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CHER Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON CANADIAN HERITAGE

COMITÉ PERMANENT DU PATRIMOINE CANADIEN

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 12 février 1998

• 1117

[Traduction]

Le président (M. Clifford Lincoln (Lac-Saint-Louis, Lib.)): La séance est ouverte.

[Français]

Je voudrais ouvrir la séance de travail du Comité du patrimoine canadien. Aujourd'hui, nous tenons une table ronde sur le contenu canadien et sur le droit d'auteur sur l'autoroute de l'information,

[Traduction]

un panel sur le contenu canadien et le droit d'auteur en rapport avec l'autoroute de l'information.

Avant que nous ne commencions, je voudrais donner la parole au vice-président du comité, M. Bélanger, qui voudrait faire une courte déclaration.

[Français]

M. Mauril Bélanger (Ottawa—Vanier, Lib.): Merci, monsieur le président.

[Traduction]

Je veux simplement faire savoir aux collègues que nous avons parmi nous, comme nous le savons sans doute tous, une dramaturge, Mme Lill, et que, fait encore plus important, une de ses pièces sera présentée au Great Canadian Theatre Company ici, à Ottawa, le 25 février. J'encourage tous les membres du comité à y assister. On nous dit que le groupe parlementaire NPD tout entier y sera, mais ils ne seront bien sûr pas assez nombreux pour remplir la salle, de sorte qu'il restera beaucoup de place.

Des voix: Ah! ah!

Une voix: Bon coup.

M. Mauril Bélanger: En tous cas, félicitations, et je suis impatient de voir votre pièce.

Des voix: Bravo!

Mme Wendy Lill (Dartmouth, NPD): Merci beaucoup.

Le président: Êtes-vous nerveuse?

Mme Wendy Lill: Pas pour l'instant, mais je le serai le soir de la première.

Une voix: Nous vous applaudirons.

Le président: Je voudrais vous présenter les trois panélistes.

Nous accueillons aujourd'hui Mme Wanda Noel, qui est expert-conseil et avocate spécialisée dans le droit d'auteur et la loi sur le droit d'auteur. Certains des membres du comité qui étaient des nôtres pendant la dernière législature se souviendront que Mme Noel nous a servi d'expert-conseil quand nous avons examiné les modifications proposées à la Loi sur le droit d'auteur.

Nous accueillons aussi M. John Gray. Il y a beaucoup de choses à dire à son sujet, mais je ne pourrais faire mieux que de vous lire le premier paragraphe de son curriculum vitae, qui me semble bien le décrire. Je crois que beaucoup d'entre vous le connaissent en raison de son travail au réseau CBC. Il est auteur, compositeur et artiste de la scène, de la télévision, du cinéma, de la radio et de l'imprimé.

Trouvez-vous le temps de dormir, monsieur Gray?

• 1120

Il est surtout connu pour les comédies musicales qu'il a produites pour la scène, pour son oeuvre de satiriste aux émissions The Journal et Midday du réseau de télévision CBC, et pour son travail d'auteur, de conférencier et de critique sociale en matière de culture et de politique. Il a siégé pendant plusieurs années au Comité consultatif sur l'autoroute de l'information—et c'est d'ailleurs pour cette raison que nous avons pensé que vous auriez des choses intéressantes à nous dire, monsieur Gray—et il a joué un rôle important dans la rédaction du rapport du comité sur la culture et le contenu. Il publie une chronique hebdomadaire dans le Sun de Vancouver. Nous sommes très heureux qu'il soit des nôtres aujourd'hui.

[Français]

Finalement, il y a M. Jocelyn Nadeau, qui est le directeur général du Centre international pour le développement de l'autoroute en français. M. Nadeau a été responsable de la réseautique au campus d'Edmundston de l'Université de Moncton de 1990 à 1996. Il a présidé la table de concertation «Culture et communication» à l'égard de la Politique du Québec envers les communautés francophones et acadiennes du Canada de 1996 à 1997. Il a siégé à de nombreux comités et groupes de travail provinciaux et internationaux, dont CANARIE, etc.

Donc, nous sommes très heureux aujourd'hui d'accueillir ce panel composé de gens qui pourront certainement nous apporter des lumières sur la question dont nous devons discuter aujourd'hui.

[Traduction]

Qui veut commencer?

Madame Noel, nous commencerons par vous.

Mme Wanda Noel (expert-conseil et avocate): Merci beaucoup, monsieur le président.

L'image qui me vient souvent à l'esprit lorsque je cherche moi-même à conceptualiser l'application du droit d'auteur à l'inforoute, est celle d'une autoroute à péage. Pour pouvoir emprunter une autoroute à péage, les voyageurs doivent verser une redevance. Dans l'analogie que je propose, mon voyageur imaginaire ne conduit pas une voiture ou un camion, mais navigue sur l'inforoute. Ce sont les droits juridiques prévus dans la législation sur le droit d'auteur qui tiennent lieu de postes de péage.

La Loi sur le droit d'auteur protège ce que le comité désigne comme étant le «contenu». En jargon de droit d'auteur, le «contenu» est une «oeuvre» protégée par un droit d'auteur. Les oeuvres protégées englobent l'essentiel du contenu de l'inforoute: livres, magazines, périodiques, art, musique, films, jeux vidéo et logiciels.

La Loi sur le droit d'auteur confère aux créateurs du «contenu» le droit juridique de décider qui peut utiliser leur oeuvre, quand, où et à quel prix. L'exercice de ce contrôle s'étend à l'inforoute. Les droits juridiques prévus dans la Loi sur le droit d'auteur comportent des exceptions afin de permettre certaines utilisations qui, autrement, constitueraient une violation des droits en question. Toute atteinte au droit d'auteur est passible de différentes peines civiles et criminelles qui sont décrites dans la Loi sur le droit d'auteur.

Pour reprendre l'analogie du poste de péage, disons que les droits juridiques prévus dans la législation sur le droit d'auteur tiennent lieu de postes de péage. L'usager de l'inforoute doit verser une redevance en échange du droit d'utiliser le contenu.

Par exemple, il faut habituellement acquitter un droit pour pouvoir télécharger une musique ou un jeu protégé par un droit d'auteur. Il en est ainsi parce que la Loi sur le droit d'auteur confère aux créateurs et aux producteurs du contenu le droit juridique d'exercer un contrôle sur le téléchargement. Ce droit juridique leur permet de percevoir une redevance chaque fois qu'un téléchargement est effectué. Le fait de télécharger sans verser la redevance exigée constitue une atteinte au droit d'auteur. Il existe un certain nombre de droits juridiques en vertu de la Loi sur le droit d'auteur. Ensemble, ces droits forment une série de postes de péage qui jalonnent l'inforoute.

L'inforoute suscite beaucoup de questions en rapport avec le droit d'auteur. Dans le bref laps de temps que j'ai ce matin, j'aimerais m'attarder à trois des aspects les plus importants.

Question un, la protection juridique offerte par la législation sur le droit d'auteur est-elle suffisante pour protéger le contenu de l'inforoute? Pour reprendre l'analogie, y a-t-il suffisamment de postes de péage? Au Canada, c'est le Comité consultatif sur l'autoroute de l'information qui a été le premier à se pencher sur cette question en 1995. Conscient de l'importance du droit d'auteur pour la gestion de l'inforoute, le comité consultatif a formé un sous-comité sur le droit d'auteur. Ce sous-comité a conclu—et je cite le rapport du sous-comité—que la législation sur le droit d'auteur «offre une protection suffisante aux oeuvres existantes et nouvelles».

• 1125

Ce rapport a été déféré à un comité mixte de l'Association du Barreau canadien et de l'Institut canadien des brevets et marques, que j'ai eu le grand honneur de présider. Notre tâche consistait à évaluer les avis juridiques exprimés par le sous-comité du droit d'auteur du comité consultatif. Nous avons souscrit aux avis exprimés par le sous-comité du droit d'auteur sous bon nombre de rapports importants. Dans d'autres cas, par contre, nous nous sommes montrés plus prudents. Nous étions d'avis que certains aspects de la législation actuelle sur le droit d'auteur touchant l'inforoute nécessitaient des éclaircissements de la part des tribunaux. Ce processus est maintenant entamé.

Par exemple, une audience débutera le mois prochain devant la Commission du droit d'auteur pour déterminer comment les droits prévus dans la Loi sur le droit d'auteur s'appliquent à la transmission d'oeuvres musicales aux abonnés d'un service de télécommunications. Plusieurs d'attendent à ce que quelle que soit la façon dont la Commission du droit d'auteur formulera sa décision, celle-ci fera l'objet d'un appel auprès de la Cour fédérale et sans doute auprès de la Cour suprême du Canada par la suite. La raison? Il faut obtenir une interprétation judiciaire qui fasse autorité sur la façon exacte dont le droit d'auteur s'applique à l'utilisation du contenu de l'inforoute. C'est une étape considérée comme essentielle au développement économique ordonné de l'inforoute.

Je voudrais revenir un moment à l'analogie du poste de péage. La question que doit trancher la Commission du droit d'auteur est la suivante: les postes de péage actuels, c'est-à-dire les droits juridiques reconnus aux propriétaires d'oeuvres musicales, suffisent-ils à protéger l'exploitation de ces oeuvres sur l'inforoute?

Question deux, si la protection offerte par l'actuelle Loi sur le droit d'auteur est suffisante, est-elle applicable? Un usager de l'inforoute peut-il arriver à contourner les postes de péage? L'existence de droits juridiques ne suffit pas, encore faut-il que ceux-ci puissent être appliqués de façon concrète.

Ce problème n'est pas nouveau en ce qui concerne la législation sur le droit d'auteur, et un exemple datant déjà d'un certain nombre d'années illustre d'ailleurs l'importance d'être en mesure de faire respecter les droits déjà prévus dans la Loi sur le droit d'auteur.

Il y a vingt-cinq ans, lorsque l'utilisation des photocopieurs a commencé à se répandre dans les bureaux, les écoles et les bibliothèques, les auteurs et les éditeurs étaient impuissants à contrôler la reproduction de leurs livres, magazines et périodiques. Même si la Loi sur le droit d'auteur offrait une protection juridique suffisante pour interdire la reproduction non autorisée, cette protection était de peu d'utilité pour ceux qui en avaient besoin. Le problème ne résidait pas tant dans la suffisance de la protection, mais dans l'inexistence de mesures d'application efficaces de cette protection.

Cette situation juridique a finalement forcé l'adoption de modifications à la Loi sur le droit d'auteur pour permettre la création et l'intervention d'organismes collectifs chargés de délivrer des licences aux écoles, aux bibliothèques et aux gouvernements pour autoriser la production de photocopies à l'échelle nationale. Il est trop tôt pour dire si l'inforoute nous obligera à modifier la législation sur le droit d'auteur, mais c'est là un sujet qui soulève des questions très intéressantes non seulement au Canada, mais dans le monde entier.

