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SINT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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SUB-COMMITTEE ON INTERNATIONAL TRADE, TRADE DISPUTES AND INVESTMENT OF THE STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

SOUS-COMITÉ DU COMMERCE, DES DIFFÉRENDS COMMERCIAUX ET DES INVESTISSEMENTS INTERNATIONAUX DU COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 14 mars 2001

• 1608

[Traduction]

Le président (M. Mac Harb (Ottawa-Centre, Lib.)): La séance est ouverte. Nous avons le quorum.

Je tiens à signaler aux membres du comité que nous accueillons aujourd'hui M. Murray, de la Banque du Canada. M. Murray a une série de transparents à nous présenter, mais comme les transparents sont en anglais uniquement, j'ai besoin de l'autorisation du comité pour qu'il puisse les présenter, étant entendu que vous recevrez la version française dans les meilleurs délais.

Tout le monde est d'accord?

Des voix: D'accord.

Le président: Très bien, monsieur Murray, nous vous invitons à nous présenter votre exposé. Merci beaucoup de votre présence ici aujourd'hui.

M. John Murray (conseiller, Banque du Canada): Merci beaucoup de m'avoir invité. Je suis ravi de témoigner devant votre comité.

À la Banque du Canada, nous avons tendance à examiner à un niveau assez élevé certaines des questions dont je vais vous parler aujourd'hui. Aussi j'espère que ce que je vous présenterai vous sera utile. J'ai préparé un document comprenant des observations et des graphiques. Je tiens à vous présenter dès le départ mes excuses pour le fait que le document soit en anglais seulement. À cause du délai imparti, nous n'avons pas eu beaucoup de temps pour le préparer dans les deux langues.

• 1610

Je n'ai pas l'intention de passer en revue tout ce qui se trouve dans le document. Je me laisserai plutôt guider par ce qui vous intéressera plus particulièrement. À la deuxième page du document, vous verrez certaines des questions et des préoccupations que nous pourrions aborder avec vous, mais je le répète, je suis prêt à suivre les pistes d'interrogation qui vous intéressent.

J'ai pensé que nous pourrions commencer par un aperçu sommaire de certains faits que je qualifierais de stylisés, c'est-à-dire les flux des échanges et des investissements entre le Canada et les États-Unis, puis entre le Canada et l'Europe et enfin entre le Canada et le reste du monde. Je passerai ensuite aux facteurs qui expliquent le phénomène que nous appelons, assez péjorativement, la dépendance du Canada à l'égard des États-Unis. Et je ne veux pas laisser entendre par là, comme je le préciserai tout à l'heure, que cela est nécessairement mauvais, que c'est mauvais d'avoir les États-Unis pour voisin.

Ensuite, je décrirai les perspectives à court terme relativement aux conditions macroéconomiques en Europe, après quoi, selon l'intérêt que vous manifesterez, je pourrais vous parler des débuts de l'Euro ainsi que de l'Union monétaire européenne et de la Communauté économique européenne. Enfin, j'essaierai de voir s'il n'y a pas certains éléments de cette expérience européenne récente qui permettraient de tirer des leçons pour le Canada.

J'ai cru bon d'aborder ces questions à la fin du document, non pas tellement parce qu'elles ont un lien direct avec les questions qui vous intéressent, le commerce et les échanges commerciaux entre le Canada et l'Europe, mais parce que je pense que votre étude est motivée par l'impression qu'il se passe quelque chose d'important là-bas... Et il se passe effectivement quelque chose d'important là-bas... Et que nous sommes peut-être en train de manquer le bateau. En remettant le tout dans le contexte de l'UME et de l'introduction de l'Euro, j'espère en quelque sorte éclairer le débat sur la question de savoir si nous sommes en train de manquer le bateau par rapport à l'Europe.

Passons donc aux flux des échanges et des investissements. Et si vous allez voir à la fin du document, après les notes schématiques, le premier graphique montre très clairement une chose.

Le président: C'est quelle page?

M. John Murray: C'est le graphique 1. Vous le trouverez donc aussitôt après les notes schématiques. Malheureusement, j'ai structuré le document de telle façon que toutes les notes schématiques figurent en premier et que les graphiques se trouvent à la fin, si bien que nous allons devoir alterner entre les deux.

Vous verrez trois lignes sur le graphique 1. Ces lignes représentent les exportations canadiennes, exprimées en millions de dollars. La ligne du haut représente nos exportations aux États- Unis, et vous pouvez constater qu'elles montent en flèche, surtout à partir de 1990. Si vous le vouliez, vous pourriez établir un lien entre cette croissance rapide et l'arrivée de l'accord de libre- échange, et ensuite celle de l'ALÉNA. En tout cas, la tendance se trouve certainement renforcée par ces accords.

Il y a aussi d'autres facteurs auxquels il convient de s'arrêter, comme la valeur de notre dollar par rapport au dollar américain et la croissance de l'économie américaine. Il y a une multitude de facteurs qui peuvent expliquer cette tendance, mais le fait est qu'elle est assez surprenante.

Les États-Unis sont depuis toujours un partenaire important. Ils sont depuis longtemps—et je ne sais pas jusqu'où il faut retourner dans l'histoire—notre partenaire commercial le plus important. Chose certaine, l'écart entre les États-Unis et ce que j'appelle «le reste du monde» s'est élargi. La ligne du bas représente l'Europe, la CEE, c'est-à-dire la Communauté économique européenne, qui arrive bonne troisième.

Si vous passez au graphique suivant, qui représente les importations, vous verrez que la tendance n'est pas tellement différente. Le reste du monde est légèrement en avance sur l'Europe, mais vous pouvez constater que les échanges avec les États-Unis sont toujours très importants et que beaucoup de ce que nous importons des autres pays nous vient d'une source, à savoir, les États-Unis.

Le graphique 3 présente la concentration des exportations, si vous me passez l'expression, en pourcentages. Comme vous pouvez le constater, un peu moins de 70 p. 100 de nos exportations étaient destinées aux États-Unis en 1975. Leur proportion atteint maintenant 87 p. 100. Je crois que c'est là le chiffre le plus récent que nous ayons. Le pourcentage a certainement augmenté avec les années, en termes relatifs et aussi en termes absolus, et vous pouvez voir la tendance à la baisse que reflètent les lignes qui représentent le reste du monde et l'Europe.

• 1615

Le graphique 4 illustre une tendance semblable, mais un peu moins prononcée. Du côté des importations, il y a 25 ans, nous importions quelque 68 p. 100 de nos biens et services des États- Unis. La proportion est maintenant d'environ 74 p. 100 ou 75 p. 100, si bien que les importations n'ont pas tellement augmenté. Précisons à l'intention des mercantilistes, c'est-à-dire de ceux qui aiment les exportations et qui détestent les importations, que nous avons certainement accru nos exportations beaucoup plus que nos importations.

M. Mark Eyking (Sydney—Victoria, Lib.): D'où proviennent les importations que nous avons en plus? Pourriez-vous me le dire?

M. John Murray: Les parts n'ont pas tellement changé, même si, bien entendu, on doit toujours arriver au bout du compte à 100 p. 100. Les importations en provenance des États-Unis ont augmenté un petit peu, tandis que celles en provenance de la Communauté européenne ont diminué quelque peu, même si la baisse est à peine perceptible. En fait, c'est sans doute la baisse des importations en provenance du reste du monde qui fait la différence.

Le graphique 5 examine pour une année en particulier, l'année 2000, c'est-à-dire l'an dernier, la nature de nos exportations aux États-Unis. Les biens manufacturés y occupaient une place importante. La plupart étaient en fait des biens manufacturés—voitures, machines, équipement—ce qui tend à confirmer le message que plusieurs personnes tentent de faire comprendre, à savoir que le Canada est un pays producteur de haute technologie.

Les matières brutes représentaient toutefois plus de 41 p. 100 de nos exportations. Cela n'est pas quelque chose de mauvais. Nous en reparlerons un peu plus tard peut-être, mais il s'agit d'un avantage par rapport aux autres. Quand on a des matières premières pour lesquelles il existe une demande et qu'on peut vendre à profit, on serait bien fou de ne pas les vendre. Il n'y a donc pas lieu de se sentir gêné du fait que, dans une large mesure, nous continuons à être des coupeurs de bois et des puiseurs d'eau.

Il y a aussi une catégorie «autres» dans le graphique 5.

Si vous passez maintenant au graphique 6—et cela vous surprendra peut-être—, vous verrez que la nature des exportations en Europe n'est pas tellement différente. Naturellement, nous exportons beaucoup moins en Europe qu'aux États-Unis. Les proportions sont un peu différentes, mais il n'en reste pas moins que les produits manufacturés représentent 42 p. 100 de ce que nous vendons en Europe. Il ne s'agit pas uniquement de matières brutes. Cependant, les matières brutes occupent maintenant la plus grande part de nos exportations, leur proportion étant de 52 p. 100.

M. Pierre Paquette (Joliette, BQ): Quels types de matières brutes?

M. John Murray: C'est une bonne question que vous posez là, car ces chiffres sont des totaux qui cachent certains détails. Il se trouve qu'il s'agit généralement de produits agricoles.

Si vous vous reportez au graphique 8, vous pouvez voir la nature des importations en provenance de l'Europe, de la CEE, et vous verrez qu'il y a une différence. Les importations sont de deux types. Premièrement, il s'agit de biens manufacturés à plus de 68 p. 100, si bien que nous sommes en situation d'importations nettes de biens manufacturés en provenance de l'Europe. Nous importons toutefois pour environ 30 p. 100 de matières brutes de l'Europe.

Ce n'est pas comme si nous leur achetions uniquement des Mercedez et des machines de haute technologie. Nous leur achetons une variété de produits, y compris des produits industriels comme les produits chimiques. Nous leur achetons aussi des produits agricoles, mais si nous nous en tenons uniquement aux matières brutes, nous exportons généralement des produits agricoles en Europe et nous en importons des produits chimiques et d'autres produits industriels semi-finis.

