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SRID Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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SUB-COMMITTEE ON HUMAN RIGHTS AND INTERNATIONAL DEVELOPMENT OF THE STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

SOUS-COMITÉ DES DROITS DE LA PERSONNE ET DU DÉVELOPPEMENT INTERNATIONAL DU COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 30 mai 2001

• 1546

[Traduction]

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier (Brampton-Ouest—Mississauga, Lib.)): Je déclare ouverte la séance du Sous-comité des droits de la personne et du développement international du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international.

Tout d'abord, je vous prie encore une fois de m'excuser de m'être égarée en cherchant cette pièce. Si vous voulez bien nous accorder cinq minutes pour régler quelques affaires de routine, nous vous en serions reconnaissants.

Il y a une quinzaine de jours, nous avions parlé de tenir une réunion pour discuter des problèmes du Soudan. La semaine dernière, une motion a été présentée, mais comme nous n'avions plus le quorum, nous n'avons pas pu l'examiner. Nous avons maintenant une motion invitant le sous-comité à entreprendre une étude de la situation au Soudan et à tenir une réunion le mercredi 6 juin 2001, avec la sénatrice Lois Wilson.

M. Eugène Bellemare (Ottawa—Orléans, Lib.): De qui vient cette motion?

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Vous savez de qui elle vient?

M. Eugène Bellemare: Qui l'a présentée?

Le greffier du Comité: C'est la motion qui a été préparée, si quelqu'un veut bien la proposer.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Je propose cette motion.

M. Eugène Bellemare: Bien, madame la présidente, à la dernière réunion et lors d'une réunion précédente, nous avons eu une discussion. Le président du Comité des affaires étrangères a convenu avec moi que notre examen de la Colombie et du Soudan représentait une entreprise considérable. Nous ne pouvons pas nous occuper des deux à la fois. Il faudrait reporter notre étude sur le Soudan à la fin de l'automne et donner toute l'attention voulue maintenant à la situation en Colombie. Nous sommes plongés dans le dossier de la Colombie. Restons-en là pour l'instant pour faire notre travail correctement. N'allons pas...

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Il n'est pas question de bâcler notre travail. Il s'agit simplement d'avoir une autre réunion pour entendre la sénatrice Wilson. Cela viendrait s'ajouter à nos réunions sur la Colombie. Cela permettrait simplement à nos adjoints de tracer les orientations de l'étude que nous ferons à l'automne.

M. Eugène Bellemare: Et quand aura lieu cette réunion?

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Le mercredi 6 juin en soirée.

M. Eugène Bellemare: Madame la présidente, aurons-nous terminé notre étude de la Colombie?

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Non. Il ne s'agit pas de remplacer une séance sur la Colombie mais simplement d'avoir une audience initiale pour...

M. Irwin Cotler (Mont-Royal, Lib.): Démarrer.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): ...avoir une base de départ pour notre étude sur le Soudan.

M. Eugène Bellemare: Pourquoi ne pas reporter cela à l'automne et poursuivre nos travaux sur la Colombie puisque nous nous occupons actuellement de ce dossier?

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Je m'en remets au comité.

Quelqu'un a-t-il... Monsieur Obhrai, allez-y.

M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, Alliance canadienne): Je pense que c'est une bonne remarque. Nous ne prévoyons pas une autre étude sur le Soudan, donc peu importe que cette motion soit adoptée maintenant. La sénatrice Wilson fait son travail. Nous continuons le nôtre. Nous pouvons certainement placer ça à notre ordre du jour futur.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Vous êtes de cet avis?

• 1550

M. Irwin Cotler: Madame la présidente, je pense que le problème du Soudan est urgent, de même que celui de la Colombie, et si nous ne nous réunissons pas le 6 juin pour discuter de ce que nous allons faire à l'automne, nous allons nous réunir à l'automne pour discuter de ce que nous ferons au printemps. On ne peut pas continuer à reporter les choses maintenant, car c'est un véritable génocide qui est en train de se produire là-bas. Et ne je parle pas à la légère.

Je recommande vivement que nous ayons cette réunion le 6 juin, qui ne nuira nullement, à mon avis, à notre étude de la situation en Colombie.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Je suis d'accord avec vous. Je crois que l'une des raisons pour lesquelles nous avons décidé d'avoir cette séance, c'était que nous souhaitions pouvoir commencer le plus tôt possible après avoir terminé nos travaux sur la Colombie parce que c'est une situation urgente et à laquelle on peut trouver des solutions.

M. Deepak Obhrai: Je suis d'accord. Personne n'essaie de retarder cela, mais dans l'état actuel des choses, ce n'est pas une réunion avec la sénatrice Lois Wilson qui... Quel est notre programme pour l'automne? Nous n'avons rien pour l'instant. Nous pouvons donc attaquer directement ce dossier. Nous n'avons pas besoin...

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Monsieur Obhrai, je crois qu'une des raisons pour lesquelles nous avons voulu tenir cette réunion, c'était qu'il se pourrait que nous fassions un voyage là-bas à l'automne. Ce sera une étude très complète. Nous aurons terminé notre étude sur la Colombie à l'automne et nous envisageons une étude très complète sur le Soudan. Si nous sommes amenés à faire un voyage là-bas, il faudra du temps pour le préparer.

M. Deepak Obhrai: Si je vous comprends bien, durant l'été le comité va préparer toute cette question du Soudan sans nous?

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Pas le comité, nos adjoints.

M. Deepak Obhrai: C'est bien ce que je veux dire, ce n'est pas le comité, mais c'est le personnel qui va travailler sur le dossier du Soudan durant l'été.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Oui, si nous pouvons donner des instructions à ces adjoints en leur disant que nous sommes prêts à examiner ce dossier. Nous pensions que la sénatrice Wilson pourrait nous donner de bonnes indications initiales. Elle pourrait nous suggérer des orientations pour cette étude à l'automne.

M. Deepak Obhrai: Oh, j'ai le plus profond respect pour la sénatrice Wilson, mais la question est de savoir si nous allons être retardés. Cela ne va rien retarder, n'est-ce-pas?

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Non, c'est...

M. Irwin Cotler: Cela va retarder les choses car si nous ne nous réunissons pas le 6 juin, le personnel ne pourra pas faire tout le travail d'organisation nécessaire pour nous permettre de commencer nos travaux à l'automne. C'est pour cela que je dis que nous avons un problème de calendrier. Si nous avons cette réunion maintenant et que nous nous organisons pendant l'été, nous pourrons commencer cette étude à l'automne, mais si nous reportons cette réunion de juin à l'automne, tout sera décalé jusqu'au printemps. Voilà le problème.

M. Eugène Bellemare: Personnellement, je pense qu'il faudrait reporter cette réunion. Nous pouvons prévenir le personnel à l'avance pour qu'il prépare le dossier pour le début de l'automne, et nous pourrions avoir une première réunion dès le début de l'automne pour boucler le dossier de la Colombie et passer à celui du Soudan. Cela me paraît parfaitement logique.

(La motion est rejetée)

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Merci pour votre tolérance.

M. Irwin Cotler: Cela en dit long.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Oui, c'est aussi mon avis. Je trouve que c'est vraiment regrettable.

Enfin, passons au point suivant. Aujourd'hui, le comité poursuit son étude des droits de la personne, du développement et des questions connexes en Colombie.

Nous accueillons des témoins du Comité inter-églises des droits humains en Amérique latine: Bill Fairbairn que nous connaissons bien et Lilia Solano. Nous avons aussi, pour le Centre de recherche pour l'Amérique latine et les Caraïbes, Emmanuel Rozental Klinger, et à titre personnel, Kimberly Inksater; il y a aussi une autre personne... Pablo Leal.

Excusez-moi, je n'ai pas... Je crois que nous vous avons déjà rencontré il y a un mois. Bienvenue de nouveau.

M. Pablo Leal (Campagne de solidarité Canada-Colombie 2001): Merci beaucoup. Le café était excellent.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Nous faisons de notre mieux.

Bill, vous voulez commencer?

• 1555

[Français]

M. Bill Fairbairn (coordonnateur des programmes de l'Amérique du Sud, Comité inter-églises des droits humains en Amérique latine): Je voudrais féliciter les membres de ce comité d'avoir convoqué ces audiences sur la Colombie et les remercier de nous avoir invités à partager avec eux nos préoccupations et recommandations.

Je suis le coordonnateur du programme pour l'Amérique du Sud du Comité inter-églises des droits humains en Amérique latine, une coalition oecuménique de plus de 20 églises et organisations religieuses canadiennes. Notre comité suit de près la situation en Colombie depuis 13 ans et a fait de fréquentes visites au pays.

Je suis heureux d'être accompagné aujourd'hui de Mme Lilia Solano, professeur à l'Université Javeriana à Bogota. Lilia est à la fois présidente de la Fraternité théologique latino-américaine et membre du CEDECOL. Le CEDECOL est le conseil des églises protestantes de la Colombie. Le CEDECOL est un partenaire des églises canadiennes et comprend à peu près 70 p. 100 des églises protestantes de Colombie.

Lilia commencera par quelques commentaires et je continuerai en soulignant quelques recommandations pour la politique canadienne envers la Colombie.

[Traduction]

Mme Lilia Solano (Comité inter-églises des droits humains en Amérique latine): Quand on entend parler de mon pays dans les pays du Nord, on pense généralement à deux choses: les cartels de la drogue et la violence. Les médias et Hollywood ont répandu l'impression erronée que toute la violence en Colombie est liée à la drogue. Cette méprise a suscité un climat qui justifie maintenant une mobilisation militaire massive aux États-Unis, mobilisation ostensiblement destinée à permettre une véritable guerre contre la drogue. La réalité, c'est que cela ne fait qu'empirer notre situation car s'il y a une chose dont nous n'avons certainement pas besoin, c'est encore plus d'armes. Il y a déjà beaucoup trop d'armes dans mon pays.

Il est vrai que le commerce de la drogue a alimenté la violence en Colombie et dans de nombreux autres pays, y compris le Canada. Nous ne le contestons pas. Mais vous devez absolument comprendre que derrière cette prétendue guerre contre la drogue se cache une source de violence infiniment plus grande qui passe pratiquement inaperçue.

Il n'y a probablement pas d'autre pays en Amérique latine où le gouffre soit aussi énorme entre une poignée de personnes extrêmement riches et la très grande majorité de la population qui vit dans une pauvreté abjecte. C'est la répartition scandaleusement injuste des ressources de notre pays qui a suscité et alimenté une insurrection armée qui date maintenant de plus de 40 ans.

La terre et l'accès à la terre sont de plus en plus concentrés entre les mains d'un tout petit nombre de personnes. Pendant ce temps, plus de 2 millions de mes concitoyens se font chasser de chez eux par des groupes paramilitaires, des forces de sécurité de l'État et des armées de la guérilla et deviennent des réfugiés dans leur propre pays.

Ce qui est troublant, c'est que cette concentration malsaine de la richesse s'accélère de plus en plus. Les politiques de libre marché, de mondialisation et d'ajustement structurel imposées au cours des dernières décennies ont entraîné l'accroissement des inégalités sociales et l'aggravation des conditions de vie de la majorité de la population, ce qui n'a fait qu'exacerber le conflit. En même temps, le chômage aussi bien urbain que rural s'accroÎt chaque jour.

Soyons clair: si nous n'avons pas la paix en Colombie, c'est avant tout parce que nous n'avons pas de justice économique et sociale. Ce n'est pas que les pauvres de la Colombie ne veulent pas de la paix, c'est simplement qu'ils ne veulent pas rester pauvres. De nombreux Colombiens sont peut-être obligés d'accepter la pauvreté, mais pour les y obliger, il a fallu la répression des forces de l'État, une répression qui a poussé la population à prendre les armes en réaction.

En tant qu'églises nous estimons que l'intervention armée n'est pas la bonne solution aux problèmes de notre nation. En fait, la guerre n'a fait qu'aggraver la pauvreté et la misère et alimenter le bain de sang.

• 1600

Nous continuons à dénoncer de toutes nos forces les violations graves commises par toutes les parties au conflit, y compris les armées de la guérilla, mais nous ne pouvons perdre de vue le fait qu'à la racine de cette guerre, il y a l'extrême pauvreté de la majorité de la population et que bien des gens préfèrent faire la guerre plutôt que de vivre et mourir dans des conditions de dénuement total.

Il est exact aussi que le conflit armé n'a pas entraîné de réforme de nos structures nationales, au contraire. Les attitudes réactionnaires dans les secteurs politique, social et économique n'ont fait que s'intensifier. Ce sont précisément ces structures qui ont rendu la violence inévitable.

Pour nos politiciens, le terme «paix» signifie trop souvent que les Colombiens se résignent passivement à leur pauvreté. Ils ne doivent pas se plaindre, protester ou se révolter. Notre constitution protège la liberté d'expression. Je suis sûre que vous savez que la Colombie est la plus vieille démocratie des Amériques. Mais dans la pratique, tous ceux qui s'insurgent contre des politiques qui servent à concentrer la richesse dans les mains de quelques individus sont exécutés. Des milliers de personnes ont été systématiquement assassinées dans mon pays, des dirigeants syndicaux, des militants des droits de la personne, des organisateurs de la communauté, des dirigeants autochtones et des membres des partis d'opposition. Parmi les victimes figurent aussi d'anciens membres de la guérilla qui ont choisi de déposer les armes, leurs armes, pour essayer d'obtenir des changements par des moyens pacifiques. Les auteurs de tous ces crimes bénéficient d'une impunité quasi totale.

