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FAAE Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 055 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 6 avril 2017

[Enregistrement électronique]

  (0845)  

[Traduction]

    La séance est ouverte.
    Bonjour à tous. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous poursuivons notre étude de la situation en Europe de l'Est et en Asie centrale 25 ans après la fin de la guerre froide. Comme vous le savez, nous approchons de la fin de cette étude. Nous allons entendre ce matin deux gestionnaires importants d'Affaires mondiales Canada, à savoir M. Leigh Sarty, directeur général de la Direction générale des affaires européennes; et M. David Morgan, directeur par intérim de la Direction des relations avec l'Eurasie et l'Europe de l'Est.
    Comme à l'accoutumée, nous allons laisser une dizaine de minutes à nos témoins pour leur exposé, après quoi nous passerons aux questions des membres du Comité. Nous allons passer environ une heure et demie avec nos témoins; il n'y a donc rien qui nous presse. Chacun aura la chance de poser ses questions et d'échanger librement avec eux. Comme vous le savez, la conjoncture évolue rapidement en Europe de l'Est, et ce, presque au quotidien, si bien que le moment ne saurait être mieux choisi pour discuter avec les représentants d'Affaires mondiales Canada.
    Je vais maintenant laisser la parole à M. Sarty pour ses observations préliminaires. Il répondra ensuite à nos questions avec l'aide de M. Morgan.
    Nous vous écoutons.
    Bonjour à tous.
    Avant de vous lire mon exposé, permettez-moi de convenir avec vous que notre comparution arrive à point nommé. J'ai eu le grand plaisir de témoigner devant votre comité un peu avant Noël. Je ne me souviens plus exactement de la date — je crois que nous avons tous vécu une année un peu semblable — mais c'était avant votre voyage.
    Je suis vraiment heureux de pouvoir vous rencontrer à nouveau au retour de ce déplacement. J'ai pris connaissance de quelques-uns des rapports produits par notre personnel diplomatique à la suite de votre visite dans la région, et j'ai grande hâte d'entendre ce que vous avez à dire à ce sujet. En outre, nous nous efforcerons, M. Morgan et moi-même, de répondre à toutes vos questions au meilleur de nos capacités. Nous avons convenu que c'est moi qui allais vous présenter notre exposé, après quoi nous serons tous les deux à votre disposition.
    Je vais commencer par vous donner un aperçu des principaux défis en matière de sécurité et de politique étrangère que doivent affronter l'Europe centrale et de l'Est et l'Asie centrale, et j'enchaînerai avec l'évolution récente de la situation et le rôle du Canada dans la région.

[Français]

     Bien que la situation soit différente au Kazakhstan, en Lettonie, en Pologne et en Ukraine, ces pays doivent affronter des difficultés semblables liées à leur héritage soviétique, et ils ont en commun un contexte caractérisé par l'influence de la Russie et par les défis qui s'y rattachent sur le plan de la sécurité.

[Traduction]

    Le 18 mars a marqué le troisième anniversaire de l'annexion de la Crimée, une mesure qui viole le droit international et qui a ravivé des clivages historiques de longue date qui rappellent l'époque de la guerre froide. Votre visite en Ukraine a coïncidé avec une poussée de la violence, qui a diminué depuis. Bien que les combats se poursuivent, ces flambées et ces accalmies démontrent que le niveau de violence peut être maîtrisé, tant qu'il existe la volonté politique d'y parvenir. Le Canada continue d'exhorter la Russie à utiliser son influence pour désamorcer la situation.
    À la suite des actions de la Russie dans l'est de l'Ukraine en 2014, les pays voisins, dont la Pologne et la Lettonie, ont manifesté une vive inquiétude à l'égard des interventions russes dans la région et ont préconisé une présence militaire accrue sur leur flanc est. Cette demande a été prise en compte et le Canada joue un rôle de chef de file en tant que pays-cadre en Lettonie tandis que les États-Unis assument un rôle équivalent en Pologne. En effet, la Pologne a accueilli le 28 mars le premier bataillon du groupement tactique dirigé par les États-Unis, dans le cadre de la présence avancée renforcée de l'OTAN.

  (0850)  

[Français]

    Le Kazakhstan est préoccupé par la croissance de l'extrémisme violent et par l'instabilité attribuable à la proximité de l'Afghanistan. Bien que des organisations comme l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe apportent un soutien pour ce qui est de renforcer les capacités du Kazakhstan en matière de sécurité des frontières et de lutte contre le terrorisme, l'intervention de la Russie concernant la sécurité de l'Asie centrale dépasse de loin ce que les autres pays et organismes font.

[Traduction]

    En février, le président Poutine a visité le Kazakhstan, la République kirghize et le Tadjikistan afin de souligner 25 ans de relations bilatérales et de discuter du renforcement de la coopération en matière de sécurité. À la fin mars, l'armée du Tadjikistan a tenu des exercices militaires conjoints avec plus de 2 000 soldats russes près de la frontière avec l'Afghanistan. En regardant vers l'avenir, le Kazakhstan souhaite avant tout maintenir son indépendance à l'égard d'une Russie déterminée et d'une Chine en plein essor.
    Le rôle du Canada en Europe centrale et de l'Est et en Asie centrale revêt une importance stratégique et comporte deux volets. Il a pour objectif de renforcer la sécurité et la stabilité dans la région tout en faisant progresser la bonne gouvernance et le développement économique. Nos contributions dans le cadre de l'opération Reassurance sont des symboles concrets de l'engagement du Canada envers les principaux alliés de l'OTAN et à l'égard de la défense et de la sécurité de la région. Depuis mon dernier témoignage devant ce comité, le Canada a renouvelé l'opération Unifier — la mission militaire du Canada en Ukraine.
    De récentes visites et des rencontres bilatérales avec des interlocuteurs de tous les pays en question témoignent de l'engagement accru du Canada dans la région. Tout récemment, soit les 23 et 24 mars, la ministre Freeland et le ministre Champagne ont accueilli le ministre des Affaires étrangères de la Lettonie, M. Edgars Rinkevics, à Ottawa à l'occasion de sa première visite officielle au Canada. Ils se sont entretenus avec lui de la relation bilatérale fructueuse entre le Canada et la Lettonie, de la défense et de la sécurité régionales, et des relations entre le Canada et l'Union européenne.

[Français]

     La ministre Freeland a rencontré M. Waszczykowski, ministre des Affaires étrangères de la Pologne, à la réunion des ministres des Affaires étrangères de l'OTAN qui a eu lieu à Bruxelles le 31 mars. Les discussions ont alors principalement porté sur la coopération militaire et l'Ukraine.
    La ministre Freeland a aussi participé à la récente commission OTAN-Ukraine organisée en marge de la réunion des ministres des Affaires étrangères.

[Traduction]

    Sur le plan commercial, l'Accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne (AECG) constituera la pierre angulaire de notre future relation avec la Pologne et la Lettonie. Le Parlement de la Lettonie a voté pour la ratification nationale de l'AECG le 23 février. Le fait que la Lettonie soit le premier État membre à ratifier l'accord témoigne de notre relation croissante et ouvre la voie à un rythme plus soutenu en ce qui concerne la ratification nationale par des pays voisins. Le ministre Champagne s'est rendu en Lettonie le même jour pour mettre en évidence cette réalisation.
    Le Canada accroît aussi sa coopération économique avec l'Ukraine par l'intermédiaire de l'Accord de libre-échange Canada-Ukraine signé en juillet 2016. Cet accord dont le processus de ratification est en cours au Canada a été ratifié par l'Ukraine le 14 mars. Le Canada est aussi un ardent défenseur des efforts de réforme de l'Ukraine, ayant fourni un soutien multiforme de plus de 700 millions de dollars dans les domaines des finances, du développement, de la sécurité et de l'aide humanitaire. Le Canada continue d'appuyer les réformes au Kazakhstan dans le cadre de l'initiative des « 100 mesures concrètes » du président Nazarbayev, et il célébrera demain le 25e anniversaire des relations diplomatiques entre les deux pays.
    En conclusion, notre approche est globale et s'inscrit dans le cadre de notre stratégie générale en matière de sécurité dans la région et de notre soutien actuel et passé aux efforts de réforme des différents pays. Le Canada et ses alliés devront s'adapter aux défis continus dans la région, à l'ordre mondial en évolution et aux tendances politiques changeantes. Nous aimerions connaître vos observations à la suite de votre mission d'établissement des faits, y compris les domaines où vous voyez une incidence potentielle de l'engagement du Canada, et nous aimerions qu'un dialogue soit noué avec des parlementaires canadiens.
    Merci beaucoup.

