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FINA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FINANCE

COMITÉ PERMANENT DES FINANCES

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 3 octobre 2001

• 1534

[Traduction]

Le président (M. Maurizio Bevilacqua (Vaughan—King—Aurora, Lib.)): La séance est ouverte. Je vous souhaite la bienvenue à tous cet après-midi. Comme chacun le sait, le Comité des finances procède à ses consultations prébudgétaires, conformément à l'article 83.1 du Règlement.

• 1535

Nous avons le plaisir d'accueillir avec nous aujourd'hui, les représentants des organisations suivantes: pour l'Organisation nationale anti-pauvreté, Bonnie Morton et Bruce Tate, respectivement présidente et directeur général; pour le Conseil national de recherches du Canada, Arthur Carty, président; et de l'Institut Nord-Sud, Roy Culpeper, président.

Bienvenue à tous. Étant donné que la plupart d'entre vous ont déjà comparu devant le comité, vous savez que vous disposez d'environ cinq à sept minutes pour faire votre déclaration préliminaire, après quoi, nous entamerons un tour de questions.

Nous allons nous en tenir à l'ordre du jour. Aussi, allons-nous commencer par l'Organisation nationale anti-pauvreté.

Madame Morton, allez-y.

Mme Bonnie Morton (présidente, Organisation nationale anti-pauvreté): Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de me donner l'occasion de vous parler de quelques questions urgentes relatives à l'incidence du prochain budget fédéral sur les personnes pauvres.

L'Organisation nationale anti-pauvreté représente les Canadiens pauvres depuis 30 ans. Nous sommes leur porte-parole sur la scène nationale, puisque tous les membres de notre conseil d'administration, y compris moi-même, ont connu ou connaissent la pauvreté.

Ces jours-ci, l'essentiel du débat porte sur la politique fédérale en général et sur les priorités budgétaires en particulier, notamment la sécurité. Nous sommes ici aujourd'hui pour vous parler de sécurité également. Dans son acception la plus simple, le mot sécurité signifie ne pas être inquiété par un danger ou une peur quelconque. Certes le gouvernement fédéral se préoccupe de la sécurité et de la sûreté des Canadiens contre toute menace externe, reste que la sécurité de millions de Canadiens, du simple fait qu'ils soient pauvres, est menacée—sécurité des aliments, sécurité de logement, sécurité d'emploi et sécurité du revenu. Qui dit insécurité, dit problèmes liés à la santé, à l'éducation, à la famille et à la collectivité.

Dans un article de la Presse canadienne paru il y a 10 jours, on pouvait lire:

    Le ministre des Finances, Paul Martin, a concédé que certains n'ont pas bénéficié de la prospérité des années 90, et a indiqué plus tôt cette année qu'il faut réduire l'écart entre les riches et les pauvres.

L'inégalité des revenus est l'indicateur statistique le plus important dont vous devriez tenir compte en établissant les objectifs de votre comité. Il n'existe actuellement pas de chances égales de réussite ni d'environnement socio-économique garantissant à tous les Canadiens la meilleure qualité et le meilleur niveau de vie. Selon Statistique Canada, le cinquième des Canadiens les mieux nantis perçoit plus de 45 p. 100 de tous les revenus du pays, tandis que le cinquième le plus pauvre doit se contenter de moins de 5 p. 100. C'est tout simplement inadmissible dans un pays comme le Canada.

Nous ne parlons pas de droits spéciaux, mais de droits humains. Ce dont nous parlons ne concerne pas uniquement les pauvres, mais nous concerne nous tous. Nous devons tous être en mesure de jouir d'une plus grande paix, de plus de justice et de liberté grâce au maintien d'un système de soutien global et universel garantissant des chances égales et des choix à tous ceux qui traversent dans des moments difficiles.

Que de débats sur la paix, mais peu sur la façon d'y parvenir. Dans les années 40, quand plusieurs pays ont travaillé de concert à la création des Nations Unies, une bonne part de leurs intentions était de vaincre des taux de chômage excessifs et une pauvreté croissante. Les dirigeants de l'époque avaient compris que la paix signifiait bien plus que l'arrêt de la guerre, qu'elle appelait aussi l'éradication de la pauvreté et de l'exploitation. Ces droits jouent un rôle essentiel dans l'atténuation des effets déstabilisants du système du marché libre. Sans la réalisation des droits socio-économiques, les disparités de la richesse et du pouvoir s'étendent au-delà des limites de la justice.

Je vous encourage vivement à lire l'intégralité de notre mémoire. Cela dit, je vais vous faire part de quelques-unes de nos recommandations.

Votre comité devrait recommander au ministre des Finances que le gouvernement s'engage résolument à éliminer la pauvreté au Canada, à assumer les coûts de tous les programmes sociaux canadiens à parts égales avec les provinces, à travailler directement avec les pauvres, leurs représentants et les provinces afin de régler les problèmes graves de l'itinérance, du chômage, du sous-emploi et de la pauvreté, à affecter une tranche supplémentaire de 1 p. 100 des recettes budgétaires à la satisfaction des besoins fondamentaux de logement ainsi qu'à faire en sorte que les pauvres participent pleinement à la prise de décisions socio-économiques et à la mise en oeuvre des processus qui ont une incidence sur leur vie.

• 1540

En terminant, je voudrais vous raconter une petite histoire. En août 2001, Kimberly Rogers, enceinte de huit mois, a été trouvée morte dans son appartement de Sudbury, où elle purgeait une peine de six mois de détention à domicile, après avoir plaidé coupable à la perception frauduleuse de prestations d'aide sociale, ayant bénéficié à la fois d'un prêt étudiant et de paiement d'aide sociale. Notre organisation enquête sur ce cas actuellement.

Si le gouvernement fédéral avait assumé les responsabilités qui étaient siennes, Kim Rogers ne serait peut-être pas morte aujourd'hui. Si nous avions négligé des familles comme celle de Kim Rogers, nous aurions été poursuivis pour maltraitance et négligence. Or, lorsque les gouvernements négligent des personnes de cette manière, on préfère alors parler d'assainissement du budget.

Je remercie le comité de m'avoir permis de lui faire part de ces observations et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Le président: Je vous remercie beaucoup, madame Morton.

Nous entendrons maintenant le représentant du Conseil national de recherches du Canada, M. Carty. La parole est à vous.

[Français]

M. Arthur J. Carty (président, Conseil national de recherches du Canada): Monsieur le président, membres du comité, bonjour à vous tous et merci de m'avoir donné l'occasion de vous parler aujourd'hui.

[Traduction]

En août, le Conseil national de recherches du Canada, à l'instar d'autres organisations intéressées, a répondu à une invitation de votre comité à soumettre des propositions en vue du prochain budget fédéral. Voici donc notre mémoire, dont vous avez copie, si je ne m'abuse.

Dans notre mémoire, nous vous exhortons à appuyer un ensemble limité de priorités nationales se rapportant au plan d'action pour l'innovation du gouvernement.

[Français]

Parmi ces priorités, il y a la nanotechnologie, la photonique, la biotechnologie postgénomique, le plan à long terme pour l'astrophysique et le soutien à l'innovation dans les entreprises et les régions de tout le pays.

[Traduction]

Nous souscrivons toujours aux propositions faites dans ce mémoire et considérons que les questions scientifiques et technologiques qui y figurent sont les plus pressantes et méritent votre considération. Cela dit, les événements du 11 septembre, comme on les appelle désormais, survenus il y a 22 jours exactement, ont radicalement changé notre monde, et donc notre message. À mon sens, ces événements nous ont tous donné à réfléchir et nous ont forcés à remettre en question nos hypothèses de base, nos priorités, et l'avenir de notre pays.

Aujourd'hui, le Canada est entouré d'incertitudes et d'obstacles de taille qui accentuent la complexité et le sérieux des décisions que ce comité, et le gouvernement dans son ensemble, devront prendre dans les semaines et les mois à venir.

Dans ce contexte, je crois que le CNRC pourrait vous être d'une grande utilité en insistant sur un point primordial cet après-midi. C'est la leçon la plus importante que nous avons apprise en tant qu'organisation—une organisation qui a servi le Canada avec distinction pendant près d'un siècle. Il s'agit de la nécessité de maintenir impérativement notre vision et notre confiance en investissant dans notre avenir à long terme, tout en réagissant avec force, créativité, et collectivement, aux problèmes urgents qui se posent.

Je pourrais vous raconter beaucoup d'histoires de scientifiques remarquables du CNRC qui ont fait des découvertes cruciales ou qui ont sauvé la vie de Canadiens. Mais dans chacune de ces histoires, vous constateriez que leurs réalisations ont été possibles grâce à des décisions et des engagements pris par un gouvernement et par notre organisation de nombreuses années, voire de nombreuses décennies plus tôt. Quand le pays est aux prises avec une urgence ou une crise grave, on se rend toujours compte que les ressources technologiques dont on a besoin dépendent de décisions qui ont été prises, ou auraient dû être prises, dix ans ou plus auparavant.