L'un des aspects les plus controversés en rapport avec le droit d'auteur a trait à la question de savoir si les fournisseurs de services sur l'inforoute doivent être tenus responsables des renseignements qui transitent par leur serveur. Cette question a donné lieu à de longs débats et à une polarisation des points de vue. Les fournisseurs de services soutiennent qu'ils devraient être soustraits aux obligations découlant du droit d'auteur sous prétexte qu'ils ne savent aucunement si le contenu des renseignements qui transitent par leur serveur porte ou non atteinte au droit d'auteur.

En vertu de l'actuelle Loi sur le droit d'auteur, toute personne qui ne fait que fournir un moyen de télécommunication à une autre personne n'est pas assujettie au droit d'auteur. La question est de savoir si cette exemption applicable aux entreprises de télécommunications devrait être élargie pour englober les entreprises de télécommunications de l'inforoute.

La pertinence de créer une telle exemption est chaudement contestée par les titulaires de droits d'auteur. Les points de vue exprimés s'articulent autour de deux pôles. L'un est favorable à l'octroi d'une exemption aux fournisseurs de services, tandis que l'autre appuie l'idée d'engager la responsabilité des fournisseurs à l'égard de ce qui transite par leur serveur.

• 1130

Au Canada, la solution mitoyenne consisterait à offrir aux fournisseurs de services un moyen de défense juridique pour se soustraire à la responsabilité découlant du droit d'auteur s'ils peuvent démontrer qu'ils n'étaient nullement au courant du fait que le contenu portait atteinte au droit d'auteur. Pour revenir à l'analogie du poste de péage, la question est de savoir si ceux qui offrent l'accès à l'inforoute devraient être responsables de ce que font les usagers une fois sur l'inforoute.

La troisième et dernière question est de savoir si la nature de la protection offerte en matière de droit d'auteur devrait être modifiée pour tenir compte de l'utilisation qui est faite du contenu de l'inforoute. Si nous reprenons encore une fois l'analogie du poste de péage, faudrait-il supprimer certains postes de péage?

Pour les fournisseurs de contenu, l'inforoute est un moyen extraordinaire pour diffuser du contenu, mais elle n'est pas sans danger. Les fournisseurs de contenu veulent être payés pour l'utilisation qui est faite du contenu offert sur l'inforoute. Par contre, l'usager de l'inforoute craint quant à lui de devoir payer, ne serait-ce que pour avoir accès temporairement au contenu ou pour y avoir accès à seule fin de décider s'il aimerait l'utiliser ou l'acheter.

En jargon de droit d'auteur, on parle de «furetage». Les usagers de l'inforoute comparent cette exploration à la démarche de quelqu'un qui se promènerait entre les étagères d'une bibliothèque pour y découvrir ce qui s'y trouve. Ils font valoir que ce genre de consultation n'est assujetti à aucune obligation en matière de droit d'auteur, et qu'il devrait en être de même pour le furetage sur l'inforoute.

Lorsque le comité mixte de l'Association du Barreau canadien et de l'Institut canadien des brevets et marques que j'ai présidé a examiné cette question, nous avons conclu qu'à l'exception d'un seul cas important, il semble qu'on offre un contenu sur l'inforoute dans l'espoir d'amener l'usager à vouloir acquérir l'oeuvre intégrale sous une forme permanente, c'est-à-dire à vouloir l'acheter. Les jeux vidéo en sont un exemple. Un fureteur sur l'inforoute peut faire l'essai d'un grand nombre de jeux différents. Pour jouer une partie au complet, il doit toutefois acheter le jeu. Le fait de permettre aux usagers de l'autoroute de faire l'essai d'une partie du contenu—en l'occurrence, d'un jeu—sans avoir à payer est une stratégie de commercialisation pour les amener à acheter le contenu en question.

La seule exception importante concerne le contenu qui serait mis sur l'inforoute sans la permission du propriétaire du droit d'auteur. Revenons un moment à cet exemple du jeu. Si quelqu'un, sans en avoir obtenu l'autorisation du propriétaire du jeu, mettait sur l'inforoute non pas une petite partie du jeu destinée à attirer les acheteurs éventuels, mais le jeu au complet, des millions de personnes pourraient y avoir accès gratuitement. C'est là un problème qui pourrait exiger des modifications à la législation sur le droit d'auteur. Notre comité a conclu que les conséquences du furetage pour le droit d'auteur devraient faire l'objet d'un examen plus poussé avant qu'il soit possible de se prononcer sur la nécessité de modifier la législation. Si nous reprenons encore une fois l'analogie du poste de péage, la question est de savoir si le poste de péage qui régit le furetage devrait être supprimé ou modifié de quelque façon.

En conclusion, au fur et à mesure que les Canadiens seront plus nombreux à naviguer sur l'inforoute, les vues sur l'existence et l'emplacement de bon nombre des postes de péage seront polarisées. Certains Canadiens demanderont au Parlement d'en éliminer certains ou de réduire le montant des droits de péage à acquitter. D'autres, notamment les producteurs et les créateurs de contenu, voudront avoir l'assurance que le nombre de postes de péage soit suffisant et que ces postes soient placés à des endroits stratégiques sur l'inforoute. Pour l'instant, il est très difficile de prévoir avec le moindrement de certitude comment la situation évoluera, mais la question est manifestement importante, non pas seulement pour les créateurs et les producteurs de contenu, mais aussi pour les 5,2 millions de Canadiens qui navigueront régulièrement sur l'inforoute cette année.

Le président: Merci beaucoup, madame Noel, de nous avoir expliqué aussi clairement un sujet aussi difficile.

Monsieur Gray.

M. John Gray (auteur et compositeur): Merci, monsieur le président.

Il y a très longtemps que nous étudions la culture et le contenu, trois ans. Ne connaissant pas bien mon auditoire, je crains quelque peu que vous trouverez mon exposé trop simpliste, mais je ferai de mon mieux, en vous présentant en quelque sorte l'ABC de notre situation culturelle.

• 1135

Je tiens tout d'abord à remercier le comité pour les activités qu'il mène, car nous entrerons bientôt dans l'ère de l'information, qui est aussi l'ère de la désinformation. Il est donc très important que nous soyons en mesure de déterminer quels principes s'avéreront utiles au XXIe siècle, lesquels nous empêcherons de progresser, lesquels pourront être appliqués à l'avenir et lesquels nous ramènent à l'ère coloniale, où le Canada troquait ses ressources naturelles contre des produits culturels anglais, américains et français.

J'aimerais d'abord rappeler que deux sens peuvent être donnés au mot «culture», celui de produit sur le marché international et celui d'un processus social. En tant que produit, la culture est régie par les mêmes règles que tous les autres produits de consommation: la loi de l'offre et de la demande, les règles de commercialisation et l'impératif des économies d'échelle sur un marché qui se mondialise de plus en plus.

Comme processus social, la culture opère toutefois d'une façon très différente. Tous les organismes, en particulier les organismes sociaux, ont besoin de mécanismes de rétroaction pour s'adapter et pour survivre. En ce sens, la culture constitue pour un pays ou une nation un moyen de créer une cohésion sociale et d'atténuer les différends.

Ainsi, il y a des raisons bien précises pour lesquelles au Québec, ce sont les citoyens qui ont le moins d'échanges culturels avec le Canada anglais qui appuient le plus énergiquement l'indépendance de la province. Il y a des raisons bien précises pour lesquelles ce sont les Canadiens des collectivités qui n'ont aucun contact avec les Québécois qui sont les plus intolérants envers le Québec.

Dans les superpuissances culturelles comme les États-Unis et la Grande-Bretagne, il n'existe pas de distinction entre ces deux volets de la culture. Dans une colonie comme le Canada, ils s'excluent toutefois mutuellement. Autrement dit, plus un produit culturel a du succès sur le marché international, moins il a de chance de refléter les préoccupations propres aux Canadiens. Cette règle ne vaut pas pour les États-Unis, pas plus qu'elle ne valait pour la Grande-Bretagne de l'époque impériale.

Le Canada réagit traditionnellement à cette réalité en séparant et en soutenant le processus de création culturelle au Canada, en laissant toutefois s'imposer le marché des produits culturels internationaux.

Vu le contexte actuel de mondialisation, il est de plus en plus difficile de maintenir cette distinction entre création et produit culturel. En raison des réalités économiques, les producteurs du secteur culturel, en particulier celui des mass médias et des nouveaux médias, cherchent des débouchés pour leurs produits surtout sur le marché américain et considèrent le Canada comme un marché secondaire. Autrement dit, les Canadiens sont en train de devenir des producteurs de produits culturels américains et de les vendre aussi bien chez eux qu'à l'étranger.

La situation est aggravée par le fait que les États-Unis refusent de reconnaître qu'il existe une distinction entre création et produit culturel, ce qui est parfaitement naturel pour un pays impérialiste. Comme c'est le cas dans tout pays impérialiste, les Américains perçoivent leur culture non pas comme américaine, mais comme la norme. C'était aussi le cas de la Grande-Bretagne et de la France aux beaux jours du colonialisme. Pour les Américains, la culture est un produit neutre, même si elle reflète et fait la promotion des lois, des réalités et des valeurs sociales américaines. Pendant ce temps, les Canadiens demandent et soutiennent plus que jamais le produit et la création.

Cette situation peut paraître paradoxale, mais il faut se rappeler que les idées de droite ont progressivement fait leur chemin dans l'économie et la société canadienne au cours des années 1980, alors qu'aux États-Unis, le mouvement a été plus rapide et plus extrême. C'est pourquoi l'écart culturel entre les deux pays n'a jamais été aussi grand.

Paradoxalement, il est peut-être vrai que les Canadiens n'ont jamais consommé autant de produits culturels américains, mais en même temps, ils n'ont jamais été aussi conscients d'être des consommateurs de culture américaine. Cette sensibilisation accrue des Canadiens à leur spécificité culturelle, alliée à l'apparition de nouveaux moyens de communication, nous offre une nouvelle occasion de dépasser ce vieux problème et de sortir résolument de l'ère post-coloniale. Nous ne serons cependant en mesure d'apporter ces changements qu'à condition de concevoir notre législation culturelle en fonction des besoins de la nouvelle ère et non de ceux de l'ancienne.

Nous avons fait de nombreuses recommandations. Je veux vous donner deux recommandations personnelles, qui sont les conclusions que j'ai moi-même tirées de nombreux mois de discussion sur le sujet. Ma première recommandation, c'est de réglementer le contenu étranger et non le contenu canadien. Les règlements relatifs au contenu canadien reposent habituellement sur des principes désuets qui sont inapplicables, ce qui n'est pas nécessairement une mauvaise chose.

Ces règlements ont donné de bons résultats à certains égards, mais ils ont créé l'impression que des moyens ingénieux devaient être utilisés pour persuader les Canadiens d'acheter leurs propres produits culturels. Ils ont aussi fait croire, à tort, que sur le plan culturel les Canadiens craignent de s'ouvrir au monde.

• 1140

Mais s'il n'y a pas de règles de base ni de directives, le commerce mondial deviendra de plus en plus un commerce de produits et non de processus. Autrement dit, à mesure que le contenu culturel s'adaptera à la nécessité mondiale de faire des économies d'échelle, le commerce deviendra un monopole monoculturel.