  (0855)  

    Merci beaucoup, monsieur Sarty.
    Nous passons maintenant aux questions.
    Nous débutons avec M. Kent.
    Merci, monsieur le président.
    Merci à tous les deux d'avoir bien voulu comparaître à nouveau devant nous.
    J'aimerais débuter avec une question concernant votre commentaire à l'effet que le Canada doit continuer d'exhorter la Russie à utiliser son influence pour désamorcer la situation en Ukraine. Nous savons bien évidemment que le Canada contribue aux efforts déployés par l'OTAN pour dissuader M. Poutine de tenter de nouvelles invasions sur les territoires des pays baltes ou en Pologne. Si l'on fait abstraction des rencontres entre ministres, j'aimerais savoir quelles ont été les interactions entre sous-ministres et personnel diplomatique depuis l'imposition de sanctions à la Russie il y a plusieurs années déjà. Comme vous le savez, il est possible que notre comité adresse de nouvelles recommandations au gouvernement en matière de sanctions, mais c'est une autre histoire.
    J'aimerais que vous nous parliez simplement des échanges qui ont lieu au quotidien, en dehors des rencontres ministérielles, entre le Canada et la Russie pour essayer de dissuader M. Poutine de continuer à se laisser guider par son aventurisme et par ses velléités territoriales.
    Merci, monsieur Kent. C'est avec plaisir que je vais vous répondre.
    Disons d'abord et avant tout que nous pouvons observer deux phases bien distinctes depuis 2014 — et je vais vous faire grâce du cours d'histoire.
    Il faut d'abord considérer la nature des interactions lorsque l'ancien gouvernement conservateur était au pouvoir. Comme ce gouvernement avait coupé tous les ponts avec la Russie dans le cadre du programme général de sanctions faisant suite à l'annexion de la Crimée et de l'Ukraine, les contacts entre les deux pays étaient forcément très limités. Ainsi, je sais que l'ambassadeur de la Russie qui est arrivé en poste à Ottawa en octobre 2014, si je ne m'abuse, n'a rencontré officiellement les représentants d'Affaires mondiales Canada qu'au moment où le gouvernement libéral a annoncé son intention de reprendre le dialogue.
    Je peux aussi vous parler de la façon dont les choses se déroulaient du côté de Moscou, car j'y étais chef de mission adjoint jusqu'en août dernier. Avant l'annonce de l'intention du gouvernement libéral de renouer les liens, nos contacts se limitaient à des convocations par le ministère des Affaires étrangères qui souhaitait se plaindre de différences choses. Je n'ai pas besoin de vous dire que nous avons profité de chacune de ces très rares occasions pour faire valoir que les agissements russes étaient totalement inacceptables et qu'il fallait que les troupes russes sortent de Crimée et de l'est de l'Ukraine.
    Nos relations sont plus fréquentes depuis que le ministre Dion a annoncé la reprise du dialogue à la fin de mars de l'an dernier, soit il y a un peu plus d'un an. Nous travaillons donc à rétablir le contact. Je dirais toutefois que le problème fondamental à régler quant au comportement de la Russie demeure essentiellement le même. Les changements intervenus à l'initiative du nouveau gouvernement témoignent plutôt d'une volonté de rapprochement s'appuyant sur la conviction qu'il est d'autant plus important de le faire dans le cas des pays avec lesquels on est en désaccord. C'est donc dans cet esprit que nous interagissons plus activement avec les Russes.
    Le message est donc demeuré le même, tout au moins dans notre perspective, et les échanges sont plus soutenus, mais les progrès demeurent relativement modestes. Même si ce n'est pas ce que vous vouliez savoir, je dois souligner que le ministre Dion a rencontré le ministre Lavrov en juillet dernier et qu'il n'y a pas eu d'autres contacts à ce niveau depuis.
    Pour ce qui est des échanges entre fonctionnaires, des cadres supérieurs d'Affaires mondiales Canada se sont rendus à Moscou. Ainsi, Mark Gwozdecky, notre directeur des affaires politiques, y est allé en novembre pour discuter d'enjeux liés à la sécurité internationale et de la situation au Moyen-Orient. Je crois d'ailleurs que l'une de mes collègues était à Moscou pas plus tard que la semaine dernière pour participer à des discussions bilatérales. Si elle avait été à Ottawa, elle aurait sûrement comparu devant vous aujourd'hui pour parler du Kazakhstan et de l'Ukraine.
    Notre message est demeuré ferme et inchangé, et, même si nos contacts se sont intensifiés, nous sommes encore très loin d'une relation que l'on pourrait qualifier de normale.

  (0900)  

    Il est bien certain que du point de vue de l'opposition nous n'avons constaté aucun avantage concret découlant de la nouvelle approche tactique du gouvernement. Nous convenons toutefois que les communications doivent être maintenues dans une certaine mesure pour continuer à condamner les agissements des Russes, non seulement en Europe de l'Est mais aussi en Syrie où ils ont été complices de l'attaque au moyen d'armes chimiques.
    J'aimerais savoir ce que vous pensez de la situation au Bélarus. La conjoncture y est très instable actuellement. Il y a eu des manifestations. Nous avons pu observer une tentative de libéralisation avec une certaine forme de résistance de la part des Russes, et nous assistons actuellement à une intensification de la répression par le gouvernement du Bélarus.
    La situation du Bélarus est très intéressante. Par où commencer?
    Je suppose qu'il faut parler d'abord de Lukashenko, ce politicien extrêmement rusé et aguerri qui dirige le pays. D'une certaine façon, il est sorti de nulle part. Il a été élu pour une première fois en 1994 alors qu'il était président d'une ferme étatique. C'était peu de temps après l'accession complètement inattendue, à mon sens, du Bélarus à l'indépendance à la suite de l'effondrement de l'Union soviétique en décembre 1991. Si vous me permettez un cliché, il a gouverné le pays avec une poigne de fer depuis.
    Parmi les caractéristiques intéressantes, il faut noter que l'on parle encore du « KGB » au Bélarus malgré les réorganisations et les changements d'appellation intervenus en Russie relativement aux services de sécurité. J'ajouterais que ce n'est pas une simple question de nomenclature; c'est aussi symbolique d'une certaine manière. En effet, les façons de faire de Lukashenko s'apparentent grandement à celles d'un chef dirigiste. Cet ancien président d'une ferme d'État a été élevé et formé dans une Union soviétique qui misait sur la centralisation des pouvoirs et la stabilité. C'est d'ailleurs en grande partie dans cette optique de stabilité qu'il envisage les enjeux liés à la société civile et aux aspirations des citoyens en vue d'une réforme démocratique et d'une plus grande ouverture.
    Compte tenu de son engagement à maintenir la stabilité et de sa volonté de demeurer au pouvoir, il a eu un parcours plutôt sinueux en se montrant très habile dans ses relations, autant avec son très important voisin russe à l'est qu'avec les pays de l'Union européenne à l'ouest.
    Nous avons ainsi connu des périodes de dégel relatif qui n'ont jamais duré. Je me souviens que quelques prisonniers politiques ont été libérés en 2008-2009, ce qui a donné lieu à une réaction vraiment favorable au sein de l'Union européenne, davantage qu'au Canada. Quoi qu'il en soit, nous avons tout de même envisagé la possibilité de reprendre le dialogue avec le Bélarus. Nous y avons totalement renoncé avec l'intensification des répressions à la suite des élections de 2010 dont les résultats ont été falsifiés au vu et au su de tous.
    Nous sommes revenus récemment à une situation relativement plus favorable — n'est-ce pas, David? — quant à l'ouverture manifestée à l'endroit de la société civile. C'est dans ce contexte que nous avons pu nouer davantage de liens avec le Bélarus, mais Lukashenko continue malgré tout sa valse-hésitation entre la Russie et l'Occident. Reste quand même que Lukashenko va toujours croire que la stabilité du Bélarus passe par son maintien au pouvoir, ce qui limite grandement les possibilités qu'il permette une ouverture aussi grande que ses partenaires occidentaux le souhaiteraient.
    Cela étant dit, il n'est pas totalement incapable de tenir tête aux Russes. Ceux-ci ont exercé de très fortes pressions pour pouvoir installer une nouvelle base aérienne au Bélarus, et il a joué de finesse pour éviter que cela se produise.
    Assez ironiquement, malgré le déséquilibre des pouvoirs avec la Russie, il a des atouts importants dans son jeu. Il faut savoir que la Russie en a déjà plein les mains avec ce qui se passe en Ukraine et les difficultés que lui causera le futur déploiement des troupes de l'OTAN. La Russie sait donc très bien qu'elle a tout intérêt à continuer de faire cause commune avec le Bélarus en maintenant la situation relativement stable dans ce pays. C'est ainsi que Lukashenko ou « le grand-père » comme on le surnomme dans la langue de son pays, peut disposer d'un peu plus de marge de manoeuvre.

