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FOPO Rapport du Comité

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Opinion dissidente de John Cummins, député
au rapport sur le Rôle fédéral en
Aquaculture au Canada

RÉSUMÉ

Pour assurer aux pêches récréatives et commerciales un avenir viable au Canada, il convient de retirer au ministère des Pêches et des Océans son mandat illégitime de promotion de l’aquaculture et de réaffirmer son rôle comme protecteur du poisson sauvage et de son habitat.

La Constitution, le Parlement et les tribunaux ont reconnu la primauté du rôle de protecteur de notre patrimoine marin que doivent assumer le ministre et le ministère des Pêches.

Malgré le constat clair que l’aquaculture n’est pas sans danger, le ministère des Pêches et des Océans n’a jamais pris des mesures policières et judiciaires en vertu de la Loi sur les pêches. Des documents prouvent que le ministère n’a aucune idée de l’ampleur de l’aquaculture dans nos eaux côtières ni de l’endroit où se trouvent les élevages; qu’il a induit le ministre en erreur, l’encourageant à faire de même envers le Parlement et qu’il a en plus menti au public en minimisant les problèmes.

Pour prouver sa bonne foi et faire taire les inquiétudes du public, les tenants de l’aquaculture au sein du ministère ont affirmé que la solution aux problèmes réside dans une nouvelle Loi sur l’aquaculture ou, à tout le moins, une réécriture de la Loi sur les pêches.

Cela est absurde. La Loi sur les pêches confie au ministre tous les pouvoirs qu’il lui faut pour protéger les organismes aquatiques et leur habitat, tout en permettant le développement convenable du secteur aquacole. Demander une nouvelle loi, c’est exiger que l’aquaculture ait priorité sur le poisson sauvage et son habitat, idée avec laquelle très peu de Canadiens seraient d’accord.

Nous reconnaissons que l’aquaculture offre des retombées économiques aux populations côtières mais ces retombées ne seront légitimes que si le ministre des Pêches et son ministère exercent leur responsabilité de protéger le poisson sauvage et son habitat.

L’aquaculture s’est développé et a créé beaucoup d’emplois et de croissance économique dans les localités des côtes canadiennes de l’Atlantique et du Pacifique.

Cependant, une réglementation stable et transparente doit encadrer l’interaction entre l’aquaculture d’une part, et le poisson sauvage et son environnement d’autre part, afin de garantir la viabilité des pêches récréatives et commerciales. Le règlement doit refléter la primauté de la responsabilité constitutionnelle du ministère des Pêches et des Océans envers le poisson sauvage et son habitat.

Le Conseil pour la conservation des ressources halieutiques du Pacifique et le vérificateur général du Canada ont mis en cause l’engagement du ministre des Pêches à protéger les ressources halieutiques du pays contre les effets de la salmoniculture.

L’aquaculture menace la pêche au saumon. Le Conseil conclut que le pou du poisson qui provient des élevages en cages de filet est la cause la plus vraisemblable du déclin des stocks de saumon rose de l’archipel de Broughton…Le gouvernement doit déclarer officiellement que le saumon sauvage prime et gérer le secteur aquacole selon le principe de précaution.

Mémoire du Conseil pour la conservation des ressources halieutiques du Pacifique
au Comité sénatorial permanent des pêches et des oceans
18 mars 2003

« Pêches et Océans ne s’occupe pas pleinement des obligations que lui impose la Loi sur les pêches de protéger les stocks de saumon sauvage du Pacifique et leur habitat contre les effets de la salmoniculture en Colombie-Britannique. Nous avons constaté que le ministère ne s’acquitte pas pleinement de ses responsabilités réglementaires actuelles concernant l’application de la Loi sur les pêches à l’égard des exploitations salmonicoles. »

Les effets de la salmoniculture en Colombie-Britannique
sur la gestion des stocks de saumon sauvage
Rapport du vérificateur général du Canada — décembre 2000

Le défi de l’aquaculture, c’est-à-dire le risque que font courir les opérations aquacoles au poisson et à son habitat sont énumérés dans un document de P.W. MacKay paru en 1999, Perspectives on the Environmental Effects of Aquaculture :

 1)pollution organique du fond marin;
 2)recours aux agents antisalissures sur les structures et les filets;
 3)interactions entre saumon d’élevage échappé et saumon sauvage par contamination génétique;
 4)effets sur les stocks sauvages d’un parasitisme accrû (pou du poisson) provenant des poissons d’élevage;
 5)effets sur l’environnement des médicaments antiparasitaires;
 6)effet cumulé des fermes d’élevage concentrées dans des baies partiellement fermées :
 distorsion des processus biologiques naturels par surcharge d’éléments nutritifs (eutrophisation)
 possibilité accrue d’efflorescences d’algues toxiques
 propagation plus rapide des maladies
 épuisement de l’oxygène en solution

L’aquaculture : qui en est responsable?

Dans son étude de l’aquaculture, le Comité permanent des pêches et des océans devait s’assurer que le ministère des Pêches et des Océans (MPO) remplissait le mandat que la Constitution et le Parlement lui ont confié dans la gestion de l’aquaculture.

Que dit la Constitution?

Le Parlement fédéral a le pouvoir constitutionnel exclusif sur tous les aspects de la gestion des pêches dans les eaux soumises à la marée.

Guide sur les renseignements concernant l’utilisation des ressources halieutiques
à prendre en considération dans l’évaluation des demandes de sites aquacoles
Ministère des Pêches et des Océans, 15 février 2002

La Constitution donne au gouvernement fédéral tous les pouvoirs sur les pêches en eaux côtières, soit là se situent les fermes aquacoles. Le paragraphe 91(12) affirme que le Parlement est responsable des pêches et littorales et intérieures. Le paragraphe 91(10) lui ajoute la responsabilité de la navigation et de la marine marchande.

Quand la Colombie-Britannique s’est jointe à la Confédération en 1871, les conditions de l’union ne laissaient aucun doute quant à la responsabilité fédérale sur les pêches et la navigation. Le paragraphe 5A affirme que le Canada assume et défraie la protection et la promotion des pêches. Les conditions de l’entrée de Terre-Neuve dans la Confédération en 1949 reconnaissent également la responsabilité fédérale sur les pêches.

Que disent les tribunaux?