Je recommande donc que l'on supprime les directives sur le contenu canadien et qu'on les remplace par des directives sur le contenu étranger, cette orientation étant tout à l'opposé du protectionnisme: ainsi, nos cinémas, nos stations de télévision et les autres médias culturels canadiens ne seront pas envahis par le contenu d'un pays étranger et les Canadiens pourront faire face à la concurrence et auront accès à un vaste éventail de produits de toutes les régions du monde.

Si on ne remplace pas l'une par l'autre, nous risquons de perdre des ressources dans une bataille sans espoir et de perdre du terrain face à des producteurs monolithiques et monoculturels. Autrement dit, nous pourrons revenir à l'ère précoloniale et à ses postulats, et le Canada ne serait plus un participant au commerce mondial pour ce qui est du contenu et de la culture, pas plus ici qu'à l'étranger.

Ma deuxième recommandation vise à remplacer les mesures de protection par des mesures de promotion. Nous devons tirer parti de tous les nouveaux moyens de communication pour vendre la culture canadienne à l'étranger, en ciblant un marché composé de trois groupes.

Le premier groupe est notre marché traditionnel, soit celui des Canadiens vivant au Canada. Le deuxième est celui des Canadiens vivant à l'étranger et qui continuent de s'intéresser à l'histoire, à la culture et à l'actualité de leur pays d'origine, auxquels les nouveaux médias nous donnent un accès sans précédent. Le troisième groupe, qui est encore plus intéressant, est celui des étrangers, de plus en plus nombreux, qui voient le Canada comme une autre démocratie nord-américaine, un modèle pour les pays qui font face aux réalités de l'ère post-coloniale, une moyenne puissance relativement démocratique qui a un sens de la responsabilité sociale et qui accorde de l'importance à la conciliation et au maintien de la paix.

Le village global comporte cependant un paradoxe: à mesure que les frontières s'estomperont, les cultures indigènes ne pourront survivre sans des appuis extérieurs. Or, ces appuis seront essentiels pour que le Québec puisse continuer de jouer son rôle au sein du Canada, et pour que le Canada conserve une identité distincte en Amérique du Nord.

Je vous remercie de m'avoir invité.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Gray. Cet exposé provocant nous donne matière à réflexion.

Monsieur Nadeau.

[Français]

M. Jocelyn Nadeau (directeur général, Centre international pour le développement de l'inforoute en français): Merci, monsieur le président. Je remercie le Comité permanent de la Chambre des communes sur le patrimoine canadien de m'offrir l'occasion de présenter ici mes vues sur le contenu canadien francophone de l'autoroute de l'information.

De par mon travail au Centre international pour le développement de l'inforoute en français, je suis appelé à suivre de près l'évolution de la place du français sur les inforoutes. Dans le cours de mon intervention, j'exposerai la situation des contenus en français sur les inforoutes, en particulier au Canada. Je me permettrai ensuite de proposer quelques balises pour la mise en place d'une politique culturelle.

Cela dit, le terme «inforoute» tel que je l'utiliserai ici est synonyme d'«autoroute de l'information». Il désigne «l'ensemble des technologies et services nécessaires pour acheminer les diverses bases de données, images, conversations, fichiers multimédias et autres signaux numériques». Encore aujourd'hui, Internet demeure la manifestation la plus concrète de la notion d'inforoute. D'autres modèles sont en développement, mais aucun ne peut prétendre rivaliser avec Internet à ce stade-ci.

Établi au Nouveau-Brunswick, le Centre international pour le développement de l'inforoute en français, le CIDIF, est un organisme à but non lucratif chargé de consolider la présence francophone sur les inforoutes.

Il concentre son action sur les enjeux du développement de la société de l'information en Francophonie. Il a acquis une expertise incontestable dans les domaines du développement et de l'utilisation des inforoutes dans l'espace francophone et du développement de contenus en français pour les inforoutes. Il offre un centre de ressources aux individus et aux organismes qui veulent contribuer à l'essor de l'Internet et des technologies connexes dans l'espace francophone.

Dans l'exercice de son mandat, le CIDIF fait de la veille active dans le domaine du développement et de l'utilisation des inforoutes dans l'espace francophone. Cette activité s'est déjà traduite par la publication d'un état des lieux à l'occasion de la Conférence de ministres francophones chargés des inforoutes. Ce document a depuis été mis à jour pour le VIIe Sommet de la Francophonie qui a eu lieu à Hanoi en novembre dernier. Il vous a d'ailleurs été remis.

• 1145

Lorsqu'il s'agit d'évaluer l'espace qu'occupe le contenu en français sur les inforoutes, on se mesure d'emblée à la difficulté de trouver des sources de données et de statistiques fiables. De plus, les méthodes d'analyse à notre disposition ne nous permettent pas d'en arriver à des conclusions précises. Je tâcherai néanmoins de donner une idée générale de la place relative du français par rapport à l'anglais dans Internet en m'appuyant sur des données issues de diverses sources et traitées par le CIDIF dans le cadre de son travail de veille active.

Avant d'examiner la place des contenus en français dans Internet, voyons d'abord l'étendue globale de la présence canadienne dans Internet d'après le nombre d'internautes et d'ordinateurs hôtes au pays.

Une étude de la firme AC Neilsen évalue à 8 millions le nombre d'internautes au Canada, soit 28 p. 100 de la population canadienne. En comparaison, la France compte 0,7 p. 100 d'internautes et la Belgique, 2 p. 100.

Or, comme l'étude ne tient pas compte du profil linguistique des internautes, j'ai réparti le nombre d'internautes proportionnellement au nombre de francophones dans les mêmes pays d'après les chiffres de Statistique Canada et d'Ethnologue. Ainsi, au Canada, la proportion de citoyens d'expression française a été établie à 23 p. 100. En reportant ce chiffre sur le nombre total d'internautes au pays, on arrive à 1,84 million d'internautes francophones au Canada. Selon le même calcul, la France ne compterait que 365 000 internautes francophones et la Belgique, 80 000.

Le nombre d'ordinateur hôtes connectés à Internet dans une région donnée permet d'évaluer autrement la présence de ses habitants sur le réseau. Ainsi, il y avait au Canada 839 141 ordinateurs hôtes connectés à Internet en janvier 1998. Ce chiffre, à nouveau réparti selon la proportion de francophones, permettrait d'établir à 193 002 le nombre d'ordinateurs hôtes utilisés par des francophones au Canada. Le même calcul donne 296 642 ordinateurs hôtes pour la France et 35 175 pour la Belgique.

Il s'avère très difficile de mesurer avec précision la place relative qu'occupent les contenus en français ou en toute autre langue dans Internet. Comment, en effet, évaluer le nombre de messages en français parmi tous ceux qui circulent sur le réseau via des serveurs de courriel ou de nouvelles? À moins d'intercepter tous ces messages un à un et d'identifier la langue dans laquelle ils sont rédigés, travail pour le moins laborieux, il n'existe aucune méthode éprouvée.

Pour montrer le poids relatif des contenus canadiens en français dans Internet, j'utiliserai les résultats d'une analyse effectuée par le CIDIF, selon une méthode proposée pour la première fois en 1996. Cette méthode permet d'évaluer assez généralement la présence du contenu en français sur le Web. Je vous épargnerai la méthodologie. Elle consiste à soumettre à un outil de recherche Internet une liste de mots en français avec leur équivalent dans une langue de référence, l'anglais dans notre cas. La fréquence d'apparition des mots choisis permet ensuite d'établir un ratio entre la langue choisie et la langue de référence.

L'analyse du CIDIF a été effectuée entre le 2 et le 10 février 1998, tout récemment. Une liste de 50 mots a alors été soumise à plusieurs outils de recherche Internet, dont un qui indexe en particulier les pages Web que l'on retrouve au Canada.

Les résultats obtenus établissent le ratio anglais-français sur Internet à 5,87 pour le Canada et à 36,28 pour le monde. Signalons cependant que ces résultats diffèrent grandement de ceux obtenus dans deux autres études similaires réalisées en 1997. Ces écarts s'expliquent principalement par le choix des mots et l'approche choisie.

Les résultats obtenus montrent que la part du contenu anglais dans l'espace Web canadien serait de six fois supérieure à celle du contenu français. Sachant que le ratio anglophones/francophones au Canada s'établit à 2,99, on peut conclure que la part du contenu en français dans l'espace Web canadien ne reflète pas la réalité linguistique du pays: les francophones accuseraient un retard sur les anglophones dans ce domaine. Cette situation ne semble pas a priori trop préoccupante puisque la production nationale et mondiale de contenus en anglais n'est pas l'apanage des seuls anglophones. En effet, afin d'étendre leur auditoire au plus grand nombre, nombre de francophones et d'autres non-anglophones choisissent de publier en anglais sur Internet.

• 1150

Citons par exemple le cas de l'Institut Pasteur à Paris, dont les chercheurs publient rarement dans une autre langue que l'anglais. Cette pratique, soit dit en passant, n'est pas exclusive à la France: elle se serait généralisée à l'échelle planétaire. De même, les entreprises francophones n'ont souvent d'autres choix que de s'afficher en anglais sur le Web pour être plus concurrentielles sur les marchés internationaux. Ce faisant, les francophones contribuent directement à l'essor du contenu en anglais dans Internet.

Jusqu'à présent, je me suis concentré sur une évaluation strictement quantitative des contenus en français, avec toutes les difficultés que cela suppose. On comprendra maintenant qu'il soit encore plus difficile de procéder à une évaluation qualitative de ces mêmes contenus. Je puis cependant m'appuyer sur une longue expérience de navigation pour affirmer qu'en ce moment, l'un des grands problèmes des contenus en français dans Internet est leur manque de qualité. Par contenu de qualité, j'entends qualité de la langue et validité de l'information. Bien souvent, la qualité des textes diffusés dans Internet laisse à désirer et ce, non seulement en français. On peut consulter le site de François Hubert, qu'on appelle un chasseur de fautes, pour s'en convaincre.

En matière d'information, la nature même d'Internet permet à tout utilisateur d'être aussi bien producteur que consommateur. Par le fait même, tout producteur peut s'improviser expert dans un domaine sans que le consommateur ne s'en rende nécessairement compte. C'est un peu ce que M. Gray mentionnait tout à l'heure. Entre-t-on dans une société de désinformation plutôt que d'information?

En décembre 1996, le Commissariat aux langues officielles du Canada déposait un rapport sur l'utilisation de l'Internet par 20 institutions fédérales. On y soulignait plusieurs lacunes quant à l'utilisation du français dans Internet et on y faisait plusieurs recommandations. La mise en oeuvre de ces recommandations semble difficile. Encore aujourd'hui, on constate des différences quant à la qualité et à la quantité des informations disponibles en français et en anglais sur les sites Web des institutions fédérales. De plus, il est parfois difficile de communiquer en français avec certains correspondants. Ceux-ci invoquent des raisons de nature technique pour ne pas utiliser de caractères accentués ou, tout simplement, ne prennent pas la peine de rédiger leur message en utilisant les caractères accentués.

Invoquer des problèmes d'ordre technique pour expliquer une absence de caractères accentués n'est plus acceptable de nos jours: tous les services Internet, Web, courriel, etc., permettent la libre circulation des signes diacritiques inhérents à la langue française.

