SSLR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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38e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mercredi 18 mai 2005
¼ | 1820 |
Le président (M. John Maloney (Welland, Lib.)) |
M. Doug Lang (directeur, New Opportunities for Women Canada Society) |
¼ | 1825 |
Le président |
Mme Catherine Williams-Jones (fondatrice et directrice exécutive, New Opportunities for Women Canada Society) |
¼ | 1830 |
Le président |
M. Art Hanger (Calgary-Nord-Est, PCC) |
Mme Catherine Williams-Jones |
¼ | 1835 |
M. Art Hanger |
Mme Catherine Williams-Jones |
M. Art Hanger |
Mme Catherine Williams-Jones |
M. Art Hanger |
Mme Catherine Williams-Jones |
M. Doug Lang |
M. Art Hanger |
M. Doug Lang |
¼ | 1840 |
M. Art Hanger |
M. Doug Lang |
Le président |
Mme Paule Brunelle (Trois-Rivières, BQ) |
¼ | 1845 |
Mme Catherine Williams-Jones |
Mme Paule Brunelle |
Mme Catherine Williams-Jones |
¼ | 1850 |
M. Doug Lang |
Mme Paule Brunelle |
Le président |
Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD) |
¼ | 1855 |
Mme Catherine Williams-Jones |
M. Doug Lang |
Mme Libby Davies |
M. Doug Lang |
½ | 1900 |
Le président |
M. Art Hanger |
M. Doug Lang |
M. Art Hanger |
M. Doug Lang |
½ | 1905 |
M. Art Hanger |
Le président |
M. Art Hanger |
M. Doug Lang |
Le président |
Mme Paule Brunelle |
½ | 1910 |
Mme Catherine Williams-Jones |
Le président |
Mme Catherine Williams-Jones |
Le président |
Mme Libby Davies |
Mme Catherine Williams-Jones |
Mme Libby Davies |
Mme Catherine Williams-Jones |
Mme Libby Davies |
M. Doug Lang |
½ | 1915 |
Mme Libby Davies |
Le président |
Mme Libby Davies |
M. Doug Lang |
Mme Libby Davies |
M. Doug Lang |
Mme Libby Davies |
M. Doug Lang |
½ | 1920 |
Le président |
M. Art Hanger |
M. Doug Lang |
½ | 1925 |
Le président |
Mme Paule Brunelle |
M. Doug Lang |
Mme Catherine Williams-Jones |
½ | 1930 |
Mme Libby Davies |
Mme Catherine Williams-Jones |
Mme Libby Davies |
Mme Catherine Williams-Jones |
Mme Libby Davies |
M. Doug Lang |
Mme Libby Davies |
M. Doug Lang |
½ | 1935 |
Le président |
Mme Catherine Williams-Jones |
Le président |
Mme Catherine Williams-Jones |
Le président |
Mme Catherine Williams-Jones |
Le président |
Mme Catherine Williams-Jones |
½ | 1940 |
Le président |
M. Art Hanger |
Mme Catherine Williams-Jones |
M. Art Hanger |
Mme Catherine Williams-Jones |
M. Art Hanger |
M. Doug Lang |
½ | 1945 |
Le président |
Mme Catherine Williams-Jones |
Le président |
Mme Julie Cool (attachée de recherche auprès du comité) |
Mme Catherine Williams-Jones |
Le président |
CANADA
Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile |
|
l |
|
l |
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TÉMOIGNAGES
Le mercredi 18 mai 2005
[Enregistrement électronique]
* * *
¼ (1820)
[Traduction]
Le président (M. John Maloney (Welland, Lib.)): Un peu de silence, s’il vous plaît. Je déclare la séance ouverte.
Il s’agit de la 32e séance du Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile.
Ce soir, nous entendrons les témoignages de M. Doug Lang et de Mme Catherine William-Jones, de l’organisme New Opportunities for Women Canada Society.
Règle générale, l’exposé doit être d’une durée d’environ dix minutes—si j’ai bien compris, vous allez le partager en deux blocs de cinq minutes—et ensuite il y a une première ronde de sept minutes de questions par des membres du comité. Puis ensuite, ces rondes sont de trois minutes jusqu’à ce que le temps prévu pour la séance soit écoulé.
J’inviterais M. Lang à commencer le premier. Merci beaucoup de vous être joints à nous ce soir.
M. Doug Lang (directeur, New Opportunities for Women Canada Society): C’est moi qui vous remercie, monsieur le président.
J’aimerais tout d’abord remercier les honorables membres du comité de nous avoir invités ici ce soir. Le plaisir est le nôtre. Nous vous transmettons également les salutations des gens de Vancouver, là où il fait chaud et un soleil radieux. Vrai, le temps y est parfois pluvieux.
Bref, ce soir nous désirons nous entretenir avec vous pendant quelques minutes au sujet de certains enjeux sur lesquels vous vous penchez sans doute dans le cadre de vos débats au sujet des lois en matière de racolage et des modifications envisagées à cet égard. Nous avons divisé nos commentaires à ce sujet en plusieurs volets. Je commencerai par le volet portant sur le contrôle et la réglementation.
La légalisation du racolage et de la prostitution fera augmenter la prostitution et, partant, le nombre de femmes et d’enfants qui se retrouveront dans l’industrie du commerce du sexe. À titre d’exemple, à Victoria, en Australie, après que l’on y ait légalisé le racolage, le nombre de bordels légaux a doublé, et la prostitution illégale a augmenté de 300 p. 100.
Les travailleurs et travailleuses de rue toxicomanes continueront à travailler dans la rue, notamment en raison de leurs différences culturelles. Je crois—enfin, nous croyons—que ces personnes, des femmes et des enfants pour la plupart, sont incapables de s’imaginer le lendemain à cause de leur dépendance à la drogue, encore moins d’avoir à se présenter au travail à un bordel. Ces travailleurs et travailleuses de rue sont au plus bas maillon de la chaîne alimentaire de la prostitution, et ne joindront jamais les rangs de l’élite des travailleurs et travailleuses du commerce du sexe.
Les jeunes demeureront des sujets convoités dans le commerce du sexe et leurs services continueront à être fortement en demande. En dépit de la légalisation de l’industrie du commerce du sexe, les enfants mineurs ne figureront pas aux registres des travailleurs du commerce du sexe compte tenu des dispositions actuelles du Code criminel et du fait que les Canadiens ne voudront pas que leurs enfants soient ainsi exploités par des hommes adultes. Par conséquent, ces jeunes travailleront secrètement sous le couvert de la réglementation. Ne soyez pas dupes : les enfants mineurs constituent un important créneau au sein de l’industrie du commerce du sexe au Canada et des proies abandonnées aux hommes adultes dénaturés qui les convoitent.
Les travailleurs et travailleuses du commerce du sexe de seconde génération continueront à exercer ce métier en raison de l’influence importante de leur mère. Récemment, à Kelowna, en Colombie-Britannique, une travailleuse du commerce du sexe qui faisait la rue depuis 12 ans pour subvenir notamment à sa fille de douze ans, a fait faire la rue à sa fillette pour que celle-ci subvienne à son tour aux besoins de la famille. Si des mères de famille font courir de tels risques à leurs enfants alors que la prostitution est toujours illégale, il est fort probable que le fait de légaliser le racolage et la prostitution ne fera qu’encourager des comportements encore beaucoup plus bizarres, exposant ainsi encore davantage les enfants canadiens à des risques importants.
Nous souhaitons voir des améliorations au plan des poursuites pénales contre les proxénètes et ceux qui traquent les femmes. La légalisation de la prostitution risque de paralyser sérieusement les enquêtes policières et de rendre beaucoup plus exigeante la norme de la preuve à satisfaire et ce, pour diverses raisons.
En premier lieu, les agents pourraient être tentés de traiter les plaintes déposées par les prostituées dites légales comme étant simplement attribuables aux risques inévitables de leur métier, et cette attitude pourrait se traduire par une boutade du genre « elles n’ont qu’elles-mêmes à blâmer ».
Deuxièmement, les poursuites pour proxénétisme deviendraient encore plus difficiles à mener à terme en raison des justifications juridiques pouvant être soumises à l’appréciation du tribunal. Il est déjà suffisamment difficile d’obtenir une condamnation sous le régime actuel, alors que la défense de légalité de l’activité n’est pas opposable.
Troisièmement, la légalisation du racolage et de la prostitution au Canada conférerait aux proxénètes un statut particulier, une légitimité propre aux hommes ou aux femmes d’affaires. Ce phénomène a été observé dans certains pays européens, notamment aux Pays-Bas. Non seulement un tel statut rend-il encore plus difficile les poursuites, mais il favorise l’exploitation de nos jeunes ainsi que des femmes en général.
La protection des mineurs devient aussi problématique. Les jeunes de ce milieu, pour la plupart, se verront désormais obligés de travailler dans la clandestinité, comme ils le font présentement d’ailleurs. Il leur sera en effet formellement interdit de travailler dans des lieux légalisés. La protection de nos enfants passe par des programmes d’intervention précoce auprès des familles susceptibles de s’adonner au commerce du sexe, et non par des exemples de comportements malsains de la part de leur mère s’adonnant à un mode de vie destructeur, caractéristique de l’industrie du commerce du sexe.
La légalisation du racolage, de la prostitution et des bordels enverrait un mauvais message aux enfants, à l’effet que la prostitution serait un métier admirable, sécuritaire, voire enviable, offrant un milieu de travail acceptable et à la hauteur de leurs aspirations. Aussi, avec la légalisation du racolage, les enfants canadiens qui aspirent souvent de nos jours à une maturité précoce seront incités à saisir ces nouvelles occasions de travailler légalement qui leur sont offertes au lieu de rester sur les bancs d’école, tout simplement pour gagner le plus de sous possible le plus rapidement possible.
L’avenir de l’industrie du commerce du sexe est aussi un enjeu important. Jusqu’où nous mènera en effet cette pente glissante de la libéralisation des lois en matière de racolage et de prostitution? Mettra-t-on dorénavant à la disposition des jeunes canadiens des programmes de formation pour des emplois dans l’industrie du commerce du sexe? Le gouvernement se mettra-t-il à inciter les jeunes de notre pays à perfectionner et à peaufiner les aptitudes requises pour réussir dans leur travail au sein de l’industrie du commerce du sexe? Nous nous demandons jusqu’où cela pourra aller.
Ce scénario risque peu de se concrétiser et est certes inacceptable, mais qu’offre-t-on en fait aujourd’hui aux travailleurs et travailleuses du commerce du sexe à cet égard? Ils devraient pouvoir compter sur des programmes de sensibilisation, de réhabilitation, de désintoxication, de retrait sécuritaire, et de traitement. Nos gouvernements n’offrent présentement que très peu de programmes de ce type. De fait, cette grave lacune au plan de la protection sociale au Canada doit alors être comblée par des organismes à but non lucratif comme la nôtre, New Opportunities for Women, et d’autres organismes oeuvrant ailleurs au pays. Les gouvernements devraient plutôt soutenir ces programmes de sensibilisation, de prévention et de réhabilitation, au lieu de dépenser de l’argent dans la légalisation de l’un des modes de vie les plus destructeurs qu’une femme pourrait choisir.
Sur la question de la lutte à la criminalité liée au phénomène de la prostitution, en quoi l’ouverture de bordels et la légalisation de la prostitution aideront-elles à contrer la consommation de stupéfiants? La pharmacodépendance des personnes des deux sexes ne s’atténuera pas pour autant, que leur situation soit légalisée ou non. Certes, les personnes qui s’adonnent à la prostitution ont besoin de consommer jusqu’à un certain point sans doute afin de compenser pour les activités plutôt non naturelles que leur métier exige. Le proxénétisme demeurera problématique, puisque seulement 25 p. 100 des femmes qui exercent dans l’industrie du commerce du sexe au Canada ne sont pas sous l’emprise d’un proxénète.