De 1871 à 1949, les tribunaux ont commenté plusieurs références constitutionnelles aux pêches. Dans la British Columbia Fisheries Reference de 1914, on affirme que « selon l’art. 91 de la Loi sur l’Amérique du Nord britannique de 1867, le pouvoir législatif exclusif du Parlement du Canada s’étend à tous les sujets reliés aux côtes marines et aux pêches intérieures et que l’objet et l’effet de ces dispositions législatives sont de mettre la gestion et la protection des droits apparentés sur la navigation et la pêche en mer et dans les eaux côtières dans le champ exclusif du Parlement du Dominion. »

Depuis 1914, les décisions ont toujours maintenu le pouvoir exclusif du Parlement fédéral sur les pêches en eaux côtières. Dans l’affaire Interprovincial Co-operatives, la Cour suprême du Canada affirme que le pouvoir fédéral sur les pêches « concerne la protection et la préservation des pêches comme ressources publiques, visant à contrôler ou à régir une exploitation fautive indue, peu importe le propriétaire, et même à supprimer le droit d’usage du propriétaire ». En 1996, dans l’affaire Nikal, la Cour suprême affirme que le gouvernement fédéral est « requis de gérer la pêche et de voir à l’amélioration et à l’augmentation des stocks ».

La Cour suprême a déterminé que le gouvernement fédéral a un pouvoir exclusif sur la pollution marine. Dans l’arrêt Crown Zellerbach de 1988, elle affirme que « la pollution des mers, à cause de son caractère et de ses incidences extra-provinciales surtout, mais aussi internationales, est manifestement une matière qui intéresse le Canada tout entier. »

Qu’a dit le Parlement?

Le Parlement a adopté deux lois fondamentales qui autorisent le fédéral à protéger le droit public de pêcher et de naviguer : la Loi sur les pêches et la Loi sur la protection des eaux navigables. La nécessité de protéger le droit de naviguer et de pêcher ne change pas d’une année à l’autre. Les deux lois datent du 19e siècle et ont été modifiées de temps à autre mais les droits sous-jacents à la navigation et aux pêches sont inscrits dans notre Constitution, et remontent à la Grande Charte.

On n’a pas à chercher midi à quatorze heures pour comprendre ce qu’est un obstacle à la navigation. Une pisciculture peut être nouvelle, mais le problème n’est pas là. La seule chose à savoir, c’est si elle fait obstacle à la navigation. L’article 6 de la Loi sur les eaux navigables exige que tout ouvrage placé dans une voie d’eau navigable soit approuvé par le ministre des Pêches.

De la même façon, une menace au droit de pêcher, aux stocks de poisson ou à son habitat, c’est une menace. Que la salmoniculture en cages de filet soit une invention récente ne pose pas de problème à la Loi sur les pêches. La seule chose à considérer, c’est l’impact de la pisciculture sur les pêches publiques, sur les stocks de poisson et sur son habitat. Le développement des piscicultures n’exige pas tant le changement de la loi que son application rigoureuse.

La Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, qui ne s’applique pas uniquement aux questions halieutiques, est aujourd’hui essentielle à la protection de l’habitat du poisson. Adoptée en 1992 mais proclamée seulement en 1995, elle exige l’évaluation des effets potentiellement négatifs sur l’environnement des travaux et des ouvrages. Son règlement, adopté en 1994, prévoit que l’approbation de certains travaux ou ouvrages régis par la loi sur la protection des eaux navigables et la Loi sur les pêches déclenchent une évaluation environnementale.

Enfin, la Loi sur les pêches fait du ministre des Pêches et des Océans l’autorité dans le développement de politiques sur les eaux côtières canadiennes. La responsabilité et l’autorité conférés au ministre pour poursuivre et développer une politique maritime intégrée ne se sont pas encore exercés. Il est regrettable que le Parlement n’ait pas formulé une politique claire dans sa Loi comme il l’avait fait dans la Loi sur les pêches, la Loi sur la protection des eaux navigables et la Loi canadienne sur la protection de l’environnement.

Déclencheurs de l’évaluation environnementale

Article 5 de la Loi sur la protection des eaux navigables : Toute activité exercée en vertu de l’article 5 de la Loi sur la protection des eaux navigables déclenche une évaluation environnementale. L’article 5 prévoit que des travaux ou un ouvrage dans des eaux navigables doit être approuvé en vertu de la loi. L’installation d’une pisciculture dans les eaux navigables doit donc déclencher l’évaluation environnementale. Le ministère a exempté les piscicultures de l’évaluation jusqu’à la fin de 1999. Après beaucoup de tâtonnements, on a établi à la fin de 2002 un modus vivendi pour l’évaluations de la pisciculture de Church House.

Article 35 de la Loi sur les pêches : Cet article interdit la destruction de l’habitat du poisson. Le paragraphe 35(2) déclenche l’évaluation environnementale lorsque le ministre autorise la détérioration, la destruction ou la perturbation de l’habitat du poisson par quelque moyen que ce soit ou en vertu du règlement sur les pêches. Normalement, l’article 35 déclenche l’évaluation après une destruction d’habitat ou quand le ministre a autorisé celle-ci. Une note du ministère explique comme suit au ministre l’application de l’article 35 aux piscicultures :

« Les piscicultures produisent souvent une accumulation de matières organiques : aliments du poisson et excréments à proximité des cages, ce qui peut détériorer l’habitat du poisson, et donc exiger une autorisation en vertu du paragraphe 35(2) de la Loi. Cela n’est susceptible d’arriver qu’après une certaine période d’exploitation de la pisciculture. »

La loi n’est pas appliquée

Le ministre a informé le Parlement le 9 décembre 2002 que les aquaculteurs ont besoin d’une autorisation si on prévoit que se produira une détérioration, une destruction ou une perturbation de l’habitat du poisson. À ce jour, aucun promoteur n’a demandé d’autorisations. Le ministre n’a donc jamais appliqué l’article 35 contre la destruction de l’habitat par les piscicultures, et n’a pas non plus pris de règlements pour régir les piscicultures. Le Conseil pour la conservation des ressources halieutiques du Pacifique a avisé le Comité des pêches que le ministère n’a jamais entrepris d’action policière ou judiciaire en vertu de la Loi sur les pêches.

Comme l’article 35 de la Loi sur les pêches n’a jamais été appliqué pour protéger l’habitat du poisson, l’évaluation en vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale n’a jamais été déclenchée.

Problème de mentalité : on ne veut rien savoir

Le ministère a exempté les piscicultures de l’évaluation en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables jusqu’à la fin de 1999. À ce jour, des 80 à 90 piscicultures exploitées sur le Pacifique, 6 seulement ont fait l’objet d’une évaluation environnementale complète et réussie.

