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FAAE Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 048 
l
1re SESSION 
l
39e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 17 avril 2007

[Enregistrement électronique]

(0900)

[Traduction]

    Nous entamons la 48e séance du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.
    Je vous souhaite à tous un bon retour. Je dis « à tous » avec un peu d'ironie, car Mme Barbot et M. Goldring sont ici, mais nous attendons les autres. Je veux cependant commencer la séance à l'heure pour que nous puissions nous accommoder de nos obligations d'aujourd'hui.
    Nous poursuivons notre étude sur l'Afghanistan, sur lequel portaient différents mémoires que nous avons reçus.
    Au cours de la première heure, nous allons entendre Alain Pellerin, directeur exécutif de la Conférence des associations de défense. C'est un ancien colonel des Forces armées canadiennes et il a passé 17 ans en Europe, dont dix dans divers organismes de l'OTAN. Dans son témoigne de ce matin, il pourra faire état de son expérience en matière de négociations internationales, de politique publique, de diplomatie, de protocole et de résolution de problèmes.
    Il est accompagné par Brian MacDonald, analyste principal de défense à la Conférence des associations de défense. Les Canadiens connaissent M. MacDonald, qui est souvent consulté par les médias nationaux sur différentes questions militaires. Il est lui aussi colonel en retraite des Forces armées canadiennes et il est actuellement expert-conseil en matière de politique intérieure et internationale, ainsi que des questions stratégiques et de sécurité des affaires.
    Nous accueillons également un représentant d'UNICEF Canada, M. Fisher, qui vient de prendre de courtes vacances. Nous sommes très reconnaissants à Air Canada de l'avoir transporté aujourd'hui jusqu'à nous. Nigel Fisher, qui est président et chef de la direction d'UNICEF Canada, travaille pour cet organisme depuis plus de 20 ans en Afrique, en Asie et au Moyen-Orient. Il a été conseillé auprès du ministre des Affaires étrangères. Par ailleurs, il a occupé les fonctions de secrétaire général adjoint des Nations Unies, et notamment de représentant spécial adjoint du secrétaire général pour les secours, le rétablissement et la reconstruction de l'Afghanistan de 2002 à 2005.
    Nous avons certes hâte d'entendre vos témoignages ce matin. Nous allons vous consacrer la première heure, la deuxième étant réservée pour un groupe d'autres invités.
    Peut-être avez-vous déjà assisté ou participé à nos séances. Nous allons d'abord écouter vos déclarations liminaires, puis nous passerons à un premier tour de questions.
    Soyez les bienvenus. Vous avez la parole. Nous vous écoutons.

[Français]

[Traduction]

