L’autorité du Président n’est pas plus considérable que ne le veulent les députés. Lorsque les règles
sont claires et régissent parfaitement les décisions du Président, son autorité est absolue et incontestée, car elle
représente la volonté de la Chambre. Par ailleurs, lorsque rien ne le guide, le Président s’impose la plus grande prudence. Tout
au plus, il est autorisé à renvoyer le problème à la Chambre pour que la Chambre elle-même crée le nouveau
précédent.
Président Jeanne Sauvé
(Debats, 18 mars 1982, p. 15556)
L
a procédure parlementaire a été décrite comme étant une « méthode qui permet de décider quand
et comment le pouvoir doit être exercé [1] ».
En vertu d’une telle définition, la procédure apparaît d’emblée comme le « moyen » servant
à circonscrire l’usage du pouvoir, en même temps qu’un « processus » qui légitimise l’exercice
du pouvoir et sa contestation. On a aussi dit qu’elle était « une combinaison de deux éléments, le traditionnel et le
démocratique [2] ».
Autrement dit, la procédure parlementaire fondée sur le modèle britannique non seulement dérive d’une compréhension
et d’une acceptation de la façon dont les choses se sont déroulées par le passé, mais s’inscrit dans une culture
particulière qui évolue selon des principes démocratiques. Ces principes, qui forment le « droit parlementaire [3] »,
ont été résumés de la manière suivante par John George Bourinot, un expert en procédure parlementaire et Greffier
de la Chambre des communes du Canada de 1890 à 1902 :
Les grands principes qui sont à la base du droit parlementaire anglais n’ont jamais été perdus de vue par les assemblées
législatives canadiennes. Ce sont : protéger la minorité et restreindre l’imprévoyance et la tyrannie de la majorité,
régler les affaires d’intérêt public de manière convenable et ordonnée, donner à chaque parlementaire la
possibilité d’exprimer son avis dans les limites du décorum et éviter les pertes de temps inutiles, accorder la latitude voulue
pour l’examen de chaque mesure et faire en sorte qu’aucune décision législative ne soit prise à la légère ou
sur une impulsion soudaine [4] .
Des analystes de l’histoire parlementaire canadienne ont fait observer que l’idéal de « protéger la minorité »
a nécessité une adaptation aux impératifs d’efficacité d’un corps législatif dans le monde moderne [5] .
Depuis l’adoption de règles touchant la clôture et l’attribution de temps, en 1913 et 1969 respectivement, ainsi que d’autres
règles décrétées par la Chambre, la majorité au pouvoir est mieux en mesure de faire avancer son programme législatif
malgré les objections de la minorité. Il demeureque la procédure parlementaire vise à établir un équilibre entre
la volonté du gouvernement de faire approuver ses mesures par la Chambre, et la responsabilité de l’opposition d’en débattre
sans paralyser complètement le déroulement des travaux. Bref, le débat à la Chambre est nécessaire, mais il doit conduire
à une décision dans un délai raisonnable.
Les délibérations de la Chambre des communes sont régies par un vaste ensemble de règles et d’usages parlementaires —
les usages (ou pratiques) représentent la partie de la procédure qui s’est imposée spontanément et qui est devenue la
manière normale d’agir, bien qu’elle ne soit pas inscrite dans les règles officielles (le Règlement) [6] .
Comme on l’indique au chapitre 1, bon nombre de ces règles et usages prirent naissance au Royaume-Uni, tandis que d’autres trouvèrent
leur origine dans les assemblées législatives antérieures à la Confédération [7]
et furent adoptés par la suite au Canada. D’après Erskine May, certains de ces usages virent sans doute le jour au Parlement lui-même,
mais d’autres peuvent être rattachés à des pratiques analogues dans les cours de justice médiévales et les conseils de
l’Église [8] .