L’État fera payer de l’impôt aux travailleurs et travailleuses du commerce du sexe. L’État en viendra sans doute à exiger des frais d’utilisation des locaux mis à leur disposition? Qui seront alors ceux qui les exploitent? Qui seront alors ceux qui paieront pour la nouvelle profession légitime que sera devenue la prostitution? Est-ce l’État, ou le contribuable qui voudra alors se joindre à ce commerce et soutenir les activités de prostitution dans son quartier? En effet, quelqu’un devra payer pour l’exploitation et l’entretien des bordels.
Il y a enfin la question de la défense des droits de la personne des prostitués et des travailleurs et travailleuses du commerce du sexe. Si on légalise la prostitution sans réglementer cette activité, la prostitution ne disparaîtra pas des endroits de prédilection que sont notamment les coins de rue. Les travailleurs et travailleuses du commerce du sexe n’appartiennent pas à un groupe de travailleurs se laissant aisément manipuler. Ils sont adaptés à la vie dans la rue et ont l’esprit libre. Une certaine partie d’entre eux refusera de travailler dans des endroits plus sécuritaires et dédiés à l’exercice de leur métier.
Après 30 années passées dans les services policiers à Vancouver, en Colombie-Britannique, y oeuvrant pendant toute ma carrière dans l’escouade spécialisée dans la lutte au racolage et à la prostitution, il m’a été donné de rencontrer des dizaines de milliers de travailleuses du commerce du sexe, et je n’ai jamais entendu aucune de ces femmes me dire qu’elle avait toujours voulu faire carrière dans le domaine de la prostitution. Il demeure que certaines d’entre elles s’inscriront en faux par rapport à cette affirmation, étant à ce point prisonnières de la spirale du commerce du sexe. Cependant, une fois qu’elles ont pu en sortir en toute sécurité, elles nous disent toutes la même chose—et je suis en mesure de vous mettre un nom et un visage sur des centaines d’entre elles qui m’ont affirmé la même chose : mon Dieu, merci de m’avoir sorti de l’industrie du commerce du sexe.
Merci.
¼ (1825)
Le président: Mme Williams-Jones.
Mme Catherine Williams-Jones (fondatrice et directrice exécutive, New Opportunities for Women Canada Society): En ce qui concerne la protection contre l’exploitation des travailleurs et travailleuses du sexe, dans le Encarta World English Dictionary le terme « exploitation » est défini comme étant « the unfair treatment or use of somebody or something, usually for personal gain » - le traitement ou l’utilisation inéquitable de quelqu’un ou de quelque chose, généralement pour en tirer personnellement profit. L’on peut aisément affirmer qu’à l’heure actuelle les travailleurs et travailleuses du commerce du sexe sont couramment exploités par des hommes. Les travailleurs et travailleuses du commerce du sexe travaillant dans des bordels légaux ou légalement sur un coin de rue continueront à être exploités par des hommes, et aussi par l’État. Le simple fait de légaliser la prostitution et le racolage ne changera en rien le fait que les femmes continueront d’être exploitées dans l’industrie du commerce du sexe. Au mieux pourra-t-on y observer une diminution de la violence associée à l’exercice du commerce du sexe. Cependant, l’on ne s’attend pas vraiment à une protection quelconque à l’encontre de ce type d’exploitation, puisque de toutes façons les hommes continuent d’exploiter des femmes et des enfants lorsque la prostitution existe quelque part. En définitive, il faudrait que la prostitution soit davantage vue comme constituant une forme de violence contre les femmes et les enfants, et non comme étant une activité que l’on n’a qu’à normaliser.
La santé et la sécurité des travailleuses du commerce du sexe .... En Allemagne, 59 p. 100 des répondants à un sondage auprès des travailleuses du commerce du sexe ont affirmé qu’elles ne se sentaient pas plus à l’abri d’un viol ou d’une agression depuis que la prostitution y a été légalisée. Les femmes ne sont pas davantage protégées et n’ont pas eu accès à des stratégies de retrait efficaces là où les bordels ont été légalisés. En réalité, l’on y a observé plutôt un accroissement du proxénétisme institutionnel exercé par l’État, et cela a rendu encore plus difficile pour les prostituées de garder le fruit de leur travail. En Nouvelle-Zélande, les lois protègent plutôt les proxénètes et les intérêts des clients que les travailleurs de l’industrie du commerce du sexe. La légalisation de la prostitution ne fera qu’augmenter le besoin de recourir à des travailleuses étrangères afin de combler les postes vacants dans l’industrie de la prostitution.
Aux Pays-Bas, les prostituées estiment que la légalisation n’est qu’une autre façon d’imposer leurs gains. Elle ne voient pas comment leur santé ou leur sécurité se sont améliorées en raison de la légalisation. Bien que les travailleuses dûment enregistrées bénéficient de certains avantages sociaux, elles choisissent de ne pas s’en prévaloir car elles devront en porter le poids de la stigmatisation toute leur vie par la suite.
Les travailleuses étrangères et la prostitution.... L’on a vu récemment comment les Canadiens ont été abasourdis d’apprendre que des Roumaines et des femmes d’autres pays de l’Europe de l’Est immigraient au Canada afin de combler une supposée pénurie de prostituées dans notre pays. Apparemment, les Canadiennes ne seraient pas assez nombreuses à choisir le métier de prostituée pour suffire à la demande, et alors d’autres femmes immigrent au Canada afin de satisfaire les besoins en services sexuels de nos hommes canadiens. Aux Pays-Pas, où la prostitution est légalisée, il n’y a que très peu de Néerlandaises qui oeuvrent dans le commerce du sexe. À leur place, les femmes y sont importées, pour ainsi dire, de 32 pays différents, essentiellement de l’Europe centrale et de l’Europe de l’Est.
Diminution de la stigmatisation sociale ... Une mère canadienne serait-elle mieux disposée envers son fils qui amènerait dîner chez elle une prostituée légale, par opposition à une prostituée illégale? Est-ce que la légalisation de la prostitution réduira les sentiments inhérents de honte et de malséance à propos de la prostitution, ou cette malséance serait-elle rendue à ce point rapprochée des racines socioculturelles traditionnelles du Canada? Les péripatéticiennes porteront toujours le poids de la stigmatisation sociale, peu importe la légalisation de leur métier. La culture canadienne ne saurait cautionner la sanctification de jeunes femmes vendant leur corps pour satisfaire l’appétit sexuel d’hommes plus âgés.
La prostitution pratiquée à l’intérieur par rapport à l’extérieur .... Dans les pays développés, l’on entretient communément un certain mythe voulant que la sécurité des travailleuses du sexe serait mieux garantie si la prostitution se pratiquait à l’intérieur plutôt qu’à l’extérieur. Or, l’examen du niveau de réussite—ou plutôt, de l’absence de celle-ci—dans les initiatives entreprises dans d’autres pays à cet égard nous fournit des données intéressantes au sujet de la pratique de la prostitution derrière des portes closes. Aux Pays-Bas, où la prostitution est légale, 60 p. 100 des prostituées ont été agressées physiquement, 70 p. 100 ont reçu des menaces verbales de violence physique à leur égard, 40 p. 100 ont été exposées à des sévices sexuels, et 40 p. 100 ont été obligées de se prostituer par quelqu’un de son entourage. Les études révèlent que les prostituées connaissent une grande détresse émotionnelle lorsqu’elles pratiquent la prostitution légale à l’intérieur. Il est évident qu’en légalisant la prostitution et en en confinant la pratique à l’intérieur permet de la soutirer de la vue de la communauté, mais cela n’est pas vraiment plus avantageux pour les femmes et les enfants exploités qui sont pris dans cet engrenage.
Stratégies de prévention : adoption et sensibilisation .... Il faut des directives rigoureuses de la part des gouvernements fédéral et provinciaux en faveur de l’adoption. Le placement en famille d’accueil présente un taux extrêmement élevé de cas d’abus. Le placement des enfants dans des centres dotés de ressources professionnelles ou dans des familles d’adoption constitue une alternative plus saine. Il faut aussi prévoir un soutien à long terme à l’intention des familles et de l’enfant adopté. Les enfants ayant vécu des abus durant la petite enfance peuvent développer des personnalités abusives, et il faut prévoir des mesures éducatives particulières. L’éducation de type cause à effet en matière d’agression sexuelle sur les enfants devrait être obligatoire dans le réseau scolaire.
La rééducation des pédophiles .... Il faut mettre à la disposition de quiconque est intéressé à y avoir recours de l’éducation et les ressources pertinentes, peu importe le statut de la personne qui les requiert, en y adjoignant une politique sans modalités contraignantes. Il existe aussi un besoin criant de sensibilisation à l’intention des enfants, même aussi jeunes que huit ans, à compter du primaire et durant le secondaire. Cela se ferait en adoptant une approche impliquant l’intervention d’une équipe de soins englobant des intervenants du réseau des services sociaux, du milieu de l’enseignement, des autorités policières, des organismes bénévoles, et des partenaires du secteur des affaires. Il s’agit d’une approche holistique visant à ce que nos enfants puissent saisir dès un jeune âge les affres de la prostitution et de l’abus sexuel. Un tel programme pourrait également prévoir des cours de sensibilisation à l’intention des policiers et offrir un service de traitement sur demande. Ce type de programme est déjà en voie d’instauration dans la région de Vancouver.
¼ (1830)
Le financement provincial et fédéral prévu pour la mise en place de bordels légalisés devrait être redirigé vers les programmes d’éducation et de traitement. Pour en assurer l’efficacité, les gouvernements devraient entreprendre ces projets en partenariat avec des organismes spécifiques déjà engagés sur le terrain dans les communautés partout au Canada.
Ce ne sont là que quelques exemples illustrant comment le Canada pourrait s’y prendre pour gérer les problématiques liées au racolage et à la prostitution qui foisonnent au pays. La légalisation de la prostitution ne permettra pas de contrer les graves dangers qui guettent les femmes et les enfants qui sont dans les griffes de l’industrie du commerce du sexe, ni de leur procurer la sécurité, l’encouragement, la réhabilitation, les traitements et les stratégies de retrait dont ils auraient besoin. Et il y aura toujours des prédateurs qui traqueront ces âmes perdues, comme Willy Pickton, accusé d’être un tueur en série. La légalisation de ces activités ne peut et ne pourra jamais protéger ces femmes et ces enfants qui se retrouvent pris dans ce mode de vie violent et autodestructeur qu’est le milieu de la prostitution. Il y aura toujours des prédateurs qui chercheront à exploiter nos jeunes. Ce qu’il faut, c’est du financement orienté vers des programmes de traitement, de sensibilisation, de réhabilitation et de stratégies de retrait.
En guise de conclusion, en tant qu’enfant de la rue de Vancouver que je suis, bien que je n’aie jamais eu à aller aussi loin que les personnes dont nous avons parlé aujourd’hui, je vous supplie de vous rappeler que ces femmes et ces enfants sont avant tout des victimes, et qu’ils vous implorent de leur accorder votre aide et non une peine de mort.
Merci.
Le président: Merci, Mme Williams-Jones.
M. Hanger, vous avez sept minutes.
M. Art Hanger (Calgary-Nord-Est, PCC): Merci, monsieur le président.
Je désire vous remercier tous les deux de votre présence devant ce comité et de nous avoir fait part de vos connaissances dans ce domaine. Comme vous le savez, le comité formulera plusieurs recommandations en ce qui concerne les lois en matière de racolage. Les autres lois connexes ont plutôt trait à la prostitution, et je crois que notre mandat a quelque peu évolué de manière à englober aussi cet aspect.
Catherine, je m’intéresse particulièrement à votre intervention en ce qui concerne un programme national de sensibilisation et d’éducation. Vous avez parlé de sensibilisation auprès des enfants dès l’âge de huit ans, et aussi de l’éducation—comportant sans doute un élément de réhabilitation—à l’intention des pédophiles. Je sais ce qui vous amène à préconiser ce type d’approche, car on sait que c’est souvent après avoir été victimes d’un pédophile que des jeunes filles voient leur vie bouleversée de ce fait par la suite et qu’elles deviennent des prostituées—Je suppose que c’est ce à quoi vous faisiez allusion en invoquant ces mesures.