À titre d'exemple, les recherches faites par le CNRC, qu'il s'agisse des derniers biocapteurs pour la détection des agents de guerre biologique, des vaccins contre les armes biologiques, des systèmes de diagnostic intelligents pour la surveillance en temps réel des aéronefs, des technologies de détection de la contrefaçon, des techniques d'extinction des incendies, des systèmes de scanners par laser à trois dimensions, qui sont à la fine pointe de la technologie, utilisés pour la reconnaissance faciale et l'identification des véhicules, ou des travaux faits par le Centre canadien de recherches policières, peuvent jouer un rôle important dans les efforts de sécurité nationale, et ce, de façon inédite et novatrice.

Mais si nous sommes en mesure d'envisager un tel rôle aujourd'hui, c'est grâce aux engagements pris il y a une dizaine d'années par des personnes sages dans un contexte de priorités concurrentes qui auraient facilement pu éroder notre vision de l'avenir.

• 1545

Pour ceux d'entre nous qui font de la recherche, il est facile de voir comment les nouveaux investissements consentis aujourd'hui en nanotechnologie peuvent nous amener à concevoir de nouvelles matières résistantes à la chaleur et à la tension, ou comment les recherches dans le domaine de la photonique pourraient accroître la largeur de bande et la capacité d'Internet, ce qui nous permettrait éventuellement de mettre au point un système de détection ultrasensible.

Nous savons que nous ne pouvons pas nous permettre de sacrifier notre capacité nationale de créativité et d'innovation—et je ne saurais insister suffisamment sur ce point. Nous sommes le seul organisme national de recherche et d'innovation qui soit doté d'équipes actives de chercheurs au sein de ses propres laboratoires, représentant l'ensemble des secteurs technologiques, qui revêt une importance présente et future pour le Canada, qui chapeaute des réseaux nationaux d'assistance et d'information technologiques et qui collabore avec des milliers d'entreprises novatrices à l'échelle du pays. À ce titre, le CNRC jouit d'une capacité unique et assume une grande responsabilité envers le Canada et les Canadiens.

Comme vous, les membres du comité, nous devons agir en temps de crise en faisant appel à toute notre ingéniosité, notre énergie et notre dévouement envers le Canada. Mais parallèlement à cela, nous devons impérativement voir au-delà des problèmes immédiats, cerner de nouvelles possibilités, voir l'avenir d'un oeil optimiste et avoir à coeur les intérêts de nos petits-enfants. Nous devons faire cela simultanément, et c'est ce que le CNRC a l'intention de faire.

[Français]

J'invite de façon pressante votre comité à en faire autant, et tous mes voeux vous accompagnent dans cet important travail. Merci beaucoup.

[Traduction]

Merci beaucoup.

Le président: Je vous remercie beaucoup, monsieur Carty.

Nous entendrons maintenant le président de l'Institut Nord-Sud, M. Roy Culpeper. Allez-y.

M. Roy Culpeper (président, Institut Nord-Sud): Merci, monsieur le président, de nous avoir invités à comparaître devant votre comité.

Comme nos autres collègues présents aujourd'hui, nous avions rédigé notre mémoire avant les événements du 11 septembre, journée fatidique des attaques terroristes sur New York et Washington. Dans ma déclaration, j'essaierai de prendre en considération l'incidence possible de ces attaques sur les décisions du gouvernement pour l'année prochaine et l'intégrer au mémoire que nous avons fait parvenir au comité.

Les Canadiens et nos partenaires des pays en développement doivent avoir l'assurance que malgré la nécessité d'arrêter les terroristes et de les traduire en justice de toute urgence, le gouvernement canadien ne perdra pas de vue l'importance vitale de la coopération au développement. Par coopération au développement, j'entends bien plus que le simple programme d'aide, mais aussi les liens commerciaux avec les pays en développement, nos investissements dans ces pays et nos plans de réduction de la dette de tous les pays en développement. Tous ces liens avec les pays en développement s'inscrivent dans le cadre de la coopération au développement.

L'éradication de la pauvreté dans le monde doit continuer d'être un objectif principal de la politique étrangère du Canada. C'est pourquoi nous croyons fermement qu'il ne faudrait pas détourner le budget d'aide du Canada pour lutter contre le terrorisme ou, pis encore, pour s'engager dans une guerre à grande échelle au Moyen-Orient. Dans notre réaction à ces actes horribles perpétrés par les terroristes, nous devons nous efforcer de rendre le monde plus sûr et plus juste. Une des façons d'aboutir à cette fin serait de poursuivre sinon de consolider nos efforts pour éradiquer la pauvreté grâce à la coopération au développement international. Réduire nos efforts équivaudrait à accroître l'insécurité humaine et, peut-être à élargir la base des activités terroristes futures.

Il est intéressant de noter que dans notre mémoire, qui a été rédigé avant les événements du 11 septembre, nous mettions le gouvernement en garde contre la mentalité préconisant une forteresse nord-américaine et l'exhortation à s'attaquer aux problèmes mondiaux que sont la pauvreté, l'instabilité financière, le développement durable et le changement climatique.

En tant qu'hôte du Sommet du G-8 l'année prochaine, le Canada devra impérativement insister pour que ces enjeux continuent d'occuper une place prépondérante dans le plan d'action du G-8. Cet été, les dirigeants africains ont annoncé une initiative visant à attirer l'attention sur les problèmes de développement complexes que connaît l'Afrique et sur la nécessité de réaliser des progrès considérables.

Notre institut a déjà signalé aux responsables canadiens notre intention de trouver, en collaboration avec nos collègues africains et en prévision du Sommet du G-8 qui aura lieu l'année prochaine à Kananaskis, des moyens pratiques de réaliser des progrès dans cette tâche monumentale qui attend l'Afrique. Encore une fois, il serait tragique de laisser tomber toutes ces difficultés incroyables au profit d'autres besoins pressants.

Dans notre mémoire, nous exhortons le gouvernement à réaffirmer son engagement à respecter la cible de 0,7 p. 100 dans le ratio ADP-PIB, ratio qui avait été établi par feu le premier ministre Pearson. Nous pressons le gouvernement de respecter cet engagement pour atteindre la moitié de cette cible, soit 0,35 p. 100, dans les cinq prochaines années.

• 1550

Vous n'ignorez pas monsieur le président, que le ratio ADP-PIB mesure la générosité relative des donateurs d'aide. À noter que le Canada est passé de la 12e position parmi les donateurs en 1999 à la 17e place l'année dernière. Il y a une dizaine d'années, nous étions parmi les cinq ou six premiers.

À ce chapitre, monsieur le président, je vous répéterai ce que j'ai dit à Mme Maria Minna lors des consultations qu'elle a tenues la semaine dernière sur les nouvelles orientations de l'ACDI. Je lui ai dit que le Canada devrait avoir honte de sa piètre performance. De toute évidence, si les premiers ministres Pearson et Trudeau étaient encore parmi nous, ils seraient étonnés et terriblement déçus de l'état actuel des choses.

Dans le contexte de la crise actuelle, nous devrons par exemple accroître de toute urgence notre aide humanitaire, compte tenu de la condition critique dans laquelle se trouvent près de cinq millions d'Afghans qui ont longtemps souffert de la sécheresse et de la famine. Leur souffrance et celle de millions de leurs compatriotes ne feront qu'empirer avec les déplacements causés par la guerre imminente, sans compter le nombre insoutenable de réfugiés qui existent déjà en Afghanistan et au Pakistan.

À cet égard, je voudrais souligner les engagements déjà pris par le gouvernement dans ce sens. En effet, il a débloqué six millions de dollars pour atténuer le problème des réfugiés en Afghanistan. Il a de plus annoncé la radiation de la dette du Pakistan. Je voudrais préciser cependant que si nous accueillons favorablement ces mesures, il ne s'agit pour le moment que de mesures symboliques qui ne s'attaquent qu'à la pointe visible de l'iceberg. À moins que le Canada et ses alliés n'agissent de façon rapide et décisive pour résoudre cette catastrophe humaine imminente, même en arrêtant les terroristes et en les traduisant en justice, nous ne ferons que semer le vent de la colère, du ressentiment et de l'instabilité politique dans la région.

Enfin, nous expliquons dans notre mémoire que lorsque nous sommes aux prises avec les défis du développement mondial, nous rendons davantage service aux Canadiens en appliquant des politiques plus cohérentes. Notre programme d'aide doit aller de pair avec notre commerce, notre investissement et nos politiques de réduction de la dette, comme je l'ai indiqué tout à l'heure. Je crois que nous aurions intérêt à suivre l'exemple de l'Union européenne qui préconise une forme d'aide qui comprend tout, sauf les armes, y compris l'élimination de tous les droits tarifaires sur les importations en provenance des pays les moins développés.

La santé est un autre exemple. Quand vient le temps d'évaluer les besoins du secteur canadien des soins de santé, nous devons prendre en considération les besoins mondiaux. Le Fonds mondial pour la santé, annoncé par les Nations Unies pour lutter contre le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme, prévoit une contribution canadienne de 291 millions de dollars américains par année. Or nous n'avons engagé que quelque 50 millions de dollars par année jusqu'à présent. Il est facile de comprendre l'importance de la santé mondiale pour les Canadiens. En effet, les pandémies ne connaissent pas de frontières, que nous ayons un périmètre de sécurité ou non.

