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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 119 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 2 octobre 2018

[Enregistrement électronique]

  (1300)  

[Traduction]

    Avant de commencer, je tiens simplement à rappeler à tout le monde que, pendant la réunion, il est interdit de réaliser des enregistrements vidéo ou de prendre des photos. Je demande à tout le monde d'en tenir compte.

[Français]

     Je vous souhaite la bienvenue à tous.
    Chers collègues, je vous invite à prendre place.
    Aujourd'hui, nous avons à l'agenda une séance d'information sur la situation des droits de la personne chez les Ouïghours.

[Traduction]

    Nous avons comme témoin Mehmet Tohti, représentant de la Société ouïghoure du Canada.

[Français]

    Né dans la province du Xinjiang, en Chine, M. Mehmet Tohti est le fondateur de l'Association canadienne ouïghoure. Il vit actuellement à Toronto. Il a aussi été vice-président du Congrès mondial ouïghour. De plus, M. Tohti a comparu devant notre sous-comité, en mars 2014.

[Traduction]

    Je vous souhaite à nouveau la bienvenue au Comité, monsieur Tohti. Je sais que vous avez déjà témoigné devant ce comité.
    La structure de la réunion d'aujourd'hui sera la suivante: une déclaration préliminaire de 10 minutes — je vous demanderais de respecter le temps alloué — suivie d'une série de questions posées par les députés présents.
    Cela dit, monsieur Tohti, je vous invite à commencer votre déclaration préliminaire.
    Il s'agit du troisième témoignage que je donne devant un comité de la Chambre, plus précisément ce comité. En 2006 et en 2014, je me suis présenté devant la Chambre avec le dirigeant de notre organisme.
    Tout d'abord, au nom des membres de la communauté ouïghoure des quatre coins du Canada, je tiens à remercier tous les membres du Comité de me donner l'occasion de faire la lumière sur la situation désastreuse des Ouïghours qui perdure et qui s'envenime à cause du gouvernement chinois.
    Les Ouïghours sont des gens qui parlent turc et qui vivent dans leur patrie ancestrale, le Turkestan oriental, qui, en octobre 1955, est devenu la Région autonome ouïghoure du Xinjiang, tout de suite après son annexion avec le Tibet et la Mongolie en 1949.
    La crise des droits de la personne que vivent les Ouïghours nécessite une intervention immédiate et concrète du Canada et d'autres démocraties occidentales à cause des atrocités qui sont commises et des millions d'Ouïghours et d'autres groupes ethniques qui sont touchés. En ce moment même, selon certains organismes de recherche indépendants, comme Chinese Human Rights Defenders, et d'autres médias, des millions d'Ouïghours sont détenus dans des camps de concentration de façon extrajudiciaire par le gouvernement chinois. En Chine, les Ouïghours comptent pour environ 1,5 % de la population totale, et pourtant, 25 % des tous les prisonniers dans ce pays sont ouïghours. Ce chiffre exclut les millions de personnes détenues dans des camps de concentration.
    L'identité ouïghoure, notamment la langue, la culture, l'histoire, l'architecture et les croyances religieuses uniques, à savoir les habitudes alimentaires islamiques, le fait de prier et de conserver des livres religieux à la maison, ainsi que les sanctuaires religieux comme les mosquées, les églises et d'autres éléments, est sévèrement criminalisée par le gouvernement chinois et punie sans discernement.
    Depuis l'arrivée de Chen Quanguo à la fin de 2016, les exemples classiques de nettoyage ethnique, de punition collective et de déshumanisation des Ouïghours sont devenus courants, ce qui a soulevé des craintes et sonné l'alarme sur ce qui allait se passer par la suite. Le rôle de la Chine dans le génocide des Rohingyas est bien connu. Maintenant, en tant que peuple, les Ouïghours paient le prix fort pour l'ambitieux plan de la Chine, qui a été piloté par le président Xi Jinping. L'initiative « Une ceinture, une route » de la Chine a été présentée comme le Plan Marshall du XXIe siècle. Il visait à coloniser les pays plus pauvres et plus faibles à l'aide de pièges d'endettement et à ce que la Chine s'impose éventuellement comme un patron mondial. Quatre corridors terrestres de l'initiative « Une ceinture, une route » passent par le Turkestan oriental pour se rendre en Asie centrale, dans une partie de l'Europe, au Moyen-Orient et en Afrique.
    La Chine boucle actuellement toute la région en coupant les communications entrantes et sortantes et en construisant des centaines de camps de concentration pour détenir des millions d'Ouïghours sans porter aucune accusation ni donner de conditions de remise en liberté. La construction soutenue de camps de concentration à l'aide d'appels d'offres ouverts et la construction de crématoriums dans tous les comtés de la région nous rappellent le passé tragique des années 1940. Si quelqu'un estime qu'il y a là de l'exagération, je lui recommande de consulter les livres d'histoire qui racontent comment le Parti communiste a assassiné plus de 80 millions de civils dans les années 1950. Particulièrement, comme l'a rapporté l'Associated Press, le gouvernement chinois sépare maintenant les enfants ouïghours de leurs parents légaux, puis il les enferme dans des camps pour enfants sous haute sécurité entourés de fils barbelés que l'on appelle des maternelles. Des rapports récents confirment que l'on transfère un grand nombre de détenus ouïghours en Chine continentale en interrompant le service ferroviaire régulier destiné aux civils. C'est le service en mandarin de Radio Free Asia qui l'a rapporté hier.
    Depuis longtemps, les citoyens canadiens d'origine ouïghoure sont victimisés par le gouvernement chinois, qui les harcèle, les menace et les intimide ou qui prend en otage des membres de leur famille. M. Huseyin Jelil, un citoyen canadien d'origine ouïghoure, purge une peine d'emprisonnement à vie en Chine depuis 2006. En dépit de nombreux comptes rendus, des séances d'information données aux représentants du Canada et des déclarations publiques faites par de hauts fonctionnaires du gouvernement des États-Unis, notamment le vice-président Pence, le secrétaire d'État Pompeo, le Sénat et le Congrès des États-Unis, et en dépit des nombreuses demandes urgentes faites à la Chine par les Nations unies et les États membres de l'Union européenne pour qu'elle ferme les camps et libère les victimes ouïghoures, le Canada n'a toujours pas émis de déclaration publique reconnaissant la crise et condamnant les camps de concentration du XXIe siècle où l'on détient des millions d'Ouïghours.