Je suis curieux de savoir ce que vous voyez comme implication du gouvernement fédéral dans le renforcement de ses engagements envers les enfants en mettant de l’avant un programme comme celui là. Existe-t-il de tels programmes dans nos écoles traitant de la question de la prostitution infantile, et que voyez vous comme initiative en matière d’éducation et de réhabilitation des pédophiles?
Mme Catherine Williams-Jones: À partir de ce que je vois, j’estime qu’on ne fait pas ce qu’il faut pour sensibiliser nos enfants à ce sujet et veiller à ce que nos enfants soient au courant des affres de la prostitution, qu’ils sachent comment on peut se sentir lorsqu’on nous recrute pour faire de la prostitution. En Colombie-Britannique, des enfants aussi jeunes que neuf ans ont été recrutés à cette fin.
J’estime qu’il y a lieu de mettre en place un programme grâce auquel les enfants auraient l’occasion d’être sensibilisés et pourraient compter sur des personnes avec lesquelles ils auraient bâti des liens de confiance de manière à ce que, s’ils devaient se retrouver dans une situation difficile—ayant vécu un historique d’agression sexuelle à leur égard ou vivant couramment une telle situation—cette relation de confiance existe déjà et qu’ils puissent aussitôt en faire part et obtenir le soutien requis en plus de constater qu’ils n’étaient pas seuls à vivre une telle situation.
En ce qui nous concerne, nous offrons présentement un programme dans les écoles; il y a toutefois des limites au nombre d’exposés que nous pouvons faire, parce qu’il nous faut à chaque fois disposer d’une équipe d’intervention complète. Je ne fais personnellement aucun exposé dans une école sans être accompagnée de mon équipe d’intervention clinique, parce qu’avec une moyenne de 30 élèves par classe, nous recueillons trois divulgations d’agressions sexuelles à chaque fois—je répète : trois divulgations d’agressions sexuelles pour une classe d’une moyenne de 30 élèves.
¼ (1835)
M. Art Hanger: Dix pour cent.
Mme Catherine Williams-Jones: En ce qui concerne la sensibilisation des pédophiles, je pense que l’on commence à mieux sensibiliser les clients à Vancouver, notamment par le biais du programme offert par la John Howard Society à l’intention des délinquants, mais j’estime que l’on arrivera encore mieux à réduire le nombre d’individus qui sont disposés à traquer des femmes et des enfants en sensibilisant davantage la population aux causes et aux répercussions de l’exploitation sexuelle des enfants et des agressions sexuelles commises contre des enfants.
M. Art Hanger: Maintenant, pour revenir à la proposition d’un programme national de sensibilisation, j’aimerais savoir quelle forme devrait prendre à votre avis une telle intervention par le gouvernement fédéral. J’ai certaines réserves à ce sujet, et je me demande comment vous envisagez la mise en place d’une telle initiative.
Mme Catherine Williams-Jones: Je crois que cela pourrait se faire par le versement de subsides aux provinces afin qu’elles mettent sur pied des programmes à cet effet, selon une formule suffisamment souple pour répondre aux besoins qui émergeront et offrant aux jeunes l’occasion de comprendre les affres du commerce du sexe et de la dépendance à la drogue.
Je pense que des problématiques différentes émergeront selon la communauté et même selon la province en cause. Par exemple, dans notre province, l’une des principales problématiques est liée à l’arrivée de la méthadone sous forme cristalline (communément appelée crystal meth) sur le marché, notamment de la consommation de cette drogue dans le cadre du commerce du sexe.
M. Art Hanger: Alors, les drogues comme la crystal meth nourriraient l’augmentation de la prostitution?
Mme Catherine Williams-Jones: Je dirais qu’elles agissent définitivement en symbiose.
M. Doug Lang: Monsieur Hanger, si je puis me permettre un commentaire à propos de votre question, je ne vois pas nécessairement la mise en place d’un programme à l’échelle nationale, mais à tout le moins un programme à financement jumelé ou une autre formule de ce genre.
M. Art Hanger: Un financement à l’échelle nationale, les provinces devant assurer la prestation des programmes?
M. Doug Lang: Oui, un financement jumelé d’envergure nationale, sinon des éléments de ce type ou quelque chose de semblable, de manière à ce que les provinces, lesquelles sont investies de la compétence à cet égard, puissent mettre au point des programmes convenables. Mais comme l’a dit Catherine tantôt, les besoins peuvent varier considérablement d’une province à l’autre.
Voici, à titre d’exemple, comment un programme efficace à cet égard pourrait être conçu. L’on y intégrerait des intervenants des corps policiers, du personnel du réseau de l’éducation et du corps professoral au sein des écoles, des travailleurs sociaux oeuvrant dans la communauté visée, et des experts en toxicomanie. Un programme de ce genre vient de voir le jour dans un quartier de l’est de Vancouver, alors que je dirigeais l’escouade de la moralité responsable notamment des problèmes liés à la prostitution et au racolage. Il était question d’y intégrer des comédiens professionnels, lesquels offriraient gracieusement leur temps pour présenter des scénarios en classe conçus pour les enfants de huit ans et plus, le tout avec la permission des parents auxquels l’école transmettrait un formulaire d’information et de consentement à retourner au titulaire. La communauté ou les familles seraient donc parties prenantes à l’initiative. Le programme se voulait une approche holistique à la problématique de la prostitution et au racolage dans ce quartier en particulier; il serait très équilibré, chacun de ses éléments y contribuant une expertise et une expérience particulière.
Un programme de cette nature pourrait sans doute être d’un grand secours partout au pays.
¼ (1840)
M. Art Hanger: D’accord. Il s’agit là de l’un des volets de la question, et de l’une des méthodes proactives à envisager. Pendant ce temps, l’on fait face à tout un dilemme comte tenu de l’ampleur de ce phénomène dans l’ensemble du pays et qui se reproduit en autant d’exemplaires dans tous les principaux centres urbains du pays.
Nous avons assisté ici à des exposés prônant la décriminalisation ou la légalisation d’une façon ou d’une autre des activités de cette nature, même en ce qui a trait à la prostitution. Certains ont proposé que nous allions jusqu’à abroger les lois interdisant les maisons de passe, le proxénétisme, la présence dans une maison de passe, le transport lié à cette activité et ce genre de choses, et puis la décriminalisation des femmes qui sont ainsi exploitées. Comment ces initiatives s’intégreraient-elles aux mesures que vous proposez pour l’ensemble du pays?
M. Doug Lang: Votre question est à la fois pertinente et complexe. À l’heure actuelle, dans les faits, dans une grande partie de l’Ouest canadien et dans d’autres régions du reste du pays, les corps policiers ne procèdent pas à l’arrestation des femmes qui exercent dans l’industrie du commerce du sexe. Il s’agit d’une pratique non écrite, évidemment puisqu’il s’agit toujours d’une infraction en vertu du Code criminel, mais à vrai dire les corps policiers adoptent une perspective beaucoup plus large à l’égard de ce phénomène. De nos jours, l’on s’intéresse moins à l’arrestation des travailleuses du commerce du sexe et les répercussions en sont moins grandes; l’on s’intéresse plutôt à mettre en place des stratégies de retrait sécuritaires au bénéfice de ces dernières. Les statistiques donnent raison à cet état de fait et ce, essentiellement dans l’ensemble du pays.
Je suis plutôt porté à penser que, dans l’état actuel du dossier, la modification ou non des dispositions du Code criminel de manière à traduire cette réalité importe peu, parce que les communautés font déjà pression sur les corps policiers pour qu’ils revoient leurs façons de faire en ce qui a trait à leur manière d’appliquer les lois en vigueur, dans ce domaine en particulier; il s’agit d’ailleurs d’un phénomène que l’on observe dans les communautés et les corps policiers partout au pays. Cette situation mérite peut-être que l’on y regarde de plus près et que l’on y apporte certains correctifs. Je ne m’inscrirait pas en faut à une telle initiative; cependant, je crois que la légalisation de la prostitution constituerait un incitatif à nos jeunes et ce, dès un âge tendre, de s’orienter vers l’exercice de ce travail—je ne puis me résigner à désigner ce boulot comme étant une profession.
Voyons ce qu’il arrive dans le cas typique d’une jeune de dix-huit ans qui n’a qu’une douzième année, peut-être moins, bien souvent une neuvième ou une huitième année. Cette fille-là peut aller travailler pour 8 $ l’heure chez McDo, ou faire tout l’argent qu’elle est capable de gagner en se prostituant. À cet âge là, les jeunes ne songent pas à ce qu’ils feront à l’avenir toute leur vie durant; ils cherchent comment ils pourraient bien se procurer leur prochain bâton de rouge à lèvres. C’est bien vrai ça, monsieur; c’est exactement à quoi ces jeunes peuvent songer. En effet, il nous est arrivé de sortir des jeunes de la rue et de les voir compléter des parcours de réhabilitation, et ensuite retourner deux mois plus tard à la rue pour un soir parce qu’elles avaient besoin de s’acheter du maquillage.
L’un des problèmes réside dans le fait qu’à partir du moment où un jeune commence à se prostituer, ce jeune demeure à cet âge au plan émotif jusqu’à ce qu’il ou elle quitte le milieu de la prostitution. Dernièrement, j’ai moi-même rencontré une jeune femme—disons qu’elle s’appelle Jeanne pour les fins de mon exposé—qui avait 44 ans, mais dont la capacité et la maturité émotionnelle était comme celle d’une jeune fille de 12 ans. Elle est arrivée dans le milieu de la prostitution à 12 ans et elle sort de ce métier, si on peut dire—de ce commerce—avec un âge émotif de 12 ans. C’est débile. ce n’est pas ce que l’on souhaite pour nos jeunes; ce n’est pas ce que notre collectivité souhaite pour ses jeunes. Voilà l’une des raisons motivant notre présence parmi vous aujourd’hui.
Le président: Merci.
Madame Brunelle.
[Français]
Mme Paule Brunelle (Trois-Rivières, BQ): Bonjour, mesdames et messieurs. Je vous remercie d'être venus nous rencontrer.
J'ai essayé de savoir quel travail faisait votre organisation. Si je comprends bien, vous intervenez auprès des jeunes femmes prostituées. Je crois que vous intervenez auprès des prostituées de moins de 18 ans. Est-ce bien cela?
Puisque la prostitution des jeunes est illégale, ainsi que le proxénétisme, comment voulez-vous que nous réagissions? Comme vous le savez, le comité a le mandat de tâcher de voir comment on peut accroître la sécurité des travailleuses du sexe et des communautés, et comment on peut réduire l'exploitation et la violence.
Normalement, on s'attarde plutôt à la prostitution adulte. On se demande de quelle façon on pourrait, par exemple, décriminaliser les activités de prostitution afin d'accroître la sécurité des gens. On parle toujours d'adultes consentants. Les enfants et les jeunes prostitués encourent-ils plus de dangers au niveau de la prostitution?
De plus, puis-je penser que les lois existent, mais qu'elles ne sont pas appliquées, et que c'est la raison pour laquelle ces jeunes femmes et ces jeunes hommes prostitués sont plus en danger que les autres?
¼ (1845)
[Traduction]
Mme Catherine Williams-Jones: D’entrée de jeu, je dirais que notre organisme s’occupe des femmes qui sont exploitées sexuellement. Nous les considérons comme étant des jeunes. Dans le cadre des lignes directrices gouvernementales, nous oeuvrons auprès de femmes de 29 ans et moins, parfois un peu plus vieilles. Je peux affirmer à titre de fondatrice de l’organisme que c’est tout à fait intentionnellement que nous nous sommes fixé cette limite de 29 ans, car notre expérience en matière d’intervention nous a enseigné que les travailleuses du commerce du sexe qui sont dans la trentaine ou la quarantaine sont tellement avancées dans leur toxicomanie et tellement liées et ancrées dans leur mode de vie qu’il est presque invraisemblable qu’elles puissent s’en sortir et être réhabilitées.