L'Institut Nord-Sud presse tous les membres de ce distingué comité à réfléchir aux dimensions mondiales des problèmes auxquels font face le Canada et les Canadiens aujourd'hui. Nous devons avoir à coeur les intérêts de nos enfants et de nos petits-enfants.

Je vous remercie.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Culpeper.

Nous allons commencer maintenant une période de questions. Nous allons faire un tour de 10 minutes, et nous commençons par M. Epp.

M. Ken Epp (Elk Island, Alliance canadienne): Merci beaucoup, monsieur le président.

Merci à tous les témoins pour leurs exposés.

Je vais suivre l'ordre de comparution des témoins, et je vais poser ma première question aux représentants de l'Organisation nationale anti-pauvreté. Comment définissez-vous la pauvreté? À votre avis, la définition actuelle utilisée par Statistique Canada est-elle satisfaisante?

Mme Bonnie Morton: Nous nous contentons de la définition de la pauvreté établie par Statistique Canada. Il n'y a pas de définition juridique. Sur ce point, si quelqu'un vit dans la pauvreté, c'est que... Il y a bien des gens au Canada qui n'ont pas de logement. Ils dépensent davantage dans les refuges, alors qu'ils pourraient très bien se servir de cet argent pour se nourrir. Ça, c'est de la pauvreté. Il y a également des pauvres qui sont des itinérants. À défaut d'avoir un véritable seuil de pauvreté, nous mesurons la pauvreté en fonction du seuil de faible revenu.

M. Ken Epp: Selon la définition de Statistique Canada, si je ne m'abuse, une famille est pauvre si le revenu familial est inférieur à la moitié du revenu moyen. Est-ce bien cela?

• 1555

Mme Bonnie Morton: Nous n'avons pas les chiffres exacts sous les yeux. Mais ce n'est pas tout à fait la moitié.

M. Ken Epp: Très bien. Si je soulève la question, c'est que je suis un mathématicien amateur, et si on prend une définition comme celle-ci, peu importe ce que l'on fait pour enrichir les gens, il y aura toujours la moitié ou 40 p. 100 ou qu'importe le pourcentage, disons un certain nombre de personnes qui se retrouveront aux derniers percentiles. On ne réussira jamais à éradiquer la pauvreté, même si tous les gens avaient un salaire supérieur à 100 000 $ par année. À mon avis, il faudra revoir sérieusement cette définition.

Mme Bonnie Morton: À 100 000 $ par année, les gens pourraient trouver de quoi se loger et se nourrir.

M. Ken Epp: Oui, mais d'après la définition actuelle, ils vivraient toujours dans la pauvreté si, par exemple, le revenu médian était de 200 000 $. C'est pourquoi je pense qu'il faut être prudent ici.

L'autre chose, c'est que vous voulez sans doute combattre la pauvreté dans le monde et pas seulement au Canada, comme les témoins de l'Institut Nord-Sud l'ont dit. Je me demande: comment d'après vous la pauvreté au Canada se compare-t-elle à celle qui existe ailleurs dans le monde?

Mme Bonnie Morton: Il y a différentes sortes de pauvreté dans le monde. Il y a la grande misère—celle que l'on trouve dans les pays déchirés par la guerre. Mais la comparaison n'est pas vraiment juste. Oui, nous sommes en faveur de l'élimination de la pauvreté dans le monde, mais dans chaque pays la situation est différente. Nous soutenons les droits de l'homme et l'élimination de la pauvreté dans le monde, mais aussi, comme Canadiens, pas seulement comme membres de l'Organisation nationale anti-pauvreté, nous réclamons l'élimination de la pauvreté dans d'autres pays. Nous sommes témoins de l'aggravation de la pauvreté dans notre pays, de sorte qu'une comparaison comme celle-là n'est sans doute pas juste, mais voyons ce qui se passe au Canada, où la pauvreté s'accentue.

M. Ken Epp: Lorsque mon fils était dans le sud du Soudan, il y a huit ou neuf ans, il nous a envoyé une lettre dans laquelle il nous disait que dans la petite ville où il travaillait, environ 150 enfants par jour mouraient de faim. Il nous a dit: «Notre présence ici a ramené le chiffre à 50 par jour, de sorte que nous faisons de grands progrès». Puis, entre parenthèses, il a dit «Mais par rapport à Sherwood Park—là où nous habitons—ce n'est pas suffisant».

Je pense qu'il faut parler un peu de ceux qui parlent d'aide étrangère et d'aider les gens qui meurent de faim ailleurs dans le monde. Pour moi, c'est une situation lamentable et, honnêtement, je ne connais personne au Canada vraiment forcé de mourir de faim parce que quelqu'un qui a vraiment faim peut obtenir de la nourriture dans certains endroits dans chaque localité, n'est-ce pas?

Mme Bonnie Morton: Oui, il y a des endroits au Canada où il y a des gens affamés. Beaucoup de gens doivent avoir un logis pour pouvoir obtenir de la nourriture. Il y a bien des banques d'alimentation, mais c'est insuffisant dans un pays aussi riche que le Canada où l'on doit forcer les gens à vivre de la charité. La charité a ses limites et ne vient pas en aide à tout le monde. Tout le monde au Canada imagine que parce que nous avons des banques d'alimentation... Elles n'existent que depuis 1984 environ, et leur nombre augmente, mais ces banques ne font que subventionner les gouvernements, qui devraient faire ce qu'il faut.

On parle de créer des emplois, de relever le salaire minimum, et quand il n'y a pas d'emplois, nous demandons que soient augmentées les prestations sociales. Il y a des endroits au pays où les gens peuvent aller à une banque d'alimentation et ne peuvent recevoir une commande que tous les trois mois. Est-ce que ça empêche les gens d'avoir faim? Non. On imagine que la situation est meilleure au Canada, et oui, nous disons qu'il faut améliorer la situation à l'étranger, mais on ne peut pas fermer les yeux sur la pauvreté ici et ses effets sur la vie des gens.

M. Ken Epp: Je ne veux en rien minimiser le sort des sans-emploi ou des pauvres. Nous vivons dans une société où nous avons de la compassion pour eux, et je ne voudrais surtout pas dire quoi que ce soit pour la réduire. Cela m'ennuie, par contre, quand on parle de mourir de faim au Canada. Je ne pense pas qu'il y a des gens à qui cela arrive, ou alors très peu et je suis très sérieux quand je dis cela. Comme je l'ai dit, je ne crois pas que quiconque au pays soit incapable de trouver de la nourriture avant de mourir de faim, à l'exception de certains cas de sévices par des parents—ce qui fait les manchettes—lorsque des parents enferment leurs enfants pendant 14 ans et ne les nourrissent pas, par exemple. Cela peut arriver, mais c'est autre chose. Je pense qu'il est possible de répondre aux besoins essentiels.

• 1600

Monsieur le président, j'ai oublié de regarder ma montre quand j'ai commencé; vous allez m'arrêter, n'est-ce pas?

J'ai une dernière question à vous poser, cette fois à propos du logement. Il me semble que dans ce dossier le gouvernement actuel consacre une somme disproportionnée aux abris temporaires plutôt qu'aux logements permanents. J'aimerais savoir si vous êtes de cet avis.

Mme Bonnie Morton: Oui.

La solution au problème des sans-logis n'est pas toujours les abris. Si l'on veut stabiliser les gens et les communautés, la solution doit être le logement permanent, en affectant des fonds au logement social. Les fonds qui ont été versés aux localités n'ont pas nécessairement été affectés directement au logement. Une partie des fonds a été consacrée à des agents d'orientation et d'autres choses de ce genre, ce qui ne profite pas directement aux sans-logis. Soyons honnêtes, même si on dépense des sommes énormes pour étudier le phénomène des sans-logis, il y aura quand même des gens qui vont dormir dans la rue.

Tout à l'heure, vous avez parlé d'un modèle de charité et dit que les gens ne souffrent pas de la faim. Il faut que vous sachiez qu'il y a des gens qui se voient refuser l'accès aux banques d'alimentation ou des églises. Si quelqu'un est tout simplement dans l'impossibilité d'aller ramasser une commande dans une banque d'alimentation, on lui en interdit l'accès pendant un certain nombre de semaines. Il y a des gens à qui on refuse de la nourriture au Canada. La faim est un vrai problème.

Mon collègue voudrait aussi dire quelque chose.

M. Ken Epp: Allez-y.

Mon temps est-il écoulé? Oui? D'accord, s'il reste du temps, j'aimerais intervenir au prochain tour.

Le président: Oui.

M. Ken Epp: Merci.

[Français]

Le président: Monsieur Crête, vous avez la parole.

M. Paul Crête (Kamouraska—Rivière-du-Loup—Témiscouata—Les Basques, BQ): Merci, monsieur le président. Je voudrais d'abord vous transmettre les excuses de mon collègue M. Loubier qui a dû s'absenter parce qu'on lui a demandé de donner une entrevue.