Si vous retournez au graphique 7, vous verrez que ce n'est pas tellement différent de ce qui se passe dans le cas des États-Unis. Nous importons également une proportion surprenante de matières brutes des États-Unis; ce n'est donc pas comme si nous leur achetions uniquement des ordinateurs et des voitures.

M. Mark Eyking: Mais la proportion est d'environ deux pour un quand on compare nos importations et nos exportations avec l'Europe, n'est-ce pas? Nous importons pour 10 p. 100 et nous n'exportons que pour 5 p. 100.

M. John Murray: Oui, il y a certainement un déséquilibre. Nous sommes un importateur net par rapport à l'Europe. Nous avons un déficit commercial par rapport à l'Europe qui, bien qu'il ne soit pas considérable, n'est tout de même pas négligeable. Cela ne pose pas nécessairement de problème, bien entendu, car il ne faut pas avoir pour objectif d'équilibrer les échanges avec tous les pays ou toutes les régions avec lesquels on traite. Cela revient encore une fois à une question d'avantages comparatifs.

• 1620

Si nous cherchions à équilibrer nos échanges avec chaque pays, cela nous desservirait énormément, puisque nous avons un énorme excédent par rapport aux États-Unis qui compense largement le déficit que nous pourrions avoir par rapport à l'Europe ou au Japon. Comme vous le savez, le Canada a à l'heure actuelle, quand on tient compte non pas seulement du solde absolu mais du solde courant, un excédent net de plus de 25 milliards de dollars par an.

Nous sommes donc certainement dans le noir, si c'est ainsi que vous voulez mesurer notre succès, de manière globale. C'est là un point qu'il ne faut pas oublier quand on analyse les échanges bilatéraux.

M. Mark Eyking: Où se situerait le pétrole et le gaz? Sous la rubrique des matières brutes?

M. John Murray: Oui. Nous sommes à n'en pas douter un exportateur net de ces produits-là. Il y a quelques années, nous n'avions qu'un excédent modeste parce que nos importations étaient considérables, alors que, dans le cas du pétrole, elles sont à peu près égales à nos exportations. Nous sommes maintenant un exportateur net de pétrole. Ce qui fait que nous avons maintenant le vent dans les voiles, c'est que nos exportations de gaz naturel, d'électricité et, dans une certaine mesure, de charbon—c'est-à- dire nos autres exportations énergétiques—ont augmenté.

Le graphique 9 vous présente des informations sur les flux des investissements. Encore là, les États-Unis arrivent bons premiers. La Communauté européenne est au dernier rang. Je ne passerai pas tout cela en revue. Vous avez donc là des informations sur le total des investissements étrangers ainsi que sur les flux des investissements directs chez nous.

Tout ce que j'ai à vous signaler du côté des investissements, si cela vous intéresse, c'est que le déséquilibre est moins évident. Les États-Unis sont manifestement en avance sur nous quand on compare leurs investissements chez nous et les nôtres chez eux, etc., mais nous recevons depuis longtemps beaucoup d'investissements, non pas seulement du Royaume-Uni, mais aussi des Pays-Bas, qui, fait intéressant, ont toujours été un investisseur très important pour le Canada.

Il convient aussi de signaler, avant que nous n'abordions certains des enjeux, que, quand on n'examine que les investissements directs—et ce que je vais vous dire peut être un peu trompeur, parce qu'on y pense souvent en termes de valeur comptable plutôt qu'en termes de valeur marchande—, nos investissements directs à l'étranger se comparent plus ou moins maintenant aux investissements étrangers au Canada. Ainsi, l'idée que l'on se fait du Canada comme d'une pauvre victime qui est en train de tomber sous l'emprise d'investisseurs étrangers ne correspond pas du tout à la réalité. Il y a en fait un sain équilibre des flux des investissements, tant directs que de portefeuilles. C'est justement une diversification comme celle-là, et non pas une concentration des investissements, que l'on recherche.

M. Mark Eyking: Quand les Néerlandais investissent ici, est-ce dans des entreprises cotées en bourse ou dans des biens immobiliers?

M. John Murray: Il s'agit le plus souvent d'investissements directs, pas seulement chez nous, mais aussi aux États-Unis. Les Néerlandais investissent dans bien des pays. Je le signale simplement pour votre information. C'est un petit pays, mais ils ont depuis toujours eu une part disproportionnée des investissements aux États-Unis, quand on sait la valeur des biens immobiliers et le nombre d'entreprises qu'ils y possèdent ou contrôlent.

Nous sommes étroitement liés aux États-Unis. Nous avons une espèce de dépendance, si vous voulez, par rapport à notre voisin. Nous pourrions peut-être prendre quelques minutes pour explorer certaines des raisons qui expliquent cette dépendance et, ce qui est encore plus important, la croissance phénoménale des derniers temps. Bien entendu, c'est surtout une question de proximité. Nous partageons une frontière avec les Américains. Ce sont nos plus proches voisins. Et cela ne s'arrête pas là; c'est un pays énorme. Nous avons la chance, comme on pourrait dire, de vivre à côté de l'économie qui, par son PIB et sa richesse, est la plus importante du monde. Ce n'est donc pas une mauvaise chose que d'être voisins de ce pays. Autrement dit, c'est normal que nous ayons beaucoup d'échanges avec les Américains.

Il y a aussi d'autres avantages évidents, comme notre culture commune, notre langue commune dans une certaine mesure, nos institutions et le reste, qui facilitent sans doute les échanges entre nous. Chacun de nos deux pays a aussi un lien historique français et anglais.

Ces derniers temps—et là je reviens aux points qui se trouvent à la page 4 du document—, les États-Unis ont connu une croissance remarquable, si l'on fait abstraction des six derniers mois. On en parle comme du miracle américain. Chose certaine, les États-Unis ont eu une croissance réelle de beaucoup supérieure à celle de l'Europe, non pas seulement ces 10 dernières années, mais de manière générale ces 25 dernières années.

• 1625

Vous voudrez bien m'excuser de tout ce va-et-vient, mais si vous voulez bien vous reporter au dernier graphique, le graphique 18, vous y verrez deux lignes qui font penser à des montagnes russes. La plus foncée et la plus stable représente «l'Euro 15», c'est-à-dire les 15 pays membres de l'Union européenne, tandis que l'autre ligne plus hachée représente les États-Unis. Mais comme vous pouvez le constater, la croissance américaine mesurée en PIB réel, soit la mesure qui a été retenue ici, a été le plus souvent supérieure à la croissance européenne.

Il n'y a pas tellement longtemps, nous avons été témoins du miracle américain, cette croissance presque ininterrompue aux États-Unis. Nous avons aussi connu, comme vous l'avez dit tout à l'heure, la dépréciation du dollar canadien. Notre dollar plus faible a quand même un avantage. Il nous rend plus compétitifs sur le marché américain. En 1975, le dollar canadien valait un peu plus de 1 $ US. Je crois qu'il a atteint son maximum local de 1,04 $ US à peu près au même moment. Bien sûr, il s'est stabilisé récemment aux alentours de 65c. US. Il y a deux ans, il avait chuté au plus bas niveau jamais atteint, soit 63c.

Voilà qui explique deux facteurs importants qui favorisent l'accroissement de nos échanges avec les États-Unis—la forte croissance de l'économie américaine et notre taux de change très compétitif. Voilà toutefois qui recèle aussi un mystère. Si vous allez au graphique 17, l'avant-dernier graphique—et je vous promets que c'est le dernier que je vais vous demander de regarder—, vous y verrez la valeur du dollar canadien indexée à 100 en 1975 par rapport au dollar américain et par rapport à ce qu'on pourrait appeler un amalgame de monnaies européennes. La ligne plus foncée représente le taux de change du dollar canadien par rapport au dollar américain. Vous pouvez constater qu'il est en baisse.

Notre dollar avait toutefois perdu beaucoup plus de sa valeur par rapport aux devises européennes que par rapport au dollar américain, du moins jusqu'en 1995. Depuis, l'Euro et les devises européennes ont chuté de façon radicale, si bien que nous avons perdu de notre compétitivité. Ce graphique montre toutefois qu'au même moment où nous étions extrêmement compétitifs par rapport aux États-Unis, nous l'étions encore plus par rapport à l'Europe. On se serait donc attendu à ce que les échanges avec l'Europe, du moins les exportations vers l'Europe, augmentent rapidement. Nos produits étant de ce fait plus attrayants pour les Européens, il aurait été normal d'en vendre plus.

Le mystère se situe toutefois sur deux plans. Premièrement, notre dollar n'a pas perdu autant de sa valeur par rapport au dollar américain, mais nous avons accru de beaucoup, de toute évidence, nos exportations aux États-Unis. Deuxièmement, non seulement nous n'avons pas vendu autant en Europe, mais la part de nos exportations destinée à l'Europe a diminué. Nous n'avons même pas réussi à la maintenir au même niveau. Elle est tombée d'environ 10 p. 100 à environ 5 p. 100 de nos exportations.

M. Mark Eyking: Pourriez-vous m'expliquer le creux que l'on voit au graphique 18 autour de 1983, et la remontée d'ensuite?

M. John Murray: Les États-Unis ont traversé une grave récession que le du Canada a aussi connue en 1981-1982. La première fois que j'ai fait préparer ce graphique par les statisticiens, on y voyait trois lignes, que j'aurais sans doute dû garder: il y avait une ligne pour le Canada, une deuxième pour les États-Unis et une troisième pour l'Europe. Vous auriez pu voir à quel point notre ligne à nous suivait la ligne de croissance des États-Unis. Cela illustre donc la récession de 1981-1982, suivie par une remontée très brusque aux États-Unis qui est représentée par le pic. Il s'est agi d'une récession très grave suivie par une reprise très brusque. Bien sûr, nous n'espérons pas revivre cette grave récession, mais nous espérons voir à nouveau une reprise tout aussi abrupte pour les États-Unis en 2001-2002.