  (1305)  

    Cette politique de deux poids deux mesures que le Canada est le seul à adopter par rapport aux autres démocraties occidentales mine non seulement sa crédibilité en tant que champion de la promotion des droits de la personne, mais il a aussi déjà donné l'impression qu'il fait des déclarations pour certains pays privilégiés. Plus tard, lorsque l'on écrira l'histoire de l'appel à l'aide des Ouïghours, il faudra baisser les yeux à cause de cette politique de deux poids deux mesures.
    Je vais maintenant présenter mes recommandations au Comité.
    Je demande au Parlement du Canada d'adopter une résolution contraignante en vue d'exhorter le gouvernement du Canada à suivre l'exemple des Nations unies, des États membres de l'Union européenne et des États-Unis face à la crise des Ouïghours et d'émettre une déclaration publique percutante aussitôt que possible.
    J'exhorte le Sous-comité à tenir une deuxième audience urgente, ou plus, le plus tôt possible, et à entendre plus de témoins directs pour comprendre ce qui se passe vraiment dans ces camps de concentration. Je ferai tout en mon pouvoir pour contribuer à l'organisation de telles audiences.
    J'exhorte le gouvernement du Canada à envoyer une mission d'enquête parlementaire en Turkestan oriental pour observer cet État orwellien du XXIe siècle et, si possible, parler aux victimes ouïghoures.
    J'exhorte le gouvernement du Canada à suivre les traces de l'Allemagne et de la Suisse et à imposer un moratoire pour arrêter immédiatement l'expulsion des réfugiés ouïghours en Chine. Une jeune femme ouïghoure de 18 ans a déjà reçu une ordonnance d'expulsion même si elle n'a pas de famille en Chine.
    J'exhorte le gouvernement du Canada à accepter entre 3 000 et 4 000 réfugiés ouïghours qui sont actuellement coincés en Turquie et qui craignent d'être expulsés en Chine à tout moment. Ils n'ont pas du tout accès aux secours humanitaires. Les formalités du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés prennent plus de quatre ans.
    Les familles ouïghoures vivant à l'étranger avec de nouveau-nés éprouvent tout particulièrement des difficultés, étant donné que le bureau des visas de la Chine refuse d'accorder la citoyenneté à leurs enfants. La Chine exerce des pressions sur les Ouïghours pour qu'ils retournent en Chine en refusant d'émettre des pièces d'identité. Par conséquent, les nouveau-nés ouïghours sont apatrides dans de nombreux pays. On ne leur accorde pas leur citoyenneté de naissance.
    J'exhorte Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada à revoir sa politique à l'égard des réfugiés ouïghours et à accélérer le traitement de leurs demandes de statut de réfugié.
    Enfin, je demande au gouvernement du Canada d'utiliser la loi canadienne de Sergueï Magnitski pour punir les fonctionnaires chinois qui sont responsables du crime contre l'humanité qui est actuellement commis contre les Ouïghours.
    Je vous remercie de votre attention et j'ai hâte de répondre à vos questions.
    Merci beaucoup de ces observations.
    Nous passons aux questions pendant sept minutes, en commençant par M. Anderson.
    Merci, madame la présidente.
    Bienvenue au Comité. C'est un plaisir de vous avoir parmi nous.
    Malheureusement, je ne peux pas rester ici longtemps aujourd'hui. J'espère que nous tiendrons encore quelques audiences sur cette question. J'aimerais que vous parliez un peu des systèmes de sécurité qui sont en places dans cette région. Je sais qu'il y a des camps. Il y a aussi d'immenses postes de contrôle de la circulation. Je sais que l'on y fait de l'échantillonnage d'ADN.
    Pouvez-vous parler brièvement de la situation en matière de sécurité que ces personnes sont forcées de vivre actuellement?
    Comme l'ont conclu les Nations unies, les Ouïgours se sont vus nier entièrement leurs droits dans leur patrie. Il y a des postes de contrôle tous les 50 mètres — à l'entrée de chaque centre commercial, à chaque arrêt d'autobus. Pour se rendre à l'arrêt d'autobus, il faut passer aux rayons X.
    Même chez soi, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, il faut accepter l'installation de caméras de sécurité ou d'un quelconque appareil d'enregistrement.
    Au cours des deux dernières années, le gouvernement chinois a prélevé de force des échantillons de sang aux Ouïghours aux fins de séquençage de l’ADN et a fait des balayages de l'iris, prélevé des échantillons de sang et des empreintes digitales, et recueilli des données sur la voix et la reconnaissance de la voix.
    Tous les Ouïghours sont, grosso modo, criminalisés. Il est impossible de passer d'un quartier à l'autre. À l'heure actuelle, dans certaines régions de la partie méridionale du Turkestan oriental où vit la majorité des Ouïghours, comme Kashgar — ma ville d'origine — et Khotan, la région est complètement fermée et, selon Radio Free Asia, entre 40 % et 80 % des Ouïghours sont déjà détenus dans des camps de concentration.
    Je dois aussi mentionner que, selon Adrian Zenz, universitaire allemand, les dépenses en matière de sécurité de la Chine pour la région des Ouïghours seulement dépassent ses dépenses globales en matière de sécurité. Il est possible de voir les contrôles de sécurité et de mouvement des Ouïghours de A à Z en se servant de la technologie moderne.

  (1310)  

