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CHER Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON CANADIAN HERITAGE

COMITÉ PERMANENT DU PATRIMOINE CANADIEN

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 23 février 1999

• 1318

[Traduction]

Le vice-président (M. Inky Mark (Dauphin—Swan River, Réf.)): Je déclare la séance ouverte. Je suis très heureux de vous souhaiter à tous la bienvenue au nom du Comité permanent du patrimoine canadien.

Avant de commencer et par courtoisie à l'égard de Wendy Lill, députée de Dartmouth, je vais lui demander de vous accueillir au nom de ses électeurs ou de la ville.

Mme Wendy Lill (Dartmouth, NPD): Merci beaucoup, Inky. Je suis vraiment très heureuse d'être ici aujourd'hui; j'y serais de toute façon car je siège au sein du Comité du patrimoine, mais j'y serais également en tant que députée, car je veux savoir ce qui va se dire ici. Je fais partie du groupe des députés présents aujourd'hui.

C'est le début de la tournée pancanadienne effectuée par le Comité du patrimoine dans le cadre de son mandat relatif à l'étude d'une politique sur la culture canadienne. Nous venons de St-Jean, Terre-Neuve, où nous avons eu une merveilleuse session hier. Demain, notre groupe se rendra à Moncton, puis à Montréal et enfin à Toronto, tandis qu'une autre partie du comité se rendra dans l'Ouest pour s'entretenir avec des centaines de personnes dans cette région.

Il est vraiment captivant d'être ici et nous sommes impatients de parler avec vous pour savoir ce que vous avez à dire sur la façon dont le gouvernement et le pays devraient investir dans nos artistes.

Je m'arrête sur ce point; merci d'être venus.

Le vice-président (M. Inky Mark): Merci beaucoup, Wendy.

Peut-être pourrions-nous commencer par nous présenter.

• 1320

M. Joe Jordan (Leeds—Grenville, Lib.): Merci, monsieur le président. Je m'appelle Joe Jordan et je suis député libéral de Leeds-Grenville, qui se trouve dans le sud-est de l'Ontario.

Mme Trina Whitehurst (membre du conseil, Cole Harbour Heritage Farm Museum): Bon après-midi, je m'appelle Trina Whitehurst et je représente le Cole Harbour Heritage Farm Museum.

Mme Anita Price (présidente, Council of Nova Scotia Archives): Bonjour, je m'appelle Anita Price et je représente le Council of Nova Scotia Archives.

Mme Susan Charles (directrice exécutive, Federation of Nova Scotian Heritage): Je m'appelle Susan Charles et je suis directrice exécutive de la Federation of Nova Scotian Heritage.

M. Allison Bishop (gérant général, Pier 21 Society): Je m'appelle Allison Bishop et je suis gérant général de la Pier 21 Society.

Mme Barbara Campbell (directrice exécutive, Multicultural Association of Nova Scotia): Je m'appelle Barbara Campbell et je suis directrice exécutive de la Multicultural Association of Nova Scotia.

Mme Marion Pape (bibliothécaire, Nova Scotia Provincial Library): Je m'appelle Marion Pape et je suis bibliothécaire pour la province de Nouvelle-Écosse.

M. Al Chaddock (membre, Cultural Federation of Nova Scotia): Je m'appelle Al Chaddock, je suis artiste, philosophe, membre de l'Association canadienne pour les Nations Unies et de la Table ronde provinciale sur l'environnement et l'économie de la Nouvelle-Écosse.

Mme Suzanne Tremblay (Rimouski—Mitis, BQ): Je m'appelle Suzanne Tremblay.

[Français]

Je suis députée du Bloc québécois, porte-parole de mon parti en matière de Patrimoine canadien et députée de Rimouski—Mitis.

Mme Martine Jacquot (présidente, Conseil culturel acadien de la Nouvelle-Écosse): Bonjour. Je m'appelle Martine Jacquot. Je suis romancière et je suis présidente du Conseil culturel acadien de la Nouvelle-Écosse.

M. Yvon Aucoin (coordonnateur du Conseil culturel acadien de la Nouvelle-Écosse): Bonjour. Je m'appelle Yvon Aucoin et je suis coordonnateur du Conseil culturel acadien de la Nouvelle-Écosse. Je suis également comédien, animateur à mes heures, à la radio ou au théâtre, et également auteur.

Le greffier du comité: Je m'appelle Norm Radford et je suis le greffier de ce comité.

[Traduction]

Le vice-président (M. Inky Mark): Je m'appelle Inky Mark et je suis vice-président du comité.

[Français]

M. Gaston Blais (attaché de recherche auprès du comité): Gaston Blais, délégué à la recherche pour le comité.

[Traduction]

Le vice-président (M. Inky Mark): Merci. Nous aimerions remercier nos distingués invités ainsi que les membres du public de s'être joints au comité pour participer à ce que, j'espère, sera un échange dynamique et stimulant d'opinions et d'idées. N'oubliez pas qu'il s'agit d'une table ronde et non d'un groupe d'experts. J'inviterais l'auditoire à participer à nos discussions lorsqu'elles débuteront.

Réunir un groupe de Canadiens devant notre comité est un événement captivant et nous sommes réellement honorés que vous ayez ménagé une fenêtre dans votre horaire chargé pour être ici avec nous aujourd'hui.

Comme je l'ai dit plus tôt, les gens se présentent habituellement devant le comité pour faire des exposés, mais nous aimerions véritablement débattre des questions avec vous dans le cadre d'une discussion. J'aimerais vous dire ce que le comité cherche à réaliser par son étude en général et par ces tables rondes en particulier.

L'étude: le Comité du patrimoine a décidé à l'automne 1997 d'examiner ce que le gouvernement fédéral fait pour soutenir le secteur des arts et de la culture ainsi que notre patrimoine culturel. Nous voulons examiner les types de mesures de soutien qui sont déjà en place, telles que les règles régissant le contenu et la propriété, les subventions directes aux artistes et les incitatifs fiscaux, pour n'en nommer que quelques-unes, afin de déterminer si ces mesures permettront de relever les défis que le prochain siècle nous réserve.

Nous voulons nous pencher sur trois défis en particulier qui annoncent le nouveau millénaire, afin de déterminer comment ils influeront sur la culture canadienne et, en fin de compte, sur la façon dont le gouvernement fédéral soutient le secteur culturel. Ces trois défis sont les nouvelles technologies; la mondialisation du commerce et les accords commerciaux internationaux; l'évolution démographique de notre société.

Ces trois défis sous-tendent un grand nombre de questions complexes dont certaines trouveraient difficilement réponse sans l'aide d'une boule de cristal. Par exemple, quel sera l'impact de l'Internet sur les communications au Canada et dans le monde? Sera-t-il plus profond que le bouleversement causé par la presse à imprimer de Gutenberg? L'accord multilatéral sur l'investissement signifiera-t-il la mort de notre secteur culturel ou son renouveau? La génération vieillissante des baby-boomers aura-t-elle un effet positif ou négatif sur le taux de fréquentation des musées et des théâtres? Et qu'en est-il des gens de la génération X? Quelle sorte de consommateurs de culture deviendront-ils pendant leur vie adulte?

• 1325

Enfin, lorsque nous aurons identifié les grands changements qui découleront des progrès technologiques, commerciaux et sociaux, nous voudrons savoir si le gouvernement fédéral devrait repenser ou réaffirmer les rôles qu'il a joués pour soutenir les arts et la culture et pour préserver notre patrimoine. Pour aider le comité à démêler ces questions, nous avons reçu au cours des derniers mois des mémoires de la part de représentants des ministères du Patrimoine canadien, du Commerce international et de l'Industrie, ainsi que de la part d'experts, quant aux effets que pourraient avoir le commerce international, la nouvelle technologie et le changement social sur les politiques culturelles et les mesures de soutien du gouvernement fédéral.

Nous avons en outre entendu des représentants de nos institutions culturelles fédérales. Cette semaine, nous complétons notre étude en voyageant à travers le pays pour nous entretenir avec les artistes, les nouveaux entrepreneurs de la culture et les consommateurs de produits culturels, dans leur propre milieu, afin d'explorer leurs vues sur la culture et sur le rôle de soutien du gouvernement fédéral à cet égard. Le comité a aussi tenu une série de tables rondes dans le but d'explorer ces questions avec d'éminents professionnels des domaines des arts, du patrimoine, de l'édition, du cinéma et de la vidéo, de la radiodiffusion et des enregistrements audio.

Après avoir donné les grandes lignes du plan d'action du comité, je vais maintenant fournir des précisions sur ce que nous ferons aujourd'hui. Nos invités aujourd'hui sont des personnes qui voient et qui subissent les effets—bons ou mauvais—des mesures de soutien du gouvernement fédéral. Ils sont également les premiers témoins des effets de la nouvelle technologie, des accords commerciaux internationaux et des changements démographiques dans leur domaine. Pour circonscrire la discussion aujourd'hui, j'inviterais chacun autour de la table à poser cinq questions.

Pour aller plus vite, car nous n'avons que deux heures à notre disposition, la première question porte véritablement sur l'éventail des mesures fédérales de soutien de la culture, actuelles ou passées. Quelles sont celles qui ont bien ou mal fonctionné dans votre secteur ou industrie?

Peut-être pourrions-nous regrouper les trois questions suivantes. Là encore, il s'agit des changements technologiques, du commerce et de l'évolution démographique.

La grande question traite du rôle que le gouvernement fédéral devrait jouer à l'avenir pour soutenir le secteur et les industries culturelles. Par exemple, le gouvernement fédéral devrait-il jouer les rôles suivants, ou d'autres, dans ce secteur: législateur, régulateur, propriétaire et exploitant d'institutions nationales, partenaire de financement ou mécène des arts, promoteur d'entreprise? C'est la grande question. Que devrait faire le gouvernement fédéral en matière de culture et de patrimoine?

Peut-être pourrions-nous commencer par quelques brèves remarques à propos de ces trois grandes questions. Premièrement, quelles mesures du gouvernement ont bien ou mal fonctionné pour vous? Puis, la question des changements technologiques, de la libéralisation du commerce ou de l'évolution démographique, si vous voulez. La grande question qui se pose est la suivante: Que faut-il faire? Si chacun des invités pouvait faire quelques brèves remarques, nous pourrions ensuite ouvrir la discussion qui serait alors plus dynamique. Je vous demanderais également de vous présenter aux fins du procès-verbal.

Mme Trina Whitehurst: Je m'appelle Trina Whitehurst et je suis membre du conseil du Cole Harbour Heritage Farm Museum.

En réponse à la première question sur les genres de programmes qui ont bien fonctionné pour notre organisation, deux me viennent à l'esprit, Jeunesse Canada au travail—surtout pour l'emploi en haute saison—et, indirectement, le programme d'aide aux musées, car, par l'entremise de l'association provinciale des musées, la Federation of Nova Scotian Heritage, nos membres bénéficient des possibilités de formation; en outre, cette fédération tire également profit du programme d'aide aux musées pour son programme de formation. Indirectement donc, c'est ce qui influe sur nous en matière de formation professionnelle. Ce sont les deux programmes fédéraux les plus importants dont nous tirons parti.

• 1330

Nous avons trouvé très difficile de répondre à la deuxième question relative aux répercussions majeures de la nouvelle technologie. Notre grand souci, c'est surtout d'avoir des ordinateurs. Certains musées communautaires n'ont même pas accès à des ordinateurs de base, à des télécopieurs, à ce genre de choses. Il y a donc un problème à ce niveau-là qui crée des obstacles concrets; en plus, il faudrait envisager l'acquisition de logiciels et la mise à jour et l'entretien constant que cela suppose en termes de ressources financières et humaines, ce qui est difficilement à la portée d'un petit musée communautaire comme le nôtre. C'est là le problème qui se pose à nous.