Certaines règles sont demeurées pratiquement les mêmes pendant les quatre cents dernières années [9] ,
tandis que d’autres ont évolué pour devenir, avec le temps, l’usage normal. Enfin, l’origine de certaines pratiques parmi les
plus anciennes se perd dans la nuit des temps [10] .
Comme on le verra dans le présent chapitre, les procédures et usages des Communes canadiennes se fondent sur la Constitution et les lois, le
Règlement et la pratique de la Chambre ainsi que sur les décisions des Présidents.
La Constitution et les lois
Les institutions parlementaires canadiennes prirent forme il y a bien au-delà de deux cents ans. Des lois anglaises adoptées spécialement
pour les colonies du futur Canada en vinrent à prescrire plusieurs procédures de base avec de plus en plus de précision [11] .
Bon nombre de ces dispositions furent plus tard incorporées à la Loi constitutionnelle de 1867, où l’on stipule que le Canada
aura une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni, ce qui était le cas dans chacune des provinces fondatrices avant la
Confédération.
Les articles de la Loi constitutionnelle de 1867 qui remontent à d’anciens documents constitutionnels stipulent qu’à sa
première réunion, la Chambre doit élire un Président [12] ,
qu’elle doit procéder à l’élection d’un autre Président en cas de vacance dans cette charge par suite du
décès ou de la démission du titulaire ou pour une autre raison [13] ,
que le Président présidera à toutes les séances de la Chambre [14] ,
que le quorum sera de 20 députés [15]
et que toute demande en vue de prélever ou de dépenser des fonds doit émaner de la Chambre des communes en plus d’être
recommandée à celle ci par le gouverneur général [16] .
Ces dispositions se trouvent également dans l’Acte d’union, 1840 [17] .
D’autres articles de la Loi constitutionnelle de 1867 ont une origine encore plus lointaine. Les dispositions stipulant que toutes les questions
soulevées à la Chambre doivent être décidées à la majorité simple, le Président ayant un vote prépondérant
en cas d’égalité des voix [18] ,
et que tous les députés doivent, avant de pouvoir occuper leur siège à la Chambre, prêter le serment d’allégeance [19] ,
remontent à la Loi constitutionnelle de 1791 [20] .
Dans certains cas, l’inclusion d’une disposition constitutionnelle fut précédée d’un usage déjà établi.
Par exemple, à partir de 1758, et malgré l’absence d’une disposition constitutionnelle à cet effet, la Chambre d’assemblée
de la Nouvelle-Écosse élut un Président au début d’une nouvelle législature avant de passer à d’autres travaux [21] .
Les assemblées législatives du Haut et du Bas-Canada adoptèrent le même usage pour l’élection d’un Président [22] ;
en outre, leurs règlements comportaient des dispositions sur le quorum avant que l’Acte d’union, 1840, ne vienne fixer légalement le
quorum à 20 députés [23] .
Dans d’autres cas, des difficultés éprouvées lors de travaux antérieurs entraînèrent l’adoption de dispositions
constitutionnelles précises. Par exemple, l’article 47 de la Loi constitutionnelle de 1867, prévoyant l’élection par la Chambre
d’un autre de ses députés pour exercer les fonctions de Président en l’absence de ce dernier, visait à empêcher la
répétition d’une situation s’étant produite à au moins une occasion entre 1840 et 1866, lorsque l’Assemblée de la
Province du Canada avait dû s’ajourner parce que son Président était malade [24] .
Toutefois, la partie de la Loi constitutionnelle de 1867 qui a peut-être le plus d’importance sur le plan de la procédure est celle qui donne
un fondement législatif aux privilèges de la Chambre. La Loi constitutionnelle prévoit en effet que « les privilèges,
immunités et pouvoirs que posséderont et exerceront » la Chambre et ses députés seront « prescrits […] par loi du
Parlement du Canada », sous réserve que ces privilèges, immunités ou pouvoirs ne puissent excéder ceux de la Chambre des communes
britannique et de ses députés [25] .
