sache s'il approche ou non de sa date de libération.

À notre avis, le deuxième élément inadmissible des amendements proposés relativement aux délinquants dangereux concerne le changement au paragraphe 761(1) du Code criminel en vertu duquel la date d'admissibilité à la libération conditionnelle pour les personnes purgeant une peine de durée indéterminée interviendrait à l'expiration d'un délai de sept ans à compter du jour où l'intéressé a été mis sous garde, plutôt que de trois ans. À l'heure actuelle, tous les contrevenants qui purgent des peines fédérales deviennent admissibles à un moment donné au programme de mise en liberté sous condition. Jusqu'à cette date repère, le contrevenant ne peut pas être admissible à une libération sous condition, peu importe qu'il soit méritant, peu importe que le plan de libération soit prometteur, peu importe l'importance pour la sécurité du public de la poursuite de l'incarcération du détenu.

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Même si cette période de réclusion imposée peut sembler inutile dans certains cas - notamment celui d'une personne qui s'est jusque-là montrée digne - la loi défend la légitimité de la période d'inadmissibilité à la libération sous condition et la défend sur la base de la nécessité d'une dénonciation publique du crime qui a été commis et d'un châtiment.

Cela étant dit, nous ne parvenons pas à comprendre le bien- fondé de la date d'admissibilité à la libération conditionnelle qui a été proposée pour les délinquants dangereux. Il devrait être clair que la période d'inadmissibilité ne peut correspondre qu'à cette période de la peine pendant laquelle le délinquant dangereux doit demeurer sans espoir de libération, quelle que soit la sincérité de son repentir et quelles que soient les améliorations qu'il a pu faire par rapport au crime commis.

En d'autres termes, le contrevenant a peut-être déjà évolué à un point tel que sa punition et son incarcération ne contribuent plus à la sécurité du public. Mais cela n'intéresse pas les responsables des libérations. La période de dénonciation publique du crime doit être respectée.

Nous ne contestons pas cela. Mais nous constatons que cette période de temps pendant laquelle les mérites et les perspectives d'avenir du délinquant ne peuvent même pas être examinés n'a rien à voir avec le droit du public à la protection, car il se peut fort bien qu'il y ait des cas où la protection du public n'est plus en péril mais où il est exclu d'envisager une libération pour le coupable. Il s'agit là de la période de dénonciation publique du crime qui a été commis; il s'agit de la période de châtiment pour le crime commis. Ce n'est qu'une fois cette peine purgée que les autorités responsables de l'incarcération et de la libération ont la possibilité d'évaluer l'opportunité d'une libération graduelle et contrôlée du milieu criminel négatif et nuisible du pénitencier vers un contexte plus positif et plus favorable en société libre.

Une fois ce point atteint, l'intéressé doit être réévalué périodiquement pour vérifier que sa libération peut être faite en toute sécurité. Les tribunaux ont d'ailleurs maintenu qu'en l'absence d'une réévaluation régulière, une peine de durée indéterminée serait anticonstitutionnelle. L'on peut donc considérer que la période d'inadmissibilité à la libération est reliée au crime qui a été commis, tandis que la période de détention qui s'ensuit, avec des évaluations régulières par les autorités responsables de la détention et de la libération, est exigée par la nécessité de protéger le public de ce que le tribunal a déterminé comme étant la probabilité d'un nouveau comportement nuisible. Or, le projet de loi C-55 nie la possibilité d'une évaluation en vue d'une libération pendant les sept premières années de la peine d'incarcération. Cela laisse entendre que dans chaque cas, le crime aurait valu au coupable une peine extrêmement longue, exigeant une période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle de sept ans.

Or, nous savons très bien que ce n'est pas dans tous les cas qu'une très longue peine d'incarcération de durée déterminée aurait été imposée pour le crime commis. En fait, la loi nous offre certains repères sur ce point avec la définition de ce qu'est un crime de sévices graves à la personne qui, selon le paragraphe 752 a) du Code criminel exige qu'il soit possible d'imposer une peine d'incarcération de dix années ou plus.

Par conséquent, même si nous prenons comme exemple un crime de graves sévices à la personne, ce qui non seulement peut être puni d'une peine d'incarcération de dix ans mais l'a été, le coupable serait en règle générale admissible à la libération conditionnelle après avoir purgé le tiers de cette peine, soit environ trois années et demie et non pas sept.

Nous pensons que le Parlement ne devrait pas empiéter fortuitement ou arbitrairement sur les libertés individuelles, quelle que soit l'importance de la question. Toute initiative visant à augmenter la période d'inadmissibilité pour une catégorie de personnes, la faisant passer de trois à sept ans, doit se fonder sur un principe. Ici ce principe n'existe pas, étant donné surtout que le changement proposé servira à estomper la distinction entre les délinquants dangereux qui s'améliorent en l'espace de trois ans et ceux qui préfèrent résister à toute évolution personnelle. Nous sommes d'avis que personne n'aurait de raison de féliciter le Parlement d'aller dans ce sens.

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En ce qui concerne les délinquants présentant peu de risques de récidive, nous tenions à dire que nous appuyons le nouvel article 119.1 du projet de loi visant à modifier la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, en vertu duquel les délinquants ayant commis leur première infraction à une loi fédérale seront admissibles à la libération de jour une fois qu'ils auront purgé un sixième de leur peine plutôt que six mois avant le premier tiers. Il s'agit là d'un changement qui peut être défendu sur la base de motifs appuyés par des principes, et qui cadrent avec l'objectif déclaré du gouvernement qui est d'assurer un système judiciaire pénal qui soit plus réactif, efficient et efficace. La mesure proposée sert à accentuer davantage les sorts différents réservés aux candidats méritants et non méritants, ce qui, dans le contexte de l'examen accéléré, signifie imposer une distinction entre les délinquants violents et les délinquants non violents.

En ce qui concerne les délinquants à contrôler, nous pensons, a priori, que la création d'une catégorie de personnes condamnées assujetties à une supervision dans la communauté du fait de leur risque élevé de perpétration d'un nouveau crime grave après expiration du mandat de dépôt, peut sembler être une solution raisonnable à un besoin pressant, mais même ceux qui sont convaincus de la justification de cette nouvelle limitation de la liberté personnelle devraient s'inquiéter de la forme que cela prend dans le projet de loi C-55. Le délinquant qui est reconnu par la cour comme étant un délinquant à contrôler est assujetti à une surveillance conformément à l'article 753.2 du projet de loi ainsi que de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Cela signifie que la nature et l'envergure de la surveillance ne seront pas établies par un quelconque tribunal mais bien par les administrations ainsi habilitées par la législation relative au système correctionnel.