À l’exception des 6 piscicultures approuvées depuis 1999, à peu près toutes les autres de la côte Ouest devraient être évaluées en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables. L’exemption initiale visait la durée du bail provincial et la configuration originelle des filets et des lignes d’ancrage. Beaucoup de permis émis à l’origine par la province ont expiré, les piscicultures ont été déménagées ou doivent l’être vers de nouveaux sites, leurs filets ont été reconfigurés et leurs lignes d’ancrage ont été étendues ou le seront à leur emplacement actuel, au-delà de ce qui avait été exempté avant 1999.

Les mêmes problèmes existent sur la côte Est.

Un document interne du 25 juillet 2002 portant sur la question posée le 16 mai en Chambre sur l’établissement de salmoniculture dans les eaux côtières canadiennes et sur les exigences de la Loi sur les pêches et de la Loi sur la protection des eaux navigables affirme ce qui suit :

Pour répondre à la demande de John Cummins au ministère, de toutes sortes d’informations sur l’approbation réglementaire, il n’y en aurait pas beaucoup, car il semble que le MPO ne recueille pas ou ne conserve pas beaucoup des données demandées (c’est ce que le programme semble découvrir). Le système de suivi des dossiers de l’habitat et le système de gestion des données sur les voies navigables ne fournissent guère d’information, en réponse à la demande de M. Cummins…pour certains aspects de sa demande, M. Cummins sera référé au contact provincial approprié ».

Un document interne du 11 septembre 2002 affirme :

M. Cummins a demandé des détails au sujet du nombre de cages en filet pour la salmoniculture…il veut savoir combien disposent d’autorisations de la Protection des eaux navigables et combine n’ont pas d’autorisations …

Notre première réaction a été de lui dire de demander aux provinces, mais nous pensons que ce serait incorrect.

Nous le référons quand même aux provinces pour plus de détails et pour corroborer nos dires, mais pouvez-vous m’indiquer combien il y a actuellement de piscicultures approuvées dans chaque province et combien sont selon nous en opération?

Un document interne du 17 septembre 2002 affirme :

Nous pensons qu’il y en a environ 16 dans l’eau sans autorisation, connues de nous [dans les Maritimes]. Il y a peut-être plusieurs que nous ne connaissons pas puisque plusieurs pour lesquelles nous n’avons jamais reçu de demandes ont été installées récemment.

Ces documents et d’autres, ainsi que les piscicultures susmentionnées exploitées hors des lois du Parlement, donnent l’impression d’un ministère qui n’a guère idée de ce qui se passe dans nos eaux côtières et qui ne sait pas du tout si les autorisations ont été demandées et données en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables. On a nettement l’impression que le ministère n’est pas intéressé ou ne veut pas appliquer la Loi sur les pêches et la Loi sur la protection des eaux navigables et entreprendre les évaluations environnementales requises. Il faut conclure que le ministère a oublié pourquoi il existe. Ce n’est pas une nouvelle loi qu’il faut, c’est un grand ménage de fond en comble du ministère.

Un arriéré croissant

Parmi les quelques centaines de piscicultures qui existent sur nos deux côtes, seule une poignée détiennent une autorisation en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables à la suite de l’évaluation environnementale réussie qu’exige le Parlement. Sur la côte du Pacifique, plusieurs dizaines de demandes en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables attendent l’évaluation environnementale. Sur la côte Atlantique, l’arriéré est presque aussi long.

En Colombie-Britannique, les délais vont probablement augmenter. Le bail initial accordé dans les années 80 était de 20 ans et la plupart des piscicultures arrivent au renouvellement, ce qui déclenche la demande d’évaluation environnementale en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables. En outre, bon nombre d’exploitants souhaitent prendre de l’expansion dans leur site actuel, l’ont fait sans autorisation ou sont maintenant en infraction par rapport au bail original, ce qui devrait donc avoir déclenché l’évaluation environnementale.

Sur les 8 nouvelles demandes en Colombie-Britannique, aucune n’a été approuvée. Il y a 4 « projets pilotes » et un seul a été approuvé.

Des 17 piscicultures qui ont été re-localisées dans la province, 5 seulement ont subi l’évaluation ont vu et leur site approuvé en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables : passage de Jackson, Hardwicke “B”, baie Marsh, passage Doctor, et Humphrey Rock. Toutes les autres piscicultures sont exploitées illégalement.

Le ministère a informé le Parlement le 9 décembre 2002 que comme les baux provinciaux des piscicultures existantes arrivent à échéance pour le renouvellement, le MPO reverra les sites conformément aux dispositions pertinentes de la Loi sur la protection des eaux navigables. Pourtant, il n’y pas eu une seule autorisation et ni une évaluation en vertu de la Loi avant l’expiration des baux provinciaux en Colombie-Britannique. La province s’est contentée de renouveler le bail de 40 à 50 piscicultures sans l’approbation de la Loi sur la protection des eaux navigables. Ces piscicultures continuent de fonctionner hors de la loi.

Le ministère oublie systématiquement l’article 35 de la Loi sur les pêches qui interdit la détérioration, la destruction ou la perturbation de l’habitat du poisson. En outre, comme à peu près toutes les piscicultures de Colombie-Britannique sont exploitées sans l’autorisation de la Loi sur la protection des eaux navigables pour leurs activités actuelles, l’arriéré est devenu une crise.

Défier la loi

À cause des arriérés et comme les contrevenants ne sont pas poursuivis, les aquaculteurs n’attendent pas d’autorisation avant d’établir ou d’agrandir une pisciculture, d’entreprendre de nouveaux élevages ou de les développer dans leur pisciculture actuelle.

Au début de 2002, Omega Salmon Group a relocalisé des cages à saumon dans l’île de Kent en Colombie-Britannique sans l’autorisation de la Loi sur la protection des eaux navigables ni l’évaluation environnementale qui en aurait découlé. Le 13 mars 2002, l’entreprise a installé les saumons dans l’île. Omega a exprimé également son intention d’installer un élevage dans l’île de Masterman sans avoir demandé l’autorisation ni l’évaluation environnementale.

Le personnel des eaux navigables a visité la pisciculture de l’île de Kent le 7 mai 2002.