En ce qui concerne la troisième question relative à la libéralisation du commerce et à la mondialisation, pour un petit musée communautaire, ces préoccupations semblent bien éloignées, car nous fonctionnons au niveau communautaire et achetons nos produits et services localement, le plus possible. C'est donc une question à laquelle il nous est très difficile de répondre.

Pour ce qui est de la grande question, le rôle du gouvernement fédéral, nous insistons sur trois points, les deux rôles les plus importants étant celui de partenaire de financement et de mécène des arts.

La Cole Harbour Rural Heritage Society est fermement convaincue que le gouvernement fédéral devrait continuer à appuyer le patrimoine de plusieurs façons, en jouant divers rôles. Le patrimoine est parfois considéré comme le parent pauvre d'industries comme celles de la culture et du cinéma, mais il ne faut pas oublier que le patrimoine est le fondement de notre culture actuelle.

Il y a tous les jours interaction entre tous les secteurs du patrimoine et de la culture. Des artisans jouent le rôle de conservateurs invités dans des musées communautaires locaux. Des équipes de tournage viennent chez nous pour filmer des documentaires, des comédies de situation, des longs métrages, etc. Il y a donc interaction tous les jours, sans compter que les chercheurs et les généalogistes se servent des collections d'archives et d'artefacts pour faire le lien entre les générations.

Je crois donc que les sites historiques jouent un rôle important dans cette interaction et que le gouvernement fédéral doit continuer d'appuyer le patrimoine pour que ce secteur survive à l'avenir et pour que ce genre d'interaction puisse continuer.

Le vice-président (M. Inky Mark): Merci. Nous poursuivons.

Anita.

Mme Anita Price: Bonjour. Je vais juste vous donner un bref aperçu du Council of Nova Scotia Archives. Il s'agit d'une organisation cadre qui représente plus de 80 centres d'archives de la province, dont des archives religieuses, universitaires et municipales, ainsi que des musées communautaires ayant des archives, sans compter la Nova Scotia Archives and Records Management.

Pour ce qui est de la première question, c'est essentiellement le Conseil canadien des archives, que nous appelons habituellement le CCA, qui nous apporte une aide fédérale. À notre avis, le CCA est un organisme extrêmement efficace qui gère de façon très responsable les fonds fédéraux, lesquels sont, pour la plupart, affectés à la base, dans les centres d'archives de tout le pays. Nous ne pouvons donc que féliciter le CCA.

Le CCA s'occupe également des archives du programme Jeunesse Canada au travail, lequel nous semble en général très bon. Nous aimerions toutefois que le processus de demande et d'attribution des subventions soit amélioré, car pour l'instant, il est un peu désordonné et présente des difficultés pour les institutions qui font des demandes, pour ceux qui s'occupent de la sélection et aussi, j'imagine, pour les étudiants qui font des demandes d'emploi.

Nous aimerions souligner le fait que, comme tous les domaines du secteur culturel, les archives ont connu d'importantes compressions financières ces dernières années, non seulement au niveau fédéral, mais à tous les niveaux.

Nous avons trouvé des moyens créatifs de régler ce problème, et j'aimerais attirer votre attention sur un projet en particulier que nous lançons en ce moment. Il s'agit d'un nouveau regroupement entre le Council of Nova Scotia Archives, la Nova Scotia Archives and Records Management et la CBC.

Les Archives nationales qui se sont retrouvées avec des chambres fortes en trop au moment de l'ouverture des nouvelles installations à Québec les ont proposées aux divers centres d'archives du Canada. Pour les avoir gratuitement, il fallait trouver le financement nécessaire pour le transport et l'installation. Nous nous sommes entendu avec la Nova Scotia Archives and Records Management et la CBC et avons obtenu une de ces chambres fortes que nous allons installer l'année prochaine.

• 1335

C'est très stimulant, car c'est la première fois, qu'en tant qu'organisation communautaire, nous créons ce genre de partenariat avec une organisation provinciale et une organisation fédérale. Cela présente également l'avantage de faire un peu d'argent, car nous pouvons louer à l'industrie du cinéma en pleine croissance une aire d'entreposage dans la chambre froide, ce qui est particulièrement utile pour le matériel audio-visuel.

Pour ce qui est de la deuxième question, les archives au Canada sont sur le point de lancer un projet formidable, appelé Réseau canadien d'information archivistique, qui sera un réseau national. Ce projet est mené par le Conseil canadien des archives, et chaque province va mettre au point sa propre base de données d'archives. En Nouvelle-Écosse, nous appelons cette base ArchWay. Au cours de l'an passé, nous avons commencé à trouver le financement nécessaire, nous avons engagé un employé, nous avons commencé à rassembler nos données et à les entrer dans une base. En fait, pas plus tard que la semaine dernière, nous avons mis notre base de démonstration à la disposition du public sur l'Internet. Il a fallu faire preuve de créativité pour trouver du financement, mais nous pensions qu'il était important de lancer ce projet.

Les clients des archives au Canada s'attendent de plus en plus à pouvoir accéder à des renseignements d'archives par le truchement de cette technologie et nous pensons qu'il tout à fait normal de créer ce genre de base de données pour répondre à ces attentes.

Nous pensons également que cela va permettre de faire le lien avec d'autres initiatives en matière de technologie de l'information du secteur culturel, comme celles prises par les musées et les bibliothèques. C'est une occasion unique de créer une ressource culturelle authentiquement canadienne.

Pour ce qui est du troisième point, je crois que la question des archives dans le contexte de la mondialisation est reliée à l'Internet. Les archives sous forme numérisée sont très en demande; cela signifie que n'importe qui peut y avoir accès et faire ce qu'il veut de l'information et de l'intégrité des documents. Mettre des archives sur l'Internet est une question très complexe et nous serons certainement amenés à consulter le gouvernement fédéral à cet égard.

Pour ce qui est de la quatrième question relative à l'évolution démographique, nous devons surtout parler ici du tourisme culturel. De plus en plus, les généalogistes utilisent les archives; il s'agit d'un groupe qui ne cesse de croître. Ce sont des utilisateurs très sophistiqués de l'Internet qui voyagent beaucoup, surtout pour trouver des renseignements sur leurs familles; ce sont souvent des personnes à la retraite, ce qui veut dire qu'elles disposent de beaucoup de temps libre pour faire de la recherche approfondie. Cela a un impact considérable sur les niveaux de service dans les centres d'archives et sur l'augmentation de la demande de documents d'archives.

En ce qui concerne la cinquième question, nous croyons qu'alors que nous repensons notre politique de financement de nos organisations culturelles, nous devons tenir compte du fait que la réduction, la redéfinition et la réaffectation des ressources financières touchent en même temps tous les paliers de gouvernement.

Le gouvernement fédéral a un rôle critique à jouer pour que la restructuration du financement au Canada se fasse de façon responsable. En tant que nation, nous risquons de perdre des ressources culturelles importantes parce que nous passons entre les mailles du filet de l'autorisation de financement et de sa disponibilité. La santé de la culture au Canada ne dépend pas seulement du financement mais aussi de la conservation responsable de nos ressources. Le partenariat avec les organisations culturelles canadiennes sera un élément crucial d'une future politique culturelle.

Je vous remercie.

Le vice-président (M. Inky Mark): Merci.

Suzanne.

[Français]

Mme Suzanne Tremblay: Je ne sais pas si, au point où nous en sommes, je peux me permettre une intervention. Il serait intéressant que vous nous remettiez les mémoires que vous avez préparés. Du train où vont les choses, vous aurez à peine le temps de nous les lire et nous n'aurons pas le temps d'en discuter et d'échanger entre nous pour aller au coeur du sujet.

• 1340

Ce que vous dites est très intéressant, mais il faudrait en arriver rapidement au coeur du sujet afin qu'on puisse échanger entre nous. Donc, peut-être pourriez-vous aller directement aux conclusions, sans nous lire vos documents en entier, pour qu'il nous soit possible de discuter.

Vous n'avez pas besoin de répondre à chacun des points. Qu'est-ce qui est pour vous le plus important? Qu'avez-vous à nous proposer comme solutions? De quels points voudriez-vous qu'on discute ensemble pour qu'il y ait un véritable échange d'idées?

[Traduction]

Le vice-président (M. Inky Mark): Vous n'avez pas besoin de répondre à chacune des questions. Concentrez-vous simplement sur ce qui est le plus important pour vous en ce qui a trait au patrimoine.

Je suis d'accord avec Mme Tremblay lorsqu'elle dit qu'il serait préférable que vous ne lisiez pas votre texte. Si vous avez des mémoires, remettez-les simplement au greffier qui veillera à les distribuer.

Mme Susan Charles: En ce qui nous concerne, je vous dis que nous avons été invités à une discussion en table ronde avec huit de nos amis les plus proches. On nous a dit que lÂon nous donnait la chance de parler boutique entre amis et que l'on tiendrait compte de nos observations. C'est ce à quoi je m'étais préparée.

Oui, nous avons préparé un mémoire écrit que je vous laisserai et qui répond en profondeur à chacune des questions. Si vous voulez que j'en vienne à l'essentiel, que je vous dise ce qui m'apparaît le plus important maintenant, c'est que j'ai de plus en plus de mal à accéder aux fonds fédéraux au nom des 135 organismes de cette province qui sont membres de la fédération. Si l'accès est de plus en plus limité en Nouvelle-Écosse, c'est que les critères sont de plus en plus resserrés. Les fonds semblent dirigés vers les institutions de plus grande envergure. On exige souvent au moins un employé à temps plein et de nombreux musées en Nouvelle-Écosse n'ont même pas cela. Ils fonctionnent par l'entremise des bénévoles.

Les gens qui travaillent dans ce secteur subissent beaucoup de pressions pour accomplir des tâches dans les domaines que vous avez mentionnés—par exemple, celui de la technologie. Nous sommes tous censés avoir des ordinateurs haut de gamme. Nous sommes censés avoir tous les programmes et savoir comment les utiliser. Nous sommes censés être présents sur le Web et nous occuper nous-mêmes de la mise à jour et du fonctionnement du site.

Noua subissons donc davantage de pressions pour produire, pour produire maintenant un produit touristique culturel qui est considéré comme notre planche de salut. Un grand nombre d'entre nous ne savent pas comment s'y prendre. Nous n'avons pas les connaissances spécialisées. Ce n'est pas très facile pour nous.

Au nom des membres de notre réseau provincial de musées et de sociétés historiques, nous offrons, depuis 20 ans, un programme de formation dont le financement provient du programme d'aide aux musées et qui a beaucoup aidé. Nous avons considéré cela comme un partenariat entre notre organisme—l'association des musées provinciaux—et le gouvernement fédéral. Nous croyons que le partenariat a été assez concluant car il nous a permis de consacrer notre énergie à déterminer les besoins immédiats de nos membres et d'élaborer un programme en conséquence. Nous en avons ensuite partagé les frais. Il s'agit d'un programme à caractère local efficace qui a été couronné de succès.

Nous avons découvert récemment, toutefois, que l'objectif principal de ce programme a été modifié. Je n'ai pas l'impression qu'il est encore à l'écoute de nos besoins. On nous renseigne de moins en moins sur ce que nous pouvons ou ne pouvons pas avoir. Je ne suis pas sûre que cela sera dans l'intérêt des Néo-Écossais. C'est donc un deuxième sujet d'inquiétude.