Les églises colombiennes et de nombreux secteurs de la société colombienne sont profondément déterminés à trouver un règlement politique négocié au conflit armé qui a ravagé notre pays. Nous sommes heureux que le gouvernement canadien se soit montré disposé à jouer un rôle positif en appuyant notre recherche de la paix. Mais si le Canada veut véritablement contribuer à la paix dans mon pays, il doit comprendre un certain nombre de choses. Je ne vais en mentionner que deux.

Tout d'abord, c'est une entreprise à long terme. La paix ne va pas se réaliser simplement parce que quelques politiciens le souhaitent. Et ce n'est pas parce que la majorité de la population le souhaite qu'on pourra l'obtenir. On n'obtiendra la paix que lorsqu'on aura fait disparaître les causes de la guerre. Or, au lieu de diminuer, ces causes s'aggravent. Il est donc essentiel que, dans la recherche de la paix, on s'attaque aux politiques qui ont créé et exacerbé ces inégalités profondes.

Deuxièmement, nous savons que le gouvernement canadien a cherché à conserver une attitude dite neutre face au dispositif d'aide militaire mis sur pied par les Américains dans le cadre du Plan Colombie, en s'abstenant de l'appuyer ou de s'y opposer. Mais je n'exagère pas quand je vous dis que pour nous, le silence signifie la mort. Environ 80 p. 100 de cette prétendue aide en provenance des États-Unis est une aide militaire. Seule une petite partie de cette aide doit servir à mettre sur pied d'autres programmes de développement. Nous craignons que le volet social du Plan Colombie serve uniquement à éponger les dégâts et les destructions entraînés par la vaste composante militaire.

Nous les Colombiens, nous sommes convaincus que l'aide militaire va saper le processus de paix, aggraver la crise humanitaire et les droits de la personne, intensifier les déplacements forcés de populations et faire empirer la crise sociale et politique. De nombreux secteurs de la société colombienne partagent cette conviction. Nous vous exhortons, vous les députés du Parlement canadien, à parler haut et fort contre cette démarche militariste. Votre voix est importante et elle sera entendue dans mon pays.

Merci.

La présidente: Lilia, nous recevons votre ambassadrice au Canada la semaine prochaine, et elle pourra donc aussi nous parler de vos problèmes.

Kimberly, je crois que vous devez partir dans peu de temps, n'est-ce pas?

Mme Kimberly Inksater (témoignage à titre personnel): Oui. Je dois partir à 16 h 30, 16 h 40 au plus tard.

• 1605

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Dans ce cas, voulez-vous prendre la parole maintenant?

M. Bill Fairbairn: J'allais compléter notre exposé, madame la présidente. J'essaierai d'être bref.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Bien, excusez-moi.

M. Bill Fairbairn: Comme nous le montrons bien dans nos rapports, qui sont encore en traduction et seront prêts demain, la situation sur le plan des droits de l'homme en Colombie se détériore de façon dramatique. Quand j'ai comparu au Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international en novembre 1999, j'ai dit qu'on enregistrait en moyenne 10 assassinats politiques ou disparitions chaque jour en Colombie. Ce nombre a maintenant doublé, et l'on enregistre maintenant chaque jour 20 assassinats de ce genre; 80 p. 100 sont perpétrés par des escadrons de la mort paramilitaires qui agissent souvent avec l'appui ou l'accord tacite des forces de sécurité de l'État.

En décembre 1999, le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international a présenté une résolution très importante dans laquelle il demandait notamment au gouvernement de la Colombie de

    mettre à exécution, sans délai, les recommandations répétées des organismes de défense des droits de la personne de l'ONU et de l'OEA, notamment celles qui demandent au gouvernement de démanteler définitivement les groupes paramilitaires.

Vous savez certainement que dans son plus récent rapport, le haut-commissaire des Nations Unies pour les droits de l'homme conclut que les autorités colombiennes n'ont pas respecté la majorité des recommandations internationales visant à régler la crise des droits de la personne. L'ONU a constaté que les groupes paramilitaires avaient progressé de 81 p. 100 en deux ans et que le gouvernement colombien n'avait pas manifesté beaucoup d'énergie et de cohérence dans son opposition à ces groupes.

Le rapport confirme aussi la collusion continue entre ces groupes et les forces de sécurité de l'État. En fait, les Nations Unies signalent qu'elles ont à maintes et maintes reprises donné au gouvernement colombien des renseignements détaillés sur l'emplacement des bases paramilitaires et des points de contrôle dans les provinces de Putumayo, Valle del Cauca, Bolivar, Sucre et Antioquia, entre autres. Malgré tout ce luxe d'informations et malgré le fait que beaucoup de ces sites soient situés à deux pas des bases de l'armée, d'après ce rapport:

    Les paramilitaires sont restés dans tous les sites observés au cours de l'année, commettant des meurtres et des massacres dans les villes et les campagnes environnantes [...]

On se demande donc de quel genre de démocratie on parle quand on voit ces massacres des citoyens du pays. Il est urgent d'exercer des pressions plus concertées sur les autorités colombiennes pour qu'elles prennent au sérieux les recommandations de l'ONU et mettent un terme à la crise des droits de la personne.

En second lieu, j'aimerais faire remarquer que nos mains ne sont pas aussi propres que nous le souhaiterions. Comme nous le montrons dans notre mémoire, que vous aurez demain, 33 hélicoptères militaires qui appartenaient jusqu'à récemment encore au ministère de la Défense nationale sont maintenant entre les mains des forces armées colombiennes dans la province de Putumayo, une région du pays où la collusion est particulièrement intense entre les escadrons de la mort paramilitaires et les forces de sécurité de l'État.

Cette situation inquiétante, qui sape à mon avis le rôle constructif par ailleurs que nous pourrions jouer dans le processus de paix, est survenue à cause d'une lacune de la législation canadienne qui ne tient pas compte du destinataire final. Comme nous le recommandons instamment dans notre mémoire, il faut corriger cette lacune pour éviter que ce genre de situation ne se reproduise à l'avenir.

Parmi nos autres recommandations, nous appuyons pleinement la suggestion qu'une délégation parlementaire canadienne se rende en visite en Colombie. En tant qu'organisation qui travaille étroitement avec ses partenaires colombiens depuis plus d'une décennie et qui a facilité de nombreuses missions dans notre pays, nous serions heureux d'apporter notre appui à une telle mission.

Nous soulignons aussi que, tout en faisant tout ce qui est possible pour s'attaquer aux racines fondamentales du conflit et éviter aux Colombiens de devoir fuir un pays aussi beau, il faut aussi maintenir en place un mécanisme rapide et efficace permettant aux personnes en danger de demander l'asile au Canada, quand ils n'ont pas d'autre choix., Nous avons d'urgence besoin de ressources supplémentaires pour le poste de Bogota, et nous devons ouvrir beaucoup plus largement nos portes pour offrir un refuge aux Colombiens en danger.

Enfin, les Colombiens ne disent pas qu'ils rejettent le commerce et les investissements, mais ils veulent avoir l'assurance que les investissements étrangers profiteront au peuple et non pas à une petite élite. Ils veulent avoir la garantie que les investisseurs étrangers ne seront pas les complices des attaques menées contre les syndicalistes qui s'opposent à ce que l'on brade à vil prix à des entreprises étrangères les actifs de l'État dans des domaines comme le pétrole et le gaz. Ils veulent aussi avoir l'assurance que les investissements étrangers ne violeront pas les droits des peuples autochtones et de l'environnement, comme c'est le cas du mégaprojet hydroélectrique Urra 1 qui bénéficie d'un appui de 18,2 millions de dollars U.S., de la part de la SEE.

Dans sa résolution de 1999, le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international demandait qu'on renforce le contrôle des retombées du commerce et des investissements canadiens pour s'assurer que la présence et les activités des sociétés canadiennes ne contribuent pas à aggraver les conflits ou la situation des droits de la personne. J'estime que la réponse du gouvernement jusqu'à présent, qui a essentiellement consisté à encourager des tribunes volontaires sur le respect de l'éthique dans l'investissement, tribunes auxquelles les entreprises pouvaient assister si elles le souhaitaient, ne respecte pas l'intention de cette résolution et qu'il faut mettre en place des contrôles plus rigoureux et plus efficaces.

Merci, madame la présidente.

• 1610

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Kimberly, à vous.

Mme Kimberly Inksater: Je dois tout d'abord vous demander de m'excuser de devoir partir dans peu de temps, mais j'ai un autre engagement.

Permettez-moi de me présenter rapidement. Je suis une experte-conseil indépendante, et je suis donc ici à titre personnel. J'ai un bagage en droit de la personne et j'ai travaillé dans divers pays des Amériques depuis la fin des années 1980. J'ai à ce titre été observatrice des droits de la personne au Guatemala dans le cadre de la mission de vérification de l'ONU et j'ai aussi travaillé auprès d'organisations non gouvernementales dans des pays comme le Belize. Je travaille aussi comme consultante pour l'ACDI en Bolivie, auprès de l'ombudsman des droits de la personne.

Compte tenu de cette expérience, j'ai été aussi contactée par l'ACDI l'an dernier pour faire une analyse du conflit en Colombie. J'étais allée en Colombie quand j'étudiais le droit au début des années 1990, faire un stage sur les droits de la personne auprès de l'ILSA, une organisation non gouvernementale située à Bogota.

Compte tenu de mon expérience dans les Amériques, j'ai commencé à faire des études universitaires plus poussées sur les conflits internes des États, la sécurité humaine et le développement. J'aimerais simplement vous faire très rapidement part de mes réflexions sur ce conflit en Colombie et surtout sur une analyse de la guerre civile en Colombie qui me semble utile.

Tout d'abord, plusieurs des universitaires se servent de ce que l'on appelle une analyse en circuit fermé des conflits internes, et j'ai trouvé cela utile. On examine les causes de la violence en étudiant les systèmes qui ont été verrouillés dans un pays déchiré par un conflit interne. Il y a système fermé lorsque des groupes se servent de leur position de force pour verrouiller le système et empêcher les membres de groupes moins avantagés d'y participer.

Dans le cas de la Colombie, je prendrai—et ce n'est qu'un des systèmes sur la liste—la fermeture du système politique. Il y a aussi un verrouillage des systèmes sociaux et économiques. Je n'entrerai pas dans le détail des systèmes politiques, mais il y a tout un historique d'un système bipartite qui est fermé à... Je pense qu'on ne peut pas vraiment dire qu'il s'agissait d'une démocratie. Comme le disait Lilia, c'est une démocratie de forme, mais pas de fond.

Le système social est fermé, et il y a une stratification sociale très rigide dans le pays. Cela renforce les divisions entre l'élite et les autres. La mentalité du «eux et nous» se perpétue.

Le système économique est lui aussi fermé, comme l'ont déjà dit Lilia et Bill. Il s'agit pourtant d'un pays qui a des ressources naturelles considérables, mais la concentration de la richesse entre les mains d'une petite élite et des entreprises transnationales a exclu la majorité des Colombiens du système économique. Dans le secteur rural, c'est la terre qui est concentrée entre les mains de quelques personnes.

Tout cela a entraîné un affaiblissement de l'État colombien. La fermeture de tous ces systèmes et le long conflit armé en Colombie ont affaibli l'État au point que tous les secteurs de la population civile n'ont plus confiance dans les institutions de l'État.

Ces causes systémiques du conflit se sont aggravées. Là encore, je ne suis probablement pas aussi experte que d'autres intervenants, mais j'aimerais mentionner quelques catégories de facteurs qui à mon avis contribuent à intensifier le conflit. Il s'agit encore une fois des facteurs économiques tels que le chômage élevé depuis plusieurs années, l'aggravation de la pauvreté, surtout dans les zones rurales, et bien sûr le trafic de stupéfiants.

Un autre facteur a contribué au fil des ans à aggraver la situation, c'est l'extrémisme idéologique qui consiste à diaboliser l'autre. Cela facilite l'étiquetage politique.

• 1615

De plus, il y a un démantèlement encore plus poussé de l'État colombien partout où les paramilitaires se sont développés, comme l'a dit Bill. De vastes secteurs du territoire national sont contrôlés par des éléments étrangers à l'État. Les institutions publiques sont corrompues et le droit n'existe guère.

Naturellement, tous ces éléments, le verrouillage du système et les facteurs d'aggravation ont entraîné toute une culture de la violence. Cette situation a encouragé une intensification de la militarisation—et je ne reviendrai pas sur les violations des droits de la personne auxquelles Bill a déjà fait allusion—et une absence de dialogue entre l'État et la société civile. Encore une fois, les opérations des groupes paramilitaires et les atrocités commises contre la population se déroulent en toute impunité. Les défenseurs des droits de la personne et les syndicalistes sont dénoncés comme éléments subversifs.