Le 3 juin 2002, le ministère a avisé le ministre que la pisciculture était exploitée illégalement dans l’île de Kent et que la province était complice de l’infraction. Le rapport indique :

 Une plongée de reconnaissance dans la zone infralittorale y a révélé une productivité et une biodiversité considérables.
 Le site accueille des populations d’oreilles de mer (espèce menacée), d’oursins rouges, violets et verts et de concombres de mer
 Outre les dangers pour la sécurité maritime et l’impact potentiel sur l’habitat, Omega a dévié de son plan de gestion projeté.
 La pisciculture de l’île de Kent sert actuellement à l’élevage de [MOTS SUPPRIMÉS] saumons de l’Atlantique au lieu de [MOTS SUPPRIMÉS] l’espèce proposée dans le plan de gestion…
 Le ministère de l’Agriculture, des Pêches et de l’Alimentation de la Colombie-Britannique a envoyé un mémoire au procureur au sujet de la pisciculture non autorisé dans l’île de Kent. De plus, le ministère a émis un permis…

Le ministère n’a jamais pris de mesure policière et prétend étudier encore le dossier en vue d’une éventuelle poursuite en vertu soit de la Loi sur les pêches, soit de la Loi sur la protection des eaux navigables. Depuis, la pisciculture a cessé ses opérations dans l’île.

Pressions sur le ministère pour contourner l’évaluation

Des documents ministériels alertent le ministre au sujet des pressions que le personnel reçoit même lorsque les problèmes environnementaux sont reconnus :

La pisciculture du passage d’Oscar est encore sous examen de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale et il y a des pressions considérables de la part de Marine Harvest pour expédier le processus. Les fonctionnaires du MPO ont fait une visite rapide et noté ce qui constitue selon eux la très grande valeur écologique de ce secteur, dont une population peut-être importante d’oreilles de mer. [juin 2002]

Contribution à une activité illégale

Quand le MPO a refusé d’appliquer les dispositions de la Loi sur les pêches sur la protection de l’habitat, l’ancienne députée fédérale britanno-colombienne Lynn Hunter a intenté une poursuite privée contre Stolt Sea Farms en 1999. À partir du témoignage de Mme Hunter, le tribunal a accepté d’ouvrir un dossier. Il est clair que les opérations de Stolt avaient causé des destructions à l’habitat du poisson. Au nom du ministère des Pêches, les avocats du ministère de la Justice ont pris la poursuite à leur compte. Plutôt que d’accuser Stolt, la Couronne a cherché à faire suspendre la poursuite. On a prétendu qu’elle considère ne pas faire condamner Stolt parce que le ministère des Pêches était au courant de la destruction d’habitat probable et qu’il avait pourtant encouragé les opérations aquacoles. Le MPO ne pouvait pas poursuivre une partie à laquelle il était lié.

À l’heure actuelle, la Loi sur les pêches n’est pas appliquée et aucun règlement de cette Loi ne déclenche l’évaluation. Si la Loi sur la protection des eaux navigables était appliquée, elle pourrait entraîner la fermeture de la plupart des piscicultures existantes, car celles-ci ne sont pas exploitées conformément à la Loi.

Le conseiller principal du Sierra Legal Defence Fund, Me Angela McCue, a affirmé devant le Comité des pêches qu’elle en était arrivée à la conclusion inéluctable que l’aquaculture, telle que pratiquée actuellement en Colombie-Britannique, est illégale et met gravement en péril les stocks déjà vulnérables du saumon du Pacifique sauvage.

Il est difficile de contester la conclusion de Mme McCue. La plupart des piscicultures britanno-colombiennes ne semblent se conformer ni aux dispositions sur la protection de l’habitat de la Loi sur les pêches ni à la Loi sur la protection des eaux navigables.

Les stocks de poisson sont en voie d’extinction dans l’archipel de Broughton

Dans An Evaluation of Knowledge and Gaps Related to Impacts of Freshwater and Marine Aquaculture in the Aquatic Environment, un rapport réalisé pour le compte du MPO paru en décembre 2000, on fait état des dangers que font courir les fermes d’élevage de saumon qui peuvent constituer de véritables incubateurs de maladies, lesquelles peuvent alors être transmises aux stocks sauvages :

Il y a lieu de s’inquiéter au sujet des effets des espèces d’élevage sur les stocks sauvages, en particulier dans le cas des salmonidés. L’incidence et la transmission des maladies en particulier sont très préoccupantes. On observe souvent une forte incidence de maladies dans les fermes du fait du surpeuplement et d’autres conditions favorables à la propagation des organismes pathogènes. Outre qu’elles exigent l’emploi d’antibiotiques et de produits thérapeutiques […] le risque de propagation et de transmission des maladies des espèces cultivées aux stocks sauvages est réel. (Noakes et al. 2000)

Une grave infestation de poux du poisson a été observée en 2001 dans l’archipel de Broughton, le secteur de la Colombie-Britannique où la concentration des fermes est le plus élevée. En 2002, le président du Conseil pour la conservation des ressources halieutiques du Pacifique John Fraser a qualifié la situation dans l’archipel de crise et signalé que, dans certains passages, la montaison du saumon rose ne représentait plus qu’entre un centième et un millième. Une baisse de 99.9 % n’est pas seulement brutale, mais signifie que certaines montaisons de saumon rose sont au bord de l’extinction.

M. Fraser a récemment dit au Parlement que, d’après le témoignage de biologistes des pêches du MPO, on a des raisons de conclure à l’existence d’un lien entre la présence du pou du poisson dans les élevages de poisson et sa présence aussi sur les saumoneaux, et que cela les tue.

M. Jeff Marliave, biologiste de la vie aquatique, vice-président chargé des sciences de la mer à l’Aquarium de Vancouver et membre du Conseil pour la conservation des ressources halieutiques du Pacifique, a expliqué au Parlement pourquoi les saumoneaux roses étaient si vulnérables. En effet, contrairement au saumon coho, au saumon quinnat, au saumon arc-en-ciel et au saumon de l’Atlantique, le saumon sockeye, le saumon kéta et le saumon rose ont des saumoneaux exceptionnellement petits. « Le petit du saumon rose est le plus menu […] et c’est ce qui explique la mortalité; ils sont trop petits pour supporter ce genre d’infection, qui n’est pas normale. »

M. Marliave a dit que, du fait que les fermes salmonicoles sont situées dans des eaux protégées comme l’archipel de Broughton, des concentrations de millions de saumons adultes assurent le cycle de vie du pou du poisson près des estuaires d’où sortent les saumoneaux, ce qui montre clairement que le MPO a laissé les fermes s’installer au mauvais endroit.

M. Fraser a rappelé au Ministère l’expérience et les recherches des Européens sur le pou du poisson et ses effets notamment en Irlande, en Écosse et en Norvège. On a constaté, dit-il, que le pou du poisson constituait une menace pour les saumoneaux dans les secteurs où se pratique une aquaculture intensive du saumon, comme c’est le cas dans l’archipel de Broughton, et que la mortalité à proximité des élevages atteignait près de 50 % en Norvège. M. Fraser a déploré que le MPO n’ait pas de programme de recherche à ce sujet, comme il y en a en Europe.