J'aimerais savoir que la communication est bonne et que les liens sont très bien établis entre les musées locaux, par l'entremise de l'association provinciale des musées et du gouvernement fédéral. Je crois que nous nous rendons compte qu'il faut attribuer aux coûts élevés de fonctionnement de nos musées nationaux les compressions dont sont l'objet des programmes comme le programme d'aide aux musées, l'ancien Réseau canadien d'information sur le patrimoine, l'accès à l'Institut canadien de conservation et à ses services. Je crois comprendre qu'on a l'intention d'ouvrir un nouveau musée national, un musée de la guerre. Ce qui nous préoccupe c'est que nous n'avons même pas les moyens de faire vivre les musées nationaux que nous possédons maintenant. Je ne comprends pas pourquoi nous continuons à ouvrir d'autres musées alors qu'on y manque à l'heure qu'il est de personnel et de ressources.

J'aimerais donc qu'une part plus équitable du financement fédéral actuel aboutisse dans les provinces.

Merci.

Le vice-président (M. Inky Mark): Merci.

Allison.

• 1345

M. Allison Bishop: Une fois de plus bon après-midi. J'ai été environ 18 ans le directeur des Affaires culturelles de la province, mais je suis ici aujourd'hui en ma qualité de directeur général de la Pier 21 Society.

Le quai 21 a été le principal hangar de l'immigration pour le Canada entre 1928 et 1978. Il est situé tout juste derrière l'hôtel Westin. On consacre à l'heure actuelle 9,5 millions de dollars pour le revitaliser. Le 1er juillet il sera inauguré comme un testament permanent de l'immigration au Canada.

Je passe directement de ce sujet à la question du financement parce que le projet est financé à raison de 4,5 millions par le gouvernement fédéral et du même montant recueilli au moyen d'activités de financement par des sociétés et le secteur privé. La part du gouvernement est versée par l'entremise d'une entente de coopération en matière de diversification économique entre le Canada et la Nouvelle-Écosse, un moyen efficace de financement pour un projet de cette envergure exigeant des investissements importants.

Je vais revenir à mon rôle de directeur des Affaires culturelles parce que, entre 1992 et 1996, j'ai eu le privilège de coprésider l'entente de coopération que la Nouvelle-Écosse a conclue avec le Canada en matière de développement culturel. Il s'agissait d'un projet innovateur en matière de financement culturel dans cette province, un projet très efficace mais tout à fait à différent des formules utilisées antérieurement et qui incluaient le programme d'aide aux musées, le financement du Conseil des arts du Canada et le financement provenant des ministères provinciaux et fédéraux.

À la différence d'un simple programme de subvention, l'entente de coopération innovait du fait qu'elle exigeait de la part de l'entrepreneur qu'il investisse de son propre argent dans un accord commercial comportant des objectifs très précis. Pendant toute sa durée, cette entente a contribué grandement au développement culturel en Nouvelle-Écosse.

Son successeur, bien sûr, a été l'entente en matière de diversification économique. Sans cette dernière, il n'y aurait pas eu de voie de transmission aussi évidente pour financer l'institution pour laquelle je travaille et que l'on est en train de mettre sur pied.

Je reviens directement à la dernière question, si vous le permettez, qui porte sur le rôle du gouvernement fédéral. Je suis sûr que d'autres choisiront les autres questions à mesure que nous avancerons. J'aurai alors d'autres observations à faire.

Le gouvernement fédéral a un rôle très important à jouer. En ce qui a trait à l'ensemble du domaine culturel, il consiste à fixer des normes par l'entremise d'organismes comme la Société Radio-Canada dans le domaine de la radiotélévision et de Parcs Canada en ce qui a trait aux musées et, là où il participe directement dans des secteurs de l'industrie culturelle comme le cinéma, par l'entremise de l'Office national du film et de Téléfilm Canada. Il s'agit de programmes porte-étendards qui établissent une norme de performance pour les organismes d'un bout à l'autre du pays et qui fixent le niveau de participation professionnelle ou spécialisée requis avant l'injection de fonds publics dans le projet auquel, nous l'espérons, participera également le secteur privé.

Je trouve donc très important que le gouvernement fédéral continue de jouer ces rôles là où il est en mesure d'établir une norme de performance et de qualité.

Voilà qui termine mon exposé.

Le vice-président (M. Inky Mark): Merci beaucoup.

Barbara.

Mme Barbara Campbell: Je m'appelle Barbara Campbell et je représente la Multicultural Association of Nova Scotia.

Je veux que nous fassions en sorte que la politique culturelle fédérale protège les sources d'expression à valeur patrimoniale. Nous parlons d'architecture, de musées, de langues, ainsi de suite, mais les sources d'expression comme la chanson, la danse et la musique, font partie intégrante du patrimoine canadien. Elles bénéficient de la protection de la Charte des droits et libertés, et de la Loi sur le multiculturalisme canadien. Il faudrait absolument que la nouvelle politique culturelle en fasse mention de façon très précise.

• 1350

Si nous négligeons de mettre l'accent sur le multiculturalisme et les sources d'expression à valeur patrimoniale dans la politique fédérale, les nouveaux immigrants au Canada se sentiront exclus de celle-ci. Quand on parle de patrimoine, on fait allusion au passé. Quand on parle de multiculturalisme, on pense aux besoins de ceux qui viennent s'installer au Canada.

Notre association reçoit une aide financière du ministère du Patrimoine canadien, par le biais du programme du multiculturalisme. Nous sommes vivement préoccupés par l'impact qu'aura la récente restructuration de la formule de financement sur notre planification à long terme et notre viabilité. En fait, nous allons passer de la formule de financement soutenu au mode de financement de programmes.

Nous devons maintenant faire preuve d'un très grande imagination et nous transformer à l'occasion en artistes et en musiciens pour créer des projets qui pourront bénéficier d'une aide financière ou de subventions. Ce n'est pas toujours possible. La collecte de fonds auprès des sociétés et la supervision du personnel constituent également pour nous une source constante de préoccupation. Nous devons arriver à créer des programmes très innovateurs pour que nous puissions continuer de monter des spectacles et de servir la collectivité.

Nous nous occupons avant tout de formation et d'éducation. Nous nous divertissons quand nous organisons notre festival multiculturel, mais ce sont nos très sérieux programmes de publications et d'éducation qui nous procurent le plus de fierté. J'espère que vous n'oublierez pas, au moment d'élaborer la politique fédérale culturelle, les nouveaux immigrants et ceux qui ont construit ce pays et qui parviennent à propager leurs traditions de tant de façons, d'un bout à l'autre du pays.

Merci.

Le vice-président (M. Inky Mark): Merci.

Marion.

Mme Marion Pape: Merci.

J'aimerais vous parler brièvement du rôle que jouent les bibliothèques, de manière générale, dans le secteur du patrimoine en Nouvelle-Écosse. Je me demande si vous êtes au courant de la stratégie culturelle qu'a adoptée la Nouvelle-Écosse. C'est un modèle important, le premier en fait à rassembler toutes les composantes du secteur culturel, qu'il s'agisse des arts, du patrimoine, des industries culturelles, ainsi de suite. C'est toute une expérience que d'unir ces personnes, mais nous réalisons des progrès.

Cette démarche nous permet de voir à quel point il est important de collaborer ensemble pour le bien du secteur dans son ensemble. Nous pouvons accomplir beaucoup plus de choses quand nous travaillons ensemble. Je vous propose donc de vous inspirer du modèle de la Nouvelle-Écosse, parce qu'il est très efficace.

Les bibliothèques sont des organismes communautaires. Nous en comptons 75 dans la province et elles sont toutes reliées les unes aux autres. Nous avons accès au Web et nous offrons des programmes de formation sur le Web parce que nous sommes foncièrement convaincus que, tant que les communautés ne pourront avoir accès à l'autoroute de l'information et créer des produits axés sur le savoir ou disposer d'installations leur permettant de créer de tels produit, notre économie dans son ensemble sera freinée dans son essor. Je veux donc situer les bibliothèques dans ce contexte économique parce qu'il est important de favoriser le développement du savoir dans les collectivités.

Je tiens à mentionner que nous avons des points d'accès qui relient les collectivités aux bibliothèques. Il existe un important mouvement au Canada en faveur de l'établissement de tels liens avec les citoyens, sur leur lieu de travail. Il s'agit-là d'une démarche très proactive qui vise à favoriser le développement de l'économie du savoir au Canada.

• 1355

Toutefois, il manque un élément à l'équation—et il s'agit d'un programme fédéral qui est financé et dirigé de façon dynamique par Industrie Canada—soit le contenu canadien et le rôle du patrimoine dans le développement de produits axés sur le savoir. J'encourage vivement le comité à définir ce rôle important, parce que le ministère de l'Industrie a une vocation essentiellement économique et que bon nombre des initiatives qui sont en train de voir le jour risquent de ne pas bénéficier de l'appui des organisations culturelles dans leur ensemble. Les groupes réunis autour de cette table et toutes les autres institutions qui s'intéressent à la culture pourraient soutenir ces initiatives au moyen de généreuses contributions, ce qu'elles font déjà.

Des tas de projets de numérisation sont mis sur pied dans les petites communautés. Il y a par exemple River John, en Nouvelle-Écosse, qui réalise un projet de numérisation de l'histoire de la construction navale. Un autre projet, sur l'histoire du mouvement coopératif du Canada et de la Nouvelle-Écosse, est en voie d'élaboration. Nos histoires se transmettent. Mais ce genre d'initiative reçoit tellement peu d'appui, alors je tiens à souligner l'importance d'y accorder plus d'attention.

La nature ubiquiste de la technologie est telle qu'à moins que le patrimoine y ait une place importante, je crains que nous le perdions. Pire encore qu'on le pense—je pense à tout l'argent que les États-Unis investissent dans la recherche sur la numérisation. Ils ont décidé d'en faire l'un de leurs domaines stratégiques de développement. Je n'ai pas l'impression que le Canada consacre beaucoup d'argent à la recherche sur tout ce qui touche la numérisation des produits canadiens.

Il revient donc aux organismes nationaux comme la Bibliothèque nationale de prendre l'initiative. La Bibliothèque a entrepris de regrouper les universités et les autres bibliothèques du pays pour examiner ensemble ce qu'il est possible de faire en matière de numérisation. Aucun financement n'a été prévu pour cela. Alors à mon avis, la Bibliothèque nationale a certainement un rôle à jouer, de même que d'autres groupements de bibliothèques, dans l'organisation et la gestion de l'information.

Je n'exclus pas, d'aucune façon, les organismes d'archivage. À mon avis, il faudra que nous mettions tous l'épaule à la roue.

Autre chose que je voudrais souligner, qui est en fait une recommandation, c'est que les bibliothèques ne reçoivent aucun financement du gouvernement fédéral. Le modèle dont parlait Anita, à propos du CCA, en est un que j'aimerais proposer et recommander, pour envisager une espèce de base de financement des bibliothèques de tout le pays. Avec le leadership d'Anita et d'autres comme elles ici, en Nouvelle-Écosse, je vois des projets vraiment intéressants et innovateurs émerger... Ce n'est pas beaucoup d'argent, mais au moins il y a des progrès. Et si ces programmes de financement communautaires pouvaient être augmentés, je crois sincèrement que l'évolution culturelle, dans tout le pays, ferait de grands pas.

Merci.

Le vice-président (M. Inky Mark): Merci.

Al, vous avez la parole.