    La Conférence des associations de la défense vous remercie de lui permettre de parler de la Force internationale d'assistance à la sécurité mandatée par les Nations Unies; c'est une force internationale de plus de 36 000 militaires provenant de 37 pays. À ce total s'ajoutent des engagements concernant 700 Polonais, 500 Australiens, une brigade américaine d'environ 3 500 militaires et un groupement tactique britannique d'environ 1 200 personnes, ce qui portera le total à plus de 40 000, qui seront déployés dans les régions clés du sud et de l'est de l'Afghanistan. Ce déploiement assurera le soutien des 25 équipes de reconstruction provinciale qui travaillent dans l'ensemble du pays.
    Pendant mon récent séjour de 10 jours en Afghanistan à la fin octobre et en novembre, j'ai eu l'occasion de m'entretenir avec les Canadiens présents sur place et j'ai acquis une perspective privilégiée, même si je n'en ai pas l'exclusivité, dont j'aimerais vous faire part aujourd'hui.
    Cette perspective me permet d'affirmer que les militaires canadiens envoyés en Afghanistan croient en leur mission; c'est le cas aussi bien des hommes que des femmes, des membres de l'armée régulière et de la réserve. Comme vous le savez, environ 15 p. 100 de ce contingent provient des forces de réserve. Ils sont tous convaincus de remplir une mission décisive et d'avoir fait des progrès. Ils croient en leur commandement. Ils croient en la qualité de leur équipement et ils ont conscience d'avoir été bien préparés pour leur mission. C'est un atout moral très important, car ces militaires sont sur le terrain; ce sont eux qui exécutent la mission. Ils sont également convaincus que s'ils doivent se retirer avant que la mission n'ait atteint ses objectifs, tous les sacrifices qu'ils ont consentis seront remis en question.
    N'oublions pas non plus que la mission de l'ISAF, qui est une mission canadienne, va bien au-delà d'une opération strictement militaire. Il ne s'agit pas simplement de tuer des talibans dans les montagnes, bien au contraire. L'ISAF intervient également dans la reconstruction de cet État déchu qui progresse lentement vers le statut d'État fragile.
    Les responsabilités canadiennes comprennent l'ERP à Kandahar, qui compte environ 250 personnes. Cette équipe comprend non seulement des membres des Forces armées canadiennes, mais également des agents de la GRC, des agents des Affaires étrangères et de l'ACDI. L'aide critique au renforcement des capacités de gouvernance du gouvernement afghan élu est fournie par une équipe d'assistance stratégique à Kaboul, composée de 15 officiers de la Défense nationale, essentiellement des militaires ainsi que quelques civils. Ils travaillent en étroite collaboration avec le gouvernement; en fait, ils sont en contact étroit avec chacun des membres du Cabinet. C'est là un programme très important et mal connu. Il fait partie de la contribution canadienne concrète qui comporte également un élément très important d'aide à la formation de l'Armée nationale afghane, et plus particulièrement de la police nationale afghane.
    Les Canadiens comprennent qu'il n'y a pas de solution miracle en matière de reconstruction d'un État fragile. Après 25 ans de guerre violente, il faut tout reconstruire. Cela étant dit, la situation est bien meilleure qu'elle ne l'était il y a six ans, du temps des talibans, ou même il y a un an, lorsque le groupement tactique canadien a été déployé à Kandahar. Des progrès ont été réalisés dans l'intervalle.
    Au sein de l'ISAF, nous ne sommes pas des envahisseurs. Il est essentiel de ne pas l'oublier; nous sommes là à la demande du gouvernement afghan élu, en vertu d'un mandat des Nations Unies. Les Afghans sont exaspérés par la guerre, le dénuement et le désespoir. La majorité d'entre eux souhaitent notre présence. De récents sondages effectués par la BBC et la Fondation de l'Asie avant Noël indiquent que 80 p. 100 des citoyens approuvent la présence des soldats de la coalition en Afghanistan. Ils veulent que le progrès économique et social qui se manifeste dans la plus grande partie du pays s'étende à toutes les régions, y compris au sud et à l'est.
(0905)
    Ils craignent ce qui pourrait leur arriver si notre stratégie s'oriente vers une sortie hâtive et nous amène à abandonner un État fragile mais en croissance, mais qui reste cependant trop faible pour résister à ses oppresseurs. Ils craignent spécifiquement le retour des talibans et de leurs complices coupables de crimes, de trafic de drogues et de terrorisme.
    Mesdames et messieurs, notre exposé va porter sur quatre thèmes : les critères d'évaluation de l'efficacité de la mission de l'ISAF, le concept opérationnel de l'ISAF, l'évaluation du succès de ses opérations et enfin, l'évaluation des conséquences d'un retrait prématuré de l'ISAF.
    La Conférence des associations de la défense estime que l'on pourra considérer la mission de l'ISAF et l'importante contribution du Canada comme des réussites le jour où la campagne de terreur menée par les talibans et leurs alliés extrémistes échouera, où la sécurité sera rétablie, permettant à tous les Afghans de jouir sans crainte de leur liberté individuelle, où l'armée et la police afghanes assureront efficacement la sécurité, où l'économie marchande du pays commencera à s'épanouir, où le gouvernement central afghan exercera son contrôle sur tout le territoire, où les droits de la personne seront respectés, où un véritable programme de construction des infrastructures sera entrepris et où tous les éléments d'un régime démocratique spécifiquement afghan seront mis en place dans toutes les régions du pays.
    Il n'est pas douteux que cet objectif représente une difficulté d'une complexité phénoménale. Néanmoins, la Conférence des associations de la défense est convaincue que l'absence de l'un des critères ci-dessus jetterait un doute sur le succès de la mission de l'ISAF. Il est également essentiel de reconnaître qu'il vaut mieux aider les Afghans à y parvenir même de façon imparfaite, plutôt que de faire nous-mêmes ce travail. Pour l'essentiel, il faut laisser les Afghans évoluer à leur propre rythme.
    J'aimerais maintenant parler du concept opérationnel de l'ISAF. L'OTAN a chargé l'ISAF de mener des opérations militaires afin d'aider le gouvernement afghan à établir et à entretenir, grâce au plein engagement des forces de sécurité nationale afghane, un environnement sûr qui lui permettra d'étendre son autorité et son influence, favorisant ainsi la reconstruction du pays et la stabilité de la région.
    Dès ses origines, la mission a été organisée en cinq phases. La première phase comportait l'évaluation et la préparation, notamment les opérations menées à Kaboul. La deuxième phase était consacrée à l'expansion géographique, qui a été réalisée. La troisième phase est celle de la stabilisation; les phases quatre et cinq visent la transition et le redéploiement.
    En octobre 2003, le Conseil de sécurité de l'ONU à autoriser l'expansion de la mission de l'OTAN à l'extérieur de Kaboul. En octobre 2004, la première phase de cette expansion vers le nord a été réalisée, et la deuxième étape d'expansion vers l'ouest a ensuite été entreprise en septembre 2005. La troisième phase d'expansion vers le sud s'est terminée le 31 juillet 2006, c'est-à-dire il y a moins d'un an. La quatrième phase d'expansion vers l'est s'est terminée le 6 octobre 2006.
    Actuellement, les Forces du Canada et de sept autres nations qui relèvent du commandement régional sud de l'ISAF sont engagées dans les premières étapes de la phase de stabilisation, tandis que le commandement régional de l'ouest et du nord, formé d'unités allemandes, italiennes et espagnoles en particulier, est déjà plus avancé dans la phase de stabilisation.
    J'aimerais maintenant demander à mon collègue, le colonel à la retraite Brian MacDonald, qui est analyste principal de défense, de vous donner son évaluation du degré de succès de l'opération de l'ISAF et des dangers d'un retrait prématuré de nos troupes d'Afghanistan.
    Merci.
(0910)
    Mesdames et messieurs, vous connaissez la rengaine traditionnelle qui veut qu'il n'y ait aucune solution militaire en Afghanistan. À notre avis, mieux vaut dire que sans une sécurité assurée militairement, le pays n'a aucune chance de se développer. Et nous avons remarqué, depuis un an, une expansion de la région dans laquelle les Afghans considèrent que la sécurité s'est améliorée.
    Le Bureau du contrôle des drogues et de la prévention du crime des Nations Unies, qui jouit du plus grand respect au niveau international, effectue chaque année un sondage hivernal pour évaluer la situation des cultures d'opium en Afghanistan, et il vient de publier le mois dernier le rapport de ce sondage, qui comportait des entrevues avec les chefs de 508 villages choisis de façon sélective dans 236 districts afghans; ce rapport fournit une base de données élémentaire utile concernant l'état de l'opinion publique dans les villages.
    Le sondage hivernal signale que le niveau de sécurité indiqué par ces chefs de village était soit très bon ou bon dans 23 provinces et très mauvais ou mauvais dans huit provinces, dont certaines situées dans le sud du pays. Ensuite, à la fin de 2006, 75 p. 100 environ des provinces afghanes se sont déclarées être en sécurité. Le défi pour l'ISAF consiste à étendre cette région où les Afghans se sentent en sécurité, car avec la sécurité vient le développement.
    Ce même Bureau du contrôle des drogues et de la prévention du crime a demandé aux chefs des villages si les activités d'assistance étrangère leur parvenaient, et ceux-ci ont déclaré que 451 des 508 villages étudiés avaient effectivement reçu de l'assistance étrangère dans le cadre de 828 activités distinctes, dont 54 p. 100 provenaient du gouvernement afghan, 24 p. 100 des Nations Unies et des organismes internationaux, 17 p. 100 d'ONG, 4 p. 100 de USAID et 1 p. 100 d'autres sources.
    Les activités d'assistance prenaient la forme de soins médicaux à raison de 50 p. 100, d'activités relatives aux infrastructures pour 20 p. 100, de travaux agricoles pour 13,5 p. 100, de programmes d'enseignement pour 11 p. 100 et d'emplois pour 4 p. 100.
    Passons maintenant du point de vue de la population à une perspective macroéconomique pour observer l'évolution du produit intérieur brut, de l'investissement et des exportations de l'Afghanistan au cours des cinq dernières années. Lorsque j'ai prélevé ces statistiques du récent rapport du Fonds monétaire international déposé il y a six semaines, j'ai constaté que depuis cinq ans, le taux de croissance moyenne du PIB a été de l'ordre de 15 p. 100 par an, le taux de croissance de l'investissement était d'environ 40 p. 100 par an et l'augmentation des exportations afghanes, à l'exclusion de l'héroïne ou de l'opium, a été d'environ 20 p. 100 par an.
    Le rapport du FMI signale que malgré les problèmes de sécurité et les pressions persistantes des dépenses, le rendement de l'Afghanistan au cours des six premiers mois de l'exercice financier 2006-2007 a été conforme aux prévisions. À la fin de septembre 2006, les autorités avaient respecté tous les critères qualitatifs et quantitatifs de rendement, les objectifs indicatifs, le critère de rendement structurel et la plupart des points de repère structurels, à l'exception de ceux qui concernent les banques qui appartiennent à l'État.
    On trouvera d'autres éléments d'information dans le rapport des ministres canadiens des Affaires étrangères, de la Défense et de l'Aide internationale, qui vous a été remis, et sur lequel je n'aurai donc pas d'autres commentaires à faire.
    À l'étude des données concernant aussi bien la population que le rendement macroéconomique et les organismes internationaux, on peut conclure que d'importants progrès ont été faits et que ce mouvement se poursuit. Il faut néanmoins aller encore beaucoup plus loin. Quoi qu'il en soit, le bilan est positif.
    Ceci m'amène à mon deuxième argument, à savoir l'évaluation du danger en cas de retrait prématuré de l'ISAF. Il s'agit de savoir ce qui risque de se produire si nous nous retirons. À mon sens, la question porte sur la capacité d'un État fragile à assurer la sécurité nécessaire pour permettre la poursuite du développement amorcé. C'est là un autre problème essentiel qui dépend de l'abondance des ressources financières du gouvernement afghan par rapport à celles des forces antigouvernementales.
(0915)
    Le rapport précité du FMI révèle que les recettes fiscales et non fiscales intérieures du gouvernement afghan représentaient environ 4,5 p. 100 du PIB en 2003 et devraient passer à seulement 6,8 p. 100 en 2007-2008. S'y sont évidemment ajoutées les subventions de la communauté internationale, ce qui devrait porter les recettes du gouvernement central à une somme équivalent à environ 9 p. 100 du PIB en 2003 et à environ 14 p. 100 en 2007.
    De toute évidence, il s'agit là d'une assise financière très faible. Dans les pays développés, les dépenses du gouvernement central varient entre 40 et 55 p. 100 du PIB. Dans un pays du tiers monde, un pays en développement, on s'attend normalement à ce qu'il se situe entre 20 et 25 p. 100 du PIB. En comparaison, les revenus du gouvernement afghan sont très maigres.
    Contrastons-les avec les capacités financières des forces antigouvernementales, en particulier celles dérivées de la production d'opium et d'héroïne. L'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, dans un rapport de 2006, a évalué à quelque 2,7 milliards de dollars la valeur des exportations d'opium et d'héroïne vers les pays voisins; les producteurs en empochant environ 20 p. 100, soit 0,5 milliard de dollars, et les trafiquants les 80 p. 100 qui restent, soit 2,14 milliards de dollars.
    Une autre étude de la Banque mondiale et de l'Office intitulée Afghanistan's Drug Industry: Structure, Functioning, Dynamics, and Implications for Counter-Narcotics Policy a estimé qu'à ce moment-là le trafic était passé à environ 3 milliards de dollars, soit 92 p. 100 de la production mondiale et environ le tiers de toute l'activité économique de l'Afghanistan. L'étude a fait état de la consolidation du commerce de la drogue et de la capacité des trafiquants et de leurs alliés de soudoyer et de corrompre les autorités et de recruter des soldats pour les talibans et les autres forces qui nous sont hostiles.
    Le directeur exécutif de l'ONUDC a déclaré le 20 mars de cette année, lors d'un briefing devant le Conseil de sécurité de l'ONU que, dans le sud, le cercle vicieux du financement du terrorisme par la drogue et de l'encouragement du terrorisme par les barons de la drogue est plus fort que jamais. Autrement dit, la culture de l'opium dans le sud du pays est moins un problème de stupéfiant qu'un problème d'insurrection, si bien qu'il est essentiel de les combattre ensemble.
    La CAD estime que la grande différence de moyens financiers entre les trafiquants et leurs alliés d'une part et ceux du gouvernement national d'autre part — 6,8 p. 100 et 33 p. 100 respectivement — est telle que si la FIAS devait se retirer, le gouvernement national afghan s'effondrerait. Le pays retomberait rapidement dans la guerre civile, avec au mieux un affaiblissement de l'autorité des chefs de guerre régionaux, et dans le pire des scénarios,l'arrivée au pouvoir d'une nouvelle structure talibane, selon la taille du financement fourni par les trafiquants. À notre avis, l'Afghanistan cesserait d'être une narco-économie pour devenir un narco-État néotaliban, avec la perspective du retour des atteintes aux droits de la personne et peut-être des camps de formation d'al-Qaïda, et la destruction de tout ce que nous avons défendu et cherché à accomplir dans notre programme d'aide à la reconstruction d'un État précédemment en déroute.
    Merci, monsieur le président.
(0920)
    Je vous remercie tous les deux.
    Monsieur Fisher, vous avez la parole.
    Mesdames et messieurs, j'apprécie beaucoup l'occasion qui m'est donnée de comparaître devant le comité aujourd'hui. Je vous parle d'expérience, puisque je m'occupe de l'Afghanistan depuis plus d'une décennie, aussi bien au service du maintien de la paix de l'ONU et à l'UNICEF. Il vous intéressera peut-être de savoir que j'ai été non seulement le représentant spécial adjoint du Secrétaire général en Afghanistan mais aussi le responsable de la sécurité de tout le personnel de l'ONU dans le pays.
    L'aide à l'Afghanistan devrait être une grande priorité pour le Canada aujourd'hui et pour l'avenir prévisible. Il est de notre intérêt d'investir dans la sécurité et la reconstruction de l'Afghanistan. Le rôle militaire du Canada est important et absolument nécessaire à l'heure actuelle mais il ne suffit pas. Une augmentation de l'aide au développement non militaire à l'Afghanistan est absolument essentielle.
    Dans les dix minutes dont je dispose, je ferai quelques brèves observations liminaires sur un ensemble de questions prioritaires pour le Canada en Afghanistan aujourd'hui, en suggérant respectueusement que le Canada concentre stratégiquement son attention sur un certain nombre d'entre elles, y compris d'importantes priorités de reconstruction de développement, de manière à pouvoir atteindre des résultats tangibles tant pour les Afghans que pour les Canadiens.
    La question numéro un est l'OTAN et les militaires Canadiens. Les troupes de l'OTAN, au sein desquelles les Canadiens jouent un rôle central dans le sud, sont absolument nécessaires en Afghanistan à l'heure actuelle pour combattre et contenir les Talibans, mais le Canada doit être réaliste au sujet de ses objectifs militaires. Il s'agit d'une guérilla et la victoire définitive sur le champ de bataille est peu probable. Militairement, nous gagnons du temps pour permettre aux autres morceaux du puzzle de la reconstruction d'être lentement mis en place : les institutions de bonne gouvernance, la réforme du secteur de la sécurité, le développement socio-économique, les droits de l'homme et le respect de la primauté du droit, autant d'éléments qui doivent être visibles et tangibles pour les Afghans ordinaires. Ils doivent voir qu'il y a une autre solution qu'un gouvernement prédateur et l'extrémisme taliban.
    L'enjeu numéro deux, c'est les Talibans et les autres. Doit-il y avoir des négociations avec les Talibans? Les Talibans ne forment pas une entité unie d'un seul tenant, pas plus que les autres groupes, comme Hizb-I-Islami. La réponse est donc oui : parler discrètement à ceux qui sont prêts à parler. Le gouvernement karzai a obtenu un certain succès à cet égard, surtout dans la période 2002 à 2004, et certains Talibans sont sortis de la clandestinité. Il y a moyen d'exploiter les tensions traditionnelles au sein du mouvement taliban, entre leurs aspirations nationales d'accéder au pouvoir d'une part, et leur alliance transnationale avec les extrémistes islamiques de l'autre. Des efforts doivent être faits pour aller chercher ceux qui ne sont pas des extrémistes radicaux durs.
    L'enjeu numéro trois, c'est la gouvernance. Il importe que l'Afghanistan ait un gouvernement réellement intègre, perçu comme tel par les citoyens afghans. C'est pourquoi, bâtir des institutions de gouvernance et soutenir le développement conduit par les Afghans est important. Un appui avisé du Canada peut contribuer à renforcer les institutions et les leaders qui représenteront fidèlement les aspirations des Afghans tout en aidant à affaiblir, pour être honnête, ceux qui ont des antécédents de prédation et d'abus des droits de l'homme. Le Canada peut aider davantage à accroître les programmes de développement du gouvernement, comme le programme de solidarité nationale, ou le dispositif d'appui à l'investissement et au micro-financement, créé afin de veiller à ce que les ressources du gouvernement afghan parviennent visiblement aux Afghans ordinaires partout au pays. Quand les Afghans verront des avantages apportés par le gouvernement, ils le soutiendront.
    L'enjeu numéro quatre, ce sont les droits de la personne et la primauté du droit. pour la plupart des Afghans qui ne sont pas dans le sud, l'insécurité, ce n'est pas le Taliban. C'est l'intimidation, l'extorsion et les violences commises contre les Afghans ordinaires par les commandants et les chefs de guerre locaux ainsi que leurs forces. Si le Canada et la communauté internationale n'investissent pas dans l'instauration de la primauté du droit et d'institutions de responsabilisation, qui réduisent les pouvoirs de ceux qui violentent les Afghans ordinaires, ni lui ni le gouvernement afghan actuel n'auront de crédibilité aux yeux des citoyens du pays.
    Malgré certains progrès récents, peu importe l'indicateur, les femmes et les filles afghanes sont dans la pire situation au monde. Elles connaissent les pires taux de mortalité maternelle, d'insécurité de la personne, de violences et de discrimination. Le Canada a depuis longtemps fait de l'égalité des sexes une des pierres angulaires de sa philosophie de développement. L'Afghanistan a grand besoin de voir cette philosophie appliquée aujourd'hui.
(0925)
    L'enjeu numéro cinq, c'est la lutte contre les stupéfiants. L'État parallèle narco-mafieux prospère partout en Afghanistan, mais le degré de mobilisation de la communauté internationale dans la lutte anti-stupéfiant dans le pays est absolument dérisoire. Détruire les cultures sans fournir des solutions de rechange, c'est courtiser la catastrophe. La communauté internationale doit ou bien investir des millions dans des solutions visant à générer des revenus agricoles et non- agricoles dans les 15 à 20 prochaines années — parce que c'est le temps que cela demandera — ou faire contre mauvaise fortune bon coeur et trouver le moyen de canaliser les stupéfiants afghans légalement dans l'industrie pharmaceutique et les systèmes de santé dans le monde, sans quoi l'économie clandestine des stupéfiants à elle seule dissipera tout espoir d'un État démocratique, paisible, respectueux des lois, pluraliste et prospère.
    L'enjeu numéro six, c'est le développement socio-économique. Comme nous nous plaisons à le répéter, la sécurité et le développement sont les deux faces de la même médaille. Une reconstruction socio-économique tangible servira de catalyseur à l'amélioration de la sécurité et de la stabilité politique. Au niveau le plus élémentaire, les gens ordinaires ont besoin de constater des changements positifs tangibles dans leur vie, dans leur communauté. Je donnerai brièvement l'exemple de l'éducation et des soins de santé.
    En Afghanistan, la population réclame à corps et à cri l'éducation. Il y a six ans, sous le régime des Talibans, quelques milliers d'enfants fréquentaient des écoles clandestines à domicile en Afghanistan. Avec l'UNICEF, j'ai travaillé directement au premier grand programme de retour à l'école en 2002. Aujourd'hui, plus de 5 millions d'enfants, dont 34 p. 100 de filles, fréquentent près de 9 000 écoles, dont un grand nombre sont toujours désespérément à court d'installations et de fournitures. L'instruction des filles est l'un des meilleurs investissements socio-économiques à long terme qu'un pays puisse faire, et cela inclut l'Afghanistan. Malgré la violence et les menaces des Talibans et malgré des explosions comme celle qui a tué quatre enfants, des garçonnets, plus tôt aujourd'hui à l'école primaire d'Herat, les Afghans veulent un meilleur avenir et l'instruction en est la clé. Sur tout le territoire, dans les 34 provinces, il y a déjà plus de 8 000 surahs de proximité créés expressément pour s'occuper de la sécurité et de la protection des écoles, et beaucoup d'entre eux comprennent des chefs religieux traditionnels et des dirigeants locaux. Il ne fait pas de doute que nous avons l'obligation de soutenir pareil courage et espoir.
    En ce qui concerne les soins de santé de base, l'Afghanistan connaît le taux le plus élevé au monde de mortalité maternelle et infantile, si bien qu'investir dans les soins de santé en Afghanistan peut rapporter d'immenses bienfaits immédiats et à long terme. L'expérience de l'UNICEF en Afghanistan à l'appui des services de santé nationaux fragiles montre que des résultats mesurables sont chose possible. Je donne pour exemple la réduction du taux de mortalité infantile attribuable à des maladies évitables grâce à la vaccination ou l'amélioration des soins de santé maternelle. Ce sont là tous des domaines dans lesquels l'ACDI a investi par l'intermédiaire de l'UNICEF et d'autres. La communauté internationale a à sa disposition le savoir nécessaire pour réduire notablement la mortalité maternelle et infantile en Afghanistan. Nous avons besoin de financement soutenu pour mettre en action ces connaissances à une échelle massive et, au moment où l'ACDI est sous examen pour démontrer les effets de ses programmes, le relèvement des investissements canadiens dans l'instruction et les soins de santé de base en Afghanistan produirait effectivement des résultats mesurables.
    Le dernier enjeu, c'est l'Afghanistan et ses voisins. Je signale en passant que les voisins de l'Afghanistan, l'Iran et le Pakistan en particulier, doivent être intégrés de manière constructive au processus de pacification et de reconstruction en Afghanistan.
    Pour conclure, mesdames et messieurs, après trois décennies de conflit et de leadership prédateur, il serait en effet étonnant que l'Afghanistan soit en paix; personne ne devrait être étonné qu'il faudra au mieux des décennies pour y parvenir. Le Canada devrait donc maintenir son engagement vis-à-vis de l'avenir de l'Afghanistan bien au-delà de 2010. C' est dans notre intérêt stratégique et dans celui de la paix, de l'ordre et du bon gouvernement en Afghanistan. Il n'y a pas de recette magique et il est prématuré de parler d'une stratégie de sortie.
    Il faut que le Canada soit clair et réaliste au sujet de ses objectifs militaires et de reconstruction, et il doit exposer une stratégie beaucoup plus nette pour l'Afghanistan, comportant trois grands domaines : premièrement, les opérations militaires et la réforme du secteur de sécurité; deuxièmement, la bonne gouvernance; et troisièmement, le développement socio-économique.
    Nous préconisons également une augmentation notable des investissements du Canada dans la reconstruction et le renforcement des institutions en Afghanistan, et le Canada — qui ne se trouve qu'à mi-chemin sur la voie de son objectif annoncé de consacrer 0,7 p. 100 de son produit intérieur brut à l'aide publique au développement — a largement les moyens de fournir cet investissement accru.
(0930)
    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur Fisher.
    Je remercie tous nos invités.
    Nous allons passer à la première série de questions. Le tour durera six minutes; nous n'aurons peut-être le temps que pour un seul.
    Monsieur Patry.