J'ai lu rapidement les mémoires de l'Organisation nationale anti-pauvreté et de l'Institut Nord-Sud et j'aimerais vous poser une question qui, même si vous oeuvrez dans des secteurs un peu différents, celui de la pauvreté à l'intérieur du Canada et celui de la pauvreté mondiale, s'adresse aux deux groupes.

Lorsque des événements terribles sont provoqués par le terrorisme au niveau international ou qu'on assiste à des manifestations de délinquance à l'intérieur d'un pays, même si ces gestes sont complètement inacceptables, ne constituent-ils pas un indice qu'il y a un déséquilibre important quelque part dans notre société et que des groupes ne trouvent plus d'autre façon de s'exprimer? Je suis particulièrement sensible au mémoire de M. Culpeper, dans lequel il nous met en garde contre la création d'une forteresse nord-américaine qui serait isolée du reste du monde. J'aimerais obtenir une réponse à cette question autant des gens qui font la lutte à la pauvreté à l'intérieur du pays que des gens qui lui font la lutte au niveau international.

[Traduction]

M. Roy Culpeper: Si j'ai bien compris votre question, vous essayez d'établir un lien entre pauvreté et terrorisme. Vous me demandez s'il y a un lien ou pas.

[Français]

Est-ce bien le sens de votre question?

M. Paul Crête: Oui, je pense que cela constitue un indice que le système fonctionne mal quelque part.

M. Roy Culpeper: Oui, à mon avis, il y a un lien, mais un lien un peu subtil, je crois. Les terroristes n'habitent pas nécessairement dans les pays plus pauvres. On sait que M. ben Laden est très riche, par exemple. Le lien entre la pauvreté et le terrorisme est donc complexe.

M. Paul Crête: Il doit quand même y avoir un terreau de base dans lequel ce type de comportement peut pousser.

M. Roy Culpeper: Oui.

M. Paul Crête: Si des gens n'étaient pas épouvantablement frustrés par la société dans laquelle ils vivent, peut-être n'adopteraient-ils pas nécessairement les positions des gens qui ont des visions terroristes.

• 1605

M. Roy Culpeper: Absolument. Je crois que si le monde et le Canada exigeaient que nous luttions à fond contre la pauvreté, cela aiderait beaucoup, parce que sans pauvreté, les terroristes auraient de la difficulté à justifier leurs actes. Ce n'est pas si simple. Le moins que nous puissions faire serait d'aider les peuples du Moyen-Orient, de l'Afghanistan et du Pakistan. Il y a possibilité d'instabilité majeure et peut-être même d'une révolution au Pakistan. Ce serait affreux pour la stabilité au Moyen-Orient et même ailleurs.

M. Paul Crête: Madame Morton, ma question s'adressait aussi à vous. Croyez-vous qu'il existe un tel type de lien à l'intérieur du pays, entre de tels résultats et la mauvaise répartition de la richesse qu'on constate dans la société?

[Traduction]

Mme Bonnie Morton: Oui, et c'était la même chose pour le Canada dans les années 40. Pendant la Seconde Guerre mondiale, beaucoup de pays se sont regroupés pour voir quel genre de système ils pourraient créer lorsque la Société des Nations a cessé d'être efficace parce qu'elle était censée éviter la guerre et n'y a pas réussi.

Lorsqu'ils envisageaient la création de l'ONU, ils se sont aperçus que pour instaurer la paix, il ne s'agissait pas seulement d'être à l'abri de la guerre, que pour avoir la paix, les pays devaient être à l'abri de l'exploitation et de la pauvreté. C'était cela l'idée, et le Canada a joué un rôle de chef de file. Cela a toujours été la conviction du Canada.

C'est la nôtre aussi. Nous voyons ce qui se passe aujourd'hui. La pauvreté y est-elle pour quelque chose? Voyez la misère dans laquelle ce pays a été pendant des années. Voyez l'exploitation de ces pays pendant des années, des siècles. Quand les gens sont sans abri et ont faim, le problème s'amplifie, c'est le lot quotidien de ces gens-là, et à quoi d'autre peut-on raisonnablement s'attendre? Que les gens restent là à continuer de souffrir?

Je ne soutiens pas le terrorisme, mais est-ce que ce genre de chose conduit à la guerre et au terrorisme? Et comment, je vous en passe un papier.

M. Bruce Tate (directeur administratif, Organisation nationale anti-pauvreté): Si vous me le permettez, je dirais que la pauvreté, la faim, ne pas avoir de chez soi et la dégradation de la santé conduisent à la désintégration de la famille et de la collectivité, ce qui mène à l'insécurité et à l'instabilité. Même si on ne peut pas tracer de ligne directe du point A au point B, il est certain qu'il y a un lien.

[Français]

M. Paul Crête: J'aimerais ajouter, pour la gouverne de mon collègue, que dans les années 1970, on avait développé un modèle dans lequel existait une classe moyenne assez compacte. Il y avait malgré tout des gens plus pauvres. Les choix qui ont été faits dans les années 1990 ont amené ce bassin moyen à se désintégrer, pratiquement. Ceux qui faisaient partie du bas de la classe moyenne sont tombés au fond du baril et ceux qui faisaient partie du haut sont remontés.

Il ne faut pas croire que l'on va réussir à bâtir une société où les besoins de tous seront comblés à 100 p. 100. Nous avons un rôle à jouer et je veux savoir—je pense que c'est votre opinion—si vous croyez que c'est le rôle du gouvernement que de s'assurer que cette classe moyenne puisse se reconstituer. Il me semble que c'est ce que sous-entend votre recommandation 4, qui demande la hausse de la valeur du crédit de la TPS, l'indexation du crédit de TPS à l'inflation, la hausse du seuil où les Canadiens commencent à payer des impôts et l'indexation du système d'imposition à l'inflation. Ces mesures ne constituent-elles pas des façons concrètes de maintenir cette classe moyenne et d'éviter qu'il y ait des gens qui passent à travers le filet social?

• 1610

[Traduction]

Mme Bonnie Morton: Vous parlez d'indexation?

[Français]

M. Paul Crête: À la recommandation 4, on parle de choses comme la hausse de la valeur du crédit de la TPS, l'indexation du crédit de TPS à l'inflation et l'indexation du système d'imposition à l'inflation. Il m'apparaît que toutes ces mesures visent à essayer de protéger la classe moyenne ou à ramener les gens qui sont tombés dans le fond du panier, à leur donner une chance de revenir à un niveau acceptable.

[Traduction]

Mme Bonnie Morton: Tout à fait.

Pour le genre de choses que nous allons créer, il faut s'assurer que c'est indexé, de sorte que lorsque le coût de la vie monte, il en va de même pour les prestations ou les mesures fiscales.

[Français]

M. Paul Crête: Merci.

[Traduction]

Le président: Je vous remercie, monsieur Crête.

Monsieur Murphy, à vous la parole.

M. Shawn Murphy (Hillsborough, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.

J'ai une question à poser à Mme Morton concernant son rapport. En fait, j'ai plus d'une question, monsieur le président.

La première question concerne le problème éternel avec lequel nous devons composer au sein du gouvernement fédéral, c'est-à-dire les relations fédérales-provinciales et la façon dont les deniers publics sont gérés. Pour vous donner un exemple, il y a quelques années, le gouvernement a augmenté de façon considérable le crédit d'impôt pour enfants, et le budget de l'année dernière prévoyait une augmentation supplémentaire.

Dans ma province d'origine, l'Île-du-Prince-Édouard, le gouvernement provincial a repris tous ces crédits aux personnes qui en ont le plus besoin, c'est-à-dire les bénéficiaires de l'aide sociale. Par conséquent, le gouvernement fédéral verse des millions de dollars en prestations: pourtant ceux qui sont censés en bénéficier ne perçoivent pas un sou. D'après vous, y a-t-il quoi que ce soit que nous puissions faire à ce chapitre?

Ma deuxième question, et je solliciterai votre avis là-dessus aussi, porte sur toute cette question de la dépendance et de la véritable éradication de la pauvreté, l'idée étant de donner aux gens un coup de main et non pas la charité. Pourriez-vous éclairer notre lanterne? Votre organisation peut-elle proposer des initiatives au gouvernement?

Mme Bonnie Morton: Vous parlez de la récupération des crédits d'impôt pour enfants; je croyais que c'était précisément ce que faisait ma propre province jusqu'à ce que j'aie découvert que les choses n'étaient pas aussi simples que cela, c'est-à-dire que le gouvernement fédéral accorde une contribution supplémentaire pour aider les enfants pauvres et que le gouvernement provincial récupère ce crédit. En réalité, et je donnerai l'exemple de la Saskatchewan, lorsque le crédit d'impôt pour enfants a été instauré, la Saskatchewan a conclu un accord avec le gouvernement fédéral en vertu duquel elle allait fournir 160 $ par enfant. Aujourd'hui, avec l'augmentation consentie par le gouvernement fédéral, la Saskatchewan a réduit son engagement envers les enfants pauvres de la Saskatchewan, et elle ne verse plus que 44 $ par enfant.