M. Fraser est persuadé qu’on risque de causer des dommages irréversibles à la montaison du saumon dans l’archipel de Broughton et a réclamé l’enlèvement du saumon de tous les sites exploités d’ici la fin de février 2003, ce que le Ministère a refusé.

Le MPO fait parfois valoir que les exploitants de ferme d’élevage vont d’eux-mêmes faire ce qu’il faut pour réprimer les infestations de pou du poisson parce qu’il est dans leur intérêt de le faire par souci de rentabilité. Cependant, le degré de lutte contre le pou du poisson suffisant pour préserver la rentabilité d’une ferme d’élevage n’est pas nécessairement suffisant pour protéger les stocks sauvages. D’après un récent rapport de recherche norvégien de P.A. Heugh, Public Management of the Salmon Louse Problem in Norway: Where Are We Heading?, le degré de contrôle des infestations de poux du poisson nécessaire pour protéger les stocks d’espèces sauvages dépasse le niveau requis des exploitants de ferme d’élevage pour des considérations purement financières. C’est bien sûr ce qui explique les reproches que John Fraser et d’autres adressent au MPO. Pour eux, débarrasser les fermes d’élevage du pou du poisson pour protéger les saumoneaux n’est pas une action privée à laisser aux exploitants de ferme d’élevage.

Tergiversations et dénégations

Les aliments pour poisson et les excréments de poisson associés aux fermes aquacoles dévastent l’habitat du poisson à proximité des fermes. Des produits chimiques thérapeutiques ajoutés aux aliments pour poisson sont régulièrement introduits dans l’environnement sans qu’on en connaisse vraiment l’impact et en l’absence de tout cadre réglementaire aux termes de la Loi sur les pêches. Par exemple, le pou du poisson pose de sérieux problèmes aux exploitants de ferme aquacole des deux côtes, mais aucun médicament d’usage général n’a encore été homologué. On s’en remet toujours à des procédures de distribution de médicaments d’urgence.

Le médicament utilisé le plus couramment, l’émamectine, habituellement commercialisée sous le nom commercial Slice, ne peut être obtenue légalement qu’en cas d’urgence. Or, on a eu recours à la procédure de distribution de médicaments d’urgence 156 fois en 2001 et 170 fois en 2002. Rien qu’en Colombie-Britannique, des centaines de millions de poissons ont été traités, par le biais de cette procédure, au moyen d’un médicament dont les effets sur les poissons sauvages et les invertébrés n’a jamais fait l’objet d’une évaluation environnementale.

Il existe très peu d’information sur l’évolution dans l’environnement et les conséquences écologiques de ce produit en milieu marin. Les organismes les plus susceptibles d’être affectés par l’émamectine sont ceux qui vivent dans les sédiments situés sous les parcs en filet, le produit étant très peu soluble dans l’eau et pouvant facilement se lier aux particules en suspension. Une bonne partie de l’émamectine qui atteint les sédiments sera associée à des matières en suspension comme des excréments de poisson et des aliments pour poisson non consommés. Elle demeure présente longtemps dans les sédiments, car elle a une demi-vie (le temps nécessaire pour que sa concentration baisse de moitié) d’environ 175 jours. L’émamectine est fort probablement dangereuse pour les invertébrés.

Un document de 2002 de scientifiques du MPO, Emamectin Benzoate Induces Molting in American Lobster, a révélé ce que beaucoup de pêcheurs craignaient depuis longtemps : le produit a de graves effets secondaires sur le homard : 78 % des homards ont mué après avoir ingéré le produit et 89 % des femelles ovigères à ce moment-là ont perdu leurs œufs. Les scientifiques concluent que leurs résultats apportent la preuve concluante que le benzoate d’émamectine bouleverse le système endocrinien qui assure la régulation de la mue chez le homard américain.

Les pêcheurs de crevettes de la Colombie-Britannique ont remarqué des problèmes qui pourraient fort bien être liés à l’émamectine ou à des produits chimiques connexes utilisés dans les fermes aquacoles. Jeff Mikus, un pêcheur de crevettes de Ladner en Colombie-Britannique, signale ce qui suit :

Nous ne prenons jamais rien près des fermes aquacoles […] autrefois, nous ramenions des petits crabes, des crevettes, des étoiles de mer, quelques fois des pieuvres, mais maintenant, plus rien.

Un autre pêcheur, Bob Cameron, nous a dit :

Plus je pêche près d’une ferme d’élevage de saumon, moins j’ai de prises dans mes casiers. C’est une observation d’autant plus importante que les fermes d’élevage de saumon sont généralement situées à l’embouchure des rivières et des fleuves — des endroits où on s’attendrait normalement à trouver une forte concentration de crevettes.

La fiche signalétique de sécurité de produit préparée par Schering-Plough, le fabricant du produit, indique que l’émamectine est toxique pour les crevettes au stade de la mysis à une concentration de 0,043 parties par milliard et ajoute en mise en garde que le produit est très toxique pour les organismes aquatiques.

La fiche signalétique de l’Université Oxford sur l’émamectine porte ce qui suit :

Très toxique pour les organismes aquatiques. Toxique pour les abeilles. Peut avoir des effets néfastes de longue durée sur l’environnement. Ce produit ne se dissipe pas rapidement dans l’environnement, car il a tendance à être absorbé par les particules du sol. Sa demi-vie dans l’environnement est estimée à entre 8 et 15 mois.

Le rapport du Service d’évaluation des médicaments vétérinaires de l’Agence européenne pour l’évaluation des médicaments, un organisme de l’Union européenne, indique que des signes cliniques de toxicité de même qu’une dégénérescence du cerveau, de la moelle épinière et du nerf sciatique ont été observés chez le rat, à tous les dosages. Les exploitants de ferme aquacole sont censés cesser l’utilisation du produit soixante jours avant l’abattage, mais on peut se demander comment le MPO fait respecter cette prescription puisqu’il n’a pas fait prendre de règlement en ce sens aux termes de la Loi sur les pêches. On se demande aussi comment le MPO peut protéger les gens qui pourraient pêcher et consommer du homard ou des crevettes provenant des alentours des fermes d’élevage où le produit est présent dans l’environnement marin. Le Comité a appris que le MPO avait enjoint aux Autochtones dont le régime alimentaire normal comporte une bonne part de crevettes de ne pas consommer celles qui proviennent des alentours des fermes d’élevage de poisson. Le rapport de l’Union européenne indique qu’il n’existe pas d’information sur les effets potentiels sur les humains.