En 1995, Patrick Andries et François Yergeau d'Alis Technologies donnaient «40 pistes pour augmenter la présence du français sur Internet». Trois ans plus tard, force est de constater que très peu de ces pistes ont été empruntées. Ainsi, au Québec, il faut encore payer pour obtenir des textes de loi, qui sont pourtant du domaine public, alors que les textes canadiens peuvent être consultés et téléchargés gratuitement.

La France, quant à elle, vient tout juste de s'éveiller à cette nouvelle réalité qu'est la société de l'information. En effet, le gouvernement français présentait récemment, le 18 janvier, son programme d'action gouvernementale pour «Préparer l'entrée de la France dans la société de l'inform@tion».

Plusieurs comités et groupes de travail se sont penchés sur la question du contenu canadien sur l'inforoute, notamment le Comité consultatif sur l'autoroute de l'information du Canada. Je n'ai nullement l'intention de me substituer à eux. Néanmoins, je proposerai maintenant quelques balises pour l'élaboration d'une politique culturelle.

Cette politique devrait prévoir des mécanismes favorisant la création de contenu en français pour les inforoutes, tout en tenant compte des besoins dans ce domaine.

Le Canada fait actuellement figure de leader dans l'espace francophone en ce qui a trait à l'utilisation des inforoutes. Il fait même figure de leader mondial. Une politique culturelle lui permettrait de continuer à contribuer à l'essor du français dans Internet et sur les inforoutes, en particulier dans les domaines de la création de contenus multimédias en français et de l'accès aux technologies.

Cette politique devrait cibler plusieurs domaines d'intervention. J'en mentionnerai quelques-uns: le soutien à la création de contenus multimédias en français; la formation aux technologies de l'information et de la communication; la numérisation et la diffusion du patrimoine culturel; et l'accès à la technologie.

Je vous remercie de votre attention.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Nadeau.

[Traduction]

Passons aux questions. Monsieur Abbott.

M. Jim Abbott (Kootenay—Columbia, Réf.): Merci à nos trois témoins. Vos exposés nous donnent matière à réflexion. Pour gagner du temps, je vais formuler trois observations pour nos trois témoins qui voudront peut-être y réagir.

• 1155

La première s'adresse à Mme Noel. À la page 3 de votre exposé, vous dites: «La solution mitoyenne consisterait à offrir aux fournisseurs de services un «moyen de défense» pour se soustraire à la responsabilité juridique...». C'est quelque chose qui me préoccupe énormément. Peut-être que vous pourriez m'aider. À vous entendre, c'est comme s'ils étaient coupables jusqu'à ce qu'ils prouvent leur innocence, ce qui va à l'encontre des fondements mêmes de notre système judiciaire.

Deuxièmement, vous dites:

    Pour revenir à l'analogie du poste de péage, la question est de savoir si ceux qui offrent l'accès à l'inforoute devraient être responsables de ce que font les usagers une fois sur l'inforoute.

C'est comme si on rendait responsable le propriétaire privé d'une autoroute de ceux qui, sur cette dernière, font une queue de poisson à l'automobiliste qui les précède ou le poussent dans le fossé, ou rendre ce propriétaire responsable lorsqu'un camion, en perdant une roue, cause la mort de quelqu'un, toutes choses qui peuvent se produire sur une autoroute lorsqu'il y a circulation. En quoi cela serait-il la responsabilité du propriétaire? Peut-être voudriez-vous bien m'éclairer sur ce point.

C'est votre mémoire, monsieur Gray, qui m'a paru le plus problématique. En effet, vous déclarez, à la page 3, que «les idées de droite ont progressivement fait leur chemin dans l'économie et la société canadienne au cours des années 80». Si j'ai un peu de mal à vous comprendre, c'est que vous me paraissez vous faire une idée bien ancrée d'un socialisme utopique qui régnerait au Canada.

J'en arrive à votre recommandation de «réglementer le contenu étranger, et non le contenu canadien», mas je ne vois pas la différence. Que pouvons-nous faire contre la convergence technologique? À moins d'élever un rideau de fer pour nous protéger des satellites, la réalité veut que les gens aient accès à toutes sortes d'émissions étrangères, et toute velléité d'exercer un contrôle canadien se heurte à des difficultés technologiques insurmontables... Pourriez-vous m'éclairer sur ce point et me faire comprendre la différence entre la réglementation du contenu étranger et celle du contenu canadien.

Enfin, monsieur Nadeau, je sais bien que le réseau web diffère considérablement du téléphone, mais les deux ne sont toutefois pas sans similitude. Je craindrais fort, si nous devions adopter des mesures à cet égard, que—pour reprendre l'analogie de Mme Noel, celle de l'autoroute—nous avons atteint le maximum de voitures anglaises que nous autoriserons à circuler sur l'autoroute, et que les voitures qui circuleront maintenant, soit 25 p. 100 du total, devront être françaises. Voilà ce que je redouterais, et je suis sûr que tous ceux qui sont de langue allemande, italienne ou autre et qui veulent communiquer dans d'autres langues s'associeront à moi sur ce point. Là encore, pourriez-vous mettre les choses au point.

Vous disiez qu'on devrait davantage encourager le français sur Internet, et je suis d'accord sur ce point, mais j'aimerais vous l'entendre confirmer. C'est ce qu'il me semble avoir entendu, mais vous voudrez peut-être nous en dire davantage là-dessus.

Le président: Madame Noel.

M. Mauril Bélanger: C'était un rideau de fer virtuel sur les satellites?

M. Jim Abbott: C'est exact.

Mme Wanda Noel: Je viens d'échanger quelques réflexions avec M. Gray sur la deuxième partie de votre question: vous avez mis le doigt sur l'une des controverses les plus brûlantes. Aux États-Unis, une grosse campagne a été menée à propos d'un projet présenté au Congrès et portant sur la responsabilité des fournisseurs de services. Ce projet de loi a soulevé une controverse telle qu'il n'a pas encore été acheminé jusqu'à la Chambre des représentants.

L'analogie que nous avons empruntée, c'est celle du propriétaire d'une autoroute, qui est responsable de sa signalisation, par exemple, sans pour autant être responsable des camions qui, sur l'autoroute perdent une roue. Nous voudrions donc vous faire remarquer qu'il y a distinction entre l'entretien—par exemple le marquage de bandes sur l'autoroute—et les cas de négligence qui se présentent sur cette même autoroute.

Je voudrais également vous faire remarquer qu'entre juristes nous échangeons souvent des sourires et disons que nous avons trouvé une solution typiquement canadienne, à savoir un compromis entre deux extrêmes opposés: d'une part la pleine responsabilité imposée au fournisseur de services, d'autre part l'absence totale de responsabilité. La troisième option, au Canada, c'est que ce mécanisme de défense soit introduit dans la Loi sur le droit d'auteur, qui permettrait à un fournisseur de services de dire qu'il était ignorant de la situation, qu'il ne connaissait pas les faits et qu'il ne peut donc pas être responsable de ce qui a eu lieu.

• 1200

M. Jim Abbott: Serait-il préférable de présenter la situation en termes positifs, en disant par exemple: «Si quelqu'un peut prouver qu'il connaissait les faits... ?» On déplacerait ainsi le fardeau de la responsabilité.

Mme Wanda Noel: Voilà une question intéressante, mais je ne suis pas sûre de la réponse. Je préférerais m'abstenir de prendre position là-dessus, car j'aimerais voir exactement comment cela fonctionne dans la pratique. Aux États-Unis, où l'entière responsabilité a été imposée, il y a eu des litiges.

Permettez-moi également de préciser que la responsabilité dont il est question ici n'est pas une responsabilité criminelle, ce qui est bien le cas lorsqu'une roue s'est détachée d'un camion. Il s'agirait, en l'occurrence, d'une responsabilité civile, qui donnerait le droit au fournisseur de contenu de dire: Vous avez utilisé mon contenu, et vous devriez être responsable de cette utilisation.

M. Jim Abbott: Je vous remercie.

Le président: Monsieur Gray.

M. John Gray: Lors de la dernière conférence du GATT, je siégeais au comité et pour la première fois la question de diversité culturelle a été traitée; elle a d'ailleurs également été traitée à l'UNESCO et au sein d'autres groupes internationaux.

Ce que l'on craint, c'est qu'au fur et à mesure que la propriété et le contrôle convergent et comportent un nombre de plus en plus réduit d'intervenants, et de cultures identifiables, c'est la diversité culturelle qui s'en va à vau-l'eau. C'est là ce qu'on redoute aux États-Unis, en Europe, en Afrique et en Amérique du Sud. Autrement dit, quand il s'agit de réglementation du contenu, nous sommes isolés, parce que c'est de nous que nous nous préoccupons. Quand on en vient au règlement du contenu étranger, nous avons partout des alliés, car un grand nombre d'autres pays sont touchés au même titre que nous.

C'est ce que je voulais dire lorsque j'affirmais que dans le monde de demain, une culture ne pourra plus survivre sans l'aide d'autres pays. Nous ne pouvons nous enfermer dans une tour d'ivoire et dire: ceci est contenu canadien et notre culture doit comporter telle ou telle quantité de contenu canadien. C'est une position indéfendable, qui nous prive en même temps d'alliances précieuses qui nous permettraient de veiller à ce que le monde du siècle qui s'annonce présente une diversité aussi grande que celle qu'il a à présent. C'est là vraiment le problème essentiel.

Autrement dit, à bien des égards c'est exactement l'opposé. Il semblerait que la réglementation du contenu étranger ou la réglementation du contenu canadien, c'est blanc bonnet et bonnet blanc. Bien d'autres pays font cela en fait. Nous parlons de réglementation au Canada, mais c'est une anomalie: l'Australie ne réglemente pas le contenu australien, elle réglemente le contenu étranger parce que l'objectif est différent. Nous n'essayons pas de protéger le contenu canadien, mais d'assurer la diversité; nos visées sont donc toutes différentes.

[Français]

M. Jocelyn Nadeau: Pour vous rassurer, je ne propose pas qu'une politique favorise les contenus en français au détriment des contenus en anglais. Cependant, comme je le mentionne, il y a chez les francophones le réflexe de produire automatiquement en anglais tous les textes déjà produits en français et parfois même de ne pas les produire en français et d'utiliser directement l'anglais.

Donc, cette politique devrait informer les utilisateurs francophones de l'importance de publier aussi en français et d'abord en français. Je pense que c'est cet aspect-là qu'il faut surtout retenir.

La méthode utilisée pour vérifier quel est le contenu français par rapport au contenu anglais n'a rien de précis. Elle comporte de nombreuses variables que l'on ne contrôle pas. Elle nous permet tout simplement d'avoir un aperçu de la présence francophone. Encore là, on ne peut pas distinguer quels organismes francophones publient en anglais et vice versa.

Donc, il ne faut pas voir en cela une façon d'arrêter le développement ou le soutien des contenus en anglais pour ne fournir un soutien qu'au développement du contenu en français. Il faut continuer à favoriser les deux, mais le domaine francophone est un domaine particulier qu'on devrait traiter d'une façon particulière.