Ce n'est donc pas vraiment une récupération. C'est un retrait total du soutien provincial. Quand le gouvernement fédéral verse des fonds aux provinces au titre de programmes destinés aux enfants, ne serait-ce qu'un cent, il a alors tous les droits d'en exiger des comptes pour s'assurer que les provinces font ce qu'elles sont censées faire pour éliminer la pauvreté infantile.

Il est évident que cela est néfaste pour les enfants pauvres, notamment ceux dont les parents bénéficient de l'aide sociale. Ces enfants ne reçoivent pas de prestations, parce que leurs pères ou leurs mères ne travaillent pas et ne sont donc pas admissibles au supplément du revenu gagné qui leur donne un coup de main.

Alors la réponse à votre question est oui, il faut agir sérieusement. J'exhorte le gouvernement et les gens autour de la table à faire en sorte que les gouvernements ne puissent plus se retirer des engagements pris envers les enfants pauvres, et je prie les gouvernements provinciaux de rétablir le montant initial et de l'augmenter éventuellement de 10 p. 100. Voilà ce que j'aimerais.

M. Bruce Tate: Si vous le permettez, j'ajouterai ceci. Si l'on situe les choses dans un contexte plus large, la véritable tragédie, c'est que le gouvernement fédéral a décidé, depuis 1976, de ne plus établir de normes nationales, de se retirer de ses responsabilités dans ces domaines et de mettre fin au Régime d'assistance publique du Canada. C'est cette décision de la part du gouvernement fédéral de se dérober à ses responsabilités qui a poussé, au fil des années, les provinces à prendre de plus en plus des mesures comme celles que vous avez évoquées, mesures qui nuisent aux Canadiens au jour le jour.

• 1615

Dans le cadre de ces consultations prébudgétaires, nous espérons sincèrement que ce comité recommandera au ministre des Finances et au gouvernement d'avoir à coeur de veiller à ce qu'il n'y ait plus de sans-abri à Charlottetown, au centre de l'Alberta et dans l'ensemble du pays. En dernière analyse, c'est au gouvernement fédéral qu'il incombe de prendre l'initiative.

M. Shawn Murphy: Ma question comportait un deuxième volet. Peut-être ne veut-elle pas...

Mme Bonnie Morton: Effectivement, votre question comportait un deuxième volet se rapportant à la dépendance. Je voudrais préciser, sans ambages, que le mot dépendance est très péjoratif à l'égard des personnes pauvres, parce qu'il sous-entend que ces personnes choisissent de vivre de l'aide sociale. Croyez-moi, et je parle en connaissance de cause, personne ne choisit d'être bénéficiaire de l'aide sociale.

Mais pour ce qui est de donner un coup de main aux gens plutôt que de leur donner la charité, vous m'avez demandé ce que nous pouvons faire, n'est-ce pas?

M. Shawn Murphy: Avez-vous des suggestions ou des commentaires à faire à ce sujet?

Mme Bonnie Morton: Absolument. L'une des choses que nous devrions examiner—et vous ne le trouverez pas forcément dans notre mémoire, mais c'est quelque chose que j'étudie même chez moi—c'est que nous devons prendre en considération... Le meilleur programme social est celui qui aide les prestataires d'aide sociale à réintégrer le marché de l'emploi. Il s'agit de voir comment on peut créer de l'emploi au Canada.

Après cela, il s'agit de déterminer comment on peut sortir les gens de la pauvreté, même ceux qui travaillent. J'avais un emploi, et pourtant, j'avais encore besoin d'une aide partielle, puisque mon revenu n'était pas suffisant. On pourrait hausser le salaire minimum. On pourrait également envisager le retour aux études. On pourrait se pencher sur les problèmes de santé.

Je vais vous dire ce qui m'a aidée dans mon cas personnel. J'ai élevé mon enfant pour la majeure partie de sa vie en tant que bénéficiaire de l'aide sociale dans différentes provinces du pays, et ce, jusqu'au jour où j'ai enfin trouvé une travailleuse sociale qui a pris le temps de me dire: «Bonnie, vous pouvez faire mieux que cela. Avez-vous déjà songé à retourner à l'école?» L'école n'est peut-être pas la solution pour tout le monde. J'ai saisi la chance qui m'était offerte et je m'en suis sortie.

Je suis retournée à l'école, mais étant donné que je n'avais pas réglé certains problèmes personnels, notamment le fait que j'ai été une femme battue et que j'ai intériorisé ce problème pensant que tout était ma faute, que j'ai donné naissance à un enfant souffrant de dystrophie musculaire, ce que j'ai intériorisé de nouveau—j'ai enfoui tous ces problèmes au fond de moi. Quand j'étais bénéficiaire de l'aide sociale, ma vie ne m'appartenait plus. Quelqu'un devait me dire quoi faire, quoi penser. Quand il a fallu que je prenne mes propres décisions, je n'ai pas su comment le faire. Je me suis alors tournée vers la drogue. Je suis devenue alcoolique également. Ces problèmes n'étaient pas la cause de ma pauvreté; ils en étaient les symptômes. Quand je suis retournée à l'école, j'ai fait une dépression nerveuse. On m'a enfin aidée à m'en sortir.

Je ne pense pas que les gens doivent tous en arriver à ce point. Les gens ont besoin d'un coup de main, et non de la charité. Mais il y a des façons décentes de le faire.

Premièrement, tout organisme de service social au Canada, sous le patronage des ministres, doit avoir un rapport adéquat entre les clients et les travailleurs sociaux. En Saskatchewan, le travailleur social qui s'occupe de personnes ayant des handicaps a une charge de travail de 750 cas. Comment peut-on s'attendre à ce que ce travailleur social rencontre chacun de ses clients une fois par année, ou encore qu'il s'occupe de leurs besoins? En moyenne, il s'occupe de 200 à 350 cas. Comment peut-on alors s'attendre d'un travailleur social...

Il faut comprendre que lorsque le Régime d'assistance publique du Canada a été instauré—et nous continuons de fonctionner comme une sorte de service social national—la charge de travail ne devait pas être supérieure à 18 cas, de sorte que le travailleur social puisse rencontrer son client, travailler avec lui et l'aider à s'en sortir. Or, on a perdu de vue ce concept dès le début. Nous devons rétablir un rapport client-travailleur social qui soit raisonnable. C'est ainsi que l'on crée de l'emploi.

Le président: Merci, monsieur Murphy.

Monsieur Cullen, à vous la parole.

M. Roy Cullen (Etobicoke-Nord, Lib.): Merci, monsieur le président, et merci aux témoins.

Pour varier un peu, je vais passer à M. Carty et je reviendrai peut-être à Mme Morton et à M. Culpeper dans un moment.

Monsieur Carty, dans votre rapport, vous parlez de l'importance des grappes et vous citez Michael Porter également à cet effet. Dans sa rétrospective de 10 ans, il a dit, si j'ai bonne mémoire, qu'au niveau macroéconomique le Canada avait fait des progrès considérables—qu'il y avait encore du progrès à faire—mais qu'au niveau microéconomique il y avait beaucoup de défis à relever, davantage de travail à faire. J'imagine qu'il voulait parler du niveau de l'administration locale, du niveau de l'industrie, de l'entreprise.

• 1620

Que pouvons-nous faire en plus de votre bon travail, et comment pouvons-nous appuyer cela? Et que peuvent faire tous les gouvernements et l'industrie pour encourager les regroupements? Qu'allons-nous manquer si cela ne croît pas aussi rapidement que cela devrait?

M. Arthur Carty: La réponse courte à cette question c'est, naturellement, qu'il y a de nombreux éléments dans un système d'innovation et dans une grappe. Le gouvernement a un rôle très important à jouer pour créer l'environnement, les mesures incitatives, les normes... qui encourageront la croissance et le succès des entreprises novatrices.

Au contraire, si cet encouragement et ces mesures incitatives ne sont pas en place—en d'autres termes, les politiques, les normes et l'environnement—alors on risque tout d'abord que les entreprises ne restent pas dans la grappe dans laquelle elles se trouvent et aillent peut-être ailleurs, notamment à l'étranger. Je tente donc de vous faire comprendre que le gouvernement a ici un rôle important à jouer tout comme les universités, et les organisations de R-D. L'un des facteurs clés consiste à être en mesure de réunir tous ces éléments de façon à ce qu'ils interagissent avec succès et que vous compreniez pourquoi et comment une grappe croît, et que vous fournissiez les ressources nécessaires pour en assurer le maintien.

Le rôle du Conseil national de recherches est exactement cela, rassembler les collectivités, mettre nos ressources en commun, naturellement, la R-D, les compétences, les liens et les réseaux, le PARI, l'Institut canadien de l'information scientifique et technique, fournir cette ressource dans laquelle les collectivités peuvent avoir confiance. En travaillant avec elles, nous pouvons aider à mettre en place cette grappe de technologie.