On a déplacé des communautés entières. Il y a de profondes divisions de classes sociales, comme je l'ai dit. Et sur le plan individuel, les déplacements et autres violations des droits de la personne entraînent un démantèlement des structures sociales, avec des conséquences extrêmes. Je pense que les individus sont amenés à exprimer leur identité dans le cadre d'une culture de la violence et que cela encourage la participation au conflit armé.

Je pense que cette analyse du conflit interne est analogue à l'analyse de la sécurité humaine que l'on réalise depuis la fin de la guerre froide, et dont vous avez peut-être déjà entendu parler dans des séances précédentes. La menace qui s'exerce sur un système ou un sous-système de sécurité humaine a des répercussions sur les autres systèmes. Ils sont tous interdépendants. Par exemple, si la sécurité économique est menacée parce que l'économie est concentrée entre les mains de quelques individus, cela entraîne des menaces pour la sécurité d'autres intrants, par exemple la sécurité politique et la sécurité sociale.

À mon avis, il faut donner la priorité au système politique car l'État est à peu près incapable de gérer tous ces systèmes en Colombie. Tant qu'il n'y aura pas un État plus fort, ces systèmes demeureront fermés à la majorité de la population.

Je pense que les interventions pour le développement peuvent s'attaquer aux causes du conflit. Il faut cependant que ces interventions aient un objectif structurel et à long terme. Elles doivent avoir pour objectif d'ouvrir les systèmes et de remplacer la culture de la violence par une culture de la paix.

Je crois que les programmes de développement peuvent être efficaces si le développement est conçu dans une perspective large. Il ne s'agit donc pas simplement de faire des calculs de niveau de vie ou d'espérance de vie comme le font de nombreuses organisations internationales pour mesurer le développement. Les interventions pour le développement doivent en fait être axées sur les droits de la personne et le développement démocratique. L'État colombien devra rendre des comptes, renforcer les institutions publiques et encourager ou faciliter une démocratie plus inclusive.

Voici ce que je recommanderais personnellement dans le contexte des interventions du Canada en Colombie: premièrement, il faudrait intervenir immédiatement pour forcer l'État à respecter ses obligations juridiques. Le Canada pourrait par exemple faire pression sur l'État colombien pour qu'il respecte son devoir de garantir le respect des normes internationales en matière de droits de la personne et de droits humanitaires. Et il ne s'agit pas simplement de faire pression, mais bien de proposer une aide au pays pour lui permettre de se doter de la capacité nécessaire pour neutraliser et punir ceux qui bafouent les droits de la personne.

• 1620

Il faudrait aussi faire pression sur le gouvernement de la Colombie pour qu'il intensifie ses efforts pour éliminer les activités paramilitaires. Il faut pour cela viser à donner à l'armée colombienne les moyens de régler le problème des paramilitaires. Non seulement l'armée a des effectifs restreints, mais elle est aussi corrompue, et il est évident qu'elle laisse faire les paramilitaires.

De la même façon, le gouvernement canadien pourrait aider à renforcer les capacités de la police civile pour lui permettre de reprendre une bonne partie des activités que contrôlent actuellement les militaires et qui devraient de préférence être confiées à la police dans une démocratie.

Il faut aussi protéger les défenseurs des droits de la personne. Le gouvernement colombien a un bureau et une législation pour cela, mais ils n'ont pas servir à grand-chose. Il faut accroître la protection des dirigeants syndicaux. Il va y avoir une réunion du comité de l'OIT à Genève le mois prochain, et je suggère que le gouvernement canadien appuie le mouvement syndical colombien qui demande une commission d'enquête en Colombie.

J'ai parlé des trois systèmes, le système politique, le système social et le système économique. Le Canada pourrait chercher des moyens d'encourager l'ouverture de ces systèmes en y faisant participer des groupes de la société civile qui en sont traditionnellement exclus.

Merci.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Emmanuel?

M. Emmanuel Rozental Klinger (chercheur, Centre de recherche pour l'Amérique latine et les Caraïbes): Merci, madame la présidente. Je suis heureux d'être de retour ici. Nous nous sommes déjà rencontrés.

Je suis ici avec Pablo Leal, que j'ai invité. Nous travaillons ensemble avec un groupe qui s'intitule Luttes invisibles en Colombie. Vous vous souvenez peut-être que c'est une délégation d'Autochtones, d'organisations féminines, etc., qui était venue vous rencontrer. Quand j'ai su que nous allions revenir ici, je les ai contactés et ils vous envoient leurs salutations. Ils nous ont aussi suggéré quelques recommandations à vous faire. Je parlerai aujourd'hui en leur nom, et j'espère bien le faire au cas où ils en entendraient parler.

Je suis moi-même Colombien et j'ai été obligé de m'exiler il y a près de deux ans et demi quand je faisais des recherches sur la prévention de la violence en Colombie. Les précédents témoins ont déjà abordé plusieurs des préoccupations et des sujets dont je souhaitais parler, et pour éviter donc de répéter ce qu'ils ont déjà dit, je dirai simplement que nous souscrivons sans réserve à ces points de vue, ces positions et ces recommandations.

Je vous ai distribué des exemplaires de la plate-forme de Solidarité Canada-Colombie qui a été élaborée lors d'une conférence à Ottawa en décembre. C'est un document de quatre pages. À la troisième page, vous pouvez constater que les ONG, les syndicats et les nombreux autres groupes qui s'intéressent à la solidarité avec la Colombie n'ont rédigé que quatre recommandations. Je vais simplement insister sur ces recommandations, car elles vont dans le même sens que la campagne Canada-Colombie que nous menons actuellement.

Premièrement, il y a une opposition très claire et directe au Plan Colombie. J'en parlerai plus tard, mais il est impératif que l'on s'oppose à ce plan.

• 1625

Deuxièmement, et c'est tout aussi important, il faut continuer de soutenir une solution négociée à la guerre en Colombie. Nous sommes reconnaissants au gouvernement canadien, notamment à l'ambassadeur du Canada en Colombie, qui soutient fortement le processus de paix. Nous encourageons l'ambassade et l'ambassadeur du Canada à poursuivre leurs efforts.

Je m'adresse à vous aujourd'hui au nom du groupe Luttes invisibles et des autres mouvements populaires en Colombie. Ces groupes revendiquent le droit de participer au processus de prise de décision. Ils ne voudraient pas se retrouver avec un processus comme celui du Guatemala ou du Salvador, où les forces armées, tant celles de l'État que celles des guérillas, sont parvenues à un accord en excluant la majorité du peuple. Une fois les traités de paix signés, il y a recrudescence des violences, car on ne s'est pas penché sur les causes sociales fondamentales de la violence, et ceux qui ont survécu à toute cette violence en sont désormais les auteurs. Les gens se tournent vers toutes sortes d'industries pour survivre à la violence.

Si les mouvements et les organisations populaires ne participent à la recherche de solutions aux problèmes socio-économiques, la majorité du peuple sera alors exclue de tout traité de paix signé entre les forces armées, ce qui entraînera inéluctablement une reprise des violences. Ce n'est pas quelque chose dont je voulais parler longuement, mais je voulais simplement le faire ressortir. Les organisations populaires et sociales doivent faire partie de la prise de décision dans le cadre du processus de paix.

Ma troisième observation, qui est très importante, concerne le Canada et la politique canadienne d'investissement en Colombie. Il est impératif d'examiner la politique canadienne, notamment la politique d'investissement en Colombie, en accordant une attention particulière au secteur énergétique, et plus spécifiquement le secteur pétrolier. Ces secteurs investissent dans des régions caractérisées par la violence et les déplacements, surtout dans le sud de Putumayo, qui est visé par le Plan Colombie. La principale opération militaire d'initiative américaine a été déployée dans le sud de la Colombie, dans le département de Putumayo, où la Compagnie colombienne de pétrole a reconnu que la plupart des contrats de prospection et d'exploitation pétrolière dans la région avaient été octroyés à des entreprises canadiennes. Je crois qu'il est essentiel de comprendre que les intérêts économiques dans la région sont des intérêts canadiens, et que ce sont des intérêts pétroliers. Il faut faire quelque chose, et il faut le faire vite.

De plus, comme l'a dit le groupe Luttes invisibles, lors d'une réunion qui a eu lieu ici à Ottawa, à des représentants de l'ACDI qui ont bien voulu le recevoir... Le groupe les a informés qu'en 1999, l'ACDI avait engagé un conseiller pour aider la Colombie à examiner son code minier, notamment le processus de consultation préalable, afin de le rendre plus rapide. En fait, le projet de loi qui en a découlé et qui est sur le point d'être approuvé a été critiqué par les mouvements afro-colombiens, les mouvements paysans et d'autres habitants des régions où il y a des ressources minières potentielles. Avec l'aide de conseillers canadiens, les consultations préalables ont été affaiblies, et c'est l'une des causes principales des violences et des déplacements. C'est pourquoi, et cela fait partie de notre troisième recommandation, nous vous exhortons à réfléchir sur la question que les délégués vous ont posée lors de leur récente visite et d'y donner suite.

Quatrièmement, les Colombiens ne sont pas uniquement des victimes, des victimes exclues, mais aussi des individus à qui l'on a refusé historiquement et systématiquement le droit de profiter de leurs richesses. En effet, la plupart des Colombiens n'ont jamais eu le droit d'exploiter leurs propres ressources, ni de tenir leur gouvernement pour responsable de l'exploitation de leurs ressources et de la distribution des richesses en découlant, au profit de tous. Comme on vous l'a déjà dit ici même, la majorité des Colombiens ont été exclus.

• 1630

Nous nous rendons bien compte que nous sommes au Canada et non en Colombie, et nous ne nous attendons pas à ce que vous régliez le problème, mais nous voulons néanmoins que vous preniez conscience de certains faits que vous n'ignorez pas. Quand on a un partenaire illégitime, même si c'est un partenaire que la loi reconnaît, on tombera forcément dans une contradiction dans la mesure où le partenaire, en l'occurrence le gouvernement colombien, ne représente que ses propres intérêts, au détriment de ceux de la majorité des Colombiens. C'est là—et je crains que les faits ne nous donnent raison—la cause profonde du conflit en Colombie et son débordement sur les régions.

À travers l'histoire de la Colombie, les élites locales ont exproprié et exploité la plupart des Colombiens, leur refusant toute légitimité politique, sociale et économique en Colombie, comme Kimberly l'a expliqué avant moi. Avec cela comme toile de fond, sachez que les intérêts étrangers ont compliqué davantage la réalité colombienne en entreprenant des projets conjoints avec les élites qui excluent la majorité du peuple. Pour sortir de leur exclusion, les Colombiens n'avaient que deux options, si on peut vraiment les appeler ainsi.

Première option: pour subvenir à leurs besoins de première nécessité, les Colombiens devaient participer à des entreprises illégales, ce que certains appellent le crime organisé. C'est ce qui est à l'origine d'industries comme le trafic de stupéfiants, qui est en réalité la manifestation du problème et non pas le problème comme tel. Deuxième option: la seule façon d'exprimer l'opposition politique en Colombie, c'est au moyen de l'insurrection, même si la majorité des Colombiens n'aiment pas l'insurrection armée et refusent d'y prendre part. Or, ils ont été contraints de le faire à cause d'un processus qui a rendu invisibles la plupart des mouvements sociaux et populaires de la Colombie, qui refusent toutefois de céder au trafic illégal ou à l'insurrection armée. Ils se retrouvent sous le joug d'un gouvernement qui ne les représente pas, d'une insurrection qui prétend les représenter et d'un trafic illégal qui les rend invisibles. C'est pourquoi nous avons parlé de luttes invisibles.

Parallèlement à cela, il y a de plus en plus de mouvements sociaux divers et de propositions pacifiques en Colombie, plus encore que n'importe où ailleurs en Amérique latine. Il est essentiel que les Canadiens, y compris le gouvernement, reconnaissent l'existence de ces gens, commencent à former des partenariats avec eux et exigent du gouvernement colombien la reconnaissance de ces acteurs sociaux qui représentent en réalité la majorité des Colombiens. En d'autres mots, il est impératif de forger un nouveau contrat social en Colombie, faute de quoi tout partenariat ou toute entreprise quelle qu'elle soit mènera à une recrudescence des violences et des bouleversements qui s'étendront à l'ensemble de la région.

Voilà qui termine nos quatre principales recommandations. Premièrement, il faudrait soutenir les luttes invisibles. Deuxièmement, il faudrait examiner et changer les règles commerciales, notamment dans le secteur énergétique, ainsi que la politique colombienne du Canada. Troisièmement, il faudrait promouvoir une solution négociée avec la participation de la majorité des Canadiens au processus décisionnel. Quatrièmement, il faudrait adopter une position très claire concernant le Plan Colombie.

Pour conclure mon exposé, j'aimerais simplement vous dire que tant que l'exclusion sera perpétuée dans la région au moyen d'un processus comme la Zone de libre-échange des Amériques—disons-le franchement—les intérêts des investisseurs étrangers ne seront protégés que si le bien-être de la majorité du peuple est garanti. Si l'on s'obstine à exclure et à appauvrir les gens pour s'assurer la rentabilité des investissements, cela entraînera non seulement l'échec des investissements dans un environnement de guerre, de privation et de destruction accrue, mais aussi la pauvreté et la misère de la majorité des habitants de la région.