  (0905)  

    À mes yeux, il demeure certes primordial de suivre de très près la situation au Bélarus. La place étonnamment importante que ce pays occupe dans la sphère géostratégique exige sans nul doute notre attention.
    En fin de compte, je dirais qu'il ne faut pas sous-estimer la capacité de Lukashenko à esquiver les coups pour demeurer au pouvoir, préserver une stabilité relative dans son pays et satisfaire ses très puissants voisins à l'est dans la mesure du raisonnable.
    Merci, monsieur Kent.
    Nous passons à M. Fragiskatos.
    Merci, monsieur le président.
    Merci d'être des nôtres aujourd'hui.
    Ma question porte sur la société civile et la liberté d'action — ou le manque de liberté d'action, en fait — dont bénéficient les organisations de la société civile, surtout au Kazakhstan et en Pologne, où des mesures très concrètes ont été prises pour contrecarrer les visées de la société civile et l'empêcher d'exercer quelque influence que ce soit aux fins de la démocratisation. Les acteurs de la société civile semblent disposer d'un peu plus de marge de manoeuvre en Ukraine et en Lettonie.
    Peut-être pourriez-vous nous dire ce qu'il en est et même nous entretenir de la situation dans d'autres pays, comme le Bélarus dont vous venez de parler?
     Je sais par exemple que l'on vient tout juste de déposer en Hongrie un projet de loi qui s'appliquera aux ONG qui ont des liens financiers à l'étranger avec l'organisation de George Soros — lequel est en quelque sorte démonisé dans ce pays — ou des liens de communication avec d'autres ONG installées en Occident qui seraient tout à fait justifiées de vouloir favoriser un dialogue démocratique en Hongrie et dans les régions d'Europe centrale et de l'Est...
    J'aimerais bien entendre ce que vous pouvez nous dire à ce sujet.
    Merci beaucoup.
    C'est un enjeu vraiment crucial. Je dirais sans crainte d'exagérer que vous touchez vraiment au coeur de la problématique. Il suffit de penser à tous les défis qui se sont présentés à l'échelle planétaire au cours des dernières années. Pensons au Brexit l'été dernier et à l'incertitude relative qui en découle. Pensons à l'élection de Donald Trump au sud de la frontière. Pensons à ces inquiétudes que nous avions à l'approche des élections aux Pays-Bas quant aux répercussions de la montée apparente du populisme — bien que ce soit une désignation simpliste et réductrice — et des incertitudes que cela crée du point de vue politique. Au coeur de cette question, la situation dont vous parlez est en quelque sorte l'une des manifestations de ce phénomène général.
    Je m'empresse de faire une mise en garde, comme je crois que vous l'avez fait vous-même en posant la question. Il va de soi que la situation peut varier pour ce qui est des ONG dans la société civile. Il y a des grandes similitudes, mais les distinctions sont importantes lorsque nous nous intéressons par exemple au Kazakhstan, plutôt qu'à la Pologne.
    Je dirais que les efforts qui semblent aller dans le sens de ce mouvement de la part des gouvernements, que l'on soit en Pologne, au Kazakhstan ou en Hongrie, un pays dont la situation est extrêmement préoccupante comme vous l'avez indiqué, sont en quelque sorte une réaction aux incertitudes associées de manière plus générale à un monde où les gens ont l'impression d'avoir perdu leurs repères. Ils ressentent les effets pernicieux d'une croissance qui demeure lente, les difficultés qu'éprouvent les jeunes à trouver du travail et une impression que les citoyens de la classe moyenne, que l'on parle de la version kazakhe ou de la version polonaise de la classe moyenne, ne bénéficient pas des mêmes possibilités que ceux des générations précédentes. C'est dans ce contexte que les gouvernements se posent vraiment des questions quant aux moyens à prendre... Les gens sont en quête de certitude et de stabilité. Cette volonté se manifeste de différentes manières dans les pays dont vous avez parlé.
    C'est le cas au Kazakhstan. Comme vous l'avez sans doute appris lors de votre passage là-bas, le Kazakhstan se tire en quelque sorte un peu mieux d'affaire que les autres pays éprouvant des difficultés en Asie centrale. Autrement dit, si l'on compare avec la situation en Ouzbékistan ou au Tadjikistan, par exemple, Nazarbayev s'en tire plutôt bien pour ce qui est de son engagement à maintenir des relations avec l'Occident et de ses efforts pour améliorer les services d'aide à la population avec le concours du Canada. Le tout se concrétise cependant en grande partie sur la toile de fond d'une culture politique qui témoigne encore de ses origines soviétiques. Cela se traduit en fin de compte par une certaine méfiance à l'endroit de la société civile, un peu dans le sens de ce que j'indiquais concernant le Bélarus quant à la volonté concrète de maintenir la stabilité et aux restrictions qui doivent être imposées à cet effet relativement aux activités des ONG. C'est donc ce qui rend la situation difficile au Kazakhstan.

  (0910)  

    En Pologne, la situation est fort intéressante, évidemment. Nous devons bien entendu souligner son caractère distinct, car selon toute vraisemblance, la Pologne, nouvellement membre de l'UE, n'a jamais été aussi prospère. Je ne me souviens plus des chiffres exacts. Vous les avez probablement entendus lorsque vous y étiez. Au moment de la chute de l'URSS, je crois que les PIB par habitant de la Pologne et de l'Ukraine étaient relativement semblables. La Pologne était peut-être légèrement en avance, mais maintenant, son PIB par habitant est de quatre à cinq fois plus élevé que celui de l'Ukraine, sinon plus. Il y a des chiffres très révélateurs qui montrent à quel point l'adhésion de la Pologne à l’UE a contribué à la prospérité du pays. Néanmoins, lorsque l'on tente de comprendre les dernières mesures prises par le gouvernement du PiS en Pologne, en particulier ses mesures très troublantes visant à limiter le travail du Tribunal constitutionnel — ou de l'organe constitutionnel — et d'autres mesures sociales douteuses, je pense que c'est en quelque sorte une réaction au sentiment de déracinement que ressent le grand public.
    Pour revenir au contexte plus global, au XXIe siècle, à une époque de faible croissance et de changements technologiques, les gens de tous les pays essaient, d'une façon ou d'une autre, de s'accrocher à quelque chose. En Pologne, le gouvernement actuel tente — et, ironiquement, avec un certain succès — de profiter de la nostalgie de la Pologne pour insister sur l'importance d'une Pologne rurale, d'une vie agricole paisible. Cela va naturellement à l'encontre des directives des Eurocrates de Bruxelles. Autrement dit, on veut affirmer que la Pologne est unique et a sa propre façon de faire. On constate tout de même certains déraillements, mais il reste que la Hongrie est le pays qui nous préoccupe le plus ces temps-ci. En revanche, tous les membres de l'UE devraient en principe défendre, au même degré, la démocratie, le pluralisme, etc. N'empêche que si l'on regarde la façon dont le régime polonais actuel s'attaque à ces problèmes mondiaux, on se rend compte que les valeurs que l'on voudrait universelles ne sont pas aussi fortes qu'elles devraient l'être, et c'est une source d'inquiétude.

  (0915)  

    Dans quelle mesure s'agit-il d'une question de trajectoire? Autrement dit, le Kazakhstan, la Pologne... ce sont relativement... Je vais m'en tenir à la Pologne et à l'Ukraine. En Ukraine, on a pris des mesures pour obliger les organisations de lutte contre la corruption à divulguer leurs dépenses et leurs actifs. Le but de ces mesures, semble-t-il, est de s'assurer que la société civile fonctionne sous l'égide de l'État et dans le respect de la volonté de l'État.
    Pour ce qui est de l'Ukraine et de la Pologne, dans quelle mesure est-ce lié au fait qu'il s'agit de deux nouvelles démocraties encore en train de s’adapter? Ou est-ce plutôt attribuable aux tendances actuelles au sein de chacune des démocraties et aux mesures particulières qui ont été prises par leurs dirigeants?
    Par exemple, la Lettonie est une démocratie relativement jeune elle aussi, mais on semble laisser plus de place à la société civile. Pourriez-vous nous parler de cette tension? D'un côté, vous nous dites que ce sont deux nouvelles démocraties qui se cherchent, mais d'un autre côté, la Lettonie est une nouvelle démocratie qui semble beaucoup plus ouverte à une société civile, peut-être pas dynamique, mais une société civile active qui n'est pas constamment sous le joug du gouvernement.
    Je pense que vous soulevez un très bon argument. Lorsque l'on parle de la Pologne, il ne faudrait pas négliger l'importance de l'élément subjectif, c'est-à-dire la mesure dans laquelle ses derniers agissements et ses écarts évidents par rapport à ce que l'on pourrait considérer comme un modèle de comportement pan-européen, sont attribuables à M. Kaczynski lui-même.
    Il est difficile d'expliquer la raison pour laquelle la Pologne a tenté si vigoureusement d'empêcher la réélection de Tusk à titre de président du Conseil européen, si ce n'est que pour la solide haine de M. Kaczynski, et celle de ses partisans, à l'égard de cette figure importante du parti d’opposition. Il y a donc cet élément subjectif qui peut jouer un rôle très important pour établir la trajectoire de l'État.
    Je conviens tout à fait que ces pays ont un point en commun: ce sont des démocraties relativement jeunes. Ce que nous constatons, à divers degrés, c'est que la Lettonie ne semble pas être confrontée aux mêmes difficultés que la Pologne, ou même la Hongrie ces temps-ci.
    Ce qu'il convient de garder à l'esprit, c'est l'importance de l'histoire et de la culture politique. Je pense que nous, au Canada et en Occident — le « nous » collectif —, pouvons en parler plus largement. Nous en avons d'ailleurs un peu discuté avant le début de la séance. Encore une fois, je pense que le « nous » collectif, au début des années 1990, lorsque l'Union soviétique s'est effondrée, était animé des meilleures intentions. Cependant, je pense qu'avec le recul, même les soi-disant experts se sont avérés trop optimistes par rapport à la possibilité que les obstacles à l'établissement d'une démocratie dynamique et à l'ouverture des marchés, comme en Occident, puissent être surmontés.
    Ce dont nous sommes témoins, c'est le fait que même en Pologne et en Hongrie, ce sont les véritables... Il est clair que pour ces anciens pays de l'Union soviétique et du bloc de l'Est qui ont adhéré à l'Union européenne, il s'agissait de la meilleure situation possible. Malgré ces facteurs favorables, nous assistons à des difficultés, à ce retour à des mesures d'une époque antérieure. Il y a de vieilles habitudes qui sont perpétuées et qui découlent de plusieurs décennies d'un régime communiste... C'est quelque chose qui est encore plus évident au Kazakhstan, et assurément en Ukraine.
    Je trouve tout de même ironique, et plusieurs personnes l'ont fait remarquer, qu'en 1989 ou 1990, même avant la chute de l'Union soviétique, selon les tendances de l'époque en Europe de l'Est, le politicologue américain, Fukuyama, ait écrit à propos de la fin de l'histoire en disant littéralement que c'était « terminé »...
    Malheureusement, c'est risible, mais cela témoigne du positivisme de la fin du XVIIIe siècle. Il aurait même pu parler des avancées pour l'humanité, de l'avènement de la démocratie et du libre marché. « Ça y est, nous y sommes. C'est la fin de l'histoire. » Il s'agit de l'un des exemples les plus tristes de cet optimisme démesuré auquel on assistait à l'époque. Selon ce que vous et d'autres avez indiqué aujourd'hui, hélas, il semble que cet optimisme ait été quelque peu exagéré.