Comme vous le savez sans doute, nous avons commencé à investir dans quatre grappes dans les provinces Atlantiques dans le cadre du Fonds d'innovation de l'Atlantique l'an dernier. Cette initiative est bien en cours à l'heure actuelle. Elle a été extrêmement bien reçue par les collectivités, à St. John's, à Halifax, à Sydney, au Cap-Breton et au Nouveau-Brunswick où nous sommes actifs. Je suis convaincu qu'avec le temps nous réussirons à mettre en place des grappes de technologie dans ces quatre collectivités de l'Atlantique.

Nous aimerions étendre le concept à d'autres régions du pays. Nous avons déjà remporté des succès à Saskatoon, ici à Ottawa et à Montréal. Cela commence à fonctionner dans les provinces de l'Atlantique. Nous croyons que, comme le disait Michael Porter, il y a beaucoup d'autres endroits au Canada où les grappes pourraient croître. Nous croyons que nous avons la capacité de les aider.

M. Roy Cullen: Quelles sont les politiques fédérales qui pourraient encourager une telle chose?

M. Arthur Carty: Par exemple, au centre de toutes ces grappes se trouvent les entreprises novatrices, les entreprises qui sont créées et qui sont encouragées, qui peuvent ensuite croître. Le gouvernement fédéral peut certainement aider par exemple en améliorant les crédits d'impôt pour la R-D. Il peut fournir l'infrastructure qui aide le regroupement. Il peut naturellement aider le Conseil national de recherches dans ses efforts auprès des collectivités.

M. Roy Cullen: Je pense que nous faisons déjà bon nombre de ces choses, mais je suis sûr que nous pourrions en faire davantage.

Monsieur Culpeper, j'avais une petite question, et une autre question supplémentaire. Incluez-vous l'aide aux pays pauvres très endettés dans l'APD? Est-ce quelque chose que vous incluez dans le chiffre que vous donnez relativement à l'APD?

M. Roy Culpeper: Oui, en fait cela est inclus. Tout ce qui est déboursé dans le cadre de l'allégement de dette est inclus dans ce chiffre.

M. Roy Cullen: J'avais une question, si vous me le permettez. C'est peut-être un peu à côté du sujet, mais puisque vous êtes ici je me demandais si vous pourriez nous dire ce que vous en pensez. Cela concerne toute la question Nord-Sud, les normes environnementales et les normes du travail.

Nous avons l'industrie forestière, par exemple, et bon nombre d'autres industries qui veulent mettre en place des codes internationaux d'intendance. Les codes que nous pourrions mettre en place ici, dans les pays du Nord, ou dans les pays industrialisés ou plus développés seraient sans doutes plus stricts que ceux qui pourraient être mis en place dans des pays comme le Brésil ou l'Indonésie en ce qui a trait aux normes du travail et à la liste habituelle de problèmes.

Comment pouvons-nous trouver un juste équilibre entre ces intérêts opposés? Que devrions-nous faire?

M. Roy Culpeper: C'est une très bonne question. C'est une question sur laquelle l'Institut s'est penché récemment.

• 1625

Nous faisons de la recherche sur les droits du travail. Comme vous le savez, il y a quelques années, le BIT, sous la direction du Canada, a lancé une campagne pour s'assurer que tous les pays membres du BIT observaient les normes élémentaires du travail. C'est en fait plus facile à dire qu'à faire.

Prenons par exemple le problème de la main-d'oeuvre enfantine. D'un côté, il est assez navrant pour nous de voir des enfants au travail—et Dieu sait qu'ils travaillent dans des conditions assez alarmantes. Cependant, la réponse à ce genre de problème n'est pas nécessairement toujours de sortir les enfants des usines. Il faudrait peut-être tout d'abord leur assurer un salaire décent et des conditions de travail tolérables. Cela serait peut-être beaucoup mieux que de les priver, eux et leurs familles, d'un revenu sur lequel ils doivent peut-être compter.

Il faut une certaine souplesse dans la façon dont on aborde ces problèmes. Il n'existe pas de solution unique. Je pense qu'en fin de compte, partout les gens veulent avoir des conditions acceptables et gagner un salaire décent, et ils travailleront avec nous et ensemble pour faire en sorte que cela soit le cas. Je veux parler ici des normes environnementales également. Pour que cela se produise, il faut toutes sortes d'autres choses également. Il faut des possibilités de revenu. Pour les normes environnementales et les normes du travail, il faut une infrastructure d'application; il faut que des agents responsables se rendent en fait sur les lieux de travail pour faire une inspection et appliquer les dispositions des lois.

Il ne suffit tout simplement pas de dire: «Vous devez faire ceci». Il faut faire toute une série d'autres choses pour s'assurer que cela se produise et que cela corresponde aux capacités et aux ressources des gens avec qui nous tentons de travailler.

M. Roy Cullen: Ai-je le temps de poser une autre petite question?

Le président: Une autre question.

M. Roy Cullen: Merci.

Madame Morton, en ce qui concerne le logement abordable, dans ma province, plus particulièrement Toronto, on manque vraiment de logements abordables. À part les investissements directs du gouvernement fédéral dans le logement social que vous mentionneriez sans doute j'en suis certain, ou peut-être... En fait, le gouvernement tente de le faire à l'heure actuelle. Nous nous sommes engagés à partager le coût pour offrir des logements abordables, mais le projet est bloqué en Ontario, pour des raisons évidentes, je suppose. Y a-t-il d'autres instruments que le gouvernement fédéral pourrait utiliser afin d'encourager la formation d'un parc résidentiel abordable?

Mme Bonnie Morton: Voulez-vous dire examiner ce qui existe, ou aider à le développer?

M. Roy Cullen: Pas seulement faire l'inventaire. Quels sont les instruments qui encourageraient la construction d'unités de logement abordables?

M. Paul Crête: De l'argent.

M. Roy Cullen: De l'argent, oui.

Mme Bonnie Morton: Oui.

M. Roy Cullen: L'argent est la source de tous les problèmes, cependant.

Mme Bonnie Morton: Oui, regardez les problèmes que cela cause parce qu'on en manque.

Le problème c'est qu'au Canada, il n'y a pas que les provinces et il n'y a pas que le fédéral. Nous sommes une communauté au Canada. Par le passé, nous avions à la fois l'engagement des gouvernements provinciaux et du gouvernement fédéral pour les programmes sociaux au Canada, et le logement social en faisait partie. Puis, au début des années 90, il y a eu cette peur du déficit, mais les programmes sociaux n'étaient pas responsables de la majeure partie du déficit. Seulement 6 p. 100 du déficit était attribuable à tous les programmes sociaux, y compris le logement social.

Mais où se sont produites les coupures? À ce niveau-là. Nous avons réduit les programmes sociaux et le logement social. À mon avis, il est temps de réexaminer la situation, car en s'attaquant à ces domaines, nous avons causé beaucoup plus de tort que de bien, et cela commence à paraître au Canada. Quand nous ne sommes pas en mesure de loger les Canadiens... je ne suis pas en faveur de l'idée de créer des villages de toile ou quelque chose de ce genre, mais c'est une responsabilité sociale qui incombe aux gouvernements fédéral et provinciaux.

• 1630

Les gouvernements fédéral et provinciaux doivent contribuer une aide financière. Une autre solution serait de faire participer les entreprises privées qui, à leur tour, embaucheraient des travailleurs. Donnons-leur des crédits d'impôts pour la construction de logements sociaux et la création d'emplois, mais, de grâce, ne leur donnons pas ces crédits d'impôt avant qu'ils nous prouvent qu'ils créeront effectivement des emplois.

Voilà des mesures que nous pourrions prendre, mais le gouvernement fédéral doit s'engager à refinancer tous les programmes sociaux à leurs anciens niveaux. Dans notre mémoire, nous demandons que la formule 50-50 soit rétablie—y compris pour le logement social—ou que la solution du 1 p. 100 soit appliquée, c'est-à-dire d'attribuer 1 p. 100 au logement. Cela améliorerait beaucoup la situation.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Cullen.

Trois députés pourront encore intervenir. Ils seront les derniers à poser des questions et chacun aura cinq minutes. Il s'agit de MM. Nystrom, Brison et Epp.

M. Lorne Nystrom (Regina—Qu'Appelle, NPD): J'aimerais souhaiter la bienvenue à tout le monde ici cet après-midi. J'ai quelques questions pour quelques-uns des témoins.

D'abord, madame Morton, il semblerait que l'écart entre les riches et les pauvres se creuse de nouveau. Il fut un temps, au cours des années 60, 70 et 80, où l'écart rapetissait. Mais au cours de la dernière décennie, la tendance semble s'être renversée. Quand le gouvernement a réduit les impôts fédéraux de 100 milliards de dollars, il a expliqué l'avoir fait dans le but de stimuler l'économie et d'aider les gens à faible revenu. Qu'en pensez-vous?