Je fais appel à la responsabilité continentale et régionale qu'assume le Canada, et que ce comité s'apprête à assumer, et je vous exhorte à prendre une position morale en disant que le développement dans la région ne pourra se faire de façon pacifique que s'il est juste et équitable. Ce n'est pas ce que l'on voit en Colombie.

• 1635

Nous avons dit tout cela à l'ambassadeur de la Colombie au Canada en personne. Nous lui avons rendu visite dans le cadre de notre tournée, en compagnie de différents délégués et en la présence de Mme Sheila Katz, du Congrès du travail du Canada, qui assistait à titre de témoin. Nous avons été obligés de dire à l'ambassadeur que l'ambassade de la Colombie ne représentait pas vraiment le peuple. Premièrement, elle exclut les Colombiens des décisions politiques et économiques qu'elle met en oeuvre. Deuxièmement, elle ne garantit pas la sécurité des Colombiens où que ce soit. Troisièmement, elle nie toutes les violations des droits humains attribuées aux forces gouvernementales et qui sont prouvées ailleurs. Quatrièmement, exhorté de toutes parts à prendre en considération les intérêts de la majorité des Colombiens, le gouvernement colombien a refusé. Cinquièmement, l'élément de la politique internationale le plus important dans la région à l'heure actuelle, soit le Plan Colombie, a été conçu et approuvé sans qu'aucune institution colombienne élue ait eu l'occasion d'en discuter.

Je vous remercie beaucoup.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Je vous remercie.

Madame Inksater, aviez-vous quelque chose à ajouter? Avez-vous quelques minutes de plus à nous consacrer?

Mme Kimberly Inksater: Oui. S'il y a d'autres questions, je me ferai un plaisir d'y répondre avant de partir.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Monsieur Leal, aviez-vous un exposé à faire ou êtes-vous ici simplement pour le seconder?

M. Pablo Leal: Non, mais je voudrais simplement insister sur la demande expresse faite par les délégués que vous avez rencontrés il y a environ un mois, à savoir que le code minier à la rédaction duquel le Canada a formellement participé et qui, paraît-il, a des effets très préjudiciables, fasse l'objet d'un examen officiel et judicieux. On dit que ce code facilite le genre d'investissement qui, historiquement, a entraîné de la violence, et des études semblent le confirmer. On estime donc avoir la capacité, les ressources et la responsabilité de se pencher un peu plus en profondeur sur le type d'activités que nous menons dans un pays où la situation est aussi explosive.

Je ne sais pas quelles devraient être les prochaines étapes, mais peut-être devrait-on envisager de lancer une pétition formelle pour que le travail qui sous-entend la rédaction du code minier en Colombie et les effets qui en découlent fassent l'objet d'un examen, peut-être à l'avenir, si les effets devaient s'avérer préjudiciables. Ainsi, on s'assura que tout projet de cette nature sera entrepris avec un peu plus de soin.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Je vous remercie.

Madame Inksater, l'une des choses que vous avez évoquées dans votre exposé était la priorité que l'on devrait accorder à la réforme du régime politique. M. Rozental Klinger semblait abonder dans le même sens. L'un de vous a-t-il quelque chose à ajouter à ce sujet? Pourriez-vous nous faire des recommandations concrètes?

Mme Kimberly Inksater: Je crois que c'est difficile quand le régime est tellement fermé et, comme Emmanuel l'a dit, c'est... J'utilise le qualificatif «faible», mais d'autres préféreront parler d'État «illégitime». Les analystes de conflit utilisent souvent le terme «État avorton», et c'est pourquoi le conflit actuel en Colombie a pris tellement d'ampleur et de gravité.

Une solution à long terme consisterait à renforcer les mécanismes démocratiques en Colombie pour que l'État représente réellement le peuple, et cela implique forcément de prendre en considération les aspects économiques et sociaux. Il ne faut pas oublier la classe supérieure, ou l'élite, pour reprendre l'expression utilisée en Colombie, qui jouit de privilèges depuis l'indépendance. C'est dire qu'il faudra longtemps avant que les attitudes ne changent.

À mon avis, le Canada pourrait notamment promouvoir la participation de la société civile au processus de paix pour faire en sorte que les institutions publiques soient transparentes, et soutenir exclusivement les institutions publiques qui, disons-le franchement, ne sont pas corrompues et sont bien respectées en Colombie comme la DefensorYa del Pueblo, ou l'ombudsman des droits humains, et choisir soigneusement ses partenaires.

Je crois qu'il serait difficile d'être plus concret que cela.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Monsieur Rozental Klinger, allez-y.

• 1640

M. Emmanuel Rozental Klinger: Je vous fais une recommandation et une proposition concrètes qui sont probablement non seulement plus faisables sur le plan politique, mais aussi essentielles. En effet, le Canada peut jouer un rôle important en appuyant la formation d'acteurs sociaux qui peuvent renforcer la démocratie. Pour ce faire, le Canada doit non seulement reconnaître l'existence de ces acteurs, mais aussi mener des activités pour les aider à exprimer leurs points de vue et leurs positions. Présents à l'échelle du pays, ces acteurs sont nombreux et visibles: syndicats, organisations sociales, mouvements afro-colombiens et organisations féminines.

Autrement dit, ce que nous avons désigné par des appellations comme luttes invisibles et par d'autres qualificatifs... il faut aider les mouvements et les organisations populaires à définir leur propre position pour ce qui est des enjeux principaux ou cruciaux, nécessaires pour reconstruire le pays et surmonter la crise politique, sociale, économique et culturelle. Le soutien canadien devrait consister non pas à s'opposer au gouvernement ou à s'attaquer à une faction ou à une autre, mais à se prononcer sur le plan politique en aidant à la définition des points de vue et des positions populaires sur des enjeux importants. Un tel soutien serait une contribution au processus de paix et à la recherche de solutions pour surmonter la crise à l'avenir.

Voilà donc une recommandation dont le comité pourrait, à notre avis, se faire le champion.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Je vois que vous ramassez vos affaires et que vous êtes prête à partir.

Mme Kimberly Inksater: Oui, madame la présidente.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Merci d'avoir été des nôtres aujourd'hui, Kimberly...

Mme Kimberly Inksater: Merci.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): ...et nous essaierons de nous y retrouver. Merci.

Mme Kimberly Inksater: Si vous avez d'autres questions ou si vous voulez des précisions sur ce que je vous ai soumis, n'hésitez pas à m'appeler.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Bill.

M. Bill Fairbairn: Oui. Je voudrais revenir sur ce qui vient d'être dit à propos de l'appui à accorder aux mouvements populaires en Colombie. Je travaille avec un comité oecuménique depuis 18 ans et je voyage régulièrement dans toute l'Amérique latine, du Chili jusqu'à la Colombie, et je peux dire en toute sincérité que je n'ai jamais vu de gens plus courageux. Il arrive souvent que les hommes et les femmes que je rencontre pendant mes voyages aient été menacés de mort. Certains d'entre eux vivent désormais en exil. D'autres sont morts. Je pense à des défenseurs des droits de la personne que j'ai connus et dont certains ont été assassinés.

Nous n'irons jamais assez loin pour venir en aide à ces femmes et ces hommes courageux qui se trouvent actuellement en Colombie. Je pense à un certain nombre d'initiatives récentes. Il y a eu un forum que notre comité a commandité avec l'ambassade du Canada et qui réunissait un certain nombre de mineurs de la Colombie. L'un des commanditaires était le syndicat des travailleurs des mines. Ce forum s'est tenu il y a quelques semaines. Il réunissait des mineurs de toutes les régions et portait sur l'extraction des ressources, l'environnement et la paix; il en est résulté un certain nombre de propositions et de recommandations importantes pour les investisseurs étrangers en matière d'investissement—différentes choses qu'il convient de regarder de très près.

Au cours des derniers jours, par ailleurs, les peuples autochtones des nations Embera, Tule, U'wa et Cuna de la côte pacifique de la Colombie ont tenu leur tout premier congrès avec l'intention de parler des conséquences du conflit armé sur leur culture et leur environnement. Ils ont aussi exprimé leurs inquiétudes sur des mégaprojets envisagés dans leur région et sur les conséquences qui en découleraient pour leur culture et leurs moyens de subsistance.

En août de cette année, il va y avoir deux caravanes qui vont se rendre en Colombie. L'une se rendra au sud de Bolivar, où l'on essaie actuellement d'amorcer des pourparlers de paix entre l'ELN et le gouvernement, mais les groupes paramilitaires du secteur s'opposent vigoureusement à cette initiative. Une autre caravane se rendra à Barrancabermeja, une ville qui est actuellement en état de siège—encore une fois, du fait des forces paramilitaires. Il s'agit d'une caravane de soutien à l'organisation populaire des femmes, un groupe qui se compose des femmes les plus courageuses que j'ai rencontrées de ma vie.

Je tiens donc à dire moi aussi que les Colombiens sont très actifs et que la situation dont nous parlons actuellement est très difficile. J'ai noté une nette détérioration depuis mon premier séjour en Colombie, mais je suis toujours impressionné par la détermination des Colombiens qui continuent à chercher et à proposer des solutions. Ils ne restent pas inactifs en faisant comme s'il n'y avait rien à faire. Ils cherchent d'autres issues, et nous devons les écouter. Voilà mon premier argument.

Par ailleurs, je suis convaincu que ces audiences sont très importantes. Je l'ai dit dans mon exposé. Notre service est régulièrement informé des audiences et des déclarations de l'Union européenne et je sais que pour nous comme pour nos partenaires de Colombie, les initiatives de ce genre sont très importantes.

• 1645

Il est important de savoir que les parlementaires se préoccupent de la situation dans ce pays et sont à la recherche de possibilités d'intervention positive, si bien que même des déclarations... La dernière résolution du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international s'est rendue jusqu'en Colombie, et elle a apporté l'espoir à tous ceux qui comptent sur l'aide des comités parlementaires canadiens et qui y voient une source d'inspiration.

Des visites comme celle de votre président en Colombie sont très importantes. Svend Robinson est allé en Colombie cette année et s'est rendu dans une ville—Barrancabermeja—qui est au coeur d'un conflit de grande intensité. Je sais que sa présence en Colombie a constitué une marque d'appui et de solidarité pour tous ceux qui vivent sous la menace des armes à feu.

Je voudrais faire un commentaire sur l'État faible, car on entend souvent dire que le gouvernement colombien... et je suis sûr que si l'ambassadeur de Colombie comparaît la semaine prochaine, vous allez encore entendre cet argument. Le gouvernement colombien se présente souvent comme une victime innocente de l'extrême gauche et de l'extrême droite. Il y a les méchants guérilleros et les méchants trafiquants de drogue, mais l'État n'est jamais dans le portrait. C'est une victime. Il est invisible. Emmanuel a parlé des luttes invisibles mais s'il y a quelque chose d'invisible, c'est bien la volonté du gouvernement colombien d'assumer ses responsabilités.

J'ai assisté... depuis 10 ans, j'ai voyagé dans de nombreuses régions de la Colombie et je me souviens d'avoir vu des groupes paramilitaires qui se trouvaient à deux minutes d'une base militaire. Lorsque je suis allé voir le général de la base pour lui dire qu'on venait de voir des groupes paramilitaires au coin de la rue, il a dit: «Vous savez, les défenseurs des droits de la personne me disent constamment que les paramilitaires sont dans la région, mais chaque fois que j'envoie mes soldats, ils sont incapables de les trouver.» Le même incident se reproduit très souvent.

Dans toutes les régions de Colombie, on constate une collusion entre les forces de sécurité de l'État... Et je ne parle pas de quelques pommes gâtées—on peut véritablement parler des officiers de haut rang qui permettent aux paramilitaires de tuer. De nos jours, ils n'utilisent même plus l'arme à feu. L'arme de prédilection des escadrons de la mort, est la scie mécanique. J'ai recueilli de nombreux témoignages et des preuves présentées par des Colombiens qui parlent des mocha-cabezas, des coupeurs de tête, qui viennent dans leur village. Il en résulte des déplacements massifs de la population civile.

Comme l'a dit Lilia, les guérilleros sont aussi responsables de graves atteintes aux droits de la personne, qu'il convient de dénoncer, mais à l'heure actuelle, la violence vient principalement des groupes paramilitaires, et leur collusion avec l'État est évidente. En fait, l'ombudsman des droits de la personne en Colombie a dit que les groupes paramilitaires sont l'aile illégale des forces armées. Ce sont eux qui font le sale boulot dont les forces armées ne veulent se charger, car elles risqueraient ainsi de compromettre le soutien militaire qu'elles obtiennent actuellement.

Si on regarde la tendance des atteintes aux droits de la personne depuis six ou sept ans, on constate qu'alors que les exactions commises ouvertement par les forces de sécurité de l'État ont diminué—je crois qu'elles représentent actuellement de 2 p. 100 à 4 p. 100 du total—les exactions de groupes paramilitaires, qui se situaient autrefois à 10 p. 100, représentent maintenant 80 p. 100. En réalité, les paramilitaires font le sale boulot que le gouvernement colombien ne veut pas faire ouvertement.