    Les croyances des gens leur importent et ils veulent pouvoir vivre leur vie en conséquence. Je veux que vous nous parliez brièvement du Ramadan et de l'invasion cette année, par le gouvernement chinois, de la vie privée des gens qui voulaient simplement célébrer leurs fêtes religieuses.
    La persécution religieuse ne date pas d'hier. Lorsque j'enseignais à l'Université de Kashgar dans les années 1980, nous n'étions pas autorisés à jeûner. C'était la pratique courante du gouvernement chinois. Si vous travaillez pour le gouvernement, un institut gouvernemental ou le secteur public, vous n'avez le droit ni de jeûner ni de prier. C'est une politique générale de longue date, car le Parti communiste chinois est athée. Il s'identifie comme étant le parti des athées.
    Les personnes les plus importantes sont les étudiants ordinaires. Avant, on imposait des restrictions aux personnes de moins de 18 ans ainsi qu'aux fonctionnaires en poste et à la retraite, mais c'est maintenant une religion entière qui est criminalisée.
    Hier, j'ai entendu Radio Free Asia interviewer les personnes de la région. En gros, le gouvernement diffuse maintenant une seule page de questions: faites-vous la distinction entre la nourriture halal et la nourriture haram? Si vous répondez dans l'affirmative, vous êtes passible d'une peine d'emprisonnement de 15 ans.
    Je crois que les Affaires étrangères ont relevé 48 éléments qui vous envoient directement dans un camp de concentration. Que Dieu vous vienne en aide si vous portez la barbe, avez un tapis de prière à la maison ou un exemplaire du Coran, ou si vous avez la moindre chose sur votre téléphone cellulaire. Vous vous retrouverez dans un camp de concentration.
    Il semble qu'ils aient appris des Nord-Coréens pour ce qui est d'emprisonner leurs propres citoyens.
    Je veux vous parler brièvement des questions de citoyenneté.
    Au cours de nos études antérieures, nous avons constaté qu'une des façons préférées pour un gouvernement de punir ses propres citoyens est de limiter leurs mouvements et ce type de choses. Nous l'avons vu souvent avec les Rohingyas et les Ahmadis dans diverses régions.
    Parlez-nous plus en détail des restrictions imposées aux citoyens, du retrait de ces droits qui empêche alors le déplacement, l'immigration. Pourriez-vous en parler brièvement?
    La Chine n'a jamais considéré les Ouïghours et les Tibetains comme ses citoyens. Voilà pourquoi elle ne traite pas ces groupes ethniques comme les autres, même si elle les reconnaît comme peuples à la culture distincte ayant leur propre territoire. En conséquence, la Constitution chinoise leur a accordé une région autonome nationale: une pour le Tibet, une pour la Mongolie intérieure et l'autre pour les Ouïghours et les autres.
    Lorsqu'il est question de citoyenneté ou d'application du Code pénal chinois, les règles sont différentes pour les Ouïghours et les Tibétains, surtout pour les premiers, car la région autonome ouïghoure est directement limitrophe de huit pays sur lesquels la Chine a des visées. En conséquence, le gouvernement chinois impose des restrictions pour nous dépouiller de notre identité: d'un côté, il y a l'identité nationale, comme l'alphabet, la langue et l'histoire, et de l'autre, il y a l'identité religieuse.
    Lorsque vos deux principaux piliers sont restreints, vous êtes criminalisé, vous ne bénéficiez donc d'aucun avantage lié à la citoyenneté. Par exemple, les règles qui s'appliquent aux Ouïghours canadiens qui présentent actuellement une demande de visa chinois à l'ambassade de Chine ne sont pas les mêmes que pour les autres. Si vous êtes Ouïghour d'origine et titulaire d'un passeport canadien, les règles qui s'appliquent à vous à l'ambassade de Chine pour obtenir le même visa ne sont pas du tout les mêmes que pour les autres.
    Prenons les Ouïghours, par exemple. Normalement, si votre passeport est arrivé à échéance et que vous vivez à l'étranger, on prolongera la période de validité de votre document à l'ambassade de Chine. Cependant, si vous êtes Ouïghour, on coupera un coin de votre passeport et on vous enverra directement en Chine avec un document de voyage pour l'aller seulement.
    Si votre enfant est né à l'extérieur de la Chine, comme je l'ai mentionné dans mes brèves remarques liminaires, vous n'obtiendrez aucun document d'identité. Les enfants de parents ouïghours nés à l'extérieur de la Chine deviennent maintenant apatrides.
    C'est une situation très tragique.

  (1315)  

    Je pense que mon temps est écoulé.
    Je veux que vous sachiez que les personnes qui sont ici depuis un certain temps n'ont pas oublié M. Celil. Nous nous souvenons de lui et de la situation dans laquelle il se trouve.
    Merci.
    Merci.
    La parole est à Mme Khalid pour sept minutes.
    Merci, madame la présidente.
    Merci à la communauté ouïghoure d'avoir manifesté. Je vous ai vu le faire sur la Colline du Parlement hier. Il faut beaucoup de courage pour vous faire entendre.
    Monsieur Tohti, nous nous sommes rencontrés dans ma circonscription, et je sais que vous avez rencontré nombre de députés individuellement. Je vous remercie d'avoir soulevé vos préoccupations.
    J'ai une question pour vous en commençant.
    Combien de Canadiens d'origine ouïghoure se trouvent au Canada?
    Dans la région du Grand Toronto, je peux présumer qu'il y en a environ 1 500, y compris les enfants. En Colombie-Britannique, il y en a quelques centaines et, à Montréal, 50. En tout et partout, le groupe ethnique ouïghour compte approximativement 2 000 membres au Canada.
    Comme le gouvernement chinois a grandement restreint les passeports et qu'il les a maintenant tous confisqués, les Ouïghours ne sont plus libres de voyager. Je suis au Canada depuis 20 ans. La croissance de notre population est presque nulle. Plus aucun Ouïghour n'émigre au Canada, parce que plus personne n'a de passeport.
    Je crois savoir que les Ouïghours à l'extérieur de la Chine sont expulsés de force et renvoyés en Chine. Que leur arrive-t-il une fois qu'ils sont rentrés en Chine ou forcés à le faire?
    En avril, l'Allemagne a expulsé un Ouïghour par erreur. Il a disparu. Les Émirats arabes unis ont expulsé des Ouïghours qui avaient déjà reçu le statut de réfugié mandaté par l'ONU. Ils ont disparu. L'Égypte a déporté 209 Ouïghours l'an dernier, en juillet, simplement parce que la Chine lui avait promis des investissements. Toutes ces personnes ont disparu. En Malaisie, des Ouïghours universitaires piégés par le gouvernement chinois sont retournés en Chine pour sauver les membres de leur famille pris en otage. Ils ont tous disparu.
    À ce stade, le renvoi d'Ouïghours n'est pas seulement dangereux; c'est un genre de partenariat criminel avec les Chinois pour les faire disparaître. En Malaisie, 15 Ouïghours qui se sont évadés d'une prison thaïlandaise sont détenus là-bas, parce que ce pays reconnaît la situation en Chine pour les membres de ce groupe ethnique.
    Qu'arrive-t-il aux personnes placées dans des camps de concentration? Pouvez-vous nous décrire leur situation et ce à quoi les membres de la communauté ouïghoure sont confrontés lorsqu'ils sont internés dans ces camps?
    Je vais parler de la situation que je connais au Canada. Dans notre communauté, il n'y a pas un seul membre dont les parents ou des proches ne soient pas internés dans un camp de concentration.
    Il y a un homme à Montréal, Erkin Haji Kuerban, dont 75 membres de la famille immédiate ou élargie se trouvent dans des camps de concentration.
    Dans mon cas, 37 membres de ma famille immédiate ou élargie se trouvent dans des camps de concentration. Je n'ai pas parlé à ma mère depuis deux ans. Personne n'a été capable de communiquer avec ses parents ou ses proches depuis deux ans, pas seulement les Ouïghours canadiens, mais bien les Ouïghours du monde entier. Le gouvernement chinois a fait de la région une zone de non-communication où les droits de la personne ne sont pas respectés. Je ne peux pas les appeler. Ils ne peuvent pas m'appeler. Voilà la situation. Il est impossible de communiquer même par texto ou de clavarder. En gros, le gouvernement chinois contrôle les Ouïghours à l'étranger en prenant les membres de leur famille en otage tout en exerçant de la pression pour les contrôler afin qu'ils servent le gouvernement chinois ou travaillent pour lui. En conséquence, à l'heure actuelle, être Ouïghour demande du courage.