Mme Bonnie Morton: À la page 8 de notre mémoire, nous indiquons que la maison de sondage Ekos Research Associates a sondé les Canadiens pour leur demander précisément ce qu'ils voulaient et de quoi devrait avoir l'air le budget. Cinquante-cinq pour cent des répondants ont dit qu'il fallait dépenser davantage au chapitre des programmes sociaux. Seulement 19 p. 100 demandaient des réductions d'impôt. Si plus de la moitié des Canadiens exigent plus de dépenses pour les programmes sociaux, pourquoi faisons-nous le contraire en réduisant les impôts?

Pour ce qui est des réductions d'impôt, nous recommandons d'augmenter la valeur du crédit de TPS. Ainsi, le crédit de TPS serait indexé par rapport à l'inflation. On voudrait aussi que le seuil en dessous duquel les Canadiens ne paient pas la TPS soit augmenté. Cela aiderait les gens à faible et moyen revenu—monsieur a posé une question à ce sujet tout à l'heure. On voudrait également indexer l'impôt sur le revenu sur l'inflation.

M. Lorne Nystrom: Combien en coûterait-il pour loger tous les sans-abri du Canada? Le gouvernement fédéral va dépenser 100 milliards de dollars en réductions d'impôt au cours des cinq prochaines années. Monsieur State ou madame Morton, d'après vos chiffres, combien en coûterait-il pour loger les sans-abri en vertu de programmes de logements sociaux ou d'autres programmes?

M. Bruce Tate: Nous n'avons pas de chiffre précis, mais imaginez-donc combien de logements on pourrait construire pour loger les sans-abri canadiens avec 100 milliards de dollars. Si vous examinez les engagements financiers pris par le gouvernement canadien au cours des 20 dernières années, il ressort que le montant qu'il faudrait investir pour loger adéquatement les Canadiens—ce dont on parle—est extrêmement petit.

Pour conclure ma réponse, je vous demanderais de retourner dans le passé. En 1995, au cours du Sommet mondial des Nations Unies pour le développement social tenu à Copenhague, notre gouvernement s'est engagé à respecter un des trois principes, un des trois thèmes du sommet, soit la marginalisation. À moins de chercher une solution avec l'aide des pauvres, nous n'y arriverons jamais. Le gouvernement canadien a signé les documents produits par le sommet. Nous ne trouverons jamais de solutions aux problèmes du manque de logement et des sans-abri sans la pleine participation de ceux-ci. Sinon, on se retrouvera avec une série de gouvernements qui essaieront, tour à tour et aveuglément, de remédier aux problèmes, parfois avec succès, parfois non.

M. Lorne Nystrom: Ma dernière question est pour M. Culpeper. À votre avis, combien devrait contribuer le Canada en matière d'aide à l'étranger? Comment le Canada se compare-t-il à d'autres pays de la même taille et de la même importance économique? Je pense notamment à l'Australie, dont la puissance économique est semblable à la nôtre, quoique leur population soit moindre.

L'autre partie de ma question est la suivante: il y a quelques années, la Chambre des communes a adopté une motion appuyant l'idée de la taxe Tobin, c'est-à-dire une petite taxe sur les transactions spéculatives du marché monétaire. Croyez-vous que cela serait une bonne façon de financer l'aide et le développement internationaux? Cela créerait un fonds de quelques milliards de dollars. Avec cet argent, il serait même possible de créer une version moderne du plan Marshall de l'Europe pour venir en aide à l'Afghanistan et à d'autres pays pauvres dans le monde.

• 1635

Voilà les deux questions que je voulais vous poser.

M. Roy Culpeper: Merci. Dans notre mémoire, nous nous joignons à d'autres organisations, comme le CCCI, le Conseil canadien pour la coopération internationale, pour demander au gouvernement de dépenser la moitié de son objectif de 0,7 p. 100. Autrement dit, de passer de 0,28 p. 100, où nous sommes actuellement, à 0,35 p. 100 d'ici les trois à cinq prochaines années. Ce serait donc affecter à l'aide un quart de plus que ce que nous lui attribuons actuellement. Cela représente entre 500 et 600 millions de dollars additionnels par année pour chacune des quatre ou cinq prochaines années. Si nous faisons cela, nous serons à mi-chemin de notre objectif, ce qui nous rapprocherait de l'Australie.

Le gouvernement a depuis longtemps promis un objectif de 0,7 p. 100. Mais à notre grand chagrin, l'ACDI, dans ses publications les plus récentes, semble avoir oublié cet objectif. Il n'existe plus. Nous sommes inquiets du fait qu'il ne fasse plus partie des préoccupations du gouvernement. J'ai dit à Mme Minna que cela préoccupe beaucoup de gens, que l'objectif doit redevenir une priorité et un but à atteindre à long terme. J'espère que cela répond à votre première question.

Pour ce qui est de la taxe Tobin, nous l'avons étudiée à l'Institut et nous voulons faire davantage de recherche là-dessus. En fait, les intervenants à travers le monde doivent examiner toute une panoplie de mesures de financement. Une taxe sur les combustibles fossiles, par exemple, constituerait une sorte de taxe internationale. Celle-ci a reçu l'appui du groupe Zedillo, créé par le secrétaire général des Nations Unies, M. Kofi Annan, dont le but était de préparer la prochaine réunion de haut niveau, la conférence sur le financement du développement qui se tiendra en mars prochain à Monterey, au Mexique.

Pour ce qui est plus précisément de la taxe Tobin, en théorie, c'est une bonne idée, mais il serait très difficile de la mettre en oeuvre. Pour réussir, elle devrait recevoir l'appui de pays tels que les États-Unis et la Grande-Bretagne, qui devraient aussi l'appliquer, mais les deux pays s'y opposent. D'autres pays, comme l'Allemagne et la France, ont récemment décidé que l'idée valait la peine d'être étudiée. Certes, il faut l'examiner. Mais il y a deux facteurs qui entrent en ligne de compte.

D'abord, la taxe Tobin a été inventée, pour ainsi dire, par le récipiendaire du prix Nobel James Tobin, dans le but d'éliminer l'instabilité financière des marchés de capitaux. C'en était le but principal. Il y a beaucoup de choses à améliorer à ce chapitre. Mais ce qu'il nous faut faire aujourd'hui, c'est de découvrir où se cachent les capitaux terroristes et tenter d'en éliminer les sources d'approvisionnement. Voilà une chose qu'il faut faire.

Mais les avis sont partagés quant à l'efficacité de la taxe Tobin à stabiliser les marchés financiers et à mettre fin aux mouvements spéculatifs. En fait, un peu de spéculation sur les marchés financiers n'est pas une mauvaise chose en soi. Le genre de mouvements spéculatifs que nous visons impliquent les mouvements transfrontaliers d'argent volé qui déstabilisent les économies, comme cela s'est produit en Asie en 1997-1998.

Il nous faut donc envisager toute une gamme de politiques, y compris la taxe Tobin et d'autres mesures qui font l'objet d'études à l'heure actuelle, qui fonctionneraient par voie de supervision et de réglementation des marchés financiers dans le but de mettre fin aux activités de spéculation, déstabilisantes. Ces mesures pourraient aussi inclure diverses taxes sur les instruments financiers, y compris, mais pas de façon exclusive, la taxe Tobin et la taxe sur les combustibles fossiles, dans le but de lever les fonds dont nous avons besoin.

Soit dit en passant, le groupe Zedillo a fait une évaluation très générale du financement nécessaire à la réalisation des objectifs de développement international, objectifs qui ont fait l'objet d'un consensus international au récent Sommet du millénaire. Le premier ministre Chrétien y était présent et a donné son appui. On estime qu'il faudra doubler l'APD, c'est-à-dire la faire passer de 50 milliards à 100 milliards de dollars—à tout le moins—si l'on veut réduire le niveau de pauvreté dans le monde de moitié d'ici 2015, et réaliser beaucoup d'autres objectifs sociaux, comme inscrire plus d'enfants au monde à l'école primaire d'ici 2010 et réduire les taux de mortalité infantile et maternelle d'ici 2005 ou 2010. Ces objectifs font tous partie des objectifs en matière de développement international énoncés au Sommet du millénaire.

• 1640

Bref, les défis sont énormes. Nous ne faisons que commencer à nous pencher sur la question, et plus tôt nous passerons de la parole aux actes, le mieux ce sera, non seulement pour les gens dans le besoin, mais pour le monde entier. Voilà ce que j'ai essayé de dire lorsque j'ai parlé de stabilité dans le monde.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Culpeper.

Monsieur Brison.

M. Scott Brison (Kings—Hants, PC/CRD): Merci, monsieur le président.

J'aimerais remercier tous les témoins pour leurs présentations.

Ma première question s'adresse à M. Carty et elle porte sur la situation de la commercialisation et du transfert des connaissances technologiques au Canada comparativement à la situation aux États-Unis. J'aimerais que vous nous expliquiez en quoi les deux pays sont différents dans ce domaine.

Nous avons l'impression que nos établissements d'enseignement postsecondaire ou notre réseau universitaire au Canada ne réunissent pas aussi bien que les États-Unis dans le domaine de la commercialisation et que les universités canadiennes ont une approche différente en ce qui concerne la propriété intellectuelle. Cette approche ferait que nous ne profitons pas autant que nous le pourrions des possibilités de croissance qui existent. Qu'en pensez-vous?