M. Al Chaddock: Je me rappelle l'époque où j'étais caboteur professionnel. J'avais 19 ou 20 ans et je voyageais dans le monde entier. J'ai l'impression maintenant qu'on me demande de sortir la carte marine sur laquelle, selon moi, nous devrions tracer notre route. Mais voilà que j'entends une dispute, sur le pont, entre le propriétaire du navire, le capitaine et le navigateur. Je vois à leurs gestes qu'ils ont des points de vues différents, des idéaux différents, et pourtant, je suis censé choisir la bonne carte.

Je vais donc parler de ce sujet avec un peu plus de poésie, et j'aimerais aller au coeur de la question. Je viens d'entendre un ancien premier ministre du Canada à la radio nationale—quand les choses y allaient encore bien—déclarer que la nouvelle loi de ce pays est adoptée et promulguée par le Congrès des États-Unis d'Amérique, à cause de quelque chose qu'on appelle l'Accord de libre-échange nord-américain, contre lequel il a lutté avec véhémence lorsqu'il représentait l'opposition et qui n'aurait pas dû être adoptée puisque la majorité des votes y étaient défavorables. Mais il n'a pas remporté les élections, et la suite est peut-être l'histoire ancienne du Canada, avec des majuscules.

• 1400

Nous sommes signataires, les Nations Unies, d'une entente sur la biodiversité. C'est donc que nous reconnaissons que la vie ne continuera sur notre planète en péril que dans la mesure où la place est faite à la créativité et où elle peut s'adapter au milieu. C'est cela, la sélection naturelle et c'est ce qui a fait les êtres que nous sommes aujourd'hui.

L'équivalent comportemental de cela, c'est la diversité culturelle, et le Canada a, pendant une époque, été un chef de file à l'échelle mondiale dans cette merveilleuse aventure de la diversité culturelle. Nous avons appelé cela le «multiculturalisme». Je suis peiné de constater aujourd'hui qu'à cause des pressions croissantes de l'urbanisation, nous perdons beaucoup de nos langues d'origine, une bonne part de la diversité des choix de mode de vie que peut avoir un humain sur cette planète, dans notre merveilleux pays diversifié.

Je pense à la SRC, qui a délibérément été créée avec le mandat politique de nous aider à combattre l'impérialisme de la culture américaine, et je la vois maintenant entravée, rompue, écrasée et, on dirait, menée vers l'abattoir. Sans elle, je crois que l'existence culturelle du Canada sera menacée.

Je suis un artiste professionnel. Je peins, surtout; c'est ainsi que je gagne ma vie. Pendant 40 ans, j'ai fait en profondeur le portrait de la culture des provinces de l'Atlantique du Canada. Je n'avais pas pensé en faire un parcours archivistique, mais je constate avec peine que, dans cette courte période, tout un panneau de ce tableau a disparu. La plupart des régions rurales du Canada, d'où notre société tient la force de ses racines, particulièrement sa force politique, sa démocratie, sa diversité économique, sont peuplées par des gens dont les cheveux sont aussi blancs que les miens. Il manque toute une génération; ils sont partis.

Je viens de voir un adorable film canadien appelé Conquest, qui met en scène de grands noms du cinéma canadien français. L'histoire, qui se déroule en Saskatchewan, dépeint ce qui est en fait, en grande partie, le Canada. Il n'y a plus de jeunes gens, mes amis; ils sont tous dans les grandes villes. Ils ont abandonné toutes sortes de valeurs pour adopter celles du monétarisme. Ils ne font que suivre l'exemple de leur gouvernement. On dirait bien que les maîtres du navire qu'est le Canada ne sont plus les Canadiens, mais plutôt un groupe de gens que nous appelons les «sociétés transnationales».

Notre ancien premier ministre, M. Turner, a fait remarquer il n'y a pas longtemps que, rien que l'année dernière, 69 milliards de dollars d'éléments d'actifs canadiens ont été vendus à des investisseurs étrangers. Dans mon secteur, le secteur culturel, il n'y a pas un seul rouage du mécanisme culturel de l'économie dont les Canadiens possèdent plus de 5 p. 100, et lorsque tout sera en place, les Américains nous ont avertis dès le début qu'ils ont bien l'intention de tout prendre pour eux. Chez eux, il suffit que 10 p. 100 de l'un des secteurs de l'économie soient en des mains étrangères pour justifier une enquête présidentielle. Apparemment, ce n'est pas le cas dans cette colonie-ci, si je peux m'exprimer comme M. Turner. D'après lui, nous sommes de notre plein gré devenus une colonie des États-Unis d'Amérique. Je ne pourrais pas vous faire comprendre ce que c'est, lorsqu'on est enseignant, que de devoir inculquer à d'autres enseignants les aspects de la culture et du patrimoine à la lumière de cette réalité.

L'une des dernières choses qu'a faites M. Mulroney comme premier ministre de notre pays, dont il semblait déterminé à changer la face pour toujours et on dirait bien qu'il y soit arrivé, a été de modifier la Loi sur la banque du Canada. Cela a été la toute dernière chose qu'il a fait en tant que premier ministre.

Avant cela, à titre de régulateur de notre économie, la Banque du Canada devait rendre compte aux citoyens du Canada par l'entremise de leur Parlement. C'étaient la population qui déterminait la politique économique. M. Mulroney a changé cela pour donner à la Banque les attributs d'une société d'État. Il n'y a plus de politique économique dans notre pays; il y a le monétarisme. Cela ne ressemble à aucune sorte d'idéologie.

Et pourtant, nous sommes tous censés nous efforcer de trouver le moyen de préserver l'existence de ce qui s'appelle le Canada. Pour moi, ce qu'est le Canada et ce qu'il a toujours été c'est l'idéal, à l'échelle mondiale, d'une communauté harmonieuse, à la poursuite de valeurs humanistes qu'elle est peu disposée à abandonner pour de simples transactions monétaires. C'est à cela qu'amène le monétarisme. Nous avons foulé aux pieds notre patrimoine, notre héritage. Il y en a qui disent que c'est en fait à la manière dont on mène nos affaires que l'on exprime le respect que l'on porte à ses voisins et à sa communauté.

• 1405

M. Turner ne l'a pas dit, mais mois je le ferai. Nos organes directeurs, nos élites du pouvoir, par la manière dont ils ont manipulé la politique partisane, ont trahi notre peuple. Nous n'avons pas d'idée précise de la carte qu'il faut consulter, du tracé à suivre. Dans nos coeurs, nous voulons préserver cette merveilleuse culture de tolérance, de célébration, de différence, d'éducation—une autre façon d'être. Nous tirons tous orgueil des conclusions des sondages des Premières nations sur l'endroit où il fait bon vivre sur le globe. Nous sommes bien heureux de dire, ah oui, c'est au Canada; le Canada est le numéro un.

Ce qui est tragique, c'est que si nous ne connaissons pas le Canada parce que nous ne pouvons pas avoir des films canadiens, des livres canadiens et des manuels scolaires canadiens, si nous ne pouvons pas connaître notre pays par ses caractéristiques culturelles, quelle vision aura le reste du monde du Canada? C'est de toute évidence plus que quelques artefacts culturels. C'est un rêve, le rêve que sont venus réaliser nos ancêtres. C'est cela, ce trésor que nous devons préserver. C'est cela, l'obligation que nous avons à l'égard de la planète entière, parce que si nous n'y arrivons pas, le reste de monde ne le fera pas pour nous.

Nous sommes maintenant tout près d'assister à la plus grande disparition massive de vie et de culture de toute l'histoire de l'humanité, en grande partie à cause de notre propre stupidité et de notre arrogance.

Une phénoménale responsabilité repose sur nos épaules, celle de faire revivre ce rêve, qui s'appelle le Canada, cette façon d'être. C'est ce que nous, les artistes, nous efforçons de préserver dans notre travail, sous toutes ses formes, et pourtant, chaque jour, le milieu des affaires mine un peu plus nos efforts. Ce n'est même pas un milieu des affaires très canadien, et il nous dit, oh non, non, ça, ça ne se vendra pas aux États-Unis.

Les films que nous réalisons doivent prétendre se dérouler dans des villes américaines, être des histoires américaines et tisser de ces intrigues infantiles à l'américaine. En passant, dans l'industrie américaine du cinéma, qui se trouve à être chez nous, on appelle les Canadiens des «Mexicains qui porte chandail». J'ai entendu quelqu'un me désigner ainsi alors que je me trouvais sur un plateau de tournage. Ils viennent ici pour la main-d'oeuvre bon marché et tous les avantages fiscaux que nous leur accordons, puis ils essaient de donner à Toronto des allures de New York.

La vision canadienne n'est pas véhiculée dans les films populaires canadiens, mais plutôt sur les plus petites scènes non traditionnelles, dont nous n'avons guère que très peu, où l'on peut voir des esquisses de ce qu'est le Canada.

Je suis très peiné d'entendre mes collègues du Québec clamer encore que la culture anglaise les concerne peu. Je voudrais leur dire que le premier téléroman que j'ai regardé, enfant, était La famille Plouffe. Nous l'adorions dans ma communauté, une communauté anglaise. Nous avons été attristés de le voir finir, comme beaucoup de gens au Québec ont été tristes, je n'en doute pas, de la disparition de Don Messer.

Qu'est-ce que nous essayons de faire? Que voulez-vous que nous vous disions?

La première chose que nous devons faire, par respect pour nous en tant que peuple, par obligation morale à l'égard des peuples de ce monde, c'est révoquer l'Accord de libre-échange nord-américain. C'est la toute première chose à faire. C'est cela, l'héritage qui nous nuit à tous maintenant, cet ordre impérial étranger qui nous est imposé.

Eric Kierans, le philosophe canadien, vit ici, dans ma ville. Je le connais. C'est un Canadien d'envergure. Il décrit ce que nous vivons maintenant comme la montée de la féodalité corporative —cosmo-corporative—globale, où les entreprises s'efforcent de contourner les lois des États nations et les groupes d'États nations, comme les Nations Unies, pour tous nous rabaisser au plus faible dénominateur commun sur les plans des normes de travail, de l'environnement et des droits de la personne.

Hier encore, on voyait en manchette des journaux canadiens que la Compagnie Levi Strauss avait décidé de fermer les portes de ses usines au Canada. Ces manufactures ont fabriqué les vêtements qui ont habillé ma génération. Très peu de journalistes sont allés acculer la compagnie au pied du mur pour lui faire admettre qu'elle veut tirer parti de la main-d'oeuvre bon marché du Mexique. C'est là que sont allés les emplois.

Que pouvons-nous dire de leur patrimoine aux gens qui ont travaillé dans ces usines? Je ne sais pas ce que nous leur dirons. Que dire aux gens qui ne peuvent plus faire de pêche en haute mer de notre côté du globe? Que dire à ceux qui perdent les emplois en foresterie? Rien que dans notre province, chaque année, nous perdons 70 fermes—oui, 70 fermes disparaissent par année en Nouvelle-Écosse.

Cela signifie que les grosses entreprises prennent le contrôle de toute l'industrie de base des ressources naturelles du pays, et ce ne sont pas des entreprises canadiennes.

Je ne sais pas quelle carte extraire du tiroir pour vous, mes amis. Cela fait un bon moment que je scrute le tiroir. Quelle carte? Je crois que les Canadiens en sont arrivés à un point où ils se rendent compte que, peut-être, ils devraient se mutiner—oui, se mutiner—parce que les gens qui se trouvent sur le pont de ce navire qu'est l'État nous dirigent tout droit vers les écueils, la dissolution, la destruction.