Le président: Madame Tremblay.

Mme Suzanne Tremblay (Rimouski—Mitis, BQ): Merci aux trois présentateurs. Chaque fois, je découvre que j'en sais de moins en moins même si je suis informée. Je me demande si on pourra jamais finir par faire le tour d'un tel sujet.

• 1205

Vos présentations ont soulevé plusieurs interrogations, bien sûr, entre autres la vôtre, madame Noel.

Dans le domaine des brevets pharmaceutiques, le fait qu'on ait pris des mesures pour garantir aux titulaires que leurs brevets seraient protégés pour une période de 20 ans a permis de créer des centres d'excellence dans tout le pays, pour que des gens puissent investir là-dedans et que d'autres soient sûrs de conserver leur emploi, soient motivés, etc.

Si on tentait d'établir un parallèle avec l'autoroute de l'information, comment pourrait-on relier la protection des droits d'auteur au développement économique par le biais de cette autoroute? Est-ce que cela pourrait aider le développement économique?

[Traduction]

Mme Wanda Noel: Il est intéressant, madame Tremblay, d'examiner les statistiques portant sur l'activité économique liée à la création, la production, la distribution et la consommation de ce que ce comité appelle le contenu. En réalité, il s'agit d'émissions, de magazines, de films et de livres, toutes choses qui sont source d'une productivité considérable.

Quant à la direction que je vois prendre à l'autoroute, c'est par elle que passera la distribution d'une grande partie de ce contenu. Ce sera une voie économique comme une autre, et de notre vivant encore ce pourrait être la méthode par laquelle nous consommerons les produits culturels. À cet égard, il est très important pour celui qui crée ce contenu—livres, magazines ou films—à l'origine même de cette chaîne, qu'une protection juridique suffisante lui soit accordée pour lui permettre, par cette même chaîne, de s'assurer des profits lorsque la distribution de ces produits se fait par l'inforoute.

Je pense que le lien est fondamental, et le Conseil consultatif sur l'autoroute de l'information en est tout à fait convaincu car on voyait là la pierre angulaire, l'assise en quelque sorte, du développement économique de l'autoroute de l'information.

[Français]

Mme Suzanne Tremblay: Je voudrais prendre un cas concret pour arriver à comprendre comment cela pourrait fonctionner. Prenons l'exemple du médecin de M. Mitterrand qui a publié un livre. On a considéré, en France, qu'il violait le secret professionnel. Donc, le livre a été interdit de publication. On l'a même retiré des librairies où il était déjà en vente. Un café suisse a décidé de le publier sur le Web. On a pu le télécharger n'importe où dans le monde. L'auteur, lui, n'a touché aucun profit et son livre, tout le monde l'a lu.

Comment pourrait-on arriver concrètement à empêcher qu'une telle chose se produise?

[Traduction]

Mme Wanda Noel: Toute une série de solutions ont été avancées un peu partout dans le monde. Jusqu'à présent, étant donné la nouveauté du web, ces solutions ont pris la forme d'une tentative d'attaque contre la pornographie. Je pense que c'est là le premier seuil où on tentera de contrôler la diffusion de matériel pornographique par le web. Je pourrais vous donner quelques exemples.

À Singapour, où la société est relativement stricte, tous les serveurs, ceux-là qui permettent le chargement ou le téléchargement de matériel sur le web, doivent être enregistrés auprès d'un organisme qui est un peu l'équivalent de notre CRTC. Voilà l'une des solutions qui a été mise de l'avant.

En Allemagne, certains fournisseurs de services ont été inculpés parce qu'ils avaient permis la diffusion de matériel pornographique sur le web. Bien entendu, cela est devenu depuis une source majeure de litige sur le plan international étant donné que le matériel pornographique en question provient des États-Unis, de l'Ohio, alors que ce sont les serveurs allemands qui se sont retrouvés devant les tribunaux.

Tout récemment encore, aux États-Unis, la Cour suprême a jugé inconstitutionnel une loi qui criminalisait la distribution de matériel pornographique sur Internet aux États-Unis. La Cour suprême a jugé qu'il s'agissait d'une violation de la liberté d'expression aux termes de la Constitution des États-Unis.

• 1210

Je sais que cette réponse est un peu tortueuse, mais il y a en fait trois façons de procéder différentes. La façon réglementaire, comme à Singapour, qui passe par le biais d'un organisme de réglementation de la radiodiffusion, et la deuxième est le mode législatif comme aux États-Unis.

Au bout du compte, s'agissant du contrôle, dans ce cas-ci il s'agit du contrôle exercé par l'État, mais le même problème se pose lorsque le contrôle est exercé par l'individu. Dans le cas du livre que vous citiez en exemple, on en ferait une interdiction probablement au plan civil, mais sans pour autant l'ériger en délit. En revanche, vous avez tout à fait raison de dire que le contrôle de ce qui passe sur Internet est une autre question extrêmement importante. D'autres pays s'en sont saisis de différentes manières, mais je ne pense pas qu'il y en a un qui ait réussi à trouver une solution entièrement satisfaisante.

[Français]

Mme Suzanne Tremblay: J'aurais une autre question. Vous dites que c'est la cour plutôt que les parlementaires qui devrait statuer sur les droits d'auteur sur l'inforoute. Je sais que les parlementaires ont longuement réfléchi entre la première et la deuxième phase de l'étude de la Loi sur les droits d'auteur. Or, si on veut faire quelque chose pour protéger l'autoroute, il faudrait s'engager dans une troisième phase.

Comment la cour pourrait-elle décider quelque chose si elle n'a pas de cadre référentiel dans le domaine législatif? Habituellement, on s'adresse à la cour parce qu'on ne s'entend pas sur l'interprétation d'une loi. C'est très souvent ainsi. Comment pourriez-vous faire que cela relève de la cour plutôt que de la responsabilité des parlementaires?

[Traduction]

Mme Wanda Noel: Je pense que le Parlement et la justice auront tous deux un rôle à jouer dans le développement de l'autoroute de l'information.

En premier lieu, les règles du jeu, les lois si vous préférez, sont fixées par le Parlement, et l'une des questions qui est en discussion maintenant depuis 1995 est celle de savoir si ces règles suffisent en l'état ou s'il faut les modifier. Cela est bien sûr le rôle du Parlement. Les tribunaux devront ensuite interpréter ces règles fixées par le Parlement.

Le président: Madame Lill, si cela ne vous dérange pas, pourrais-je donner la parole à M. Bélanger qui doit nous quitter bientôt?

M. Mauril Bélanger: Monsieur le président, j'ai une toute petite question et également un mot de remerciement pour M. Gray.

Je vous remercie d'avoir aussi bien articulé votre pensée. Elle appelle à la réflexion et nous allons devoir y réfléchir. Il vous a fallu des mois et des mois pour y arriver, et j'espère donc...

M. John Gray: Je ne me suis toujours pas fait à l'idée que le fait de passer de Trudeau à Mulroney équivalait à un virement à gauche.

Des voix: Oh, oh!

M. Mauril Bélanger: Cela aussi, nous allons devoir y réfléchir un tantinet.

[Français]

Monsieur Nadeau, je suis confondu d'apprendre que c'est dans le monde entier, enfin dans la Francophonie tout entière, que les ratios ne correspondent pas. On le voit au Canada ainsi que sur le plan international. Est-ce qu'il y a des idées qui émergent, au niveau international, sur la façon de régler cela, peut-être même techniquement? Par exemple, est-ce qu'il est question, quelque part, d'un logiciel qui pourrait faire la traduction de textes sur l'Internet?

Est-ce que ce sont des choses qu'on envisage ou non? J'imagine qu'il y aura un coût à cela et que l'État ou les États francophones, ou la Francophonie en général, pourraient intervenir Jusqu'où vont les réflexions futuristes?

M. Jocelyn Nadeau: La traduction automatique de textes est un domaine qui avance actuellement mais qui n'est pas au point. Par exemple, le moteur de recherche Alta Vista dans Internet permet la traduction de pages Web en plusieurs langues actuellement. Cependant, on a expérimenté le traducteur automatique en lui demandant de traduire «Super Bowl», qui existe comme expression dans un contexte que l'on connaît bien. La traduction proposée a été «cuvette spéciale».

Il y a une difficulté évidente: c'est que bien des mots ont plusieurs sens. Donc, il faut toujours appliquer un mot au contexte. La difficulté qui se pose dans le domaine de la traduction automatique, c'est celle du contexte. Un énoncé aussi simple que «il a laissé tomber le verre sur la table et il s'est brisé» est transformé par la traduction automatique en un énoncé qui dit que la table s'est cassée et non le verre. Un être humain aurait compris immédiatement que c'est le verre qui a dû se casser.

• 1215

Donc, il y a des progrès et on continue d'y travailler. Les compagnies canadiennes, comme Alis Technologies Inc., travaillent beaucoup sur les aspects linguistiques et sur Internet, tant par les navigateurs qu'ils ont mis au point et qui nous permettent d'afficher des pages jaunes multilingues que par les outils de traduction automatique.

[Traduction]

Le président: Madame Lill.

Mme Wendy Lill: Je vous remercie. Je suis vraiment très heureuse d'être ici et je dois avouer que l'essentiel de tout cela est un peu confus...

[Note de la rédaction: difficultés techniques]

Depuis que je suis ici, c'est-à-dire un mois ou deux, j'ai l'impression que le réseau Internet suscite à un genre de sentiment d'impossibilité absolue—c'est-à-dire qu'en fait, nous ne pouvons que rester à accepter ce qui nous arrive parce qu'il est absolument impossible de mitiger ou de réglementer ce genre de chose. J'ai donc beaucoup aimé ce que vous aviez à nous dire car c'était une réflexion extrêmement intelligente, une réflexion critique sur la nature même de l'animal, nous montrant qu'il s'agit en fait simplement d'une forme de radiodiffusion comme les autres et que, partant, il est possible de la réglementer. Voilà donc qui me libère de ce genre de réflexion.

J'aime également beaucoup l'idée de changer un petit peu de perspective en ne pensant plus seulement à limiter le contenu canadien, mais en pensant aussi à limiter le contenu étranger. Plutôt que de se dire que le contenu canadien est quelque chose qu'il faut bien accepter, on reconnaît que c'est l'essence même de ce que nous sommes et que le contenu étranger est un genre d'extra, dont nous pouvons profiter en plus de ce dont nous profitons déjà et qui nous appartient. Voilà donc mes réflexions et je vous remercie de me les avoir inspirées.

Je suis personnellement intervenue dans tout le dossier de CANCOPY, c'est-à-dire la formule permettant aux auteurs dont les ouvrages sont en bibliothèque de toucher un genre de droit d'auteur, ce qui était un processus très difficile et de très longue haleine. J'aimerais savoir comment vous voyez ce genre de chose dans le cas d'Internet et celui des journalistes, par exemple. Je sais qu'il y a déjà une série de causes types qui ont été mises en route, et j'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. John Gray: Si vous me permettez de revenir... Nous avons passé un temps fou là-dessus dans le cas de l'autoroute de l'information. En fait, l'impossibilité apparente d'Internet est une illusion parce que ce qu'il faut en réalité, c'est un ensemble d'intervenions nationales et d'accords internationaux un peu comme dans le cas de la Convention de Genève. Ces accords sont indispensables, de même que ceux qui concernent le codage et tous les autres mécanismes qui permettent la réglementation de l'autoroute de l'information.