Ainsi, la Chambre des communes canadienne a acquis, parmi ses privilèges fondamentaux, le droit exclusif de réglementer ses affaires internes et de contrôler
son emploi du temps et ses délibérations.
La Constitution investit donc le Parlement du Canada de la compétence voulue non seulement pour réglementer ses délibérations internes et
établir ses règles de procédure, mais également pour adopter un grand nombre de dispositions législatives importantes du point de vue
de la procédure, dont beaucoup se trouvent dans la Loi sur le Parlement du Canada [26] ,
entre autres : le pouvoir de la Chambre et de ses comités de faire prêter serment à des témoins qui comparaissent soit à la barre de la
Chambre soit devant un comité [27] ;
les procédures à suivre lorsque des députés démissionnent ou lorsque des sièges deviennent vacants pour d’autres raisons [28] ;
les règles sur les conflits d’intérêts applicables aux députés [29] ;
la suppléance du Président lorsque celui-ci doit s’absenter [30] ;
la nomination et la rémunération des secrétaires parlementaires [31] ;
la rémunération des parlementaires [32] ;
l’existence et la gestion de la Bibliothèque du Parlement [33] ;
et la constitution du Bureau de régie interne chargé de régler toutes les questions financières et administratives concernant la Chambre [34] .
Outre la Loi sur le Parlement du Canada, il existe des dizaines d’autres lois qui obligent la Chambre à prendre certaines mesures ou qui régissent
certains aspects de ses délibérations [35] .
Le Règlement
Le Règlement est constitué des règles écrites qui régissent les travaux de la Chambre [36].
Étant permanentes, elles ne cessent pas d’être valides à la fin d’une session ou d’une législature;
elles demeurent en vigueur jusqu’à ce que la Chambre elle-même décide de les suspendre, de les modifier ou de les abroger.
À l’heure actuelle, il y a plus de 150 articles du Règlement, chacun constituant un ordre permanent de la Chambre pour la
conduite de ses travaux. Le Règlement traite de différents sujets, entre autres les détails du processus législatif,
le rôle du Président, la nature du calendrier parlementaire ainsi que les règles qui régissent l’activité
des comités et les affaires émanant des députés. Lorsqu’elle adopte officiellement ces règles permanentes,
la Chambre déclare qu’elles font partie du Règlement; la Chambre publie périodiquement ce dernier pour l’usage de
tous les députés.
Lorsque la Chambre des communes se réunit pour la première fois en 1867, les règles qu’elle adopta correspondaient dans
une large mesure à celles de l’Assemblée législative de la Province du Canada, elle-même créée en 1840 [37] .
S’il est vrai que l’Assemblée législative de la Province du Canada obtint son règlement des assemblées du
Haut et du Bas-Canada, créées en 1791, la grande majorité des articles émanaient de la Chambre d’assemblée
du Bas-Canada [38] .
Parmi les nombreux articles adoptés par l’Assemblée du Bas-Canada dans les premières années de son existence,
notamment en 1793 [39] ,
plus de 35 n’ont subi pratiquement aucune modification et sont encore en vigueur aujourd’hui à la Chambre des communes. Une
quarantaine d’autres sont également antérieurs à la Confédération [40] .
Depuis 1867, on a apporté d’innombrables modifications au Règlement [41] .
De nouveaux articles ont été adoptés alors que d’autres ont été modifiés en profondeur ou
supprimés, ce qui a changé, à l’occasion, la numérotation de façon substantielle. En outre, au fil du
temps, on a adapté les interprétations données aux anciennes règles pour tenir compte du contexte moderne [42] .
À l’occasion, l’adoption d’un nouvel article ne fait que codifier un usage de longue date de la Chambre [43]
ou rendre permanent un ordre provisoire, sessionnel ou spécial. À d’autres moments, on a modifié ou ajouté un
article par suite d’un incident ou d’un événement ayant convaincu la Chambre de la nécessité d’éviter
sa répétition [44] .