• 1410

Si, en tant qu'artiste, je peignais le tableau de ce que je vois, je l'aurais longtemps chez moi. Personne n'en voudrait. La vérité n'est pas belle à voir.

Ma collègue artiste, Wendy, qui est ici, a essayé de faire passer la vérité dont je vous parle dans ses pièces de théâtre. Ce sont des efforts dignes de mention, et elle sait viser juste.

J'entends dire dans tout le pays que des artistes sont isolés, crèvent de faim, ont besoin d'aide pour faire connaître leurs oeuvres à leurs propres voisins, à leur communauté... Il n'y a rien d'étonnant à ce que Wendy ait décidé de faire de la politique. Elle a saisi le taureau par les cornes et, pour cela, je lui tire mon chapeau. Cela fait longtemps que j'y pense, moi aussi, mais je ne me suis pas encore décidé, bien qu'aujourd'hui je pourrais donner l'impression contraire.

Quoi qu'il en soit, que le débat continue. Ce n'est qu'un débat pour déterminer ce que le Canada est réellement, et je ne crois pas qu'il soit un accord américain de libre-échange.

Le vice-président (M. Inky Mark): Merci beaucoup pour votre émouvant témoignage.

Nous laissons la parole à Martine.

[Français]

Mme Martine Jacquot: Je vais parler français. Nous, du Conseil culturel, représentons les artistes, les éducateurs, les travailleurs culturels et toutes les personnes s'intéressant au développement culturel, au développement des arts.

Par définition, nous sommes peu nombreux et nous sommes dispersés à travers la province. Donc, nous avons un besoin criant d'infrastructures, d'abord entre nous, entre régions, ainsi qu'avec l'extérieur de la province et les autres régions francophones du monde.

Il existe des centres culturels. Par exemple, à l'Isle Madame, il y a La Picasse. Il y a aussi, à Dartmouth, le centre Carrefour du Grand Havre. C'est très bien. Ce sont des centres nerveux pour nous. Est-ce que ces centres nous suffisent? Nous avons besoin de formation et de gestionnaires des arts; nous avons besoin d'encourager la création à tous les niveaux.

Il est important que les gens s'habituent à entendre, à recevoir et à manger de la culture francophone ici. On n'y est pas habitués. On a besoin d'avoir régulièrement des événements en français.

Depuis que j'observe le milieu francophone ici, il y a quelque chose qui me déçoit et qui m'énerve profondément; c'est tout l'argent qui est gaspillé en études stratégiques. Les experts-conseils reçoivent beaucoup d'argent pour élaborer de magnifiques plans stratégiques, mais quand il s'agit de passer au concret, il n'y a plus d'argent. Quand il s'agit de donner du travail aux artistes, il n'y a plus d'argent. Les artistes crèvent de faim pendant que de superbes rapports s'empilent sur des étagères et ne servent à rien.

Il est important de réagir à une telle situation. Sinon, qu'est-ce qui va se passer? Les jeunes vont se décourager et quitter la province, ou encore s'angliciser. La culture française fera marche arrière et se perdra ici, en Nouvelle-Écosse.

La technologie est évidemment importante pour nous. On connaît l'impact de la technologie. Sans elle, on n'aurait jamais pu produire notre premier bulletin qui vient de naître, par exemple. Comment l'a-t-on fait? J'ai dû le faire parce que mon unique ouvrier, si je puis dire, est débordé. Il travaille le dimanche. Il me téléphone le dimanche. J'ai dû le faire chez moi, sur mon ordinateur, bénévolement. J'étais très heureuse de le faire, mais est-ce que je vais continuer? J'ai des livres à écrire. Il faut que je gagne ma vie. C'est beau d'aider et de faire des choses bénévolement, mais à un moment donné, il est temps que ça change.

Une autre chose importante pour nous, qui sommes un si petit milieu, c'est l'exportation des produits culturels, la vente des produits culturels. Est-ce qu'on reçoit de l'aide précise en ce domaine? Pas assez. Est-ce que nous avons des points de vente de produits culturels? Pas vraiment. Est-ce que la jeunesse est encouragée? Pas suffisamment.

Nous avons eu récemment une rencontre avec la table de concertation et nous avons fait plusieurs recommandations. Ce qui serait vital pour nous, pour vivre de façon beaucoup plus saine, ce serait une implication beaucoup plus efficace dans les milieux éducatifs, des productions régulières d'événements culturels, des points de vente où on puisse trouver nos produits et une meilleure couverture médiatique. On ne sait même pas qu'on existe. Même nos propres journaux ne parlent pas de nous.

• 1415

Est-ce que vous avez des questions?

M. Yvon Aucoin: Puis-je ajouter quelque chose? J'ai également travaillé comme artiste. Donc, je peux faire le lien entre ce qu'Al Chaddock disait tout à l'heure et ce qui arrive quand on travaille pour les artistes.

Il est certain qu'en tant que coordonnateur, je veux travailler pour les artistes. Cependant, quand on fait partie d'un regroupement comme le Conseil culturel, on représente différents secteurs, et pas seulement les artistes. Il y a les institutions scolaires, les sociétés culturelles, les sociétés historiques et les festivals. On s'est rendu compte que cela n'avait absolument aucun sens qu'un seul employé fasse la gestion de tous les projets de tout ce monde-là en plus d'avoir à les organiser. C'est absolument aberrant.

Il faudrait que, quand on fait la programmation annuelle des activités, ce soit prévu au budget de fonctionnement de Patrimoine Canada, parce que nous passons notre temps à nous débattre pour savoir si nous aurons des fonds. Quand vient le moment de l'organisation, il ne reste plus de temps. Nous devons nous en charger nous-mêmes.

Il faut absolument augmenter le personnel. Pensons aux autres associations qui existent ici, au niveau provincial, dans le domaine culturel ou artistique. Du côté anglophone, on a DANS, une association de danse, une association du film, l'association de théâtre et l'association des arts visuels.

Tout ce que nous sommes, c'est un regroupement culturel qui doit représenter tout ce monde-là. On ne veut pas nécessairement privilégier un secteur par rapport à un autre, même si on a fait quelque chose pour les artistes et qu'on veut continuer à s'en occuper. Si on s'en tient à la définition du patrimoine, on voit que tout est relié, que ce soit les domaines artistiques, les musées ou les institutions scolaires. Tout cela se trouve inclus dans la notion de «patrimoine».

Dans une telle perspective, si on veut avoir une plus grande visibilité et être davantage représentatifs, on a beaucoup de travail à faire, et Patrimoine Canada en a aussi beaucoup à faire.

J'en parlais l'autre jour au comité du Patrimoine canadien. On se rend compte qu'il y a beaucoup de travail à faire auprès de la population, même pour définir la culture. Beaucoup de gens ne savent pas ce que c'est. Il y a plusieurs interprétations qui circulent. Bien des gens pensent encore que c'est de la musique ou de la «poutine râpée». La culture, c'est plus large que ça.

Donc, il y a beaucoup de travail à faire sur le plan de la sensibilisation, de la représentation de la culture sous tous ses aspects, pour que ce soit vu et visible, et aussi sur le plan de la diffusion. Il faut également que ce soit diffusé.

Je pense avoir fait le tour de mon jardin. J'ai besoin d'aide. Si je veux rester longtemps au Conseil culturel, j'ai besoin d'appui de votre part.

Il est certain que nous sommes également appuyés par la Fédération acadienne de la Nouvelle-Écosse. D'ailleurs, nos collègues sont dans la salle: le directeur Jim Aucoin; une employée de l'Association d'Acadiennes de la Nouvelle-Écosse, qui se trouve à faire partie de la FANE, Julie Oliver.

Pour tout résumer, nous avons besoin d'appui à tous les niveaux. Voilà.

[Traduction]

Le vice-président (M. Inky Mark): Merci beaucoup.

J'aimerais maintenant laisser la parole à nos députés. Commençons par Wendy, ensuite ce sera à Joe, puis nous reviendrons à Suzanne.

Mme Wendy Lill: Merci.

C'est très intéressant, ce tour de table. J'apprécie beaucoup les commentaires de tout le monde.

Je suppose que je devrais d'abord répondre aux commentaires d'Al Chaddock, parce que je crois qu'il a dressé un peu un tableau d'ensemble. Il l'a peint pour nous, alors parlons-en. Je crois que l'une des choses qu'il faut surtout déterminer, c'est qu'est-ce qu'est notre culture dans le contexte actuel? Nous avons parlé avec quelqu'un de St. John, hier, qui a dit avec éloquence que la culture, c'est l'estime de soi d'un pays.

• 1420

Je pense aux employés de Levi Strauss, et je pense à tous ces travailleurs que nous connaissons qui voient leur emploi s'envoler vers le Mexique. Je pense aux gens qui meurent à petit feu à cause de tous les polluants contre lesquels nous luttons, dont ils essayent de se débarrasser. Je pense à nos enfants.

Lorsque je pense à mon fils, je bous de rage à l'idée que ce garçon de 11 ans qui a passé l'année dernière fasciné par l'histoire de Monica Lewinsky et de Bill Clinton. Ça fait mal au coeur. Ce n'est pas ce que je voulais léguer à mon fils de 11 ans. Joe Jordan parlait de son séjour de trois ans en Hongrie, et disait combien il avait été étonné de constater que tous les enfants qu'il rencontrait avaient un violon au lieu d'un baladeur. Je ne voudrais pas faire un portrait romancé de la Hongrie, mais quelle est cette culture à laquelle nous nous accrochons tellement?

Sheldon Currie a écrit une merveilleuse histoire, intitulée The Glace Bay Miner's Museum. Il rouspète parce que la mine était tout dans la vie des habitants de Cap-Breton. Il rappelle que nous étions agriculteurs, marins, violoneux, que nous avions des rêves et une langue, que nous avions tout cela, tout ce qui compose notre culture. Je crois que c'est une histoire très moderne. Il parle de la mine, mais lorsque j'ai adapté l'histoire de Sheldon pour le plateau, ce sont des images très modernes qui me sont venues à l'esprit. Et cette la technologie qui nous envahit? Il n'y a pas de doute qu'elle entraîne des changements radicaux dans notre culture, donc, elle fait partie de notre culture.

Cette association de la culture avec l'estime de soi me paraît fondamentale. Je crois qu'elle a une incidence sur toutes ces questions de patrimoine et de multiculturalisme aussi. Nous nous accrochons de toutes nos forces à des artefacts, mais nous créons aussi nos propres artefacts. Que créons-nous maintenant, dans les années 90, pendant que nous discutons ici? C'est réellement la question clé à poser, et c'est pourquoi je suis très heureuse de participer à ce débat.

Le vice-président (M. Inky Mark): Merci.

Joe.

M. Joe Jordan: Je veux aborder quelques questions de détail, mais tout d'abord, je tiens à remercier les témoins.

Pour ce qui est de vos secteurs particuliers, d'après ce qu'on nous dit, il existe des programmes. Dans certains cas, ils donnent de bons résultats, mais le goulot est trop étroit. Dans d'autres cas, comme celui de Jeunesse Canada au travail, c'est comme si le processus de demande existait pour éliminer les demandes à la base, pour que les chiffres paraissent bien. Je ne sais pas, mais c'est une bonne rétroaction.

Je voudrais revenir quelque peu sur certaines parties de l'intervention d'Al. Al, vous nous avez demandé ce que nous voulions entendre. Je vous répondrai que je voulais entendre précisément ce que vous nous avez dit. Je siège également au Comité de l'environnement, et il existe des similarités et des synergies frappantes. Si l'on regarde ne serait-ce que la structure du gouvernement, cette structure ressemble au profil des silos. Comme quelqu'un l'a dit, tout se tient.