[Français]

    Merci, monsieur le président. Je vais partager mon temps avec mon collègue M. Wilfert.

[Traduction]

    Nous allons poser notre question et nous laisserons notre témoin y répondre.

[Français]

    Monsieur Pellerin et tous les autres messieurs ont beaucoup parlé ce matin, dans le cadre de leur exposé, de la mission de la Force internationale d'assistance à la sécurité de l'OTAN, ou ISAF. C'est la première mission de l'OTAN à l'extérieur de l'Europe. Vous nous avez parlé de sécurité, de développement et de drogue.
    L'approche du gouvernement canadien actuel et du gouvernement précédent était celle des 3D. Pour ma part, j'ai l'impression que l'ISAF ne progresse pas et ne progressera pas dans un avenir assez rapproché, c'est-à-dire au cours des deux ou trois prochaines années.
    La géopolitique est très importante dans cette partie du monde. On n'a qu'à penser au Pakistan, à l'Inde, à l'Iran ou à la Russie, par exemple. Ma question est très simple mais malgré tout très importante.
    Ne pensez-vous pas qu'à l'heure actuelle, il serait important que la communauté internationale fasse un peu plus de diplomatie? On devrait tenir une conférence internationale qui inclurait les membres du P5, la Chine, l'Union européenne, l'Inde, l'Iran, et ainsi de suite. J'ai l'impression que pour le moment, on ne progresse pas, et que sans diplomatie, on ne progressera pas dans un avenir rapproché.

[Traduction]

    Merci, monsieur Patry.
    Monsieur Wilfert.
    Merci, monsieur le président.
    Merci d'être venus, messieurs.
    En termes de politique et de solutions, il a été dit qu'il s'agit de l'opération qui a reçu le moins de moyens depuis la Deuxième Guerre mondiale. Par exemple, le rapport est de un sur 1 000 pour ce qui est des casques bleus, par rapport à 20,5 au Kosovo et 19 en Bosnie.
    Il semble bien qu'il manque de coordination entre les membres de l'OTAN qui se trouvent là. Il est évident qu'ils ont tous des mandats différents relativement à leur capacité de se mouvoir sur le terrain.
    La question est celle-ci. Cette guerre est-elle gagnable vu la stratégie actuellement en place?
(0935)
    Merci, monsieur Wilfert.
    Pour le reste du temps, nous allons laisser la parole à nos invités.
    Monsieur Pellerin.

[Français]

    Pour ce qui est de la première question, je remettrais en cause l'affirmation de M. Patry voulant qu'on ne progresse pas. Je dirais à ce sujet qu'il faut prendre en considération l'ensemble du pays. On a parfois l'impression, en écoutant les commentaires émis dans les journaux ou à la Chambre, qu'on se concentre sur la région de Kandahar, dans le sud, où il y a une dimension militaire.
    Comme le mentionnait le colonel MacDonald, dans les autres régions, soit dans 75 p. 100 ou 80 p. 100 du pays, beaucoup de progrès a été accompli. Il faut se rappeler que les talibans étaient dans le sud, où nous sommes maintenant, et que la culture de la drogue se fait davantage dans le sud que dans le reste du pays.
    Les Allemands, par exemple, ont envoyé 3 000 militaires au nord-est de l'Afghanistan, où il n'y a pas de talibans et où le problème de drogue est moindre. Pour ce qui est d'assurer la reconstruction nécessaire, le développement et la sécurité, c'est beaucoup plus simple pour les Allemands que pour nous, dans le sud. Je pense qu'à l'échelle du pays, le progrès est présent. On l'a démontré, et le colonel MacDonald l'a démontré également au moyen de chiffres.
    En ce qui concerne la question de M. Wilfert,

[Traduction]

    Je pense comme vous qu'il n'y a pas assez de bottes sur le terrain. Si vous regardez les opérations contre-insurrectionnelles par le passé, par exemple, la Malaisie est toujours un bon exemple qui est donné. L'Irlande du Nord est un autre exemple où en moyenne vous aviez entre 20 et 25 soldats pour une population de 1 000, alors qu'en Afghanistan et dans le sud, vous constaterez que c'est sans doute 2,5 ou trois soldats pour 1 000. Au bout du compte, je pense que ça signifie que l'opération contre-insurrectionnelle réussira, mais cela va demander plus de temps parce qu'il n'y a pas autant de bottes sur le terrain qu'il devrait y en avoir.
    Cela dit, si on regarde le nombre de pays actuellement présents dans le sud, il y en a huit . Les Britanniques vont augmenter leur force de 1 400, les Américains de 3 500 et les Polonais vont envoyer près de 1 000, et les Australiens vont doubler leur contingent. Il y a un engagement de certains pays de faire plus là où le vrai problème existe pour l'OTAN, c'est-à-dire dans le sud.
    Je dirais que si nous ne réussissons pas dans les provinces du sud de Helmand et de Kandahar et dans les provinces de l'est, la mission de l'OTAN va échouer. C'est pourquoi il est important de s'en occuper et de s'en occuper avec succès.
    Merci, monsieur Pellerin.
    Quelqu'un d'autre a-t-il quelque chose à ajouter rapidement à ces questions?
    Monsieur Fisher, très rapidement.
    Je dirais seulement que je pense qu'il y a eu beaucoup de progrès à la FIAS, au sujet de la présence internationale ces dernières années. Considérez la sécurité relative dans les deux tiers du pays. Considérez le fait que, de mon point de vue, il y a des activités de développement et de reconstruction dans le sud, souvent contrecarrées, mais la présence de la FIAS et de la force de l'OTAN est très importante. Et si vous considérez la croissance de l'activité économique, de l'activité sociale, il y a eu deux élections, et il y a plus d'hostilités au Parlement ces jours-ci que dans les deux tiers du pays. Je ne pense que c'est un bon signe.
    Merci. Nous comprenons très bien.
    Madame Lalonde.

[Français]

    Je partagerai mon temps avec Mme Barbot.
     Nous avons su que si les États-Unis se retiraient de l'Irak, il est fort vraisemblable, selon les analystes, que les moudjahidines se déplacent vers l'Afghanistan.
    L'Union soviétique, qui s'est portée à la rescousse d'un gouvernement qu'elle voulait appuyer, a déployé en Afghanistan beaucoup plus de soldats — au moins 80 000 — et a dépensé énormément en infrastructures, écoles, etc. Or, ils ont été chassés, et la CIA y a contribué, par un grand mouvement de moudjahidines, ce qui a d'ailleurs permis à Oussama ben Laden de se faire la main.
    Qu'est-ce qui permet de penser que l'OTAN pourra résister au contexte géopolitique?
(0940)
    Mon collègue voudra peut-être dire aussi quelques mots.
    Il ne fait aucun doute qu'il existe une très grande différence entre l'intervention de l'Union soviétique en 1979 et la présence non seulement de l'OTAN, mais des 70 pays participant à la reconstruction du pays. Un mandat du Conseil de sécurité régit leur présence au pays. Il y a quand même beaucoup de —
    Je parle de ressources.
    Près de 80 p. 100 de la population appuie la présence de la coalition. Vous dites que ce n'est pas le cas, mais les chiffres le prouvent.
    Il y a tant d'études qui fournissent des chiffres contradictoires qu'il est difficile de le penser.
    Le colonel MacDonald peut nous reparler des chiffres qui ont été tirés des sondages. Certains sondages crédibles, par exemple ceux de la BBC et de l'Asia Foundation, indiquaient avant Noël un appui de 80 p. 100. On ne peut pas comparer les deux parce que la présence soviétique, qui a été contrée par les Américains et l'argent de l'Arabie saoudite, a débouché sur une guerre qui était insoutenable.
    La guerre sévit dans le sud et l'est du pays, mais 75 p. 100 des provinces sont relativement stables. Il ne fait aucun doute qu'il y a des problèmes, mais il y a une certaine stabilité. Notre présence est appuyée par la population. Ce pays a connu une guerre qui a duré près de 25 ans. La population en a ras-le-bol de la guerre. Elle veut une certaine stabilité, et la coalition veut la lui apporter.

[Traduction]

    Merci.
    Monsieur Fisher.
    Je pense que si vous examinez les origines de la présence militaire telle qu'elle existe actuellement en Afghanistan, il y a une grande différence par rapport aux Russes: les Russes ont envahi. La présence des troupes qui sont actuellement là découle de l'accord de Bonn, et il y avait des parties afghanes là, tout le monde sauf les Talibans. C'est donc dire que nombre des parties afghanes ont toujours un intérêt, aussi tenu soit-il, dans l'actuelle paix et stabilité en Afghanistan et dans la croissance de la stabilité en Afghanistan.
    Merci, monsieur Fisher.