Ce produit étant toxique pour les crevettes, le homard et les autres invertébrés, son utilisation devrait être interdite par l’article 35 de la Loi sur les pêches à proximité des habitats de la crevette, du homard et des autres invertébrés. En tant qu’organe de réglementation et protecteur des espèces de poisson sauvages et de leur habitat, le MPO devrait être obligé de faire part de ses préoccupations à Santé Canada. Or, il semble que le MPO, grand partisan de l’aquaculture, a omis d’informer le responsable de la réglementation des médicaments des préoccupations légitimes que suscite ce produit au sujet de l’habitat du poisson.

Ce produit est seulement partiellement efficace dans la lutte contre le pou du poisson chez le saumon d’élevage.

Prostituer la science et les évaluations environnementales : l’archipel de Broughton

La densité de population est un facteur clé de la santé du poisson, des maladies, des parasites et de l’emploi de produits chimiques thérapeutiques. Aucun règlement n’a été pris aux termes de la Loi sur les pêches sur le nombre de poissons, le nombre de parcs, et ainsi de suite qui peuvent être situés dans une baie ou un cours d’eau qui prenne en considération la capacité de charge de la zone environnante.

Comme il a des missions incompatibles, à savoir promouvoir l’aquaculture et protéger le poisson sauvage et son habitat, le MPO a été incapable d’instituer des critères efficaces de protection de l’environnement dont la priorité serait la protection du poisson sauvage et de son habitat. Chaque demande est étudiée isolément sans égard à la capacité des zones interdépendantes comme l’archipel de Broughton de supporter le nombre des fermes qui ont été autorisées.

Par exemple, l’établissement d’une ferme à l’îlot Doctor a été approuvé en septembre 2001 en dépit du fait qu’une grave infestation de poux du poisson avait été rapportée dans l’archipel de Broughton le printemps précédent. Le personnel des Eaux navigables qui a approuvé le site avait été informé que les scientifiques du MPO avaient déclaré l’archipel de Broughton parfaitement sain.

Le Ministère a dit publiquement qu’il avait confiance dans ses études scientifiques qui contredisent les résultats de la chercheure Alexandra Morton. Il affirme que ses propres recherches confirment que les fermes d’élevage ne sont pas la source de l’infestation de poux du poisson. Or, des notes de service internes racontent une autre histoire. Le Ministère savait dès le départ que ses propres études n’étaient pas fiables, qu’elles avaient été réalisées au mauvais endroit, au mauvais moment et au moyen des mauvaises méthodes.

Un document en date du 10 juillet 2001 précise : « Vu la grande quantité de pertes d’écailles dans les échantillons et l’attachement très ténu des jeunes poux au poisson hôte […] cet échantillon de chalut pourrait entraîner une importante sous-estimation de la population de poux. »

Un document en date du 11 juillet 2001 jette encore le doute sur la situation : « si ces poissons avaient été pris suivant une méthode scientifiquement éprouvée, je dirais qu’il s’agit-là d’un compte de parasites normal, mais vu la méthode qui a été employée, je ne dirai rien. »

Le ministre des Pêches Thibault a reçu le 5 avril 2002 des instructions sur la manière de répondre aux questions à ce sujet. On lui a dit de dire que, d’après l’étude scientifique réalisée par le MPO, il n’y avait pas de problème de pou du poisson dans l’archipel de Broughton. En dernière analyse, on a conseillé au Ministre d’induire le Parlement en erreur :

Pêches et Océans Canada a pu […] effectuer deux études dans la zone où on a pu constater la présence du pou du poisson. D’après ces études, il ne semblait pas y avoir de menace pour la population de saumon sauvage. Les saumons juvéniles roses, de kéta et de coho prélevés au cours des deux études étaient en très bon état et révélaient des niveaux normaux de taux d’infestation.

On lui a aussi conseillé de dire qu’il n’existait aucune étude indiquant transmission du pou du poisson des saumons d’élevage aux saumons sauvages.

Il se trouve cependant que des études du pou du poisson réalisées en Irlande, en Écosse et en Norvège ont révélé systématiquement que les concentrations de poux du poisson augmentaient considérablement avec chaque nouvelle ferme d’élevage, au point souvent de décimer les jeunes saumons et truites de mer, ce qui finit par précipiter l’effondrement des stocks.

Dans Wild Salmoniods and Sea Louse Infestations on the West Coast Of Scotland: Sources of Infections and Implications for the Management of Marine Salmon Farms, James Butler affirme que les infestations de poux du poisson dans les zones d’élevage du saumon de la Norvège sont à l’origine d’une mortalité de saumoneaux de 30 à 50 % chez la truite de mer et de 48 à 86 % chez le saumon. Il ajoute que, en Norvège et en Irlande, les baisses de salmonidés sauvages dans les zones d’élevage sont liées à une aggravation des infestations de poux du poisson provenant des fermes salmonicoles. On a fait des observations analogues en Écosse où les prises de saumon sauvage et de truite de mer à la canne ont considérablement diminué dans la zone d’élevage du saumon de la côte ouest. Butler signale aussi qu’en Norvège, on estime que les évadés produisent six fois plus de larves de poux du poisson que les salmonidés sauvages et compliquent singulièrement la lutte contre le pou du poisson.

La ferme de l’îlot Doctor, dans l’archipel de Broughton, est toujours en exploitation. L’approbation initiale n’a fait l’objet d’aucun réexamen approfondi. En outre, un nouvel emplacement d’élevage à Humphrey Rock, dans le même archipel, a été approuvé en mars 2003, en pleine connaissance des problèmes potentiels.

Comment le Ministère s’est-il compromis?

Le Ministère s’est compromis de par ses obligations conflictuelles qui le rendent à la fois régulateur et promoteur de l’aquaculture.

En 1995, le Cabinet a avalisé la Stratégie fédérale de développement de l’aquaculture, laquelle faisait du MPO, protecteur et régulateur des pêches publiques, un promoteur de l’aquaculture. Pour se conformer à la Stratégie de développement de l’aquaculture, le Ministère a mis en place une Politique en matière d’aquaculture qui lui permettrait de s’acquitter de ses responsabilités selon les principes stratégiques suivants :

 Le MPO offrira aux aquaculteurs un accès prévisible, équitable et opportun à la base de ressources aquatiques.
 Le MPO s’efforcera de veiller à ce que ses propres cadres législatifs et réglementaires favorisent le développement du secteur aquacole à égalité avec les autres secteurs.
 Le MPO fera tout ce qu’il faut pour comprendre les besoins du secteur de l’aquaculture et y répondre de façon à appuyer son développement.