L'une des menaces—et vous y avez fait allusion—liées à l'AMI ou à l'accord de libre-échange, c'est que nous nous retrouvons dans une situation où les grandes multinationales sont plus importantes que les gouvernements. En limitant nos arguments à des arguments économiques, nous perdons. Nous avons toujours perdu et nous continuerons de perdre. J'aime bien me servir d'une analogie. Je compare le fonctionnement de notre société à un compte de profits et pertes. Comme je viens du milieu des affaires, cela me convient. Mais il y a également un bilan. Nous utilisons des intrants. Il y a des dépenses liées à la génération de revenus, mais nous semblons soit l'avoir oublié soit ne pas vouloir l'admettre. Il faut revenir à l'essentiel.

Je ne suis pas en désaccord avec vos propos, mais l'un des défis qui se posent aux Canadiens, c'est que c'est tout ou rien. Je pense qu'il faut tracer une ligne dans le sable. Vous pouvez constater ce qui se passe dans le cas de notre politique relative aux magazines. Nous avons adopté une position dans ce domaine et c'est le branle-bas de combat dans la sidérurgie ou le secteur du bois-d'oeuvre. J'ignore comment nous pourrons affirmer cette volonté collective.

• 1425

Wendy a fait référence à la même analogie que j'ai prise en note hier. En tant que politicien qui a compris sur le tard la valeur de la culture, l'expression «estime sociétale» m'apparaît une bonne définition, une définition que les gens peuvent comprendre. Se connaître soi-même, se comprendre soi-même, fait partie de nos aptitudes à survivre dans un monde international qui exige que ces aptitudes soient de plus en plus pointues.

Il faudra énormément de courage à une nation pour dire suffit! Développons notre autonomie, faisons en sorte que notre économie soit saine, que notre société soit saine, que notre environnement soit sain, vendons notre excédent mais ne nous fions pas au commerce pour mettre du pain sur la table. À cet égard, ce qui est arrivé à l'industrie porcine est révélateur. Les denrées assujetties au régime de la gestion de l'offre se sont bien tirées d'affaire.

J'arrive à la même conclusion que vous pour ce qui est de la machine politique qui nous permettrait d'atteindre cet objectif. Et c'est ce qui me fait vraiment peur. Ce qui m'a intéressé, dans la campagne à la direction du Parti conservateur, c'est l'ampleur des appuis recueillis par David Orchard. Je pense que de façon latente, l'opinion publique souhaite que l'on fasse quelque chose.

Je viens d'une ville qui a perdu 1 800 emplois dans le secteur manufacturier à la suite du départ de compagnies américaines. L'accord de libre-échange? Où en sont les avantages, et qui en profite? S'il y avait des retombées concrètes, nous pourrions nous servir de ces revenus pour intervenir activement et protéger notre culture. Mais nous semblons perdre sur tous les tableaux.

Voilà qui m'amène à me demander si le Canada attache suffisamment de valeur à ce que nous appelons la culture. À un niveau très superficiel—et je me fais l'avocat du diable, car je ne suis pas moi-même convaincu de cela—lorsque les intervenants répètent qu'ils ont besoin de plus d'argent, les Canadiens ne sont-ils pas prêts à relever le défi? Ne reconnaissent-ils pas les besoins individuels que ces services et produits culturels comblent dans leur propre vie? Est-ce un problème? Ou sommes-nous arrivés à un point où le gouvernement doit absolument intervenir—vous savez, jeter les bases pour susciter une nouvelle adhésion de l'ensemble de la société?

Sur le plan de la politique, je pense que nous sommes malheureusement tenus de présenter des arguments économiques, mais à mon avis, on peut avancer ces arguments pourvu que l'on ait une idée de ce que sont les coûts en cause. Je veux m'assurer que ceux qui invoquent les arguments économiques de la culture tiennent compte de tous les avantages et de tous les coûts dans l'ensemble de la société et non seulement dans les sphères à l'égard desquelles ils peuvent facilement apporter des arguments négatifs.

Nous sommes à une croisée des chemins importante, si tant est que nous ne l'ayons pas déjà dépassée. Je n'en sais rien. Se peut-il que les Canadiens, pour une raison quelconque, aient perdu la conviction que la culture est précieuse? Si c'est le cas, faut-il ressusciter vigoureusement cette notion? Où est-elle toujours vivante et il suffirait de la nourrir pour créer des auditoires pour ces manifestations culturelles?

Je sais que j'ai mis beaucoup de choses sur la table.

M. Al Chaddock: Puis-je répondre?

M. Joe Jordan: Bien sûr.

M. Al Chaddock: Premièrement, le problème tient au fait qu'on ne peut se sentir privé de ce qu'on ne connaît pas. Les manuels que lisent nos enfants à l'école sont imprimés aux États-Unis. Les films qu'ils regardent viennent des États-Unis. Les émissions de télévision sont également américaines. Les magazines d'art proviennent des États-Unis.

Ici, en Nouvelle-Écosse, après de nombreuses années de lutte, les membres de la communauté artistique ont finalement réussi à faire comprendre au gouvernement l'importance du secteur culturel dans notre économie. C'est maintenant le premier secteur de l'économie. Sur le plan des revenus, je pense qu'il arrive au même rang que le tourisme. Devant cette réalité, le gouvernement a pris des mesures. Ainsi, pour obtenir un diplôme d'études secondaires, il faut avoir un crédit en beaux-arts. Parallèlement, cependant, il investit tout son argent dans l'informatique et les connexions Internet. Il siphonne des fonds qui pourraient servir à promouvoir la créativité, l'imagination et l'individualisme parmi les étudiants.

• 1430

Je vais souvent dans les écoles, à titre d'artiste, de philosophe ou de musicien—selon le chapeau que je porte—et c'est toujours la même histoire que me racontent tous les professeurs chargés de promouvoir les éléments essentiels de l'éducation que sont l'exploration de soi, l'expression confiante de soi, le mérite des idées individuelles. C'est toujours la même histoire: nous n'avons pas d'argent. Nous avons dû fermer ce local. Non, nous n'avons plus de local pour les activités artistiques.

Hier, j'étais à la Halifax Grammar School, qui est une école d'élite ici. C'est l'école des enfants riches. J'ai parlé du rôle de l'art dans la civilisation occidentale. J'ai été scandalisé, au cours de l'après-midi, lorsque j'ai constaté que seulement deux élèves savaient qui était Joe Howe. Je vous rappelle que c'est Joe Howe qui a été le père du système d'éducation publique, et non pas sir Charles Tupper. Il a lutté pour la liberté de la presse, la liberté d'expression, si chères à tout artiste. Il a été le moteur de la création du gouvernement responsable dans le monde. Dans n'importe quel autre pays, il y aurait des Etats et des villes qui porteraient son nom. Dans sa ville natale, les enfants de l'élite ne savent même pas qui il était. Avons-nous du pain sur la planche? Énormément. Nous avons beaucoup de travail à faire.

La plupart d'entre nous voudraient à tout le moins croire que notre gouvernement à Ottawa comprend que son rôle est de subordonner tous les secteurs de l'économie à des valeurs plus nobles que les simples lois du marché. C'est cela le monétarisme: la dictature de la loi du marché. Vous savez, il y a une triste réalité au sujet de notre pays. On peut crever de froid à l'extérieur la moitié du temps. On ne peut tout simplement pas tourner le dos à nos voisins. Plus on monte vers le nord, plus on constate la véracité d'un proverbe africain qui dit qu'un village pauvre est un village où il y a un seul homme pauvre. À l'aube d'un nouveau millénaire, je suis extrêmement gêné qu'un enfant sur quatre au Canada vive dans la pauvreté et que l'ONU, dont nous avons été l'un des principaux artisans, nous montre, avec raison, un doigt accusateur. En tant que Canadien, je suis terriblement gêné face à cette situation. Récemment d'ailleurs, j'ai été gêné par des tas de choses qu'a faites mon pays. Je pense que c'est le cas de nombreux Canadiens.

Nos cousins du Sud sont tellement désenchantés de l'expérience démocratique qu'il est même difficile de convaincre 30 p. 100 d'entre eux d'aller voter. Je vous rappelle qu'à l'apogée de l'empire russe, 30 p. 100 de la population travaillait pour le gouvernement. Nous nous approchons rapidement de ces pourcentages. Lorsque les citoyens cessent de croire en la démocratie, les éléments qui veulent simplement s'approprier les ressources collectives, y compris les ressources culturelles, ne rencontrent aucune opposition. Il n'y aura aucune opposition, sauf cet idiot d'artiste qui s'expose suffisamment longtemps pour se faire tirer dessus à boulets rouges, ce qui se passe partout au pays.

Je peux devenir très en colère et très émotif à ce sujet—c'est ma vie. Je vous invite à réfléchir un instant à ce que signifie «cultiver». Au sens propre, cela signifie faire croître quelque chose. Permettez-moi de vous rappeler que partout dans le monde, malgré le fait qu'il existe des langues et des cultures différentes—bien qu'elles disparaissent rapidement—la plupart se donnent un nom qui, traduit en anglais ou en français, signifie êtres humains. C'est ainsi que nous nous décrivons mutuellement, comme des êtres humains. Le Canada avait façonné une façon d'être humain, de ne pas laisser le capitalisme dicter la loi du pays. Et nous y avons renoncé. Oui, M. Mulroney a réalisé ses objectifs. Il a fait en sorte que nous ne reconnaissions plus notre pays.

Je veux que notre histoire soit relatée sur nos écrans, dans nos peintures, dans nos livres. C'est l'une des expériences de l'humanisme libéral les plus nobles de l'histoire. Et cette expérience a lieu ici; elle s'appelle le Canada. Les États-Unis sont un Etat-nation de style européen traditionnel. Ils n'ont absolument aucune idée de ce que nous faisons ici. À l'heure actuelle, on y adopte des lois interdisant l'usage de l'espagnol. Imaginez si nous avions fait cela avec le Québec. Il y aurait eu une guerre il y a longtemps. La culture américaine n'est pas une culture empreinte de tolérance. Soit dit en passant, le tout premier long métrage américain a été filmé à Hollywood par un Canadien. Le titre en était Intolérance. Si une société américaine faisait un film sur l'histoire du Canada, je me demande quel en serait le titre. Acquiescement?

• 1435

Tout ce que nous faisons sur cette planète, c'est essayer de survivre. Si le Canada échoue, qui va élaborer une expérience comme celle-ci? Qui d'autre réalisera un succès aussi phénoménal que le nôtre? Les Américains devraient venir ici pour apprendre à créer une société multiculturelle ou, à tout le moins, biculturelle, où les membres de l'une ou l'autre communauté ne se tirent pas dessus chaque fois qu'ils ne sont pas d'accord. Nous avons beaucoup à leur apprendre.

Un de mes amis dirige la Guilde des écrivains du Canada. Savez-vous où habitent 30 p. 100 des scénaristes canadiens? À Los Angeles. Nous avons au Canada des talents incroyables. Si nous les rappelions ici et que nous leur disions, au diable les Américains, communiquons au monde notre façon de voir la vie sur cette planète, faisons monter les enchères, allons là où les armes ne signifient plus rien, pénétrons dans les rêves des gens?