Par ailleurs, je ne considère pas une jeune de 18 ans plus à risque dans le milieu de la prostitution qu’une fille de 24 ans. J’estime que le risque pour l’une comme pour l’autre est extrême. La recherche nous enseigne que la légalisation n’a pas rendu ce milieu plus sécuritaire pour une femme de 18 ans, de 24 ans, ou de 44 ans. Je pense que quiconque se prostitue, qui exploite finalement sexuellement son propre corps.... J’ai moi-même rencontré plus de 2 600 femmes et enfants qui ont été exposés au commerce du sexe et je n’en encore rencontré personne qui m’a dit : « Je voulais rester. Je veux y retourner.»
[Français]
Mme Paule Brunelle: Il est certain qu'on ne parle pas de légalisation. Selon moi, en tout cas, ce n'est pas du tout la solution.
Toutefois, plusieurs prostituées nous ont dit que les articles de loi sur le racolage les mettaient en danger. Pourquoi? C'est parce qu'ils les forcent à prendre des décisions trop rapidement quand il y a sollicitation, et qu'ils les poussent à fuir les policiers et à aller dans des quartiers de moins en moins éclairés, où il y peu de gens, etc. C'est là que des prostituées sont assassinées et qu'il y a beaucoup de violence.
On ne parle certainement pas de légaliser la prostitution. Ce n'est pas ce qu'on entend. Cependant, cette loi sur le racolage s'est avérée inefficace. Nous sommes donc à la recherche de solutions, et c'est un peu le sens de ma question. Pour votre part, croyez-vous que la légalisation est une solution qu'on pourrait envisager? Dans ces conditions, la prostituée est-elle davantage une victime qu'une personne qui doit être jugée et emprisonnée? Si elle est jugée et emprisonnée, sa vie est pratiquement finie.
[Traduction]
Mme Catherine Williams-Jones: Je crois que nous avons déjà commencé à agir en ce sens. Je sais qu’en ce qui concerne notre organisme, nous avons de très bonnes relations avec la police à la grandeur de notre province. Chaque année, une de nos équipes vient chez nous afin de suivre une formation psychosociale avec les autorités policières pour les sensibiliser à ces questions. Je crois qu’il s’agit là d’une progression extrêmement positive. Nous avons établi des relations telles qu’un travailleur du commerce du sexe peut en fait signer une entente donnant l’autorisation au policier de communiquer avec nous pour que nous puissions intervenir et mettre en œuvre des mesures de soutien en place si elle est prête à quitter le milieu. Je crois que ces étapes sont très importantes et je suis soulagée de vous entendre dire que nous ne nous dirigeons pas vers une légalisation car ces transitions sont déjà en cours sans législation.
Je cède maintenant la parole à Doug qui vous parlera de la portion portant sur la Loi sur le racolage.
¼ (1850)
M. Doug Lang: Merci.
Ce qui semble avoir bien fonctionné avec les autorités policières, celles qui connaissent de bons résultats, c’est une règle d’action à l’usage des policiers portant sur les méthodes d'application des différents articles du Code criminel, plus particulièrement du paragraphe 213(1) à l’égard du racolage sur la voie publique. Ils considèrent un peu comme de la nuisance, si vous voulez, le fait qu'il y a des gens qui travaillent sur le coin de la rue et les habitants de la collectivité sont contrariés par cette situation. Les policiers à l’étendue du pays (je peux certainement parler du moins pour ceux de Vancouver) considèrent de plus en plus les femmes comme des victimes; là n’est pas la question. Ce sont principalement des femmes, mais il y a également quelques jeunes hommes qui font de la prostitution.
Le nombre d’arrestations de femmes par année à Vancouver depuis la dernière décennie a chuté de mille pour cent. Je peux vous apporter des chiffres récents si vous le désirez. La réalité derrière tout ça est que les policiers (et je parlerai au nom de ceux de Vancouver, d’où je tire mon expérience) ne procèdent qu’à des arrestations occasionnelles de travailleurs de la rue et ce, pour les raisons suivantes.
La première étant qu’ils ne quitteront pas une collectivité particulière. Ils refusent de changer d’endroit, par conséquent, les habitants de la collectivité sortent de leur voiture, prennent leur photo et s’exposent nez à nez avec les clients. La violence s’ensuit, ce qui incite les policiers à intervenir comme gardiens de la paix, évidemment, comme vous devez vous en douter.
L’autre raison pour laquelle il y a des arrestations fréquentes n'est pas reliée à la précédente. C’est pour établir un lien entre le travailleur et l'enquêteur, qui est invariablement un détective chevronné spécialisé dans ce domaine, et non un agent de police en uniforme. L’enquêteur provoquera une situation où la jeune femme pourrait être placée en état d’arrestation, mais l’intention n'est pas de l'amener devant un juge, étant donné que les juges, du moins dans le Lower Mainland, ne la condamneront pas. Cette mise en situation n’a pour but que de créer une occasion de développer une relation. C’est cette relation qui peut permettre à de jeunes femmes d'être retirées de la rue en toute sécurité et dirigées vers d'autres ressources, qu'il s'agisse de NOW Canada ou d'autres ressources dans la collectivité.
Pour la plupart, les jeunes femmes qui travaillent dans la rue sont effrayées. Elles craignent les clients, elles redoutent les proxénètes et elles ont peur de la police. C’est l’évolution de cette relation, qui commence à un niveau très bas, qui est importante. C'est l'outil que la police possède. Si les policiers l'utilisent judicieusement (et je suis sûr que ce n’est pas le cas à l’étendue du pays mais je peux affirmer pour la côte Ouest et d’un bout à l’autre du Lower Mainland que c’est l’objectif de l’action policière), si une arrestation doit avoir lieu, c’est pour établir un lien.
La femme n’a pas à faire face au système judiciaire. Cela n’apporterait pas de valeur à la police; c’est une perte de temps, mais il s’agit d’un levier pour atteindre le but d’établir un lien.
[Français]
Mme Paule Brunelle: Nous dites-vous que...
[Traduction]
Le président: Nous devons continuer. Nous y reviendrons.
Mme Davies.
Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD): Merci beaucoup.
Premièrement, je tiens à vous remercier d’être venus jusqu’à Ottawa. Je suis sûre que le temps est magnifique à Vancouver.
Je voudrais revenir sur le point de Madame Brunelle parce que, de façon générale, je ne crois que nous ayons jamais entendu de témoin qui nous ait suggéré (peut-être un) un type de régime de légalisation ou un autre.
Il y a eu plusieurs discussions à propos de ce que nous appelons la « décriminalisation », ce qui est vu comme quelque chose de différent. Peut-être que ce ne l’est pas dans votre esprit, et vous pourriez nous le dire, mais je voulais seulement le souligner, que personne n’a vraiment plaidé en faveur de la légalisation sous forme d'un genre d'accréditation par l'État… Bien, je veux dire, quelqu'un pourrait faire valoir que nous avons déjà un certain type de légalisation sous forme d’agences d’hôtesses. Il existe plusieurs contradictions dans la loi, bien entendu.
Catherine, à la fin de votre première présentation, vous avez mentionné que ces femmes réclament notre secours, non une peine de mort. Il s'agit d'une façon bien dramatique d'envisager les choses, et je crois que cela mérite notre attention. Mon sentiment, toutefois, est que la criminalisation de ces femmes, ne serait-ce que la menace d’application de la loi et l’usage de la police en tant qu’outil principal, ne devienne en effet une forme de sentence à mort. Je voudrais en fait attirer votre attention sur les dispositions relatives aux communications. Cela crée une situation très dangereuse où finalement la menace d’application de la loi incite les femmes à monter dans les voitures, à prendre une décision souvent dans une fraction de seconde qui peut les mener on ne sait où.
Ma déclaration est basée sur plusieurs conversations tenues avec des travailleurs du commerce du sexe, particulièrement à Vancouver. Certains d’entre eux sont des utilisateurs de drogues ; d’autres non. Même s’ils le sont, ce sont des personnes qui peuvent parler en leur propre nom et qui savent très bien exprimer ce qu'ils ont à dire ainsi que leur expérience personnelle.
Je tenais seulement à apporter cet élément, c’est-à-dire qu’il s’agit de réduire au minimum les risques et le mal. Mais la question qui réside est de se demander s'il est approprié de compter sur l'application de la loi et la criminalisation comme façons de résoudre une question qui est très complexe. Je crois qu’il est trop facile, du genre noir ou blanc, de dire que nous n'avons qu'à mieux appliquer la loi, ou quelque chose du genre, parce que je crois qu'il existe des allégations à l'effet que beaucoup de souffrances peuvent découler des lois elles-mêmes.
Deuxièmement, en termes de rôle policier, je crois aussi qu'il y a là quelques contradictions, étant donné que l'agent de la force publique est également votre ressource d’aide, et nous avons entendu très souvent de la part des femmes cette contradiction à l’effet que la police est là pour vous aider, alors qu’en réalité leur travail est d’appliquer la loi, et c’est d’ailleurs ainsi qu'elle est perçue. Nous avons entendu de nombreux travailleurs du commerce du sexe nous dire que les dernières personnes auxquelles ils auraient recours sont les policiers. En fait, ils ne leur rapporteraient rien, de crainte de se voir pénalisés eux-mêmes. Nous avons entendu cela à de nombreuses occasions à travers le pays. Il s'agit donc d'une relation complexe.
Et nous faisons la distinction ici entre les adultes et les enfants; je reviendrai sur le sujet des jeunes victimes d’exploitation sexuelle dans un moment. Mais en ce qui concerne les adultes, si notre but est de réduire au minimum le mal et les risques, désirez-vous voir moins d'exercices d’applications de la loi ou désirez-vous en voir plus? Comment voyez-vous cela? Quel devrait être le rôle? Croyez-vous que nous puissions parler de succès à l’égard de ce qui se passe avec la police actuellement?
¼ (1855)
Mme Catherine Williams-Jones: Je suis d’accord avec vous. Il s’agit d’une situation extrêmement complexe, et je crois que nous accomplissons déjà de grand progrès dans ce domaine en matière de formation d’équipe, si vous voulez, comme celles que nous avons à Vancouver. Je sais que j’ai été invitée, que mon personnel a été invité et que d’autres organismes oeuvrant auprès des travailleurs du commerce du sexe ont été invités à former des partenariats avec le service de police de Vancouver, avec la GRC, dans le but de sortir et de commencer à établir des relations et d’offrir des possibilités pour ces jeunes femmes de quitter le milieu.
Selon notre expérience, je ne connais pas de jeunes femmes qui sont terrorisées par la police, que ce soit à Vancouver ou dans la collectivité où nous travaillons. En effet, c’était bien le genre de relations qui prévalaient traditionnellement mais nous accomplissons des progrès en ce sens.
M. Doug Lang: Permettez-moi d’ajouter qu’au service de police de Vancouver, au moment où je dirigeais le service de la moralité, nous avons accru notre productivité d’environ 800 p. 100 en une année.
Mme Libby Davies: Qu’entendez-vous par « productivité »?
M. Doug Lang: Nous avons transformé la philosophie du modèle du service de police en un modèle axé sur la réhabilitation et des stratégies de retrait. Lorsque j’ai proposé ce modèle à l’organisation, Jamie Graham, le chef, l’a appuyé à 100 p. 100; je l’ai donc mis en œuvre. Nous avons amélioré nos chiffres, ou si vous préférez, notre capacité à livrer des services, d'environ 800 p. 100.
Ceci comprenait aussi une augmentation d’environ 50 p. 100, peut-être un peu plus, du nombre d’arrestations des femmes qui travaillaient dans la rue. Leur cas n’était pas traité à travers le système criminel, mais elles étaient détenues par la police. C’est à ce moment que l’établissement des premiers liens débutait.
Le rôle de la police… Il peut être difficile de le voir à la fois comme agent de la force publique et comme personne d’aide (et je peux le comprendre) du point de vue de certaines personnes. Selon le point de vue d’un agent de la paix, c’est là la première fonction des services de police du Canada. Nous ne sommes pas des agents de la force publique, comme le sont les Américains; nous sommes des agents de la paix. Je parle à titre de policier, même si je suis retiré du corps policier, mais vous me permettrez de le faire.