[Français]

    Madame Barbot, vous disposez de deux minutes.
    Nous en doutons, évidemment, mais supposons que 80 p. 100 des Afghans appuient l'alliance. Cependant, l'autre partie de l'équation est la population canadienne. Nous savons que la population est de moins en moins d'accord sur le fait que des troupes canadiennes soient encore là-bas. C'est le cas plus particulièrement au Québec, qui commencera prochainement à voir des cadavres.
    Dans ce contexte et étant donné que la mission a déjà été prolongée jusqu'en 2009, quels résultats tangibles le gouvernement peut-il présenter aux gens? On nous parle souvent de femmes afghanes qui peuvent aller à l'école, ce que certaines d'entre elles font sans doute. Cependant, dans un contexte où on n'arrive même pas à se débarrasser des talibans qui reviennent constamment, comment pouvons-nous présenter à la population des résultats sérieux et qui se prolongeront au-delà de quelques mois?
    Merci, madame Barbot.
    Monsieur Pellerin.
    Si on se fie aux sondages, l'appui de la population canadienne a été assez constant, c'est-à-dire d'environ 50 p. 100. Cela varie un peu, mais dans l'ensemble, environ 50 p. 100 de la population appuie la mission. Pour ce qui est du Québec, je suis d'accord avec vous, c'est un peu moins.
    Il sera intéressant de voir ce qui va se passer quand mon régiment, le Royal 22e Régiment, se rendra en Afghanistan au mois d'août. Il faut se rappeler que les Québécois veulent qu'on explique le pourquoi d'une mission semblable. À ce chapitre, le gouvernement a peut-être du travail à faire. La population québécoise appuie aussi les Forces armées canadiennes, et en particulier mon régiment parce qu'il existe depuis longtemps. Je crois que si on explique bien aux Québécois que c'est une mission juste et qu'on peut y faire des progrès, ils nous appuieront. Ce n'est pas seulement, comme vous le mentionniez, une question d'aider les femmes à aller à l'école, c'est beaucoup plus. Par exemple, nous sommes dans la région de Kandahar depuis un peu plus d'un an, et les Talibans, qui sont toujours présents, emploient maintenant les tactiques du faible. Souvenez-vous de l'opération Méduse du mois de septembre dernier. Ils ont alors perdu des centaines d'hommes. Il n'y a pas d'attaques frontales, comme on a vu l'an dernier, dans la région de Kandahar. Je crois que notre présence s'est fait sentir, non seulement à Kandahar, mais dans les villages comme, par exemple, dans la vallée de Panjwai, où a eu lieu l'opération Méduse au mois de septembre. Six mille familles sont retournées vivre dans cette vallée parce que les Forces canadiennes y assurent la sécurité.
    Je crois qu'il y a eu beaucoup de progrès mais, malheureusement, on semble évaluer la mission souvent en fonction des décès et des cadavres qui reviennent au Canada. À mon avis, il vous faut aller en Afghanistan afin de parler aux troupes et constater que les soldats croient en cette mission. Ils voient du progrès et ils sont prêts à continuer. Tout ce que je demande, c'est qu'on les appuie.
(0945)
    Merci, monsieur Pellerin.

[Traduction]

    Il faudra passer au prochain tour.
    M. Goldring et Khan, en temps partagé. J'aimerais des questions et des réponses courtes.
    Merci d'être venus aujourd'hui, messieurs.
    C'est réconfortant de voir les progrès qui ont été faits. Quant on a commencé, il y avait 700 000 enfants dans les écoles; aujourd'hui, il y en a dix fois plus. Bien sûr, il reste encore beaucoup à faire. Il y a aussi la tragédie de nos soldats qui reviennent.
    Vous avez dit quelque chose tout à l'heure, colonel Pellerin, à propos de la gouvernance et du fait que l'on a une équipe d'assistance stratégique qui est majoritairement militaire. Pourriez-vous développer un peu votre pensée? D'où tirent-ils leur expérience pour traiter avec les chefs de village? Est-ce qu'ils sont aussi chefs de guerre? Est-ce que c'est la formation qu'ils ont suivie au CMR? Pour moi, venant de militaires et parler d'une forme de gouvernance, même si c'est important...
    C'est une question très intéressante. Je vous suggérerais d'inviter le colonel Capstick qui a été le premier commandant de la mission à Kaboul et qui est de retour au Canada, ou le colonel Dixon, qui est actuellement là-bas.
    En toile de fond à cela, il y a eu une requête du président Karzai adressée au général Hillier pour qu'il fournisse des conseillers au gouvernement effectuer des travaux de base : préparer des plans; des organigrammes, pour leur permettre d'aller à des réunions internationales, et de suggérer un plan — un plan très simple — sur la façon de préparer leur avenir.
    En ce qui concerne ces officiers, leur préparation, c'est la formation qu'ils ont reçue. Au Canada, la formation des officiers est sans égale. Nous avons un excellent système de formation. C'est une préparation très concrète qui commence au collègue militaire et au collège d'état-major, etc.
    Il y a 15 ou 16 hauts gradés à Kaboul qui sont en rapport avec tous les ministres. Ce sont de proches conseillers des ministres. L'un d'entre eux est chef de Cabinet d'un ministre. Très peu de gens savent au Canada que nous travaillons d'aussi près avec le gouvernement afghan et que nous obtenons beaucoup de succès.
    Encore une fois, nous essayons de faire ce travail à leur propre rythme, parce que c'est leur pays à eux. Ce n'est pas notre politique qu'ils doivent mettre en oeuvre, mais plutôt ce que nous pouvons faire pour les aider à mettre en oeuvre leur politique. Le programme a beaucoup de succès.
(0950)
    Monsieur Khan.
    Merci, monsieur le président.
    Merci d'être ici, messieurs.
    Je voudrais aborder un point qui m'irrite. Nous n'entendons jamais mes collègues ou les médias dire que les élèves qui sont aveugles et sourds dans le sud de l'Afghanistan, à Kandahar, sont venus pour un pique-nique au Camp Nathan Smith il y a deux semaines. C'est un magnifique cas de réussite. Personne ne parle des 100 projets en cours d'exécution au moment où les militaires progressent ou du développement qu'ils ont fait à Kandahar. Et je n'entends pas parler de la sécurité du barrage de Kajaki, qui va fournir de l'électricité à deux millions de gens, peut-être. Évidemment, le représentant de l'UNICEF, Nigel Fisher, a parlé de progrès.
    Ces choses doivent être vues sur une base graduelle. L'Afghanistan est plus étendue que l'Iraq, avec 30 millions d'habitants, et nous avons des ressources limitées. Un travail immense a été fait. Personne ne parle des juges qui ont été formés — 75 et 95 et 20. Il se fait beaucoup de progrès. Et il y a la collaboration entre la jirga du côté afghan et la jirga du côté pakistanais. Il y a une certaine communication.
    Il y a évidemment des sujets d'inquiétude, et vous en avez parlé — les acteurs régionaux — mais il y a eu un nouveau développement. J'aimerais connaître votre réaction. Il y a un nouveau front national uni qui a vu le jour. Êtes-vous au courant? Si vous l'êtes, qu'en pensez-vous? Il y a aussi l'ancien ministre de la Défense, Mohammad Qasim Fahim, et Yunus Qanoni et Mustafa Zahir, le petit-fils de Zahir Shah, qui essayait de créer un poste de premier ministre. Je considère tout cela comme positif, parce qu'ils songent à une démocratie. J'aimerais entendre vos opinions là-dessus.
    Merci, monsieur Khan.
    Monsieur MacDonald.
    Je pourrais peut-être commencer par répondre à ce que vous avez dit à propos de l'absence d'attention des médias. Comme j'ai des contacts occasionnels avec les médias, je peux peut-être vous répondre.
    J'ai couvert la première guerre du Golfe pour CTV et aussi la crise des Balkans avec CTV. Une des choses que j'ai trouvée vraiment intéressante, ça a été de constater combien la capacité d'attention s'était rétrécie dans l'intervalle. Quand Lloyd m'interviewait à la fin d'une séquence de données pendant la première guerre du Golfe, on passait en moyenne 2 minutes 40 secondes à converser. Au moment de la Bosnie, c'était tombé à 1 minute 15 secondes — 1 minute 10 secondes. Pour cette raison, l'attention qui peut être accordée aux détails ne fait que baisser. Le capacité d'attention se réduit en quelque sorte.
    Entre autres facteurs déterminants à la télévision, il y a d'abord le vieux principe journalistique qui veut que le sang qui coule fait couler de l'encre, autrement dit, il est beaucoup plus facile de parler de mauvaises nouvelles que de bonnes nouvelles. S'ajoute à cela la difficulté d'obtenir des images. Sans images, on ne peut pas raconter l'histoire. C'est pourquoi il est si difficile de se servir de la télévision comme principal moyen pour communiquer des idées complexes, comme c'est le cas en Afghanistan.
    Dix secondes.
    D'accord, je vous les accorde. Ce sera tout.
    Quand on parle de retirer nos soldats, et du sentiment négatif dans le soutien des troupes, pensez-vous que cela a des effets sur leur sécurité en Afghanistan? Si quelqu'un dit retirer vos troupes, l'ennemi pense que c'est un maillon faible dans la chaîne: si l'on attaque un peu plus de gens, ils vont finir par les retirer.
    Merci, monsieur Khan. Malheureusement, nous n'avons pas le temps d'entendre la réponse.
    Madame McDonough.
    Merci beaucoup.
    Je vous remercie, messieurs, de vous joindre à nous aujourd'hui. Je dois dire que vous nous avez livré beaucoup d'information et qu'à défaut de pouvoir la traiter ou y réfléchir, il est difficile de dialoguer avec vous. Je ressens tout cela un peu comme une attaque, mais je sais que ce n'était nullement votre intention.
    Il y a deux choses qui me gênent considérablement. Tout d'abord, je pense qu'il y a de façon générale un échec... Je ne veux nullement porter cette accusation contre vous, mais j'ai l'impression que c'est devenu comme une habitude. Cela se produit toujours au Parlement lorsqu'on essaie de poser des questions, et c'est trop souvent le cas dans ce comité. On a tendance à faire de l'amalgame et à éviter certaines distinctions; on parle en général des troupes de l'ISAF, et non pas spécifiquement de ce que les militaires canadiens font à Kandahar dans le cadre de la mission anti-insurrectionnelle. Il en va de même lorsqu'on nous parle des réussites, mais il est très rare qu'on nous donne l'information dont nous aurions besoin pour évaluer spécifiquement notre mission à Kandahar.
    Je tiens à dire, monsieur Fisher, que j'ai beaucoup apprécié le fait que dans votre exposé, vous ayez reconnu l'existence d'un problème très sérieux, étant donné que le Canada est bien loin de faire l'effort de 0,7 p. 100 d'aide publique au développement. On entend constamment dire que nos principaux engagements concernent l'Afghanistan, mais personne ne veut jamais reconnaître que nous sommes à moins d'un tiers, sinon d'un quart du niveau d'engagement des autres pays développés.
    J'aimerais parler des rapports auxquels vous avez fait référence pour nous donner toutes ces bonnes nouvelles concernant les progrès réalisés. L'essentiel de ce que vous nous avez soumis aujourd'hui va carrément à l'encontre de l'évaluation présentée la semaine dernière par le secrétaire général dans son rapport au Conseil de sécurité.Ce rapport expose en détail le fort sentiment d'hostilité de la population afghane tant à l'égard du gouvernement afghan que des pays qui lui assurent leur soutien. Cette situation résulte du niveau consternant de corruption, des mauvaises nominations et, comme l'a dit lui-même M. Fisher, du fait que les plus lourdes menaces à la sécurité subies par la plupart des Afghans proviennent non pas des talibans, mais de la corruption qui existe au niveau des fonctionnaires et de la violence imposée par les seigneurs de guerre, les trafiquants de drogue, etc. Est-ce que vous pourriez nous en parler? J'adresse ma question spécifiquement au colonel Pellerin et au colonel MacDonald.
(0955)
    Très brièvement, s'il vous plaît.
    Oui.
    Je m'arrête ici, et s'il reste du temps pour une autre question...
    Comme nous n'avons guère de temps, je cède la parole au colonel MacDonald, car c'est lui qui a analysé ce rapport.
    Il est indiscutable que la corruption des fonctionnaires posent un problème critique en Afghanistan. Et si les fonctionnaires afghans sont corrompus, c'est parce qu'il y a de l'argent pour les corrompre. Cet argent vient essentiellement du trafic de drogue. On dispose d'énormes quantités d'argent qui peuvent servir à acheter un fonctionnaire et, subséquemment, à créer des situations dans lesquelles la population locale constate que les fonctionnaires qui devraient travailler dans son intérêt ne servent en réalité que le leur.
    À cela s'ajoute un autre problème, c'est que la communauté internationale a décidé de se consacrer en priorité à la reconstruction de l'armée nationale afghane, qui est actuellement en bonne voie. Certains observateurs — et je dois admettre que je suis assez d'accord avec eux — affirment que c'est sur la police nationale afghane qu'il aurait fallu mettre l'accent en priorité, car elle est très en retard sur l'armée nationale quant à la mise en place de forces armées crédibles et uniformes qui doivent agir dans l'intérêt de la population, et non pas à leurs propres fins.
    Si nous réussissons à réformer le ministère de l'Intérieur dont relève la Police nationale afghane, je pense que nous serons en bien meilleure position pour assurer l'avenir.
    Merci, monsieur MacDonald.
    J'aimerais poser une courte question complémentaire.
    Vous avez très peu parlé de la nécessité d'une démarche résolue de consolidation de la paix d'envergure régionale. Je sais que M. Fisher y a fait référence, et je tiens à citer la formule qui veut que dans les opérations de paix, l'essentiel est de faire en sorte que le recours à la force militaire vienne en appui au processus de paix, et non qu'il le remplace. Cette formule émane d'Ernie Regehr, mais le même point de vue est exprimé par ceux qui font l'expérience de la participation à une véritable opération de consolidation de la paix. J'aimerais avoir votre avis à ce sujet, car c'est une préoccupation que partagent beaucoup de Canadiens.
    Merci, madame McDonough.
    Oui, absolument. Si je peux faire un bref commentaire — et je signale que j'ai travaillé avec Ernie Regehr et que j'ai pour lui le plus grand respect — je suis tout à fait d'accord pour qu'on procède ainsi quand c'est possible en Afghanistan, et je pense que cela s'est effectivement produit.
    Il faut savoir que l'intervention de l'ISAF a commencé par le nord et l'ouest, qui étaient des régions plus faciles à contrôler. Dans les zones de ce type, il est possible de consolider la paix, et c'est ce qu'on a fait. Il y a du développement, de la reconstruction, on rebâtit des écoles et d'autres infrastructures, et c'est effectivement ce qui se fait. En revanche, dans le sud, on trouve deux des pires éléments en conjugaison, à savoir l'argent de la drogue et les talibans, qu'il faut neutraliser avant de se consacrer à la consolidation de la paix, et c'est malheureusement ce qui se passe actuellement.
    Mais je pense qu'après avoir passé un an à Kandahar, je peux dire qu'il y a eu des progrès considérables dans cette province.
(1000)
    Merci, monsieur Pellerin.
    J'aimerais poser brièvement une question à M. Fisher. Nous ne vous avons guère entendu pendant la période des questions et des réponses, mais vous dites dans votre conclusion que le Canada devrait prendre un engagement à long terme envers l'avenir de l'Afghanistan, soit bien au-delà de 2010.
    Je pense que le Canada s'est engagé à long terme, notamment en matière d'aide humanitaire, il s'est engagé à accorder une aide financière à long terme destinée au développement et il veillera à ce que l'Afghanistan reste l'un des principaux bénéficiaires de son aide publique au développement.
    Vous dites également :
    C'est dans notre intérêt stratégique et certainement de l'intérêt de la paix et de la bonne gouvernance en Afghanistan. Il n'y a pas de solution miracle et il est prématuré de parler d'une sortie stratégique.
    Pensez-vous qu'il soit prématuré de parler d'une sortie stratégique de nos militaires en 2008 ou 2009? Est-il trop tôt pour se demander comment assurer la transition vers l'étape suivante tout en reconnaissant l'importance de la stabilité à long terme en matière de développement?
    Je pense qu'il est toujours important de s'interroger, mais lorsqu'on se demande quand nous pourrons retirer nos soldats, on se pose la mauvaise question. Ce qu'il faut, c'est d'une part une présence militaire et d'autre part, un investissement dans le développement. Lorsque je parle d'une présence militaire, c'est pour plusieurs années, bien au-delà de 2010.
    Nous devons également tenir compte des objectifs de notre démarche. On fait fausse route en considérant que l'Afghanistan n'est qu'un théâtre parmi d'autres dans la lutte contre le terrorisme international et en associant les talibans au terrorisme international. L'attention doit se porter sur l'Afghanistan, sur sa reconstruction et sur sa sécurité, qui doivent permettre d'éviter que ce pays ne devienne une source inépuisable de terroristes. Il y a là une subtilité qu'on risque de laisser échapper si l'on parle uniquement de terrorisme international, en mettant dans un même sac l'Irak et l'Afghanistan, les talibans et al-Qaida.
    En résumé, je pense qu'il est effectivement prématuré d'envisager un retrait de nos militaires au cours des prochaines années.
    Merci beaucoup.
    Je tiens à vous remercier tous les trois de votre présence parmi nous. Vous nous avez bien parlé des points que nous avons marqués en Afghanistan, des obstacles et des difficultés que nous y rencontrons toujours, mais il est bon d'entendre dire que nous faisons des progrès en direction d'un objectif que le monde entier souhaite atteindre.
    Nous allons maintenant suspendre la séance et nous la reprendrons tout à l'heure avec un nouveau groupe de témoins.
(1005)
    Nous allons reprendre nos travaux.
    Nous en sommes à la deuxième heure. Nos invités sont Marc-André Boivin, coordonnateur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix. Il a fait de la recherche dans le domaine des opérations d'établissement et de maintien de la paix. Nous accueillons également Pierre Beaudet, professeur à l'Université d'Ottawa, du Programme de développement international et de mondialisation de la Faculté de sociologie. M. Beaudet a travaillé à titre de consultant pour l'ACDI et à titre de chercheur et de directeur à Alternatives et Alternatives-International. Il a également travailler dans le domaine du développement international.
    Nous vous souhaitons la bienvenue à tous les deux. Je sais que nous vous avions déjà invités auparavant mais nous avions rencontré des difficultés. Je ne me souviens pas s'il s'agissait de difficultés techniques, mais de toute façon, nous vous souhaitons aujourd'hui la bienvenue.
    Vous savez comment fonctionne notre comité. Vous avez une dizaine de minutes pour faire votre déclaration liminaire, puis nous passerons aux questions.
    Je vous laisse la parole.