  (0920)  

    Nous en sommes maintenant au point où nous devons dire — et je ne veux pas parler au nom du Comité, mais j'imagine que l'impression que vous avez eue après avoir visité la région était — qu'il est nécessaire de se retrousser les manches et d'intensifier nos efforts pour collaborer avec ces pays et les aider à établir une trajectoire positive plutôt que négative.
    Merci, monsieur Fragiskatos.
    Je vais maintenant céder la parole à Mme Laverdière.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Merci également à nos deux témoins de leur présence ici ce matin.
    Ma question fait un peu suite à ce que vous avez mentionné plus tôt. Nous avons entendu des témoignages à propos de l'Ukraine selon lesquels les efforts déployés jusqu'à maintenant pour lutter contre la corruption et pour assurer la bonne gouvernance n'avaient pas toujours donné les résultats escomptés, compte tenu de l'importance de ces efforts.
     Certaines personnes nous ont aussi parlé de reform fatigue, ou lassitude à l'égard des réformes, en Ukraine. Comment percevez-vous les progrès réalisés et dans quelle mesure les Ukrainiens se sont-ils approprié le besoin de réformes? Ont-ils simplement l'impression que cela leur est imposé de l'extérieur?

  (0925)  

    Merci beaucoup.
    Cette question est assez complexe. Cela pourrait nous prendre toute une journée pour seulement commencer à y répondre. Ce serait préférable que je continue en anglais.

[Traduction]

    En effet, l'Ukraine est un exemple particulier et complexe, surtout pour les Canadiens.
     Étant donné la réalité que nous connaissons tous, c'est-à-dire la solide et dynamique diaspora ukrainienne au Canada — près de 1,2 million de personnes, si je ne m'abuse —, on pourrait dire que c'est un facteur important qui a contribué à la version nationale de l'optimisme au Canada dont j'ai parlé plus tôt. L'effondrement de l'Union soviétique avait laissé croire à de nombreux Canadiens d'origine ukrainienne que leur pays d'origine deviendrait enfin libre, qu'il ne serait plus sous le joug du gouvernement russe et qu'il pourrait accéder un jour à la communauté des nations occidentales. C'était très enivrant, et c'est ce qui est en partie à l'origine de notre engagement sincère envers l'Ukraine. Nous allons faire tout notre possible pour l'aider à s'engager sur la voie de la réforme.
    Encore là, évidemment — et vous en avez donné des exemples tout à l'heure —, la situation s'est révélée plutôt difficile, au point où, comme vous l'avez dit, on constate une lassitude à l'égard des réformes. Je pense qu'il y a encore beaucoup de choses en Ukraine qui nous permettent de demeurer optimistes, mais en même temps, les difficultés sont tellement grandes.
    Nous parlons d'optimisme. Il y a un héritage de dynamisme qui perdure. Nous l'avons vu dans les rues, non seulement sur la place de l'Indépendance en 2013 et en 2014, mais aussi avant cela, bien entendu, pendant la révolution orange. Cela démontrait l'engagement d'une grande partie de la population en Ukraine qui rêvait d'une vie meilleure, d'une vie qui était tout le contraire de celle proposée par la grande puissance orientale, la Russie.
    Tout juste après la fuite de Ianoukovitch en février 2014, il y a un événement qui m'a particulièrement marqué. Certains d'entre vous s'en souviendront peut-être. La foule avait réussi à défoncer les portes de l'un de ses palaces — littéralement, des palaces — dans les environs de Kiev, si je ne me trompe pas, et on pouvait y voir de la robinetterie en or, des faisans, etc. Nous avons pu constater l'opulence dans laquelle le président vivait ainsi que toute la corruption qui y régnait. Depuis lors, les jeunes — mais aussi les plus vieux — qui ont risqué leur vie à Maïdan, ont clairement indiqué que ce n'était pas le futur auquel ils aspiraient: vivre dans un pays où les dirigeants vivaient ainsi, alors qu'il y avait de grands problèmes.
    Dans cette optique, c'est une source d'optimisme; de voir les Ukrainiens dans les rues qui ont fait des efforts depuis... En fait, j'étais à Bruxelles il y a quelques semaines et j'ai dîné avec plusieurs spécialistes de la région. Nous avons eu une bonne discussion, et je les ai crus sur parole. On peut dire que l'Ukraine — en partie en raison de l'histoire et du fait que, pendant si longtemps, l'Ouest du pays a vécu sous la domination de l'Empire austro-hongrois et n'a pas toujours fait partie de la sphère russe — a la capacité d'être un pays occidental.

  (0930)  

     Tout cela peut nous amener à être optimistes. Mais malgré tout ce qui peut nous pousser à être optimistes, malgré la sincérité des gens qui veulent se joindre à l'Union européenne et vivre dans la dignité et avec les avantages que leur procureraient la démocratie et l'ouverture des marchés, il y a en Ukraine, comme je l'ai dit tout à l'heure, l'héritage historique de l'époque où ils faisaient partie de l'empire russe, et plus particulièrement, de leur expérience sous le régime soviétique.
    Même s'il y a des éléments très forts qui tendent vers la réforme et le changement, comme je l'ai décrit, d'un autre côté, on retrouve également la persévérance des attitudes fondamentales à l'égard de la gouvernance, de la politique et de la société civile qui sont beaucoup plus soviétiques. La notion qui consiste à veiller à ses propres intérêts et à en obtenir le plus possible pour soi-même et sa famille, et à ne pas se préoccuper de cette chose abstraite appelée société civile rend la chose très difficile.
    Enfin, il y a la réalité de la pression exercée activement par la Russie et ce qui se passe dans l'Est. L'annexion de la Crimée est une chose distincte. C'est terrible pour les relations internationales en général, et pour l'État ukrainien. Mais lorsqu'on parle de l'effet pernicieux de la Russie sur les politiques ukrainiennes, la situation dans l'Est parle d'elle-même.
    La décision de la Russie d'appuyer les séparatistes et de faire intervenir son armée était en partie motivée par la peur des répercussions qu'une Ukraine qui a réussi à se réformer et qui bénéficie de son adhésion à l'OTAN et à l'Union européenne aurait sur l'Est et son régime. La pression des développements dans l'Est — le besoin de faire la guerre, sans parler de l'impact économique — accentue les difficultés auxquelles l'Ukraine est confrontée et, comme vous l'avez dit, mène à cette lassitude à l'égard des réformes.
    J'ose croire que c'est l'impression que vous avez, ayant été là-bas.... Je suis sûr que vous avez rencontré des militants locaux, qui s'expriment beaucoup mieux que moi et, évidemment, qui sont plus passionnés, étant donné que c'est leur pays, et que vous avez entendu parler de l'importance de maintenir notre engagement, tout en continuant d'être réalistes face aux perspectives — il s'agit d'un défi de taille; la route sera longue —, mais malgré tout, il faut demeurer engagés. C'est ce que nous devons faire.

[Français]

     Merci beaucoup.
    À propos de la Russie justement, le gouvernement parle de renouveler son engagement concernant ce pays. Cela me semble très bien, mais y a-t-il un plan général? Lorsqu'il est question d'engagement, nous le savons fort bien, celui-ci ne peut se faire seulement à propos de sujets avec lesquels nous sommes en désaccord. Il faut avoir un plan d'ensemble, un plan global qui proposerait divers enjeux. Par ailleurs, nous consultons beaucoup nos alliés de l'OTAN avant de prendre position par rapport à la Russie.
    Selon vous, dans quelle mesure, du point de vue diplomatique, la coordination est-elle assurée avec nos alliés européens, comme l'Allemagne et d'autres pays, et quels en sont les mécanismes?
    Pouvez-vous nous faire part de vos commentaires là-dessus? Merci.

  (0935)  

    Il s'agit encore de très bonnes questions.