La Politique en matière d’aquaculture stipule que la mise en place de conditions propices au développement de l’aquaculture relève de tous les secteurs et de toutes les régions du MPO. Pour rendre cette politique exécutoire, il faudrait examiner les cadres, les politiques et les programmes législatifs et réglementaires en vigueur pour voir s’ils sont conformes à la Politique.

La Politique en matière d’aquaculture a fait grand cas de la réorientation du MPO, qui a délaissé son rôle traditionnel de régulateur et de protecteur des pêches publiques : « Pour respecter sa vision du développement de l’aquaculture, le MPO devra réorienter ses valeurs organisationnelles. Tous ses employés devront s’engager à favoriser le développement de l’aquaculture ». Si la mission du Ministère consistait d’abord à protéger et à améliorer les pêches publiques et le droit à la navigation, comme le prévoient la loi et la Constitution, il est maintenant tenu de veiller à ce que ses évaluations, ses règlements, ses politiques et ses programmes fassent la promotion de l’aquaculture.

La Politique du MPO en matière d’aquaculture est contraire à son mandat constitutionnel et législatif. Il n’est pas étonnant, dans ce cas, de constater que le Ministère ne fait que commencer à entreprendre des évaluations environnementales, comme le prescrit la Loi sur les évaluations environnementales, et qu’il ne s’est toujours par conformé à la Loi sur les pêches. Il n’est pas étonnant non plus que les scientifiques du MPO aient éludé les problèmes d’interaction entre les fermes d’élevage et les stocks de poisson sauvage ou qu’ils se soient sentis contraints à participer à des enquêtes falsifiées qui tromperaient le public.

Le MPO ne devrait pas avoir à promouvoir l’aquaculture : il pourrait ainsi revenir à son mandat premier, celui de protéger les pêches publiques et l’habitat du poisson.

Apaiser la bête : une nouvelle loi pour régler le problème?

Pour éviter la crise, il y aurait lieu d’appliquer la Loi sur les pêches et d’élaborer un règlement qui protégerait les stocks de poisson sauvage et leur habitat contre les impacts de l’élevage. Si l’on disposait d’un cadre réglementaire stable, inspiré de la Loi sur les pêches et de ses critères sous-jacents sur la protection du poisson sauvage et de son habitat, le Ministère promulguerait un règlement qui limiterait les impacts de l’aquaculture sur le milieu marin.

Toutefois, le Ministère juge plus approprié d’adopter une nouvelle loi — soit en formulant une Loi sur l’aquaculture entièrement indépendante ou en modifiant en profondeur l’actuelle Loi sur les pêches. Pour justifier son choix, le Ministère prétend qu’il faut moderniser la gestion des pêches et donner accès au secteur de l’aquaculture. Des documents internes révèlent que le Ministère s’estime tenu, de par son programme législatif, de nouer des relations avec le Comité des pêches pour obtenir les résultats escomptés. Autrement dit, pour manipuler le Comité de façon que son rapport recommande la formulation d’une Loi sur l’aquaculture indépendante ou le remaniement de la Loi sur les pêches.

Il est essentiel que le cadre réglementaire et le contexte s’appliquant à l’aquaculture soient conformes et fondés sur la Loi sur les pêches. Ce ne sont pas les failles de la Loi sur les pêches qui ont engendré le chaos réglementaire dans la gestion des eaux côtières, mais plutôt sa non-exécution. Il est naturel que les promoteurs des fermes d’élevage travaillant au MPO préfèrent éviter les restrictions de la Loi et préconiser l’adoption d’une Loi sur l’aquaculture. Cela revient toutefois à faire fi du fondement constitutionnel du Ministère et de la Loi sur les pêches.

Il serait pourtant abusif de prôner l’adoption d’une Loi fédérale sur l’aquaculture. Les tenants d’une telle mesure ont certainement oublié, on peut le supposer, la raison d’être du Ministère et de la Loi sur les pêches, ce qui explique pourquoi ils ont jugé opportun de ne pas se préoccuper des pêches publiques et des stocks de poisson desquels dépend la pêche commerciale et récréative du saumon.

Quand on a demandé à M. Fraser s’il voyait l’adoption d’une nouvelle Loi sur l’aquaculture comme une solution viable, il n’a laissé aucun doute planer sur sa position :

« Je ne sais pas si l’adoption d’une Loi sur l’aquaculture réglerait le problème, mais je sais que les gens qui suivent l’évolution de ce dossier en Colombie-Britannique pensent que le ministère des Pêches et des Océans se trouve dans une position fort peu enviable, celle de promouvoir l’aquaculture. Ils ont l’impression que ceux qui s’interrogent sur les liens entre l’aquaculture et ses conséquences possibles sur le saumon sauvage se font mettre de côté. Pour eux, la motivation qui sous-tend le développement de l’aquaculture, la création d’emplois, est telle que lorsqu’ils font appel au MPO pour obtenir des réponses ou des mesures de protection du saumon, ils ne savent plus s’ils font affaire avec un ministère chargé du développement de l’aquaculture ou de la protection du saumon sauvage.

Voilà qui résume assez bien l’affaire. Je pense qu’il ne faut pas prendre la situation à la légère, car il s’agit d’une question de confiance envers une grande institution fédérale.

Quand des citoyens commencent à douter que la protection du saumon sauvage passe avant la promotion de l’aquaculture, on peut dire qu’on a un problème de confiance. Quand la population n’a plus confiance en ses grandes institutions fédérales, la démocratie en souffre. Notre système politique en souffre aussi beaucoup, mais surtout, dans ce cas-ci, ce sont les stocks de poisson qui en souffrent ».

Résolution

« Dans le domaine de la gestion, nous recommandons que le MPO exécute ses responsabilités constitutionnelles en matière de conservation et que son rôle de conservateur des ressources relevant du palier fédéral ne soit aucunement diminué. »

L’hon. John Fraser, Rapport de la Commission
d’examen public sur le saumon rouge du Fraser

Comment le MPO est-il arrivé si près du gouffre?

Le Ministère s’est fait corrompre par une stratégie de développement de l’aquaculture dont la mission l’a transformé en agent de promotion de l’aquaculture.

Dans sa précipitation à promouvoir l’aquaculture, le Ministère a menti à son ministre, lui a conseillé de mentir au Parlement et a menti au public.

C’est seulement lorsqu’on est confronté à un conflit fondamental et dominant qu’il devient astreignant de dire la vérité et d’administrer honnêtement des lois séculaires.

Il ne sera pas facile d’empêcher les fermes d’élevage de nuire au poisson sauvage et à son habitat. La Norvège, l’Écosse et l’Irlande n’y sont pas toujours arrivées mais, au moins, elles ne font plus comme si de rien n’était et tentent de trouver des solutions.