[Français]

    J'ai préparé quelques remarques. Vous le savez, car vous lisez la documentation et vous avez entendu beaucoup de témoins : peu de gens sont optimistes face à la situation actuelle en Afghanistan, à part la ministre de la Coopération internationale et le chef de l'armée canadienne.
    La plupart des gens et des analystes ont une vision assez sombre des difficultés actuelles. Je ne commenterai pas l'aspect militaire, sauf pour dire qu'il me semble qu'on peut remettre en question le fait de penser qu'on gagne la guerre parce qu'on tue 500 talibans. L'histoire a démontré que ce n'est pas de cette façon qu'on gagne une guerre. De plus, la plupart des observateurs disent que chaque fois qu'on tue un taliban, ces derniers en recrutent 500 autres. C'était ma remarque; je vais laisser cet aspect aux militaires.
    Je vais d'abord me concentrer sur la reconstruction de l'Afghanistan, sujet qui m'intéresse davantage. D'emblée, la situation est complexe. Depuis la conférence de Bonn et, plus récemment, la conférence de Londres, le Canada participe à l'effort concerté pour la reconstruction de l'Afghanistan. Cependant, la plupart des analyses montrent que le niveau actuel d'aide à la reconstruction est beaucoup trop bas, presque ridiculement bas, par rapport aux besoins et aux problématiques de l'Afghanistan.
    Vous avez peut-être vu un certain nombre de comparaisons entre les investissements consentis pour la reconstruction du Kosovo et ceux de l'Afghanistan. Le ratio est de l'ordre de 1:7 ou de 1:8. Par conséquent, les fonds consentis par la communauté internationale sont de loin inférieurs à ce qui est requis pour reconstruire l'Afghanistan. On constate aussi que l'aspect militaire est 10 fois plus important que l'aspect reconstruction. De tels ratios laissent en suspens l'engagement réel pour la reconstruction de l'Afghanistan.
    Voyons maintenant la situation sur le terrain. La situation sociale et économique ne s'améliore pas en Afghanistan. Je suis content que l'argent de l'ACDI, mon argent, serve à rouvrir des écoles et à aider un certain nombre de personnes, mais à l'échelle du pays, on ne peut pas dire avec une honnêteté intellectuelle que la situation s'améliore. La situation s'aggrave plutôt, en termes de pauvreté et de marginalisation.
     Une des choses qui m'ont frappé dans les dernières semaines est la prolifération des camps de réfugiés informels. Ça va tellement mal dans certaines régions du pays, dans le sud et ailleurs également, que les gens fuient et aboutissent dans le désert avec deux tentes et demie et très peu d'aide, parce que cela se fait d'une façon complètement désorganisée et chaotique. Cela n'est pas un bon indicateur.
    La ministre et le gouvernement canadien ont décidé d'investir dans le Programme de solidarité nationale, qui est censé aider à reconstruire les villages et les petites communautés. Ils appellent cela du quick impact. Ça, c'est la bonne nouvelle. La mauvaise nouvelle, c'est que plusieurs analyses de ce programme démontrent le caractère improvisé et chaotique et l'à-peu-près d'un certain nombre d'interventions. Ce n'est pas la faute des militaires ni celle des équipes provinciales de reconstruction, car ces gens ne sont pas nécessairement formés pour faire du développement communautaire ou pour examiner la situation d'un village et d'une communauté.
    Je ne connais pas les résultats pratiques d'une telle situation, mais je sais que l'ACDI refuse, malgré des demandes présentées en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, de livrer l'information sur les bilans approximatifs et partiels de ces opérations. Vous savez comment cela se passe à Ottawa : tout finit toujours par se savoir. Plusieurs documents qui circulent actuellement montrent que ces initiatives n'atteignent pas les objectifs prévus. Les objectifs étaient peut-être louables, mais les conditions dans lesquelles on a tenté de les atteindre ont fait en sorte qu'ils n'ont pas été atteints.
     Si on additionne les différents éléments que je viens de citer, on ne peut pas avoir l'impression que le programme de reconstruction de l'Afghanistan avance de façon systématique. Je pense que Mme McDonough a mentionné tout à l'heure que l'opinion publique afghane est assez consciente de cela. Contrairement à l'idée qu'on a souvent des Afghans, ceux-ci sont assez informés. Il y a des sites Internet, il y a Al-Jazira, il y a beaucoup d'information qui circule, et les gens sont en colère, non seulement à Kandahar, dans le sud, mais aussi à Kaboul et ailleurs dans toutes sortes de régions où on constate qu'il n'y a pas vraiment d'amélioration substantielle sur les plans social et économique.
(1010)
    Où va cet argent? La question de la corruption a été mentionnée plus tôt. J'espère que les programmes d'aide, y compris les programmes canadiens, ne vont pas se retrouver dans des eaux turbulentes. J'aimerais que l'ACDI fasse preuve de transparence et nous donne l'information, car cette information existe.
    Je conclurai très rapidement en posant la question suivante : face à ce chaos, qu'est-ce qu'on peut faire? Je ne suis pas moi-même partisan d'une espèce de retrait absolu immédiat, total, demain matin de l'Afghanistan, parce que je pense qu'un effort doit être fait. Il y a deux choses absolument fondamentales qu'il faut revoir. La stratégie actuelle, pas la tactique, ne fonctionne pas. La stratégie actuelle, vous savez d'où elle provient. Elle provient de la vision établie, même avant 2001, de réingénierie de cette partie du monde. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est abondamment documenté du point de vue des différentes stratégies élaborées à Washington. Cette stratégie ne fonctionne pas, c'est un échec en Afghanistan aussi bien qu'en Irak, aussi bien que dans d'autres conflits, et cela doit être changé. Le Canada doit défier cette stratégie. Il doit poser des questions, la critiquer et s'en désengager. Ce ne sera pas facile, mais je pense qu'il faut avoir l'honneur de le faire, comme on l'avait fait dans le cas de l'Afrique australe, l'Afrique du Sud, il y a 25 ans, il y a 20 ans lorsque, sous l'égide d'un gouvernement conservateur, on avait eu l'audace de remettre en question ce qui n'était pas acceptable à Washington et à Londres à ce sujet. Il faut négocier avec les talibans ou avec ceux que mon collègue de l'Université d'Ottawa, Roland Paris, appelle les néo-talibans. Nigel Fisher l'a dit plus tôt, les talibans et les néo-talibans, ce n'est pas Al-Qaïda. Ce ne sont pas des gentils personnages, ce ne sont pas des gens qui ont le même système de valeurs que nous, mais il faut négocier avec eux, il faut trouver un accord politique. Je pense que les commandants militaires britanniques l'ont très bien dit : cette guerre n'est pas gagnable sur le plan militaire, il faut que cela évolue sur le plan politique.
    Finalement, on doit adopter une approche régionale. Les Afghans sont au courant de ce qui se passe en Irak, les Irakiens sont au courant de ce qui se passe en Palestine, et ainsi de suite. Sans une vision globale et une approche de paix, qui entrent en contradiction avec la guerre sans fin, la guerre globale de l'administration Bush, je pense que, malheureusement, on n'y arrivera pas et que les Afghans seront des victimes de cela, les militaires canadiens seront victimes de cela. Il y a aussi des programmes d'aide et des politiques dans cette région du monde qui seront peut-être les victimes de cela quand la situation sera finalement révélée au grand jour.
    Merci.
(1015)
    Merci, monsieur Beaudet.