Est-ce que je crois que le président Pastrana appuie sur un bouton et appelle un groupe paramilitaire pour qu'il aille dans tel ou tel village et qu'il massacre la population? Non. Mais je sais que le gouvernement colombien ne prend pas les mesures nécessaires pour démanteler les bases paramilitaires. Les rapports de la Commission des droits de la personne des Nations Unies, que j'ai ici, indiquent presque au gouvernement colombien les adresses où il pourrait très facilement trouver des groupes paramilitaires, qui se tiennent à proximité des bases militaires.

On a parlé de l'absence de l'État, mais bien souvent, les tueries se produisent dans des régions où l'État est très présent. Le gouvernement colombien prétend toujours qu'il ne trouve pas les bases des paramilitaires et qu'il ne réussit pas à les démanteler. Je suis persuadé qu'il n'a jamais essayé. Si vous lisez la documentation de la Commission des droits de la personne des Nations Unies, de l'Organisation des États américains, d'Amnistie internationale et de notre propre comité, de même que toute la documentation d'origine colombienne, vous verrez que c'est la vérité.

Lors de vos entretiens avec le gouvernement colombien, je vous demande donc instamment de lui demander de rendre des comptes. Il n'est pas normal que tous les ans, des pays dénoncent cette collusion dans leur discours aux Nations Unies. Les preuves existent, mais le gouvernement s'en lave les mains. Nous ne demandons pas au Canada de rompre ses relations diplomatiques avec la Colombie—loin s'en faut.

• 1650

Notre ambassade à Bogota a joué un rôle très positif grâce à l'action de Nick Coghlan, qui est maintenant au Soudan, mais aussi grâce à l'ambassadeur Rishchynski. Ce sont des gens qui ont parfaitement apprécié la situation du pays, qui se sont rendus dans toutes les régions les plus dangereuses, et il faut leur en rendre hommage. Ils essaient véritablement d'améliorer la situation en Colombie.

Mais il y a toujours un prix à payer lorsqu'on refuse constamment de mettre en oeuvre des recommandations des Nations Unies qui auraient pu avoir un effet déterminant en matière de respect des droits de l'homme et qui auraient assurer la protection des femmes, des hommes et des enfants qui se font assassiner. Je vous demande donc instamment de faire preuve de fermeté vis-à-vis des autorités colombiennes.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Lilia.

Mme Lilia Solano: Je voudrais dire une chose que j'aurais dû signaler dès le début. Je suis au Canada depuis huit mois en congé sabbatique et je vous remercie de votre indulgence pour mon fort accent espagnol.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Il est magnifique.

Mme Lilia Solano: Merci.

Je voudrais dire quelques mots du temps que j'ai passé au Canada. Mon séjour s'achève et je dois retourner en Colombie à la mi-juin.

Ce qui me frappe, c'est que de nombreux Canadiens réagissent à la guerre en Colombie par la neutralité. Cette forme de neutralité me contrarie, car pour nous, la neutralité signifie l'acceptation. Lorsqu'on reste impassible devant une guerre, on montre qu'on l'accepte. Vous ne pouvez pas vous imaginer à quel point vous mettez les Colombiens en danger en restant neutres.

De nombreux Colombiens meurent tous les jours. C'est la réalité; c'est plus qu'un simple thème présenté à CNN. Ce n'est pas à cause de la guerre contre la drogue qu'ils meurent; c'est à cause de tous ces facteurs dont nous avons parlé—les causes structurelles, politiques, économiques et militaires.

Quant à ce Plan Colombie, cette aide militaire des États-Unis, je vous invite à adopter au moins une position que vous pourrez défendre. Vous pouvez aussi affirmer votre désaccord et dire que la Colombie a déjà suffisamment d'armes. Le Canada devrait s'exprimer clairement sur ce point. Mais cette sorte de neutralité est pire que tout pour la population colombienne.

Je me souviens de la guerre du Vietnam et de tous ceux qui protestaient, qui étaient emprisonnés, rudoyés par la police, mais tous ces gens se levaient et se prononçaient contre la guerre.

Plus les protestations sont vives et plus on parviendra à sauver des victimes. Voilà ce qu'il faut faire actuellement pour la Colombie.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Monsieur Obhrai, à vous la parole.

M. Deepak Obhrai: Je ne suis pas un expert de la Colombie. En fait, c'est la première fois que je m'informe vraiment de la situation. Mon collègue Keith Martin s'est rendu en Colombie. J'écoute les témoignages, et je suis allé à Genève et j'ai pris la parole devant la Commission des droits de l'homme des Nations Unies.

Êtes-vous allée en Colombie?

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Non.

M. Deepak Obhrai: Excusez-moi, je voulais parler de Genève, et non pas de la Colombie.

• 1655

On a parlé de divers facteurs. Un point dont tous les témoins ont parlé concerne les atrocités commises par les paramilitaires—c'est sans doute pour cela qu'on les qualifie d'extrême droite. Mais d'une façon ou d'une autre—et j'ai posé la question à Genève—il me semble qu'à cause de facteurs de sécurité pour les populations locales dans les zones de conflit et du fait que l'armée n'est pas en mesure d'assurer leur sécurité, même si les guérilleros commettent des atrocités—vous êtes Colombiens, vous pouvez m'en parler—la population de ces régions semble considérer ces groupes paramilitaires d'extrême droite comme un mal nécessaire, comme une force de protection. Elle les considère dans une certaine mesure comme des protecteurs, si bien que ces groupes semblent bénéficier d'un certain appui de la population.

J'ai vérifié. J'ai posé la question aux Nations Unies, et on m'a répondu que c'était vrai dans une certaine mesure. Je n'essaie pas de justifier les paramilitaires d'extrême droite. Je crois que le gouvernement a la responsabilité d'assurer la sécurité, ce n'est pas au guérilleros ni aux paramilitaires de le faire. Peut-être pouvez-vous m'éclairer. J'écoute vos propos avec beaucoup d'attention.

Mme Lilia Solano: En 1962, les conseillers des États-Unis ont dit aux autorités colombiennes que l'armée n'était pas suffisamment présente, en particulier aux frontières. Le gouvernement était censé recruter des justiciers privés qui contrôleraient la situation, car les groupes de guérilla étaient de plus en plus nombreux et échappaient à tout contrôle. Cette solution n'a fait qu'empirer les choses. Les groupes paramilitaires, comme les justiciers privés, ont pris une telle expansion qu'ils constituent aujourd'hui une énorme armée de tueurs. La prétendue solution n'a fait qu'aggraver les problèmes des paysans pauvres qui risquent la mort.

Cette situation existe depuis longtemps. La vérité, c'est que les paramilitaires protègent les intérêts des riches propriétaires terriens et de certains politiciens et ils ont servi de paravents aux atteintes aux droits de la personne perpétrées autrefois par l'armée nationale.

Ici, au Canada, j'ai rencontré des gens qui disent qu'effectivement, d'après les Nations Unies, 80 p. 100 des atteintes aux droits de la personne sont commises par les paramilitaires, mais personne ne parle des 15 p. 100 des guérilleros et des 5 p. 100 de l'armée nationale. Je déplore qu'on ne dénonce pas plus vigoureusement les graves atteintes aux droits de la personne perpétrées par les paramilitaires.

M. Bill Fairbairn: J'aimerais rester sur le même sujet.

Carlos Castaño, qui apparaît comme le chef des groupes paramilitaires—il les appelle les groupes d'autodéfense de Colombie—semble avoir ses entrées auprès des médias colombiens. Je pense que tous les journalistes de Colombie savent où le trouver, mais curieusement, malgré les dizaines de mandats d'arrestation émis contre lui, l'armée colombienne semble incapable de le trouver.

Mais Carlos Castaño donne fréquemment des entrevues. À la télévision nationale, il a dit que 70 p. 100 du financement des groupes paramilitaires provenaient du trafic des stupéfiants. Carlos Castaño est intervenu dans l'incident de Barrancabermeja et les groupes paramilitaires ont de l'argent pour recruter. Ils proposent de l'argent aux jeunes chômeurs et c'est ainsi qu'ils font des incursions dans différentes régions. Ils arrivent avec beaucoup d'argent et ils achètent de nouvelles recrues. Nous avons recueilli les témoignages directs d'habitants du nord du pays qui racontent que les groupes recrutent également de force.

Excusez-moi, j'ai perdu le fil de mes pensées. J'avais autre chose à dire, mais j'y reviendrai plus tard.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Pourquoi est-ce que les barons de la drogue financent les groupes paramilitaires?

• 1700

M. Pablo Leal: Puis-je faire un commentaire à ce sujet?

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Oui.

M. Pablo Leal: Il y a bien des choses qu'on ne comprend pas. Le phénomène paramilitaire est très mal compris.

C'est une histoire de militantisme qui remonte aux années 1960. Au cours des années 1980, il y a eu des alliances avec les cartels des drogues concernant l'entraînement conjoint des troupes, etc. Et quand Pablo Escobar a été arrêté, il a déclaré: «Vous vous intéressez à moi, mais il y a des gens que vous ne recherchez pas et qui vont prendre le contrôle du trafic de drogue dans ce pays.» Il faisait référence à Casta*uc+*ufo.

Je voudrais faire un commentaire concernant la logique des paramilitaires. Par exemple, lors du massacre de la semaine de Pâques, on estime que de 130 à 150 paysans ont été massacrés sous prétexte qu'ils collaboraient avec les guérilleros. Il s'avère que l'incident a eu lieu dans une région où on envisage de réaliser cinq à sept mégaprojets.

Dans la région de la nation autochtone Embera-Katio, avec laquelle Bill Fairbairn et le CIEDHAL ont beaucoup travaillé, l'assassinat des dirigeants autochtones n'avait rien à voir avec la collaboration des Autochtones avec les guérilleros. En fait, les Autochtones et les guérilleros de la région étaient en conflit depuis un certain temps, les premiers insistant pour que les seconds quittent leur territoire. Il faut plutôt relier ces assassinats à un mouvement d'opposition contre un projet de barrage hydroélectrique qui, soit dit en passant, a été financé dans une large mesure par la Société d'expansion des exportations, c'est-à-dire par le Canada. Et en fait, cela a fait beaucoup de bruit.

Ainsi, jusqu'à il n'y a pas très longtemps, les dirigeants autochtones qui s'opposaient au projet de barrage étaient assassinés. D'ailleurs, maintenant que le conflit est terminé en principe, ils continuent à être la cible d'attaques. Y a-t-il un rapport avec la nécessité pour les gens de se défendre contre les atrocités commises par les guérilleros? Pas vraiment, en tout cas pas dans ces circonstances-là.

Un autre exemple de ce genre de choses, ce sont les mines d'or, par exemple dans le sud de l'État de Bolivar où des paysans qui sont là depuis 20 ou 30 ans travaillent d'une façon très artisanale dans des mines d'or, et cela, sur une très petite échelle. Il y a un système de concessions, et bien sûr, les paramilitaires essaient de déplacer les gens. Au cours de 20 ou 30 ans, on a eu tout le temps de documenter ce genre d'activités.

C'est ce genre d'activités qu'il faut examiner quand on cherche à comprendre le phénomène paramilitaire et son influence dans tout le territoire colombien.

M. Deepak Obhrai: Jusqu'où va leur puissance et...

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Pouvez-vous attendre le tour suivant?

M. Deepak Obhrai: Je dois prononcer un discours à la Chambre.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): M. Dubé attend patiemment lui aussi.

M. Deepak Obhrai: Vous pouvez poser la question et je la lirai. Jusqu'où va la puissance et la force des guérilleros de gauche?

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Vous n'y voyez pas d'inconvénient?

M. Antoine Dubé (Lévis-et-Chutes-de-la-Chaudière, BQ): Non.

M. Deepak Obhrai: Avec la montée de ces paramilitaires, où en sont les guérilleros de gauche? Sont-ils en train de perdre le contrôle? Sont-ils toujours aussi forts? Quelle position occupent-ils dans tout cela? Il me semble...

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Qui les finance?

M. Deepak Obhrai: Oui, où en sont-ils?

M. Emmanuel Rozental Klinger: Il y a deux aspects, d'une part les éléments essentiels du débat international, mais également certains aspects historiques. Le fait qu'ils sont en train de sortir de l'ombre me plaît particulièrement car cela permettra une discussion avec le gouvernement de la Colombie, c'est là que les choses vont se passer. Finalement, cela a une incidence sur le reste de la population colombienne car cela permet de discuter des deux sujets dont il faut absolument parler: la violence et les protagonistes armés et le trafic des stupéfiants. Mais finalement, ce n'est pas de la situation des gens et de la situation en général qu'on finit par parler.

Je vais répondre à vos questions au sujet des guérilleros et des paramilitaires. Tout cela se joue sur une toile de fond d'intérêts économiques considérables et de territoires contestés par des protagonistes violents, au nom de ces intérêts économiques.

Les intérêts économiques appartiennent à deux catégories, mais ils ne s'entendent pas et la situation est loin d'être claire. Il y a donc deux groupes, d'une part les élites nationales, y compris les propriétaires fonciers locaux et régionaux qui sont unis et qui sont soutenus ou en tout cas qui s'entendent avec les intérêts internationaux et transnationaux. À ce niveau-là, comme je l'ai déjà dit, les secteurs du pétrole et de l'énergie jouent un rôle important. Je ne parlerai pas de cause, mais cette détermination signifie...