Les policiers canadiens ont une philosophie différente des policiers américains ou européens. Cette philosophie est basée sur la common law anglaise, laquelle est fondée sur l’aide apportée au peuple, et non pas pour les entraver. En appliquant cette philosophie à un autre niveau dans nos relations avec les travailleurs du commerce du sexe et de la prostitution, il existe une volonté (je parlerai pour Vancouver) d’aider ces gens à sortir de la rue, et il y a une récompense pour ces détectives qui y arrivent. Il existe un système en place pour cela.
Laissez-moi vous donner un exemple pourquoi la police a besoin de certaines capacités afin de connecter officiellement avec un travailleur du commerce du sexe. Une année, alors que j’étais détective au service de la moralité il y a de cela plusieurs années, j'arrêtais un proxénète et portais des accusations contre lui (avec des chefs d’accusation solides qui se traduisaient en peine d’emprisonnement) une fois par semaine. Un proxénète par semaine allait en prison, et ils y restaient. Ils recevaient des sentences de quatre, et cinq ans. La seule façon pour moi d’arriver à arrêter ces proxénètes était avec l’aide d’un informateur. Les informateurs ont toujours été, selon mon expérience, des jeunes femmes.
Ces jeunes femmes avaient confiance en moi. Premièrement, je ne portais pas d’accusation criminelle contre elles; deuxièmement, je les protégeais; et troisièmement, je les relocalisais. C’est alors que la relation changeait. Quatrièmement, je m’assurais qu’elles retrouvaient leur famille, ou alors une famille qui prendrait soin d’elle; cinquièmement, je les accompagnais personnellement à l’Université Simon Fraser, jusqu’au service des admissions; sixièmement, j’ai été à leur côté à leur mariage; et septièmement, je célèbre avec eux la naissance de leurs enfants.
C’est la relation d’un policier, et c’est la relation appropriée d’un agent de la paix dans ce pays qui est le nôtre. Ce n’en est pas une d’application de la loi. Le modèle d’exécution de la loi occupe 20 p. 100 du temps d’un policier au Canada. L’autre 80 p. 100 de son temps est dédié et axé à travailler avec les gens, leur trouver des ressources, et les aider avec leurs problèmes. C’est ce qui arrive partout au pays; il s’agit du rapport d’aide versus l’application de la loi. C’est une vieille donnée mais elle reste la même depuis des années.
Alors nous, en tant que policier, nous considérons peut-être différemment par rapport à certaines personnes de notre collectivité, qui peut-être nous perçoivent selon le modèle d’application de la loi (émettant des contraventions et arrêtant le voleur de banque). Ce n’est pas ce que nous faisons.
½ (1900)
Le président: Vous avez trois minutes, M. Hanger.
M. Art Hanger: Merci.
Je crois qu’il s’agit d’une très bonne description de votre rôle en tant que policier, M. Lang. Dois-je vous appeler M. Lang? Car, vous ne faites plus partie du service de police, n’est-ce pas?
M. Doug Lang: C'est exact.
M. Art Hanger: Le comité a eu la chance de pouvoir entendre l'avis d'une conseillère du gouvernement suédois. Il s'agissait en fait d'une citoyenne canadienne, anciennement citoyenne suédoise, qui maintenant est retournée en Suède où elle conseille le gouvernement sur toute cette question de prostitution.
À travers ce processus, ils ont finalement construit ce que je considère être un modèle fonctionnel. Il s'agit d'une stratégie de retrait pour ceux qui sont impliqués dans la prostitution. C'est une stratégie d'éducation qui s'adresse aux jeunes dès leur plus jeune âge, d’après ce que j'ai pu comprendre. C'est également une stratégie d'application de la loi, dans la mesure où ils punissent sévèrement les proxénètes, les entremetteurs, les clients et, quand cela s'inscrit dans l'ordre des choses, des revendeurs de drogue. Quelquefois, tous ces rôles sont tenus par une seule et unique personne.
Que pensez-vous de ce modèle?
M. Doug Lang: Je pense tellement de bien de ce modèle que j'en ai fait la promotion au sein de mon organisation jusqu'au bureau du chef, et l'organisation toute entière se consacre à suivre ce modèle. C’est la seule façon de faire pour les services de police au Canada. C’est si simple. C’est tellement simple, et ça marchera. Ça fonctionne bien à Vancouver et dans d’autres villes à travers le Canada. Des stratégies de retrait pour ces jeunes femmes emprisonnées dans ce mode de vie sont absolument essentielles. Sans cela et les ressources qui les recueillent à la sortie, ce pays restera embourbé dans ces situations qu'il connaît maintenant aussi longtemps que le temps qu’il faudra avant d’être mis au parfum, de trouver les ressources et les experts. Ils existent. Ils veulent aider.
Je le ferai gratuitement.
½ (1905)
M. Art Hanger: Vous êtes embauché.
Je reviens sur cette présentation faite par Mme Ekberg, qui travaille toujours avec le gouvernement suédois. Ils sont déjà en train d'étudier de nouvelles initiatives afin de solutionner ce problème, mais selon sa présentation, la majeure partie du problème est déjà résolue. La préoccupation à propos du manque de sécurité, même si vous l'examinez séparément, est maintenant réduite étant donné que le nombre de prostituées a diminué et que la stratégie d’éducation porte effectivement ses fruits. C’est la chose primordiale ici. Au moins, c'est proactif.
C’était réalisé à l’échelle nationale. Ce dont vous parlez semble fait au niveau local, et ce que vous faites est l’appliquer à l’intérieur du cadre législatif qui vous est alloué. Ce qui est intéressant à propos du modèle suédois, c’est qu’ils ne font pas de distinction entre la rue, les services d’hôtesses, de massage et les bars de danseuses. Ils les incluent toutes. La prostitution est une mauvaise chose (elle exploite les femmes) et leur prémisse de base est la prohibition.
Le président: Votre temps est écoulé.
M. Art Hanger: Je demanderais ce que vous pensez de cela quand il s’agit du balayage étendu de leur législation étant donné que cela pourrait s'appliquer à cette activité particulière.
M. Doug Lang: J’essaie de ne pas adopter le rôle typique du policier lorsqu’il s’agit de question comme celle-là. Cependant, le premier mot qui me vient à l’esprit lorsque vous avez suggéré le modèle suédois est « amen ». C’est ce genre d’autorité qui est requise dans ce genre de situation.
Ce qui se passe dans les rues de Vancouver, comme dans d’autres villes à travers le Canada, n’est pas agréable. Je ne crois pas un seul instant que les gens qui font partie de ce milieu sont heureux.
Nous avons besoin d’une stratégie nationale qui fait en sorte que les autorités policières puissent travailler ensemble en vertu de leur juridiction provinciale, où le gouvernement fédéral établirait les objectifs généraux, l'attention générale, et où les gouvernements provinciaux, de concert avec les municipalités, veilleraient à la mise en application en fonction des objectifs de chaque municipalité.
Le président: Madame Brunelle.
[Français]
Mme Paule Brunelle: Plus on parle de ce problème, plus on voit qu'il n'y a pas qu'une sorte de prostitution, comme il n'y a certainement pas une seule façon de faire pour le régler.
Si je vous comprends bien, monsieur Lang, vous nous dites que la loi sur le racolage vous permet d'entrer en contact avec les prostituées et d'ainsi les aider. La répression ne représente que 20 p. 100 du travail du policier. Vous le faites donc de façon très humaine, en privilégiant plutôt l'éducation. Ce modèle est certainement intéressant, mais il n'est malheureusement pas privilégié par la plupart des forces policières. Les prostituées nous ont souvent dit qu'elles hésitaient à porter plainte. Souvent, lorsqu'elles se plaignent de violence, des policiers leur disent que ce sont les risques du métier. Plus j'étudie cela, plus je me dis qu'il faudra qu'on ait plusieurs modèles différents.
Nous avons rencontré des prostituées qui travaillent surtout comme escortes et qui sont très heureuses de le faire. Elles font cela pendant une période de leur vie et semblent vraiment très bien. D'autre part, il y a des prostituées de rue qui sont aux prises avec des problèmes de drogues, des problèmes de santé et de nombreux autres problèmes. C'est autre chose. La situation est encore plus complexe du fait que les mentalités sont très différentes d'un endroit à l'autre au Canada.
J'ai trouvé intéressant ce que vous avez dit, madame, lorsque vous avez parlé de décentraliser le financement et dit qu'on devrait donner du financement aux provinces pour qu'elles puissent régler ces problèmes. Je suis parfaitement d'accord avec vous à cet égard. En effet, étant plus proches des gens, les provinces sont mieux en mesure de voir comment, dans chacun des coins, on peut régler le problème en fonction de l'avancement des mentalités.
Voilà mon commentaire. J'espère avoir bien compris ce que vous nous avez dit. Quelle serait la recommandation la plus importante que vous pourriez faire à ce comité pour régler le problème de la violence faite aux femmes dans le cadre de la prostitution?
½ (1910)
[Traduction]
Mme Catherine Williams-Jones: Prévention.
Puis-je apporter quelques commentaires additionnels?
Le président: Certainement.
Mme Catherine Williams-Jones: Je pense que tout ce qui n’est pas une approche concertée échouera. Et le rôle que je vois pour les fonctionnaires fédéraux en est un de pression sur les provinces afin qu’elles répondent à ces questions et les garder sur la sellette. Je suis d’accord avec vous sur le fait que ce sont eux qui détiennent la connaissance de ce qui se passe dans les collectivités.
À propos du commentaire apporté à l’égard du modèle suédois en ce qui a trait aux agences d’hôtesses et des travailleurs dans la rue et dans les maisons, ils sont tous considérés comme des travailleurs du commerce du sexe, ce qui est en dessous de cela consiste à aider le commerce du sexe à créer un système de classes dans lequel ils seront davantage victimisés aussi bas que la chaîne alimentaire.
En termes de discussion à propos des hôtesses, selon mon expérience, le plus souvent les hôtesses se retrouvent à l'endroit où elles deviennent des travailleurs au niveau de la rue une fois qu'elles, si vous voulez, sont épuisées. Rendues à ce point, elles deviennent les personnes désespérées dont nous parlons et que mon agence sert.
Le président: Merci.
Madame Davies.
Mme Libby Davies: Juste pour le bénéfice de la chose, à combien de femmes avez-vous prêté assistance à Vancouver, disons l’an dernier?
Mme Catherine Williams-Jones: Le moment ne pourrait être mieux choisi. Je viens tout juste de terminer mon sommaire pour mon AGA.
Au cours du dernier exercice financier, NOW Canada a oeuvré auprès de 842 femmes et enfants.
Mme Libby Davies: Ils ne sont pas liés les uns aux autres?
Mme Catherine Williams-Jones: C’est exact.
Mme Libby Davies: D'accord. Nous parlons beaucoup de la prostitution de rue. C'est là où le débat public s'est principalement situé. Mais je crois que la plupart des experts s’entendent pour dire que la prostitution extérieure ne compte que pour environ 10 à 15 p. 100 de la prostitution en général, ce qui veut dire que nous discutons très peu de cet autre 85 p. 100 de prostitution potentielle.
Du point de vue des services policiers, je suis juste curieuse, selon les explications que vous nous avez fournies aujourd’hui, de savoir pourquoi nous n’avons pas de descentes ni d'actions coercitives à ce niveau. Nous avons entendu des hôtesses, justement à Vancouver, et elles étaient très peu importunées par la police. S'il s'agit d’entamer cette relation et d'aider les gens à en sortir, même si cela commence par un genre de lien découlant de l'application de la loi, pourquoi pensez-vous que bon nombre de ressources sont concentrées sur la prostitution de rue et non pas à l'endroit des hôtesses ou des studios de massage ou des salons de massage et ainsi de suite?
M. Doug Lang: C’est une excellente question.
Il existe un certain nombre de raisons pour expliquer cela. Une des difficultés pour la police dans des opérations d’infiltration est de ramasser suffisamment d’éléments de preuve dans un contexte de studio de massage. Afin de convaincre les tribunaux, il nous faut présenter des preuves tangibles, et cette preuve implique généralement un certain rapport sexuel qui s'est produit entre l'hôtesse ou la prostituée et le rassembleur de preuves. La législation au Canada à l'égard du travail d’agent, c'est-à-dire, une personne embauchée que la police utilise ou une personne qui se porte volontaire pour aider la police, a vu sa portée de plus en plus réduire par la réglementation provenant des tribunaux, jusqu’au point où travailler avec un tel agent est devenu très difficile pour la police. Les policiers n’iront sûrement pas dans des studios de massage et se porter volontaires pour recevoir des services sexuels sous mes ordres. Ce n’est pas ce à quoi vous vous attendez de la part des policiers. Ils ne veulent pas le faire. Ils ne veulent pas y participer.