Le problème est celui de la portée de l'autorité que les Services correctionnels du Canada et que la Commission nationale des libérations conditionnelles puisent dans la législation relative au système correctionnel et dans la façon très vague dont cela est défini. Le manque de lignes directrices quant à la détermination et à l'application de conditions acceptables par les autorités est devenu un obstacle de taille pour les personnes qui purgent leur peine dans la rue et qui tentent de réorganiser leur vie sans un retour à la prison.

Je peux vous dire cela en m'appuyant sur mon expérience professionnelle au Québec. J'ai un client qui est venu me voir pour se plaindre qu'une condition de sa libération était que la Commission des libérations conditionnelles allait exiger de lui qu'il quitte son lieu de résidence à la campagne pour se rendre régulièrement, et à ses frais, en ville, pour obtenir des services de conseils psychologiques, et que ces services allaient eux aussi devoir être payés par lui. Il n'avait trouvé aucun travail et il prévoyait être à l'assistance.

D'autres clients se plaignent du fait que la Commission des libérations conditionnelles exige d'eux qu'ils obtiennent qu'un comptable prépare, à leurs frais, une déclaration mensuelle de leurs revenus et de leurs dépenses pendant toute la durée de leur libération sous condition. L'individu qui ne paie pas un comptable pour soumettre un relevé mensuel à la Commission des libérations sera suspendu et son autorisation sera révoquée pour manquement aux conditions imposées. D'autres sont tenus de suivre des programmes de thérapie qui sont tels qu'il leur est difficile voire impossible de travailler.

L'on se souvient également de la décision rendue par la Cour fédérale dans l'affaire Litwack: la Cour a maintenu que la condition de la Commission des libérations exigeant que l'intéressé ne soit pas actif dans les milieux d'affaires était telle que celui-ci s'est retrouvé dans l'impossibilité de travailler, malgré le fait qu'il n'y avait, selon le tribunal, pas une miette de preuve qu'il ne s'était pas réformé.

La plupart des détenus qui sont confrontés à des conditions arbitraires et contraignantes se trouvent dans l'impossibilité de chercher des recours judiciaires. Même s'ils ont les ressources économiques nécessaires pour soumettre l'affaire à un tribunal, pendant un litige prolongé, ils seraient réincarcérés, ce qui porterait directement atteinte à l'objet même de leur recours.

Même les conditions les plus intrusives imposées par la Commission des libérations conditionnelles sont choisies sans participation aucune par les parties qui vont être surveillées. Ces conditions ne font pas l'objet d'audience ni d'une quelconque autre étude au cours de laquelle l'intéressé serait invité à participer. Ces conditions sont tout simplement annoncées.

Un problème croissant pour le système correctionnel est la tendance actuelle voulant que la Commission des libérations suspende et révoque les programmes de libération comme elle le veut, sans nouveau délit commis ou sur l'horizon. Après tout, la Commission est plus exposée que ne le sont les tribunaux aux pressions exercées par les médias et le public.

Je comprends que l'objet du comité ici réuni n'est pas d'examiner le fonctionnement de la Commission des libérations conditionnelles ou des surveillants des libertés conditionnelles des Services correctionnels du Canada, mais nous tenons à vous rappeler que les services de surveillance prévus dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, auxquels le nouveau projet de loi renvoie les délinquants à contrôler, ont été conçus à l'intention des personnes purgeant leur peine à l'extérieur des pénitenciers. Étendre le même genre de contrôle que les Services correctionnels et la Commission des libérations conditionnelles exercent sur des personnes assujetties à leur supervision à une nouvelle catégorie de personnes qui ne purgent même pas de peine d'incarcération nous paraît anticonstitutionnel.

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Quant à la question de savoir si une forme de surveillance à l'extérieur de la peine d'incarcération, au-delà de celle-ci, serait acceptable sur le plan constitutionnel, il s'agit là d'une question plus difficile. Pour l'instant, nous nous contenterons de soulever la difficulté posée par le régime proposé dans le projet de loi et qui nous a été soumis pour analyse.

Étant donné que ce sont les organismes correctionnels et non pas les tribunaux qui seront censés établir le contenu du mandat de surveillance, nous trouvons particulièrement discutable que les contrevenants à contrôler risquent de se voir juger coupables d'un acte criminel s'ils ne se plient pas au mandat tel que défini... non pas tel que défini par le tribunal, mais bien par les organismes correctionnels. Il s'agit là d'une proposition dangereuse et, selon nous, anticonstitutionnelle, dans son libellé actuel.

Je pense que je vais m'abstenir de me prononcer sur la contrainte judiciaire. J'ai discuté avec M. Borovoy hier. Je me contenterai de signifier que nous appuyons le point de vue qu'il a exprimé ce matin.

La présidente: Cela nous est utile. Merci.

[Français]

Monsieur Langlois.

M. Langlois (Bellechasse): Comme remarque préliminaire, j'aimerais souligner que puisque le témoin nous a lu un texte, il aurait dû être facile d'en distribuer des photocopies aux membres du comité, qui auraient pu suivre sa présentation et annoter leur exemplaire au fur et à mesure. J'espère qu'on pourra corriger cette situation à l'avenir, même si les délais sont courts.

J'ai pris quelques notes. Je comprends certaines des préoccupations et concède qu'il est évident qu'on invoquera et plaidera des questions de charte à l'encontre du projet de loi C-55. À un moment ou à un autre, vous avez évoqué les prises qui pourraient donner lieu à de telles contestations.

À ce stade-ci du débat sur le projet de loi C-55 et après l'audition de plusieurs témoins, j'ai quand même pu cerner quelques questions que j'avais posées au ministre lors de sa comparution devant le comité. Il est sûr, et vous l'avez par ailleurs mentionné, que condamner une personne pour une durée indéterminée équivaut à faire indirectement ce que le projet de loi C-254 voulait faire directement, c'est-à-dire imposer à toutes fins utiles une nouvelle peine. Ainsi, le détenu devra faire la preuve de son admissibilité à une libération sans avoir de terme. Est-ce justifié à l'égard des articles 7 à 15 de la Charte? C'est un autre problème. Évidemment, on vit dans une société de droit, où les peines doivent être déterminées, suivant ce que nos tribunaux nous ont dit, de la façon la plus précise possible.

