De par ses fonctions, le Président a toujours décidé des questions de procédure, et ce depuis l’établissement
des premières assemblées représentatives dans les colonies qui allaient devenir le Canada [67] .
À l’instar de la jurisprudence qui forme une partie importante du système de la « common law », le droit
parlementaire constitué par les décisions des Présidents occupe une place importante dans notre système parlementaire. Au
fil des ans, l’ensemble des décisions des Présidents a contribué à asseoir le mode de fonctionnement de la Chambre [68].
L’un après l’autre les Présidents ont dû déterminer quelles règles devaient s’appliquer et, ce
faisant, ont soit réglé les problèmes, soit encouragé la Chambre [69] ,
le gouvernement [70]
ou le Bureau de régie interne [71]
à prendre des mesures pour y remédier. Avant 1965, les décisions des Présidents étaient sujettes à appel et
pouvaient être annulées par la Chambre [72];
depuis, les députés ne peuvent remettre en cause une décision de la présidence [73] .
Il faut faire une distinction entre les « décisions » et les « déclarations » du Président.
Les décisions portent sur la recevabilité, du point de vue de la procédure, d’une affaire dont la Chambre est saisie; sauf
indication contraire, les décisions servent de précédents pour les délibérations futures. Le plus souvent, elles ont
trait à des questions de procédure soulevées dans le cadre d’un rappel au Règlement ou d’une question de privilège,
et ont pour objet de montrer à la Chambre la marche à suivre. D’autre part, les déclarations ont pour objet de communiquer des
renseignements ou des clarifications aux députés [74].
Les déclarations ne sont pas toujours des décisions et les Présidents ont souvent dit sans ambiguïté que, bien qu’elles
soient autorisées dans certaines circonstances, certaines procédures ne doivent pas être considérées comme des précédents [75] .
Le Président Fraser a résumé ainsi l’équilibre délicat qu’implique souvent l’adaptation d’anciennes
règles à de nouvelles situations : « En interprétant les règles de la procédure, la présidence doit tenir
compte non seulement de leur lettre mais aussi de leur esprit, et elle doit se guider sur la règle la plus fondamentale entre toutes, celle du bon sens [76] ».
Pour en arriver à une décision sur une question de procédure, le Président peut compter sur une gamme complète d’ouvrages
traitant de procédure ainsi que sur les précédents afin de déterminer de quelle façon on a interprété et
appliqué le Règlement par le passé. Bien que constituant une référence cruciale, le Règlement ne représente
qu’une partie relativement modeste de l’ensemble beaucoup plus vaste de renseignements sur les procédures, pratiques et usages de la Chambre
que le Président consulte au moment de rédiger une décision. Les principaux comptes rendus des travaux de la Chambre, les Journaux
et les Débats, forment l’assemblage le plus riche et le plus fiable à cet égard [77] .
Enfin, bien que les Présidents doivent prendre en compte la Constitution et les lois au moment de rédiger une décision, nombre d’entre
eux ont expliqué qu’il n’appartient pas à la présidence de se prononcer sur la « constitutionnalité »
ou la « légalité » des mesures dont la Chambre est saisie [78] .
Un bon travail sur le plan de la procédure implique qu’il y a cohérence entre l’interprétation de la pratique et l’application
du Règlement [79] ;
à cet égard, les Présidents n’ont jamais craint d’établir de nouveaux précédents lorsqu’ils se sont
trouvés devant une incompatibilité apparente du Règlement et des valeurs contemporaines. Il est donc arrivé que des Présidents
déclarent redondants certaines règles ou certains articles du Règlement [80] ,
et ils ont souvent invité la Chambre à réfléchir aux conséquences que pourraient avoir sur les privilèges des députés
des facteurs comme les nouvelles technologies [81] .
Pour en arriver à une décision, les Présidents examinent également des événements clés du passé, les
précédents, qu’il peut être utile d’invoquer dans une nouvelle situation. Un précédent a été défini
comme étant « une décision antérieure de la présidence, ou une procédure bien établie ou un usage qui sert de
référence ou de guide lorsqu’une question ou une circonstance surgit au Parlement [82] ».
Il n’est pas toujours simple de déterminer ce qui constitue ou ne constitue pas un précédent. Le Président Fraser a déjà
dit « un précédent est un fait qui s’est produit un jour et que tout le monde a décidé de prendre en exemple. Dans le domaine
juridique, il découle habituellement d’une décision que la présidence […] a rendue sur un point après avoir entendu des arguments
pour et contre [83] ».
Il ne suffit pas qu’un événement se produise pour qu’il devienne un précédent et les Présidents ont à l’occasion
statué qu’une circonstance spéciale justifie une déviation d’un précédent connu [84] .
À certains moments, le Président permet aux députés de s’exprimer sur la question soulevée et leur donne l’occasion de
présenter des faits susceptibles d’éclairer la situation. À d’autres moments, la décision est rendue sur le-champ sans que les
députés n’interviennent. Il appartient au Président de déterminer la méthode appropriée dans chaque situation.
Bien que les décisions et déclarations précédentes fournissent toujours des indications importantes et fiables, et même si les
Présidents se réfèrent invariablement aux décisions de leurs prédécesseurs, chaque nouvelle situation est différente
et examinée selon ses propres paramètres. Beaucoup d’usages demeurent non codifiés, mais certains sont fréquemment définis et
explicités dans les décisions et déclarations des Présidents.