Certaines autres questions, mis à part la réunion de preuves, concernent simplement les ressources. Les services de police du pays sont en manque de ressources, de façon dramatique. Il y a dix détectives pour la ville de Vancouver qui sont spécialisés en matière de prostitution. La prostitution est une des plus grandes préoccupations de la population locale de Vancouver. Préoccupation qui n’est pas trop loin derrière le vol d'automobiles et du vol à l’intérieur des automobiles, et croyez-le ou non, de l’introduction par effraction. Dix détectives pour gérer cela dans une ville de la taille de Vancouver; je pourrais multiplier par cent et ça se serait pas encore assez pour s’attaquer sérieusement à la prostitution.
La difficulté rencontrée avec le travail à l’intérieur, si vous voulez, est également que la collectivité se sent moins touchée lorsque les services sexuels restent à l’intérieur; ce qu’on ne voit pas ne nous atteint pas. Cela semble être la volonté de la collectivité. Cela correspond au modèle des services de police étant donné que nous ne comptons pas suffisamment de policiers et de ressources afin de combattre ce crime de façon efficace. Je n’aime pas dire cela, mais c’est une façon facile de s’en sortir. Il n’y a pas beaucoup de cris en provenance de la collectivité même si nous savons qu’il y a un salon de massage qui est en réalité un bordel. Ce sont là les raisons principales (revendication de la collectivité, ressources, ainsi que le rassemblement d’éléments de preuve) qui ont rendu extrêmement difficiles les poursuites judiciaires fructueuses.
½ (1915)
Mme Libby Davies: Puis-je apporter un court commentaire?
Le président: Allez-y.
Mme Libby Davies: Je crois qu’il s’agit là d’une réponse très intéressante, et cela me frappe de voir à quel point les dispositions sur les communications sont très importantes pour vous, puisque c’est tout ce que vous avez. Ce que vous nous dites finalement c'est que vous n'arrivez pas à faire votre travail, peu importe ce que cela signifiait pour vous, parce que c'est trop difficile. C’est trop difficile de réunir les preuves nécessaires. Ainsi, les dispositions sur les communications deviennent le véhicule par lequel tout le reste passe. Il y a là matière à discussion, parce qu'en réalité qu’essayons-nous de faire ici? Est-ce que cette question est dirigée en fonction des plaintes du public? Est-ce cela qui mène? Ou alors, est-ce basé sur les croyances de la police ou des législations que la prostitution est mauvaise? C’est dans ce sens que je crois que nous devons examiner quel est le véritable objectif ici, puisqu'il me semble que les dispositions sur les communications sont dangereuses et pourtant c'est vraiment la seule chose que vous avez selon votre point de vue. Alors, que diable faisons-nous ici? Si nous allons à la chasse contre la prostitution alors, nous sommes en train de dire que 85 p. 100 des activités qui y sont reliées ne comptent pas.
M. Doug Lang: Vos commentaires sont tout à fait exacts. Je suis d’accord avec vous. La réalité est que…
Mme Libby Davies: Quel est l’objectif, selon vous?
M. Doug Lang: Selon mon point de vue?
Mme Libby Davies: Oui. Avec le statu quo tel qu’il se présente aujourd’hui, que diable croyez-vous que nous essayons d’accomplir?
M. Doug Lang: Je crois fermement que cela n’a pas beaucoup à voir avec les manifestations bruyantes de la collectivité à l’endroit du crime qu’ils ne voient pas. Ils ne voient pas non plus les voleurs de banques, et ils ne s'en plaignent pas, mais nous continuons néanmoins à les arrêter. Ils ne voient pas les terroristes à moins qu'ils n'apparaissent à la une du journal, mais nous continuons à enquêter sur eux et à procéder à leur arrestation quand cela est possible. La réalité est qu'il existe une fibre au sein de ce pays. Le Canada est un pays extraordinaire; il est respecté à travers le monde. Il l’est réellement. J’ai voyagé à travers le monde, et le Canada est reconnu comme un pays juste et équitable. Une part de notre essence et de notre culture et de notre héritage correspond à ce que nous considérons comme acceptable dans notre pays, nos collectivités, nos villes.
Selon les commentaires que je reçois de la collectivité, il n’existe aucune volonté d’accepter la prostitution pratiquée au grand jour ni la prostitution légalisée. J’apprécie le fait que nous ne discutons pas la possibilité de la légaliser, et je vous remercie d'avoir clarifié ce point. Je ne parle pas d'un droit fanatique religieux; je parle seulement du membre ordinaire de la collectivité. La réponse que je reçois des dizaines de milliers de membres de collectivité à différents niveaux est du genre : « Pouvez-vous mettre un frein à cela, Doug? Comment pouvons-nous y arriver? Devons-nous mettre de la pression sur la ville, le gouvernement provincial, ou le gouvernement fédéral? »
Alors je le perçois comme une volonté issue du peuple, même si elle est silencieuse. Il existe un fort désir de la part du peuple à un niveau qui est bien plus élevé que du cas d’une fille au coin de la rue dérangeant le flux de la circulation.
½ (1920)
Le président: Merci M. Lang.
M. Hanger.
M. Art Hanger: Merci, Monsieur le président.
L’autre jour, nous avons eu une discussion, après qu’un témoin ait fait une présentation à une réunion, à propos du « plus grand bien ». Quel serait le plus grand bien que nous devrions tenter de réaliser? Je ne crois pas qu'il y ait une personne à cette table qui ne croit pas que le plus grand bien serait de faire tout ce que nous pouvons à titre de législateurs (dans le cadre de ce comité) afin de nous assurer que ces jeunes filles n'entrent pas dans la prostitution, et que ceux et celles qui y sont puissent en sortir, et que ceux qui les exploitent subissent les mesures de la loi contre eux. En deux mots, selon moi, c'est cela le plus grand bien.
Si vous pouvez extrapoler là-dessus et ramener le tout à notre mission à titre de législateurs, ensuite nous tenterons de réaliser cette vision générale particulière du mieux que nous le pourrons. Cela, pour moi, nous concerne d'abord ici, nos tribunaux et tout autre organisme pouvant nous assister, qu'il s'agisse de la police, des services sociaux, ou peu importe. Il ne s'agit que d'un à-côté, mais vous voulez peut-être commenter là-dessus.
Avant 1985, nous avions des lois sur les maisons de débauche, des lois sur le proxénétisme, des lois sur le racolage. En 1985, une loi a changé. En réalité, c’était une nouvelle adaptation de la législation sur le racolage, et elle est devenue une loi sur les communications. Il y a eu une grande variation, statistiquement parlant, par rapport aux chefs d’accusation inculpés par la police en 1985 et même au-delà, durant plusieurs années, tandis que la Loi sur le proxénétisme et la Loi sur les maisons de débauche sont restées inchangées. Elles sont demeurées les mêmes en termes de nombre, même à ce jour, quand on parle de mises en accusation par les policiers en vertu de ces lois. Ainsi, bizarrement, il y a eu cette grande variation en 1985 suite au changement des dispositions sur les communications. Vous étiez sans doute un officier de police à cette époque, probablement à la direction de l’escouade de la moralité. Qu’est-ce qui s’est passé alors selon vous?
M. Doug Lang: À l’époque l’on a senti un certain encouragement au niveau des politiques, non seulement de celles des services de police et des autorités policières en général, mais aussi de la part du gouvernement fédéral en raison de son initiative visant à reformuler le Code criminel du Canada de manière à favoriser l’application de la loi.
En effet, comme vous l’avez mentionné il y a eu une forte variation au milieu des années 80. Je conviens avec vous que l’application des dispositions de la loi visant les entremetteurs et les proxénètes qui exploitent les jeunes femmes a atteint un plateau au fil des ans. Divers phénomènes expliquent cet état de fait. Je vous en dresserai la nomenclature dans les prochaines minutes.
L’augmentation du nombre d’arrestations effectuées en vertu de l’article 213 du Code criminel a certes constitué un effet désirable, et représente effectivement une relation de cause à effet.
Par ailleurs, au fils des ans, les autorités policières de la côte ouest du pays ont assurément changé leur fusil d’épaule et leur façon de composer avec le racolage de rue. En effet, les femmes dont la vie consiste à faire le trottoir sont dorénavant vues comme étant des victimes. Les statistiques sont le reflet de ce constat.
Il s’agit là d’une évolution assez radicale dans notre façon de voir cette problématique. Et cela ne nous est pas venu sous l’impulsion des tribunaux, du Code criminel ni de quelque action du gouvernement fédéral. Elle s’est opérée parce que des hommes et des femmes ont décidé que la façon de gérer cette problématique jusqu’alors ne leur semblait pas la bonne manière de s’y prendre. Cette évolution s’est opérée sous l’impulsion de certains gouvernements municipaux, groupes communautaires et policiers.
Je proposerais que nous continuions dans cette lancée, mais il faudrait de plus donner des dents à certaines autres dispositions législatives, dont celles visant les entremetteurs et le proxénétisme, de manière à faciliter le travail des enquêteurs dans leur tâche de recueillir des renseignements et des éléments de preuve.
Je suggérerais aussi que des lignes directrices en matière de détermination de la peine devraient être fournies par le gouvernement fédéral à la magistrature de manière à assurer l’équité dans le prononcé des peines. Par « équité dans le prononcé des peines », j’entends la détermination des peines d’une manière cohérente partout au pays.
Certains arrivent de nos jours à Vancouver avec des casiers judiciaires et des mandats non exécutés émis contre eux. Lorsqu’ils sont arrêtés, on les met en prison sinon on les conduit devant le juge. Ils disent aux agents qui les arrêtent—et c’est ce qu’ils m’ont dit des centaines de fois—vous nous avez épinglé, et c’est correct ainsi. Je leur demande pourquoi ils viennent à Vancouver. Ils répondent qu’ils viennent ici parce qu’ils obtiennent d’un à deux tiers de moins de temps d’emprisonnement ici qu’ils n’en obtiendraient n’importe où ailleurs.
Il faudrait qu’il y ait des normes ou des lignes directrices en matière de détermination des peines. Je ne dis pas qu’il faudrait nécessairement imposer des normes, mais qu’il existe au moins des lignes directrices dont les juges pourraient s’inspirer pour que le prononcé de la peine soit un exercice plus équitable.
Si l’on pouvait donner plus de dents aux peines des infractions les plus graves, notamment celle de proxénétisme et d’agir en prédateur, les Willie Pickton de ce monde qui auraient, selon les allégations de l’accusation, causé la mort de tant de personnes, écoperaient d’au moins 25 ans ferme dans ce pays. Personnellement, je ne crois pas que cela constitue une peine suffisamment dissuasive pour empêcher quelqu’un d’autre de tuer—25 ans pour environ 25 assassinats.
Il s’agit évidemment d’allégations pour l’instant, et je comprends cela, mais ce scénario ne nous est pas inconnu. J’ai eu le plaisir de procéder à l’arrestation de Clifford Olson. Il y avait des preuves sérieuses contre lui, selon même l’appréciation qui en avait été faite devant le tribunal.
Il faut que l’on mette à l’ombre pour de bon ce type de prédateur. C’est ce qu’il faut faire, c’est tout. Je ne parle pas ici d’imposer la peine de mort. Je n’appuie pas cette dernière mesure, mais il faudrait au moins les proscrire de nos communautés. On peut même les traiter correctement. Ça ne me dérangerait pas s’ils en profitaient pour jouer au golf à l’intérieur des murs de nos établissements de détention, mais je ne veux plus jamais les voir un jour dans ma communauté.
Il revient à cette institution, agissant par l’entremise du Parlement, de procéder aux modifications qui s’imposent.