• 1630

Comment expliquer cette croissance étonnante à la fois de nos exportations vers les États-Unis et de nos importations? C'est notamment en raison de l'Accord de libre-échange, qui a été suivi de l'ALENA. Ces deux accords ont eu un effet beaucoup plus percutant sur les exportations et les importations que la plupart des économistes ne l'avaient prédit au départ.

Mais il faut être prudent, car lorsque je dis que ces accords ont eu un effet plus percutant que prévu, c'est parce que les modèles commerciaux que nous avons utilisés n'avaient pas pu le prédire. Toutefois, on ne peut pas dire avec certitude que cette erreur peut être attribuée totalement à l'ALENA. Évidemment, c'est arrivé en même temps, et c'est ce qui nous incite à dire que l'accord de libre-échange a été important.

Deux exemples nous incitent encore plus à la prudence. D'abord, une bonne partie de la croissance des échanges tient aux automobiles, domaine qui faisait déjà l'objet d'un accord de libre- échange avec les États-Unis. En second lieu, une bonne partie de la croissance a trait à la machinerie et à l'équipement comme des ordinateurs, par exemple, qui ne font l'objet d'aucune mesure tarifaire ni de quotas et qui circulent librement, même s'ils n'étaient pas protégés par un accord comme le Pacte de l'automobile. Ces produits ne profitaient pas nécessairement du libre-échange. C'était plutôt d'autres forces qui s'exerçaient, comme des changements industriels structurels, qui nous avantageaient en ce sens.

M. Mark Eyking: Si 75 p. 100 de nos échanges commerciaux se font avec les États-Unis, pouvez-vous nous dire en gros quel est le pourcentage des échanges qu'ont les États-Unis avec le Canada? Est-ce 30 p. 100, par exemple?

M. John Murray: C'est un peu moins, entre 20 et 25 p. 100. Il est intéressant de noter que le Canada est le partenaire commercial le plus important des Américains, ce que ceux-ci tendent à oublier.

[Français]

M. Pierre Paquette: C'est mieux qu'ils ne s'en souviennent pas.

M. John Murray: Il y a encore une différence, mais nous sommes plus importants pour les États-Unis.

[Traduction]

Le deuxième partenaire commercial en importance des États- Unis, c'est soit le Japon, soit le Mexique, qui sont ex aequo dans la course. Le Mexique prend une place accrue, notamment en raison de l'accord de libre-échange, et notamment aussi en raison de son développement économique rapide. Je pense même que le Mexique vient de dépasser le Japon comme second marché d'exportation des États- Unis.

Vous avez posé une bonne question, qui a permis d'établir le contexte.

Passons maintenant à quelque chose qui peut être d'un intérêt moindre, car un peu trop ésotérique, si j'ose dire: je me reporte à nouveau à la page 4 au quatrième point. Vous voyez ce que l'on appelle le modèle gravitationnel et l'effet frontalier. Ce qui suit vous intéressera peut-être: les économistes se servent souvent du modèle gravitationnel pour tenter de prédire quelle quantité d'échanges commerciaux un pays devrait avoir avec un autre partenaire commercial. Il faut tenir compte de trois éléments.

Le premier élément, c'est la distance et il faut se demander si vous êtes situé loin de ce partenaire commercial. Il se trouve que cet élément est très important. En deuxième lieu, demandez-vous si sa population est importante. Et en troisième lieu, demandez-vous si ce partenaire est riche, et quel est son revenu. On doit donc tenir compte de la distance, de la population et du revenu par habitant: ce sont là trois éléments qui constituent des indicateurs prévisionnels assez fiables.

Il est surprenant de constater à quel point les échanges commerciaux diminuent au fur et à mesure que la distance augmente. La relation n'est pas nécessairement linéaire. C'est un peu comme la gravité: plus vous vous éloignez, et plus le lien avec l'autre corps est ténu.

Si je vous explique tout cela, c'est que cela permet de mieux comprendre une partie de ce qui se passe avec les États-Unis. Les États-Unis sont très proches de nous, ils sont un très grand et très riche pays. Mais ce qui est intéressant, c'est de constater la situation bizarre suivante: si l'on tient compte de la population, des distances et du revenu au Canada d'une province à l'autre et que l'on compare ces éléments avec les distances, les populations et le revenu entre les provinces canadiennes et les États américains, on constate que les Canadiens ont beaucoup plus d'échanges commerciaux entre eux qu'avec les Américains.

Laissez-moi vous donner un exemple. Comme nous avons les données provinciales en matière de commerce, nous pouvons savoir comment se répartissent les échanges entre l'Ontario, par exemple, et chacune des autres provinces. Prenons le cas de la Colombie-Britannique et de sa capitale Vancouver, qui est une province relativement riche.

• 1635

Si vous preniez un État américain situé aussi loin que la Colombie-Britannique et ayant à peu près la même population que celle-ci et que vous fassiez les ajustements pour tenir compte des différences en revenus, vous constateriez qu'il y a un manque à gagner énorme en échanges commerciaux. D'après les chiffres de John McCallum, les échanges entre l'Ontario et la Colombie-Britannique sont 12 fois plus élevés que ne le seraient les échanges entre l'Ontario et un État américain équivalent.

Je vais me répéter. Même si nous commerçons énormément avec les États-Unis, que nous avons conclu des accords de libre-échange, que nous partageons la même culture et des institutions semblables, etc., cela n'a pas suffi pour surmonter ce que les économistes appellent aujourd'hui un effet frontalier important. Je parle ici de la frontière qui sépare nos deux pays.

Si toutes les choses étaient égales d'ailleurs, nous devrions aujourd'hui avoir 12 fois plus d'échanges commerciaux avec les États-Unis que nous n'en avons actuellement—d'après les chiffres de John McCallum, même si on ne sait trop comment cela se ferait. Fait intéressant à noter, ce chiffre estimatif a baissé depuis l'avènement du libre-échange. Au début, John McCallum parlait d'un facteur de 18, alors qu'il l'a réduit maintenant à 12. Or, un autre économiste canadien, John Helliwell, a fait des calculs encore plus récents et a fait chuter ce facteur à 8 environ.

Ce facteur laisse entendre que nous échangeons beaucoup trop entre nous. Nous avons beaucoup d'échanges avec les États-Unis, mais leur proximité, leur population et leurs revenus sont tels que nous devrions échanger avec eux beaucoup plus. Par extension, devrions avoir des échanges commerciaux encore plus grands avec l'Europe, avec qui notre déficit est plus grand, ou nos échanges inexistants.

Il nous reste encore beaucoup de chemin à faire avant de parler d'un véritable libre-échange avec les étrangers, c'est-à-dire avant de pouvoir dire que nous traitons les étrangers de la même façon que nous traitons les autres provinces. Malgré tout ce que l'on a entendu dire au sujet des barrières interprovinciales au commerce, qui sont un facteur important et qui devraient être réduites, voire éliminées, pour des raisons d'efficacité, nous continuons à échanger beaucoup entre nous et à laisser l'effet frontalier se faire sentir.

L'effet frontalier se fait sentir aussi dans le domaine des investissements. Dans un sens, nous investissons beaucoup trop dans le Canada et beaucoup trop peu à l'étranger. Si l'on tient compte des taux de rendement et des avantages de diversifier les portefeuilles, les investisseurs canadiens devraient consacrer une part accrue de leurs portefeuilles à des titres étrangers.

Mais c'est un élément qui se confirme ailleurs et qui n'est pas particulier au Canada. L'effet frontalier dont j'ai parlé dans le cas des échanges commerciaux et des investissements se confirme dans tous les pays du monde. Cela semble être incrusté partout. C'est pour de profondes raisons institutionnelles que l'on hésite à investir, à diversifier ses titres et à commercer autant qu'on le pourrait avec l'étranger pour profiter pleinement des occasions qu'il offre et pour lui permettre la réciproque.

M. Mark Eyking: Mais monsieur Murray, si vous avez un REER, vous savez bien que vous êtes limité dans ce que vous pouvez investir à l'étranger. Si vous êtes un éleveur de bétail et que vous vouliez acheter des céréales de l'Argentine, vous auriez de grandes difficultés. Si nous achetons des autres provinces, c'est parce que les institutions sont déjà là pour nous le permettre.

M. John Murray: Vous avez tout à fait raison. Malheureusement, la situation s'explique en grande partie par l'intervention directe du gouvernement, que ce soit sous forme de mesures tarifaires, d'obstacles non tarifaires, de restrictions imposées aux activités d'investissement, etc.

Vous avez parlé des REER. C'est un exemple intéressant, car la limite qui était imposée au pourcentage de votre REER que vous pouviez investir dans les titres étrangers vient récemment d'être relevée de 20 à 30 p. 100. Pour la plupart des Canadiens, ce plafond importait peu car, dans l'ensemble, le pourcentage des fonds REER investis à l'étranger n'atteignait jamais, loin s'en faut, l'ancienne limite de 20 p. 100. Cela pouvait évidemment embêter certains Canadiens, mais ceux-ci trouvaient d'habitude des façons novatrices de contourner cette règle en profitant d'autres options.

Je trouve néanmoins qu'il est bon que la limite ait été relevée. Je ne dis pas le contraire. Des limites comme celles-là peuvent être néfastes. Mais outre cela, il semble qu'il y ait d'autres forces plus profondes contre lesquelles il faut se battre lorsque l'on veut tenter d'élucider ce mystère. Je pense notamment au manque d'information et de familiarité des autres pays, à une méconnaissance des débouchés.

• 1640

Si nous passons maintenant au dernier point, selon certaines personnes, si nos échanges commerciaux sont moins importants qu'ils devraient l'être, et si nous n'investissons pas autant que nous devrions à l'étranger et que les étrangers ne font pas davantage de commerce avec nous, c'est que le taux de change est instable, problème qui ne se poserait pas avec une monnaie commune.