  (1320)  

    Alors nous ne savons pas vraiment ce qui se passe dans ces camps de concentration, car nous ne pouvons pas communiquer avec les personnes qui y sont internées. Y a-t-il des ONG et des organisations qui surveillent de près la situation et qui enregistrent des témoignages de première main de la situation sur le terrain?
    Nous connaissons un certain nombre de personnes dans les camps de concentration grâce aux témoignages de première main de ceux qui se sont évadés du Kazakhstan en tant que ressortissants kazakhs. Omurbek Eli est une de ces personnes. Il a décrit la situation plus en détail. En raison de la limite de temps, je n'en ai pas parlé. En gros, c'est plus que des prisons. Contrairement à ce que la Chine a affirmé, ce ne sont pas des centres de formation professionnelle. Les camps sont entourés de barbelés. L'universitaire allemand Adrian Zenz a dénombré plus de 150 camps de concentration dans chacun desquels se trouvent entre 8 000 et 20 000 personnes. Un étudiant chinois en Colombie-Britannique, Shawn Zhang, s'est servi de Google Images pour cerner plus d'une cinquantaine de camps. Nous pouvons maintenant présumer qu'il n'y a pas suffisamment d'installations puisque le gouvernement chinois a transféré des centaines de milliers d'Ouïghours vers la Chine continentale.
    Je sais d'après la description qu'on leur sert deux repas par jour — de la soupe aux choux avec un petit pain, rien d'autre. En gros, 80 personnes vivent dans un espace de 25 à 30 mètres carrés. Un homme du Kazakhstan a dit que les gens doivent se coucher face à face par manque d'espace; on en a aussi parlé dans les médias canadiens. Tout ce qui se trouve dans la pièce est sous clé. Deux fois par jour, on y apporte de la nourriture. C'est tout. Il n'y a pas d'installations sanitaires ou quoi que ce soit d'autre. Au fond, bien des gens n'en sortent pas vivants. Les cadavres sont si nombreux que le gouvernement chinois construit des crématoriums près des camps.
    Merci beaucoup.
    Vous avez sept minutes, madame Hardcastle.
    Merci, madame la présidente.
    Merci, monsieur Tohti, d'avoir eu le courage de nous faire part de ces renseignements. Nous croyons comprendre que le fait de nous transmettre ces détails que nous avons besoin d'entendre vous rend vulnérable et que votre témoignage n'est pas sans risques.
    Je voulais vous demander quel est, selon vous, le potentiel pour le gouvernement canadien de travailler avec des organismes influents? Ou peut-être que je devrais vous demander s'il y a un groupe, une population, un segment de la société, une organisation ou un pays influent que la Chine écoute et avec qui nous devrions collaborer en ce qui concerne ces relations.
    D'autres pays durcissent le ton. Par exemple, les États-Unis ont déjà exercé des pressions pour appliquer la loi Magnitski, et des hauts fonctionnaires étatsuniens parlent déjà de cette mesure législative.
    Pas seulement cela, mais le 13 septembre, j'ai rencontré des représentants du gouvernement à Ottawa. C'était une rencontre à huis clos. Grosso modo, lorsque j'ai posé des questions sur la position du Canada concernant l'initiative de ceinture et de route chinoises, les fonctionnaires n'avaient aucune idée. C'est un plan de taille que le président chinois a présenté comme un Plan Marshall du XXIe siècle. Si c'est un Plan Marshall pour la Chine, il devrait avoir une signification mondiale et concerner le Canada.
    Lorsque les pays occidentaux font front commun pour donner une réponse musclée, la Chine bat en retraite, car les démocraties occidentales représentent toujours un énorme marché pour ce pays. Le billion de dollars de la Chine n'est pas venu de Mars, mais de nos rues et de nos centres commerciaux, et des marchés occidentaux. La part de la Chine dans les marchés occidentaux est énorme — plus de 60 % ou de 70 %. Le billion de dollars de la Chine vient du Canada, des États-Unis et de l'Europe, si bien que nous avons un meilleur levier pour exercer des pressions sur la Chine.
    Ensuite, il est important pour nous de prendre la parole, car comme vous pouvez le voir sur cette carte aujourd'hui, elle montre en gros les tentacules de la Chine vers l'Europe, le Moyen-Orient et partout. Cette carte a pour origine la patrie des Ouïghours. Voilà la raison. Au sud, en rouge, se trouve la Birmanie. Voilà pourquoi le génocide rohingya se produit: au profit de la Chine, pour qu'elle puisse accéder à l'océan Indien en passant par le détroit de Malacca.
    S'il s'agit de la grande stratégie de la Chine ou de son Plan Marshall, nous devrions avoir quelque chose à dire à ce sujet. Les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Allemagne s'y opposent ouvertement. Les États-Unis ont même investi de l'argent pour travailler avec des pays à détourner les pays participants de l'initiative de ceinture et de route.
    Le Canada a énormément d'influence dans le monde, sinon en Chine, et nous devons établir des alliances avec d'autres pouvoirs mondiaux et collaborer à l'ONU et dans le cadre d'autres forums internationaux.

  (1325)  