Compte tenu de l’importance que la Chambre attache à l’examen du Règlement, un débat doit avoir lieu au début
de chaque législature sur la motion suivante : « Que cette Chambre prenne en considération le Règlement et la
procédure de la Chambre et de ses comités [45] ».
En outre, le mandat du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre [46]
comprend « la revue du Règlement ainsi que de la procédure et des pratiques de la Chambre et de ses comités et la
présentation de rapports à ce sujet [47] ».
Le Comité peut présenter des recommandations de modification au Règlement en vertu de son mandat permanent ou d’un ordre
de renvoi précis [48] .
Bien que la Chambre dispose d’un grand nombre de moyens pour revoir le Règlement, il est possible d’ajouter, de modifier ou de
retrancher des articles seulement suite à une décision de sa part, prise par consensus ou par simple vote majoritaire, sur une motion
proposée par n’importe quel député [49] .
À maintes occasions, on a établi un comité spécial chargé de proposer des modifications et de soumettre ses
recommandations à la Chambre. Ces recommandations, présentées à la Chambre sous forme de rapport, ont souvent été
débattues dans le cadre d’une motion d’adoption du rapport. Si la Chambre approuvait le rapport, le Règlement était
immédiatement modifié. Parfois, on a utilisé le contenu du rapport comme point de départ de nouvelles discussions sur
certaines modifications [50] .
Dans d’autres cas, on a modifié le Règlement en adoptant à l’unanimité une motion du gouvernement, une telle
motion pouvant s’apparenter aux recommandations d’un comité de la procédure [51] .
La motion peut également être une initiative gouvernementale préalablement mise en avis et figurant au Feuilleton, à
la rubrique « Affaires émanant du gouvernement » [52] .
Le plus souvent, cependant, les modifications résultent d’un vaste consensus parmi les députés de tous les partis et sont
adoptées rapidement sans débat [53] .
Par contre, depuis 1867, des propositions controversées ont aussi entraîné de longs débats, et le gouvernement a dû
utiliser sa majorité pour modifier le Règlement [54] .
Enfin, il est arrivé que des modifications au Règlement aient été faites par l’adoption d’une motion d’un
député [55]
et par l’adoption d’un rapport présenté par un comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes [56] .
Outre le Règlement permanent, la Chambre peut adopter d’autres règles écrites pour des périodes limitées. Entre
autres, les articles provisoires du Règlement sont valides pour une période déterminée qui ne correspond pas à la
durée d’une législature ou d’une session [57] .
Ils peuvent être adoptés à titre expérimental [58] ,
prolongés à titre provisoire, retirés ou transformés en articles permanents.
Les ordres sessionnels sont à caractère temporaire et demeurent en vigueur uniquement pour le reste de la session en cours. Bien entendu,
ils peuvent être renouvelés d’une session à l’autre et certains finissent par devenir des articles du Règlement [59] .
En plus du Règlement, des articles provisoires du Règlement et des ordres sessionnels, qui forment l’ensemble des règles
écrites, la Chambre peut également adopter des ordres spéciaux. Fréquemment utilisés pour la conduite des travaux de
la Chambre, les ordres spéciaux ne modifient pas le Règlement « écrit ». Étant donné qu’ils
concernent habituellement les travaux de la Chambre et sont souvent proposés sans avis, après consultation, on les adopte, fréquemment,
sans débat à l’unanimité. Ils peuvent s’appliquer à une seule occasion ou pour une période dont on
précise la durée [60] .
Certains ordres spéciaux sont devenus, avec le temps, des articles du Règlement [61] .
Enfin, certains articles du Règlement permettent explicitement à la Chambre de suspendre l’application d’autres articles [62] .
Et il arrive fréquemment que la Chambre décide à l’unanimité des députés présents de mettre de
côté ses règles afin d’aborder une affaire d’une façon qui autrement serait incompatible avec le Règlement [63] .