• 1705

Par exemple, le président Samper a annoncé une solution pour contourner le canal de Panama. Presque immédiatement, il y a eu un massacre dans la région et les paramilitaires ont forcé 7 000 habitants des villages à quitter la région. Est-ce qu'ils travaillent pour les compagnies qui construiront le canal? Dans ces circonstances-là, probablement pas, mais dans d'autres circonstances, oui. Ils travaillent pour les compagnies pétrolières et ce sont elles qui les financent.

À l'heure actuelle, la Colombie est un territoire contesté. Les intérêts économiques nationaux ou transnationaux, légaux ou illégaux, en sont les principaux protagonistes. Et c'est là que le trafic des stupéfiants intervient. Les gros trafiquants sont des hommes d'affaires qui ont des activités légales et des activités illégales. Ils ont acheté d'immenses territoires, des terres où ils exploitent, où ils ont l'intention d'exploiter plus tard, des mines, du pétrole, etc.

Si vous voulez accéder à ces ressources, en tant que gouvernement, vous devez traiter avec les gros trafiquants. Ces territoires sont également contestés par les guérilleros, soit parce qu'ils exercent une influence sur les gens de la région et que depuis très longtemps, ils sont la seule autorité en place, soit parce que de nouveaux intérêts économiques sont en train de s'imposer dans la région et de les repousser.

Il ne faut pas se demander qui est sur place, les gros trafiquants, les guérilleros ou les paramilitaires? La question à poser est la suivante: Quels sont les intérêts économiques qui jouent un rôle dans la guerre et dans les massacres en Colombie?

En fait, les forces armées de l'État colombien, en collusion avec les forces paramilitaires, sont responsables de la plupart des massacres. À cause de cela, au cours des 15 dernières années, deux millions de Colombiens ont été déplacés, 317 000 l'année dernière. Et ces gens-là sont des gens pauvres qui vivaient dans les territoires aujourd'hui nettoyés pour faire place à de mégaprojets économiques nationaux et multinationaux: les spécialistes ont prouvé cela à de nombreuses reprises. On déplace donc des populations en Colombie dans l'intérêt de certaines factions et cela s'accompagne d'interventions armées.

Ce qui serait intéressant, c'est que vous posiez ces questions à l'ambassadrice. Quelle est la véritable relation entre les intérêts économiques de quelques-uns et les déplacements de populations et la violence? La plus importante et la plus réussie des réformes anti-agraires en Amérique latine s'est produite en Colombie, au cours des 10 dernières années. On a chassé les éléments les plus pauvres de la population de leur territoire ancestral pour permettre à des gens riches d'assumer la propriété de ces terres, mais certainement pas pour produire des denrées alimentaires. Aujourd'hui, la Colombie doit importer du café.

Si le gouvernement colombien peut défendre ce genre de régime... Le gouvernement a mis en place une machine à propagande et prétend que les guérilleros, et les gros trafiquants et les paramilitaires sont les seuls responsables, alors qu'en réalité, de leur côté, ils sont en train de vendre le pays. J'aimerais beaucoup que vous demandiez à l'ambassadrice de Colombie pourquoi les redevances ou les revenus tirés du pétrole par la population colombienne sont passés de 20 p. 100, ce qui était déjà très bas, à 6 p. 100? Si jamais elle niait cela, nous pouvons vous donner la documentation pertinente et la loi qui établit ce régime. En fait, les revenus tirés du pétrole par la Colombie ont baissé pendant le régime du dernier gouvernement alors qu'il y a du pétrole à Putumayo et en dépit du Plan Colombie.

Voilà donc l'origine de la violence en Colombie. Pour commencer, il y a des ressources économiques importantes dans la région. Deuxièmement, des protagonistes armés arrivent dans la région pour faire de la place à ces ressources en se débarrassant du seul obstacle, la population organisée qui défend ses droits. Troisièmement, ces ressources sont à la disposition des intérêts internationaux, qu'ils soient légaux ou illégaux. Et nous ne sommes pas ici pour défendre les paramilitaires ou les guérilleros. Ce que nous voulons défendre surtout, ce sont les Colombiens, et nous vous demandons de commencer à les défendre vous aussi.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Monsieur Dubé, allez-y.

[Français]

M. Antoine Dubé: J'ai bien compris, parce que nous avons eu quelques réunions avec plusieurs groupes de mouvements populaires, des gens de ce type.

• 1710

Je voudrais m'adresser en premier lieu au Comité inter-églises des droits humains en Amérique latine, que M. Fairbairn et Mme Solano représentent. Parmi les gens qui ont été tués, est-ce qu'il y avait des membres des églises? Vous dites qu'il y a au moins 20 morts par jour, 20 assassinats. Est-ce qu'il y a des membres des églises qui sont tués? Je veux savoir s'ils respectent ou non les gens...

[Traduction]

Mme Lilia Solano: L'année dernière nous avons rencontré des pasteurs, des prêtres et des religieuses de l'Église protestante qui travaillent dans la région. Trente-deux pasteurs ont été tués, le plus souvent parce qu'ils s'opposaient à ce qu'on recrute de jeunes enfants. Les guérilleros et les paramilitaires recrutent des enfants à partir de 12 ans, les églises sont tout à fait contre cela.

Je vis à Bogota, et très souvent les églises nous contactent pour nous demander de nous charger de leurs enfants. Ils préfèrent garder les enfants et les aimer plutôt que de les envoyer à un des deux groupes armés, les paramilitaires ou les guérilleros. En effet, les églises sont présentes partout dans le pays, dans chaque village, dans chaque petite ville. Elles sont présentes dans toutes ces régions où règne la violence. Elles ne sont pas visées car elles sont des églises, mais elles font partie de la population parce qu'il se trouve que des Colombiens habitent là-bas.

Nous connaissons le nombre des prêtres et des pasteurs qui sont morts, mais nous ne savons pas combien il y a eu de victimes au total dans les diverses églises. Nous n'avons que ces chiffres-là, 32 pasteurs et prêtres tués au cours des deux dernières années.

[Français]

M. Antoine Dubé: Vous êtes un comité inter-églises. J'entends par église une religion comme celle des catholiques. Est-ce que toutes les églises comptent des victimes dans leurs rangs ou si ce sont surtout certaines églises plus actives, qui participent davantage ou qui aident davantage, ou encore qui s'opposent davantage au recrutement des jeunes?

M. Bill Fairbairn: Je parle d'abord du Comité inter-églises au Canada qui est une coalition canadienne, n'est-ce pas, qui comprend l'Église catholique, la Conférence des évêques catholiques du Canada, l'Église anglicane, l'Église presbytérienne, etc. En Colombie, bien sûr, l'Église catholique est l'église principale, mais il y a aussi plusieurs églises protestantes, plus petites, l'Église mennonite, par exemple, l'Église presbytérienne, qui sont très engagées dans la défense des droits humains.

Je pense que les gens qui ont été le plus la cible des attaques sont ceux des églises qui sont près des pauvres, qui travaillent avec les communautés de base, qui réclament la justice. Eux, évidemment, sont les victimes d'attaques, tandis que ceux qui sont pour le statu quo n'ont pas eu autant de problèmes que les autres.

Comme Lilia l'a mentionné, il y a une liste de personnes, des pasteurs, des prêtres, tant des églises protestantes que de l'Église catholique, qui ont été victimes d'attaques à cause de leur engagement pour la justice et aussi, dans le cas de plusieurs pasteurs, à cause de leur engagement contre le recrutement des enfants.

M. Antoine Dubé: Je voudrais aborder un autre point. Selon les informations que j'ai, il y aura des élections dans un an ou un an et demi. Vous dites que le groupe le plus invisible, finalement, c'est le gouvernement. Est-ce que dans cet état de choses, il y a quand même des partis politiques en Colombie? Nous sommes des parlementaires de tous les partis et, en général, nous tentons de respecter les parlementaires des autres pays. Nous savons bien, par ailleurs, que tous ne sont pas respectables. On s'entend bien. Mais il faut bien partir de ce principe-là.

• 1715

Je voudrais savoir, par exemple,—peut-être était-ce dans d'autres documents—quel a été le taux de participation lors des dernières élections.

[Traduction]

M. Emmanuel Rozental Klinger: C'est une question très importante et c'est un autre point que le gouvernement colombien expliquera partout dans ses exposés—comme Lilia l'a dit dans son exposé, on dit toujours que la Colombie est la démocratie la plus ancienne et la plus stable de la région. La Colombie a tenu des élections et il n'y a jamais eu d'interruption au processus électoral, sauf durant une brève période au cours de laquelle les élites de la région avaient instauré une dictature.

Dans les faits, seule une minorité de gens participent à la démocratie officielle en Colombie. Les citoyens ne sont pas obligés de voter en Colombie, contrairement à d'autres pays de la région. La participation au processus démocratique a été associée à des procédés bien concrets mais «invisibles», je le répète, dans toutes les collectivités et partout au pays. N'importe quel Colombien, où qu'il vive, pourrait en témoigner.

La Colombie vit une campagne électorale permanente. Il y aura des élections l'an prochain. On connaît déjà très bien les candidats à la présidence. Mais depuis l'élection du président précédent, les élections n'ont jamais cessé. Elles se poursuivent constamment parce qu'à tous les niveaux et à peu près partout les candidats achètent des voix et acquièrent ainsi des postes, du financement, etc.

Je suis un chirurgien praticien, j'ai déjà enseigné la chirurgie dans une université publique, une université d'État à Cali. Je savais, par exemple, que les directeurs des hôpitaux étaient toujours nommés par des politiques et que leur nomination dépendait du nombre de voix qu'ils promettaient d'obtenir pour le candidat qui serait élu. Cela se fait depuis toujours. Vous pouvez emmener tout un quartier à voter pour vous, un dimanche de campagne électorale, pour un morceau de poulet ou du sancocho.

En fait, je précise que l'obligation de l'État, et vous savez très bien ce qu'il en est, consiste à gérer les ressources publiques en vue du bien-être de la population; mais vous êtes des serviteurs de la population, vous représentez vos commettants et votre circonscription et vous êtes donc supposés utiliser les ressources publiques. Les autorités démocratiquement élues de la Colombie ne conçoivent pas leur rôle de cette façon. Elles utilisent les ressources pour construire des routes ou des éléments d'infrastructure, quels qu'ils soient, en échange de faveurs électorales. Vous ne pourrez avoir d'école et faire les études qui devraient vous revenir de droit que si vous engagez votre famille, votre collectivité, etc. à voter pour certaines personnes. Cela est si bien enraciné que la plupart des Colombiens ne croient pas à la démocratie officielle; ils croient toutefois qu'il n'existe pas d'autres façons de faire et continuent de voter tous les quatre ans. Si vous essayez de sortir du système, vous n'aurez plus accès aux ressources. Nous avons donc un gouvernement autocrate qui prétend officiellement être démocratique.

Voilà ce qui s'est toujours fait. C'est un sujet qui nous cause beaucoup de tort en Colombie. Il a été financièrement impossible de mettre sur pied une position démocratique en Colombie puisqu'il est à peu près impossible de financer la création d'un parti politique opposé à ce qui existe déjà, c'est-à-dire les libéraux et les conservateurs. Il sera impossible d'obtenir les ressources; elles sont liées à un appareil corrompu qui contrôle les ressources nécessaires aux élections démocratiques ou qui maintient le contrôle par la violence.

• 1720

Par le passé, les mouvements de guérilla qui ont tenté de se convertir en partis politiques ont fait l'objet de génocides. Dans les années 1980, lorsque la Uni«n Patri«tica, les membres des FARC, ont participé à des campagnes politiques, plus de 3 000 des membres qui participaient au processus démocratique ont été tués. Vous poserez la question à l'ambassadrice, elle vous donnera sa version des faits, mais on ne peut participer au processus politique qu'à grande échelle; il existe des postes symboliques ici et là, mais pour les obtenir, il faut soit appartenir aux familles traditionnelles, soit à un système corrompu. Si vous essayez de vous opposer au système, vous pouvez dire tout ce que vous voulez. Mais si vous menacez le système, vous serez abattu impunément. C'est ainsi que cela se passe.

MMe Lilia Solano: Pour répondre à votre question, il y a toujours eu deux grands partis politiques, le Parti libéral et le Parti conservateur. Mais un certain nombre de personnes de différents partis voulaient participer au processus et bien des gens qui présentaient une idée différente, une possibilité ou un rêve pour le pays ont été tués.

Plusieurs partis politiques, des gens de la base, participeront à la prochaine campagne électorale. Il s'agit de chefs de syndicats et de partis politiques qui souhaitent se présenter aux élections et travailler pour le pays. Le Canada pourrait entre autres appuyer cette participation multiple, par opposition aux deux grands partis politiques, qui entravent toujours l'arrivée de nouveaux participants.

Ces gens de la base sont des meneurs dans le pays. Ils ont des solutions et des idées à proposer. Ils veulent participer à la reconstruction du pays. Il y a beaucoup de possibilités et de gens bien présents. Certaines personnes deviennent si présentes qu'on les abat. Vous pourriez donc appuyer ces gens qui n'ont ni pouvoir ni contrôle mais qui veulent participer. Et le pays sait de qui il s'agit.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Monsieur Dubé, je ne peux pas vous accorder plus de temps; notre temps est à peu près écoulé.