    Parlez-moi davantage de ce que vous croyez comprendre du rôle de la Chine en Birmanie avec les Rohingyas ou de votre perspective à cet égard.
    On arrive généralement à la conclusion que la Chine est à l'origine du génocide rohingya; notre Chambre des communes reconnaît à l'unanimité qu'il s'agit d'un génocide. Comme nous le savons, des tensions énormes se font sentir dans la mer de Chine méridionale. Le gouvernement chinois a déjà construit des îles artificielles pour accroître sa portée territoriale. Point important, entre 70 et 80 % des importations et des exportations de la Chine passent par le détroit de Malacca. En raison des tensions dans la mer de Chine méridionale, le gouvernement chinois veut avoir une autre route pour contourner le détroit de Malacca et avoir accès au Moyen-Orient ou à l'océan Indien. Voilà pourquoi il a arrangé ce génocide en Birmanie, de concert avec Aung San Suu Kyi.
    Ensuite, le gouvernement a investi près de 62 milliards de dollars dans le port pakistanais de Gwadar. Le port de pêche a été abandonné. Personne ne l'utilisait. La Chine a investi 62 milliards de dollars pour avoir accès à l'océan Indien. Le port de Gwadar ne peut être achevé sans le Turkestan oriental. Le corridor terrestre qui s'étend de la côte orientale de la Chine au port de Gwadar doit passer par le Turkestan oriental. Nous partageons une frontière avec le Pakistan et l'Inde, contrairement à la Chine.
    Puisqu'il s'agit du Plan Marshall de la Chine, le gouvernement chinois élimine ces personnes, car elles finiront un jour ou l'autre par réclamer leurs terres ancestrales. Il les enferme par millions et les réduit à la famine pour concrétiser ce qu'on appelle le Plan Marshall du XXIe siècle. Comme il s'agit d'un Plan Marshall, le gouvernement chinois n'a pas hésité à tuer des Rohingyas ou des Ouïghours.
    Dans le cadre de nos lois, vous aimeriez que nous adoptions certaines des sanctions en vigueur aux États-Unis. Vous souhaitez que le Canada leur emboîte le pas. Que pouvons-nous faire en ce qui a trait aux apatrides?
     Comme je l'ai dit, le Canada devrait faire une déclaration publique. Ce n'est pas une question de droits de la personne. C'est bien plus que cela. Certains universitaires qualifient la situation de génocide ethnique. D'autres parlent de génocide culturel. D'autres encore disent qu'il s'agit d'un châtiment collectif ou d'un crime contre l'humanité. Bref, ce n'est pas une question de droits de la personne dont on peut parler derrière des portes closes. Les déclarations génériques ou générales ne fonctionnent pas. Il faut désigner ces actes par un nom qui y correspond. Les États-Unis ont qualifié cela de camp de concentration à deux reprises devant les Nations unies, tout comme d'autres pays. Le Congrès américain a fait de même.
    Pour ce qui est du Canada, notre représentant a mentionné la situation à deux occasions aux Nations unies. La première fois, c'était un désastre. Essentiellement, notre représentant a parlé de « milliers d'Ouïghours ». Il ne s'agit pas de « milliers ». Il y a une différence de trois zéros entre « millions » et « milliers ». Chaque camp de concentration abrite plus de 8 000 personnes, et il y a plus de 250 camps de concentration. Nous ne devrions pas hésiter à appeler les choses par leur vrai nom et à faire une déclaration publique, à l'instar de l'Union européenne, des Nations unies et des États-Unis.

  (1330)  

    Merci. Je regrette, mais le temps est écoulé.
    Nous passons maintenant au deuxième tour, qui comprend des interventions de cinq minutes. Nous allons commencer par M. Tabbara.
    Merci, madame la présidente, d'être ici pour présider notre réunion sur notre premier sujet de discussion.
    Merci, monsieur Tohti, de votre présence, et merci aussi aux gens derrière vous d'être venus ici pour représenter votre communauté.
    J'aimerais vous interroger au sujet des dirigeants de la Chine, si l'on retourne quelques années en arrière jusqu'au changement de direction. Le sort des Ouïghours a-t-il empiré? La répression a-t-elle diminué? Pouvez-vous passer en revue les 15 ou 20 dernières années, ou même plus, au chapitre de la direction politique?
    J'ai en tête une phrase, mais je ne sais plus qui l'a dite.
    « La Chine est un tigre endormi — ou un géant — qui fera trembler le monde le jour où il se réveillera. » Ce sont les mots de quelqu'un de célèbre.
    La Chine nourrit depuis longtemps l'ambition de diriger le monde. Elle se considère comme le centre, les autres peuples étant des barbares à ses yeux. Cette mentalité fait partie de la culture chinoise, une culture vieille de 2 000 ans. Si vous regardez les 2 000 ans d'histoire de la Chine, vous verrez que ce pays a constamment pris de l'expansion, sans perdre aucun territoire. Les empires britannique, ottoman et soviétique se sont effondrés. Par contre, la Chine n'a pas perdu un seul pouce de son territoire pendant 2 000 ans parce qu'elle n'a jamais conclu d'accords frontaliers clairs avec d'autres pays. Dès qu'elle gagne en puissance, elle se met à réclamer des territoires. C'est exactement ce qui se passe au Tadjikistan, au Kirghizstan, au Kazakhstan et dans d'autres pays.
    Si vous jetez un coup d'oeil aux manuels chinois d'aujourd'hui, vous verrez qu'ils contiennent une phrase célèbre évoquant l'unification de toute la Chine sous le règne de Genghis Khan. Que faut-il en déduire? Les régions conquises par Genghis Khan sont censées appartenir à la Chine. Voilà ce que cela signifie. Maintenant que la Chine se trouve dans une situation financière plus solide, elle dépense de l'argent et accorde des prêts à des pays qui, elle le sait, n'ont pas les moyens de les lui rembourser.
    Plus précisément, y a-t-il eu une exacerbation de la violence contre les Ouïghours ou une intensification de leur oppression, surtout sous l'ancienne direction, ou est-ce que la situation a toujours été la même?
    Xi Jinping mène une politique poussée à l'extrême, mais ses prédécesseurs pratiquaient, eux aussi, des politiques répressives. Il faut bien l'admettre. Le président chinois, Xi Jinping, suscite une certaine opposition en Chine. Or, les opposants ne dénoncent pas ses agissements ou ses objectifs. Ils lui disent plutôt: « Pourquoi dévoilez-vous toutes vos cartes? Nous devrions continuer d'agir en catimini, sans aucune contrainte et sans éveiller l'attention des autres. Voilà que, maintenant, vous réveillez les pays occidentaux et vous déclenchez leur opposition. » Je vous épargne le reste.
    Tant que la Chine poursuivra son plan ambitieux de coloniser le monde entier — c'est elle, la grande patronne —, on aura droit à la même politique, que ce soit sous l'actuel président ou sous le suivant. À titre de citoyens d'une démocratie occidentale, nous devrions craindre la Chine si elle a déjà commencé à exporter son mode d'autoritarisme vers les pays voisins ou ailleurs dans le but de remplacer nos valeurs occidentales. Ce constat devrait nous alarmer.
     Ma prochaine question porte sur les journalistes. Sont-ils en mesure d'accéder aux communautés ouïghoures densément peuplées, ou ces régions leur sont-elles toujours relativement inaccessibles? Ont-ils été la cible d'attaques, ou les a-t-on empêchés de se rendre dans certaines communautés?
    Les journalistes n'y ont aucun accès jusqu'à présent. La dernière journaliste que j'ai vue dans la région ouïghoure était Emily Feng du Financial Times.
    Je me suis entretenu avec elle à diverses reprises. Elle est d'origine chinoise, ce qui lui permet de parler plus facilement avec les représentants, mais je ne pense pas que ce soit le cas pour les journalistes occidentaux.
    J'ai eu un échange avec Nathan VanderKlippe, le représentant du Globe and Mail à Beijing. Ce n'est pas facile. Jusqu'ici, aucun journaliste occidental n'a mis les pieds dans la région.

