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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 10 juin 1998

• 1535

[Français]

Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): Je m'excuse d'être arrivé quelques minutes en retard, monsieur le président. Je vous souhaite la bienvenue devant notre comité en compagnie de vos collègues parlementaires et du Sénat, si je puis employer cette expression à l'égard de la République d'Algérie.

Je crois comprendre que vous devrez nous quitter d'ici cinq minutes pour aller rencontrer notre gouverneur général. Je vous invite donc à dire quelques mots aux membres du comité, après quoi vous pourrez quitter. Vos collègues demeureront ici parmi nous.

M. Bachir Boumaza (président du Conseil de la Nation de l'Algérie): Je suis très heureux de vous saluer au nom de la délégation que je préside. Nous sommes dans votre beau pays depuis 48 heures et nous sommes déjà conquis. Il faudra que nous envisagions par une astuce quelconque le moyen d'y revenir pour vous connaître encore un peu plus.

Il nous a été donné hier et aujourd'hui d'observer comment fonctionne cette vieille démocratie. Personnellement, j'ai beaucoup gagné à observer cela. Il est entendu que chaque pays dégage de son génie national les moyens de se gouverner. Il n'y a pas de doute cependant que certaines leçons seront retenues. Puisque je n'aurai pas le plaisir de rester avec vous tout au long de cette rencontre, je dirai seulement deux mots en ce qui concerne les relations internationales ou la politique internationale.

Comme tout le monde le sait, il n'y a pas vraiment de grandes questions internationales où le Canada et l'Algérie ne se retrouvent en affinité. Vous aborderez probablement ces questions-là avec mes amis.

Auprès des représentants de votre commission—nous disons «commission», tandis que vous dites «comité»—, donc du Comité des affaires extérieures, je voudrais renouveler le désir sincère et ardent de notre pays d'approfondir ses relations avec le vôtre, bien sûr sur le plan économique et commercial, mais aussi sur le plan parlementaire, de façon à ce que nous puissions ensemble apporter notre contribution à la paix du monde, à la fraternité et à l'amitié entre les peuples.

Je vous remercie.

Le président: Merci beaucoup, monsieur le président.

Est-ce que les membres de la Commission des affaires extérieures aimeraient ajouter quelques mots? J'inviterai ensuite mes collègues à poser des questions. Nous pourrons ainsi échanger nos points de vue.

M. Bachir Boumaza: M. Bessaieh est le président de la Commission des affaires étrangères. Il est lui-même ancien ministre des Affaires étrangères et il a déjà été ministre de la Culture. Il est connu en Algérie comme un homme de grande culture. J'ai l'honneur de l'avoir au nombre de mes principaux collaborateurs.

M. Boualem Bessaieh (président, Commission des affaires étrangères, de la coopération internationale et de la communauté algérienne à l'étranger, Conseil de la Nation de l'Algérie): Monsieur le président, mesdames et messieurs, la délégation que préside M. le président Bachir Boumaza est heureuse de rencontrer aujourd'hui le Comité des affaires étrangères de la Chambre des communes.

Je voudrais simplement rappeler devant cette auguste assemblée que le Sénat algérien, c'est-à-dire le Conseil de la Nation, n'existe que depuis cinq mois. L'un des premiers partenaires avec lesquels nous avons commencé nos conversations a été le Canada puisqu'une délégation parlementaire canadienne, conduite par M. Boudria, est venue à Alger. Par la suite, nous avons eu le plaisir et l'honneur de recevoir également une autre délégation conduite par M. De Bané, à qui nous souhaitons un prompt rétablissement.

• 1540

Aujourd'hui, c'est l'Algérie et le Canada qui se rencontrent de nouveau, mais cette fois-ci, la délégation est conduite par le président Boumaza lui-même. Je dois souligner que c'est sa première sortie du territoire depuis qu'il est à la tête du Conseil de la Nation, ce qui témoigne de l'importance que le Conseil de la Nation et l'Algérie accordent aux relations avec le Canada. Je vous dis tout de suite que nous nous réjouissons de la qualité des rapports entre nos deux pays et encore davantage de la qualité des rapports humains qui ont été établis entre les parlementaires algériens et les parlementaires canadiens.

Nous sommes venus d'abord pour vous écouter et pour apprendre. Nous sommes une jeune institution qui a besoin d'expérience, de l'expérience d'un vieux Sénat comme le vôtre. On peut mettre une date sur la naissance de votre institution, soit 1867, et on peut donc apprendre beaucoup de choses de votre institution. Cela dit, nous pourrons peut-être aussi vous dire comment nous sommes organisés si cela vous intéresse. En tout cas, nous sommes surtout venus pour apprendre et enrichir l'organisation de notre institution.

D'abord, concernant nos relations, il est évident que depuis quelques mois, un problème important se pose dans nos rapports avec l'extérieur: c'est la situation sécuritaire en Algérie. Je sais que cela vous intéresse. Bien plus, au passage, je dois souligner avec fermeté et avec une certaine admiration le courage politique que vous avez manifesté à notre égard lors de ce combat libérateur. Je dois dire que nous avons démontré à la face du monde que les accusations ça et là qui avaient été dirigées contre notre pays étaient dénuées de tout fondement. Le Canada a été l'un des premiers pays à le manifester, à en témoigner, à le dire.