[Traduction]

    Monsieur Boivin, vous avez dix minutes.

[Français]

     Bonjour à vous tous. Je me nomme Marc-André Boivin. Je travaille au Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix. En anglais, pour que ce soit plus facile, vous pouvez l'appeler le Francophone Research Network on Peace Operations. C'est un groupe situé à l'intérieur de l'Université de Montréal. J'ai concentré mes recherches plus particulièrement sur l'intervention internationale en Afghanistan.
    Je tiens d'abord à vous remercier de nous recevoir ce matin. J'espère que nos propos seront utiles à votre réflexion. Je pense que le sujet est important, ce qui nous a été rappelé avec acuité au cours de la dernière semaine.
    J'ai l'intention de vous proposer ce matin quelques observations sur les objectifs visés par notre engagement en Afghanistan, la nature de notre action là-bas et la façon dont ces objectifs s'inscrivent dans un cadre international plus vaste.

[Traduction]

    La situation en Afghanistan pose des difficultés très complexes pour la participation de la communauté internationale. Je suis sûr que les nombreux témoins qui m'ont précédé vous l'ont amplement expliqué. L'Afghanistan est non seulement un cas complexe, c'est aussi de bien des façons un cas très particulier.
    Il faut avouer qu'avant les événements du 11 septembre, l'Afghanistan n'était pas vraiment un objet de préoccupation en matière de politique étrangère, non seulement pour le Canada mais aussi pour bon nombre de ses partenaires actuels en Afghanistan. La mission internationale actuelle de stabilisation après conflit aurait dû être menée au début des années 90, après que les forces soviétiques se sont retirées du territoire afghan. Peu de gens savent qu'une mission des Nations Unies a été entreprise afin de surveiller la transition qui a suivi le régime soviétique et de négocier la paix entre les factions moudjahidines rivales. Cette mission était très mal dotée en ressources et n'a donc pas pu réaliser la paix.
    Il faut garder à l'esprit que c'est de cette période que se rappelle avec amertume les Afghans lorsqu'ils évaluent la présence internationale. Lakhdar Brahimi, qui dirigeait la mission menée à cette époque, a donné sa démission à la fin des années 90 pour protester contre l'indifférence que manifestait le reste du monde au sort des Afghans et contre les ingérences régionales constantes qui alimentaient la guerre civile.
    Les attaques du 11 septembre ont changé la donne, mais il ne faut pas oublier que l'intervention internationale visait essentiellement à lutter contre le terrorisme, non à stabiliser l'Afghanistan. Des intervenants, et surtout les États-Unis, en sont venus à considérer que la stabilisation de l'Afghanistan était une garantie à long terme contre la prévalence du terrorisme. Il aura quand même fallu deux ans afin qu'ils admettent la nécessité de mettre en place des programmes pour bâtir le pays et qu'ils commencent à y consacrer les ressources nécessaires.
    La lutte contre le terrorisme et la stabilisation après conflit sont deux objectifs bien distincts qui s'opposent parfois. Les tensions entre l'opération « Enduring Freedom » et la Force internationale d'assistance à la sécurité, ainsi qu'entre leurs différents participants, l'illustrent bien. À de nombreux égards, le concept d'État en déroute a servi à faire le pont entre ces deux objectifs, et on s'en est servi à cette fin dans la dernière déclaration de politique internationale pour justifier la présence canadienne en Afghanistan. Mais à l'échelle internationale, les divisions persistent.
    Le terrorisme est d'abord et avant tout un outil qui sert à maximiser l'impact symbolique de moyens d'agir par ailleurs limités. C'est une arme qui n'a rien de nouveau et qui n'est pas exclusivement associée aux extrémistes musulmans. En Russie, les anarchistes ont utilisé l'équivalent de bombes artisanales pour assassiner le tsar Alexandre II au milieu du XIXe siècle. Pour lutter avec succès contre le terrorisme, il faut davantage compter sur les enquêtes criminelles que sur des opérations militaires complètes.
    Dans un ouvrage intitulé Beyond Terror, publié par le Oxford Research Group, on souligne que la lutte contre le terrorisme par des moyens militaires peut donner l'effet contraire de celui qui est visé et alimenter le terrorisme. Mais puisqu'il s'agit d'un phénomène qui retient énormément l'attention, il est tentant de réagir de façon excessive et de faire le jeu des terroristes en créant une réaction politique hostile hors de toutes proportions par rapport aux actes initiaux.
    La portée et la nature réelle des efforts nécessaires pour garantir une transition vers la paix en Afghanistan se précisent au fur et à mesure que les images spectaculaires des attaques du 11 septembre s'évanouissent de nos esprits. L'aide au développement qu'ont annoncé récemment le Canada et les États-Unis, ainsi que le renforcement et l'expansion de la FIAS, montrent comment la mission en Afghanistan se transforme en effort de stabilisation après conflit. Mais une fois partie l'impulsion initiale de lutter contre le terrorisme, l'approche à plus long terme doit également composer avec le fait que l'Afghanistan a de nouveau peu d'importance sur la scène internationale.
(1020)
    Les appels pour que le Canada retire promptement ses troupes sont, à mon avis, bien davantage le reflet de la fatigue de l'opinion publique qu'un mécontentement quant au déroulement de la mission canadienne. Et c'est là que se trouve le paradoxe. La nature de l'intervention internationale aujourd'hui en Afghanistan a beaucoup plus de chances de réussir, mais parallèlement, la volonté politique pour soutenir cette intervention est en perte de vitesse.

[Français]

    Au sujet de cette action canadienne en Afghanistan, l'obsession médiatique pour les pertes de vie de soldats, bien que compréhensible, obscurcit certains autres aspects de notre présence là-bas. En termes d'importance, le Canada est le quatrième contributeur d'aide internationale en Afghanistan, dépassant des pays comme la France et l'Allemagne. L'ACDI a tenu un rôle clé dans des programmes comme le Mécanisme de microfinancement et de soutien en Afghanistan, le Fonds d'affectation spéciale pour la reconstruction de l'Afghanistan et le Programme de solidarité nationale, qui, en termes de développement, ont connu beaucoup de succès.
    Le Canada s'est aussi assuré une influence politique conséquente sur ce qu'il advient de la présence internationale en Afghanistan. Il a été une des forces motrices derrière le passage à l'OTAN de l'ISAF et l'extension de l'ISAF à l'ensemble du pays, une tâche complétée uniquement en octobre 2006. Le premier ambassadeur canadien à Kaboul, Chris Alexander, est aujourd'hui l'adjoint du représentant spécial du secrétaire général qui dirige la Mission d'assistance des Nations Unies en Afghanistan, ou la UNAMA. De plus, le Canada a joué un rôle clé dans l'élaboration du pacte pour l'Afghanistan, mieux connu sous l'Afghan compact, qui établit une feuille de route pour la reconstruction et la stabilisation du pays, tant pour le gouvernement afghan que pour ses partenaires internationaux, jusqu'en 2011.
    Quant au volet militaire, l'essentiel de notre contingent opère sous l'égide de l'ISAF, une force mandatée et appuyée par l'ONU dont le rôle stipulé est de stabiliser l'Afghanistan et d'aider le gouvernement afghan à assumer pleinement sa souveraineté sur son propre territoire. Ce mandat s'inscrit clairement dans ceux typiquement votés pour les opérations de paix plus récentes de l'ONU. Certains prétendent que le Canada s'est détourné de sa tradition de casque bleu en se lançant dans une guerre en Afghanistan. Outre le fait que le mandat de la mission où opèrent nos troupes contredit cette affirmation, ces critiques omettent de spécifier que plusieurs des missions de paix sont aujourd'hui le fait d'organisations régionales telles l'Union africaine ou l'Union européenne, qui opèrent avec des mandats votés par l'ONU. Par contre, il est clair que les troupes internationales dans le sud de l'Afghanistan, en pratique, sont confrontées à une situation insurrectionnelle qui s'est rapidement dégradée en 2006. Un simple catalogue des avancées en Afghanistan — et il y en a effectivement de significatives — ne suffit pas à masquer le fait qu'au quotidien, les troupes canadiennes ont dû faire face à des insurgés en rupture totale avec le processus de stabilisation mis en place par la communauté internationale.
(1025)

[Traduction]

    Tout au long des années 90, l'armée canadienne a acquis une énorme expérience dans des opérations de pacification. Grâce aux grandes réformes qui sont mises en oeuvre et aux nouveaux investissements dans la défense, notre force militaire sera à la fois plus souple et plus facile à déployer. Cela montre bien avec quel sérieux le gouvernement canadien en est venu à voir notre participation à des opérations dans des États en déroute et fragiles.
    L'Afghanistan a également permis de démontrer comment on pouvait mieux intégrer les divers outils de la politique étrangère canadienne grâce à la collaboration du ministère des Affaires étrangères, du ministère de la Défense nationale et de l'ACDI dans la planification et la mise en oeuvre de nos opérations. C'est ce qu'on appelle de nos jours l'approche pangouvernementale.
    Même si cette approche n'est pas parfaite dans la pratique, elle permet d'espérer une participation plus clairvoyante dans les pays qui tentent d'échapper au cycle de la violence, si elle est appliquée par le gouvernement en fonction de directives politiques uniformes et soutenues.
    À bien des égards, l'intervention canadienne en Afghanistan a démontré une grande détermination, une grande concentration et une compréhension pointue. Les problèmes tiennent pour la plupart au juste milieu à établir entre les raisons de notre participation et les coûts en cause. Ces questions sont liées à des enjeux bien plus vastes qui, en soi, l'emportent sur le rôle du Canada, proprement dit.
    La première question et la plus importante est celle du rôle que joue le Pakistan. Kandahar est directement touché par les infiltrations frontalières de l'Afghanistan et le contingent canadien a fait plus que sa part pour lutter contre les activités des insurgés dans le sud du pays.
    Le Canada n'a qu'une influence très limitée à Islamabad, et ses alliés britanniques et américains ont plus de poids et devront confronter plus directement le gouvernement de Musharraf.
    L'Afghanistan a toujours été déstabilisé par les tensions régionales mettant en cause ses voisins. Le Canada devrait veiller à ce que tous les pays de la région aient intérêt à ce que la stabilité soit rétablie en Afghanistan.
    Les efforts importants et soutenus du Canada n'ont certes pas amené un certain nombre de ses alliés de l'OTAN à en faire autant. Pire encore, l'écart entre les pays qui oeuvrent dans le sud — entre autres le Canada, le Royaume-Uni ou les États-Unis  et la plupart des pays européens qui travaillent dans le nord semblent se creuser. Les pays du premier groupe viennent d'annoncer de grands investissements supplémentaires dans leurs troupes, alors que ceux du second groupe tâtonnent. Tout récemment, le gouvernement italien a survécu de justesse à un vote en vue de soutenir les troupes du pays déployées dans la région de Herat, dans l'ouest de l'Afghanistan. Les Allemands viennent d'envoyer des chasseurs à réaction en Afghanistan, mais seulement à des fins de reconnaissance.
    Il existe de toute évidence des différences majeures entre les divers acteurs internationaux quant aux objectifs ultimes, à la façon de les atteindre et à l'importance de l'Afghanistan par rapport à leurs programmes internationaux. Le Canada pourrait jouer là un rôle de coordonnateur.
    L'insurrection et la misère qui existent actuellement dans le sud sont intimement liées à l'exclusion politique d'une partie importante de la population Pashtun dans le processus de Bonn. Les Pashtun sont le groupe ethnique le plus important démographiquement en Afghanistan et les dirigeants traditionnels du pays. Ils ont également été la source d'influence des talibans.
    La paix en Afghanistan est directement liée à l'inclusion de ce segment important et désenchanté de la population. Hamid Karzai a récemment avoué qu'il avait discuté avec des émissaires des talibans. Puisqu'il est lui-même pashtun, il comprend que si l'on veut résoudre à long terme le problème de la violence, il faudra probablement compter sur un règlement politique. Une telle mesure devrait être encouragée car l'approche simpliste de la confrontation ne peut mener qu'à l'échec.
    L'expansion de la production de pavot est un indice clair des problèmes graves à long terme auxquels le gouvernement est confronté en Afghanistan. Les politiques à court terme d'éradication du pavot ont échoué lamentablement et il faudra de toute évidence trouver des solutions innovatrices.
    D'une façon plus générale, l'intervention en Afghanistan ne peut pas être conçue comme un projet à court terme qui donnera des résultats rapides. Nous avons constaté dans d'innombrables missions de stabilisation à quel point les perspectives doivent être complexes et à long terme.
(1030)

[Français]

    En conclusion, il y a une tension entre, d'une part, ce qui se passe en Afghanistan et ce qui doit être accompli avant que le pays ne puisse être en paix et, d'autre part, ce que le Canada est prêt à consentir pour aider l'Afghanistan, qui est fonction bien plus des aléas de notre politique nationale. Le Canada s'est certainement gagné le respect de la communauté internationale pour son rôle en Afghanistan. Les Forces canadiennes se sont illustrées par leur professionnalisme et leur robustesse. Nous sommes parmi les rares donateurs qui ont honoré leurs engagements à hauteur de ce que nous avions promis à l'origine, et notre insistance pour inscrire l'action internationale dans un cadre multilatéral s'est révélée être une vision à long terme.
    Il faut cependant reconnaître que la population canadienne, comme les populations des pays qui sont nos partenaires en Afghanistan, montre des signes d'impatience. Cette donne rattrapera tôt ou tard la classe politique qui, ultimement, est élue! Le Canada ne peut pas à lui seul secourir l'Afghanistan. Pour que nous puissions discuter sereinement de la façon dont le Canada peut aider l'Afghanistan, il faudra que les politiciens arrivent à équilibrer les exigences à long terme de ce type d'engagement avec ce que la population canadienne attend vraiment de la politique étrangère de son pays.
    Je n'envie pas votre tâche.