  (1335)  

    Merci beaucoup.
    Monsieur Sweet, vous avez cinq minutes.
    Merci, madame la présidente. Monsieur Tohti, je vous remercie infiniment de votre témoignage.
    Y a-t-il d'autres minorités musulmanes turcophones qui sont persécutées, au même titre que les Ouïghours?
    Oui, il y a les Kazakhs, les Kurdes et les gens du Turkestan oriental. Les Ouïghours ne sont pas les seuls; ces ethnies font également l'objet d'une telle persécution.
    Les Kazakhs et les Kurdes se sont enfouis vers les pays voisins dont le nom se termine par « stan ». Certains d'entre eux ont réussi à s'échapper et à sauver leur vie, mais beaucoup d'autres languissent toujours dans des camps de concentration.
    Vous avez employé une expression que j'ai déjà entendue dans la bouche de M. Lobsang Sangay, du gouvernement tibétain en exil. Il a parlé du génocide culturel qui se déroule dans votre région.
    La Chine utilise-t-elle une stratégie semblable à celle déployée dans la Région autonome du Tibet? Fait-elle réinstaller des Chinois du peuple Han dans la région ouïghoure pour y assurer sa domination? Les envoie-t-elle en masse par train ou par autobus?
    En 1950, lorsque l'armée communiste chinoise est venue sur les lieux, sous le commandement de Wang Zhen, il y avait environ 2 500 à 3 000 Chinois dans l'ensemble de la région. Aujourd'hui, le gouvernement chinois atteste lui-même que les Chinois représentent 46 % de la population locale. Si l'on inclut les forces paramilitaires ou certains travailleurs saisonniers, le nombre total de Chinois pourrait dépasser celui des Ouïghours.
    Par ailleurs, plus d'Ouïghours sont maintenant en prison, et les possibilités qui sont offertes ne s'adressent qu'aux nouveaux arrivants chinois. Les filles ouïghoures sont forcées de se marier avec des Chinois. Il y a des programmes d'accueil dans le cadre desquels des fonctionnaires chinois viennent habiter chez des familles ouïghoures afin de les surveiller pendant 24 heures. En gros, les Chinois représentent le pouvoir dominant dans toutes les sphères de la vie, et pas seulement à l'échelle du gouvernement.
    Le Falun Gong est un autre groupe qui est notoirement persécuté par la République populaire de Chine. Nous avons recueilli pas mal d'éléments de preuve. D'ailleurs, nous avons entendu, à deux reprises, les témoignages de David Matas et de David Kilgour en ce qui concerne le prélèvement d'organes.
    Les Ouïghours ont-ils également été victimes de cette pratique?
    En fait, le prélèvement d'organes a d'abord visé les Ouïghours en Chine parce qu'ils sont plus ou moins des partisans du Falun Gong, et ce, en secret au sein du gouvernement ou dans la société civile. Par conséquent, s'il survient un incident, les gens le rendent public immédiatement. C'est pourquoi ils ont un meilleur accès à l'information, et les règles à cet égard sont moins strictes pour les simples citoyens chinois. Dans le cas des Ouïghours et des Tibétains, c'est tout à fait une zone de non-droit.
    C'est ce qui explique, par exemple, la réinstallation actuelle de centaines de milliers d'Ouïghours en Chine continentale; ils sont complètement séparés de leur famille et coupés de leurs racines culturelles. Quel sort les attend? Le prélèvement d'organes fait des centaines de milliers de victimes.
    Le gouvernement chinois n'hésite pas à se servir des cadavres d'Ouïghours pour faire de l'argent. Au lieu de nourrir les détenus deux ou trois fois, il utilise leurs organes, puis brûle les corps au crématorium. Telle est la pratique du gouvernement chinois. D'ailleurs, les cas de prélèvement d'organes sur les Ouïghours sont les moins signalés en Chine.
    Pourriez-vous me dire précisément quelles personnes il nous serait important de questionner en premier à ce sujet? Qui pourrait nous fournir un témoignage concernant précisément le lien entre la persécution des Ouïghours et des Rohingyas par les Chinois? Pourriez-vous nous donner le nom d'une telle personne? De plus, pourriez-nous nommer d'autres témoins que nous devrions entendre pour corroborer ce que vous nous dites?
    Je vais me renseigner pour vous transmettre le nom d'un expert capable de vous fournir la meilleure information sur la persécution des Ouïghours et des Rohingyas en Chine, plutôt que des reportages provenant des médias.
    Pour ce qui est des prélèvements d'organes, je peux vous donner le nom tout de suite: le Dr Enver Tohti. Il habite au Royaume-Uni et il pratiquait la médecine auparavant. Il a vu des prélèvements d'organes se faire sur des Ouïghours. On peut trouver des gens très bien placés pour témoigner à ce sujet.

  (1340)  