Pour ma part, je ne suis pas persuadé que ce facteur est aussi important qu'on le dit, et ce pour diverses raisons. Je noterai cependant que l'Europe nous fournit un exemple très intéressant. Bon nombre des pays ont maintenant adopté une monnaie unique et il sera fascinant d'en suivre les répercussions sur le commerce et l'investissement.

Il y a toujours eu beaucoup de commerce et d'investissement entre les divers pays européens. Or, ces deux dernières années, on n'a observé aucune augmentation considérable qui résulterait de la monnaie unique. Les premiers résultats ne sont donc pas encourageants, en ce sens que contrairement à certains espoirs, la monnaie unique n'a pas modifié sensiblement les tendances en matière de commerce et d'investissement, tout au moins pas encore.

Cela ne veut pas dire que les choses ne vont pas évoluer en ce sens, mais en tant que Canadiens, on peut quand même suivre la situation avec un certain intérêt. C'est d'ailleurs bien que ce soit les autres qui fassent les frais de cette expérience. Quoi qu'il en soit, les apôtres d'une monnaie commune pour l'Amérique du Nord suivent attentivement ce qui se passe en Europe.

Peut-être y a-t-il un message à retenir ici. Il se peut que les «euro sceptiques», comme on les appelle, ceux qui doutent du bien-fondé de l'initiative, aient sous-estimé certains des avantages microéconomiques de la monnaie commune, comme une moins grande incertitude et des coûts réduits en matière de transactions commerciales.

Cela dit, en dépit du fait que notre monnaie a un taux flottant par rapport à la devise américaine, et qu'elle a parfois eu des hauts et des bas assez imprévisibles, nos échanges avec les États-Unis ont tout de même connu une croissance de 500 p. 100 au cours des 20 dernières années. Il est donc difficile de penser que l'instabilité a eu un effet assez contraignant sur le comportement que nous avons observé.

Dans les trois dernières pages de mes notes, je donne un aperçu de la situation européenne à court terme, compte tenu de l'Union économique et monétaire et de l'euro, et j'en tire des leçons pour le Canada. Je me rends compte toutefois que j'ai beaucoup parlé et que je ne vous ai pas encore demandé de quoi vous voulez que je vous entretienne.

Donc, avant de poursuivre, je vais faire une pause.

Le président: Monsieur Murray, votre exposé nous est très utile. Peut-être aimeriez-vous nous résumer le reste de votre texte, après quoi nous passerons aux questions et observations.

M. John Murray: Volontiers.

Le président: Il nous reste encore beaucoup de temps, pour une période de questions.

M. John Murray: Je serai très bref afin de vous laisser du temps pour cela. Je vais donc parcourir les derniers points mais assez rapidement.

Peut-être pourriez-vous passer à la page 5, l'aperçu à court terme de la situation européenne. Brièvement, la situation là-bas est un peu plus favorable que ce qu'on observe aux États-Unis, bien que cet avantage soit très mince.

Ainsi que je le précise, l'Europe souhaite vivement importer le miracle américain. Au cours des années 90, et même jusqu'en 2001, les États-Unis ont connu leur plus longue période de forte et constante croissance depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Cela est en grande partie le fruit de hausses considérables de la productivité, des salaires réels et de la richesse. Bien entendu, non seulement l'Europe, mais à mon avis le reste du monde, y compris le Canada, aimerait bien connaître cette même expansion miraculeuse, qui ne s'est réalisée nulle part ailleurs. Au Canada, selon les premiers indicateurs, certains des investissements considérables effectués depuis 1996-1997 commencent à donner des résultats.

Malheureusement, au moment même où l'on commence à observer une accélération de la croissance des revenus et une plus grande productivité des travailleurs, c'est-à-dire depuis un trimestre ou deux, il semble que l'économie des États-Unis et peut-être la nôtre vont connaître un ralentissement, ce qui nous empêchera peut-être d'avoir une mesure réelle de ces facteurs pendant quelque temps.

L'Europe essaie aussi d'importer cela. Toutefois, comme je l'indique au deuxième point, il y a un risque de contagion américaine. Les commentateurs européens se montrent assez optimistes et disent que la croissance va se poursuivre en Europe malgré le ralentissement aux États-Unis: «C'est là qu'il faut investir, c'est là qu'il faut faire des affaires». Je crois toutefois qu'ils sous-estiment peut-être l'effet du ralentissement aux États-Unis sur leur économie, effet à la fois direct pour ce qui est de la demande américaine, et indirect sur les marchés financiers avec la chute de la bourse aux États-Unis. J'ai l'impression que les Européens, et en particulier les Allemands, commencent à le réaliser.

• 1645

Donc, même si l'Europe semble avoir un léger avantage par rapport aux États-Unis au cours de la prochaine année en ce qui concerne la croissance et le potentiel d'investissement, je n'y accorderais pas une trop grande importance.

Il faut toutefois noter que, parce qu'il y a 15 pays en cause en Europe, il y a plus de diversité et ainsi souvent une plus grande stabilité dans la croissance nette. Donc, bien que les États-Unis aient dans l'ensemble eu une croissance beaucoup plus rapide que celle de l'Europe ces 25 dernières années—, vous vous souviendrez du dernier graphique que je vous ai montré, où nous indiquions la croissance en revenu réel, en PIB réel au cours des années—l'Europe n'a pas eu une aussi forte croissance en moyenne mais cette croissance a semblé plus stable qu'aux États-Unis.

Quelles sont les aspirations à long terme de l'Europe et quelles sont les perspectives? Ma foi, il y a la monnaie unique. L'euro. Je ne dirais pas que c'est l'étape finale mais on en est à la dernière étape du processus vers ce que l'on espère être une intégration sociale, politique et économique.

Il est certain que les Européens avaient de gros espoirs avec la monnaie unique en janvier 1999 quand est apparu l'euro. Ils espéraient que leur nouvelle devise rivaliserait avec le dollar américain. Ils espéraient que cela encouragerait les échanges et les investissements, les restructurations et la libéralisation des marchés et aiderait à l'intégration politique tout en accroissant l'influence de l'Europe dans le monde.

Certains de ces espoirs ont été réalisés mais pas beaucoup d'entre eux. Il est vrai qu'on en est encore aux tout débuts. Le lancement de l'euro s'est bien passé et c'était déjà en soi une victoire parce qu'il y a des tas de gens qui pensaient que cela ne démarrerait jamais et cela s'est fait. Cela n'a pas présenté de problème. Il y a eu une croissance sensible sur certains des marchés financiers européens, en particulier dans les marchés obligataires, l'euro y étant peut-être pour quelque chose. Ce n'est pas l'euro qui a entraîné cette croissance mais ça a peut-être aidé.

Il y a toutefois eu aussi quelques déceptions et je les indique brièvement au bas de la page 6. L'euro est resté étonnamment faible. Je ne dirais pas que c'est mauvais en soi, cela a aidé à stimuler la croissance européenne. La situation aurait été pire si l'euro ne s'était pas déprécié face aux dollars américain et canadien.

La croissance économique est néanmoins restée faible en Europe, ce qui a déçu beaucoup de politiques, de particuliers et d'entreprises. Les restructurations attendues n'ont pas été tellement importantes. Certains pays ont entrepris un début de réforme fiscale, de réforme du marché du travail mais certainement pas assez. Cela déçoit donc.

Le bilan? Je ne négligerais pas l'espoir européen qui repose sur la monnaie unique ou l'euro, mais je ne pense pas non plus qu'il faille attendre quelque chose d'immédiat et qu'il faille absolument que nous réagissions de façon radicale.

Beaucoup de ce que nous avons vu dans les flux d'échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis par rapport aux échanges entre le Canada et l'Europe est naturel et inévitable. Les États-Unis sont un grand pays. Ils sont tout près. Ils sont riches. Nous devenons de plus en plus intégrés. Mais comme je le disais à propos du modèle gravitationnel et de l'effet frontalier, dans une certaine mesure, nous ne sommes pas du tout suffisamment intégrés. Nous n'avons pas encore exploré tout le potentiel de rentabilité et de création de richesse d'une plus grande intégration, de la possibilité de traiter les différents États des États-Unis davantage comme des provinces canadiennes.

Cela ne veut pas dire que nous ne devons pas poursuivre l'option européenne. Je pense toutefois qu'il faut faire ce qui est naturel et efficace. Une plus grande intégration en Amérique du Nord ne suppose pas un déclin dans le commerce avec l'Europe car on ne peut jamais avoir, contrairement aux sports, plus de 100 p. 100.

Si l'on devient plus actif aux États-Unis, obligatoirement les pourcentages vont en souffrir ailleurs, dans le reste du monde et de ce fait en Europe.

Il y a donc évidemment des choses que l'on peut et que l'on devrait faire avec l'Europe en encourageant le libre-échange, ce qui est toujours une bonne chose, en diminuant les barrières, en faisant de la publicité pour nos produits et en nous faisant mieux connaître sur ces marchés. Mais n'allez pas croire que parce que nos relations avec un pays se développent beaucoup plus vite qu'avec un autre, ou un groupe de pays, ce soit nécessairement mauvais ou dangereux. Cela peut être une conséquence naturelle et inévitable des réalités économiques.

• 1650

Le président: Merci beaucoup.

Passons aux questions et commençons par M. Casson.

M. Rick Casson (Lethbridge, AC): Merci, monsieur le président, et merci, monsieur Murray, de votre exposé.

Vous avez dit en concluant que si l'on augmente le pourcentage des échanges avec l'Europe, on diminue les autres pourcentages. Dans quelle mesure devrions-nous l'envisager? Si les États-Unis connaissent un ralentissement économique et que nous sommes tellement liés à ce pays, ne serait-il pas bon de diversifier notre commerce extérieur et de donner une part plus importante à une autre région du monde pour nous protéger un peu? À moins qu'il ne soit pas possible de se protéger contre une telle situation et que quoi qu'il arrive aux États-Unis finira par nous toucher.