[Traduction]

    Pour ce qui est du rétablissement des relations avec la Russie, comme je l'ai dit plus tôt, on progresse modestement et non pas à pas de géant. On prévoit continuer d'aller de l'avant conformément à l'analyse qui a guidé notre approche à son égard depuis les développements du printemps 2014. Il s'agit d'une approche à deux volets: le dialogue et la dissuasion, soit deux éléments étroitement liés. Vous en avez parlé et, en effet, c'est l'approche sur laquelle se sont entendus les alliés de l'OTAN. Nous reconnaissons tous l'importance et l'utilité du dialogue et de la dissuasion.
    En ce qui concerne la dissuasion, le Canada assume un rôle de chef de file en Lettonie, en tant que pays-cadre de la présence avancée renforcée de l'OTAN dans ce pays. Le déploiement aura lieu au printemps.
    Pour ce qui est du dialogue, en renouvelant notre engagement, nous nous attendons à pouvoir exprimer directement nos préoccupations aux hauts fonctionnaires russes. Nous devons également continuer de faire participer la société civile en Russie, qui ressent beaucoup de pression et qui doit garder espoir, particulièrement les jeunes.
    Dans le cadre de notre engagement auprès de la Russie, nous cherchons à trouver des façons de collaborer dans l'intérêt du Canada, particulièrement dans le dossier de l'Arctique, qui est évidemment au coeur de nos discussions. Je dirais que l'un des développements bureaucratiques utiles à cet égard — sans trop entrer dans les détails de ce qui relève d'Affaires mondiales Canada — est le fait que ma collègue qui, comme je l'ai dit plus tôt, serait probablement devant vous aujourd'hui si elle n'était pas en voyage d'affaires, est maintenant haute représentante de l'Arctique du Canada au sein du Conseil de l'Arctique et également mon homologue responsable des relations bilatérales avec la Russie. Je parle ici de Mme Alison LeClaire. Elle était à Moscou pas plus tard que la semaine dernière dans le cadre de discussions bilatérales, qui ont suivi sa participation à un événement sur la coopération dans l'Arctique à Murmansk, en Russie. Voilà donc une autre occasion d'établir les domaines dans lesquels nous pouvons collaborer. Si je dis cela, c'est parce que c'est dans l'intérêt du Canada, compte tenu de l'importance de l'Arctique pour notre pays et dans le monde. Qu'il s'agisse du développement des populations du Nord ou de la lutte contre les changements climatiques, l'Arctique est très important, et qu'on le veuille ou non, la Russie est un joueur extrêmement important dans l'Arctique.
    C'est donc dans cette optique que la reprise du dialogue entre le Canada et la Russie sert nos intérêts, mais nous devons également discuter avec eux de certains enjeux tels que la lutte contre le terrorisme, et voir comment nous pourrions travailler ensemble de façon constructive. Je vous ai dit plus tôt que nous avions eu des pourparlers au sujet de la situation au Moyen-Orient et en Syrie. Voilà comment notre engagement renouvelé nous aidera à faire avancer les intérêts du Canada, mais ce n'est pas cet engagement, à lui seul, qui va encourager la Russie à prendre un nouveau virage et à adopter de nouvelles mesures à l'avenir.
    Comme je le disais à propos de l'Ukraine, il s'agit d'un défi à long terme, et nous devons aller jusqu'au bout.

  (0940)  

    Merci, madame Laverdière.
    Je vais maintenant céder la parole à M. Saini.
    Bonjour. Parlons de la région plus globalement.
    Pendant notre visite là-bas, nous avons notamment constaté la campagne russe de désinformation. J'en parle, parce que, dans les quatre pays où nous sommes allés et dont vous parliez dans votre déclaration préliminaire, le Kazakhstan, la Pologne, la Lettonie et l'Ukraine, de 20 à 25 % de la population semble appartenir à l'ethnie russe. Dans bien des cas, les médias y sont dirigés, directement ou non, par des médias russes ou leur appartiennent.
    Compte tenu de notre engagement dans cette région, particulièrement à la faveur de l'opération Reassurance, que nous dirigeons maintenant, et des exemples spectaculaires de fausses nouvelles qui nous ont été révélées au centre d'excellence de l'OTAN à Riga, notamment de faux gazouillis ou de faux messages sur Facebook, que fait le gouvernement canadien? Avons-nous un plan? Nous envoyons nos soldats là-bas. Nous savons que nous serons bombardés de désinformation, parce que la Russie essaie de susciter une opposition intérieure dans cette ethnie russe. Disposons-nous d'une stratégie contraire pour passer notre message au peuple, qu'il sache que notre travail là-bas bénéficiera à l'ensemble de la région?
    Merci beaucoup.
    Ma réponse est simplement oui. Je peux catégoriquement vous rassurer: nous élaborons une stratégie. Vous venez de soulever une question d'une importance capitale, et j'y reviendrai dans un moment. Je peux vous rassurer, vous et les autres membres de votre comité, que nous sommes très conscients de l'importance, de la nature et de la gravité de ce problème ainsi que de la grande importance de notre participation au déploiement de la présence avancée renforcée et de l'importance, pour nous, d'être conscients de ce problème et de le neutraliser. En ce moment même, les équipes compétentes de communication de la Défense et de mon ministère discutent vivement de stratégies précises pour neutraliser ce problème.
    Je saisis l'occasion pour, d'abord, vous dire que j'accueille avec grand plaisir vos observations. La gravité du problème nous est apparue pendant nos visites récentes là-bas. Je pense que nous ne devons jamais oublier que les Russes comprennent, en le montrant ouvertement ou entre eux, que l'Ouest est plus fort qu'eux. En fait, c'est l'une des causes du problème. À un certain niveau, même si le président Poutine ne l'avouera jamais à voix haute, ils le montrent par leurs actions, en dépit de leur patriotisme, en dépit des discours: ils continuent d'envoyer leurs enfants et leur argent à Londres et ils étudient à Harvard plutôt qu'à l'Université d'État de Moscou.
    En effet, cette situation justifie pour les Russes la perception qu'une lutte sans merci les oppose à l'Ouest décidé à les endiguer, à réduire leur sphère d'influence et à limiter leur rôle dans le monde. Contre cet adversaire supérieur à plus d'un titre, tous les coups sont permis. Et l'un de ces coups est exactement le phénomène que vous décriviez.

  (0945)  

    Avec les cinq républiques d'Asie centrale, la Russie a créé l'Union économique eurasienne, pour conserver son hégémonie dans la région ou continuer à la contrôler.
    D'après moi, le Kazakhstan est peut-être le plus puissant des cinq, comme vous l'avez dit dans votre déclaration préliminaire. En raison de la situation économique de la Russie, très peu d'échanges ont lieu dans cette union. Grâce, particulièrement, à l'initiative chinoise de la Nouvelle Route de la soie, la Chine semble avoir infiltré de diverses façons ces républiques. De mémoire, je pense que les Chinois sont effectivement devenus les banquiers pour le monde extérieur du Tadjikistan, un pays qui était très isolé.
    Une tension naturelle s'est désormais établie, en raison du recul de la zone d'influence proche de la Russie. Cette zone était censée être son rempart, mais les Chinois semblent l'avoir franchi furtivement. Je sais qu'Almaty est une étape de cette route, qui traverse trois des cinq républiques.
    Croyez-vous qu'il s'instaurera une tension naturelle entre la Russie et la Chine? Comment se résorbera-t-elle?
    Merci. Bienvenue à la version du XXIe siècle de The Great Game.
    Je pense que vous avez mis le doigt sur une dynamique régionale très importante. Pour vous répondre, je pourrais vous retourner la fin de votre question: je l'ignore. Il est très difficile de dire comment ça se passera.
    Une analyste clairvoyante de la fondation Carnegie pour la paix internationale, Martha Brill Olcott, qui travaille à Washington, a publié un article que je serai heureux de communiquer ensuite à M. Lee. Elle est l'une des rares véritables spécialistes de l'Asie centrale. À l'automne de 2013, elle a rédigé un très court document d'orientation pour la fondation qui démontrait brillamment, et il faudrait étudier de près l'évolution de la situation depuis, que la grande rivalité entre la Chine et la Russie en Asie centrale n'existait plus, puisque la Chine l'avait emporté.
    Ça renvoie à des événements qui, à l'époque, n'étaient qu'en germe, mais qui, depuis, comme vous venez de le dire, ont eu lieu. Mais la prudence est de mise. De mémoire, je dirais que d'un seul coup, en une année ou deux, la Chine est devenue le premier investisseur au Tadjikistan, en y plaçant d'un coup 500 millions de dollars.
    Fait intéressant, la Russie détient dans la région deux atouts durables, à ne pas négliger: le legs de l'histoire et son pouvoir de velours, qui restent en grande partie vrais. Encore une fois, vous pourrez l'avoir personnellement constaté à la lecture du curriculum vitae des hauts fonctionnaires que vous avez rencontrés au Kazakhstan. Je serais curieux de savoir combien d'entre eux possédaient une maîtrise de l'ex-Université d'État de Leningrad ou un diplôme de premier cycle de l'Université d'État de Moscou. Aujourd'hui, on pourrait y ajouter une maîtrise en administration des affaires de Harvard. Mais, encore, Moscou, la métropole, serait l'endroit où les élites actuelles se font les dents sur la période soviétique et même postsoviétique.
    Encore une fois, je n'ai pas les chiffres sous les yeux, mais beaucoup de Russes de souche sont retournés en Russie après l'effondrement de l'Union soviétique. Ils ne voulaient pas demeurer dans des régions comme le Tadjikistan ou l'Ouzbékistan. Quand même, le russe continue de se parler couramment dans tous ces pays, ce qui conserve à la Russie une certaine influence durable dans la région.
    Un deuxième aspect est la sécurité. La 201e division de fusiliers motorisés, environ 5 000 Russes, reste stationnée en permanence pour étoffer la sécurité au Tadjikistan.