Monsieur Cotler, allez-y.

M. Irwin Cotler: Je souscris à ce qu'a dit Lilia Solano: généralement, la neutralité peut être davantage un problème qu'une solution. Comme dans toute autre chose, la neutralité signifie en fait qu'on se rallie à l'agresseur plutôt qu'à la victime. Le danger vient de ce que l'on confond le silence avec la neutralité.

Je crois donc que vous avez raison. Nous devons nous faire entendre et appuyer le combat invisible de la population colombienne. Nous devons enquêter sur les complicités canadiennes aux atteintes aux droits de la personne par le biais du commerce et des investissements transnationaux dans le secteur de l'énergie, et il faut exposer les coupables. Nous devrions également nous opposer à un Plan Colombie dans sa version actuelle puisqu'il soulève la question de la neutralité et donc de la complicité.

Lors de la visite des représentants du groupe Luttes invisibles du peuple colombien, dont nous avons entendu les témoignages, je leur ai posé des questions sur la complicité d'entreprises canadiennes qui pourrait mener à des atteintes aux droits de la personne. J'ai demandé s'il en existait des preuves. Je pose maintenant la question plus particulièrement à Emmanuel Rozental, bien que les autres puissent également y répondre.

Vous avez parlé du secteur de l'énergie, plus particulièrement de l'exploitation pétrolière et minière, pour ce qui est de la participation des Canadiens. Je me demande si vous avez d'autres preuves que celles de votre exposé initial au sujet des trois considérations suivantes.

Premièrement, vous avez parlé de la Compagnie pétrolière de la Colombie et des contrats qu'elle décerne à des entreprises canadiennes. Quel effet l'octroi de ces contrats a-t-il eu sur les atteintes aux droits de la personne, pour ce qui est de la complicité canadienne?

• 1725

Deuxièmement, il y a la participation canadienne à la rédaction du Code colombien de l'exploitation minière. On a dit que cela avait facilité des investissements qui avaient faussé la situation, si je me souviens bien. Vous nous avez demandé d'examiner cette situation. Quelle recommandation pouvez-vous faire à ce sujet?

Troisièmement, vous avez parlé de déplacements de populations qui seraient dus aux pratiques d'investissement et de commerce de sociétés multinationales. Vous avez dit que deux millions de gens qui ont été déplacés. Existe-t-il dans ce cas des preuves de complicité canadienne dans des projets d'investissement et de commerce qui ont causé ces déplacements de populations?

M. Pablo Leal: Je vais commencer par la question du code de l'exploitation minière. C'est une question qui nécessite un examen plus approfondi et plus officiel pour voir quelle est la relation de cause à effet. Nous ne disons pas que ces travaux se fondaient nécessairement sur de mauvaises intentions, mais il faut comprendre les relations qui existent dans des cas de conflit. En fin de compte, ce code d'exploitation minière réduit le droit de la population à être consultée. La Convention 169 de l'OIT vise à faciliter la consultation des populations locales; mais ce à quoi s'opposent les Autochtones, les Afro-Colombiens, le mouvement des paysans et le syndicat de mineurs, c'est que le contraire se produise.

Parallèlement, nous constatons que des sociétés minières canadiennes s'intéressent à la Colombie. Les mouvements populaires disent qu'il existe un lien. Il existe un lien très clair entre les déplacements de populations et certains types d'investissement. Cela ne signifie pas pour autant que les PDG de ces entreprises se réunissent dans des salles obscures pour fumer des cigares et embaucher des hommes de main. Cela signifie simplement, comme quelqu'un l'a dit, qu'il ne faut pas donner à un hémophile un médicament qui éclaircit le sang. Si un territoire fait l'objet d'un différend et que quelqu'un décide de le vendre parce qu'il contient du pétrole, vous savez que quelque chose se produira. Vous savez qu'il y aura un déplacement de ce genre. Ce sont des analyses comme celles-là qui doivent être faites avant qu'il y ait des investissements.

Comme on l'a déjà dit, le peuple colombien ne s'oppose pas au commerce et aux investissements; il s'oppose au commerce et aux investissements qui ajoutent aux problèmes d'un pays dont les terres appartiennent à de moins en moins de gens. Si cela ne fait qu'augmenter la concentration des terres, il faut alors trouver une solution. Si le gouvernement canadien fait affaire expressément ou concrètement avec certaines régions, il faut voir ce qui en est.

Le code d'exploitation minière est un exemple intéressant qui mérite un examen plus officiel. À quoi s'opposent les Colombiens? Leur opposition est-elle légitime, et si oui, pourquoi? Comment a-t-on procédé? Comment le Canada a-t-il été amené à aider à la rédaction du code d'exploitation minière? Et finalement, qui profitera de tout cela? Nous pourrions probablement vous fournir des noms et des adresses, des adresses postales et des sites Web, ou autres choses de ce genre. Il est très utile pour nous d'énoncer ces choses-là pour faire progresser notre commerce international.

M. Emmanuel Rozental Klinger: J'ai quelque chose à ajouter.

Permettez-moi de répondre à ces trois questions que vous avez posées, dont une portait sur le secteur de l'énergie, plus particulièrement sur ECOPETROL, etc. Nous savons que les sociétés pétrolières canadiennes sont de plus en plus intéressées à investir en Colombie. À l'heure actuelle, c'est le genre d'investissement et d'intérêt qui connaît la plus grande croissance au monde. En fait, le directeur de la Compagnie pétrolière de la Colombie s'est rendu au Japon il y a un mois environ et pour encourager les Japonais à investir en Colombie, il a fait la comparaison avec le Canada, qui, de petit investisseur est devenu le plus grand investisseur dans le secteur pétrolier. C'est donc une déclaration très importante. Il y a un changement spectaculaire et une croissance énorme de l'intérêt.

Deuxièmement, et c'est un bon point de départ pour examiner cette question, l'une des régions qui est actuellement ciblée pour la fumigation aérienne, juste à la frontière entre la Colombie et l'Équateur, est la région... Je vais vous passer le transparent parce que je n'ai pas amené de carte de cette région. Vous pouvez voir que dans plusieurs cas, la Alberta Energy Company—ce sont les Canadiens qui sont le plus présent dans cette région et les sociétés canadiennes d'énergie et de pétrole y travaillent directement.

• 1730

Il ne s'agit donc plus d'un intérêt indirect. En fait, on prédit qu'au moins 100 000 personnes devront quitter cette région. Les fumigations aériennes ont des effets dévastateurs sur tout ce qui s'y trouve, pas seulement sur les plans de coca.

Troisièmement, on extraira du pétrole de cette région lorsque la population en sera partie. D'ici la fin des fumigations, les gens auront été déplacés. Ce sont les sociétés canadiennes qui en recueilleront les bénéfices. Il s'agit de la région de l'Amazone, une région qui sera gravement endommagée du point de vue écologique. Et ce sont les sociétés canadiennes qui feront l'extraction du pétrole.

Je n'ai besoin de rien de plus que de regarder cette carte, sachant que le Plan Colombie vise cette région, sachant qu'on y fait des fumigations au glyphosate et sachant qu'il y a déjà des déplacements massifs de populations de cette région vers l'Équateur et Nari±o. Il existe un lien direct entre ces sociétés, leurs intérêts et le déplacement de la population de cette région dans le Plan Colombie.

Que ces sociétés y participent directement ou non, il est très important... la violence elle-même... Il est essentiel de savoir qu'il faut établir ce lien.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Qu'entendez-vous par «fumigation»?

M. Emmanuel Rozental Klinger: Dans le Plan Colombie, on fait des pulvérisations aériennes...

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): À quoi servent ces pulvérisations aériennes? À détruire les plants de coca?

M. Emmanuel Rozental Klinger: Oui, à détruire les plants de coca. On utilise un produit appelé Roundup Plus, c'est-à-dire du glyphosate ajouté à une base d'huile. On l'utilise plus loin dans la région et on dit que c'est pour détruire les plantations de coca de l'Amazone.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Mais cela détruira également les gens, n'est-ce pas?

Mme Lilia Solano: Ce produit détruit les animaux, les plantes et les gens partout où il est répandu.

M. Emmanuel Rozental Klinger: Mais le gouvernement colombien nie constamment que ce produit endommage autre chose que les plants de coca. On a parlé des parlementaires. Le sénateur démocrate Wellstone a visité la Colombie et les représentants de la police qui s'occupent des fumigations lui ont dit que le produit n'a d'effet que sur les zones où pousse la coca—et on en a pulvérisé sur lui.

Les fumigations ont lieu dans cette zone où les sociétés canadiennes extrairont du pétrole. Talisman fait partie de ces sociétés, sous un nom différent.

Mme Lilia Solano: Permettez-moi de répondre à votre question au sujet des preuves. Il faut faire d'autres recherches dans ces régions. Nous avons une bonne idée de ce qui se fait dans ces régions, mais nous ne pourrions pas dire que nous avons toutes les preuves. Les Canadiens devraient apporter leur concours à d'autres recherches à ce sujet.

M. Bill Fairbairn: J'ajouterai que nous n'avons pas l'arme du crime—si vous me permettez cette expression. Nous disons simplement qu'il faut être extrêmement prudent. On ne peut pas aller dans un pays comme la Colombie, un pays où règne une guerre prolongée et où il existe différentes factions armées, et penser qu'on peut y investir comme dans n'importe quel autre pays. Il faut être extrêmement prudent.

Je sais qu'après la résolution adoptée par le comité permanent, l'ambassade a contribué à la tenue d'un certain nombre de tribunes volontaires qui portaient également sur l'éthique de l'investissement. C'est important, mais ce n'est pas suffisant. Les mécanismes que nous établissons doivent exiger des examens plus approfondis et être plus rigoureux.

Si vous voulez examiner les secteurs dans lesquels le Canada est intéressé à investir, c'est-à-dire les secteurs où l'on envisage de privatiser des sociétés d'État, regardez le secteur du pétrole. Le syndicat des travailleurs du pétrole en Colombie a été parmi les plus durement touchés par les efforts d'extermination, par l'assassinat de ses membres, par l'emprisonnement de ses chefs, les menaces de mort, l'exil forcé, etc. C'est dans cette région que nous voulons aller investir. Nos efforts pour privatiser ce secteur contribuent-ils de quelque façon que ce soit aux menaces de mort, aux meurtres de ces syndicalistes?

• 1735

Prenez le cas du barrage Urra. Kimy Pernia a comparu devant le Comité permanent des affaires étrangères en 1999. Il était un indigène du nord de la Colombie dont le mode de subsistance avait été détruit par la construction du barrage hydroélectrique Urra I. Ce barrage avait été construit grâce à la contribution financière de la Société pour l'expansion des exportations.

Nous avons eu des nouvelles du peuple Embera il y a quelques mois. Un cri d'alarme nous est parvenu parce qu'il règne maintenant dans la zone une épidémie de dengue et de malaria directement liée à la construction de ce barrage, construction qui a été appuyée surtout par des investissements suédois mais aussi par des investissements canadiens.

La fin de semaine dernière, la nation Embera nous fait savoir que huit autres membres de la collectivité avaient été enlevés par des groupes paramilitaires et, d'après ce que je sais, on ne les a toujours pas revus. Ces personnes viennent grossir la liste des nombreux Emberalitas qui ont été massacrés. Tout cela parce qu'on a construit dans la zone ce barrage qui a provoqué tant de problèmes.

Dans ce cas-ci, notre investissement a exacerbé le conflit, a fait d'Embera une cible, a privé la population de sa seule source de protéines et a maintenant déclenché dans la zone une épidémie de malaria et de dengue.

Les hélicoptères dont je parlais tout à l'heure—nos contrôles d'exportation sont très relâchés et il faudrait les resserrer, puisque nous avons vendu des hélicoptères aux forces armées colombiennes. Nous avons reçu des témoignages sur la façon dont ces hélicoptères ont été utilisés dans des opérations militaires contre la population civile. En fait, à la fin de 1998, un hélicoptère Huey semblable à ceux que nous venons de vendre, et qui se trouvent maintenant à Putumayo, a largué une bombe à dispersion de 20 livres au-dessus d'un hameau dans le département d'Arauka. Cette bombe a causé la mort de 19 civils sans défense, dont sept enfants.

Je dis simplement qu'il faut faire très attention au sujet des liens de nos investissements dans le commerce avec la Colombie afin d'éviter d'exacerber les conflits ou de provoquer d'autres violations des droits de la personne.

La présidente suppléante (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Monsieur Bellemare.

M. Eugène Bellemare: Madame la présidente, je suis très impressionné par le témoignage que nous avons entendu aujourd'hui. À vrai dire, c'est le témoignage qui m'a le plus impressionné et j'ai appris beaucoup de choses.

Les ressources naturelles sont au coeur de tout cela. Et toutes les activités dont on nous a parlé ces derniers mois sont liées aux ressources naturelles, à l'exploitation pétrolière et minière. Dans la cupidité existe et la non-inclusion des collectivités.

J'ai trouvé les exposés excellents. Je n'ai que quelques petites questions à poser.