M. John Murray: C'est une bonne question. Je ferai trois réflexions à ce sujet.

Tout d'abord, c'est une question qui préoccupe depuis longtemps le Canada. Il y a des années que l'on parle de ce que l'on appelait au début des années 70 la «troisième option». Le désir de diversifier nos échanges, de devenir moins dépendants des États- Unis, n'est pas nouveau. Heureusement, tout a été contre cela. Il est donc évident qu'il serait très difficile de renverser le courant.

Deuxièmement, toutefois, encourager le commerce avec d'autres régions d'une façon que je qualifierais d'artificielle, essayer de lutter contre ce qui est peut-être le courant naturel, pourrait être utile du point de vue de la diversification dont vous parlez. C'est comme prendre une assurance. Mais ce que je veux dire, c'est que c'est une assurance qui pourrait être très coûteuse. Il pourrait être préférable de continuer à vivre avec son partenaire, reconnaître qu'il y a des hauts et des bas, plutôt que d'essayer artificiellement de lutter contre cela et de diversifier ses échanges commerciaux d'une façon qui ne serait pas naturelle.

Troisièmement, il y a d'autres moyens que les échanges commerciaux de profiter du bien-être d'autres pays, notamment par les investissements. Une façon de se protéger contre les ralentissements aux États-Unis qui ne se feraient pas sentir en Europe ni même au Japon, serait d'avoir davantage d'investissements à l'étranger de sorte qu'au moins cette partie de votre source de revenu soit protégée. Autrement dit, il n'y a pas que le commerce. On peut aussi profiter des investissements. Ce pourrait être un moyen plus rentable de se protéger que d'essayer de réaffecter des ressources réelles pour développer le commerce et les services sur des marchés plus éloignés.

M. Rick Casson: Merci.

Le président: Monsieur Paquette.

[Français]

M. Pierre Paquette: Je voulais connaître un peu votre opinion sur ce qui suit. À partir du moment où on s'aperçoit que, malgré la libéralisation du commerce et la mondialisation, on assiste pratiquement davantage à une régionalisation des économies qu'à une véritable mondialisation et qu'on est de plus en plus dépendants du marché américain, dans le cadre de la négociation qui s'ouvre pour la Zone de libre-échange des Amériques, il y a beaucoup de gens, au Canada et au Québec, qui pensent que le Canada n'a pas beaucoup d'avantages à ce que cet accord-là soit négocié parce que, dans le fond, tout le monde, dans les Amériques, cherche à avoir le marché américain. Or, comme on est déjà le premier partenaire commercial des États-Unis, tout gain que feraient le Brésil, le Mexique et les autres pays latino-américains serait fait au détriment des intérêts canadiens.

C'est une idée qui commence à circuler de plus en plus. Je voudrais savoir ce que vous en pensez.

M. John Murray: Vous parlez d'un genre de mauvaise concurrence pour nous, peut-être.

Est-ce que je peux répondre en anglais? Cela m'est plus facile.

[Traduction]

C'est une des préoccupations que l'on a à propos de ce libre- échange entre les Amériques. Nous sommes déjà les premiers, comme vous l'avez mentionné et ne profiterions pas autant que d'autres de cela. Nous avons déjà un accord de libre-échange, et nous sommes déjà le partenaire commercial le plus important au monde des États- Unis, sans parler de l'hémisphère occidental, et si le Brésil et d'autres interviennent, cela ne peut que nous désavantager. Dans un sens, c'est exact, mais je crois que ça ne l'est pas tout à fait à un niveau plus important. Je m'explique.

• 1655

Le commerce n'est pas forcément un jeu qui se solde par un résultat de zéro à un. Ce n'est pas parce que quelqu'un d'autre en profite que nous perdons. Tout le monde se concurrence pour profiter des dollars américains, pour exporter vers les États-Unis, mais nous savons aussi que le libre-échange ouvre la perspective d'une amélioration de l'existence de la plupart, sinon de la totalité des gens. Si la situation du Brésil, de l'Argentine et du Chili s'améliore, en partie grâce au libre-échange avec les États- Unis, nous aurons peut-être la possibilité de développer notre commerce avec ces pays, de sorte que tout le monde profitera de l'amélioration de la situation. Je pense que c'est en ce sens qu'on peut dire que c'est toute l'économie mondiale qui profite de cet élargissement du cercle.

C'est pourquoi il n'y a pas énormément de risques du genre des inconvénients entraînés par les accords commerciaux bilatéraux comme celui que nous avons négocié avec les États-Unis en 1989. Les répercussions n'ont pas été aussi importantes dans nos deux cas, car l'essentiel de notre commerce se faisait déjà avec les États- Unis. Il n'y a donc pas eu autant de «détournements» commerciaux, comme le disent les économistes. Mais si vous passez des accords de libre-échange bilatéral avec un pays, vous encouragez naturellement le développement du commerce entre vos deux pays et, par conséquent, vous découragez le commerce avec les autres pays qui sont désavantagés, alors que certains d'entre eux pourraient être des partenaires commerciaux plus naturels, plus à même de vous permettre de fonctionner de façon plus efficace grâce aux produits qu'ils vous vendraient ou aux marchés qu'ils ouvriraient aux denrées que vous vous êtes engagés à échanger.

Par conséquent, même si un accord de libre-échange avec un pays renforce les échanges bilatéraux entre les deux partenaires, on peut en quelque sorte pervertir les échanges commerciaux globaux en les détournant de pays avec lesquels on aurait pu avoir un partenariat plus naturel. Si l'on élargit le parapluie du libre- échange, idéalement dans le cadre d'un mécanisme de l'OMC auquel tout le monde participerait ou, à défaut, de quelque chose comme le libre-échange pour les Amériques, on favorise l'épanouissement de ces réalités économiques, de ces véritables avantages, et par conséquent on a moins de problèmes de détournement.

C'était une réponse un peu longue à votre question.

Je pense qu'il y a des industries et des régions du Canada qui en souffriraient, parce que leurs produits se trouveraient en concurrence directe avec ceux du Brésil, de l'Argentine et du Chili. Il y aurait une période d'adaptation et de restructuration, mais en fin de compte, je crois que tout le monde serait gagnant. L'ALE a été suivi d'une période assez pénible de restructuration dans certains secteurs, mais il est clairement prouvé que les fabricants canadiens en ont vraiment profité.

[Français]

Le président: Vous avez fini, monsieur Paquette?

Monsieur O'Brien.

[Traduction]

M. Pat O'Brien (London—Fanshawe, Lib.): Merci, monsieur le président.

Merci, monsieur Murray. Je suis désolé d'être arrivé en retard, mais j'ai présidé une autre réunion sur le GATT, c'est-à- dire un autre sujet d'ordre commercial.

J'ai simplement deux ou trois brèves questions à vous poser.

Dans la foulée de ce que faisait remarquer mon collègue M. Paquette, j'aimerais vous demander si vous reconnaissez que la démocratisation et la mise en place d'un monde plus stable seraient l'une des retombées positives d'un accroissement des échanges commerciaux. Je pense plus précisément aux Amériques, où l'on n'a encore que très peu de démocraties stables. N'est-il pas exact que l'accroissement des échanges commerciaux intensifierait notre présence au sein de ces pays, nous donnerait l'occasion d'influer sur leurs valeurs, contribuerait à développer la démocratie dans la zone des Amériques et atténuerait très probablement les conflits?

• 1700

En ayant des échanges commerciaux avec Cuba, par exemple, nous avons fait le bon choix, contrairement aux États-Unis, parce que nous espérons qu'après Castro—s'il y a un après-Castro—les Cubains opteront pour la démocratie.

Qu'en pensez-vous?

M. John Murray: Je ne suis pas un expert en sciences politiques, mais cela me semble convaincant. C'est ce qu'on espère. Évidemment, on peut penser à d'autres exemples, pas seulement les Amériques, mais la Corée du Nord ou la Chine. Il y a des pays qui nous inquiètent à cause des violations des droits de la personne et du déficit démocratique.

C'est l'idée qu'en les aidant grâce au développement du commerce, on contribue à élargir la classe moyenne informée qui va pouvoir plus facilement dénoncer les lacunes au niveau démocratique.

M. Pat O'Brien: C'est à cause de l'ALEA que je m'en suis tenu à notre hémisphère.

Vous l'aviez peut-être dit avant que j'arrive, mais je ne vous ai pas entendu mentionner le fait que les Britanniques n'ont pas encore adopté l'euro. Ils le feront probablement, mais j'aimerais avoir votre opinion à ce sujet.

À propos de la monnaie commune, vous mentionnez dans vos leçons pour le Canada un intérêt accru pour une devise commune. Est-ce qu'il ne faudrait pas être prudent tout de même et éviter de faire une comparaison directe avec l'Europe où il s'agit de partenaires plus ou moins égaux? Dans notre cas, est-ce que cela ne signifierait pas simplement que nous adopterions le dollar américain purement et simplement? C'est ce dollar qui deviendrait la monnaie commune.

Je crois que c'est quelque chose qui inquiéterait beaucoup de Canadiens et je me demande ce que vous en pensez.

Enfin, pouvez-vous me dire ce que vous entendez par des pays «orphelins» comme le Canada? Que voulez-vous dire?

M. John Murray: Je suis heureux que vous me posiez la question car cela me donne l'occasion de vous parler de la dernière page de mes notes, que je n'avais pas abordée.

Tout d'abord, je dois vous préciser que mes commentaires sont tendancieux à deux titres, qui sont peut-être liés l'un à l'autre. D'une part, je travaille pour la Banque du Canada et si nous devons opter pour une devise commune...

M. Pat O'Brien: Vous perdez votre emploi.

M. John Murray: Je risque de perdre mon emploi. Il y a donc une question de protection de l'emploi.

M. Pat O'Brien: Il n'y a rien de mal à cela.

Une voix: [Note de la rédaction: Inaudible]

M. John Murray: Effectivement, je pourrais avoir un meilleur emploi. Je n'ai pas l'impression que le changement ait nui aux perspectives de carrière ou aux salaires des employés des banques nationales européennes, mais...