  (0950)  

    J'y reviendrai. Quand j'ai visité le Kazakhstan, je me suis aperçu notamment que malgré notre présence diplomatique, notre présence commerciale semblait briller par son absence. Or, ce pays est une charnière importante. Parmi les cinq, c'est peut-être le plus stable. Nous y avons été accueillis avec beaucoup de chaleur et d'hospitalité. Les habitants semblent désireux de renforcer leurs intérêts commerciaux.
    Sachant la présence de la Russie et de la Chine dans cette région très particulière, à la faveur de l'initiative de la Nouvelle Route de la soie et de toutes les autres de ce genre, croyez-vous qu'Affaires mondiales Canada, maintenant chargé du commerce, serait bien inspiré, pour cette raison, de nouer d'abord des rapports et d'encourager les entreprises canadiennes à s'y établir?
    On est aussi en train d'y créer une université, celle d'Asie centrale, avec une importante participation canadienne. Nous pourrions, il me semble, y consacrer nos meilleures ressources pour ne pas seulement satisfaire nos intérêts politiques, mais commerciaux aussi.
    Oui, c'est une excellente question. Voulez-vous répondre, David?
    Vous avez absolument raison. En fait, je pense que, d'une certaine manière, votre question nous ramène à celles que vous avez déjà posées. Depuis 1991, le Kazakhstan et les républiques d'Asie centrale se démarquent notamment par leur détermination d'être souverains et indépendants, peut-être comme d'autres pays de la région qui ont joué un jeu très intéressant à cette fin et y sont très bien parvenus.
    Ils sont absolument très conscients de l'énorme influence de la Russie, mais ils ont pris des mesures, peut-être plus énergiques au Kazakhstan, pour conserver leurs options, et ça transparaît dans leurs ambitions commerciales. La géographie les pousse très vigoureusement dans l'orbite économique russe. Ils sont heureux de faire partie de l'union économique, mais ils voient bien, et le Kazakhstan s'en est le moins caché, que c'était une façon de soutenir leur économie et leur indépendance. Ils y voient un pont vers l'ouest bien plus qu'un moyen de les caler dans l'orbite économique russe.
    À cet égard, il se peut très bien que la Chine ait remporté la victoire, mais, d'un point de vue plus provincial, les Kazakhs seraient très heureux de recevoir une part importante des investissements chinois, qui sont en grande partie apolitiques et qui servent de contrepoids à la domination russe sur leurs rapports économiques.
    Il me semble que ces pays veuillent intensifier leur activité commerciale, parce qu'ils essaient vigoureusement, même le Kazakhstan, d'atteindre le niveau d'un pays membre de l'OCDE. Je pense qu'ils cherchent davantage à s'arracher à l'influence de la Russie ou de la Chine, parce qu'ils ont les yeux tournés vers une sphère différente et ils constatent que leurs économies ont désormais acquis un pouvoir d'attraction pour les entreprises occidentales et que les règles du jeu sont assez bien connues d'avance. C'est une belle occasion à saisir par les intérêts commerciaux du Canada.

  (0955)  

    Puis-je ajouter quelque chose? Pour maintenir les liens commerciaux avec le Kazakhstan, Affaires mondiales Canada peut visiblement compter sur la présence du service des délégués commerciaux sur place à Astana. Encore une fois, vous en avez probablement entendu parler, le Canada occupe des créneaux. La participation de Cameco est d'une importance capitale au Kazakhstan. Dans ce pays très riche en uranium, d'autres investissements se font dans les industries extractives.
    Cependant, je pense que l'un des défis à surmonter, pour le commerce canadien en général, est qu'il n'y a que... Le service des délégués commerciaux est là pour reconnaître les occasions à saisir, les faire connaître, aplanir les difficultés, mais il faut d'abord la volonté de vraiment s'engager des gens d'affaires canadiens. C'est l'histoire des échanges commerciaux canadiens en général. Alors que nous avons, dans le Sud, ce vaste marché américain si bienveillant, il est difficile d'éveiller nos gens d'affaires à l'attrait des occasions qu'offre le Kazakhstan éloigné, mais nous faisons ce que nous pouvons.
    Merci beaucoup, monsieur Saini.
    Entendons maintenant M. Sidhu.
    Merci, monsieur le président.
    Je vous remercie tous les deux pour vos réponses.
    Dernièrement, l'horreur a frappé en Syrie. Des armes chimiques ont tué des dizaines de victimes. L'opinion des États-Unis à l'égard de la Syrie diffère de celle des puissances européennes. L'ambassadrice Nikki Haley et le secrétaire d'État Rex Tillerson ont prétendu que le départ d'Assad n'était plus nécessaire, mais ce crime franchit une limite qu'il ne fallait pas...
    Comment réagira désormais l'Europe à la question syrienne, vu que le premier joueur occidental, les États-Unis, bien sûr, diverge d'opinion sur cette question fondamentale?
    Je ne veux pas m'exprimer au nom d'Affaires mondiales Canada sur ce qui vient de se produire en Syrie. Je pourrais vous donner une opinion purement personnelle, mais je ne veux même pas.
    Je suis heureux de communiquer cette question à nos fonctionnaires qui suivent la situation, qui sont absolument au courant et qui peuvent exprimer un point de vue digne de confiance sur les événements les plus récents en Syrie.
    Dites-vous qu'il est trop tôt pour savoir d'où souffle le vent?
    Non, ce n'est pas seulement ça. D'après moi, la situation est si complexe et elle évolue si vite que c'est vraiment... Je ne me fais pas beaucoup prier pour livrer spontanément mes impressions sur une question de tout premier plan et si délicate, mais je craindrais de discréditer mon ministère et de me discréditer moi-même si je vous faisais part de mes conjectures sur cet événement, en ce moment particulier.
    Non, mais je suis heureux de parler de la conduite de la Russie en Syrie et des gains qu'elle a cru en tirer. La situation évolue très rapidement, mais, quant au sort qui se dessine pour Assad, je suis convaincu que le Kremlin y verrait une victoire, une justification de son comportement dans cette situation tragique. Moscou, aujourd'hui, particulièrement depuis le début de la campagne de bombardements à la toute fin de septembre 2015, est vraiment, même si la situation reste là-bas absolument épouvantable, qu'on s'en réjouisse ou non, un joueur incontournable dans ce dossier d'importance mondiale, concrétisant, à cet égard, l'objectif du président Poutine, qui était de montrer au monde et, ce qui est également important, au public russe...
    La croissance économique s'affaiblit, et la corruption soulève des inquiétudes plus graves. Le public commence donc à s'agiter, à descendre dans la rue. Néanmoins, le Kremlin n'a pas manqué de prévenir le peuple de la survenue d'éventuelles difficultés en Russie... Il ne le fait pas en termes si clairs, mais, implicitement, le message qui passe est que le peuple russe est citoyen d'une grande puissance qui a épaulé Assad dès le premier jour, d'une puissance dont l'intervention armée, l'utilisation spectaculaire de moyens technologiquement perfectionnés a été très médiatisée à la télévision russe; que cette grande puissance est respectée dans le monde entier et que le peuple doit se sentir fier de lui-même et du régime.
    De ce point de vue, c'est le seul aspect de cette situation tragique que je n'hésite pas à commenter. La Russie semble réaliser, du moins dans le court terme, ses intérêts par rapport à la situation là-bas.

  (1000)  

    Vous avez parlé de développement économique. L'Europe centrale semble s'intéresser au secteur énergétique canadien, mais plus d'une douzaine de pays européens comptent sur le gaz naturel russe et d'autres sources d'énergie. Pensez-vous qu'il y a un avenir là-bas pour les exportations de pétrole canadien? Prévoyez-vous une augmentation des exportations de pétrole canadien vers la région, à cause du désir des pays européens de commercer avec le monde occidental?
    Quelle évolution prévoyez-vous?
    Absolument. Encore une fois, on pense à moyen et à long terme. Je ne suis pas au courant des tout derniers projets concrets qui pourraient être en branle. Certainement, dans une perspective mondiale, la réalité est que, comme vous l'avez dit, il y a un désir géopolitique manifeste de réduire la dépendance de la région au gaz russe et aussi au pétrole d'Asie centrale qui est transporté à travers la Russie par pipeline jusqu'en Europe, ce qui revient essentiellement à la même chose.
    Concernant le gaz — et sans doute le pétrole aussi, quoique je connaisse moins bien ce côté de la question —, je sais qu'il y a une discussion très active sur le GNL, surtout par rapport à... Est-ce la Lituanie ou la Lettonie qui aurait une installation de GNL? Je ne me rappelle pas les détails; je vais donc vous donner une réponse globale: oui, le désir géopolitique de réduire la dépendance de la région à l'énergie produite par la Russie et la position du Canada comme superpuissance énergétique forment une paire prometteuse. Les prix et les marchés mondiaux présentent certaines difficultés, et il faut résoudre quelques questions technologiques, mais ce dossier occupera certainement une place de plus en plus importante dans notre coopération à long terme.