Dans une certaine mesure, il s'agit d'autoréglementation étant donné que sans titre de propriété et sans responsabilité, il n'y a évidemment aucune valeur. S'il m'est impossible d'être rémunéré pour ce qui vient de moi et qui passe sur Internet, eh bien je ne mettrai plus rien sur Internet. Ce que vous aurez en fait, c'est un secteur commercial où il n'y aura que pagaille et pillage, de sorte que l'instrument deviendra inutile et sans valeur. C'est pour cette raison que je parle d'autoréglementation, mais il n'empêche qu'un ensemble d'interventions aux plans national et international...

Mme Wendy Lill: Je vous suis.

Mme Wanda Noel: J'imagine que mon analogie était la bonne lorsque j'ai pris l'exemple de la photocopie, parce que vous pouvez parfaitement comprendre que le problème n'était pas dû aux mécanismes de protection, mais bien à la façon de les mettre en oeuvre.

Nous allons maintenant, je crois, voir apparaître des questions d'application des règles, là où il y aura une menace économique suffisante pour permettre de contester les mécanismes d'application sur l'autoroute de l'information. Le gouvernement a été relativement prompt à répondre, en ce sens qu'il a rapidement légiféré pour que CANCOPY puisse se constituer et devenir fonctionnel. Cette loi n'a été proclamée qu'en 1988, et à l'heure actuelle, c'est-à-dire 10 ans plus tard, les recettes de CANCOPY sont de l'ordre de plusieurs millions de dollars. Ainsi donc, s'il faut des modifications, je pense que la loi peut s'adapter en prévoyant une infrastructure permettant la collecte de redevances pour tout ce qui est utilisé sur Internet.

Mme Wendy Lill: Puis-je encore poser une toute petite question?

Le président: Très rapidement, je vous en prie.

Mme Wendy Lill: Vous avez parlé de l'idée que la propriété est le centre même... Comme vous le savez, de plus en plus tout se concentre entre les mains d'un nombre de plus en plus petit de protagonistes. C'est un peu comme David et Goliath. Il y a, quelque part au Canada, un journaliste qui dit: «Un instant, c'est ce que j'ai écrit qui passe sur Internet. C'est moi qui ai écrit cela, cela m'appartient, et vous n'avez pas le droit en tant qu'organe de presse international de faire passer cela de cette façon sans rien me payer.»

• 1220

Que se passe-t-il ici? Que va-t-il se passer selon vous dans les cas types comme celui de Heather Robertson?

M. John Gray: Pour commencer, il a toujours incombé à la partie qui s'estimait lésée de demander que le droit d'auteur soit respecté. Si quelqu'un monte votre pièce sans votre autorisation, c'est à vous de lancer les recours nécessaires. Ce n'est pas la police qui va le faire à votre place. Par conséquent, c'est la réalité dans ce cas-ci.

Qu'est-ce qui va venir épauler l'individu? Sera-ce la même chose que dans le cas d'un droit d'auteur sur un ouvrage, une convention internationale comme la Convention de Genève qui fait en sorte que quiconque offre un produit culturel se trouve mis à l'index parce qu'il aurait violé un accord international?

Le président: Merci.

Je vais maintenant passer la parole à M. Muise.

J'aimerais lui demander après la réunion, monsieur Gray, s'il accepte le qualificatif de gauchiste que vous lui avez appliqué.

Des voix: Oh, oh!

[Français]

M. Mark Muise (West Nova, PC): Premièrement, j'aimerais vous remercier, monsieur le président, sans rien ajouter à vos commentaires pour le moment.

Deuxièmement, j'aimerais remercier les témoins qui sont parmi nous aujourd'hui. Comme Mme Tremblay l'a fait remarquer, à chaque fois que quelqu'un vient nous faire une présentation, cela nous révèle la complexité de la chose. C'est toujours difficile, mais c'est bon d'entendre tous ces différents points de vue pour arriver à saisir le phénomène.

[Traduction]

Quelqu'un a mentionné tout à l'heure que les tribunaux allaient trancher. C'est aux parlementaires qu'il appartient d'adopter les lois qui permettront aux tribunaux de trancher. J'aimerais savoir si la Loi sur le droit d'auteur devrait être modifiée, surtout qu'il y a lieu de se demander, comme M. Gray l'a fait, quel intérêt peut avoir Internet si on ne peut y intégrer des éléments ayant une valeur pour laquelle il est possible d'être indemnisé? Je me demande si pour que cela se produise il conviendrait d'apporter des changements à la Loi sur le droit d'auteur. Et dans l'affirmative, quel genre de changements?

Deuxièmement, quelles autres mesures de soutien le gouvernement fédéral pourrait-il adopter pour contribuer à protéger le matériel protégé par le droit d'auteur sur Internet?

Mme Wanda Noel: Quels changements devrait-on apporter? À l'heure actuelle, le gouvernement fédéral, par l'entremise d'Industrie Canada et de Patrimoine Canada, fait des efforts pour déterminer si des changements sont nécessaires. Comme je l'ai expliqué dans mon exposé, les opinions sont extrêmement polarisées. Les membres du comité qui ont participé à l'examen du projet de loi sur le droit d'auteur savent à quel point les opinons peuvent être polarisées. Tout le dossier est très controversé car nous sommes en présence de deux groupes d'intérêts qui sont polarisés.

À ce stade-ci, on n'a pas encore déterminé si des changements sont nécessaires ou non. Personnellement, je pense que lorsque la bête économique aura été suffisamment saignée, il y aura un mouvement pour panser les blessures qui lui auront été infligées, mais à l'heure actuelle—au Canada, en tout cas—, il n'y a pas eu de pertes économiques suffisantes pour que le gouvernement subisse d'énormes pressions en faveur de changements à la Loi sur le droit d'auteur. J'en conclus qu'à l'heure actuelle, la protection n'est pas un problème.

M. John Gray: Si je puis me permettre d'intervenir, nous devons être prudents lorsque nous faisons des hypothèses au sujet Internet et de sa réglementation car bien souvent, nos hypothèses sont inspirées de la situation aux États-Unis. Aux États-Unis, il n'existe pas de droit de radiodiffusion. Ce droit n'existe pas là-bas. Au Canada, il existe un droit de radiodiffusion qui engloberait toute communication à plus d'une personne, à l'exclusion d'une communication privée.

Par conséquent, nous avons déjà de nombreuses lois qui sont tout à fait applicables à ce nouveau média. La situation n'est pas aussi sérieuse qu'il y paraît.

Le président: Ont demandé la parole M. O'Brien, suivi de M. Godfrey, M. Bonwick, Mme Bulte et Mme Tremblay.

Monsieur O'Brien.

• 1225

M. Pat O'Brien (London—Fanshawe, Lib.): Merci, monsieur le président.

Je remercie les témoins. Mme Noel nous a rappelé nos délibérations sur le droit d'auteur, et ceux d'entre nous qui sont passés par là ne sont pas prêts de les oublier. Je vous remercie de l'information fort stimulante que vous nous avez communiquée aujourd'hui.

Madame Noel, je voudrais revenir aux propos de M. Abbott car je partage ses préoccupations. Je ne pense pas qu'on y ait répondu de façon satisfaisante. Peut-être pourrions-nous fouiller davantage la question.

À la page 3 de votre mémoire, vous parlé de compromis et du fardeau juridique imposé à la personne qui doit prouver son innocence. Cela suscite chez moi une inquiétude fondamentale. Je sais que nous sommes en territoire inexploré pour ce qui est d'Internet et de l'inforoute. Pourriez-vous nous aider à comprendre ce qu'il en est? Je ne suis pas avocat, mais il me semble que ce genre de décision pourrait facilement être contestée ou susciter des poursuites. Est-ce vraiment la meilleure façon de procéder? Cela ne va-t-il pas créer tout un fouillis juridique?

Mme Wanda Noel: La notion d'offrir des arguments de défense face à des allégations de violation du droit d'auteur n'est pas nouvelle dans la Loi canadienne sur le droit d'auteur. En guise d'exemple, on y trouve une phrase qui s'apparente à une soupape de sécurité, en ce sens qu'elle précise que les utilisateurs de matériel assujetti au droit d'auteur peuvent traiter équitablement les oeuvres en question. Par conséquent, en cas de litige, lorsque le titulaire du droit d'auteur se plaint de ce qu'il y a eu violation de son droit, la personne poursuivie peut plaider qu'elle a agi équitablement. Dans votre argumentation, vous pourriez dire: «C'est vrai, j'ai fait cela, mais c'est défendable étant donné que je n'étais pas au courant de tout.»

Pour ce qui est de la structure de la Loi sur le droit d'auteur, ce n'est pas une aberration. Je conviens que s'il s'agissait d'une question de nature criminelle, cela serait très différent car ce principe ne s'applique pas du tout en droit pénal.

M. Pat O'Brien: Merci.

Monsieur Gray, l'idée que vous avez avancée à la page 3 de votre mémoire, c'est-à-dire réglementer le contenu étranger plutôt que le contenu canadien, a sans doute attiré l'attention de tous les membres du comité. C'est une approche très intéressante et j'aimerais l'explorer brièvement avec vous.

Je vais évoquer l'Agence d'examen de l'investissement étranger et le domaine économique. J'ai beau être un libéral avec un l majuscule et un libéral avec un petit l dans certains dossiers, j'ai appuyé l'AEIE. Je ne suis pas sûr que cette initiative a été un succès ou autant un succès que certains l'avait espéré. Je pense que je pourrais vous concéder cela.

Compte tenu de la tentative économique que nous avons faite par l'entremise de l'AEIE, je peux vous dire que votre idée me plaît, mais je vois mal comment on pourrait la concrétiser.

M. John Gray: La différence entre l'Agence d'examen de l'investissement étranger et ce que nous proposons en l'occurrence, c'est d'abord que l'agence était le fruit d'une initiative unilatérale. Aucune règle relative au contenu étranger ne pourrait être appliquée unilatéralement. Nous ne pourrions le faire qu'en collaboration avec d'autres pays placés dans des situations culturelles analogues.

Deuxièmement, pour ce qui est de l'objet de la Loi sur l'examen de l'investissement étranger, d'une certaine façon vous avez raison de dire qu'il est très semblable, sauf que nous nous sommes dit à un moment donné que la provenance de l'argent importait peu, pour autant que nous puissions exercer un certain contrôle une fois qu'il arrive ici. Voilà essentiellement le consensus qui existait au moment où nous avons graduellement abandonné l'AEIE.