[Traduction]

    Merci.
    Nous allons commencer notre premier tour de table.
    Monsieur Wilfert, vous avez cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, messieurs, d'être venus nous rencontrer.
    Nous nous entendons tous pour dire que nous avons vu ou lu du moins des récits de réussites à court terme en matière de renforcement des capacités, qu'il s'agisse de l'ouverture de nouvelles écoles, de cliniques ou d'autres projets. Le problème qui se pose dans l'aide au développement semble relever davantage de la capacité à long terme du gouvernement afghan de maintenir ces projets de bien-être social, si je puis dire.
    Le gouvernement afghan n'a pas réussi à dépenser l'argent qu'il a reçu au titre de l'aide au développement. Il en a dépensé environ 44 p. 100, dit-on. Il n'a pas été capable de dépenser cet argent en fonction d'une approche claire et coordonnée.
    À l'automne de l'année dernière, le commandant américain a déclaré qu'il faudrait investir davantage dans le financement du développement militaire et que cet argent pourrait être utilisé. Est-ce vraiment la solution, vu que le gouvernement afghan n'arrive pas à dépenser l'argent qu'il a reçu?
    D'après vous, quels seraient les outils nécessaires pour élaborer un meilleur renforcement des capacités au lieu de mettre en place des projets comme ceux qu'il y a maintenant et qui pourraient ne pas être viables à long terme.
    Comme je l'ai dit dans mon exposé, on ne sait pas très bien ce qui se passe dans ce pays, et cela tient en partie au fait que le gouvernement a décidé de ne pas soumettre l'information à un examen public.
    Mais nous recevons des rapports, dont celui que j'ai ici, au sujet de certaines expériences des EPR depuis six mois et du programme de solidarité. On y parle d'un manque de participation de la communauté, du manque de participation réelle des femmes, de ce que les comités des villages sont encore entre les mains des personnes puissantes, influentes et bien nanties qui dirigent ces villages, de ce que le statu quo se maintient, de ce qu'il n'y a pas de surveillance et d'évaluation, de l'effet négatif sur le capital social, de l'exacerbation du conflit et de la division sociale — Et j'en passe. Ce rapport se fonde sur une série d'entrevues qui ont été menées dans la région de Kandahar aussi au cours des six derniers moins. Le résultat est très inquiétant.
    Il faut en conclure que cette orientation n'est pas la bonne. L'armée canadienne, comme d'autres armées, est fort bien entraînée pour accomplir certaines tâches, mais pas en ce qui a trait à la reconstruction sociale et économique. Il n'y a jamais eu de réussite dans ce domaine.
    C'est la première étape, et il faut passer à autre chose. Il faut cesser de mettre l'accent sur les EPR et les projets à effet rapide. Il n'existe pas d'effet rapide. L'effet rapide est négatif, alors pourquoi voudrait-on continuer. Cette tâche devrait être confiée à l'ACDI et à certains de ses partenaires, qui pourraient faire le travail selon les méthodes qu'ils ont apprises quant à la façon de réaliser le développement social.
    Il n'est pas suffisant de réunir trois habitants d'un village un lundi matin et de leur demander, au cours d'une réunion d'une demi-heure, quelles sont leurs priorités et ce qu'ils vont faire, puis de laisser 5 000 $ sur la table. Ce n'est pas la bonne façon de procéder.
    Il faudrait donc modifier l'orientation, revenir aux leçons tirées de l'expérience ainsi qu'aux méthodes plus traditionnelles de développement et de reconstruction à long terme. Est-ce facile? Pas du tout. C'est très difficile. Est-ce dangereux? Oui, c'est très dangereux.
    Mais cela ne sera pas possible tant qu'il n'y aura pas de négociations politiques pour calmer le conflit et amener du moins une partie des talibans et des néo-talibans à la table des négociations. Si nous réussissons à le faire, nous nous retrouverons avec un cas comme celui du Mozambique, entre autres, où il a été possible de redresser la barre après une guerre civile cruelle et sanglante. Mais la situation n'a pas changé en une semaine, elle n'a pas changé en essayant de tuer les insurgés et d'opter pour une solution miracle.
    Il ne suffit pas de donner de l'argent à l'Afghanistan et de voir à ce qu'il le dépense. Il faut aller au-delà de cela.
(1035)
    Pourriez-vous me répéter le nom du rapport que vous avez cité?
    Il s'agit d'un rapport rédigé par deux recherchistes indépendants, Omar Zakhilwal et Jane Murphy Thomas. Il fait partie d'une étude de l'Institut Nord-Sud portant sur les programmes d'aide humanitaire et de développement dans le contexte des guerres et des conflits. C'est toujours une ébauche de rapport.
    À l'heure actuelle, de nombreux rapports négatifs circulent au sein de l'ACDI. Et lorsque ces rapports sont publiés de façon irrégulière, j'ai bien peur que certaines personnes n'écopent. Pourquoi agir ainsi? Je ne comprends pas.
    Monsieur le président, peut-on demander un exemplaire de ce —
    Si je comprends bien, c'est toujours une ébauche. Est-ce que le rapport a été rendu public?
    Il a été rendu public, il est affiché sur le Web.
    Peut-on le déposer au comité?
    Certainement.
    Merci.
    Il vous reste 30 secondes, si vous voulez faire d'autres —
    Il me reste 30 secondes.
    Alors j'aimerais dire quelque chose pour répondre à la question soulevée.
    D'accord, nous permettrons à M. Boivin de terminer.
    J'ai eu le plaisir de me trouver ici lors de la comparution de Barnett Rubin il y a quelques semaines. C'est lui qui a rédigé le livre intitulé The Fragmentation of Afghanistan bien avant que les gens s'intéressent à ce pays.
    L'un des principales conclusions que tire l'auteur, après avoir envisagé les deux derniers siècles, c'est que l'Afghanistan n'a été capable de maintenir son régime politique que si il reçoit des sources de financement extérieures, soit en occupant une partie de l'Inde, soit en faisant des arrangements avec la Grande-Bretagne ou l'Union soviétique ou bien en tirant profit de la situation avec l'Iran, qui jouait un pays donateur contre l'autre.
    Vous avez soulevé une question très importante. Lakhdar Brahimi, l'ancien chef d'une mission de l'ONU qui s'y trouvait pendant les années 90, m'en avait parlé lors d'un entretien privé. Il m'a avoué que sa plus grande crainte, c'était d'assurer la viabilité des objectifs que nous essayons d'atteindre en Afghanistan.
    Merci, monsieur Boivin.
    Madame Lalonde.

[Français]

    Je vous remercie beaucoup, tous les deux, d'être ici.
     Je pense beaucoup au remplacement imminent des troupes canadiennes par les troupes québécoises. Le Québec, à ce moment-là, sera plus à l'affût de ce qui se passe en Afghanistan.
    Je crois que la population québécoise pourrait être d'accord sur cette participation si elle voyait une stratégie qui donne des résultats positifs et qui est en mesure d'en donner d'autres. Toutefois, il existe un élément que nous ne soulignons pas assez souvent. M. Boivin l'a souligné à la fin de son intervention, il est important que la population québécoise soit convaincue que la participation québécoise et canadienne n'est pas disproportionnée comparativement à la participation des autres pays de l'OTAN, surtout s'il y a de nombreux morts. On peut dire que ce n'est pas ainsi qu'il faut compter, mais il n'en demeure pas moins que ce n'est pas la guerre du Canada. Ce sont les États-Unis et l'OTAN qui se sont engagés, et le Canada a participé.
    J'aimerais connaître votre opinion sur ce sujet.
(1040)
    Voulez-vous savoir comment convaincre la population québécoise?
    Il me semble qu'il faut qu'elle soit d'accord sur une stratégie qui comporte un rapport efficace entre la sécurité et la reconstruction, qui donne des résultats positifs et qui a la possibilité d'en donner d'autres. Il faut aussi, bien sûr, que la participation ne lui paraisse pas disproportionnée.
    Je me permets de citer encore une fois Barnett Rubin. Quand il était ici, on lui a demandé s'il était possible d'arriver à des résultats en Afghanistan ou si la situation était désespérée. Barnett Rubin, toujours aussi vif, a répondu tout de suite que cela dépendait des objectifs fixés. Je pense que c'est la réponse qu'il faudrait donner.
    Depuis 1956, lors des opérations de paix, on a systématiquement fixé des objectifs grandiloquents, mais sans avoir nécessairement des moyens qui étaient à la hauteur de ces ambitions.
    Il me semble que c'est le problème.
    Cela a quand même fonctionné dans certains pays. Au début des années 1990, il y avait plusieurs guerres civiles en Amérique centrale qui duraient depuis de longues années. Elles ont été arrêtées par des missions de l'ONU qui bénéficiaient de ressources inférieures à ce qui avait été prévu. Elles ont quand même réussi à y arriver. La clé est de penser à long terme. Il est clair qu'il ne faut pas évaluer cela en ne considérant que les morts canadiens.
    Non, mais —
    C'est quand même ce qui fait les manchettes, ultimement, et ce qui fait que les gens se posent des questions.
     Nous n'en n'avons pas parlé, mais les Forces canadiennes sont présentement soumises à un grand programme de transformation. On a surtout parlé des programmes d'achat, mais ceux-ci ne sont pas préparés dans une espèce de vide. Les libéraux avaient entrepris tout un programme de transformation des Forces canadiennes pour tourner la page, si l'on veut, sur la guerre froide, et les conservateurs l'ont poursuivi. Une grande transformation des Forces canadiennes est en train de s'opérer en même temps que ce déploiement extrêmement exigeant. Nous recevons des signaux quant aux pressions subies par les Forces canadiennes.
    En tant que Québécois, je me sens insulté quand des médias et d'autres laissent entendre qu'on est congénitalement contre l'intervention militaire au Québec. Parfois, on va jusqu'à dire qu'il s'agit d'une question de courage, etc. Je me sens très insulté par cela et par le fait qu'on pense que les gens au Québec sont un peu niaiseux, mal informés ou qu'ils ne savent pas de quoi on parle. Je suis complètement opposé à cela.
    Je pense que les gens sont bien informés et qu'ils sont très sceptiques et très critiques, à juste titre, face à l'intervention actuelle et à la façon dont elle est menée. D'autre part, je ne pense pas qu'on réparera l'intervention en Afghanistan avec quelques petits spins — pardonnez l'expression —, c'est-à-dire avec un peu plus d'aide, un peu plus de chars Leopard, d'hélicoptères et 5 000 personnes. Non.
    Je ne pense pas qu'on réparera la situation de cette manière parce qu'elle est très mal engagée depuis 2001, et même avant. Il faudra avoir l'honnêteté de le reconnaître et remonter aux causes pour adopter une stratégie complètement différente de celle qui prévaut actuellement. Cela ne sera vraiment pas facile, parce qu'on sait très bien que les gros joueurs sont les États-Unis. Arrêtons donc de nous raconter des histoires.
    Par contre, je l'ai dit tout à l'heure, dans certains cas, le Canada a pu, dans certaines circonstances et avec certains alliés, s'opposer à des stratégies américaines qui n'avaient ni queue ni tête, comme celle d'appuyer le régime d'apartheid tout au long des années 1980. On a donc été capable de s'opposer à eux et de les faire reculer sur ce point. Dans ce cas-ci, il faudrait donc avoir ce courage. Ce serait là le vrai courage.