Qu'il s'agisse de Céline Dion ou de nombreux autres artistes canadiens connus sur la scène internationale, on se rend compte que dans bien des cas, ils sont incomparables. Ils sont tellement forts, uniques et humains, non pas que Céline en particulier en soit le meilleur exemple. Nous sommes étonnés de voir à quel point les Canadiens peuvent exceller dans tous ces domaines. Lorsqu'on leur pose la question, qu'on leur demande leur réaction lorsqu'ils ont constaté qu'ils étaient les meilleurs au monde, ils répondent tous la même chose. Vous savez ce qu'ils répondent? Qu'ils n'avaient pas d'autre choix que d'être forts dans leur pays d'origine car ils y ont reçu très peu d'aide. C'est pourquoi ils ont dû apprendre tous les aspects du métier et qu'ils ont abordé la scène internationale uniquement après avoir fait leurs armes.

Cela démontre beaucoup de force, beaucoup de sagesse. Il y a certaines choses que nous faisons bien, que nous en soyons conscients ou non. Si nous faisions des efforts pour favoriser cela, nous pourrions peut-être aller au Kosovo et faire comprendre aux belligérants qui nous sommes et pourquoi il ne faut tirer sur nous parce que nous n'avons pas d'armes.

Le vice-président (M. Inky Mark): Merci beaucoup.

Je vais donner la parole à Allison, puis à Suzanne et ensuite, nous allons entendre les commentaires et questions des membres de l'auditoire.

M. Allison Bishop: Merci.

Si je me souviens bien, le premier film réalisé au Canada s'intitulait Évangéline et il a été tourné à environ 1 500 pieds de l'endroit où nous siégeons aujourd'hui. Cela aurait pu être le début d'une grande industrie cinématographique faisant appel aux deux cultures présentes au Canada.

Al Chaddock a fait valoir que nous avions besoin d'un plan. Pendant de nombreuses années, j'ai assisté à de multiples conférences fédérales-provinciales sur la culture et l'un des aspects les plus frustrants de cet exercice était l'absence de politique culturelle du Canada. Le Canada n'avait pas de plan culturel. Certains participants aux discussions levaient les bras au ciel en disant que cela était strictement de compétence provinciale et ainsi de suite. Mais cette absence de plan, cette absence de politique a été, à mon avis, l'un des facteurs qui, au fil des ans, a engendré la marginalisation de la discussion sur la culture au Canada. Si l'on consulte les comptes rendus des délibérations parlementaires à l'époque de la création du Conseil des arts, vous pourrez voir qu'il y a presque eu une discussion sur la marginalisation. Cela s'est produit après coup, en un sens.

Nous sommes depuis longtemps aux prises avec la difficulté d'amener la culture dans le courant général et dans le centre du Canada. Le problème, c'est l'absence de politique culturelle. Peut-être devrait-elle prendre la forme d'un politique humaniste. Peut-être que les deux aspects sont très étroitement liés, comme le sont beaucoup d'aspects de la culture de nos jours.

Après avoir lu les questions et écouté les interventions des participants autour de la table, je pense que tout tourne autour de la nécessité de faire accepter l'idée que le Canada doit avoir une politique culturelle qui assure le maintien d'institutions comme CBC et Radio-Canada, qui se soucie des publications spécialisées et des magazines et qui identifie à l'intention de nos voisins du Sud toutes les facettes de notre personnalité. Nous n'essayons pas simplement de sauver le magazine Maclean's ou deux ou trois autres publications. La valeur de ces publications tient au fait qu'elles représentent un médium qui permet aux Canadiens de se parler entre eux.

Al a aussi mentionné le fait que les films canadiens doivent être tournés comme si l'action se déroulait à New-York, à Indianapolis ou toute autre ville américaine. Ce n'est pas ce que nous devrions faire. Je ne pense pas que ce soit la trame que l'on veut voir dans un film canadien sur les marchés autres que le marché américain.

• 1440

En tant que comité, je vous prie d'envisager l'élaboration d'une politique culturelle canadienne. J'espère que cela ne donnera pas lieu à des négociations à long terme avec les provinces comme nous l'avons vu dans le dossier constitutionnel. Il faudrait que les autorités provinciales et les ministres qui représentent le volet culturel se réunissent et travaillent de concert avec la CCA et d'autres représentants de la communauté culturelle canadienne en vue de mettre sur la table ce qui est essentiellement une ligne dans le sable—si je peux me permettre de m'exprimer ainsi—qui précise ce qu'est la culture canadienne. Voilà qui aiderait à définir ce que sont les Canadiens et ce qu'ils font.

Cela transcende les arts ou le patrimoine. C'est une question de mode de vie. Al a été très éloquent à ce sujet. À bien des égards, notre mode de vie est différent de celui des autres habitants du continent nord-américain et il faut que nous ayons une politique qui soit une arme pour combattre le monétarisme ambiant.

Merci.

Le vice-président (M. Inky Mark): Merci.

Suzanne.

[Français]

Mme Suzanne Tremblay: J'ai été un peu inquiète tout à l'heure, quand M. Allison Bishop a dit qu'il fallait que le Canada établisse des normes. Il vient de faire une nouvelle intervention pour dire qu'il devrait y avoir une politique culturelle canadienne. Il faudrait bien sûr qu'il y en ait une, parce qu'une culture est ce qui définit un peuple.

Cependant, si les provinces s'assoyaient à une table avec le fédéral pour définir une politique culturelle en mettant de côté le fait que le peuple québécois existe, qu'il a sa propre culture et veut la conserver, le quatrième millénaire serait proche et on ne serait pas encore arrivé à s'entendre.

Ce qui est dramatique au Canada, c'est que les Canadiens qui n'étaient pas français se sont pour la plupart identifiés aux Américains, ou n'y ont pas attaché beaucoup d'importance ou encore pas assez d'importance. Ce qui nous a sauvés, au Québec, c'est peut-être le fait que la langue nous a un peu isolés. Elle a constitué une sorte de barrière qui nous a protégés contre l'envahisseur américain. Je pense que le Canada doit retrouver le moyen d'avoir une culture très forte.

Je me rappelle la première bataille que j'ai livrée comme députée, quand je suis arrivée à Ottawa en 1993. J'ai lutté contre la vente de Ginn Publishing Canada. On a perdu la bataille. Le gouvernement Mulroney avait laissé des traces. Lorsqu'on avait demandé à M. Dupuy de déposer les documents qui prouvaient la véracité de ce qu'il avançait, il avait répondu en Chambre que les paroles laissent des traces. Vous pourrez consulter le Journal des débats à ce propos. On n'avait jamais entendu une chose pareille.

Pour tout dire, on n'a pas trouvé de traces, mais il avait été décidé par le gouvernement Mulroney de vendre cette maison d'édition aux Américains, qui, eux, l'ont vendue par la suite à quelqu'un d'autre. En résultat, comme on l'avait prédit en 1993, 98 p. 100 des livres qui sont actuellement dans les écoles anglophones du pays sont faits par les Américains.

Quand un enfant commence, dès sa première année, à faire des problèmes de mathématique avec une mentalité américaine, avec du vocabulaire américain, à apprendre à lire avec des livres américains, comment voulez-vous que demain matin il soit canadien?

Le Canada a la chance, à mon avis, et je ne le dis pas avec prétention, d'avoir parmi ses citoyens, à l'heure actuelle, un peuple qui a une culture et qui veut la défendre. On pourrait s'asseoir ensemble pour voir comment on peut défendre la culture canadienne. C'est la mission que je me suis donnée.

Les journalistes me demandent souvent pourquoi je défends la culture canadienne, moi, la séparatiste. Je leur réponds que le jour où le Québec sera souverain, il faudra que le Canada soit fort, ait une culture forte, que les Canadiens soient bien identifiés, qu'ils sachent qui ils sont. La culture, c'est ce qui dit ce qu'on est.

Tant mieux si on peut s'asseoir ensemble pour la faire. Mais je dois vous dire tout de suite qu'on ne se laissera pas avaler par les Canadiens comme les Américains ont essayé de vous avaler.

• 1445

[Traduction]

Le vice-président (M. Inky Mark): Allez-y.

[Français]

Mme Martine Jacquot: J'aimerais ajouter quelque chose. Je suis d'accord sur tout cela, mais je crois qu'on devrait confier aux artistes une plus grande responsabilité dans le destin culturel de la province et du pays.

Je vais souvent dans les écoles. En ce moment, je suis artiste en résidence dans des écoles. Je parle de multiculturalisme aux élèves. Il est très facile de les convaincre. C'est facile de parler aux élèves. Ce sont les professeurs qu'il faut éduquer. Ils ne savent rien. Ils ne savent pas.

Deuxièmement, quand il s'agit ici de restructurer quelque chose, de prendre des décisions, de qui prend-on l'avis? Des fonctionnaires, des chefs d'entreprise, des gens qui ont une mentalité de comptable, et non des gens qui ont une vision. Je pense que là encore, on doit consulter les artistes.

[Traduction]

Soit dit en passant, Charles Tupper est l'homme qui a fermé les écoles francophones. C'est à cause de lui que les Acadiens n'ont pas pu avoir d'écoles de langue française pendant des années et des années.

[Français]

Mme Suzanne Tremblay: Je voudrais ajouter quelque chose, monsieur le président. Je pense que madame a tout à fait raison, cela sur un point extrêmement important.

Je regarde ce qui s'est passé au Québec. Monsieur l'a mentionné aussi: à l'heure de La famille Plouffe, personne n'était dans les rues. Nos artistes, Félix Leclerc, Gilles Vigneault, Daniel Lavoie qui est venu du Manitoba donner un coup de main, Carmen Campagne qui est venue de la Saskatchewan, Antonine Maillet qui vit à Montréal depuis 40 ans, sont tous des gens qui nous ont faits ce que nous sommes. Elles et eux ont probablement profité de la protection de la langue. Au Québec, la télévision qu'on écoute, c'est celle qui est fabriquée au Québec.

Quand vous avez quatre millions de personnes sur sept millions qui, le lundi soir, écoutent La petite vie ou Omerta, c'est parce que la télévision nous renvoie l'image de nous-mêmes, de ce qu'on aime regarder, de ce qu'on est, de notre façon de vivre.

J'ai été très surprise que des gens de la radio disent que dans les quotas francophones, ils étaient déçus de voir que Céline Dion ne comptait pas pour beaucoup. Je ne l'ai pas relevé hier parce qu'on n'en a pas eu le temps. Eh bien, tant mieux si elle ne compte pas, parce que Céline Dion est américaine ou universelle. Elle n'est ni québécoise ni canadienne dans l'âme. Elle ne chante rien de nous. Elle ne nous chante pas. Elle fait de l'argent comme une Américaine. Donc, tant mieux si elle ne compte pas dans les quotas canadiens. Tant mieux, parce qu'il ne faut pas se laisser avoir par le fait qu'elle a les deux pieds rivés dans l'asphalte de Montréal. Ce n'est pas cela qui fait un Canadien ou un Québécois. Il faut faire bien attention à cela et y résister.

Je pense qu'on doit se tourner vers les artistes. On doit leur donner des moyens pour qu'ils réalisent des films et éditent des livres. On le fait, mais il faut le faire davantage. Depuis que le gouvernement a créé le Fonds de la câblodistribution, on fait maintenant plus d'émissions; on les oblige à en faire. Or, les cotes d'écoute de CBC n'ont pas fondu parce que maintenant, en prime time, on émet des émissions canadiennes. Les Canadiens anglais aiment autant que nous entendre parler d'eux-mêmes.

C'est sûr que lorsqu'il n'y avait rien d'intéressant à regarder, il valait aussi bien regarder ABC que CBC. Je pense qu'il faut s'orienter de cette façon parce qu'il y a là une piste intéressante.