Vous savez qu'à un moment donné, on a jeté un slogan dans la rue; on a dit: «Qui tue qui en Algérie?» Je voudrais simplement rappeler à MM. les parlementaires que nous avons reçu un certain nombre de délégations parlementaires, parmi lesquelles j'ai cité le Canada tout à l'heure, mais étant donné la spécificité des rapports que nous avons au plan politique avec nos partenaires européens, nous avons eu des contacts suivis et notamment des séances de travail longues, peut-être au départ difficiles, mais à la fin couronnées de clarté et de sérénité, car en fait, nous avons posé le problème en termes clairs. Les parlementaires européens, après des discussions avec nous, sont partis convaincus qu'ils savaient qui tuait qui et, par conséquent, cette question ne se pose plus depuis de longs mois.

À la suite de la déclaration du Parlement européen, il y a eu une déclaration du Sénat américain que je pourrais résumer en trois points.

• 1545

Premièrement, le Sénat américain est convaincu de l'identité des tueurs. Deuxièmement, le Sénat américain recommande au gouvernement américain de coopérer avec le gouvernement algérien. Troisièmement, le Sénat américain dénonce avec la plus grande fermeté les groupes armés. Ici, si vous me le permettez, j'ouvre une parenthèse. Le Sénat américain, qui est au fait de beaucoup de choses, n'a pas dit «le groupe armé» mais «les groupes armés». Cela signifie que l'on sait qu'il y a des groupes armés et que, par conséquent, lorsque parfois vous entendez parler de crimes collectifs, ce sont les groupes armés qui s'entretuent entre eux. Autrement dit, si vous me permettez de rafraîchir un petit peu votre mémoire car je sais que vous savez tout cela, c'est un peu ce qui s'est passé en Afghanistan. En Afghanistan, on a attendu de prendre le pouvoir pour s'entretuer. En Algérie, dans l'espoir hypothétique de prendre un jour le pouvoir, on a commencé à s'entretuer. La différence est là, mais la démarche est la même.

Monsieur le président, mesdames et messieurs, ce que je voulais dire surtout à propos du problème sécuritaire, c'est que nous considérons, et beaucoup d'amis comme vous le considèrent également, que le danger est derrière nous. Nous sommes en train d'avancer pour éradiquer totalement le terrorisme, sachant bien qu'il est fléau universel. Mais en même temps—et c'est cela la démarche singulière et spectaculaire de l'Algérie et du peuple algérien—, nous continuons à construire, à élargir et à conforter la démocratie chez nous tandis que nous luttons contre le terrorisme. Nous pensons même que c'est l'approfondissement de la démocratie qui finira par triompher du terrorisme.

Quant aux réformes politiques et économiques que vous avez vous-mêmes vécues à travers vos déclarations soutenues, je crois pouvoir vous dire que les avancées que nous avons réalisées sont prometteuses. Je n'en veux pour preuve que les déclarations du Fonds monétaire international, qui salue les efforts de l'Algérie vers plus de bien-être, plus de progrès et plus de stabilité.

Je sais que c'est là un problème de ce que vous appelez au Canada les droits de la personne. Je sais que cela vous intéresse et je dois vous en dire un mot. Vous parlez de «droits de la personne» et je crois que votre expression est plus juste que la nôtre; nous disons «les droits de l'homme». Vous voyez qu'à chaque fois, nous apprenons quelque chose de bien chez vous. Les droits de l'homme sont protégés en Algérie et nous travaillons dans la plus grande transparence. Il y a des rapports qui sont envoyés annuellement aux structures des Nations unies chargées de ce problème. Il est évident qu'à chaque fois, nous avons pu démontrer les efforts accomplis dans ce domaine par l'Algérie.

Il y a des questions internationales, monsieur le président, mesdames et messieurs, qui pourraient peut-être aussi vous intéresser et nous intéresser tous. Nous avons un certain nombre de problèmes en Afrique, comme vous le savez. Puisque je suis Africain et que nous sommes Africains, peut-être vous en dirai-je un mot rapidement. Bien entendu, s'il y a des questions précises, mes collègues et moi sommes prêts à y répondre.

• 1550

En Afrique, il y a eu des génocides collectifs, il y a eu des interventions étrangères, avouées ou non, il y a un malaise social, il y a parfois des démocraties balbutiantes, mais il y a aussi la faim, la misère et la dette extérieure très lourde pour ces peuples. Je crois pouvoir vous dire qu'actuellement, nous sommes très soucieux de ce qui se passe dans notre continent. Nous voudrions que les puissances qui en ont les moyens jettent un regard plus attentif et plus généreux vers ces peuples qui souffrent.

Dans le Maghreb, nous avons un problème. Je me permets, monsieur le président, de faire un petit tableau comme cela, un survol des questions importantes, sauf si vous voulez que je m'arrête et que l'on passe aux questions et réponses.

Le président: Vous pouvez vous arrêter si vous avez fini d'exprimer votre pensée. Je dois cependant vous avouer que le moment le plus intéressant est celui où nous avons l'occasion d'échanger nos points de vue entre parlementaires. Donc, plus on laisse de temps à ces échanges, mieux cela vaut.

M. Boualem Bessaieh: Vous préférez des questions?

Le président: Oui, on peut passer directement aux questions. Vous pourrez peut-être finir d'exprimer vos idées à ce moment-là.