[Traduction]

    Merci.
    Monsieur Goldring.
(1045)
    Monsieur Beaudet, durant toutes les réunions, je n'ai jamais vraiment entendu les témoins dire que les talibans étaient des gens pas très sympathiques. Nous voyons ce que nos troupes font là-bas et ce que cela coûte d'apporter des améliorations. Vous dites qu'il n'y a pas eu d'amélioration sensible, pourtant même nos soldats qui reviennent de là — comme un seul homme — disent qu'ils approuvent ce que nous faisons parce que nous réalisons des gains considérables sur le terrain.
    Nous voyons les projets et les sept millions d'enfants qui fréquentent aujourd'hui l'école. Quand ils ont commencé là-bas, il y en avait moins de 700 000. C'est une multiplication par dix. Nous regardons le nombre de mines qui ont été enlevées. Il y a quelque 1000 kilomètres carrés de territoire aujourd'hui utilisés grâce au déminage.
    Nous savons que nous avons besoin de sécurité là-bas. Que ce soit en Haïti ou dans un autre pays en proie à des troubles et à des conflits internes, il faut un dispositif policier et de sécurité et il faut des soldats pour les mettre en place. On est en train d'apporter ces améliorations. Je trouve curieux que vous disiez qu'il n'y a pas eu d'amélioration sensible.
    Monsieur Boivin, vous avez dit que c'est très complexe et que le besoin est à long terme. Le comité le comprend. C'est un engagement à long terme. Au fur et à mesure que la situation s'améliore et que l'on instruit les enfants... c'est intergénérationnel et cela va demander du temps.
    Je pense donc comme vous que c'est complexe et à long terme. Mais je ne suis pas d'accord avec ce que vous avez dit, monsieur Beaudet, quand vous affirmez que nous n'avons pas fait de progrès sensibles.
    Merci, monsieur Goldring.
    Peut-être pouvons-nous entendre M. Khan après quoi vous pourrez répondre aux deux.
    Merci, monsieur le président.
    Ma question s'adresse à M. Boivin. Vous avez parlé du Pakistan. Pouvez-vous nous dire combien de sortes de talibans il y a? Est-ce qu'il y en a une sorte ou deux ou trois groupes? Est-ce qu'ils sont éparpillés? Est-ce qu'ils sont à l'intérieur de l'Afghanistan? Font-ils partie d'al-Qaïda? Le savez-vous?
    Aussi, pourriez-vous me dire si vous savez —  parce que je veux quelque chose de neuf. Ce que vous avez dit tous les deux est vrai : avoir une perspective historique est très utile, mais c'est quelque chose que nous avons souvent entendu.
    Que savez-vous du président précédent de l'Afghanistan, M. Rabbani, et des islamistes tadjiks, qui ont annoncé la création d'un front national uni? C'est de cela que j'aimerais que vous nous parliez. Pouvez-vous m'en dire davantage?
    Je veux aussi faire un court commentaire. Les soldats, qu'ils viennent du Québec ou d'ailleurs, sont tous canadiens et nous avons exactement le même respect pour eux.
    Merci.
    Merci, monsieur Khan.
    Monsieur Boivin, je pense que la plupart des questions vous étaient adressées.
    Je pense qu'elles étaient adressées à M. Beaudet, d'abord en ce qui concerne les progrès.
    Je pense qu'il reste encore beaucoup de recherche à faire. Je répète que je ne suis pas heureux du fait que ceux qui possèdent de l'information la gardent pour eux. Si nous l'avions, nous pourrions porter un jugement plus nuancé. Il y a toutefois quelques macro-indicateurs. Ce n'est pas parce qu'un petit nombre d'écoles sont bâties que l'on peut porter un jugement définitif.
    Au fait, beaucoup des écoles qui ont été construites ont été détruites depuis. Dans beaucoup de villages où on a mis des enfants à l'école, les enfants ne la fréquentent plus. Cela varie terriblement.
    Il serait très prématuré et un peu audacieux de conclure qu'il y a eu des progrès considérables. Ce qui est le plus frappant et le plus évident, ce sont les reculs. Il y a eu des reculs sur le plan de l'immense accroissement de la production de l'opium, ce qui signifie que l'agriculture n'a pas redémarré. Il y a eu des reculs sur le plan des droits et de la législation. La loi sur l'impunité, qui permet aux gens qui ont commis des atrocités, de s'en tirer, est vraiment douteuse. Il y a la situation à Bagram et la situation dans beaucoup de prisons officielles et non officielles, où on a largement recours à la torture. Malheureusement, il y a eu une petite histoire canadienne il y a quelques semaines, etc.
    Je pense donc que la situation est très sérieuse.
    Êtes-vous allé récemment en Afghanistan pour constater par vous-même?
    Oui, j'ai visité le pays. Je suis allé à Kaboul, parce que lorsque vous vous retrouvez à Kandahar, vous ne pouvez sortir du bunker canadien.
    Monsieur Boivin.
    Pour ce qui est de savoir combien il y a de sortes de talibans, et où ils se situent, lorsque les talibans ont été renversés, ils ont évidemment dû passer dans la clandestinité. Cela rend la tâche de les identifier d'autant plus difficile.
    Selon les rapports que j'ai lus — et vous avez probablement accès à des rapports beaucoup plus secrets — ils se sont fragmentés en quatre groupes environ, et chaque groupe a la responsabilité de diverses régions où ils peuvent mener des actions de façon presque indépendante. Il y a des rapports qui indiquent que dans certaines régions, les talibans ont dit qu'ils n'attaqueraient pas les écoles parce qu'elles avaient l'appui de la population et que les talibans ne voulaient pas se mettre les habitants à dos. Dans d'autres secteurs, les talibans ont braqué leurs fusils contre des enseignants et ont attaqué les écoles.
    En fait, l'utilisation du terme « néo-taliban » permet peut-être de mieux les différencier du mouvement qui avait pris le pouvoir dans les années 90. Deuxièmement, c'est un mouvement très fragmenté.
    Vous savez déjà sans doute que la population pachtoune se situe des deux côtés de la frontière, la ligne Durand. Il y a une importante population pachtoune dans les agences tribales et les régions autonomes où l'influence du gouvernement pakistanais est très limitée. Ces populations tribales ont des liens entre elles, et il y a beaucoup d'activités, que ce soit d'ordre insurrectionnel ou économique, de part et d'autre de la frontière qui sont très difficiles à contrôler.
    Nous savons que les chefs talibans dirigent les opérations de façon ouverte à partir de Quetta, au Pakistan. Une semaine après la visite du vice-président Cheney au Pakistan, on a tout à coup procédé à la première arrestation d'un important chef taliban.
(1050)
    Le temps est déjà largement dépassé.
    C'est un exemple. Le Pakistan a ses propres problèmes. Sa dynamique gouvernementale est très complexe. Dans quelle mesure Musharraf est-il en cause, dans quelle mesure est-ce dû à l'ancien ISI...
    Merci, monsieur Boivin. Je dois vous interrompre.
    Madame McDonough, s'il vous plaît.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Beaudet, je ne veux pas vous prêter de propos, mais j'aimerais vous demander une précision. Vous avez parlé d'un rapport interne de l'ACDI dont on refuse la publication. En tant que députée, dont le travail est de participer aux décisions, je trouve cela alarmant. Pourriez-vous m'en dire davantage à ce sujet?
    Deuxièmement, en ce qui a trait au Pakistan, j'aimerais vous demander à tous deux si vous êtes au courant des observations et des conclusions qui ont été publiées au cours des derniers jours par Haroon Siddiqui, un journaliste très respecté — pour ne pas dire un rédacteur émérite — au Toronto Star. Lorsqu'il est revenu du Pakistan récemment, il en avait long à dire, entre autres sur le fait qu'il faut cesser de jeter le blâme sur le Pakistan. Permettez-moi de citer ses propos :
Le Pakistan reconnaît qu'il y a des centaines de milliers de sympathisants talibans au sein des millions de Pachtous dont les tribus chevauchent la frontière entre l'Afghanistan et le Pakistan, frontière qui est traversée tous les jours par près de 300 000 Pachtous.
    Ce qu'il dit, c'est que la situation est incontrôlable. Il souligne que la frontière entre les États-Unis et le Mexique est incontrôlable et qu'il ne faut pas se leurrer. Comment pourrait-on croire que ce soit la solution? Ce qu'il dit, en fait, c'est que la seule solution, c'est la collaboration pleine et entière des talibans et du gouvernement pakistanais dans un processus régional d'établissement de la paix.
    J'aimerais savoir ce que vous pensez de ces deux questions.
    Pour répondre brièvement, mon collègue de la faculté de droit, le professeur Amir Attaran, est engagé dans cette voie depuis six mois. Il se bat avec les fonctionnaires de l'ACDI pour se procurer les documents. C'est tout ce que je sais de cette situation. De l'autre côté de la rivière, j'ai entendu des rumeurs selon lesquelles il y a des cas problèmes. Cela ne signifie pas que rien n'est fait et qu'il n'y a pas d'efforts véritables et valables, mais il faut examiner la chose sous un angle plus général.
    Au sujet du Pakistan, je suis d'accord avec vous sur le fait que la situation est complexe. La crise au Pakistan ne dure pas depuis deux semaines seulement, ce pays a vécu la majeure partie de son histoire dans un régime de dictature militaire. Il faut remarquer que les États-Unis, qui ont appuyé militairement le Pakistan pendant bon nombre d'années, se sont maintenant tournés vers une alliance stratégique avec l'Inde, y compris dans le domaine nucléaire. Le gouvernement pakistanais est donc très inquiet. Pas besoin d'être un génie pour imaginer que le Pakistan se gardera des atouts dans la manche. Si cette alliance stratégique entre les États-Unis et l'Inde est mise sur pied, il est logique de penser que le gouvernement pakistanais continuera d'user de divers stratagèmes.
    Je ne défends pas le Pakistan, car j'estime qu'il est indéfendable, mais il se passe beaucoup de choses déplorables dans cette région. Par conséquent, jeter le blâme uniquement sur le Pakistan serait mal comprendre la situation globale. C'est mon opinion à ce sujet.
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    S'agissant de pointer le Pakistan du doigt, ce qui se passe, c'est que pour pouvoir assurer sa survie, le gouvernement Musharraf s'est allié aux partis islamistes, ceux-là mêmes qui soutenaient les talibans. Il y a donc un lien direct. Mais pour renchérir sur ce que disait M. Beaudet à ce sujet, il faut dire que, dans le contexte plus général, les problèmes de gouvernance au Pakistan ont une incidence sur les problèmes de gouvernance en Afghanistan. Les deux pays ont tellement de liens différents entre eux que pour le gouvernement pakistanais, il est tout à fait évident qu'il doit avoir une certaine influence sur quiconque est au pouvoir en Afghanistan et en tirer une certaine satisfaction.
    Karzai a été en exil en Inde, il y a fait ses études. Lorsqu'on parle de l'Inde aux Pakistanais, ils voient rouge. La situation est très antagoniste dans cette région. Les deux pays n'arrêtent pas de se jouer toutes sortes de sales tours. L'Inde a ouvert un consulat à Kandahar, à Peshawar, c'est-à-dire en territoire pachtou, ce que le Pakistan considère comme une insulte à son emprise sur l'Afghanistan.
    Il y a un autre petit jeu qui se joue avec l'Iran, lequel contrôle certains secteurs d'Herat. Vous avez parlé de la coalition de Rabbani, et cela également est relié à l'influence de l'Iran sur l'Afghanistan. L'idée est ici que tous ces protagonistes considèrent la partie comme un tout ou rien, en ce sens que soit je contrôle l'Afghanistan à 100 p. 100 et personne d'autre n'exerce quelque contrôle que ce soit, ou alors c'est quelqu'un d'autre qui le contrôle entièrement. Et c'est comme cela depuis des dizaines et des dizaines d'années. Il s'agit donc de changer cette mentalité en disant s'il vous plaît, laissez l'Afghanistan en paix et essayez d'arriver à un genre d'entente.
    Merci beaucoup. On ne parle pas beaucoup de ce genre de choses.
    Merci beaucoup, madame McDonough.
    Je voudrais également remercier nos invités d'être venus aujourd'hui. Nous vous sommes reconnaissants de ce que vous nous avez appris dans ce dossier, un dossier qui est, à mon avis, d'une grande importance, mais qui préoccupe également au plus haut point tous les Canadiens puisque nous essayons d'offrir à un pays qui en a aussi désespérément besoin les meilleures réponses possible.
    Sur ce, nous allons conclure ce volet de notre réunion et je demanderais aux membres du comité de bien vouloir rester quelques instants pour nous permettre de discuter des travaux du comité. Aurons-nous suffisamment de temps pour le faire?
    Le sous-comité pourrait peut-être s'en saisir.
    Très bien. Nous allons donc remettre à plus tard l'examen des travaux du comité dont il sera question au comité de direction. La séance est levée.