Deuxièmement, j'ai écrit un certain nombre de textes sur ce sujet, dans lesquels je me prononce en gros pour la souplesse des taux de change et le maintien de devises distinctes, c'est-à-dire que je défends le statu quo—pour l'instant. Nous avons tendance à nous considérer comme des gens raisonnables, et si nous avions de bons arguments en faveur d'une devise commune, j'espère que nous aurions le bon sens de recommander aux Canadiens d'adopter cette devise commune.

Nous savons bien que c'est un sujet très passionnel. Il ne s'agit pas simplement d'économie. Ce n'est pas comme en Europe, où l'adoption d'une devise commune s'inscrivait dans le cadre d'une initiative beaucoup plus vaste en vue de la réalisation d'une union politique et sociale, et où en fait ce qu'on demandait aux économistes, c'était de prouver pourquoi il n'aurait pas fallu opter pour cette devise commune. Je crois qu'au Canada, les motivations et la situation seraient très différentes. Pour réfuter les arguments de ceux qui considéreraient qu'il s'agit d'un recul politique, il faudrait que les économistes apportent des preuves massives des avantages concrets de cette initiative.

Les Britanniques sont prudents. Nous avons fait des recherches à ce sujet, et c'est intéressant. Ce n'est pas simplement qu'ils sont butés et qu'ils ont une mentalité insulaire. Si vous examinez les données historiques de tous les pays d'Europe pour essayer de voir lesquels sont les moins adaptés à un dispositif de devise commune, vous en voyez ressortir trois. Les pays qui ne devraient probablement pas intégrer ce système parce que leur structure sociale et leurs modalités commerciales sont très différentes de celles des autres sont le Royaume—Uni, la Norvège et, dans une certaine mesure, la Suède—et aussi les Pays-Bas, d'ailleurs, même s'ils ont décidé d'accepter ce système.

Nous avons fait ces recherches avant que la décision soit prise en 1999. Il est intéressant d'ailleurs de constater que les deux ou trois pays qui ont décidé de rester à l'écart sont ceux que nous mentionnions justement dans notre analyse.

• 1705

Pour le Royaume-Uni et la Norvège, c'est surtout une question d'énergie pétrolière, contrairement à ce qui se passe pour le reste de l'Europe, en particulier la Norvège, qui est un gros exportateur d'énergie. Les chocs ressentis sont très différents. Ce qui aide énormément la Norvège, par exemple une flambée des cours de l'énergie, nuit au reste de l'Europe. La Norvège va donc avoir un cycle qui sera souvent déphasé par rapport à celui du continent, et elle n'a donc surtout pas envie d'être liée par une politique monétaire commune.

Ce qui est intéressant du point de vue du Canada, c'est que cela permet d'améliorer l'expérience. Il y a maintenant trois groupes de pays en Europe. Il y a ceux qui ont décidé d'entrer dans l'Union avec la devise commune, et vous pourrez voir ce que deviennent leurs échanges commerciaux, leurs investissements, et la restructuration de leurs marchés. Ensuite, il y a le Royaume-Uni, la Norvège et la Suède, des pays qui ont toujours des taux de change flottants et qui ont décidé de ne pas opter pour cette devise. Et au milieu, vous avez un pays comme le Danemark, qui a un taux de change fixe mais qui n'a quand même pas adopté la devise commune, et c'est un choix encore plus bizarre.

C'est donc échelonné. D'un côté, vous avez un taux de change flexible et des devises complètement distinctes; au milieu, vous avez le Danemark qui fixe son taux de change mais a une devise distincte; et enfin, vous avez les pays qui ont opté pour la monnaie commune.

On peut donc faire les comparaisons. Ce n'est pas une expérience parfaite, car il faut tenir compte d'autres facteurs, mais on a quand même une certaine idée de ce qui se passe. Quel est l'avantage de fixer les taux par opposition à les laisser flotter? Et si l'on va plus loin, quel est le gain supplémentaire si on va jusqu'à la devise commune au lieu de s'en tenir simplement à des taux de change fixes?

Nous savons bien que certains de ces pays sont restés à l'écart de diverses façons. Actuellement, c'est logique pour le Royaume-Uni, en tout cas compte tenu de la réalité économique historique. Pour l'avenir, les deux thèses peuvent se justifier.

M. Pat O'Brien: Mais Tony Blair n'est-il pas en train de clamer sur tous les toits qu'il est favorable à l'euro? Je ne sais pas s'il ferait nécessairement campagne, mais d'après les quelques informations que j'ai pu lire à ce sujet, j'ai l'impression que son gouvernement ne va pas tarder à adopter l'euro.

Vous êtes de cet avis?

M. John Murray: Vous en savez probablement autant sinon plus que moi sur cette question. Je ne prétends pas avoir une connaissance ou une compréhension politique particulière du Royaume-Uni. D'après ce que j'ai lu moi aussi, vous avez raison, Tony Blair et le Parti travailliste sont beaucoup plus favorables à une devise commune que les conservateurs de l'opposition.

Mais même au sein du Parti travailliste, il y a des divisions. Le chancelier de l'échiquier, Gordon Brown, est plus sceptique, plus prudent. Le premier ministre Tony Blair et le ministre des Affaires étrangères Robin Cook sont beaucoup plus enthousiastes.

Ce qui est intéressant, toutefois, c'est que ce ne sont pas seulement les politiciens et le Parti travailliste qui dans l'ensemble sont favorables à la devise commune. Quand on sonde les hommes d'affaires britanniques, on constate que la majorité d'entre eux y sont favorables. C'est plutôt le grand public qui n'en veut pas. Mais c'était la même chose aussi en Europe avant. Dans les sondages, on disait régulièrement que les Allemands et même les Français étaient à 70 p. 100 contre. Mais malgré cela, la devise commune a été adoptée. Que ce soit à tort ou à raison d'ailleurs, il faut reconnaître qu'il y a au Royaume-Uni toute une catégorie de la population qui est en faveur d'une devise commune.

En ce qui concerne les leçons que nous pouvons en tirer, vous avez parfaitement raison. Notre situation est radicalement différente de celle de l'Europe. En Europe, il y avait douze pays, avec une possibilité d'élargissement à quinze, dont cinq—l'Allemagne, la France, l'Italie, l'Espagne et le Royaume- Uni—étaient grosso modo de taille égale. Chacun de ces pays a eu un vote sur la politique monétaire.

Mais en Amérique du Nord, même si les États-Unis étaient prêts à accepter une union monétaire avec nous—et on peut se demander pourquoi ils voudraient le faire—vous pouvez être certains qu'ils n'accepteraient pas qu'il y ait une voix pour chaque pays. À eux seuls, les États-Unis représentent plus de 90 p. 100 de l'ensemble des échanges commerciaux entre nos deux pays.

• 1710

Actuellement, douze personnes siègent au Comité fédéral du marché ouvert des États-Unis, où ils prennent les décisions de politique. Nous pourrions peut-être obtenir un siège, et donc nous serions le treizième membre, mais même dans ce cas, nous devrions voter en faveur de ce qui serait dans l'intérêt commun de l'économie combinée des États-Unis et du Canada. En tant que bon membre de ce comité, nous ne serions pas là pour faire avancer nos intérêts régionaux étroits.

La situation serait donc très différente en raison de cette domination écrasante d'un pays. Nous serions effectivement intégrés au dollar américain. Notre politique monétaire serait déterminée par l'utilisation... ce qui ne poserait pas de problèmes à deux conditions, la première que leur politique monétaire soit toujours meilleure que la nôtre, et la deuxième, que la structure de nos économies soit telle que nous subirions toujours les mêmes chocs, c'est-à-dire que nous aurions toujours les mêmes besoins en matière de politique monétaire.

Ces politiques sont souvent semblables dans nos deux pays, parce que nous avons des liens très étroits, mais quelquefois elles divergent. Cela a été le cas, tout récemment, avec un épisode très important. C'était pendant la crise financière en Asie, quand les cours des denrées se sont effondrés. L'économie américaine en a énormément profité, alors que nous avons au contraire été très lourdement pénalisés. Dans ce cas, nos deux économies tiraient dans des directions complètement opposées. On l'a constaté avec la chute de notre taux de change qui n'avait jamais été aussi bas. Notre dollar s'est déprécié, exactement comme il devait le faire. C'était exactement ce qu'il fallait faire pour nous protéger. Si nous avions eu une devise commune, cette période aurait été extrêmement douloureuse non seulement pour certaines régions, mais pour la totalité de notre pays. Par conséquent, il arrive que l'indépendance de la politique monétaire et la possibilité de faire fluctuer le taux de change jouent en notre faveur.

Enfin, par pays «orphelins», je voulais parler, comme vous l'avez dit, de la régionalisation du monde. Même si l'intégration se généralise avec la mondialisation, certaines régions resserrent néanmoins encore plus les liens qu'elles avaient auparavant. On le constate évidemment en Europe, avec le marché commun et l'euro. On le constate aussi aux États-Unis, car si d'autres pays viennent se joindre à eux pour constituer une vaste zone de libre-échange, peut-être même avec une devise commune, il y aura un nouveau bloc. Et ensuite, il y a aussi le Japon et les autres pays asiatiques qui pourraient aussi se serrer les coudes.

Pensez au G-7, au groupe des sept. C'est flatteur pour nous d'être le septième membre de ce groupe, comme nous le méritons. Nous sommes en importance le septième grand pays industrialisé du monde à l'heure actuelle. Mais notre situation est précaire. La France, l'Allemagne et l'Italie se sont déjà unis par le biais de l'EMU, et il faut donc les considérer comme un seul bloc. Les États-Unis et le Japon constituent deux autres blocs, vous avez donc trois grands blocs constitués par cinq des pays du G-7. Ensuite, il reste le Royaume-Uni et le Canada. Eh bien, si le Royaume-Uni se joignait à l'Union monétaire européenne, nous serions en quelque sorte orphelins. Le G-7 serait en fait devenu un simple G-3 plus le Canada, et nous ne pourrions probablement pas continuer à rester membre de ce groupe.