M. Arthur Carty: Merci. C'est une bonne question.

Ce que vous venez de dire est probablement vrai, c'est-à-dire que le transfert technologique entre les institutions publiques et le secteur privé a été mieux géré aux États-Unis qu'au Canada. C'est un problème complexe. Il y a l'aspect de la culture de l'entrepreneurship. Les Américains ont moins peur de foncer et ont plus l'esprit d'initiative. Par conséquent, ils étaient mieux armés que nous sur ce plan. Mais les choses commencent à changer chez nous et nous pouvons mettre en place des mécanismes pour encourager notre esprit d'entreprise.

D'abord, j'ai pu constater de mes propres yeux le succès à travers le monde des incubateurs d'entreprises, dont je suis un ardent défenseur, ces instruments ou organisations qui aident les nouvelles entreprises à démarrer, à croître et à réussir. Le Conseil national de recherches a connu des succès au cours des dernières années avec son propre programme d'incubation. Nous sommes tellement convaincus de l'importance des incubateurs dans le processus de transfert des connaissances technologiques que nous les incorporons à chacune des nouvelles initiatives en matière de grappe que nous sommes en train de mettre au point. Nous pourrions peut-être songer à créer un système national d'incubateurs dans le but d'aider les universités et toutes les organisations du secteur public à créer et démarrer des entreprises et à en favoriser l'expansion.

Jusqu'à tout récemment, le Canada était en butte au manque de capital de risque. Jusqu'à ce que la bulle économique éclate aux États-Unis il y a environ un an, la Californie et la côte est des États-Unis nageaient dans l'argent. En l'an 2000, la situation s'est améliorée pour les petites entreprises au Canada, mais la source des investissements s'est plus ou moins tarie cette année, et le manque de capital de risque va continuer de demeurer un problème à l'avenir. Si personne n'est prêt à investir dans les nouvelles entreprises, celles-ci ne survivront assurément pas.

Il y a donc trois raisons: la culture de l'entrepreneurship, le capital de risque et l'incubation.

M. Scott Brison: J'aimerais également que vous nous disiez ce que vous pensez d'une possible quatrième raison. Il est très difficile pour les entreprises canadiennes, les entreprises du savoir, d'attirer des capitaux, étant donné leur proximité au plus grand marché de capitaux au monde, qui se situe au sud de la frontière canadienne. Cela fait qu'il nous est très difficile d'attirer des capitaux.

Avez-vous examiné des stratégies fiscales, surtout en ce qui concerne l'impôt sur le capital, afin d'encourager ces investissements au Canada? En se servant du modèle irlandais comme exemple—tout en reconnaissant que ce n'était pas complètement fondé sur le système fiscal, puisqu'il y avait aussi des investissements importants dans l'infrastructure scolaire et les dépenses sociales de longue durée—pouvez-vous nous parler de l'efficacité de certaines de ces mesures fiscales?

• 1645

Par exemple, dans les Maritimes, nous avons l'APECA, que vous connaissez sans doute puisque vous êtes au courant du rôle que joue le FIA. L'APECA dispose d'un budget de 380 millions de dollars par année. La valeur des impôts versés par les sociétés dans les Maritimes se chiffre à environ 360 millions. C'est à peu près égal. On pourrait donc éliminer l'impôt fédéral sur les sociétés dans la région et se débarrasser de l'APECA. Il y en a qui croient que cela pourrait améliorer les possibilités de croissance et d'investissement.

M. Arthur Carty: Il ne fait aucun doute que les encouragements fiscaux attirent les sociétés, à la fois celles qui sont déjà là ainsi que les nouvelles. J'ai entendu la présentation faite par John Corrigan sur l'Irlande; il s'agit d'un exemple fort convaincant de ce qu'on peut faire pour en assurer la réalisation. Cela s'est déjà fait dans certaines régions du Canada. Par exemple, au Québec, il y a des incitatifs.

Je crois que le gouvernement fédéral devrait se pencher sur des mesures fiscales qui pourraient encourager l'investissement, en capital de risque notamment, dans des parties du pays où le capital est rare, y compris dans les Maritimes. Je crois donc que ces types d'incitatifs méritent un examen plus approfondi.

Le président: Merci, monsieur Brison.

Monsieur Epp.

M. Ken Epp: Je serai bref. Merci. J'ai deux questions, dont une pour M. Carty.

Vous avez dit que sur les 150 000 nouvelles entreprises qui ouvrent leurs portes chaque année, seulement 50 000, ou le tiers, existent encore après trois ans. C'est un taux d'échec extrêmement élevé. Quelle en est la cause?

M. Arthur Carty: Il peut y en avoir plusieurs. Dans certains cas, la compagnie n'a pas pu attirer des investissements. D'autres vont échouer parce qu'elles n'ont pas bien analysé le marché et découvrent une fois le produit mis au point, que la demande est insuffisante. En d'autres mots, ces compagnies n'ont pas fait une étude de marché. Il peut aussi y avoir une mauvaise gestion, un manque de gestion, un personnel qui n'est pas à la hauteur, des mauvais conseils.

On peut trouver des solutions à tous ces problèmes—pas nécessairement des solutions, mais on peut quand même aider en mettant en place ce que j'appelle un incubateur de réseau, qui pourrait dispenser des conseils et permettre aux compagnies de discuter de problèmes et de pièges à éviter.

M. Ken Epp: S'agit-il de toutes les sociétés au Canada, ou seulement des compagnies de haute technologie?

M. Arthur Carty: Eh bien, voici: le taux d'échec parmi les compagnies de haute technologie est inférieur à celui des compagnies qui ne se servent pas de la technologie. Le taux chez ces compagnies est très élevé.

M. Ken Epp: Comment ce taux se compare-t-il à celui des États-Unis?

M. Arthur Carty: J'imagine que c'est à peu près égal.

M. Ken Epp: Vraiment? C'est surprenant, mais ça répond à ma question.

J'ai aussi une question pour M. Culpeper—vous portez le titre de docteur? Pardonnez-moi, vous ne nous l'avez pas dit, il fallait deviner, et je ne veux pas décerner de titres à tort.

J'ai une question à vous poser au sujet de quelque chose que vous avez soulevé ici, c'est-à-dire que nous devrions continuer à développer et renforcer nos liens commerciaux et économiques dans le monde. Ne l'avons-nous pas déjà fait? Êtes-vous en train de suggérer qu'il nous faudrait des accords commerciaux encore plus forts?

M. Roy Culpeper: Absolument. Les pays en voie de développement sont mécontents du fait que les pays industrialisés n'ont pas respecté les engagements pris lors de la dernière ronde de négociations commerciales, le Cycle d'Uruguay, surtout en ce qui concerne le secteur de l'agriculture, du textile et du vêtement. Il n'y a aucune justification pour cela, outre le fait que les pays industrialisés, y compris le Canada, n'ont pas agi aussi rapidement qu'ils l'auraient espéré. Il y a des Canadiens qui seront touchés, et il faut en prendre soin et les mettre à l'abri des conséquences, mais ce ne sont que des excuses. Les pays en voie de développement ont raison.

• 1650

M. Ken Epp: Très bien. Et enfin, dans votre présentation, vous avez dit qu'il fallait songer à réduire la dette. S'agit-il de réduire la dette nationale, ou de renoncer à la dette des pays du tiers monde?

M. Roy Culpeper: C'est le dernier; c'est une question qui a pris de l'importance ces dernières années, surtout pour les pays d'Afrique, où la dette accumulée depuis 20 ans est devenue si lourde qu'elle empêche les dépenses dans le secteur social et le développement, etc. Les pays du G-7, le FMI et la Banque mondiale ont enfin reconnu ce fait et ont décidé d'agir. Nous avons fait des études dont les résultats ont été publiés, pour montrer que l'allégement de la dette de ces pays est un premier pas positif mais qui ne va pas assez loin pour leur donner les ressources supplémentaires dont ils ont besoin pour leur développement économique et social.

M. Ken Epp: C'est évident, puisque le fait de leur dire qu'ils ne sont plus obligés de payer quelque chose au-dessus de leurs moyens ne change rien du tout.

M. Roy Culpeper: Cela dépend. Pour le Nicaragua, par exemple, qui avait maintenu le service de la dette à un niveau assez élevé, l'allégement de la dette a été beaucoup plus important que pour d'autres pays comme la Bolivie et le Mali. Ce sont des pays parmi ceux que nous avons étudiés dont le taux de remboursement de la dette était assez faible. Donc, la radiation de la dette a tout simplement été une reconnaissance de la réalité. Vous avez raison.

M. Ken Epp: Merci.

Le président: Merci, monsieur Epp.

Au nom du comité, je vous remercie pour votre participation. Nous avons couvert une vaste gamme de questions et il s'agit bien des défis que nous avons à relever chaque année lorsque nous devons établir un juste équilibre entre toutes les questions qui nous sont présentées. Vous nous avez encore une fois donné matière à réflexion, et nous vous en remercions.

La séance est levée.

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