Comment le code d'exploitation minière... Je suis très intrigué. Si le Canada aide—et je suis sûr que c'était par bonne volonté et non de connivence avec qui que ce soit—à la rédaction du code d'exploitation minière, en quoi cela peut-il nuire aux collectivités de Colombie?

Mon collègue Cotler a posé une question à ce sujet et je ne crois pas qu'on y ait répondu, ou je n'ai pas entendu. Je me demande si vous pourriez m'en dire davantage.

M. Bill Fairbairn: Je répondrai brièvement qu'il serait très intéressant pour votre comité d'inviter Jamie Kneen, un de mes collègues de Mining Watch Canada. Il vient de participer à un forum organisé par le syndicat des mineurs de Colombie, qui examine le code d'exploitation minière dont est actuellement saisi le Congrès colombien.

Je sais qu'une version précédente de ce code avait littéralement pour effet de vendre le pays. Il était conçu pour protéger les intérêts des sociétés étrangères et non pour bénéficier aux collectivités locales. C'est la plainte que...

M. Eugène Bellemare: L'ACDI a fourni des fonds et engagé un expert-conseil pour aider à la rédaction du code d'exploitation minière.

Nous avons un code d'exploitation minière au Canada. Je ne vois pourtant personne se faire massacrer à la scie à chaîne dans les rues. Nous n'avons pas ici de code qui provoque ou favorise la guérilla au Canada. Je ne comprends pas pourquoi un code d'exploitation minière peut créer de tels problèmes ni pourquoi le Canada serait complice de mauvais sujets. Je ne comprends pas. Parlez-moi de l'ACDI et de ce que nous avons fait de mal.

• 1740

M. Pablo Leal: Il ne faut pas non plus oublier les autres choses qui ont été dites cet après-midi. Ce n'est pas le code d'exploitation minière qui crée des problèmes. Mais certains types d'activités peuvent contribuer à la violence et au déplacement de populations ou les atténuer. Le code d'exploitation minière est conçu en vue d'un seul objectif: garantir la participation de la population au processus de décision pour la mise en valeur de la région dans laquelle ils vivent.

Un code peut augmenter leur participation ou y nuire. Si les gens protestent, et c'est ce que nous disons aussi, ce n'est pas nécessairement parce qu'il va dans un sens ou dans l'autre, mais parce qu'il vaut la peine de l'examiner. Les gens qui protestent disent que le code nuit à leur participation et à leur capacité de prendre des décisions au sujet de ces projets d'investissement. Si leur participation est réduite, cela crée pour eux d'énormes pressions.

M. Eugène Bellemare: Mais la contribution du Canada à l'élaboration de ce code d'exploitation minière pourrait avoir été positive plutôt que négative, comme vous le laissez entendre.

M. Pablo Leal: C'est ce qu'il convient d'examiner.

M. Bill Fairbairn: Je suis allé en Colombie l'année dernière et j'ai rencontré le président du syndicat des mineurs. Nous avons eu une excellente rencontre et il s'est dit inquiet de la façon dont les investissements sont faits. Les sociétés étrangères investissent dans certaines zones où des groupes paramilitaires sont arrivés et massacrent la population civile. Dans un cas, ces groupes paramilitaires ont décapité un homme et placé sa tête sur un piquet devant la mine. Ils ont dit que la zone était prête à accueillir les investissements étrangers. Voilà le constat que les mineurs ont pu faire des mines au département de Bolivar.

Quand j'ai parlé à Francisco Ramirez, le président du syndicat des mineurs dans son bureau... à un moment donné, ou a dû aller faire une course. Il est allé dans son armoire et il en a sorti un gilet pare-balles. Il a mis son gilet puis nous sommes allés dans la rue escortés. Nous étions suivis de deux hommes armés—des garde-du-corps. Il a fait l'objet de quatre tentatives d'assassinat. Cet homme-là a signalé de nombreux problèmes dans la façon dont le code d'exploitation minière a été élaboré.

Personne ne s'oppose au code d'exploitation minière. S'il y a de l'exploitation minière, il faut bien qu'il y ait un code, mais la façon dont ce code d'exploitation minière était...

M. Eugène Bellemare: Vous ne répondez pas à ma question. Le Canada était-il complice des atrocités parce qu'il a contribué à l'élaboration du code d'exploitation minière?

M. Emmanuel Rozental Klinger: Non.

M. Eugène Bellemare: Parce que c'est là en fait...

M. Emmanuel Rozental Klinger: Je vais vous dire ce qui en est. La constitution colombienne exige que toute société qui souhaite entreprendre un projet d'exploitation minière, dans quelque région que ce soit, doit tenir des consultations préalables auprès des collectivités, plus particulièrement des collectivités autochtones et noires, qui ont des droits ancestraux sur ces territoires. Ces collectivités peuvent refuser que le projet soit mis en oeuvre dans la région. C'est ainsi que cela s'est toujours fait en Colombie.

Il faut qu'il y ait deux choses. Premièrement, le code d'exploitation minière est affaibli dans l'interprétation de ces droits constitutionnels afin que les sociétés puissent avoir accès à ces ressources, ou, deuxièmement...

M. Eugène Bellemare: Mais le Canada n'a pas proposé d'affaiblir le code d'exploitation minière plus faible afin que pour que...

M. Emmanuel Rozental Klinger: C'est ce que les mouvements les syndicats et populaires ne cessent de répéter au sujet de la participation de l'expert-conseil canadien. Premièrement, l'expert-conseil avait un rapport direct les sociétés canadiennes dans la région. Il n'était pas un observateur neutre. Il avait déjà travaillé pour les sociétés minières qui avaient des intérêts dans la région. Ces sociétés n'ont donc pas rédigé n'importe quel code d'exploitation minière mais plutôt un code qui, à cause des antécédents de l'expert-conseil, favoriserait certains intérêts, les intérêts des entreprises, etc. plutôt que les intérêts des communautés locales.

M. Eugène Bellemare: Vous croyez que le Canada s'est fait duper?

M. Emmanuel Rozental Klinger: Ce n'est pas ce que j'ai dit, mais ceux qui vivent dans la région et ceux qui ont examiné la façon dont le code d'exploitation minière a été rédigé en Colombie ont dit que c'était clairement le cas en raison de la participation du Canada à l'élaboration du code d'exploitation minière. Hector Mondragon est venu au Canada en décembre dernier. Il a déclaré que le Canada était l'un des principaux participants à la réforme du code d'exploitation minière et que l'expert-conseil impliqué dans l'affaire avait un intérêt particulier dans la société et celle-ci dans l'expert-conseil.

Je crois qu'il faudrait au moins examiner la situation. Je ne prétends pas connaître le sujet ni accuser la société, l'expert-conseil ou l'ACDI. Ce que je dis, c'est que pendant la réunion avec les représentants du «combat invisible populaire», et en décembre lorsque Mondragon est venu, ainsi que Franciso Ramirez, ces trois groupes très sérieux ont dit clairement au moins trois reprises que l'ACDI avait engagé un expert-conseil qui représentait des intérêts particuliers plutôt que des intérêts locaux et nationaux.

• 1745

M. Eugène Bellemare: Votre observation est appréciée.

La présidente intérimaire (Mme Colleen Beaumier): Emmanuel, ne vous sentez pas obligé de présenter des excuses pour avoir suggéré que nous ne sommes pas tout à fait parfaits ici.

M. Eugène Bellemarre: Monsieur Fairbairn, vous dites qu'il y a maintenant 33 anciens hélicoptères canadiens entre les mains des—je ne sais pas trop qui sont ces gens—groupes paramilitaires ou les forces armées, ou...

M. Bill Fairbairn: Entre 1998 et le mois de février 2000, 40 hélicoptères biturbines Huey...

M. Eugène Bellemarre: Quarante?

M. Bill Fairbairn: Le ministère de la Défense Nationale du Canada a vendu 40 hélicoptères de son stock excédentaire au département d'État des États-Unis. Ces hélicoptères ont été par la suite remis à neuf et envoyés à la Colombie.

M. Eugène Bellemarre: Je n'aime pas la façon dont vous dites ces choses. Autant dire que moi, en vendant il y a deux ans ma belle grande familiale à un concessionnaire, je serais coupable si cette voiture est par la suite achetée par des bandits. Vous semblez vouloir dire que c'est moi qui ai encouragé les bandits.

En l'occurrence, est-ce que oui ou non le Canada a vendu des hélicoptères à la Colombie par l'entremise de l'armée américaine, ou de son stock excédentaire, ou d'un organisme quelconque aux États-Unis, avec l'intention de fournir à la Colombie les hélicoptères pour poursuivre de viles activités?

M. Bill Fairbairn: Je ne crois pas être en mesure de répondre par oui ou par non. Il faut préciser. Je dirais que, dans le passé, le Canada a vendu directement aux forces armées de la Colombie des hélicoptères civils. Nous avons exprimé des craintes à ce sujet par le passé, parce que les hélicoptères ont été vendus aux forces armées...

M. Eugène Bellemarre: Par le passé. Vous voulez dire l'année dernière?

M. Bill Fairbairn: Non, il y a deux types d'hélicoptères, civils et militaires. Je vais vous parler d'abord des hélicoptères civils et ensuite des hélicoptères militaires.

Le Canada a vendu directement aux forces armées colombiennes des hélicoptères Bell 212. On n'avait pas besoin d'un permis d'exportation pour ces hélicoptères parce qu'ils entraient dans la catégorie des hélicoptères civils. Nous avons exprimé des craintes à ce sujet au gouvernement canadien, lui expliquant qu'on créait une échappatoire, laquelle nous permettait de vendre des hélicoptères aux forces armées colombiennes qui ont été impliquées dans des violations très graves des droits de la personne.

Nous croyons qu'il faut modifier cette loi pour tenir compte de l'utilisateur ultime. Donc, si les forces armées colombiennes sont, en l'occurrence, l'utilisateur ultime, il faut prévoir des contrôles à l'exportation... ces hélicoptères peuvent servir à des fins civiles lorsqu'ils quittent le Canada, mais rien n'empêche de les doter de mitraillettes et de s'en servir comme dans le cas dont je vous ai déjà parlé où on a largué une bombe en grappe de 20 livres sur un village, tuant un certain nombre de civils. Cela pourrait se passer. Il faut éliminer cette échappatoire pour empêcher ce genre d'incidents.

Les autres hélicoptères en question sont bel et bien des hélicoptères militaires qui, puisqu'on les a renvoyés aux États-Unis... ou les a achetés sans permis spécial. On pouvait les envoyer aux États-Unis. Leur envoi a coïncidé avec le plan colombien. Tout le monde savait que les États-Unis envoyaient un tas d'hélicoptères militaires à la Colombie au moment même où le Canada en vendaient au département d'État américain.

Nous craignons que des hélicoptères qui étaient naguère des hélicoptères militaires appartenant au gouvernement du Canada se retrouvent maintenant à Putumayo, dans le sud de la Colombie, une région connue pour la complicité qui existe entre les forces de sécurité de l'État et les escadrons paramilitaires de la mort, responsables de la mort de civils. Voilà ce que nous craignons.

Ai-je une note de service disant que le gouvernement canadien savait que ces hélicoptères vendus aux États-Unis allaient par la suite se retrouver dans une zone de guerre en Colombie? Je n'ai pas cette note de service mais je sais qu'à ce moment-là...

M. Eugène Bellemarre: La note de service existe-t-elle?

M. Bill Fairbairn: Je ne sais pas si elle existe, mais je sais qu'à ce moment-là... Il serait impossible à quiconque, si ce n'est quelqu'un d'extrêmement négligente de ne pas savoir que le gouvernement de la Colombie ainsi que le gouvernement des États-Unis cherchaient à acheter des hélicoptères militaires destinés à une zone de guerre dans le sud de la Colombie. Il serait impossible de ne pas en être au courant.

• 1750

Nous disons qu'il faut supprimer cette échappatoire pour qu'on puisse... Nous devons savoir, lorsqu'on vend quelque chose, qui va être le destinataire ultime. Si on envoie des hélicoptères au département d'État américain... En l'occurrence, il s'agissait de 40 hélicoptères dont 33 se retrouvent maintenant en Colombie. On a reçu du savoir qu'ils étaient destinés à la Colombie. C'est ce que je crois, et les membres de mon comité le croient également. Je n'ai pas de preuves concrètes, mais cela révèle qu'il existe une échappatoire dans la loi canadienne qu'il faut éliminer pour s'assurer que le Canada ne soit pas complice de violations qui pourraient avoir lieu à l'avenir.

M. Eugène Bellemarre: Merci.

La présidente intérimaire (Mme Colleen Beaumier): Je crois qu'on étire un peu les choses. On peut présumer que le gouvernement canadien était au courant, mais cette hypothèse n'est pas fondée sur des faits. Ces hélicoptères auraient pu aboutir en Afrique ou dans n'importe quel pays qui reçoit de l'équipement militaire des États-Unis. Cependant, on a pris bien note de vos observations.

Il ne nous reste plus de temps. Cette séance a été fort instructive et intéressante. Je vous remercie tous et j'espère vous revoir parmi nous très bientôt. Merci beaucoup.

La séance est levée.

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