Dans le cas de la culture, cela n'est pas tout à fait exact. Permettez-moi de vous donner un exemple. Prenons la radio de la SRC par rapport à la télévision de la SRC. C'est un bon exemple. La radio de la SRC est issue d'un système préexistant du CPR qui avait un service de radio d'un océan à l'autre. Par conséquent, elle est née de la demande existante. La radio de la SRC est issue d'une demande des régions, de sorte qu'elle a toujours eu tendance à refléter davantage le point de vue régional que la télévision de la SRC, laquelle a vu le jour parce que les Canadiens par milliers achetaient des appareils de télévision et se syntonisaient sur les stations américaines.

La première distinction en l'occurrence, c'est que la radio de la SRC a vu le jour en réponse aux voeux des Canadiens. Quant à la télévision, elle n'a pas été créée pour refléter la culture canadienne, mais pour protéger la culture britannique contre la culture américaine. Évidemment, nous avons perdu étant donné l'absence de soutien de la population.

• 1230

Et maintenant? Nous avons une radio et une télévision d'État qui reproduisent non seulement le contenu américain mais aussi l'idée que se font les Américains de ce qu'est la télévision. Dans le domaine de la culture, on n'importe pas uniquement la culture; on importe les critères en fonction desquels on évalue cette culture.

Pour ce qui est de la télévision canadienne, nous sommes en présence non pas d'un radiodiffuseur public avec la télévision de la SRC, mais d'un radiodiffuseur privé édulcoré, c'est-à-dire un radiodiffuseur dont le but n'est pas d'offrir des émissions à différents auditoires, mais d'offrir ces auditoires aux commanditaires, ce qui est indéniablement la différence entre un diffuseur public et un diffuseur privé.

Voilà dans les faits ce qui s'est produit. Nous avons importé non seulement les émissions américaines, mais aussi les critères américains.

La troisième chose que je veux dire, c'est que même si nous n'en avons pas parlé ensemble, il y a un thème qui revient constamment, soit que la protection de la diversité est le plus grand problème de contenu que suscite le nouveau média.

Deuxièmement, c'est un problème international qu'on ne saurait régler unilatéralement, mais qui exige une contribution nationale.

Troisièmement, cela est au coeur de la notion de responsabilité pour le contenu. Sans responsabilité, pas de valeur.

M. Pat O'Brien: Merci.

Monsieur le président, j'ai...

Le président: J'ai d'autres demandes. Je vous reviendrai, monsieur O'Brien.

Monsieur Godfrey.

M. John Godfrey (Don Valley-Ouest, Lib.): Je dois dire que cette séance a été formidable.

J'aimerais bien discuter avec vous, John Gray. Votre mémoire renferme plein de choses intéressantes. Je souhaiterais que nous ayons plus de temps. J'espère que vous reviendrez.

Pour être discipliné, et sur les instances du président, je vais poser des questions à Wanda Noel, des questions qui portent sur la nature technique d'Internet.

Le problème lorsqu'on pose ce genre de question, c'est qu'on a à faire avec une cible mouvante. Je sais que les trois sujets que je veux aborder sont des sujets dynamiques. Il s'agit de questions portant sur l'accès, sur la convivialité technique et sur ce que j'appellerais «les titulaires de droits les plus touchés».

Premièrement, l'accès. Vous avez comparé l'usage d'Internet à l'usage de rubans vierges, de photocopieurs, Xerox, etc. Ce qui m'intéresse, c'est combien de Canadiens ont un accès efficace et constant à Internet, par rapport à ceux qui sont techniquement branchés et qui s'en servent à l'occasion. Je voudrais savoir aussi combien d'entre eux ont des machines suffisamment puissantes pour télécharger une documentation impressionnante, par rapport à ceux qui se bornent à la parcourir.

Si l'on devait comparer, par exemple, le nombre de propriétaires de vidéocassettes et la relative facilité d'usage des vidéocassettes, sauf pour la fonction temps, vous constaterez qu'il y a une disproportion énorme. On compte beaucoup plus de gens qui se servent de cette technologie. Quand arriverons-nous au point—et c'est ma question—où l'accès à Internet sera aussi répandu? Quelles sont les meilleures hypothèses là-dessus?

Deuxièmement, les questions techniques. M. Gray a fait allusion aux problèmes de protection qui peuvent se poser techniquement. Sous leur forme la plus aiguë, on songe aux transactions commerciales. Est-il sûr d'utiliser la carte Visa pour commander des articles sans crainte que quelqu'un en intercepte le numéro? Où en sommes-nous pour ce qui est de protéger un livre ou une pièce sur Internet? Sait-on si la technologie pourra nous aider dans un proche avenir?

Troisièmement, la question des titulaires de droits les plus touchés. Voici ce que j'entends par là. À l'heure actuelle, je suppose que les personnes dont les droits sont les plus vulnérables sont les créateurs de textes. Je songe aux livres, magazines, pièces ou toute autre forme de textes car c'est la chose la plus facile à télécharger. Il est possible sur le plan technique de télécharger de la musique, des émissions de télévision et tout ce qu'on voudra. En fait, si on veut s'approprier la chanson de quelqu'un, on n'a qu'à ouvrir la radio et à l'enregistrer sur cassette. Ni vu ni connu. En outre, il y a des façons beaucoup plus faciles de copier un film que de se servir d'Internet pour le faire. Encore là, il s'agit d'une situation en évolution.

Les choses peuvent changer, mais je voudrais savoir qui est le plus saigné à blanc et comment on envisage l'évolution des choses pour les titulaires de droits.

Mme Wanda Noel: Je vais me pencher sur ma boule de cristal. Il est difficile de prédire la tournure des choses. Tout ce que je peux faire, c'est vous transmettre le fruit de ma réflexion personnelle.

Pour ce qui est de prévoir l'avenir, j'ai été personnellement stupéfaite de l'avancement rapide de la technologie au cours de ma propre vie professionnelle. Sans vouloir présumer du temps qu'il faudra, je ne pense pas que l'on doive attendre très longtemps avant de pouvoir accéder, en temps réel, à la fois à la musique et au film grâce à une connexion Internet.

• 1235

Nous avons un expert technique ici qui pourrait sans doute...

M. John Godfrey: Avec la qualité également.

Mme Wanda Noel: Avec la qualité, en temps réel, de sorte que lorsque vous téléchargerez votre image, vous ne l'obtiendrez pas ligne par ligne, vous l'obtiendrez en temps réel, comme sur la télévision.

Dans mon imagination, je me vois sans ordinateur personnel à mon bureau, sans télévision. J'aurai un seul écran à partir duquel je pourrai tout faire. Je recevrai mes coups de téléphone, et je pourrai tout faire sur un seul écran. Je pourrai acheter des livres et des disques. Je pourrai aussi écouter des films et envoyer mon courrier électronique. Voilà l'image que nous proposent les technocrates pour l'avenir, et d'après eux, cet avenir n'est pas très lointain.

Du point de vue législatif, il y a sans doute des choses que nous devrions faire pour préparer l'infrastructure juridique du pays en prévision de cet événement. Personnellement, je préférerais que cela se produise avant de devoir prendre position sur ce que devrait être l'infrastructure juridique, mais les choses bougent rapidement et il est très important que le travail actuel de préparation se fasse.

Quant à savoir si la technologie va fournir des solutions aux problèmes qu'elle a créés, je pense que oui, et dans une grande mesure. Les dispositifs de chiffrement sur Internet sont très efficaces et on s'en sert à l'heure actuelle. Déjà les spécialistes du droit d'auteur se demandent si l'on devrait interdire, autoriser ou autoriser partiellement l'ingénierie inverse de ces mécanismes. C'est une question qui sera soumise au Parlement, je le suppose, lorsqu'il sera saisi de la série d'amendements électroniques à la Loi sur le droit d'auteur.

M. John Godfrey: Ce sera un peu comme les satellites du marché gris.

Mme Wanda Noel: Exactement. Ce ne sont pas des questions faciles à résoudre car deux objectifs sociaux très importants sont en conflit. Il faut donc trouver un point d'équilibre entre l'accès et la protection.

Troisièmement, vous voulez savoir quels titulaires de droits sont les plus menacés par l'avènement de cette technologie. Jusqu'à maintenant, je conviens avec vous que ce sont les auteurs de textes qui étaient menacés par les photocopieurs et qui sont menacés aujourd'hui par cette capacité de télécharger l'information et d'avoir accès à des banques de données renfermant des collections littéraires entières et d'en extraire des articles, etc.

La Loi sur le droit d'auteur de 1988 renfermait des dispositions autorisant des organismes collectifs à se former et à fonctionner. À l'heure actuelle, ils s'intéressent à la photocopie uniquement mais on envisage d'accorder à ces organismes collectifs des droits électroniques de sorte que lorsqu'il y a usage électronique, un paiement s'ensuivra, tout comme un paiement est exigé lorsqu'une photocopie est faite.

M. John Godfrey: Cela sera-t-il plus facile à contrôler, sur le plan technique?

Mme Wanda Noel: C'est fort possible car on aura une preuve de l'usage en raison de la transmission électronique.

[Français]

Le président: Monsieur Nadeau.

M. Jocelyn Nadeau: Comme Mme Noel l'a mentionné, dès qu'un besoin se fait jour, la technologie évolue. Il y a quelques années, on disait qu'en 1996-1997 l'Internet serait saturé, que plus rien ne pourrait y circuler. Il circule de deux à quatre fois plus d'information qu'il y en avait alors, et la bande passante est encore plus libre qu'elle l'était à ce moment-là. Donc, la technologie continue à évoluer dans ce domaine.

À propos de la façon de contrôler l'accès à l'information, aux oeuvres des auteurs et des créateurs, il faut se dire qu'il y a deux types d'oeuvres. Il y a d'abord celles qui sont du domaine public et libres de droits. De ce côté, il n'y a pas vraiment de problème.

Il y a aussi les oeuvres que l'on voudrait diffuser sur Internet et dont on voudrait contrôler les droits. Je crois que la solution idéale, qu'on est en train de mettre en place, c'est celle qu'a adoptée CANCOPY, c'est-à-dire les micro-achats ou les micro-crédits sur Internet. Le problème, c'est qu'actuellement il en coûte très cher pour facturer 10¢, par exemple, pour lire un document. Mais la technologie, encore là, fait de grands pas et bientôt on pourra fonctionner par micro-crédits.

Le président: Merci beaucoup.

[Traduction]

Je demanderais la collaboration des députés et des témoins. Il nous reste environ une quinzaine de minutes car il y a d'autres questions à l'ordre du jour que nous devons régler à 12 h 55, de sorte que nous n'avons plus beaucoup de temps. Trois autres personnes ont demandé la parole, M. Bonwick, Mme Bulte et Mme Tremblay. Je vous demanderais donc de faire en sorte que vos questions et vos réponses soient brèves dans l'intérêt de tous les participants.

Monsieur Bonwick.

• 1240

M. Paul Bonwick (Simcoe—Grey, Lib.): Monsieur le président, ma question va dans la même veine que celle de M. Abbott, mais elle est quelque peu différente. Il était question de promouvoir ou d'accroître le niveau d'accès des francophones par rapport aux anglophones sur Internet. J'envisage quelque peu différemment le rôle du gouvernement, cela va de soi. S'il y a des lacunes en ce qui concerne l'une des langues officielles—je ne parle pas d'obtenir des sommes égales, mais je veux savoir comment le gouvernement s'y prend concrètement pour combler ces lacunes... Voilà précisément ma question. Y a-t-il des moyens à prendre que nous ne prenons pas maintenant? Comment le gouvernement peut-il contribuer à améliorer la qualité et l'exactitude de l'information et, ce qui est tout aussi important, accroître la capacité des francophones d'avoir accès à cette information?