Vous avez fait allusion à la récente délégation parlementaire canadienne dans votre pays dirigée par notre ministre M. Boudria. Mme Alarie participait à cette délégation et elle est parmi nous aujourd'hui. Mme Folco, qui faisait aussi partie de ce groupe qui visitait votre pays, viendra nous rejoindre sous peu.

Ce fut évidemment un grand plaisir pour moi de déjeuner avec vous hier, surtout à côté de Mme Zerdani. Vous m'avez dit qu'elle est non seulement sénatrice, mais aussi avocate. Je signale à mes collègues qu'on fait toujours état du fait que trois avocats font partie de cette commission: M. Turp, le secrétaire parlementaire et moi. Cela fait un peu trop d'avocats, dit-on. Madame Zerdani, je vous remercie d'être venue à notre aide.

M. Daniel Turp (Beauharnois—Salaberry, BQ): Vous oubliez que nous comptons aussi des professeurs de droit.

Le président: Je souhaite donc la bienvenue à tout le monde. Nous passons directement à la période des questions et aux échanges.

Monsieur Turp.

M. Daniel Turp: J'aimerais à mon tour vous souhaiter la bienvenue au Comité permanent des affaires étrangères. J'ai eu le plaisir de rencontrer certains d'entre vous lundi soir, lorsque vous êtes arrivés. Je crois que ma collègue Mme Alarie, qui était membre de cette délégation parlementaire, a eu l'occasion de vous rencontrer et de vous parler à plusieurs reprises depuis votre visite. C'est une initiative intéressante que celle qu'a prise ma collègue de créer ce groupe d'amitié Algérie-Canada, un groupe auquel le Bloc québécois a participé de façon active. Nous comptons bien sur Hélène pour animer ce groupe.

L'une des choses qu'il faut dire et que notre parti veut vous faire savoir très rapidement, c'est que dans cette entreprise et cette aventure démocratique que vous entreprenez, nous vous souhaitons la meilleure des chances dans cette démocratie parlementaire dont votre Conseil de la Nation est un des éléments. C'est un défi important que vous avez à relever. Toutes les démocraties sont fragiles, y compris la démocratie canadienne et la démocratie québécoise. La démocratie est un plébiscite de tous les jours, et nous vous souhaitons bonne chance.

L'amitié caractérise les relations entre l'Algérie et le Canada, mais aussi avec le Québec et les Québécois que nous représentons ici, nous les députés du Bloc québécois. L'amitié vaut aussi la franchise parfois. Comme vous le savez très bien, il y a quelqu'un d'entre vous qui a dit que j'avais donné du fil à retordre à l'Algérie, ici même à l'automne dernier. Je pense que des questions méritaient d'être posées et que des questions méritent toujours d'être posées sur la situation en Algérie.

• 1555

Une des questions que nous avions posées à cette époques à cause des massacres qui se multipliaient, c'est l'idée qu'une commission internationale d'enquête soit établie. Cette idée ne souriait guère à votre gouvernement et à ses représentants ici d'ailleurs.

Mme Alarie, à son retour de voyage, nous a dit que c'était quelque chose qui faisait à peu près consensus en Algérie, à savoir que des personnes de la société civile autant que du niveau gouvernemental ne souhaitaient pas de commission d'enquête internationale. Mais à son retour, on nous a dit que l'idée d'une commission d'enquête nationale sur les massacres, à laquelle des observateurs internationaux pourraient être invités à participer, était une possibilité qui pourrait être envisagée.

Ma première question est de savoir si votre gouvernement ou votre institution parlementaire est disposée à faire la lumière sur ces massacres et sur ses auteurs par l'intermédiaire d'une telle commission, où des observateurs internationaux pourraient être invités. Je vous dis cela parce que vous avez vous-même souligné que les massacres étaient le fait de terroristes. Je pense que les gens s'entendent généralement pour dire que c'est le cas. Lorsque M. André Soulier a fait rapport au Parlement européen au retour du voyage de la délégation qu'il présidait, il a laissé entendre qu'il y avait peut-être un ou deux massacres qui ne pouvaient pas être attribués à des groupes terroristes. Donc, c'est ma première question.

Ma deuxième question porte sur la liberté de presse. Cette question préoccupe beaucoup de gens ici comme ailleurs. J'aimerais savoir comment vous évaluez la liberté de presse, s'il est vrai, selon vous, que cette liberté est encore limitée et quelles mesures vous entendez prendre pour que cette liberté soit plus grande et assure véritablement les Algériens de l'information la plus objective et la plus éclairée possible.

M. Boualem Bessaieh: Merci, monsieur le député. Vous avez parlé d'abord de la question d'une commission internationale ou nationale qui pourrait faire la lumière sur certains événements et notamment du fait que M. Soulier aurait déclaré que tel ou tel cas méritait une telle sanction.

Je crois pouvoir vous dire que les parlementaires européens sont arrivés à la conviction et à la conclusion qu'une enquête internationale non seulement n'était pas désirée par les Algériens eux-mêmes mais aussi qu'elle était inutile. Pourquoi? Parce qu'on sait qui sont les auteurs de cette violence. Non seulement les auteurs de cette violence sont connus, mais ils signent leurs actes. Il suffit de se promener devant la mosquée de Londres pour trouver des tracts dans lesquels ces organisations ou ces groupes armés écrivent et signent leurs forfaits et disent que ce sont eux qui sont les auteurs de ces crimes.