  (1005)  

    Merci, monsieur Sidhu.
    Je donne maintenant la parole à M. Kmiec.
    Monsieur.
    Merci, monsieur le président.
    J'ai trois questions, mais d'abord, un préambule.
    Une correction que je tiens à apporter, c'est que la Pologne n'est pas une jeune démocratie. Elle tient des élections au moins depuis le XVe siècle et la dynastie des Jagellon; à l'époque, 10 % de la population votait pour des rois élus. Je trouve important que nous nous rappelions, pendant que nous menons notre étude, que durant les 25 dernières années, nombre des pays dont nous parlons ont pratiqué la démocratie. Ce n'est pas nouveau pour eux, et les choix qu'ils font ne doivent pas toujours nous plaire.
    Or, ce sont des pays Baltes que je veux parler. Je veux vous poser une question sur la représentation diplomatique que nous avons actuellement en Estonie, en Lettonie et en Lituanie. D'après vous, y a-t-il des désavantages à accroître notre présence diplomatique là-bas pour leur montrer notre appui, en envoyant un ambassadeur canadien dans chaque pays? Ainsi, nous renforcerions nos relations avec eux et nous serions mieux placés pour les aider à résister à l'agression de la Russie et à détourner les intérêts russes. Cela nous permettrait également d'aborder et d'approfondir beaucoup d'autres questions, y compris celle des intérêts commerciaux soulevée par M. Saini par rapport à l'Asie centrale, mais qui touche peut-être encore plus les pays Baltes.
    De la façon dont vous posez la question, en demandant s'il y a des désavantages, la réponse est évidente: non, monsieur.
    Dans un monde idéal, nous pourrions certainement songer sérieusement à renforcer notre présence au point où nous aurions un ambassadeur canadien dans chacun des trois pays. Affaires mondiales examine continuellement la nature et l'ampleur de la représentation canadienne à l'étranger, ainsi que les endroits où nous sommes présents. Cet examen tient compte de nombreuses considérations. Bon gré mal gré, une de ces considérations est la santé financière du ministère, et étant donné l'état actuel des choses, évidemment, il n'y aurait pas de désavantages. Dans le cas présent, il vaudrait mieux en avoir plus que moins.
    Actuellement, nos ressources nous permettent d'avoir un ambassadeur canadien qui vit à Riga et qui se rend aussi souvent que possible à Tallinn et à Vilnius, aux bureaux que nous avons là-bas, dont le personnel est composé d'employés locaux. À notre avis, ce modèle répond à nos besoins.
    Je vais vous arrêter là afin d'approfondir la question de M. Saini au sujet de l'Asie centrale.
    Je vais employer une source non occidentale. Stanislav Pritchin dirige l'Expert Center for Eurasian Development. Il est également chercheur à l'Institut d'études orientales de l'Académie des sciences de Russie. Il n'est donc pas du tout Occidental.
    Il a présenté récemment des perspectives par rapport aux possibilités économiques qu'il voit en Asie centrale. Les perspectives étaient négatives pour la plupart des pays, y compris le Kazakhstan, l'Azerbaïdjan, le Kirghizistan, l'Arménie, le Tadjikistan et le Turkménistan. La Géorgie était neutre.
    Le seul pays pour lequel les perspectives étaient positives était l'Ouzbékistan, à cause des changements apportés récemment, à la suite du décès de M. Karimov. L'État refusait de révéler le décès de M. Karimov; c'est le gouvernement turc qui l'a dévoilé par erreur. Le nouveau président semble être en train de réformer l'économie, le marché du travail et peut-être aussi les relations diplomatiques.
    Pour reprendre la question soulevée par M. Saini, le Canada pourrait-il s'insérer dans la région malgré les perspectives négatives? D'anciennes administrations soviétiques sont toujours en place là-bas. Il y a encore d'anciens dirigeants soviétiques. La raison pour laquelle le Kazakhstan figure sur la liste des pays dont les perspectives sont négatives, c'est que le président Noursoultan Nazarbaïev a 76 ans. Ce n'est plus un jeune homme.
    Les administrations et les dirigeants de l'ère soviétique cèdent la place à la nouvelle génération, ce qui crée de nouvelles possibilités. La Russie a encore des intérêts dans la région, mais la Chine commence à s'y insérer. Le Canada pourrait-il accroître les possibilités économiques pour les entreprises canadiennes ou pourrait-il s'insérer dans le nouveau paysage, qui continue à se transformer?

  (1010)  

    Je répéterais ce que j'ai déjà dit en réponse à une autre question. Affaires mondiales fait tout ce qu'il peut. Nos ressources dans la région, tant sur le terrain qu'ici à la direction générale, sont relativement modestes. Comme vous le savez sûrement, pour les cinq pays, nous avons seulement une petite ambassade à Astana, qui s'occupe du Kazakhstan, du Kirghizistan et du Tadjikistan. L'Ouzbékistan est pris en charge par l'ambassade à Moscou, où je travaillais avant, et c'est l'ambassade à Ankara qui se charge du Turkménistan.
    C'est souvent préférable d'avoir plus que moins, mais les ressources sont limitées. Néanmoins, des délégués commerciaux cherchent activement des débouchés et travaillent avec des entreprises canadiennes. Or, au bout du compte, c'est difficile de donner suite à ces efforts. Peu importe les nouvelles tendances, peu importe le désir de participer aux phases initiales de possibilités prometteuses à venir, si c'est bien le cas en Ouzbékistan, je dirais quand même qu'à quelques exceptions près, l'ensemble des gens d'affaires canadiens voient encore la région comme étant éloignée, compliquée et potentiellement corrompue. La région n'est tout simplement pas au premier plan, ce qui ne veut pas dire qu'il n'existe pas de possibilités et qu'aucune société canadienne ne fait des affaires, bien que ce soit dans une mesure nettement inférieure, avec des pays comme le Turkménistan et même l'Ouzbékistan, où les défis sont énormes. Or, je ne serais pas particulièrement optimiste par rapport à l'avenir.
    J'aimerais revenir sur l'Europe centrale et sur le projet « 16+1 » de la Chine en Europe. Il y a maintenant 25 ans que l'Union soviétique s'est effondrée. Avant, les pays d'Europe de l'Est étaient coincés entre la Russie et l'Europe de l'Ouest — par exemple, la France, l'Allemagne ou l'Angleterre. Maintenant, il y a un nouvel intervenant, la Chine, le « 16+1 ». En 2009, les échanges commerciaux s'élevaient à environ 3 milliards de dollars américains. Aujourd'hui, ils s'élèvent à approximativement 23 milliards de dollars américains. Le 5 novembre dernier, un sommet du « 16+1 » s'est tenu à Riga. De plus, la Serbie appuie les revendications de la Chine à l'égard de la mer de Chine méridionale, ce qui est très intéressant parce que la tradition maritime de la Serbie est très forte. En outre, on a inauguré le premier service express chinois de transport ferroviaire des marchandises entre la province de Chengdu, en Chine, et Varsovie, en Pologne. On peut maintenant livrer les marchandises en 12 jours.
    Pouvez-vous nous en dire plus sur les nouvelles possibilités qui s'offrent à certains pays? Comment tirent-ils parti du potentiel de l'investissement direct chinois par opposition aux relations politiques et économiques avec la Fédération de Russie et les pays d'Europe, ainsi qu'avec le Canada, qui a des liens solides avec nombre d'États européens? Normalement, nos intérêts économiques et politiques concordent, ce qui n'est pas toujours le cas avec l'investissement direct chinois et ce qui n'est certainement pas le cas avec la Fédération de Russie. J'aimerais avoir votre avis sur le nouvel intervenant dans la région. À quel point peut-on croire au projet « 16+1 »?

  (1015)  

    Je ne peux pas vraiment parler précisément des façons dont chaque pays tire parti de la réalité chinoise dans ses relations avec la Russie ou l'Union européenne. Je ne suis tout simplement pas au fait. Pour répondre à votre question, je déclarerais simplement que comme dans toutes les sphères de la vie contemporaine au 21e siècle, la puissance économique, la volonté d'investir et l'influence croissantes de la Chine sont des facteurs dont il faut tenir compte.
    Tous les pays, y compris le Canada, établissent des rapports avec la Chine en connaissant très bien les difficultés liées aux possibilités créées par l'influence économique et même politique croissante de la Chine dans le monde. C'est aussi vrai pour les pays que le Comité étudie. Franchement, votre question sur le parti qu'ils tirent — et très précisément sur leurs relations avec la Russie et l'Union européenne — est extrêmement intéressante et elle mérite d'être approfondie.
    Merci, monsieur Kmiec.
    Il nous reste un intervenant, chers collègues.
    La parole est à vous, monsieur McKay.
    Merci pour vos témoignages.
    J'ai trois questions. La première porte sur l'attentat terroriste perpétré cette semaine à Saint-Pétersbourg. On pourrait dire qu'il était particulièrement audacieux. Il a été commis dans la ville natale du président, pendant qu'il était là. Il était peut-être tout aussi éloquent que tout attentat terroriste perpétré au cours des dernières années, et en plus, il a été commis dans le contexte des manifestations tenues à Moscou durant les dernières semaines.
    J'aimerais avoir votre avis sur cet attentat, ainsi que votre évaluation globale de l'agitation et des répercussions que tout cela pourrait avoir sur la position du président Poutine.
    C'est une très bonne question.
    Il s'agit d'un épisode absolument terrible et terrifiant. J'ai passé beaucoup de temps à Saint-Pétersbourg. Je connais bien les noms des stations de métro. Malheureusement, ce n'est pas le premier attentat affreux perpétré en Russie. Le métro de Moscou a été la cible de plusieurs attentats à la bombe durant les quelque 10 dernières années. Je pense que le dernier était en 2010. Avant cela, il y en a eu un en 2004. Quant au terrorisme en général, il y a eu des explosions dans une gare routière de Volgograd juste avant les Jeux olympiques de Sotchi.
    Mais est-ce que quelque chose rend le dernier attentat unique?
    Je présume que nous ne parlons pas des résultats définitifs de l'enquête russe. Les premiers indices semblent montrer qu'il a été commis par quelqu'un inspiré par Daech, ce qui souligne ou soutient une partie du raisonnement du président Poutine concernant la Syrie et, de façon générale, la politique internationale.
    Je ne dis pas que j'approuve l'approche de la Russie à l'égard de la Syrie, mais je parlais tout à l'heure des avantages intérieurs et géopolitiques de l'approche russe. L'argument du président Poutine et des Russes en général, c'est, en partie, que leur approche à l'égard de la Syrie permettra d'apporter la stabilité à la région et, ainsi, de réduire le risque que des gens reviennent en Asie centrale pour poser de tels actes en Russie.