Vous dites vous opposer à ce qu'on accorde six mois au procureur de la Couronne pour faire une demande en vue de déclarer une personne criminel dangereux. Si je comprends bien, après un verdict de culpabilité, une personne ne sera manifestement pas admissible à une sentence suspendue ou à une libération inconditionnelle. Elle sera passible d'au moins six mois d'emprisonnement. Est-ce que ces six mois lui sont vraiment préjudiciables puisque de toute façon elle va les purger?

Dans le cadre de l'équilibre qu'on doit rechercher entre l'État et les droits de la personne qui a été trouvée coupable, n'est-il pas acceptable, dans une société libre et démocratique, de donner six mois au procureur de la Couronne pour recueillir tous les éléments d'information et aller faire ses représentations sur sentence muni de toute cette information, ce qui pourra aussi permettre à la personne déclarée coupable, mais non encore déclarée criminel dangereux, de préparer sa défense à ce stade-là?

Je poserai ma deuxième question et après que vous y aurez répondu, je vous laisserai aux mains de Mme Meredith, qui va peut-être vous amocher un petit peu plus.

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Vous n'avez pas fait allusion à l'article 810.2. C'est l'un des articles qui me rendent le plus mal à l'aise. À mon avis, cet article est un mandat de paix amélioré, en ce sens qu'il permet de requérir contre une personne qui n'a été trouvée coupable d'aucune offense criminelle des mesures qui la forceront à restreindre sa mobilité, à se rapporter à des autorités policières et à fournir des garanties de bonne conduite, alors qu'on n'a aucune preuve de mauvaise conduite.

C'est une aberration dans notre système de droit que d'étendre un mandat de paix qui existait dans notre common law depuis fort longtemps, mais qui s'appliquait dans des circonstances bien particulières. J'éprouve encore beaucoup de difficulté et une réticence certaine à ce qu'on veuille le codifier par la bande avec le projet de loi C-55. Je ne sais pas si vous avez un point de vue à exprimer sur cet article, qui pourrait à la limite - je le soulignais au ministre qui ne m'a pas contredit - faire que le lendemain ou l'après-midi même du jour où une personne a été acquittée par un juge d'une cour provinciale ou par un jury, le juge constatant le verdict en vertu d'une dénonciation faite en vertu de l'article 810.2, on demande à l'accusé de comparaître à nouveau devant le même juge qui a procédé à l'acquittement, cette fois-ci non plus sur une preuve faite hors de tout doute raisonnable, mais sur une prépondérance de preuve. Le juge, suivant d'autres critères, pourrait dire qu'il a acquitté l'accusé parce qu'il n'avait pas de preuve hors de tout doute raisonnable, mais qu'ayant entendu la preuve, il le soumet, sur prépondérance de preuve, à un régime d'exception en vertu de l'article 810.2 et le contraint à une liberté restreinte.

On dirait qu'on crée une espèce de purgatoire. Il n'y a ni d'enfer ni de ciel pour ces personnes, mais une espèce de no man's land ou de zone tampon où il y aurait des gens qui seraient plus ou moins coupables de quelque chose. Sans avoir une vision manichéenne de la société, je ne peux pas accepter l'article 810.2. J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet ou sur tout autre point que j'ai soulevé.

M. Fineberg: J'aimerais répondre immédiatement au dernier point, que je trouve très intéressant. Comme vous pouvez le soupçonner, je partage les inquiétudes du député. Je pense qu'il faut faire une distinction entre les gens qui sont déjà condamnés et ceux qui sont soupçonnés de crimes mais qui sont acquittés ou qui, pour une raison ou une autre, demeurent non condamnés. Il est exact que la Commission nationale des libérations conditionnelles n'est pas assujettie au même fardeau de la preuve qu'une cour criminelle. Le fardeau de la preuve devant la Commission nationale des libérations conditionnelles, selon toute la jurisprudence, repose sur une prépondérance de la preuve. Mais ce sont des gens qui sont condamnés et qui purgent des sentences pour des actions qu'ils ont commises qui comparaissent devant la commission.

Ce qu'ils demandent, c'est un privilège. Les gens qui passent devant la Commission et qui relèvent d'elle et du Service correctionnel dans le cadre d'un programme de libérations conditionnelles demandent le privilège d'un régime, d'un programme de libération graduelle pendant leur sentence, faute de quoi ils doivent purger leur sentence dans une prison, tel que l'a prévu le juge qui a imposé la sentence. Par contre, la personne que décrit le député est une personne qui n'est coupable de strictement rien. C'est un citoyen comme vous et moi qui tout à coup se trouve soumis au même fardeau de la preuve que la personne qui passe devant la Commission des libérations conditionnelles. Cette personne est presque obligée de convaincre la cour qu'il ne faut pas imposer une restriction importante sur sa liberté.

Dans ce sens, et c'est peut-être le sens de l'intervention de M. Borovoy ce matin, je pense qu'on arrive à un point tournant dans l'histoire de notre pays. Nous commençons à réfléchir sur des possibilités que nous n'avions jamais envisagées auparavant. Notre association trouve cette avenue très dangereuse.

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Je préciserai que nous estimons également très dangereuse la question du bracelet électronique. Je crois comprendre, bien que je ne sois pas certain que mon interprétation est juste, que le projet de loi prévoit que les gens seront soumis à un contrôle qui consistera en une surveillance par la police par le biais d'un bracelet. Ainsi, les policiers seraient toujours au courant non seulement des actes illégaux des gens concernés, mais aussi de leurs va-et-vient et de leurs activités tout à fait légales. C'est une situation qu'on n'a jamais vue jusqu'ici au Canada.

Imaginez-vous que vous êtes dans la même situation, que vous êtes soupçonné de quelque chose, que des gens craignent que vous puissiez faire quelque chose à l'avenir et qu'on décide que les policiers doivent toujours être au courant de vos va-et-vient, de tout ce que vous faites, de toutes vos activités légales. C'est une situation qu'on n'a pas encore vue au Canada. J'aimerais bien croire que ce comité ne va pas adopter cette approche pour une première fois.

[Traduction]

La présidente: Merci.

Madame Meredith, vous disposez de dix minutes.

Mme Meredith: Merci, madame la présidente.

J'apprécie les observations que vous avez faites tout à l'heure, au sujet non seulement du projet de loi d'initiative parlementaire que je parraine, soit le projet de loi C-254, mais également du projet de loi C-55 et de la contestation invoquant la Charte. Je vois mon rôle de législateur de la façon suivante: je ne vais pas laisser la crainte de contestation fondée sur la Charte m'empêcher de faire ce que nous devrions selon moi être en train de faire, pas plus que je ne pense que la menace de blessures personnelles graves devrait me garder enfermée à la maison. Mais dans notre société, les gens sont nombreux à rester enfermés chez eux parce qu'ils ont le sentiment que leur gouvernement, l'État, les a abandonnés, les a désertés.