Je reviendrai d'ailleurs là-dessus pour montrer la complicité, et c'est un mot qui n'est pas très fort, entre certains milieux européens et ces groupes armés. Quant au fait que M. Soulier aurait déclaré cela, je crois pouvoir vous dire que nous suivons les déclarations de M. Soulier et des autres parlementaires puisqu'ils sont venus chez nous avec la loupe.

M. Daniel Turp: Je l'espère.

M. Boualem Bessaieh: Certainement. Et je crois pouvoir m'engager à mettre au défi quiconque me montrerait une déclaration de ce genre de la part de M. Soulier.

• 1600

Peut-être, monsieur le député, avez-vous entendu dire qu'une telle chose a été dite. Je ne mets pas en cause votre bonne foi, mais je tiens à vous dire que nous suivons pas à pas ce que font les parlementaires, notamment les parlementaires européens qui sont en face de nous. À aucun moment il n'a été question d'une telle déclaration.

M. Daniel Turp: Je pourrai vous donner la copie après la réunion si vous le voulez.

M. Boualem Bessaieh: Oui, les agences de presse. J'ai été ministre de l'Information et je connais le problème.

Quant à votre deuxième question au sujet de la liberté de la presse, je puis vous dire, monsieur le député, mesdames et messieurs, que depuis que nous avons engagé le processus démocratique, nous avons conçu délibérément et volontairement qu'il ne pouvait pas y avoir d'épanouissement du processus démocratique sans épanouissement de la liberté de la presse.

D'ailleurs, je puis vous dire, et vous me démentirez si cela est faux, qu'il y a un nouveau code de l'information qui est déposé devant le bureau de l'Assemblée nationale, avec une ouverture encore plus grande pour la presse. Ce que nous savons tous et ce que savent tous ceux qui viennent nous visiter en Algérie, c'est ceci. Je fais une petite comparaison. Vous connaissez tous Paris, capitale de la France, avec sa liberté de la presse, avec ses journaux, ses quotidiens, ses hebdomadaires, ses revues, le niveau culturel de cette presse et le niveau culturel de l'environnement français. Vous connaissez peut-être aussi le niveau culturel algérien, qui est loin du niveau culturel français. Malgré cela, il y a plus de quotidiens à Alger qu'à Paris.

Quant au contenu de cette presse, il ne se passe pas un jour sans que le gouvernement soit gratifié de tous les noms, et cela pour n'importe quoi. J'ajouterai aussi que les débats parlementaires de notre Chambre des communes et de notre Sénat sont télévisés en direct. Ce que la presse omet de dire, la télévision le montre. C'est dire avec quelle transparence nous travaillons maintenant en Algérie. Nous allons très, très vite. Dans certains pays européens très avancés, il n'y a pas encore cette pratique.

La presse jouit d'une très, très grande liberté, mais on peut toujours améliorer les choses. C'est pour cela que j'ai parlé de ce code de l'information qui doit passer bientôt devant l'Assemblée nationale et qui viendra chez nous. Je puis vous assurer que nous sommes décidés à asseoir la démocratie chez nous et que nous ne pouvons pas concevoir qu'une démocratie soit instaurée et approfondie sans l'appui d'une presse libre.

Je vous remercie.

M. Daniel Turp: Merci.

Le président: Je passe la parole à M. Bachand.

M. André Bachand (Richmond—Arthabaska, PC): Bienvenue. C'est un plaisir de vous revoir. Vous semblez beaucoup plus en forme qu'à votre arrivée, lundi, lorsqu'on a eu la chance de vous rencontrer à l'hôtel. Je crois que vous avez eu le temps de vous reposer un peu. C'est très bien.

Ma question a deux volets. La question de la situation intérieure algérienne nous préoccupe. La situation intérieure de notre pays nous préoccupe aussi, bien sûr. Donc, nous essayons toujours d'être très crédibles dans les commentaires que nous faisons sur les autres pays pour nous assurer d'être aussi crédibles à l'intérieur du nôtre, dans notre environnement géopolitique.

J'ai deux questions par rapport à ce qu'on appelle les massacres. Premièrement, il y a la question d'autres massacres qui se déroulent dans la péninsule africaine. Vous en avez parlé, monsieur le président.

• 1605

Quelqu'un qui, comme moi, n'est pas vraiment informé de la situation précise de l'Algérie, m'a fait le commentaire suivant: «Il faudrait peut-être en parler.» Les problèmes de l'Algérie semblent diminuer. En tout cas, on en entend moins parler. On parle de 30 personnes égorgées. Dans un pays pas très éloigné, on parle de 10 000 personnes qui ont été tuées dans une fin de semaine. Je crois donc qu'il est important de continuer le travail que vous faites au niveau de la sécurité intérieure de l'Algérie.

Il m'est très difficile de porter un jugement sur ce que vous faites. Le seul jugement que je peux porter, c'est que chaque vie humaine mérite d'être défendue. Si notre pays peut vous donner un coup de main, il va le faire. Mais je ne porte pas un jugement. Cependant, considérez le Canada comme un allié qui peut vous aider à soutenir le travail que vous faites. La meilleure solution pour moi, c'est la démocratisation et le développement économique de votre pays.

Vous avez parlé de liberté. Je fais un petit aparté. J'aimerais que vous me parliez du concept de liberté, mais très rapidement. Vous avez dit que vous travailliez à améliorer la liberté de presse. La liberté est un concept supposément pur. Donc, quel est votre concept de la liberté?