Il y a des gens qui s'inquiètent pour les pays comme l'Australie, le Canada et la Suisse. Que vont-ils devenir dans un monde qui sera de plus en plus dominé par trois grandes hégémonies, le Japon, les États-Unis et l'Europe? Est-ce que cela va être la tourmente? Il y a des gens qui pensent que ce serait en fait extrêmement avantageux et qui soulignent que traditionnellement, les petits pays ne se sont pas forcément mal débrouillés. La Suisse s'est très bien débrouillée, et tout récemment encore, lors des élections, les Suisses ont décidé de ne même pas se rallier à l'Union européenne, sans parler d'opter pour une devise commune.

Par conséquent, le fait d'être un orphelin n'est pas nécessairement une mauvaise chose, mais il suscite certaines incertitudes et une certaine inquiétude.

Le président: Merci beaucoup.

Trois personnes veulent encore poser des questions et il nous reste une douzaine de minutes. Nous allons passer à M. Eyking et à M. Paquette.

M. Mark Eyking: Une petite remarque à propos de l'Europe: l'économie de ces pays a l'air de progresser lentement mais sûrement. L'eurodollar ne fait pas de grandes étincelles, mais cela s'explique. Il n'ont pas la même souplesse sur le marché du travail. Aux États-Unis, on sabre dans le vif, on licencie massivement d'un seul coup, il y a des fluctuations violentes. Mais quand on regarde la situation à long terme, on a l'impression que l'Europe fait son petit bonhomme de chemin de cette façon.

• 1715

Personnellement, je ne sous-estimerais pas les Européens, car il y a tous ces pays moins riches, comme la Grèce ou les derniers arrivés, qui ont du rattrapage à faire, vous le comprenez bien. À long terme, je pense qu'ils sont sur la bonne voie.

Nous parlons beaucoup de questions agricoles à la Chambre des communes. Si nous avions eu une devise commune en Amérique du Nord, nous devrions adopter de nombreux dispositifs analogues à ceux des États-Unis, parce que c'est ce qui se fait en Europe. Prenez la législation du travail et la politique agricole. Ils sont obligés d'avoir la même. Nous serions obligés d'avoir les mêmes subventions et les mêmes dispositions que les États-Unis si nous avions une devise commune, n'est-ce pas?

M. John Murray: Je ne pense pas. C'est un malentendu important et fréquent. Je crois que les gens attribuent beaucoup plus de poids à une devise commune qu'elle n'en mérite. Je comprends bien ce malentendu, car la devise commune européenne s'inscrit dans le cadre d'un programme beaucoup plus vaste dans lequel les Européens se sont engagés il y a des années. Bien avant d'adopter une devise commune, ils avaient opté pour une politique agricole commune, un marché commun et la libre circulation des travailleurs et du capital.

C'est très facile de penser que tout cela forme un tout, que l'on ne peut pas en prendre un élément sans avoir tout le reste avec, mais en fait, l'adoption d'une monnaie commune ne nous forcerait pas à faire quoi que ce soit d'autre.

M. Mark Eyking: Une politique commune.

M. John Murray: On aurait seulement une monnaie commune. On aurait une politique monétaire commune, mais cela s'arrêterait là.

C'est un peu comme le débat sur le libre-échange: si on a le libre-échange, on sera forcé d'avoir une politique sociale commune ou d'harmoniser la nôtre avec celle des États-Unis. En fait, ce n'est pas vrai.

Les économistes considèrent le libre-échange comme un test très intéressant. Si les Canadiens tiennent vraiment à leurs programmes sociaux et à leurs subventions, ils seront prêts à les payer sous forme d'impôts plus élevés et de revenu après impôt plus bas. Pourvu qu'ils soient disposés à faire cela, rien ne les empêche de rivaliser avec quiconque. Mais on ne peut pas gagner sur les deux tableaux. On ne peut pas avoir les subventions et les programmes sociaux tout en réclamant le même revenu après impôt qu'aux États-Unis. L'épreuve intéressante, c'est qu'il faut être disposé à payer tout cela, mais le libre-échange ne vous force nullement à sacrifier quoi que ce soit ou à adopter une orientation plutôt que l'autre.

M. Mark Eyking: Il y a un autre élément, à savoir les institutions financières. Serions-nous avantagés comme consommateurs si nous commencions à nous ouvrir davantage aux États-Unis par l'entremise de la Banque du Canada?

M. John Murray: Là-dessus, je dois parler en mon nom personnel et non pas en tant que représentant de la Banque du Canada, ce qui ne veut pas dire que certains de mes sentiments ne sont pas partagés.

Personnellement, je crois que, tout comme pour le libre-échange dans d'autres domaines et aussi pour la liberté et le droit d'établissement, une politique marquée par une plus grande ouverture aurait beaucoup d'avantages. Il faut des sauvegardes pour garantir la stabilité financière, mais pourvu que l'on puisse choisir les institutions que l'on autorise à venir s'installer, ce que l'on a toujours le droit de faire, il n'y a aucune raison qui nous empêcherait de fonctionner comme d'autres pays le font, comme le Royaume-Uni et les États-Unis, qui acceptent beaucoup plus librement que nous les institutions financières étrangères pour promouvoir la concurrence et l'efficacité.

M. Mark Eyking: C'est votre opinion personnelle.

M. John Murray: Cela va plus loin que l'énoncé de la politique.

Le président: Merci, monsieur Murray, et merci, monsieur Eyking.

[Français]

Monsieur Paquette.

M. Pierre Paquette: J'aimerais d'abord faire un court commentaire.

Je pense qu'on devrait avoir un débat plus sérieux au Canada sur ceci. Si on pense qu'on peut aller vers une monnaie commune, si on veut éviter la dollarisation, il faudrait que le Canada prenne les devants. En effet, en Amérique du Sud, on constate que de plus en plus de pays adoptent le dollar américain. Donc, on pourrait se retrouver devant une situation de fait où la dollarisation serait faite, au lieu d'essayer de profiter du temps qui est devant nous pour négocier une présence canadienne et d'autres pays dans une banque des Amériques, de penser à la transition, etc.

Donc, je pense qu'il faut un débat très sérieux sur cette question, parce que plus l'intégration économique sera importante, plus les pressions seront fortes. Elles vont venir des entreprises. On sait qu'une entreprise comme Alcan fait toute sa comptabilité et ses échanges en dollars américains.

Vous pourrez peut-être ajouter à cela. C'est un aspect particulier que vous n'avez pas abordé, et j'aimerais vous entendre là-dessus.

• 1720

C'est vrai que le taux de croissance de l'Union européenne a été moins élevé que celui des États-Unis. C'était une intégration d'économies qui étaient à différents niveaux, mais l'un des succès à long terme de l'Union européenne a peut-être été sa capacité d'amener des pays comme l'Irlande, la Grèce, le Portugal et même l'Espagne—il ne faut pas le dire trop fort, car les Espagnols n'aiment pas ça—à relever l'ensemble de leurs infrastructures économiques.

Il y a une certaine convergence des économies qui a ralenti le taux de croissance moyen de l'Union européenne, mais elle peut amener un potentiel de développement beaucoup plus important que ça été le cas au cours des dernières années en Europe.

M. John Murray: Exactement.

[Traduction]

Nous espérons que tout ira bien pour eux. En fait, il y a toutes les raisons de croire que tout ira bien, à mesure que leurs économies commencent à converger, comme la nôtre, espérons-le, pour se rapprocher du niveau de revenu et de croissance observé aux États-Unis. Dans bien des cas, ils partent de plus bas et ont beaucoup de potentiel, de sorte que l'avenir pourrait être très prometteur s'ils introduisent des politiques avisées et libéralisent leurs marchés comme les États-Unis l'ont fait. Cela ne veut pas dire qu'il faut copier les États-Unis en tous points, mais je pense que l'on peut quand même tirer des leçons de l'expérience; il y a des raisons pour lesquelles ils ont si bien fait tandis que d'autres pays n'ont pas réussi aussi bien.

Mais l'Europe semble déterminée à copier...à apprendre, à tirer les leçons de l'expérience. Nous espérons que tout ira bien pour eux. Je pense que ce sera le cas et nous devons veiller à ne rien faire qui soit susceptible de nuire ou de faire obstacle à notre capacité de tirer profit de leur succès, en un sens, ou de nuire à nos relations commerciales avec ces pays. Nous voulons les encourager. Nous voulons nous assurer de ne pas faire obstacle, que ce soit ouvertement ou peut-être involontairement, aux relations commerciales avec l'Europe.

En somme, ce que je voulais dire tout à l'heure, c'est simplement que, compte tenu de l'histoire, si l'on pouvait choisir l'un ou l'autre, c'est probablement aussi bien que nous soyons collés aux États-Unis, et non pas à l'Europe et nous méfier de... Même s'il est logique d'éliminer les obstacles et d'encourager le commerce en s'informant mutuellement, il faut éviter de faire des efforts pour provoquer ou promouvoir ce qui constituerait un arrangement artificiel dans lequel, par exemple, on subventionnerait des exportations vers l'Europe simplement pour garantir une plus grande diversité. Il y a une différence entre encourager et subventionner le commerce, ou le réorienter de façon artificielle. Je voulais simplement faire une mise en garde.

Sur votre premier point, je me rends compte que c'était plutôt un commentaire sur la monnaie commune. Je voudrais simplement dire que je n'exclus assurément pas la possibilité que l'Amérique du Nord adopte à un moment donné dans l'avenir une monnaie commune comme solution la plus logique, si nos économies deviennent intégrées au point que cela s'imposerait, et suffisamment semblables pour qu'une politique monétaire commune ne nuise pas. Enfin, peut-être avons-nous sous-estimé les avantages micro- économiques d'une monnaie commune en termes de réduction des coûts de transactions. Il est certain que nous sommes prêts à apprendre de l'expérience européenne et d'autres, et je ne l'exclus donc pas.