Ils ont également une promesse constitutionnelle. La Constitution et la Charte leur garantissent la liberté et la sécurité de la personne. Ils ont le sentiment que le gouvernement, c'est-à-dire l'État, ne leur assure pas la sécurité de la personne en libérant des détenus même lorsqu'il sait que ceux-ci risquent fort de causer à autrui des sévices corporels graves ou même la mort.

On ne parle pas, ni dans le projet de loi C-55, qui est la réponse du gouvernement à la législation en matière de délinquants dangereux, ni dans le projet de loi C-254, de gens qui volent des tablettes de chocolat chez le dépanneur. On ne parle pas des personnes qui donnent des coups de poing à quelqu'un. On parle de personnes qui décident sciemment de causer des sévices corporels graves ou la mort à autrui.

Vous dites qu'il est anticonstitutionnel que ces gens se voient imposer des peines de durée indéterminée. Vous dites qu'il est anticonstitutionnel qu'il soit envisageable, en vertu du projet de loi C-55, de modifier une peine six mois plus tard, l'intéressé ayant le droit de savoir quel est son risque en matière de peine. Eh bien, il me semble que lorsqu'une personne décide de causer de graves sévices à autrui - tentative de meurtre voire meurtre - elle sait très bien quel est son risque. Je pense que le rôle des avocats qui représentent ce genre de personnes est de leur expliquer en toutes lettres quel sera leur risque en matière de peine dans les circonstances.

Si un accusé ne connaît pas l'envergure de son risque, alors je dirais que c'est sans doute la faute à son conseiller juridique, qui devrait lui faire savoir qu'en vertu du projet de loi C-55 ou du projet de loi C-254, il pourrait très bien être déclaré contrevenant dangereux, que des contraintes supplémentaires pourraient être imposées lors de sa libération et que son comportement après libération sera peut-être lui aussi assujetti à certaines limitations.

Je ne vois donc pas en quoi cela empiète sur leur droit de savoir quel pourrait être leur risque, ni sur le droit de faire une contestation fondée sur la Charte. Je vous dirais que les citoyens de ce pays craignent que les droits qui leur reviennent en vertu de la Charte soient ignorés et que l'on accorde davantage d'importance aux droits des contrevenants qu'aux leurs, en tant que citoyens canadiens. Je ne crains pas une contestation fondée sur la Charte. Je pense que la question est de savoir les droits de qui devraient l'emporter sur les droits de quelqu'un d'autre.

J'ai un problème lorsque vous parlez de ces personnes comme si elles avaient... vous savez, décidé qu'elles ont fait quelque chose de mal et qu'elles devraient être libérées sous condition plus tôt que plus tard. J'ai l'impression qu'on donne des possibilités à ces personnes, et c'est précisément ce pourquoi je pense que le projet de loi C-254, qui dit qu'une décision peut être rendue plus tard pendant leur peine, leur offre la possibilité d'avoir des services de counselling, de montrer qu'elles éprouvent un certain remords et qu'elles changent de comportement.

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Lors de la détermination de la peine, vous ne leur accordez pas cette possibilité. Vous supposez qu'elles ne vont pas suivre de counselling; vous supposez qu'elles ne vont pas changer leur comportement. Il me semble donc qu'il est beaucoup plus juste envers le délinquant de prendre cette décision pendant la dernière année de la peine que lors de la détermination initiale de la peine.

Je pense que si le projet de loi C-254, ou même le projet de loi C-55, était adopté, même si je pense que ce dernier ne va pas assez loin, le contrevenant se ferait dire que selon son remords, selon son traitement, selon son changement de comportement, il sera décidé de le libérer ou non. Si les autorités estiment qu'il constitue toujours une menace à l'endroit de la société, il restera en prison ou sous surveillance. Je ne vois pas en quoi cela dissuaderait une personne de chercher à suivre un traitement ou d'essayer de changer son comportement, et j'attends vos observations.

M. Fineberg: Tout d'abord, je pense qu'un comité comme celui- ci doit faire une distinction entre une contestation possible fondée sur la Charte et une contestation probable fondée sur la Charte.

Je conviens que le comité ne peut pas se limiter à un texte de loi qui est clairement et indéniablement anticonstitutionnel, mais d'un autre côté, certains projets de loi sont plus manifestement anticonstitutionnels que d'autres. Si le comité a des raisons de s'attendre à ce qu'un projet de loi ne soit pas acceptable sur le plan constitutionnel, alors je dirais qu'il incombe au comité de ne pas en proposer l'adoption.

Si, d'un autre côté, cette question est ouverte, l'on peut mieux comprendre pourquoi le Parlement utiliserait peut-être ses ressources et obligerait le gouvernement à utiliser les siennes pour adopter, distribuer et mettre en oeuvre de nouvelles lois et éduquer le public à leur sujet s'il s'agit de lois qui pourraient un jour être jugées anticonstitutionnelles et devoir être retirées, avec toutes les dépenses et toutes les complications subséquentes que l'on peut imaginer.

Mais dans les cas où, de l'avis du comité, il est tout à fait prévisible qu'un texte de loi sera jugé anticonstitutionnel, dans les cas où l'on peut examiner des décisions déjà rendues par la Cour suprême et en déduire qu'un projet de loi a peu de chances d'être considéré comme étant constitutionnel, je dirais que c'est une utilisation irresponsable des deniers publics que d'adopter un tel projet de loi dans l'espoir de renverser d'une façon ou d'une autre l'opinion de la cour.

Mme Meredith: Si l'administration précédente avait elle aussi vécu ce même dilemme, soit celui de déterminer si tel projet de loi était constitutionnel ou pas, ou s'il ferait l'objet de contestations, pensez-vous qu'elle aurait rédigé ou déposé un projet de loi, sachant qu'il pourrait être contesté en vertu de la Charte, si elle n'avait pas eu le sentiment de pouvoir le défendre?

M. Fineberg: Ce que je dis, c'est que si des députés estiment qu'un projet de loi peut être défendu, même s'ils se méfient d'une contestation en vertu de la Charte, je pense qu'ils sont autorisés à proposer le projet de loi en question. Si, d'un autre côté, les députés ont des raisons de penser que leur projet de loi sera non seulement contesté mais rejeté par les tribunaux, alors ils gaspillent des ressources publiques.