    Merci beaucoup.
    Si vous pouviez envoyer cette liste au greffier, nous nous assurerions qu'elle soit distribuée au Comité.
    Certainement, je le ferai.
    Merci beaucoup.
    La parole est maintenant à Mme Khalid.
    Merci, madame la présidente, et merci à vous tous encore une fois.
    Monsieur Tohti, pourriez-vous nous expliquer ce que signifient ces cartes géographiques et nous indiquer le lien qu'elles ont avec les mémoires que vous nous avez remis?
    C'est une carte du projet chinois « la Ceinture et la Route », qui a été proposé en 2014 par le président Xi Jinping, qui appartient au président Xi Jinping et qui est approuvé par le président Xi Jinping. On surnomme ce projet le plan Marshall du XXIe siècle. Il va de la côte Est de la Chine jusqu'au Nord, à Moscou, ainsi qu'en Europe et au Moyen-Orient. Il rejoint l'Europe méridionale et l'Afrique. Il comprend quatre routes ou couloirs terrestres, comme on les appelle, de même que la Route maritime de la soie.
    La Route maritime de la soie relie deux points. Le premier est le Myanmar, dont une longue bande de territoire s'étire vers le sud. Le deuxième est le port pakistanais de Gwadar, où la Route maritime de la soie se rattache au couloir terrestre allant du Turkestan oriental au Pakistan, à travers des frontières. Au milieu se trouve le couloir terrestre d'Asie centrale, qui passe par le Kazakhstan et le Kurdistan. La partie nord va jusqu'à Moscou.
    La partie centrale est la région des Ouïghours. La partie sud est le Tibet. Le Nord-Ouest de la Chine est la région des Ouïghours, que nous appelons le Turkestan oriental et que la Chine appelle la région autonome ouïghoure du Xinjiang.
    Pour réaliser le plan Marshall du XXIe siècle, la Chine n'hésite pas à éliminer tout ce qu'elle considère comme un obstacle. La majorité des Turkestanais et des musulmans se taisent devant les atrocités commises contre les Ouïghours parce qu'ils espèrent pouvoir profiter financièrement des investissements promis par la Chine.
    Vous avez indiqué que d'autres pays qui font partie de ce projet se gardent de dénoncer la situation parce qu'ils espèrent des gains financiers. Toutefois, je crois savoir que certains États ont choisi de manifester leur opposition. Pourriez-vous nous en dire un peu sur ces pays?
    Au-delà de toutes les grandes puissances occidentales, l'un des pays qui dénoncent la situation est la Malaisie, qui a publiquement pris position non seulement contre le projet « la Ceinture et la Route », mais aussi contre l'oppression des Ouïghours par la Chine. Le Pakistan a aussi commencé à élever le ton parce qu'il s'est aperçu que la plupart de l'argent investi par la Chine dans la construction des infrastructures du projet « la Ceinture et la Route » ne fait que retourner en Chine. Donc, le Pakistan s'aperçoit que ce projet est néfaste pour l'industrie pakistanaise.
    En outre, plus de 300 Ouïghoures sont mariées à des Pakistanais, et toutes sont dans des camps de concentration actuellement. Certains de ces maris pakistanais se sont rendus à Pékin pour manifester, en collaboration avec l'ambassade du Pakistan dans cette ville. De plus, les États membres de l'Union européenne ont fait deux déclarations publiques. Les Nations unies ont fait une déclaration publique. Les États-Unis et l'Australie ont tenu une audience équitable sur ces atrocités. Quoi qu'il en soit, à part le Pakistan et la Malaisie, ce sont surtout les démocraties occidentales qui abordent cette question.
    Quand vous dites que des pays font des déclarations, quelle en est la teneur? Condamnent-ils sans équivoque cette pratique? Prennent-ils des mesures en plus de faire des déclarations? Pourriez-vous décrire les mesures qu'ils prennent?
    La Malaisie a mis fin à tous les investissements chinois dans le cadre du projet « la Ceinture et la Route », après la plus récente élection présidentielle. Toutefois, ce pays ne s'est pas contenté de mettre fin aux projets de construction et aux autres projets des Chinois. Il a aussi levé le ton et condamné le traitement des Ouïghours dans les camps de concentration en Chine.
    Le Pakistan a exprimé ses préoccupations concernant les restrictions religieuses imposées aux Ouïghours par le gouvernement chinois. La déclaration exprimait des préoccupations et n'était pas une condamnation.
    Les Nations unies ont demandé au gouvernement chinois de fermer les camps et de libérer les Ouïghours.

  (1345)  

    Nous allons céder la parole à Mme Hardcastle pour cinq minutes.
    Merci, madame la présidente.
    Depuis longtemps, la propriété étrangère au Canada est un enjeu très politique qui est devenu de plus en plus important au fil du temps, vu l'acquisition d'infrastructures par la Chine, sur le territoire canadien. Je sais que vous avez parlé un peu des sanctions comme celles que les États-Unis ont prises avec la loi Magnitski. Pensez-vous que le gouvernement devrait aller plus loin que des sanctions financières individuelles? Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet, plus précisément en ce qui a trait aux propriétés chinoises au Canada? Nous avons vu des cas du genre récemment, comme la Commission canadienne du blé et le port de Churchill...
    Vous avez raison. Les sanctions sont un type de mesures et elles s'appliquent uniquement aux personnes responsables. Nous devons surtout ne pas négliger de réagir avec fermeté.
    Comme vous l'avez dit, la Chine investit dans des secteurs stratégiques comme l'énergie et les infrastructures, alors le Canada devrait examiner attentivement les investissements chinois et les bloquer. Il nous faut tirer les leçons des erreurs commises par l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Ces deux pays ont fait volte-face dans leurs politiques concernant les investissements chinois parce que l'Australie a subi des pertes stratégiques. Le Canada est le prochain pays visé.
    Nous devons faire attention à la provenance des capitaux étrangers et aux buts des investisseurs. Au-delà de la question des Ouïghours, il faut songer aux investissements stratégiques canadiens.
    Deuxièmement, nous devons vérifier si des industries canadiennes vendent des technologies de pointe à la Chine pour la reconnaissance rétinienne, l'analyse d'échantillons d'ADN ou d'autres applications du genre, comme les caméras numériques de sécurité. Les États-Unis font ces vérifications, et le Canada devrait les faire également. Nos produits ne devraient pas servir d'instruments de répression.
    Toute une gamme de mesures peut être prise au Canada. Nous ne devons pas nous contenter de faire des déclarations publiques. Il nous faut examiner les investissements chinois et déterminer pourquoi nos industries et nos installations clés intéressent tant le gouvernement chinois.
    Selon vous, quelles seraient les meilleures méthodes à employer pour pouvoir recueillir les preuves qui seraient nécessaires afin de porter plainte aux Nations unies concernant les violations des droits de la personne? Croyez-vous qu'il faut passer par les Nations unies pour pouvoir recueillir des preuves? À vos yeux, quelle devrait être la réaction de la communauté internationale?
    Nous devons commencer par notre pays, le Canada. Nous devons demander à tous les membres des communautés présentes sur notre territoire de fournir leurs témoignages. Les gens qui sont assis derrière moi aujourd'hui ont de la parenté actuellement dans des camps de concentration chinois. Nous allons recueillir les noms de ces personnes avec le concours de la diaspora. Ce sera fait partout aux États-Unis et en Europe. Il y aura une énorme quantité de témoignages. Nous vous fournirons la liste des noms et l'information qui s'y rattache. Parallèlement, les Ouïghours des États-Unis et d'Europe feront de même avec leurs gouvernements respectifs. Subséquemment, tout sera acheminé aux Nations unies par les gouvernements. C'est une bonne façon de procéder.
    Nous allons passer aux questions additionnelles de M. Anderson. Si d'autres membres du comité souhaitent poser des questions additionnelles, ils devraient l'indiquer à la présidente.
    Merci, madame la présidente.
    Vous avez dit que le gouvernement était resté silencieux au lieu de dénoncer ces violations. A-t-il fait pire encore? Savez-vous si des réfugiés turkestanais musulmans ont été renvoyés en Chine par le Canada?
    Jusqu'à maintenant, je ne sais pas. Une jeune femme ouïghoure est visée par une ordonnance d'expulsion. Dès que nous l'avons appris, je me suis rendu au ministère des Affaires étrangères pour demander de l'aide. J'ai aussi demandé l'aide de mon député, M. Omar Alghabra. Je lui ai dit qu'il y aurait un scandale au Canada s'il fallait que cette jeune femme ouïghoure, qui venait tout juste d'avoir 18 ans, soit renvoyée en Chine. Ses parents sont au Canada. Alors, il y a le cas de cette jeune femme de 18 ans qui fait encore l'objet d'une ordonnance d'expulsion susceptible d'être exécutée.