  (1020)  

    Une partie du raisonnement des Russes, et particulièrement du président Poutine, c'est qu'il est fort et qu'il les protégera, et tant qu'il est fort et qu'il les protège, ils peuvent ignorer leur économie désastreuse et d'autres entreprises auxquelles ils sont mêlés.
    Oui. En fait, je ne pense pas... À en croire les sondages, le président Poutine compte encore un très grand nombre de vrais partisans sincères. Ce n'est pas cela qui ébranlerait leur confiance.
    Vous avez tout à fait raison de souligner le symbolisme lié au fait que l'attentat a eu lieu dans sa ville natale, pendant qu'il y était. Il devait rencontrer M. Loukachenko ce jour-là; nous en avons parlé tout à l'heure. La plupart des partisans de M. Poutine — et je le répète, ils sont nombreux — se diraient simplement qu'il a beau être un dirigeant fort, il n'est tout de même pas surhumain, et ils seraient convaincus que son régime et lui continuent à faire tout le nécessaire pour prévenir d'autres incidents du genre.
    Or, même les partisans de M. Poutine doivent manger...
    Oui.
    ... et ils ne mangent pas bien depuis les dernières années.
    M. Leigh Sarty: Oui, c'est une très bonne question.
    L'hon. John McKay: J'aimerais savoir comment, selon vous, M. Poutine fait pour continuer à défier les lois de la gravité économique.
    Le PIB de la Russie est inférieur à celui du Canada. Il est peut-être équivalent à celui du Texas et il est relativement insignifiant à l'échelle internationale. Le PIB par habitant est infime. La population stagne. L'économie a chuté de 3,5 %. Les dépenses militaires étaient de 4,5 % en 2015, et aujourd'hui, elles représentent 9 % d'un PIB décharné. Ces données portent à se demander combien de temps la Russie peut continuer ainsi.
    La menace est-elle réelle ou est-ce une illusion? D'après vous, combien de temps M. Poutine pourra-t-il continuer ainsi?
    C'est une excellente question.
    Très brièvement, car je crois que notre temps est déjà écoulé, dans des témoignages précédents, j'ai peut-être déjà présenté au Comité ce qui demeure une analogie éloquente et fascinante concernant la politique russe. Certains observateurs parlent du combat qui se livre dans l'esprit et dans le coeur de chaque Russe: le combat entre la télévision et le réfrigérateur.
    Il y a encore un lien à faire avec ce que j'ai déjà dit au sujet de la Syrie. Jusqu'à maintenant, la possibilité de voir à la télévision les armes de haute technologie lancer des missiles de croisière à partir de la mer Caspienne, et de voir aussi la Russie intervenir en Syrie et tenir tête aux États-Unis et au Conseil de sécurité — pour le Russe moyen, l'image à la télévision surpasse...
    Vous ne jouez pas sur les mots, j'espère.
    Non, monsieur.
    Cela leur importe plus que le fait que, lorsqu'ils ouvrent leur frigo, ils constatent qu'il n'est pas aussi rempli qu'il l'était autour de 2007 ou 2008 et qu'ils ne croient pas pouvoir le remplir dans un avenir proche.
    Selon moi, l'événement imprévisible, celui que tous ceux qui s'intéressent à la situation en Russie suivront de près à l'avenir, et pour lequel je n'ai pas de réponse définitive à donner en ce moment — et personne n'en a une, je pense — est, en fait, la signification et les répercussions à long terme des manifestations que nous venons de voir. On peut faire valoir que c'est vraiment... Lorsque vous creusez et que vous comparez cette ronde à la précédente, la dernière fois que nous avons vu des manifestations importantes en Russie, c'était en 2011-2012, et bon nombre des conséquences fâcheuses des approches de Vladimir Poutine que nous avons observées, tant au pays qu'à l'étranger, découlaient de son approche à l'égard de ces manifestations initiales de 2011-2012.
    Alors que ce phénomène en 2011-2012 se rapportait vraiment à la classe moyenne déçue qui avait profité des 10 premières années du poutinisme — je simplifie la chose ici — et regrettait de voir que les avantages économiques qu'elle avait récoltés... car la croissance avait été très bonne, avec le prix élevé du pétrole et tout, pendant la première décennie du règne de Vladimir Poutine. Elle était déçue de sa décision audacieuse en 2011 de briguer la présidence au lieu de Dmitri Medvedev — ce qui n'a surpris personne. C'est ce qui a déclenché les manifestations. Il semblait qu'elles se déroulaient surtout à Moscou et à Saint-Pétersbourg avec des professionnels d'âge moyen...

  (1025)  

    Alors à quoi sont-elles attribuables cette fois-ci?
    Cela m'amène au contraste actuel. Il y avait des manifestations à la grandeur du pays, dans 80 ou 90 villes différentes.
    Alors vous attribuez une signification unique aux manifestations récentes.
    Je dirais, encore une fois, qu'on ne peut toujours pas tirer de conclusions, mais que les impressions initiales sont qu'il y avait vraiment beaucoup de jeunes, de personnes qui n'ont connu que le poutinisme.
    Pensez-vous que le régime de Vladimir Poutine soit vraiment perturbé par ces manifestations?
    Oui, et à juste titre. Pas perturbé en ce sens qu'il voit cela comme... La manifestation du mécontentement populaire et le désir potentiel de changement ne sont pas le genre de choses que quelqu'un au Kremlin aime voir. Je pense qu'il y a lieu de s'inquiéter.
    Quant aux répercussions futures, encore une fois, je pense qu'il nous faudra attendre de voir ce que l'avenir nous réserve.
    Avant que mon président préféré me fasse taire, les analystes m'ont demandé de poser la question suivante. Et comme nous avons les meilleurs analystes de tous les comités de tous les temps, je vais simplement vous poser la question pour avoir votre avis.
    En tant que seul organisme régional qui englobe la Russie, les États européens, l'Asie centrale, le Canada et les États-Unis, quel rôle joue l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe dans le maintien de la sécurité et le renforcement de la démocratie en Europe orientale et en Asie centrale? Peut-elle ou devrait-elle être renforcée de quelque façon que ce soit?
    Elle joue un rôle très important, et il serait très souhaitable qu'elle soit renforcée de quelque façon que ce soit. Manifestement, étant donné qu'il s'agit d'un organisme axé sur le consensus, son travail a été compliqué par les tensions exacerbées des dernières années entre l'Orient et l'Occident.
    Elle joue un rôle très important. À titre d'exemple, pour ne nommer qu'un aspect qui est particulièrement utile pour le Canada, il y a le fait que l'OSCE a un bureau dans chaque capitale des cinq pays d'Asie centrale. Je disais plus tôt, en réponse à une des questions, à quel point notre empreinte est malheureusement limitée en Asie centrale. Cependant, de ces bureaux de l'OSCE, nous obtenons des rapports très utiles concernant les tendances sur le terrain. Comme l'OSCE se trouve sur place et que nous en sommes membres, nous avons une bonne idée des développements dans la région.
    Le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme a mis en place de nombreux programmes pour promouvoir et appuyer la démocratie. En terminant, bien qu'il ait connu des difficultés en raison de nos différences au plan politique, en particulier avec la Russie, je ferais valoir, pour en revenir à l'importance de discuter avec les personnes avec lesquelles vous n'êtes pas d'accord, que ce sera sans doute plus important que jamais à l'avenir.
    Merci beaucoup, monsieur McKay, monsieur Sarty et monsieur Morgan. Merci de nous avoir accordé du temps supplémentaire. Vos commentaires nous ont été très utiles. C'est un dossier très important qui, comme nous l'avons mentionné au début, est en rapide évolution. Les événements dont il est question sont extrêmement importants pour le Canada, comme nous le savons tous. Merci encore d'avoir passé du temps avec le Comité.
    Chers collègues, je vais suspendre les travaux pendant deux minutes, et nous passerons ensuite à huis clos pour traiter une question.
    [La séance se poursuit à huis clos.]
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