Mme Meredith: Ne diriez-vous pas que les projets de loi C-68 et C-72 sont des projets de loi qui ont été proposés alors qu'on savait très bien qu'il y aurait des contestations fondées sur la Charte, qu'il y avait des risques de perdre, que les gouvernements provinciaux n'allaient même pas y participer et allaient s'opposer au gouvernement? Est-ce une raison pour un gouvernement de ne pas s'occuper des problèmes de la société et d'essayer d'adopter des projets de loi en ce sens?

M. Fineberg: J'ai déjà dit - et nous sommes peut-être d'accord tous les deux - que les législateurs ne devraient pas se retirer parce qu'ils craignent qu'il y aura une contestation. Je pense qu'ils devraient refuser d'adopter un projet de loi dont ils pensent qu'il pourrait être anticonstitutionnel, auquel cas celui- ci serait non seulement contesté, mais rejeté.

Mme Meredith: Lorsque vous en arrivez à cette conclusion, soit qu'il y a de fortes chances que ce soit contesté en vertu de la Charte parce que cela empiète sur les droits d'une personne, cela ne vous préoccupe-t-il pas que sans le projet de loi, les droits de la société, les droits des individus qui composent la société, sont bafoués, que notre droit à la sécurité de la personne est bafoué lorsque l'État libère une personne dont il sait qu'elle va probablement blesser ou tuer une personne qui a droit à sa propre sécurité en vertu de la Constitution?

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M. Fineberg: Vous posez une question très fondamentale quant au rôle du Parlement et à celui des tribunaux, puis au rôle du citoyen et à ce que celui-ci doit appuyer. Bien que très préoccupé par la question, je ne pense pas que je voudrais proposer une solution dont je serais convaincu qu'elle viole la Charte des droits, qui est censée protéger tout le monde. Je pense que la Charte des droits doit être protégée et respectée.

Mme Meredith: En quoi cela viole-t-il les droits du délinquant... le fait qu'il ne connaisse pas son risque en matière de peine; que, s'il a tué ou violemment agressé autrui, il sera emprisonné pour une période assez longue... si cela va à l'encontre du droit du délinquant, qui a sauvagement attaqué autrui, de bénéficier d'une libération conditionnelle après avoir purgé un sixième de sa peine par opposition à sept ans? Cela viole le droit du contrevenant à quoi? À un procès équitable? Lorsque tout cela est assujetti à un processus judiciaire, il a le droit de demander à un avocat de défendre sa position. En quoi les droits d'un délinquant...

M. Fineberg: Je pense que le juge LaForest a bien exposé le cas devant la Cour suprême. Je pense que nous devrions tous nous- mêmes être liés par la position adoptée par la Cour suprême à cet égard.

Le juge LaForest était d'avis qu'une peine d'une durée indéterminée, soit une peine d'incarcération permanente, sans fin, serait anticonstitutionnelle si elle était imposée après que l'intéressé eut purgé une peine d'une durée déterminée, après qu'il eut purgé une autre peine pour le même délit, et sans qu'il y ait de nouveau comportement antisocial. D'autre part, la Cour craignait que si les délinquants n'étaient pas régulièrement examinés par des commissions de libération conditionnelle, et si leurs dossiers n'étaient pas examinés à intervalles réguliers pour voir s'ils seraient ou non prêts à assumer leurs responsabilités, alors le maintien d'une détention préventive serait lui aussi anticonstitutionnel.

Mme Meredith: Pourquoi serait-ce anticonstitutionnel qu'une personne purge la peine qu'on lui a donnée au départ? En quoi l'examen d'un dossier en vue d'une libération sous condition est-il anticonstitutionnel? Si une personne a été condamnée, en quoi le fait qu'elle purge sa peine serait-il anticonstitutionnel?

M. Fineberg: Je ne suis pas certain d'avoir bien saisi la question. Si j'ai bien compris, la peine est assortie d'une période d'inadmissibilité à la libération sous condition, qui doit être respectée. Une fois cette période expirée, la Cour suprême estime qu'il importe d'examiner régulièrement l'état de préparation à la réinsertion de l'intéressé.

La présidente: Nous aurons peut-être le temps de revenir là- dessus. Nous avons très largement dépassé la période allouée.

Madame Torsney, aviez-vous une question?

Mme Torsney: Oui.

Une question que vous avez soulevée est celle des sept ans par opposition aux trois ans, pour les personnes qui sont déclarées être des délinquants dangereux et qui se sont vu imposer des peines de durée indéterminée. Je pense qu'il y avait deux volets à votre préoccupation. Le premier, est qu'une période de sept ans est une longue période d'attente pour un réexamen. Si je me souviens bien la deuxième chose que vous avez dite est que dans l'intervalle, ces personnes ne pourraient pas bénéficier de programmes présentenciels et autres choses du genre dans nos établissements correctionnels. Est-ce bien cela?

M. Fineberg: Non, je m'excuse, mais je n'ai pas été très clair là-dessus. Ce que j'ai voulu dire, c'est qu'au Canada, chaque peine qui est déterminée est assortie d'une date d'admissibilité à la libération conditionnelle. En vertu des lois canadiennes, cela n'existe pas une peine qui ne soit pas assortie d'une possibilité de libération si le contrevenant concerné se montre digne, méritant, prêt à respecter ses responsabilités à l'extérieur de l'établissement carcéral.

En vertu de nos lois, la période pendant laquelle le contrevenant ne peut pas être admissible à la libération est déterminée en fonction de la nature du crime commis et de la durée de la peine correspondant à ce crime. Il y a une période au cours de laquelle un contrevenant, aussi méritant soit-il, ne peut même pas espérer une libération, même s'il est clair qu'il a appris sa leçon par suite de son arrestation, de sa condamnation et de son incarcération. Le contrevenant ne peut tout simplement pas voir son dossier examiné en vue d'une libération conditionnelle car son crime, l'activité antisociale qu'il a commise, doit être dénoncé par le public et parce que le contrevenant mérite une certaine punition. C'est ainsi que fonctionne notre droit.

Ce que je dis c'est qu'à l'heure actuelle, une personne qui est déclarée délinquant dangereux a commis un type de crime particulier, et il y a des raisons de croire que cette personne pourrait très bien commettre d'autres crimes à l'avenir. Néanmoins, à ce jour, le contrevenant n'a commis qu'un seul crime...

Mme Torsney: Non.