Par exemple, elle procède de la sorte lorsqu’un projet de loi franchit toutes les étapes en une journée, une procédure
qui autrement contreviendrait aux règles établies [64] .
Par ailleurs, la Chambre peut adopter un ordre spécial qui remplace et annule un ordre spécial adopté auparavant [65] .
Le Règlement prévoit également que la Chambre puisse aller de l’avant dans des situations où le consentement unanime a
été refusé, mais où la très grande majorité des députés sont d’accord pour mettre en œuvre
la mesure envisagée [66] .
Dans la hiérarchie de la procédure parlementaire, tout comme les dispositions constitutionnelles l’emportent sur les dispositions
législatives, le droit législatif l’emporte sur le Règlement. Seul le Parlement peut adopter ou modifier des dispositions
législatives; la Chambre des communes peut adopter ses propres règles tant et aussi longtemps qu’elles respectent le droit constitutionnel
et législatif.
Les décisions du Président
De par ses fonctions, le Président a toujours décidé des questions de procédure, et ce depuis l’établissement
des premières assemblées représentatives dans les colonies qui allaient devenir le Canada [67] .
À l’instar de la jurisprudence qui forme une partie importante du système de la « common law », le droit
parlementaire constitué par les décisions des Présidents occupe une place importante dans notre système parlementaire. Au
fil des ans, l’ensemble des décisions des Présidents a contribué à asseoir le mode de fonctionnement de la Chambre [68].
L’un après l’autre les Présidents ont dû déterminer quelles règles devaient s’appliquer et, ce
faisant, ont soit réglé les problèmes, soit encouragé la Chambre [69] ,
le gouvernement [70]
ou le Bureau de régie interne [71]
à prendre des mesures pour y remédier. Avant 1965, les décisions des Présidents étaient sujettes à appel et
pouvaient être annulées par la Chambre [72];
depuis, les députés ne peuvent remettre en cause une décision de la présidence [73] .
Il faut faire une distinction entre les « décisions » et les « déclarations » du Président.
Les décisions portent sur la recevabilité, du point de vue de la procédure, d’une affaire dont la Chambre est saisie; sauf
indication contraire, les décisions servent de précédents pour les délibérations futures. Le plus souvent, elles ont
trait à des questions de procédure soulevées dans le cadre d’un rappel au Règlement ou d’une question de privilège,
et ont pour objet de montrer à la Chambre la marche à suivre. D’autre part, les déclarations ont pour objet de communiquer des
renseignements ou des clarifications aux députés [74].
Les déclarations ne sont pas toujours des décisions et les Présidents ont souvent dit sans ambiguïté que, bien qu’elles
soient autorisées dans certaines circonstances, certaines procédures ne doivent pas être considérées comme des précédents [75] .
Le Président Fraser a résumé ainsi l’équilibre délicat qu’implique souvent l’adaptation d’anciennes
règles à de nouvelles situations : « En interprétant les règles de la procédure, la présidence doit tenir
compte non seulement de leur lettre mais aussi de leur esprit, et elle doit se guider sur la règle la plus fondamentale entre toutes, celle du bon sens [76] ».
Pour en arriver à une décision sur une question de procédure, le Président peut compter sur une gamme complète d’ouvrages
traitant de procédure ainsi que sur les précédents afin de déterminer de quelle façon on a interprété et
appliqué le Règlement par le passé. Bien que constituant une référence cruciale, le Règlement ne représente
qu’une partie relativement modeste de l’ensemble beaucoup plus vaste de renseignements sur les procédures, pratiques et usages de la Chambre
que le Président consulte au moment de rédiger une décision. Les principaux comptes rendus des travaux de la Chambre, les Journaux
et les Débats, forment l’assemblage le plus riche et le plus fiable à cet égard [77] .