M. Yvon Aucoin: J'aimerais ajouter quelque chose. Je pense que les artistes peuvent faire changer les choses, de même que les politiciens, du moins je l'espère. Toutefois, il arrive que les politiciens tiennent un discours alors que les artistes en tiennent un autre. Il faudrait que ces deux groupes se parlent pour que les choses finissent par avoir du sens.

[Traduction]

Le vice-président (M. Inky Mark): Merci beaucoup.

Je dois maintenant donner la parole à notre auditoire. Comme je l'ai dit, la participation de l'auditoire est importante. Par conséquent, j'invite les gens à s'approcher des deux microphones. Nos travaux tirent à leur fin. Nous sommes ici depuis près de deux heures et il nous reste environ 10 minutes. Veuillez vous présenter au microphone et vous identifier.

[Français]

M. Jim Aucoin (témoigne à titre personnel): Merci, monsieur le président. Je m'appelle Jim Aucoin et je suis directeur général de la Fédération acadienne de la Nouvelle-Écosse. Je suis très content que vous soyez ici pour discuter des problèmes que nous avons ici, en Nouvelle-Écosse à propos du gouvernement fédéral et de Patrimoine Canada.

• 1450

La Nouvelle-Écosse, le berceau de l'Acadie, a un problème énorme aujourd'hui. Vous parlez de culture. Je pense que la langue est vraiment la culture. Il est très important de... [Note de la rédaction: Difficultés techniques].

Nous observons aujourd'hui ici, en Nouvelle-Écosse, l'assimilation anglophone. Nous, Acadiens, perdons notre langue en faveur de l'anglais. Si je peux le dire, on la perd aussi en faveur des Québécois, du Québec, parce qu'il y a un million d'Acadiens dans la province de Québec. Cela n'est pas grave, mais perdre notre langue ici, dans la province de Nouvelle-Écosse, est grave.

Les Acadiens ont survécu. Je pourrais vous faire un historique des Acadiens, mais je pense que vous êtes au courant de ce qui s'est passé autrefois, de notre histoire. Nous sommes encore vivants et vibrants ici, en Nouvelle-Écosse. Cependant, au cours des 10 dernières années, avec la fermeture des pêches sur nos côtes—vous savez que les régions acadiennes vivaient principalement de la pêche—, avec les compressions financières du gouvernement fédéral dans les programmes des langues officielles et du patrimoine canadien, nous sommes placés devant un vrai problème.

Je ne veux pas parler trop longtemps, mais j'aimerais bien que vous trouviez le moyen de convaincre Mme Copps d'affecter plus d'argent aux ententes Canada-communautés et de le faire dans les deux ou trois prochaines semaines.

Nous dépendons vraiment des services des bénévoles ici, en Nouvelle-Écosse, pour tout ce qui a trait à notre culture. Cela a été mentionné ici, aujourd'hui. J'ai bien aimé les discours qui ont été prononcés ici, parce qu'on a parlé de la vérité, de ce qui s'est vraiment passé. N'oublions jamais les bénévoles parce qu'ils ont travaillé très fort.

Mais depuis les coupures dans le financement, ces bénévoles sont brûlés. Ils sont fatigués d'essayer jour après jour de trouver de l'argent pour réaliser des projets venant de partout dans notre culture.

Je vous dis aujourd'hui que si on n'arrête pas l'assimilation anglophone, on ne pourra plus parler d'un Canada bilingue parce qu'il n'y aura plus d'Acadiens qui parleront français. Il n'y aura plus de francophonie en Nouvelle-Écosse. Il n'y en aura plus à Terre-Neuve. Il n'y en aura plus à l'Île-du-Prince-Édouard. Il y en aura encore au Nouveau-Brunswick, mais on ne parlera pas du Canada. Il n'y en aura plus en Saskatchewan, en Alberta et en Colombie-Britannique. Il y en aura un peu au Manitoba. En Ontario, il y en aura. Mais le Canada ne sera pas un pays bilingue. Il y aura le Québec et le reste du Canada tel qu'il va exister.

Si le gouvernement fédéral est sincère quand il dit vouloir que notre pays demeure bilingue, avec deux cultures officielles et deux langues officielles, qu'il ouvre son portefeuille afin qu'on puisse avoir des programmes culturels dans cette province, qui incluent la langue et tout ce dont vous avez parlé ici aujourd'hui, afin que la culture acadienne francophone demeure vivante.

Merci beaucoup.

[Traduction]

Le vice-président (M. Inky Mark): Merci de vos observations.

Je vais permettre une dernière intervention de l'auditoire avant de clore la séance.

M. Irvine Carvery (témoignage à titre personnel): Je vous remercie beaucoup. Je m'appelle Irvine Carvery et je suis président de la Société généalogique d'Africville. J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt les commentaires des participants autour de la table.

J'ai beaucoup d'empathie pour mes amis du Québec. Certains ont fait remarquer que les francophones avaient vécu de façon isolée et que cela s'était avéré bénéfique puisqu'ils avaient pu ainsi conserver une culture distincte de celle des Américains.

• 1455

Nous, les Canadiens d'origine africaine qui sommes nés en Nouvelle-Écosse, avons souffert du même genre de discrimination, dans une moindre mesure peut-être, mais notre isolement, en raison des préjugés et du racisme, nous a permis de développer ici au Nouveau-Brunswick notre propre culture, une culture riche et vibrante. Le problème, c'est que bien des discussions et des programmes s'adressent généralement aux groupes très nombreux. Pour ce qui est de notre patrimoine, de notre existence ici en sol canadien, notre peuple est présent ici depuis aussi longtemps que les Premières nations, le peuple micmac.

Je veux aussi revenir sur ce qu'a dit mon ami, l'Acadien, au sujet du danger de perdre sa langue ici, en Nouvelle-Écosse. Malheureusement, nous avons perdu notre langue. Nous avons été amenés ici contre notre gré et on ne nous a jamais permis de pratiquer les langues émanant de notre mère patrie, l'Afrique.

Il est tout à fait opportun que vous veniez ce mois-ci car c'est le mois de l'histoire africano-canadienne. Voilà pourquoi j'ai jugé bon de prendre la parole devant vous pour encore une fois sensibiliser le gouvernement fédéral à notre existence. Nous avons une histoire et une culture très vigoureuses et nous souhaiterions qu'elles se reflètent dans nos institutions culturelles. Le problème, c'est qu'en raison du racisme dont j'ai parlé, les Canadiens d'origine africaine n'ont pas les moyens économiques de se doter d'une infrastructure qui pourrait faire connaître au reste du Canada et du monde leur histoire et leur culture. Nous avons besoin de l'aide de tous les pouvoirs publics pour réaliser cet objectif et être partenaire à part entière dans sa réalisation.

On a évoqué les liens entre les Canadiens et nos voisins du Sud, les Américains. Nous avons un problème distinct en ce sens qu'aujourd'hui, nos jeunes regardent la télévision. Les émissions présentées sur les écrans de télévision reflètent les valeurs américaines, et étant donné qu'ils ont une image très peu positive des Africano-Canadiens, nos jeunes pensent que c'est ce modèle qu'ils devraient adopter. C'est faux. Les Canadiens d'origine africaine sont différents des Américains d'origine africaine sur le plan de la culture et du système de valeurs. Nous sommes issus d'une culture façonnée par de très petites communautés où les valeurs communautaires sont estimées et respectées. Nos institutions culturelles ont été les églises, les salles paroissiales et les autres éléments liés à nos églises. Cela n'est pas reflété dans les discussions ou dans les documents lorsqu'il est question de patrimoine. Cette réalité semble à l' extérieur du cercle où a lieu la discussion.

Chose plus importante encore, je veux faire comprendre aux membres du comité que dans tous les domaines artistiques—la musique, le patrimoine, etc—nous avons quelque chose à offrir à notre pays, le Canada. Si vous vous penchez sur les antécédents des Néo-Écossais d'origine africaine, vous constaterez qu'ils sont semblables à ceux des Ontariens d'origine africaine de la région de Windsor et d'Amherstburg qui sont venus ici pour fuir l'esclavage aux États-Unis. Vous constaterez que l'on retrouve dans le sud de l'Ontario bon nombre des valeurs que nous partageons ici, en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick.

Notre histoire, notre présence ici au Canada est unique comparativement à l'expérience de ceux qui sont venus plus tard. Le Canada a accueilli des immigrants africains originaires des Antilles, d'Afrique et d'Angleterre. L'une des choses qu'on a tendance à faire au Canada, c'est de mettre tout le monde dans le même sac, mais notre expérience est une expérience authentiquement canadienne. Nous sommes le reflet de cette expérience canadienne qui diffère de celle des immigrants venus des Antilles, des Îles ou d'Angleterre. Nous avons quelque chose à partager avec nos concitoyens canadiens et je ne pense pas que notre pays pourra véritablement progresser sur la voie de la protection et de la définition de sa culture si nous ne faisons pas partie de cette mosaïque.

Je vous remercie pour votre temps.

Le vice-président (M. Inky Mark): Je vous remercie beaucoup de vos observations. Nous allons maintenant clore la première de trois séances cet après-midi et ce soir. Nombreux sont ceux qui ont apporté au comité énormément d'informations, ce qui lui sera certainement utile dans sa tâche. Au nom du Comité du patrimoine, je vous remercie.

Wendy, vous aurez le dernier mot.

• 1500

Mme Wendy Lill: Je remercie tous ceux qui sont venus ici aujourd'hui. Notre journée a été fort différente de celle d'hier.

Lorsque j'écoute Irvine Carvery, j'entends le témoignage d'une personne qui, parlant de culture, vit cette culture et en fait l'expérience dans sa communauté. Même chose pour Al Chaddock. Il exprime ses préoccupations à l'égard de la culture qu'il connaît. En un sens, bien des personnes ici sont des gardiens de la culture. Étant donné qu'elles se soucient de culture, ce sont elles qui en assurent le recensement et la préservation. C'est une tâche très importante que vous assumez.

Je me souviens du festival multiculturel auquel j'ai assisté il y a six mois. Je regarde Barbara Campbell, car je me rappelle avoir pensé que tout le monde sur la scène était jeune, que tous les participants étaient remplis d'enthousiasme pour cette culture qu'ils présentaient brièvement sur la scène. Il faut assimiler cette notion de culture et de soins culturaux. C'est comme faire pousser quelque chose. Qui va faire pousser la culture dans notre pays? Comment allons-nous donner à notre culture les éléments nutritifs et l'estime de soi dont elle a besoin?

On ne peut nier le fait qu'à l'heure actuelle, de nombreux problèmes minent notre estime de soi, notamment pour ce qui est du contrôle de nos propres ressources, de nos propres communications et de nos leviers de pouvoir politique. Tous ces volets font partie de notre culture, et il est très stimulant d'entendre tout ce qui se dit autour de la table. J'espère que tous les participants ont eu le sentiment qu'au moins partiellement, on a répondu à leurs besoins ici.

Mais c'est comme une conversation permanente. C'est vraiment une conversation qu'on devrait avoir beaucoup plus souvent dans nos salles de classe, dans les médias, dans les cuisines et les salons. Je suis totalement en faveur de cela. Il faut foncer.

Je vous remercie beaucoup d'être venus.

Le vice-président (M. Inky Mark): Nous allons certainement poursuivre cette conversation. J'invite nos invités et les membres de l'auditoire à rester, s'ils en ont le temps.

Nous allons suspendre la séance pendant 10 minutes et ensuite, nous reprendrons notre discussion.