M. Fineberg: ...et demeure inadmissible à la libération conditionnelle pendant trois années à partir de la date à laquelle il a été appréhendé par suite de son crime.

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Mais il est proposé que la période de trois ans soit portée à sept, et ce que je dis c'est qu'il n'y a aucun fondement rationnel, clinique, criminologique à la prolongation de la période d'inadmissibilité, pour la faire passer de trois à sept ans, parce que cela laisse entendre que le crime commis par le délinquant est si grave, quel que soit le cas, qu'une peine de peut-être 21 ans aurait été imposée, et le tiers de 21 ans serait sept ans. Nous savons que ce n'est pas dans tous les cas que le crime commis est si grave que le contrevenant se voit imposer une peine d'incarcération très longue.

Une fois que le délinquant a purgé la période qu'exige le public en guise de dénonciation du crime commis et de châtiment, la seule raison de prolonger indéfiniment l'incarcération de l'intéressé est la protection du public. Mais si le délinquant ne peut même pas être évalué par une commission des libérations conditionnelles, alors la protection du public n'est pas vraiment le motif de la poursuite de sa détention. En l'absence d'évaluations, il n'y a aucune raison de continuer de détenir le délinquant entre la troisième et la septième années.

Si un contrevenant continue d'être inadmissible au bout de trois ans, comme c'est le cas à l'heure actuelle avec les délinquants dangereux, et si la personne n'est pas méritante, alors elle ne sera pas libérée par suite d'une décision de la Commission des libérations conditionnelles. Mais au moins le représentant du public, soit la Commission des libérations, examinera la possibilité et fera des vérifications du dossier après la période de dénonciation publique de trois ans.

Ce qui n'était peut-être pas clair dans ce que j'ai dit tout à l'heure est que la proposition énoncée dans le projet de loi serait telle que le contrevenant ne serait pas admissible aux programmes de libération - non pas aux programmes de traitement en établissement - entre la troisième et la septième années. Il s'agit là d'un changement qui n'a pas été proposé sur la base d'un principe, mais il s'agit néanmoins d'un changement très important. Il est peut-être question ici de personnes très désagréables, mais on parle de leur enlever toute possibilité de libération pendant quatre années supplémentaires, sans motif. Il est très grave qu'un comité parlementaire propose une telle chose.

Mme Torsney: Cela me préoccupe que vous donniez l'impression que des personnes soient déclarées délinquants dangereux après avoir eu un dossier tout à fait vierge pour tout d'un coup commettre un seul crime très violent. Cela ne correspond pas vraiment à la réalité, n'est-ce pas? N'est-il pas vrai qu'en règle générale ces contrevenants ont déjà fait l'objet d'au moins une autre condamnation, sinon plus? J'imagine que dans l'affaire Bernardo, on savait qu'il y avait eu beaucoup d'aveux pour de nombreuses choses qui étaient arrivées dans le passé, mais de façon générale, il ne s'agissait pas de crimes. Cela faisait plusieurs fois que cela arrivait.

M. Fineberg: Mais les fois précédentes, ces personnes avaient payé un certain prix, et c'est ce prix-là qui est exigé par notre système judiciaire.

Mme Torsney: C'est exact.

M. Fineberg: Suite à cela, ces gens-là ont été très persistants. Ils ont commis plus d'un crime et il s'avère qu'il y a eu un crime de trop. Ils finissent par se faire prendre avec leur peine intermédiaire de délinquants dangereux. Ils ont commis un crime de trop. Je dis que pour le crime le plus récent il y a une période d'inadmissibilité à la libération qui cadre, dans le cadre de notre système judiciaire, avec la façon dont la libération sous condition et la détermination des peines fonctionnent dans tous les autres contextes. Il y a une période à laquelle on s'attend pour le crime le plus récent, mais cette période ne peut pas être portée à sept ans, dans le contexte de ce qui a été fait auparavant, car le contrevenant a déjà payé le prix de ses crimes antérieurs. Il a payé tout ce à quoi s'attend le système judiciaire.

Proposer qu'une personne qui a été déclarée délinquant dangereux, et qui, par définition, s'est adonnée par le passé à des comportements antisociaux, devrait aujourd'hui payer une deuxième fois pour son comportement antérieur avec une nouvelle période d'inadmissibilité à la libération, celle-ci étant portée de trois à sept ans, revient à changer fondamentalement la façon dont fonctionne notre système de justice pénale et à jeter par-dessus bord les principes les plus fondamentaux.

Les tribunaux ne cessent de dire, lorsqu'on leur demande de déterminer si une peine est ou non constitutionnelle, que la peine doit être proportionnelle au crime commis. Or, vous parlez de personnes qui ont déjà purgé des peines proportionnelles aux crimes antérieurs et qui ont déjà eu à rendre des comptes. Ces personnes ont été persistantes. Elles ont commis d'autres crimes et on leur demande de subir une période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle pour le nouveau crime et, en plus, de subir une période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle pour des crimes non encore commis.

La période allant de trois à sept ans ne peut pas être défendue, et on parle ici d'une chose extrêmement importante. On parle de la façon d'enlever à quelqu'un sa liberté.

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Il ne s'agit pas ici de défendre l'acte criminel. Il s'agit tout simplement d'affirmer que la peine doit être proportionnelle au crime. Dans tous les autres domaines couverts par le droit canadien, tel que nous le connaissons, la période avant d'être admissible à la libération conditionnelle serait fonction du comportement, et il n'y aurait pas de nouvelle période d'inadmissibilité pendant laquelle, peu importe leur bon comportement ou autre, on continuera de dire qu'ils pourraient un jour commettre un autre crime.

Ce n'est pas là-dessus que l'on doit se fonder pour déterminer qui est un bon candidat à la libération conditionnelle, et cela ne s'applique bien sûr pas à un mauvais candidat. Les mauvais candidats n'ont aucun espoir, avec ou sans admissibilité. Il n'y a rien qui milite en leur faveur. Nous parlons ici de la personne qui est un bon candidat, de la personne qu'on voudrait voir réintégrer la société, et non pas de la personne qu'on ne voudrait pas du tout voir libérer. Je ne parle pas de ces cas où on ne voudrait pas que le délinquant réintègre la société. Votre projet de loi, s'il était adopté, n'autoriserait pas la Commission des libérations à le faire, et pour quelle raison?