Enfin, bien que les Présidents doivent prendre en compte la Constitution et les lois au moment de rédiger une décision, nombre d’entre
eux ont expliqué qu’il n’appartient pas à la présidence de se prononcer sur la « constitutionnalité »
ou la « légalité » des mesures dont la Chambre est saisie [78] .
Un bon travail sur le plan de la procédure implique qu’il y a cohérence entre l’interprétation de la pratique et l’application
du Règlement [79] ;
à cet égard, les Présidents n’ont jamais craint d’établir de nouveaux précédents lorsqu’ils se sont
trouvés devant une incompatibilité apparente du Règlement et des valeurs contemporaines. Il est donc arrivé que des Présidents
déclarent redondants certaines règles ou certains articles du Règlement [80] ,
et ils ont souvent invité la Chambre à réfléchir aux conséquences que pourraient avoir sur les privilèges des députés
des facteurs comme les nouvelles technologies [81] .
Pour en arriver à une décision, les Présidents examinent également des événements clés du passé, les
précédents, qu’il peut être utile d’invoquer dans une nouvelle situation. Un précédent a été défini
comme étant « une décision antérieure de la présidence, ou une procédure bien établie ou un usage qui sert de
référence ou de guide lorsqu’une question ou une circonstance surgit au Parlement [82] ».
Il n’est pas toujours simple de déterminer ce qui constitue ou ne constitue pas un précédent. Le Président Fraser a déjà
dit « un précédent est un fait qui s’est produit un jour et que tout le monde a décidé de prendre en exemple. Dans le domaine
juridique, il découle habituellement d’une décision que la présidence […] a rendue sur un point après avoir entendu des arguments
pour et contre [83] ».
Il ne suffit pas qu’un événement se produise pour qu’il devienne un précédent et les Présidents ont à l’occasion
statué qu’une circonstance spéciale justifie une déviation d’un précédent connu [84] .
À certains moments, le Président permet aux députés de s’exprimer sur la question soulevée et leur donne l’occasion de
présenter des faits susceptibles d’éclairer la situation. À d’autres moments, la décision est rendue sur le-champ sans que les
députés n’interviennent. Il appartient au Président de déterminer la méthode appropriée dans chaque situation.
Bien que les décisions et déclarations précédentes fournissent toujours des indications importantes et fiables, et même si les
Présidents se réfèrent invariablement aux décisions de leurs prédécesseurs, chaque nouvelle situation est différente
et examinée selon ses propres paramètres. Beaucoup d’usages demeurent non codifiés, mais certains sont fréquemment définis et
explicités dans les décisions et déclarations des Présidents.
La pratique
Les manières de procéder souvent uniques de la Chambre résultent de siècles de pratique [85]
— les règles de procédure non écrites qui se sont développées au fil du temps et ont été
acceptées comme manière normale de procéder. Les premières assemblées représentatives en sol canadien
s’inspiraient largement de la tradition parlementaire britannique [86]
et, dans une moindre mesure, de la pratique américaine [87] .
Jusqu’à tout récemment, le Règlement reconnaissait explicitement l’influence britannique [88]
et, à ce jour, dans les situations où les précédents internes ne sont d’aucune utilité, le Président
a toute la latitude pour aller au-delà de la jurisprudence de la Chambre « dans tous les cas non prévus par le présent
Règlement [89] ».
Le Président peut donc se référer à des précédents provinciaux ou étrangers, normalement ceux
d’organes législatifs du Commonwealth, « dans la mesure où ils sont applicables à la Chambre » [90] .
Dans certains domaines (par exemple, le déroulement de la période des questions), presque toutes les procédures découlent
de la pratique, appuyée par les décisions de la présidence [91];
dans d’autres, certaines pratiques s’instaurent sans la participation active du Président [92] .