Un autre élément qui me tient à coeur et qui est nécessaire à la stabilité d'un pays, c'est le développement économique. J'ai eu le plaisir de discuter avec M. Benbitour, qui a été très gentil de m'accorder quelques minutes malgré la fatigue du voyage. On a parlé de développement économique. M. Benbitour m'a quand même donné quelques renseignements. Vous parlez du FMI, et c'est très important, mais quel processus l'Algérie est-elle en train de mettre en place pour lutter contre le problème du chômage qui est élevé en Algérie, selon les dernières statistiques qu'on a, afin d'apporter un élément de stabilité économique?

L'instabilité économique peut entraîner l'instabilité politique. Un jeune de moins de 20 ans qui n'a pas d'avenir devant lui peut être tenté de prendre les armes et de trouver ses propres solutions.

Donc, j'aimerais que vous me parliez d'abord du concept de liberté, ainsi que de la situation par rapport à vos voisins en termes de sécurité intérieure et de développement économique. Je parle du travail que l'Algérie est en train de faire, qui semble assez efficace.

M. Boualem Bessaieh: Je vous remercie d'abord de vos propos de soutien à ce que nous faisons. Nous ne nous attendions pas à moins. Nous savions que nous étions soutenus par nos amis canadiens en toute conviction.

J'ai dit qu'on pouvait améliorer les choses. Pour ma part, je pense que le concept de liberté est lié au contexte politique et à l'environnement social dans lesquels peut s'exprimer cette liberté. Comparons ce qu'on fait à la démarche de Cromwell et à celle des révolutionnaires de 1789. La démarche est la même, mais le contenu de liberté n'est pas le même parce que le contexte de l'époque ne se mesurait qu'à la force et à la capacité de gérer cette liberté à un moment donné.

Quand je dis qu'on peut améliorer les choses, vous savez très bien que c'est peut-être le cas chez vous. Nous avons beaucoup de journalistes qui sont devenus députés et nous avons beaucoup d'avocats qui sont députés. Je pense que les journalistes, qui sont les premiers défenseurs de leur liberté—puisque nous parlions de la presse tout à l'heure—, et les avocats, qui sont là pour défendre ceux dont les libertés ont été violées, se retrouvent certainement un jour pour travailler ensemble à améliorer ces libertés.

• 1610

C'est pour cela que je dis que lorsque ce débat sera ouvert, il y aura certainement des idées nouvelles qui seront lancées et il y aura la possibilité pour les uns ou pour les autres de faire tel ou tel amendement qu'ils jugeront utile. En tout cas, nous nous réjouissons des idées nouvelles qui peuvent surgir pour améliorer la situation.

Nous avons une ambition, monsieur le député, une grande ambition. Nous croyons que nous sommes en train de remplir une mission. Je ne sais pas si j'ai le temps de m'expliquer. Monsieur le président, est-ce que j'ai un peu de temps? Si vous me le permettez, je vais essayer d'aller vite.

Par exemple, à propos de l'Islam, nous considérons que nous sommes en train de défendre la véritable idée de l'Islam et que, par conséquent, nous sommes en train de travailler pour les autres pays islamiques. Nous payons le tribut de la violence pour sauver l'idée et l'image de l'Islam.

En 1830, monsieur le député, mesdames et messieurs, la France est arrivée chez nous. C'était le début de la conquête de l'Algérie. C'est en passant par cette conquête qu'elle a conquis le reste de l'Afrique.

Vers les années 1960, alors que nous étions en train de nous battre âprement et avec acharnement contre l'occupant français, la France a commencé à décoloniser en Afrique pour mieux s'installer en Algérie. Autrement dit, encore une fois, il a fallu passer par l'Algérie pour décoloniser.

Nous pensons qu'aujourd'hui, nous sommes en train de construire la liberté et la démocratie chez nous pour pouvoir demain la voir construire ailleurs. Encore une fois, il faut passer par l'Algérie. Nous sommes toujours un laboratoire et nous payons cher. Mais si nous sommes là pour payer cher des idées nobles comme la démocratie et la liberté, ce n'est pas perdu. C'est bon pour l'humanité.

Je crois que vous m'aviez posé une autre question sur la situation intérieure. Vous aussi, vous avez de grands espaces au Canada. Heureusement qu'il n'y a pas de violence. Vous avez de grands espaces. Là aussi il y a ressemblance entre nous. Nous avons de grands espaces, un très grand pays. Le seul pays africain qui soit plus grand géographiquement que l'Algérie, c'est le Soudan. Nous avons sept frontières. Donc, la sécurité intérieure n'est pas facile à régler. Pourtant, nous essayons de faire en sorte que les relations avec nos voisins soient cordiales. Nous travaillons à cela.

J'allais parler tout à l'heure du Sahara occidental, mais je vais m'en abstenir. À part ce problème qui est encore un objet de fixation dans nos rapports, nous considérons qu'il faut toujours travailler pour l'avenir. Il ne faut jamais insulter l'avenir. Dans les rapports humains comme dans les rapports entre pays, il ne faut jamais insulter l'avenir. Il faut toujours sauvegarder les chances d'une construction future.

Nous sommes condamnés à vivre ensemble, au Maghreb, comme vous vous faites des ensembles dans la région avec le Mexique. Nous aussi, nous avons l'ambition de le faire. Concernant les problèmes économiques, je ne peux pas parler devant M. Benbitour. Je lui laisse donc la parole.