Je ne pense pas que vous puissiez me répondre que la raison est que des victimes ont été gravement atteintes et que celles-ci doivent être protégées contre le délinquant, car je ne parle pas de ces cas-là. Je parle des personnes qui seraient de bons candidats si ce n'était ce projet de loi, qui ferait en sorte qu'elles seraient inadmissibles pendant la période allant de trois à sept ans. Ce sont pour ceux-là que je plaide aujourd'hui, les délinquants qui seraient de bons candidats, qui reconnaissent leurs responsabilités, qui choisissent d'évoluer et de prouver qu'ils ont changé et qui s'efforcent de se préparer à une libération graduelle et contrôlée.

Mme Torsney: Monsieur Fineberg, croyez-vous, oui ou non, dans la disposition relative aux délinquants dangereux?

M. Fineberg: Non, je pense que, tout compte fait, il me faudrait dire que...

M. Rideout (Moncton): Cela a pris du temps.

M. Fineberg: Eh bien, je tenais à tenir compte des arguments fort convaincants qui venaient d'en face.

Mme Torsney: Ce qui est tout à fait juste.

La présidente: J'aurais aimé me trouver à l'intérieur de la calculatrice. Il y a eu tout un épluchage de l'ensemble des arguments d'en face.

M. Fineberg: Tout compte fait, il devient à mon sens impossible d'endosser une peine de détention préventive pour des actes qui ne seront peut-être jamais commis. Nous connaissons des cas où les délinquants commettent d'autres crimes. Mais je connais d'autres cas où les contrevenants ne le font pas. Je connais des gens qui purgent des peines de durée indéterminée, et j'estime que certaines d'entre eux ne posent pas de risque pour la société, or la peine se poursuit sans fin.

Non, tout compte fait, je dirais qu'il s'agirait là d'un régime dangereux.

La présidente: J'espère que vous comprenez que nous ne nous moquons pas de vous.

Madame Meredith, vous avez cinq minutes.

Mme Meredith: J'aimerais tout simplement vous poser quelques questions.

Combien de demandes de déclaration de délinquant dangereux y a-t-il eues au Québec à ce jour?

M. Fineberg: Mon conseiller, assis au fond de la salle, me dit qu'il y en a eu deux ou trois. Je pense qu'il y en a eu deux.

Mme Meredith: Il y en a manifestement eu une depuis que je siégeais au comité. Or, je ne pense pas que cela représente une petite population d'incarcérés en ce qui concerne la province de Québec.

Donc, la procédure de déclaration de délinquant dangereux actuelle est très rarement utilisée. Et un délinquant dangereux dispose d'un mécanisme judiciaire distinct où il peut se défendre en disant que ses activités ne méritent pas le statut de délinquant dangereux, en disant qu'il n'a pas fait exprès de commettre son crime, que c'était une affaire ponctuelle et qu'il est peu susceptible de recommencer.

Cette désignation exige donc toute une procédure, et celle-ci est peu souvent utilisée. Les chiffres sont très faibles comparés au nombre des délinquants jugés par les tribunaux. On peut donc en conclure que ce sont les criminels les plus endurcis qui font l'objet de cette désignation.

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Pourquoi, dans ces conditions, jugez-vous qu'il n'y a pas lieu d'appliquer cette disposition aux auteurs des crimes les plus graves? Pourquoi estimez-vous qu'il n'y a pas lieu pour la société de dire que, tout bien considéré, nous réservons un traitement spécial à certaines rares personnes, car nous avons peur et nous craignons sérieusement qu'elles aient un comportement intolérable par la société si elles sont libérés après six mois, deux mois, trois ans ou quatre ans? Pourquoi cela vous offusque-t-il que la décision puisse être prise, à l'égard d'une très petite proportion de la population carcérale, de ne pas laisser sortir ces individus ou de ne pas leur accorder de libération conditionnelle pendant sept ans?

M. Fineberg: L'argument voulant que leur nombre soit si faible qu'il ne justifie pas notre préoccupation revient à dire que si les Forces armées canadiennes torturent une personne dans un pays étranger, il n'y a pas à s'inquiéter...

Mme Meredith: Non...

M. Fineberg: ...car, après tout, il ne s'agit que d'une seule personne. Peu m'importe que le nombre des délinquants déclarés dangereux soit faible. Je ne trouve pas cela un argument convaincant. Le fait est que les délinquants dangereux, aussi peu nombreux soient-ils, doivent être traités avec le même respect, le même souci et la même considération que n'importe qui d'autre. Leurs droits doivent être respectés au même titre que les droits de quiconque. Je ne pense pas qu'il faille légiférer en se disant qu'une loi est certes oppressive, mais qu'elle n'opprimera qu'un très petit nombre.

Pour ce qui est des garanties de procédure, permettez-moi de vous répondre, je vous prie.

Je tends à convenir avec vous qu'ils ont la possibilité de plaider leur cause et de se défendre contre les arguments du procureur. Cependant, nous sommes devenus tellement obnubilés par les droits procéduraux que nous perdons parfois de vue les droits formels. Toutes les défectuosités juridiques d'une loi ne sont pas forcément de nature procédurale. Parfois la procédure n'est ni défectueuse ni viciée, mais d'autres difficultés juridiques sont soulevées. La loi sur les délinquants dangereux présente des problèmes de fond. Son objet même est d'imposer, comme le décrit votre projet de loi, une deuxième peine et c'est quelque chose que la Cour suprême juge inacceptable - et ce non pas pour des raisons de procédure.

Mme Meredith: Mais aux termes du projet de loi C-254, si une personne condamnée pour un crime exprime du remords, montre qu'il n'y a aucune raison pour la société de craindre une récidive, a suivi des cours ou un traitement en prison, et prouve qu'elle mérite une autre chance, ne pensez-vous pas que cette personne a davantage l'occasion de faire tout cela lorsque la décision sur la question de savoir si on peut la lâcher dans les rues en toute sécurité est prise après avoir eu l'occasion de s'amender, de faire preuve de remords et de prouver à la société qu'elle est peu susceptible de recommencer?

M. Fineberg: Peut-être serait-il utile pour ce comité d'inviter ici des délinquants qui purgent leur peine, qui cherchent à organiser leur vie - tout comme nous le faisons - , qui cherchent à savoir ce que l'avenir leur réserve, qui cherchent à déterminer quels programmes suivre et quand ils pourront revoir la rue, qui cherchent à donner des réponses à leur famille et veulent que les membres de leur famille sachent quand ils seront de nouveau disponibles, qui essaient de déterminer quand ils pourront de nouveau louer un appartement et quelle formation professionnelle et quel traitement thérapeutique suivre.