Pour mettre fin à la corruption qui règne au ministère des Pêches et des Océans, il faut avant toute chose lui retirer la responsabilité de l’aquaculture, car elle s’oppose radicalement au mandat confié au Ministère par le Parlement et la Constitution. La protection des pêches publiques, du poisson sauvage et de son habitat doit revenir au centre des préoccupations primordiales du Ministère.

Ensuite, il y a lieu de rejeter la notion selon laquelle il nous faut adopter une nouvelle Loi sur l’aquaculture ou remanier en profondeur la Loi sur les pêches. Si on les lit attentivement, on constate que les rapports de John Fraser et de la vérificatrice générale dénoncent sans équivoque la non-exécution de la Loi sur les pêches et de la Loi sur la protection des eaux navigables comme étant la source du problème, et non les lacunes des lois elles-mêmes. Ni l’un ni l’autre ne pensent qu’une nouvelle loi viendrait régler la situation.

La Loi sur les pêches devrait servir à mettre en place un cadre réglementaire stable et transparent portant sur les activités aquacoles en milieu marin et visant à protéger le poisson sauvage et son habitat. Le règlement devrait tenir compte des points suivants :

 1)

Le règlement doit être clair, non ambigu, exécutoire et porter fruits. Le Conseil pour la conservation des ressources halieutiques du Pacifique a recommandé au Parlement de ne pas adopter un règlement qui soit axé sur le rendement ou les résultats : « Nous doutons que ce type de règlement puisse protéger l’habitat du poisson. À preuve, le règlement portant sur la gestion des déchets produits par les enclos de filets, lui-même axé sur les résultats, ne réussit pas à protéger le fond océanique des dommages causés par les granules de nourriture et les excréments du saumon d’élevage ». Le Conseil cite une étude du MPO publiée en 2002, intitulée Point de vue concernant l’utilisation de normes axées sur la performance pour faciliter la gestion de l’habitat du poisson situé sur le fond marin, près d’installations d’élevage de saumons dans des enclos de filets en Colombie-Britannique, selon laquelle les normes proposées — axées sur les résultats — ne suffisent pas à prévenir la perte de production dans les habitats des fonds vaseux à proximité des enclos de filets.

 2)

Le règlement doit interdire l’introduction dans le milieu marin de poisson d’élevage génétiquement modifié.

 3)

Le règlement doit limiter le nombre de poissons par enclos de filets, car la densité représente la principale variable en termes de propagation des maladies et des parasites. Par ailleurs, plus la densité est forte, plus il faut avoir recours à des médicaments et à divers produits chimiques pour contrôler les maladies et les parasites.

 4)

Le règlement doit empêcher le poisson d’élevage de s’échapper dans le milieu marin et prévoir un mécanisme fiable pour le signalement des fuites, qui seraient consignées dans un registre public administré par le MPO.

 5)

L’emplacement des fermes d’élevage doit être réglementé. Le règlement doit établir des zones interdites (à l’embouchure des rivières à saumons, par exemple) et des zones autorisées (les baies et les ruisseaux), en fonction de la capacité de charge des cours d’eau.

 6)

Le règlement aurait comme objectif l’élimination du pou du poisson dans les piscicultures situées dans des zones fréquentées par des saumoneaux, conformément à l’avis du Conseil pour la conservation des ressources halieutiques du Pacifique, selon qui le pou du poisson dans les fermes d’élevage constitue le risque sanitaire le plus grave et le plus immédiat. Durant les périodes où l’on sait que de jeunes saumons sont à proximité, il y aura zéro tolérance envers le pou du poisson.

 7)

Le règlement doit obliger les aquaculteurs à signaler les incidences de maladies, la présence de parasites et l’utilisation de médicaments ou de produits chimiques comme traitement ou à titre préventif. Toutes les données seraient consignées dans un registre public administré par le MPO.

 8)

Le règlement devrait prévoir la surveillance et le contrôle de tous les effluents, y compris de la nourriture et des excréments, ainsi que de tous les produits chimiques et médicamenteux introduits dans le milieu marin à partir des fermes d’élevage.

Le règlement aurait pour objet de protéger le poisson sauvage et son habitat en conformité avec la Loi sur les pêches. Le règlement irait de pair avec la responsabilité exclusive du gouvernement fédéral envers les pêches et le milieu marin, tel que le prescrit la Constitution.

On n’a pas fait bon usage de la science pour informer les décideurs. Cela doit changer.

En janvier 2003, le Conseil pour la conservation des ressources halieutiques du Pacifique a fait part au ministre de certaines observations et recommandations pratiques sur le renouvellement du MPO :

 1)

Le MPO doit entreprendre un vaste programme de recherche et de surveillance sur l’interaction entre le saumon sauvage et le saumon d’élevage et trouver des moyens de réduire les impacts des fermes d’élevage.

 2)

Le MPO doit s’employer sans délai à formuler à et mettre en œuvre une politique exhaustive sur le saumon sauvage qui énoncera explicitement que le gouvernement accorde la priorité au saumon sauvage dans son processus décisionnel.

 3)

L’incertitude quant à l’ampleur des risques sanitaires et des autres conséquences potentielles de l’aquaculture empêche le MPO de gérer efficacement les ressources de saumon sauvage.

 4)

Le MPO devrait réorienter la recherche et la surveillance vers les questions liées à l’interaction entre le saumon d’élevage et le saumon sauvage.

 5)

Le MPO est tenu de se conformer à son devoir et à sa responsabilité de protéger les stocks de poisson sauvage et de préserver leur habitat.

 6)

Le MPO devrait examiner et analyser les problèmes au fur et à mesure qu’ils surgissent, sans attendre que les stocks de saumon sauvage n’aient subit des dommages sérieux ou irréversibles.

 7)

Le MPO doit faire preuve d’ouverture et de transparence dans ses décisions relatives à l’emplacement des fermes d’élevage.

Ce ne sont pas des paroles en l’air. Voici ce qu’a déclaré à ce sujet Gordon Ennis, du Conseil pour la conservation des ressources halieutiques du Pacifique, lors de son témoignage devant le Comité des pêches de la Chambre des communes, le 25 février 2003 :

« Les recherches plus poussées et les activités de surveillance ne suffisent plus, même si elles demeurent importantes. Nous devons prendre des mesures concrètes. »

Nous sommes tout à fait d’accord. L’heure n’est plus à la collecte de données mais à l’action. Il faut faire le ménage du Ministère et se débarrasser de ceux qui ont sapé son travail légitime; ceux qui souhaitent éviter qu’on n’administre la Loi sur les pêches comme avant, en donnant la priorité au poisson.