M. Ahmed Benbitour (président de la Commission des affaires économiques et des finances, Conseil de la Nation de l'Algérie): D'abord, merci de nous avoir accueillis cet après-midi chez vous et merci pour les questions. Je vais essayer de répondre à la dernière question, qui portait sur le développement économique et la question particulière du chômage, sur la manière dont on doit fait face à ce type de chômage.

Il faut dire que lorsque vous avez des problèmes comme ceux que nous avions au début de la décennie 1990, vous ne pouvez réussir un programme que s'il est global, stratégique et à long terme. Donc, il n'y avait pas seulement des aspects économiques dans ce programme de redressement national, mais aussi des aspects politiques, comme la mise en place des institutions politiques qui vient d'être faite. Il y avait aussi les aspects qui viennent d'être développés par M. le président de la Commission des affaires étrangères et de la coopération, ainsi que les aspects économiques.

• 1615

Les aspects économiques étaient de deux ordres: les aspects de type conjoncturel, qui sont liés à l'équilibre financier dans le pays, et les aspects de type structurel. Je commencerai par énoncer les aspects structurels et je reviendrai sur les aspects conjoncturels.

Pour ce qui est des aspects structurels, nous avons deux types de contraintes: une contrainte de dépendance et des contraintes sociales. Nous avions 95 p. 100 de nos recettes qui venaient de l'exportation d'un seul produit, le pétrole. Vous savez que c'est un produit qui est très volatile et qui se trouve par malheur dans une phase de baisse plutôt que d'augmentation des prix à long terme, puisque les prix d'aujourd'hui sont inférieurs à ce qu'ils étaient avant 1973, lorsqu'il y a eu le fameux boom pétrolier. Pour vous donner une référence, en 1986, nous avons eu une baisse de 40 p. 100 des recettes et de 50 p. 100 du pouvoir d'achat, cela en une seule année. C'est le type de choc auquel nous faisons face. C'est le premier type de dépendance extérieure. Cette dépendance extérieure fait qu'en ayant moins de recettes, on a des problèmes d'approvisionnement de l'économie.

Le deuxième type de dépendance, c'est la dépendance alimentaire. Nous importons 75 p. 100 des calories que nous consommons. Nous importons 100 p. 100 de l'huile que nous consommons et 70 p. 100 des céréales que nous consommons. Nous sommes le premier importateur mondial de blé dur et nous sommes parmi les 10 premiers importateurs mondiaux de produits alimentaires. Telle est notre situation de dépendance agricole. La facture alimentaire annuelle est de 2 milliards de dollars US, plus 500 millions de dollars en termes d'input pour la production agricole. Bien sûr, un chiffre de 2 milliards de dollars ne veut peut-être rien dire, mais c'est 2 milliards de dollars pour des recettes de 10 milliards de dollars. Donc, 25 p. 100 des recettes vont chaque année aux importations de produits alimentaires.

Le troisième type de dépendance, c'était l'endettement extérieur. Nous avons atteint une situation où le ratio du service de la dette était de 86 p. 100 en 1993. Quand on exportait pour 100 $ de produits, y compris les services, il fallait prendre 86 $ pour payer la dette. Il restait seulement 14 $ pour faire face à tous les autres besoins.

Dans les trois années difficiles que nous avons vécues, 1991, 1992 et 1993, nous avons dû faire des transferts nets au profit du reste du monde, c'est-à-dire ce que nous avons mobilisé comme crédits moins ce que nous avons payé pour le service de la dette. Nous avons fait, dans une situation difficile, des transferts nets, sur les trois années, de 10 milliards de dollars au profit du reste du monde. Nous avions 3 milliards de dollars en moins chaque année. Cela a fait que les importations de 1993 ont été deux fois moins élevées que celles de 1985. Voilà pour ce qui est des trois problèmes de dépendance.

Parlons des problèmes structurels sociaux. Nous avons deux types de problèmes. Un premier type de problème, c'est le chômage. Pour vous donner une idée de la situation, la population active croît de 4 p. 100. Quand on parle de la population active, c'est la population qui arrive sur le marché du travail. Ce n'est pas la croissance démographique. Nous avons fait un effort pour réduire la croissance démographique de 3,2 à 2,1 p. 100, mais comme il y a eu un boom démographique lors de l'indépendance, c'est cette génération qui arrive maintenant sur le marché de travail. On a donc un taux de croissance de la population active de 4 p. 100. Entre 1985 et 1993, à la veille du programme—je donne tous ces chiffres pour bien expliquer comment on a démarré ce programme et les problèmes auxquels nous faisons face—, il y a eu une augmentation de la population active de 1 980 000 personnes alors que nous n'avons créé que 800 000 emplois. Cela veut dire qu'on a augmenté le stock de chômage, entre 1985 et 1993, de 1 120 000 personnes, et il arrive chaque année sur le marché de travail entre 250 000 et 300 000 personnes nouvelles.

Si vous voulez faire face à cette situation, il vous faut un taux de croissance hors hydrocarbures, parce que les hydrocarbures ne sont pas liés à l'emploi, de 8 p. 100 en termes réels. Chez nous, la croissance de l'emploi hors hydrocarbures est de 2 p. 100. Donc, il faut 8 p. 100 de croissance pour seulement maintenir le taux de chômage à son niveau actuel. Telle est la situation sur le plan social.