  (1350)  

    Merci pour cette information.
    Vous avez parlé de la loi Magnitski et de son application. Connaissez-vous des personnes occupant certaines fonctions auxquelles cette loi pourrait s'appliquer? Les États-Unis en parlent. Avez-vous déjà inscrit des personnes sur la liste dont vous parlez? Vous n'avez pas besoin de nommer ces personnes maintenant, mais pourriez-vous nous fournir cette liste si vous l'avez?
    Oui. J'ai fait partie de l'équipe qui s'est employée à trouver les noms des personnes à inscrire sur la liste, alors je les connais. Nous avons identifié des personnes et rassemblé des données sur les crimes commis, alors je peux vous fournir cette liste.
    Vous avez mentionné M. Huseyin Jelil tout à l'heure, et je ne savais pas que nous aurions l'occasion de poser des questions une deuxième fois. Pourriez-vous nous en dire un peu sur sa situation actuelle?
    À moins que la communauté internationale n'agisse de toute urgence... Nous regrettons d'être restés les bras croisés et de ne pas avoir accepté les juifs dans les années 1950. Nous regrettons et nous avons présenté nos excuses. Or, certains pays, comme la Chine communiste, sont dangereux. Des politiques dangereuses continuent d'être appliquées, comme tuer des gens aveuglément ou les interner dans des camps de concentration.
    À titre de membres de la communauté internationale, nous avons la responsabilité non seulement de dénoncer les actes qui sont commis, mais également de les prévenir, pour empêcher des meurtres de masse. Il n'y a pas longtemps, nous avons vu les Rohingyas subir leur triste sort sans intervenir. Leur calvaire a commencé il y a deux ou trois ans et il se poursuit aujourd'hui. Alors, nous devons dénoncer fermement ce qui se passe.
    Pouvez-vous m'en dire un peu plus sur les séparations forcées? Qui sont les gens qui ont été arrachés à leur collectivité? Vous avez dit que c'était peut-être pour leur prélever des organes. Des collectivités se font disloquer. Est-ce que ce sont les jeunes qui sont enlevés? Des familles sont-elles séparées simplement au hasard? Qui est enlevé dans le district pour être envoyé à l'autre bout de la Chine?
    Vous seriez surpris. Cinquante-quatre professeurs de la prétendue Université du Xinjiang, des Ouïghours, ont été internés dans un camp de concentration. Rahile Dawut, une anthropologue bien connue qui est diplômée d'une université étatsunienne, a disparu il y a neuf mois, et on nous a confirmé qu'elle se trouvait bien dans un camp de concentration. Quatre de mes professeurs à l'Université de Kashgar, des Ouïghours eux aussi, sont dans ce camp de concentration. Des chanteurs, des joueurs de soccer, des danseurs et d'autres personnes provenant de tous les milieux sociaux ont été internés dans un camp de concentration.
    Je crois qu'il ne me reste plus de temps.
    Merci beaucoup.
    Nous avons encore un peu de temps, alors vous pouvez poser une dernière question si vous le voulez.
     Les militaires birmans n'ont jamais produit aucune preuve que, sur une période de plus de cinquante ans, les Rohingyas avaient commis quelque violence que ce soit. Récemment, on a inventé de toutes pièces un événement où trente Rohingyas armés de bâtons et de gourdins seraient entrés dans des postes de police. On s'est servi de ce prétexte pour expulser un demi-million de Rohingyas de plus hors du pays, au Bangladesh. La République populaire de Chine invoque-t-elle des preuves pour dire que les Ouïghours menacent la sécurité sur son territoire?
    Premièrement, il n'existe aucune preuve que les Ouïghours menacent la sécurité en Chine. Si c'était le cas, pourquoi arrêterait-on des professeurs d'université? Même un haut placé dans la hiérarchie gouvernementale qui a occupé les fonctions de ministre de l'Énergie et qui se nomme Nur Bekri fait l'objet d'une enquête. Le 5 juillet 2009, pendant le massacre d'Urumqi, Nur Bekri était le gouverneur de la région autonome ouïghoure. Alors, la Chine ne fait aucune distinction entre les personnes qui menacent la sécurité et celles qui ne la menacent pas. La Chine est constamment en train d'inventer des accusations. Avant les attentats du 11 septembre 2001, le problème était le séparatisme. Après, c'était le terrorisme. Aujourd'hui, c'est la formation professionnelle.
    Si la sécurité est menacée, le gouvernement chinois devrait nous dire d'où vient la menace.
    Merci.
    Il nous reste deux ou trois minutes, monsieur Tohti. Y a-t-il des questions que nous n'avons pas abordées et sur lesquelles vous voudriez dire quelques mots pour terminer?
    Je voudrais lancer un appel à tous les membres du Comité. Nous sommes au Canada. Nous sommes fiers d'être canadiens. Nous sommes constamment en train de défendre et de promouvoir les droits de la personne dans le monde. La position du Canada dans le dossier sur lequel le Comité se penche aujourd'hui est quelque peu décevante pour les membres de notre communauté. Notre pays serait capable de faire une déclaration publique. Les gens qui sont assis derrière moi et beaucoup d'autres personnes qui font des efforts pour qu'une déclaration soit faite, mais qui n'ont pas pu venir ici aujourd'hui, sont frustrés parce que des membres de leur famille sont dans des camps de concentration. Ils ne peuvent pas leur parler. Ils ne peuvent pas leur demander « comment vas-tu, papa? » C'est vraiment frustrant, alors le Canada devrait dénoncer cette situation.
    Deuxièmement, les demandes de certains candidats à l'immigration parrainés par leur conjoint ont déjà été acceptées par les autorités canadiennes, et les visas sont prêts. Cependant, le conjoint qui est en Chine s'étant fait confisquer son passeport, il ne peut pas se rendre à l'ambassade pour récupérer son visa. Les autorités canadiennes fixent un délai de 30 ou de 60 jours au-delà duquel toute la démarche doit être reprise à zéro. Nous pourrions au moins demander au gouvernement de prolonger le délai parce que c'est une situation spéciale qui nécessite des mesures spéciales. Il s'agit d'une simple demande de la part de notre communauté.

  (1355)  

    Merci beaucoup pour votre témoignage convaincant.
    Merci aux membres du Comité pour leurs interventions et leurs questions.
    Merci aussi aux membres du public qui ont manifesté un grand intérêt pour cette réunion.
    La prochaine réunion du Comité aura lieu jeudi et portera sur les travaux du Comité. Elle se tiendra à huis clos, et je vous demanderais d'y venir avec vos idées et vos suggestions d'études à entreprendre.
    Cela dit, la séance est levée.
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