Je pense que les délinquants vous diraient, comme mes clients me disent, qu'il est énormément difficile de purger la peine qui leur est infligée lorsqu'ils n'ont pas la moindre idée de ce qui viendra ensuite.

C'est un argument en faveur des peines fixes utilisées dans certaines juridictions aux États-Unis. La libération conditionnelle complique la vie des détenus parce qu'ils ne savent pas quand ils vont revoir la rue.

Mme Meredith: Peut-être vous ou l'un de vos...

La vice-présidente (Mme Torsney): Désolée, Val, cela fait déjà six minutes. Je vous remercie.

Monsieur DeVillers.

M. DeVillers: Je vous remercie.

Monsieur Fineberg, lorsque le ministre de la Justice a comparu devant nous, il a un peu parlé de l'éventualité d'une contestation constitutionnelle, en particulier de la modification à l'article 810, et nous a demandé d'envisager trois amendements. Il s'est dit d'avis que, dans sa forme actuelle, le projet de loi pourrait résister à une contestation en vertu de la Charte mais que, néanmoins, nous pourrions réfléchir à trois amendements possibles.

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L'un consisterait à limiter l'application de l'article 810 à des personnes antérieurement condamnées. Le deuxième serait de le limiter à des personnes ayant des antécédents de violence, où une condamnation serait une considération pertinente mais non nécessairement déterminante. Le troisième consisterait à appliquer des modalités similaires à celles de l'article 518, qui établit une série de catégories de facteurs.

Est-ce que l'un ou l'autre de ces amendements améliorerait le projet de loi ou modifierait votre opinion sur cet article en particulier, l'article 810?

M. Fineberg: Je ne suis malheureusement pas préparé pour vous donner une opinion compétente à ce sujet. Il semble, à première vue, que les possibilités présentées par le ministre de la Justice amélioreraient le projet de loi. Ces amendements apporteraient des garanties supplémentaires. Ils limiteraient la possibilité qu'une ordonnance en vertu de l'article 810 soit rendue de manière inappropriée.

Je n'ai pas étudié ces propositions. Je ne peux réellement vous aider.

M. DeVillers: D'accord, je vous remercie.

La vice-présidente (Mme Torsney): Quelqu'un d'autre, de ce côté-ci, a-t-il une question? Sinon, je vais utiliser les deux dernières minutes.

N'est-il pas possible que l'on passe à sept ans au lieu de trois ans car, si vous faites l'analyse, très peu de détenus, si même il y en a, sont jamais sortis au bout de trois ans et que le problème en est réellement un de ressources? Ainsi, de la même façon que vous ne voulez pas nous voir promulguer une loi qu'il faudra démolir à grand déploiement de ressources - et nous savons qu'elle sera attaquée - pourquoi aurions-nous un système disant trois ans alors que nul n'est jamais sorti au bout de trois ans? En réalité, nul n'est jamais sorti au bout de sept ans. Pourquoi ne pas instaurer un système qui correspond mieux à la réalité et éviter le coût d'une procédure au bout de trois ans, puis toutes les années successives, alors qu'il vaudrait mieux établir des conditions de libération conditionnelle appropriées pour les personnes qui sont admissibles et qui ont une réelle perspective de sortir?

M. Fineberg: Je pense que les révisions auront lieu tous les deux ans, et non plus chaque année, ce qui réduira le gaspillage des ressources.

Deuxièmement, durant la première partie de cette période de quatre ans, je soupçonne que beaucoup de délinquants dangereux s'abstiennent de comparaître devant la commission parce qu'ils n'ont pas encore la recommandation des Services correctionnels et qu'ils savent bien qu'il n'y a aucun espoir de décision positive. Je ne sais donc pas trop combien d'audiences inutiles ont lieu pendant cette période.

L'argument le plus important est que vous n'avez toujours pas de fondement pour empiéter sur la liberté d'individus. Je pense que vous ne pouvez pas le faire. Vous n'avez pas de fondement pour le faire.

Vous voulez économiser des ressources en éliminant la possibilité de libérer quelqu'un qui le mérite. Je vous demande de réfléchir à la situation de cet individu esseulé, le délinquant dangereux qui, en un court laps de temps, devient un individu qui pourrait être un bon voisin. Cette personne ne peut être relâchée parce que l'on veut économiser des ressources et que l'on préfère dépenser pour son incarcération.

La vice-présidente (Mme Torsney): Pouvez-vous réellement citer un cas où une personne a pu convaincre les autorités qu'après une série de condamnations et une peine de trois ans pour sa dernière agression violente elle s'est totalement amendée - en l'espace de trois ans - et est devenue un bon voisin?

M. Fineberg: Non, je n'ai pas d'exemple à l'esprit, mais je pense que la loi doit envisager la possibilité. Il importe que la loi prévoie cette possibilité, et pas seulement les cas que vous et moi avons pu rencontrer. Je dirais que je connais très bien une personne qui purge une peine de durée indéterminée et que je considère comme un bon voisin, que je serais très heureux d'avoir pour voisin, et qui n'a pas encore réussi à convaincre les autorités compétentes.

La vice-présidente (Mme Torsney): Il y a donc réellement deux facteurs: premièrement, la personne doit devenir le voisin parfait; deuxièmement, elle doit convaincre. Si elle ne peut convaincre, ce n'est tout simplement pas une possibilité.

M. Fineberg: Mais, à l'heure actuelle, la loi prévoit la possibilité. Pour la supprimer, il faudra un acte positif de votre part. Je pense qu'il vous serait plus facile de justifier une période d'inadmissibilité de sept ans si elle existait déjà et que l'on faisait pression sur vous pour que vous la réduisiez de sept ans à trois ans. Mais, dans la loi actuelle, la période d'inadmissibilité est de trois ans. Pour la changer, vous, législateurs, devrez prendre la décision de modifier cette loi. Je vous soumets l'argument que vous devez avoir une raison fondée sur un principe pour opérer ce changement.

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La vice-présidente (Mme Torsney): Merci beaucoup, monsieur Fineberg d'avoir comparu. Je crois savoir que vous allez peut-être nous soumettre quelque chose, mais vous savez que le texte est là et si vous voulez apporter des précisions, vous en avez tout à fait le loisir; ou bien vous pourriez distribuer vos notes, selon votre préférence.

M. Fineberg: Le comité souhaite-t-il que j'envoie cela par télécopieur demain matin?

La vice-présidente (Mme Torsney): Si vous le voulez, c'est votre prérogative de témoin.

Merci beaucoup d'être venu.

La séance est levée jusqu'à nouvel ordre.

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