• 1620

Sur le plan du logement, c'est la même chose. En prenant comme référence six personnes par logement, nous avons un déficit de 1,2 million de logements. Bien sûr, si ça augmente, nous aurons un déficit beaucoup plus important si nous n'arrivons pas à accélérer le rythme de réalisation des logements.

Il y a également le fait que cette croissance démographique fait que, même s'il y a des dépenses importantes sur le plan social, elles sont de moins en moins efficaces. Elles répondent de moins en moins aux besoins essentiels de la population aux niveaux les plus bas.

Voilà pour le structurel. Il faut ajouter à tout cela la situation conjoncturelle. Nous avions un déficit public qui était de l'ordre de—9 p. 100 du PIB. J'ai parlé du ratio du service de la dette. Nous avions une inflation de 30 p. 100. Nous avions un niveau de réserve qui était quasiment nul. Donc, il fallait faire face à cette situation. Ajoutez à cela la transition, sur le plan économique, vers une économie de marché, avec tout ce que cela comporte de problèmes sociaux, et la transition, sur le plan politique, d'un système unique vers le multipartisme, avec toutes les manifestations sécuritaires. Si ce programme a connu des résultats, c'est qu'il a été bien conçu et bien réfléchi. Cela n'est peut-être pas très bien connu.

En plus de tout ce qui vient d'être dit sur les plans politique et sécuritaire, il y a aussi des progrès très importants qui ont été réalisés sur le plan économique. Donc, il fallait concevoir un programme de quatre ans. Premièrement, il fallait réduire...

Le président: Monsieur le président, je m'excuse de vous interrompre, mais il nous reste 10 minutes et il y a deux autres parlementaires qui aimeraient poser des questions. Je vous demanderais donc de terminer très rapidement votre réponse afin de laisser à d'autres la chance de poser leurs questions. Je m'excuse, mais c'est une question de temps.

M. Ahmed Benbitour: D'accord, j'en viens directement aux résultats. Donc, nous avons mis en place un programme économique qui a fait qu'aujourd'hui, le ratio du service de la dette a baissé de 86 à 30 p. 100, que le déficit budgétaire est passé de - 9 p. 100 à + 3 p. 100, que l'inflation est tombée de 30 100 à 6 p. 100, mais nous avons besoin aujourd'hui de démarrer ce programme d'ajustement structurel afin de faire face aux secteurs productifs et aux contraintes structurelles que j'ai expliquées, soit la dépendance des hydrocarbures, la dépendance de l'endettement extérieur et la dépendance alimentaire. Il faut aussi faire face aux problèmes sociaux que sont le chômage et le logement.

Peut-être aurai-je l'occasion de vous donner plus de détails en répondant à d'autres questions.

Le président: Merci beaucoup. Excusez-moi encore une fois.

Monsieur Assadourian.

[Traduction]

M. Sarkis Assadourian (Brampton-Centre, Lib.): Puis-je parler en arabe maintenant?

Le président: C'est-à-dire que vous pouvez toujours commencer en arabe.

M. Sarkis Assadourian: D'abord, j'aimerais vous remercier de votre présence aujourd'hui.

Mes rapports avec les Arabes remontent loin. Je suis né au Moyen-Orient. Je suis donc tout à fait au courant des conflits qu'ont connus l'Algérie et le Moyen-Orient.

D'abord, permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue au comité. Je suis très content que vous ayez accepté de prendre le temps de nous rencontrer. Nous avons discuté de cette question à plusieurs reprises au cours des derniers mois, car nous sommes très préoccupés par la situation en Algérie, non seulement depuis quelques années mais depuis bien longtemps.

J'ai deux questions à vous poser. La première est la suivante: Par rapport à la situation en 1991-1992, lorsque le gouvernement de l'époque a jugé bon d'annuler les élections, qui avaient été remportées par le SIF, avec tout ce que cela a entraîné comme conséquences, y compris la guerre civile qui a fait 80 000 morts, pensez-vous, rétrospectivement, que c'était une décision judicieuse surtout que la presse était payée par la population générale de l'Algérie—les relations internationales avec l'Algérie contre le monde entier? Voilà ma première question.

Ma deuxième question concerne le processus de paix au Moyen-Orient. Pourriez-vous me dire quels sont les liens entre l'Algérie, l'autorité palestinienne et le processus de paix, si vous avez pris contact avec le gouvernement israélien en vue d'améliorer la situation là-bas, et quelle est votre position sur le processus de paix?

• 1625

[Français]

M. Boualem Bessaieh: Mme Zerdani répondra à la première question.

Mme Mériem Zerdani (présidente du Groupe des indépendants, Conseil de la Nation de l'Algérie): Vous avez posé la question, monsieur le député, sur l'erreur qui aurait été faite par le gouvernement algérien de l'époque, de 1991-1992, lequel a suspendu le processus électoral et empêché le deuxième tour électoral qui devait se tenir le 7 janvier 1992 à Alger, en disant qu'à partir de ce moment-là, la guerre civile a éclaté en Algérie et que cela a peut-être compliqué les relations avec les autres pays du monde.