½ (1925)
Le président: Merci, M. Lang.
Madame Brunelle.
[Français]
Mme Paule Brunelle: J'aimerais vous parler de l'implication du crime organisé dans les activités de prostitution. Au cours de notre étude, certains témoins nous ont dit que le crime organisé était très impliqué dans la prostitution et que la plupart des prostituées étaient entre les mains de proxénètes, tandis que d'autres ont soutenu le contraire. Qu'est-ce que votre expérience vous a permis de voir?
[Traduction]
M. Doug Lang: Le crime organisé est en bonne santé au Canada. Je ne crois pas cependant que le crime organisé soit particulièrement actif au plan de la prostitution. Selon moi, le proxénétisme ne constitue pas du crime organisé. Le crime organisé, dans mon esprit, c’est plutôt une organisation du genre des Hells Angels ou de la mafia, une organisation qui s’active stratégiquement au sein d’une communauté pour y perpétrer des crimes. Le proxénétisme n’est pas du même ordre. Un proxénète gère une cohorte de cinq, sept, dix jeunes femmes. À Vancouver, y a-t-il un certain de nombre de femmes sous l’emprise de proxénètes? Si elles travaillent sur le trottoir, ailleurs que dans la partie est du centre-ville là où l’on retrouve le plus de pauvreté, oui, je dirais que la majorité est sous l’emprise de proxénètes. Cela ne me ferait pas broncher si vous deviez me dire que vous avez entendu qu’il en était autrement, car on me raconte une histoire différente à chaque fois que je pose cette question à une prostituée travaillant ailleurs que dans ce quartier de la ville. La réalité, cependant, c’est qu’elles sont sous leur emprise. Je le sais, et je sais même le nom de leur proxénète. Quand je prononce le nom de leur proxénète, elles font un sourire.
Alors, c’est un genre de jeu qui se déroule. Je ne vous livre pas présentement mon témoignage sous serment, mais pour moi c’est tout comme. Pour moi, c’est un honneur d’être ici; j’en suis reconnaissant. Je vous l’affirme : ailleurs que dans la partie est du centre-ville, la majorité est sous l’emprise de proxénètes. Il existe des liens entre eux. À certains endroits de VAncouver, les femmes ne peuvent y faire le trottoir sans craindre qu’un proxénète leur fera du mal. J’ai placé des policières banalisées sur des coins de rue à des endroits où l’on pensait qu’il n’y avait aucun proxénète. Des hommes surgissaient alors avec des couteaux, pourchassant notre policière le long de la rue, et des agents banalisés intervenaient alors pour prendre ces malfaiteurs au collet. Cela nous a plutôt surpris. Le proxénétisme est bien vivant et prospère dans la ville de Vancouver.
Une voix: Qu’en est-il à Kelowna?
Mme Catherine Williams-Jones: Le proxénétisme est bien vivant et prospère dans toute la Colombie-Britannique, et partout au pays d’ailleurs. Dans le cadre de nos activités à titre d’organisme oeuvrant en première ligne avec ces femmes, nous devons nous comporter comme un édifice à accès sécurisé. Nous devons nous assurer d’avoir un bouton d’alarme à la portée de la main et des renforts immédiats en attente lorsque nous procédons à nos activités routinières en classe ou en atelier de jour. Le proxénétisme est en très bonne santé au pays.
½ (1930)
Mme Libby Davies: Pour revenir à votre chiffre de 842, est-ce que cela était pour la seule ville de Vancouver?
Mme Catherine Williams-Jones: Le siège de notre organisme est situé à Kelowna, en Colombie-Britannique, et nous travaillons en collaboration avec 36 différents centres de référence disséminés partout dans la province. Notre mandat est de fournir des programmes aux femmes qui veulent sortir de ce milieu.
Mme Libby Davies: Voilà pourquoi je vous parlais de Vancouver. Alors, le chiffre que vous m’avez cité n’est pas vraiment exact. Il se rapporte à une zone beaucoup plus large, n’est-ce pas?
Mme Catherine Williams-Jones: C’est exact.
Mme Libby Davies: Si je vous ai posé une deuxième fois cette question, c’est parce que nous avions recueilli des témoignages auprès du service de police de Vancouver pendant que nous étions à Vancouver. J’ai été étonnée d’y apprendre que durant n’importe quelle soirée donnée, on pourrait voir quelque 150 prostituées, au maximum. Il s’agit alors d’un chiffre qui serait atteint lors d’un soir très actif. Donc, j’essayais de concilier mentalement le chiffre de 150 par rapport à celui de 842. De toutes les façons, vous avez dissipé cette incertitude dans mon esprit.
J’aimerais revenir aux propos tenus par M. Lang. Je suis particulièrement mal à l’aise au sujet de cette question des rapports entretenus avec la police. Je pense que cela a plutôt tourné au désastre, à Vancouver. Je ne sais pas si vous connaissez le rapport Pivot. L’on y a consigné quelque 57 affidavits décrivant certaines des expériences vécues par des personnes à Vancouver à cet égard. Je respecte ce que vous avez fait, pourquoi vous étiez là, et ce que vous avez cherché à accomplir. Mais j’estime qu’une diversité de problématiques et d’objectifs sont en jeu ici. Quand vous parlez de la volonté de la population, qui vous demandent de prendre ce dossier en main à titre d’ancien policier, je me questionne quant aux motivations réelles derrière tout ça.
Soyons honnête. Je ne pense pas que les gens veulent que les femmes soient agressées. C’est évident. Mais quand on en est au point de séparer les activités entre des adultes consentants par rapport à la notion de nuisance, c’est la notion de nuisance qui motive l’intervention. Je ne vois pas comment il en est autrement. Je ne vois pas comment cela serait devenu une question de préoccupation morale ou un désir profond d’aider les victimes. L’article 213, votre outil d’intervention, est activé par des plaintes motivées par ce qui est vu comme étant une nuisance dans les rues. Voilà pourquoi on a établi cette ligne de démarcation au crayon gras entre ce qui se passe dans la rue et ce qui se passe hors des rues. Alors, faisons-nous vraiment preuve d’honnêteté envers nous-même au sujet de ce qui se passe véritablement en réalité?
M. Doug Lang: Pardonnez-moi, Mme Davies, je ne suis pas certain du sens de votre question.
Mme Libby Davies: Je vous ai posé une question de ce genre un peu plus tôt, et vous m’avez répondu que vous sentiez qu’il y avait un certain impératif à agir, que c’était la volonté de la population qui motivait les interventions. Vous avez dit qu’à titre de policier, c’est ce qui vous aidait à intervenir dans ce domaine. Mais je ne crois pas que cela soit véritablement le cas. Je crois que les gens sont davantage préoccupés de ce qu’ils voient sous l’aspect de la nuisance.
Je pense que les gens veulent au fond que l’on agisse contre la violence. Mais en ce qui concerne les interventions spécifiquement entreprises, je pense que c’est un leurre. Il s’agit davantage d’une question de philosophie.
M. Doug Lang: En effet, c’est une question de philosophie. Ce que vous dites a beaucoup de valeur à mes yeux. Je n’en fais aucunement abstraction. Je pense que vos observations ont du sens, dans une certaine mesure. À titre d’intervenant, je prends aussi en considération mon propre vécu à cet égard. L’autre jour, je suis allé à l’hôpital général de Vancouver rendre visite à une amie malade qui attendait alors dans la salle d’attente. Il fait plutôt sombre dans la salle d’attente, et je ne l’avais pas reconnue lorsqu’une femme de 35 ans s’est soudainement levée, m’a approché, a prononcé mon nom très fort, et m’a serré dans ses bras, et sa mère puis sa grand-mère ont fait de même.
Cela n’est pas vraiment inusité, ça m’arrive à l’occasion. Cette femme était encore une jeune fille lorsque je l’ai sortie de la rue il y a plusieurs années et que nous avons, mon épouse et moi, travaillé ensemble avec elle pour l’aider à s’en sortir. Pour moi, c’est une passion. Pour les policiers et policières qui travaillaient avec moi, sous mon commandement, c’était une passion absolue. Cela n’avait rien à voir avec le Code criminel du Canada, cela n’avait rien à voir avec quelque plaignard au sein de la communauté. Si quelqu’un se plaignait de la prostitution qui se faisait au coin de sa rue, j’appelais à la division des patrouilleurs pour leur demander d’envoyer une autopatrouille pour demander à la personne faisant le trottoir à cet endroit de dégager, de lui demander d’aller ailleurs, parce que la communauté était choquée et que nous ne voulions pas l’arrêter pour avoir troublé la paix.
Les agents de la paix avec lesquels j’ai travaillé pendant plusieurs années dans ce domaine en particulier—il s’agit d’un domaine d’expertise très restreint—ont la passion de leur travail avec ces femmes et se préoccupent vraiment de leur sort, et ce sentiment n’est pas motivé par la communauté.
Je suis tout à fait d’accord avec vous que le modèle plus large d’application des lois est motivé par la communauté. Toutefois, ayant eu l’occasion de prononcer des allocutions à l’invitation de divers groupes communautaires, je crois sincèrement qu’il existe une préoccupation authentique au sein des groupes communautaires qui nous disaient immanquablement la même chose lorsqu’ils avaient l’occasion de parler directement aux agents travaillant dans ce domaine. Oui, il s’agit pour eux de la sécurité des filles et des femmes qui font la rue, absolument. Mais cela va au delà de ça. Cela va au delà de la question de nuisance.
Je crois que ce comité a peut-être eu l’occasion d’entendre des commentaires à cet effet, ou peut-être que non, mais je vous parle à partir de mes trente années d’expérience dont la moitié à peu près ont été dédiées à ce type de problématique. Ce sont là les réponses que j’ai entendues, et c’est donc tout ce que je peux vous relater.
Donc, je suis d’accord avec vous, il s’agit d’une situation où les opinions sont divisées.
½ (1935)
Le président: Merci, madame Davies.
Je poserai maintenant une question à Mme Williams-Jones. Lors de votre témoignage, vous avez précisé, en vous reportant au rapport annuel de votre organisme, que votre organisme est intervenu auprès de 842 femmes et enfants—et cela au cours de l’année écoulée.
Mme Catherine Williams-Jones: C’est exact.
Le président: Votre organisme dispose de 86 lits et offre 18 programmes différents aux femmes exploitées sexuellement. Pourriez-vous nous décrire brièvement les stratégies de retrait que vous préconisez, et nous dire quel est le taux de réussite de ces stratégies? À quelle hauteur placez-vous la barre, et comment avez-vous établi ce paramètre? Traitez-vous des récidivistes, ou est-ce qu’elles ont seulement une occasion et c’est fini après? Et d’où provient votre financement?
Mme Catherine Williams-Jones: NOW Canada reçoit 46 p. 100 de son financement des gouvernements fédéral, provincial, et municipaux. Le reste provient de levées de fonds auprès du secteur privé. Nous offrons un continuum complet de soins à l’intention des jeunes femmes exploitées sexuellement, à partir du jour où elles communiquent avec nous jusqu’à la fin de notre programme de suivi qui s’étend sur sept ans. Il s’agit d’un soutien mis en place dans l’heure à partir du moment où se fait le premier contact, 24 heures par jour, sept jours par semaine, 365 jours par année.
Nous avons mis des structures en place; nous avons un programme de sensibilisation en place; nous avons un programme de services aux enfants en place; nous avons un réseau de résidences permettant de rencontrer les femmes là où elles se trouvent, dans la mesure du possible. Si elles ont des enfants, les enfants sont aussi pris en charge à l’intérieur du programme. Nous dispensons des programmes de thérapie visant à traiter les causes historiques à la base du fait qu’elles se soient retrouvées dans le commerce du sexe.
L’année dernière, nous avons aussi mis sur pied un projet pilote qui connaît un vif succès, augmentant notre taux de rétention de l’ordre de 33 p. 100. Il s’agit d’un programme de thérapie hippique, un projet de thérapie de groupe. Nous offrons un programme d’acquisition d’aptitudes de vie qui s’étale sur quatre mois; ensuite, un programme de suivi des soins sur sept ans; puis nous proposons des milieux de vie en résidence en étapes échelonnées, nous permettant d’évaluer la bonne volonté de chacune des clientes quant à son désir de changer complètement et intégralement son mode de vie.