En fait, je n'exclus pas que le monde entier adopte une monnaie commune à un moment donné si l'intégration est suffisamment poussée. Cela ne se limite pas à des blocs de pays. On peut imaginer un monde dans lequel, tout comme à l'échelle nationale il est logique que chaque province utilise la même devise pour des raisons d'efficacité, pourquoi le monde n'en ferait-il pas autant par extension? Toutefois, je pense que ce n'est pas pour demain.

Voilà un autre bateau que je ne suis pas désolé d'avoir raté. Si les pays d'Amérique du Sud se précipitent vers la dollarisation, c'est bien souvent à cause de politiques nationales désastreuses. Pour eux, c'est logique, car je ferais confiance à Greenspan beaucoup plus qu'à beaucoup de leurs ministres des Finances ou gouverneurs de banques centrales. Ils ont un bilan très peu reluisant. Ils ont différentes raisons de se tourner vers cette solution. Essentiellement, ils ne se font plus confiance; ils n'ont plus confiance en leur capacité de mener leurs propres politiques, et ils veulent donc de la discipline. Ils y voient une vertu.

• 1725

Je ne suis pas du tout certain que tous ces pays soient aussi enthousiastes à l'idée de joindre les rangs du mouvement de dollarisation que ce que l'on laisse entendre, et j'attends donc de voir ce qui va se passer. Même s'ils le font, je dis qu'en fait, nous sommes dans une situation différente, et je ne me précipiterais pas tête baissée dans cette voie simplement parce que d'autres le font.

[Français]

Le président: Merci beaucoup, monsieur Paquette.

[Traduction]

Avec votre permission, monsieur Murray, notre économiste, M. Berg, voudrait vous poser deux ou trois questions.

M. John Murray: Je vous en prie.

M. Peter Berg (recherchiste du comité): Je suis le dernier intervenant et absolument le moindre, j'en suis certain.

Premièrement, je vous remercie d'être venu, John, à si court préavis.

J'ai trois questions. Premièrement, votre graphique 6 montre que plus de 50 p. 100 de nos exportations vers l'Europe sont des matières premières. C'est un peu plus élevé que la part qui va aux États-Unis, qui est d'environ 41 p. 100.

Vous nous avez également dit que nous avons un avantage comparatif et que ce n'est pas nécessairement une mauvaise chose. Il y a deux problèmes en Europe. Le premier est que nous semblons avoir une mauvaise image. Notre sous-comité s'est fait dire que nous avons un problème d'image en Europe, que nous sommes perçus là-bas comme des coupeurs de bois et des porteurs d'eau. Les ministres et les hauts fonctionnaires s'efforcent actuellement de nous repositionner en Europe. M. Martin y est allé, de même que M. Tobin.

Le deuxième problème est qu'il y a beaucoup de points de friction avec l'Europe, et ils semblent se situer dans le secteur des matières premières: l'agriculture, le vin, l'amiante.

À votre avis, cet effort de repositionnement est-il mal avisé, ou bien pensez-vous que nous avons un avantage comparatif et devrions exporter, tout en tentant d'encourager le milieu des technologies de pointe, qui est très actif, pour essayer de nous présenter comme un foyer de technologie de pointe? C'est ma première question.

Deuxièmement, pour ce qui est d'investir en Europe, nous avons réussi de façon éclatante. Récemment, la croissance de nos investissements en Europe a été aussi forte, sinon plus élevée, que celle de nos investissements aux États-Unis. Je pense que ces investissements ont été faits pour les deux tiers au Royaume-Uni et en Irlande, si je ne m'abuse.

Comment expliquez-vous cela? Est-ce pour aller nous installer derrière le mur des barrières tarifaires? Est-ce parce que le milieu de la technologie de pointe est subitement saturé dans le marché américain, de sorte qu'il se tourne vers l'Europe? Est-ce pour se rapprocher de nos clients?

Enfin—et ça fait beaucoup de questions—le Canada devrait-il s'inquiéter de l'élargissement de l'Union européenne? Devrions-nous y être favorables ou le craindre?

M. John Murray: Ce sont également de bonnes questions. Je les prendrai dans l'ordre dans lequel vous me les avez posées. Cela me donnera le temps de réfléchir à la question de l'élargissement de l'Union européenne à laquelle j'ai peut-être moins réfléchi.

À propos du problème d'image et de la modification de notre image, je dirais que ce n'est pas une erreur. Dans la mesure où il y a perception erronée, c'est un problème d'information, et il est bon qu'une intervention publique permette de régler ce problème, de faire comprendre aux gens que nous ne sommes pas simplement des bûcherons et des porteurs d'eau.

Toutefois, je ne voudrais pas que cela aille trop loin. Nous devons donner une image juste. Reconnaître que nous avons une économie diversifiée qui englobe les deux et que c'est un avantage. Nous ne nous spécialisons pas uniquement dans les produits de haute technologie, ce qui peut être dangereux, comme nous l'avons découvert, ni seulement dans le pétrole, le bois et les produits agricoles. Nous avons les deux et je ne pense pas que nous devrions hésiter à parler des deux plutôt que d'insister uniquement sur l'un ou l'autre. Les automobiles et les ordinateurs sont peut-être plus excitants mais, économiquement parlant, ils ne présentent pas un avantage inhérent.

Donc, je répète qu'il peut être bon d'informer ou de faire de la publicité mais il ne faut pas que cela aille jusqu'à éviter de parler de l'autre aspect de notre économie qui est également très important. Ce qu'il faut, c'est que les étrangers sachent ce que l'on a à offrir et profiter des avantages comparatifs. Ce n'est pas forcément un seul élément.

• 1730

Je dirais donc qu'il n'y a pas un choix à faire. Je ne crois pas que nous devrions être gênés de parler de l'économie ancienne qui, dans le contexte canadien, a souvent reposé sur les richesses naturelles. Il serait ridicule de prétendre qu'on n'en a pas.

Les investissements en Europe ont été très importants récemment, en particulier au Royaume-Uni et en Irlande. Nous ne sommes pas le seul pays à avoir investi considérablement au Royaume-Uni et en Irlande. Ces deux pays présentent certains avantages. Pour l'Irlande, il y a des avantages fiscaux évidents. Pour le Royaume-Uni, il offrait le marché du travail le plus souple et libéral, ce qui était certainement un avantage par rapport à l'Europe continentale. Le Royaume-Uni et l'Irlande ont ces dernières années eu un taux de croissance réel meilleur que pratiquement tous les autres pays du continent. C'était donc là un incitatif évident.

J'ai parlé tout à l'heure de l'importance de ce que j'ai qualifié de facteurs institutionnels intrinsèques ou sous-jacents. Je veux dire la langue et les coutumes.

L'un des autres mystères que les économistes essaient d'expliquer c'est que bien qu'il y ait très peu d'échanges commerciaux entre elles, les économies australienne et américaine tendent à connaître des cycles très similaires et que, même si le Royaume-Uni et les États-Unis ont très peu d'échanges commerciaux entre eux, par rapport à ce qu'ils ont avec d'autres pays, ils tendent aussi à suivre des cycles très similaires. Il y a quelque chose là-dedans qu'il semble difficile de définir exactement. Cela se manifeste souvent en matière d'investissement et c'est peut-être déjà là une explication. Toutefois, comme je le disais au début, nous ne sommes pas le seul pays et ce n'est pas simplement le fait d'une alliance d'expression anglaise. On sait en effet que les Japonais préfèrent le Royaume-Uni, malgré une devise forte, pour investir et parce qu'il y est plus facile de faire des affaires, me semble-t-il, à bien des égards.

L'Europe continentale a donc du terrain à rattraper du côté de la restructuration et de la libéralisation si elle veut attirer davantage d'investissements et d'échanges.

Au sujet de l'élargissement de l'Union européenne et de la possibilité qu'elle représente une menace, il est certain que les Européens eux-mêmes demeurent ambivalents face à cette évolution. Ils sont favorables à l'adhésion d'un plus grand nombre de pays, mais ils se demandent qu'elles seront les conséquences pour les agriculteurs et les industries. Le niveau de développement des nouveaux membres ne serait pas le même que celui des premiers. Cela serait un facteur de tension et le partage du pouvoir compliquer la vie.

À mon avis, certains de ces enjeux doivent retenir notre attention en tant que Canadiens. Certains de ces pays nous feront peut-être une concurrence plus vive sur le marché européen dans le cas de certains produits. Cela dit, bon nombre de ces pays rivalisent déjà avec nous et ce resserrement serait donc assez minime. Je ne pense pas que cela va sensiblement modifier les choses. Il se peut qu'on assiste à de légers détournements commerciaux au fur et à mesure que les nouveaux adhérents intégreront l'Union européenne, mais cela encouragera peut-être ces derniers à se développer plus rapidement. Nous en avons déjà parlé. Or cela est à l'avantage de tout le monde, car si ces pays s'enrichissent, ils seront en mesure d'acheter davantage de nos produits. Encore une fois, cette nouvelle donne pourrait être à l'avantage de tout le monde.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Murray. Votre exposé a été excellent. Je tiens aussi à remercier mon collègue de nous avoir donné l'occasion de vous entendre aujourd'hui.

Je tiens à rappeler à nos membres que le lundi 19 mars à 15 h 30, le ministre est censé témoigner devant notre sous-comité. Je vous prie donc d'être présents dans toute la mesure du possible.

De plus, nous envisageons la possibilité de tenir une réunion sur le bois d'oeuvre entre le 19 et le 28 mars. Restez aux aguets, notre greffière vous communiquera les détails là-dessus ultérieurement.

Cela met fin à la réunion de ce soir. Passez une bonne soirée.

La séance est levée.

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