La Chambre a tendance à codifier dans le Règlement de nombreuses procédures qui voient le jour et évoluent en tant que
pratiques non écrites. À bien des égards, cela a permis de régler des problèmes sur lesquels le Président
devait revenir périodiquement depuis bon nombre d’années. La procédure touchant les déclarations ministérielles
constitue un exemple. Même si les représentants des partis reconnus ont eu droit de réplique pendant de nombreuses années,
ce n’est qu’en 1964 qu’on a fait de cette pratique un article du Règlement [93] .
Un exemple plus récent est l’adoption d’un article décrivant une pratique remontant aux premiers jours de la
Confédération : le pairage de députés ne pouvant être présents à la Chambre pour un vote par appel
nominal [94] .
Ouvrages faisant autorité
Les règles et procédures de la Chambre sont beaucoup plus complexes qu’il n’y paraît à première
vue. Cette complexité, dont témoignent l’augmentation du nombre d’articles du Règlement, les décisions
et déclarations toujours plus nombreuses des Présidents et le vaste ensemble des usages non écrits, a donné lieu
au fil des ans à la publication de différents ouvrages de procédure parlementaire qui font maintenant autorité.
Ces ouvrages ont, à différentes époques, recensé et articulé les traditions, précédents et
procédures de notre Parlement. La Chambre utilise principalement la Jurisprudence parlementaire de Beauchesneainsi que
l’ouvrage intitulé Parliamentary Procedure and Practice in the Dominion of Canada (publié pour la dernière
fois en 1916) de sir John George Bourinot. D’autres documents s’avèrent également utiles pour comprendre les
procédures de la Chambre, notamment Procedure in the Canadian House of Commons de William F. Dawson, The Parliament of
Canada de C.E.S. Franks, Le privilège parlementaire au Canada de Joseph Maingot, The Canadian House of Commons :
Procedure and Reform de John B. Stewart, et Dawson’s The Government of Canada de Norman Ward. Lorsque ces différentes
sources ne permettent pas de régler un problème, on peut aussi consulter le Treatise on the Law, Privileges, Proceedings
and Usage of Parliament d’Erskine May, concernant les procédures britanniques courantes.
La relation entre les sources de la procédure
Dans la pratique parlementaire, il convient de faire une distinction entre les procédures que la Chambre peut et celles qu’elle
ne peut modifier. Elle ne peut modifier de son propre chef les dispositions touchant la procédure que renferme la Loi constitutionnelle
et différentes autres lois. Toute modification des dispositions constitutionnelles ayant une incidence sur une partie quelconque de la
Chambre doit être conforme à la formule de modification énoncée dans la Loi constitutionnelle de 1982 et
exige à tout le moins l’adoption d’une loi du Parlement [95] .
De même, seul le Parlement peut adopter ou modifier une disposition législative qui influe sur la procédure de la Chambre.
Par conséquent, là où elle produit un effet sur la Chambre, la Constitution l’emporte sur les dispositions
législatives qui s’y appliquent également. Par contre, on ne peut écarter des dispositions législatives en
faveur de règles ou ordres arrêtés uniquement par la Chambre. Quant aux ordres permanents, sessionnels et spéciaux,
ils l’emportent nécessairement sur les pratiques et précédents, à condition qu’ils soient toujours
interprétés dans le contexte de leur application passée et non de façon isolée. Là où il
n’existe pas de règles ou d’ordres explicites, la Chambre se tourne vers sa propre jurisprudence, telle qu’interprétée
par le Président, lequel examine dans les Journaux et Débats les décisions d’anciens Présidents
ou les précédents et usages qui peuvent s’appliquer en l’occurrence. Dans les situations où les pratiques et
précédents de la Chambre ne sont d’aucun secours, le Règlement autorise le Président à se référer
aux pratiques et précédents d’autres juridictions, au Canada et ailleurs, dans la mesure où ils sont applicables [96] .
De plus en plus, le Président et les conseillers en procédure parlementaire se tournent vers les pratiques des provinces, du Royaume-Uni
et des pays qui possèdent des parlements de type britannique, en particulier l’Australie, l’Inde et la Nouvelle-Zélande.