[Français]

M. Jocelyn Nadeau: Oui. Comme je le mentionnais, l'un des aspects importants est l'accès à l'information. Les Centres d'accès communautaires sont en train de solutionner un peu ce problème. La difficulté avec les francophones, c'est qu'ils sont souvent répartis dans de petites communautés.

[Traduction]

M. Paul Bonwick: Des solutions, toutefois?

[Français]

M. Jocelyn Nadeau: La solution à cela, évidemment, c'est la formation. C'est amener les gens à comprendre la technologie. Et comme je le mentionnais, tout internaute peut être producteur et consommateur. Ce n'est pas compliqué de produire sur Internet; ce n'est pas compliqué de faire des choses en autant que l'on sache comment les faire et qu'on ait accès à la technologie. Donc, il faudrait privilégier ces choses-là.

Je ne sais pas si ça répond à votre question.

[Traduction]

M. Paul Bonwick: Non. Peut-être pourriez-vous suggérer des stratégies précises sur les moyens que pourrait prendre le gouvernement. Peut-être pourriez-vous faire une recommandation. Le temps nous presse.

M. John Gray: Je pense qu'il faudra une convention internationale sur la promotion de la diversité culturelle sur les plans intranational et international. Il ne suffit pas pour les pays de se porter à la défense de leurs propres intérêts, mais aussi de représenter des groupes parmi leurs propres citoyens pour qu'on reconnaisse ces peuples. Ce sont là les problèmes qu'on ne peut que partiellement régler si l'on agit unilatéralement. Nous n'avons pas de loi magique qui puisse nous permettre de le faire. Nous avons besoin d'accords internationaux.

Le Canada a l'avantage de pouvoir montrer la voie car non seulement nous jouissons d'une très grande crédibilité, mais nous avons aussi une très longue expérience de colonie.

Le président: Madame Bulte.

Mme Sarmite Bulte (Parkdale—High Park, Lib.): Ma question s'adresse à M. Gray. C'est à propos de son idée de changement de paradigme par opposition à une réglementation du contenu étranger.

Permettez-moi d'abord de vous exposer ma position. À mon avis, c'est à la création de produits artistiques originaux canadiens, quels qu'ils soient, qu'il faut donner la priorité. Sans ces produits, et sans leur version en langue française, nous risquons une perte de qualité.

Je crains que réglementer le contenu étranger ne se fasse aux dépens du contenu canadien... Débarrassons-nous de ces règlements, de ces promotions, pour garantir la présence sur les ondes de produits canadiens. Si nous axons tout sur la réglementation, ne voulant pas tout axer sur la création... plus il y a de création, plus il y a de qualité... que faire? Votre proposition de remplacement de la protection par la promotion ne nous permettra pas de promouvoir quoi que ce soit à moins qu'il y ait un environnement favorable à la création de contenus canadiens. Je vous renvois donc en fait à vos deux idées de départ.

M. John Gray: Le Canada n'a pas eu de problème de production pendant 20 ans. Nous avons un problème de distribution. C'est notre principal problème. Ce n'est pas la production. Les Canadiens, proportionnellement, produisent énormément. Notre problème c'est la distribution. Notre problème de cinéma, ce n'est pas que nous ne faisons pas de films, c'est que nous n'arrivons pas à trouver de salles pour les diffuser.

Une des grandes escroqueries, une des grandes manières d'éluder la question plutôt que de s'attaquer au véritable problème qui est celui de la domination totale des Américains, par exemple, sur nos salles de cinéma, nous nous lançons dans des initiatives comme celles de Flora MacDonald, par exemple. Pour ne pas avoir à s'attaquer au véritable problème, le gouvernement a essayé de le noyer en investissant dans la production. Nous continuons donc à produire. Pendant ce temps-là, il y a un système de distribution monolithique, un véritable trust qui reste en place, et cela frise l'escroquerie.

• 1245

De plus, si nous avons des problèmes de production, rien n'est irréversible. Dire que désormais nous nous efforcerons plutôt d'assurer la présence des produits canadiens sur la scène mondiale, plutôt que de nous battre simplement contre la domination américaine, ce n'est quand même pas la fin du monde et il n'y a rien de mal à cela.

Je ne vois pas de raison de supposer que les Canadiens ne consommeront pas de contenu canadien. Savez-vous que les Canadiens consomment autant de poésie canadienne que les Américains consomment de poésie américaine, proportionnellement, en chiffres absolus? La consommation et la production des Canadiens sont véritablement surprenantes.

Notre problème, c'est la distribution.

Mme Sarmite Bulte: Une dernière petite question et ce sera la même que celle que vous a posée M. Bonwick. Que nous recommandez-vous au niveau de la promotion?

M. John Gray: Pour commencer, il faut un changement de paradigme. Je n'ai pas la liste des lois.

Deuxièmement, il faut combiner des actions nationales et internationales, à la fois au niveau de la définition de nos problèmes distincts et de leur résolution mais aussi en formant des alliances avec des pays qui ont le même problème. Prenez l'Allemagne, la France, le Portugal, l'Espagne, l'Italie, l'Irlande et l'Écosse. Tous ces pays ont le même problème. Ils parlent tous de la même chose.

Mme Sarmite Bulte: Merci.

Le président: Madame Tremblay.

[Français]

Mme Suzanne Tremblay: Je vais poser une question assez rapide. Je vois toutes les difficultés que nous avons à essayer de négocier l'Accord multilatéral. On a des conventions internationales qui protègent les droits d'auteur, mais ma crainte avec l'inforoute de l'information, c'est qu'on se retrouve peut-être un jour avec des paradis virtuels, comme on a des paradis fiscaux. Je fais quelque chose de croche au Canada, vous me poursuivez, et je déménage aux États-Unis; vous me poursuivez aux États-Unis, je m'en vais finalement aux Bahamas, parce qu'on n'a pas été capable de faire une entente avec 180 ou 190 pays, et, finalement, j'aboutis dans le paradis virtuel et vous ne pouvez plus rien faire contre moi car mon site a été déménagé. Je trouve les idées de M. Gray très intéressantes, mais quand je vois la difficulté qu'on a avec l'AMI, je me demande comment on va faire pour arriver à une affaire comme celle-là pour l'inforoute.

[Traduction]

Mme Wanda Noel: La protection juridique offerte par la législation canadienne sur le droit d'auteur existe dans le monde entier. C'est comme cela que cela marche. Le Canada a ratifié plusieurs accords internationaux. Ces accords reposent sur ce qu'on appelle le principe du traitement national.

Le Canada promet de protéger les ressortissants de tous les pays qui adhèrent à ces conventions—celles-ci regroupent 112 pays membres—exactement de la même manière que nous protégeons les créateurs canadiens, et en retour ces pays protègent les Canadiens qui s'y trouvent exactement de la même manière.

Laissez-moi vous donner un exemple. Margaret Atwood écrit un livre au Canada. Margaret Atwood est protégée par la loi canadienne sur le droit d'auteur. Elle est aussi protégée par les lois françaises, allemandes, etc. sur le droit d'auteur. Il y a 112 pays.

L'inverse s'applique également. Lorsque des Français viennent au Canada, ils sont protégés par notre loi.

Il y a des normes minimums dans ces conventions. Des travaux sont entrepris sur le plan international afin d'assurer que l'utilisation et l'exploitation des autoroutes de l'information soient un des minimums offerts par ces conventions. Afin que ce que nous appelons une protection suffisante, une protection juridique, existe.

Le problème suivant, c'est de s'assurer que le respect de cette protection ne soit pas trop compliqué sur le plan pratique. C'est le problème qui va se poser au fur et à mesure du développement de ces autoroutes de l'information.

Ma réponse est donc affirmative, si cette protection juridique n'existe pas dans certains traités internationaux, ils seront modifiés ou adaptés en conséquence. Ensuite, nous verrons ce qu'il faut faire pour qu'ils soient respectés. Je ne pense pas que cela soit impossible. Je crois que cela marchera.

[Français]

Mme Suzanne Tremblay: Ce sera réel pour les 112 pays qui ont signé les traités, mais le paradis virtuel est toujours possible.

[Traduction]

Mme Wanda Noel: Oui, bien sûr, mais il reste que la majorité des pays économiquement importants appartiennent à ce groupe des 112. Il est donc concevable que l'on puisse le trouver.

Une voix: La Corée du Nord.

Le président: S'il y a encore d'autres questions, j'aimerais proposer aux membres du panel s'ils sont libres de se joindre aux députés pour le déjeuner. La discussion est tellement intéressante qu'ils aimeraient pouvoir continuer à vous questionner. Je ne pourrai malheureusement pas rester.

• 1250

Mme Bulte, Mme Redman et j'espère, Mme Tremblay.

[Français]

est-ce que vous pouvez assister?

[Traduction]

Et Mme Lill?

Mme Wendy Lill: Malheureusement je suis de service à la Chambre.

Le président: Oui, vous êtes de service à la Chambre. Si vous restez, ne vous en faites pas, nous parlerons à votre whip.

Mme Wendy Lill: Je ne sais pas si je peux.

Le président: Monsieur Muise.

M. Mark Muise: J'ai une ou deux autres choses à faire en même temps.

Le président: Qu'importe, que ceux et celles qui sont libres et qui peuvent rester restent et le greffier prendra les dispositions nécessaires.

Juste avant de partir, j'ai deux lettres. La première est de la présidente du Comité permanent de l'industrie concernant l'an 2000 et les ordinateurs. Elle nous suggère d'examiner ce gros problème.

J'ai aussi une lettre de M. Kelly, faisant suite à sa comparution devant le comité la semaine dernière. Il s'agit de corrections qu'il apporte à certains de ses propos. Le greffier vous fera parvenir ces lettres. Beaucoup de membres du comité sont absents. Nous leur enverrons ces deux lettres. Si vous voulez discuter de ces lettres, nous le ferons lors de notre prochaine réunion.

Dernier point. Je vous rappelle encore une fois qu'aujourd'hui dans vos documents, nous avons joint le programme de la visite à Radio-Canada la semaine prochaine. Je crois qu'il y a quelque chose là-dedans qui devrait vous intéresser tout particulièrement. La convergence sera illustrée par les collectivités intégrées et les sites spécialisés. En d'autres termes, les médias intégrés. Cela pourrait être très intéressant.

Madame Tremblay.

[Français]

Mme Suzanne Tremblay: Est-ce que avez eu une réponse du CRTC quant à leur disponibilité pour nous rencontrer?

Le greffier du comité: J'ai communiqué avec le CRTC hier et j'attends une réponse.

Mme Suzanne Tremblay: D'accord, merci.

[Traduction]

Le président: S'il n'y a pas d'autre chose, la séance est levée.