Si une cliente s’apprête à rechuter, elle ne doit pas retourner travailler dans le commerce du sexe. Elles doivent s’abstenir de toute consommation d’alcool ou de drogue pendant qu’elles participent au programme. Nous pratiquons la politique de l’expulsion à la troisième faute. La première fois, l’expulsion est imposée pour une période de 30 jours. Cependant, une cliente peut appeler en tout temps de son expulsion en revenant nous voir et en reconnaissant qu’elle veut à tout prix changer de mode de vie. Nous établissons très clairement les principes de base avec chaque jeune femme qui passe le seuil de la porte pour entrer chez nous : une fois que vous vous joignez à notre programme, votre clé pourra toujours débarrer notre serrure. La seule chose qui pourrait faire en sorte que vous soyez expulsée de manière définitive du programme, ce serait le fait de recruter des femmes pour le commerce du sexe dans les rangs de nos clientes.
Le président: Quel est votre taux de succès?
Mme Catherine Williams-Jones: Notre taux de succès? Cela dépend de ce que vous entendez par succès. Pour nous, c’est quoi le succès? Notre organisme est en existence depuis sept ans. Nous entamons notre septième année d’activités au sein de notre communauté et dans notre province, et avons retenu les services d’un consultant indépendant dont le mandat est d’évaluer nos programmes et nos services.
Nous demeurons activement en communication avec les clientes de notre service de suivi des soins pendant la période de sept ans. Dès la première journée de la fondation de notre organisme et depuis lors jusqu’à maintenant, notre travail se fait sur la base de l’atteinte d’une année hors du commerce du sexe, de sobriété, et de progrès vers une situation et un mode de vie sain, et nous en sommes à un taux de succès d’environ 63 p. 100 selon ces critères.
Le président: Acceptez-vous n’importe qui qui vient cogner à votre porte?
Mme Catherine Williams-Jones: Non. La plus jeune avec laquelle nous avons travaillé, que nous avons accueillie sans l’implication de ses parents, avait 11 ans. Il faut avoir entre 11 et 29 ans pour accéder au programme et pouvoir démontrer un vif désir de changer son mode de vie.
½ (1940)
Le président: Merci.
M. Hanger, nous avons le temps de passer à une autre ronde, si vous voulez en profiter.
M. Art Hanger: Monsieur le président, j’aurais quelques autres questions, dont certaines découlent de celles que vous avez posées.
Je suis curieux de savoir comment vous vous y prenez avec une jeune fille de 11 ans, et dans quelle proportion accueillez-vous des jeunes de 18 ans et moins.
Mme Catherine Williams-Jones: Je ne crois pas être en mesure de répondre au dernier élément de votre question. Je pourrais obtenir ce renseignement et vous en informer par la suite. La moyenne d’âge des personnes accédant à nos services est de 18 ans.
En ce qui concerne l’enfant de 11 ans, notre équipe de soins et l’organisme comme tel se fait un devoir de traiter toute jeune femme qui accède à nos services à titre d’individu présentant des besoins individuels qui lui sont propres. Le cas de la fillette de 11 ans nous a certainement tous fait un peu peur au départ. Nous jouissons de liens professionnels tissés serré avec les intervenants du ministère responsable de l’enfance et du développement des familles, et disposons d’un foyer homologué par le ministère pour l’accueil des mères et de leurs enfants—lorsqu’une femme se retire du commerce du sexe et a ses enfants avec elle, ou lorsque la garde est retournée par le gouvernement à leur mère à mesure que celle-ci progresse dans le programme. Dans cette situation précise, nous avons choisi de placer l’enfant au foyer en question et de lui fournir de l’aide individuelle, par opposition à une aide du type salle de classe. Nous lui avons affecté une intervenante chevronnée.
En ce qui concerne les jeunes de 18 ans—l’âge de la moyenne des jeunes accédant à notre programme—lorsqu’elles atteignent leurs 18 ans, la plupart du temps elles ont au bout du rouleau. Elles sont tellement aux prises avec la toxicomanie qu’elles arrivent à peine à fonctionner dans le métier. Elles n’ont plus tellement de valeur pour leur proxénète, alors qu’il lorgne déjà cette autre enfant de 12 ans qui traîne dans l’aire des restos du centre commercial, dont l’estime de soi est au plus bas, qui a fort probablement été victime d’agressions sexuelles, et qui ne demande au fond qu’un proxénète arrive, sorte avec elle pendant une couple de semaines, lui achète des vêtements qu’elle aime, l’isolant de sa famille et la recrutant alors pour qu’elle participe au commerce du sexe.
Nous avons observé que, règle générale, les jeunes filles qui accèdent à notre programme et qui ont entre 13 et 17 ans ne réussissent pas à s’en sortir lors de première, de la deuxième, ni même de la troisième tentative; cela peut leur prendre parfois jusqu’à sept tentatives pour arriver à vraiment s’en sortir, et ensuite plusieurs années d’accès au programme et de soutien en suivi.
M. Art Hanger: Donc, c’est votre expérience, à l’effet qu’il est rare qu’une jeune fille se retrouvant devant vous arrive à s’en sortir aussitôt, malgré son désir du moment de vouloir s’en sortir.
Mme Catherine Williams-Jones: C’est exact, et très peu de personnes y arriveront lors de leur première tentative.
M. Art Hanger: J’aurais une autre question, celle-ci au sujet de l’infiltration du crime organisé dans les maisons de débauche, les salons de massage et les services d’escorte. Qui exploite ces établissements? Vous savez, nous avons eu l’occasion de participer à un repas de travail, en quelque sorte, à laquelle participait notamment une dame qui se disait être effectivement être une « maquerelle », et qui était accompagnée de son ami de coeur ou de son mari—bien que j’avoue ne pas être certain quel lien elle entretenait avec lui. Elle était en fait une escorte, et d’autres se disaient aussi être des maquerelles agissant à titre d’escorte, enfin c’est comme cela qu’elles se décrivaient.
Qui perçoit en bout de ligne tout cet argent? Parce c’est bien 50 p. 100 que quelqu’un prend de la fille qui rend les services dont il est question.
M. Doug Lang: Votre question appelle plusieurs réponses. La plupart du temps, selon l’expérience de notre escouade avec les maisons de débauche que l’on retrouve communément dans la ville de Vancouver—ainsi que dans la région dite du Lower Mainland de Vancouver, car l’escouade de la moralité est effectivement une équipe volante qui couvre toute cette région—nous apprend que ce sont des proxénètes individuels sinon des « familles » de proxénètes, comme on les appelle, qui contrôlent plusieurs maisons de débauche à la fois, à la manière d’un cartel. Il s’agit souvent de maisons louées à cette fin. Mais il existe aussi un autre type de proxénétisme, exploitant ses activités dans diverses boîtes de nuit de Vancouver qui appartiennent et sont exploités par le crime organisé ou par les Hells Angels, sous des prête-noms—certainement bien camouflés—grâce à divers stratagèmes profitant d’échappatoires dans la loi. Il est très difficile d’effectuer des interventions policières dans ces endroits; leurs portes sont toujours verrouillées et ils sont dotés de dispositifs de sécurité. Comme je le disais précédemment, il est difficile de mettre en danger des policiers et des policières sans qu’ils ne puissent bénéficier de la protection d’une équipe de couverture, dont l’infiltration est presque impossible jusque dans les locaux précis où les activités sexuelles ont effectivement lieu.
Alors, il y a là quelques éléments de crime organisé, la plupart du temps d’origine vietnamienne, impliquant notamment le trafic de jeunes femmes en provenance d’Asie, passant par la ville de Richmond pour arriver à Vancouver, se allant ensuite ailleurs au pays, dans l’Ouest canadien en particulier. Il y a aussi des femmes qui arrivent de divers pays de l’Est de l’Europe, lesquelles font leurs premières armes ici dans les boîtes d’effeuilleuses ou clubs de danseuses, comme on dit. Le commerce du strip-tease est presque exclusivement la chasse gardée des Hells Angels, à Vancouver. C’est la porte d’entrée, si l’on veut, à la prostitution. Elles sont amenées ici et exercent le métier d’effeuilleuse pendant un certain temps dans diverses boîtes de nuit. Je ne pense pas que vous voulez connaître les noms de ces endroits, mais je pourrais vous les fournir si vous le voulez. Ces boîtes appartiennent dans les faits et sont exploitées par les Hells Angels, à distance, bien entendu.
Donc, à cet égard, le crime organisé est bien vivant et prospère dans le domaine de la prostitution. Toutefois, il s’en tient assez loin, en principe. Règle générale, une fois qu’une femme est « brûlée » de cette expérience, pour ainsi dire, elle continue son métier dans la rue, et le crime organisé ne veut alors rien savoir de ses activités, l’organisation criminelle considérant cette forme de prostitution trop basse dans son échelle de valeurs. Alors, ils restent en retrait et les laissent aller, sans les pourchasser. Mais si l’une de ces femmes osait se retirer pendant qu’elle est encore sous contrat, pour ainsi dire, auprès du crime organisé, on la pourchasserait sans relâche et emploierait au besoin des moyens violents contre elle.
½ (1945)
Le président: Merci, M. Hanger.
Mme Williams-Jones, offrez-vous des programmes à l’intention d’hommes ou de personnes transsexuelles exerçant le métier de prostitué?
Mme Catherine Williams-Jones: Il nous est arrivé de travailler avec des personnes transsexuelles. Nous avons également eu l’occasion de référer des personnes transsexuelles à d’autres programmes. Nous avons eu la chance d’accéder à un très bon programme du côté de Victoria. Il nous a parfois fallu faire preuve de beaucoup de créativité. Par exemple, il y avait un jeune garçon de 13 ans, nommé Justin, qui s’était aventuré dans ce domaine et qui était à risque, et son père avait des craintes légitimes à cet égard; nous avions la capacité de mettre en place certains éléments de soutien pour lui venir en aide. Au niveau de notre organisme, nous avons décidé de simplement changer son nom et de l’appeler Justine aux fins de notre paperasse, et de l’inscrire ainsi à notre programme. Nous aimons bien innover.
Règle générale, toutefois, nous effectuons une référence à un organisme appelé Last Door, à New Westminster. Il n’est pas spécialisé comme tel dans l’intervention auprès des travailleurs du commerce du sexe, mais ils interviennent auprès de ceux-ci lorsqu’ils sont également toxicomanes.
Le président: Merci.
Je crois que notre recherchiste a une question à vous poser.
Mme Julie Cool (attachée de recherche auprès du comité): Mme Williams-Jones, ce comité est chargé d’étudier la législation canadienne entourant la prostitution, alors je suis intéressée par ce que vous avez dit tantôt à l’effet que l’un des critères de votre programme est que la personne manifeste un vif désir de changer son mode de vie. Si l’on devait supprimer l’article 213 du Code criminel, de quelle manière croyez-vous que cela pourrait changer le fait que des personnes accèdent à votre programme ou souhaitent accéder à votre programme? C’est-à-dire, à votre avis, est-ce que si l’on supprimait l’article 213 cela aurait des répercussions sur le fait que des personnes accèdent ou non à votre programme?
Mme Catherine Williams-Jones: Je ne pense pas, parce que je n’ai pas encore rencontré une jeune femme travaillant dans le commerce du sexe qui souhaite demeurer dans ce milieu de manière permanente. Je crois qu’il y aura toujours une demande importante de la part de femmes qui désirent se retirer de ce milieu, et je sais pertinemment qu’en tant qu’organisme, nous sommes encore loin de pouvoir répondre à la demande des femmes qui souhaitent s’en sortir.
Le président: Je pense que nous avons terminé notre soirée de travail.
Nous avons vivement apprécié la franchise et la qualité de vos exposés ce soir, et ces informations nous seront certes utiles dans nos délibérations. Nous apprécions aussi le fait que vous soyiez venus si loin de l’Ouest du pays pour nous rencontrer ici, à Ottawa, dans la froidure. Merci encore.
La séance est levée.