Je vous réponds, monsieur le député, que je suis une femme, une militante et que j'étais menacée dans ma propre vie, dans ma propre existence parce que j'avais eu la malchance, au regard de la philosophie et de la barbarie du fisc, d'être née femme. Parce que j'étais femme, je n'avais aucun droit de parole. Lors de la campagne électorale qui avait été effectuée par le FIS lors du premier tour et entre le premier et le deuxième tour, ils nous avaient menacées à travers le média le plus lourd, c'est-à-dire la télévision, en disant que la démocratie aurait lieu une fois, mais qu'elle n'aurait pas lieu une deuxième fois parce que la démocratie, comme ils disaient, était kofr. Ça veut dire que c'était un péché. Ils disaient que, comme en Allemagne nazie, où l'hitlérisme est arrivé par les élections, ils arrivaient eux aussi par une élection. Donc, ils promettaient qu'à l'avenir, il n'y aurait plus d'élections en Algérie.

Les massacres avaient déjà commencé avant le deuxième tour électoral. Il y avait une caserne à la frontière algéro-tunisienne, près d'El-Wad, où le massacre avait fait une vingtaines de victimes. C'étaient des soldats qui faisaient leur service national, qui avaient été assassinés et à qui on avait coupé les parties sexuelles, qu'on leur avait mises dans la bouche et à côté de la caserne. Des attentats avaient déjà commencé avant le deuxième tour électoral et M. Mohammed Saïd, qui plus tard sera l'auteur des listes des intellectuels qu'il fallait faire assassiner, avait fait un discours incendiaire entre le 26 décembre et le 7 janvier.

Lorsque nous avons vu, nous les forces démocrates du pays, les républicains, qui voulions voir l'Algérie transformée en un pays moderne et modernisé et qui avions lutté pendant des années pour pouvoir aller à l'école et faire des études pour ne pas porter le voile, qu'ils voulaient nous faire porter le tchador et nous interdire tout accès, comme ils l'ont fait en Afghanistan et en Iran, nous sommes allés, nous les femmes et les hommes progressistes à nos côtés—parce que c'est nous, les femmes, qui avons été à l'origine et qui avons formé des délégations—voir les autorités de l'époque pour leur dire: «Nous ne voulons pas d'un deuxième tour électoral parce que cela voudrait dire que nous nous sommes engagées dans la modernité par notre vie depuis des années et que vous allez nous donner en pâture à cette barbarie.»

Nous avons créé avec le syndicat UGTA, qui était la base sociale du pays, le fameux comité de sauvegarde de l'Algérie. C'est avec ce comité de sauvegarde de l'Algérie, avec tout ce que l'Algérie comptait d'hommes et de femmes jaloux d'un processus démocratique, jaloux d'un régime républicain et jaloux d'un régime qui défendrait les libertés publiques, que nous sommes descendus dans la rue—1 200 000 personnes à Alger—pour dire halte au processus électoral.

Le deuxième tour du processus électoral veut dire la négation de la République algérienne démocratique et populaire. Cela veut aussi dire que les femmes n'ont plus de place dans ce pays. C'est comme cela que le deuxième tour du processus électoral a été arrêté et heureusement, parce que peut-être que le Parlement du Canada et le Parlement européen auraient pris par la suite une résolution, comme ils l'ont fait pour l'Afghanistan, adoptant une journée de solidarité avec la femme afghane pour ce qui lui arrivait.

• 1630

Nous, les femmes algériennes, nous avons pris les devants pour que ne nous arrive pas ce qui est arrivé aux femmes iraniennes et aux femmes afghanes. Nous recommencerions si nous avions à le faire parce que nous, les forces démocratiques républicaines, qui croyons à la citoyenneté dans un pays, nous ne nous laisserons jamais faire. Nous nous battrons. Peut-être que nous serons un jour battues, mais on ne perd que les batailles que nous n'avons pas engagées. Nous l'avons engagée, nous la gagnons et nous sommes en train de sortir du tunnel. Nous avons construit un édifice institutionnel; il y a des hommes et des femmes, et des femmes assez nombreuses, entre les deux chambres du parlement. Nous défendons nos droits et nous défendons la liberté de la presse, parce que s'il n'y a pas de liberté de la presse, il n'y a pas de liberté tout court. Nous avons des journaux qui publient tous les jours des articles qui défendent justement cette république, qui insultent, qui invectivent, mais cela ne fait rien. C'est comme ça que les choses nous permettront d'avancer.

Je vous réponds, monsieur le député, que nous avons, nous, demandé l'arrêt du processus électoral parce que si nous ne l'avions pas fait, nous serions aujourd'hui un deuxième Afghanistan. Vous avez vu quelle est la condition de vie qui est faite à ces femmes qui se transportent dans les rues avec un rideau, quand elles se transportent dans les rues, et qui ne peuvent pas être soignées parce qu'il est interdit de soigner une femme. Comme on ne laisse pas les femmes faire des études, il n'y a pas de femmes médecins et une femme ne peut pas être soignée par un médecin homme parce qu'elle est femme. C'est la damnée de la terre. Qu'elle crève! Nous, on ne veut pas crever. On veut vivre et l'Algérie vivra. C'est le message que nous voulons vous passer aujourd'hui, soit que l'Algérie a des hommes et des femmes qui croient en la république et qui savent suivre des modèles comme le Canada. Nous savons combien le Canada a eu de problèmes et a su les surmonter au fur et à mesure de son histoire. Nous, hommes et femmes debout, hommes et femmes républicains, hommes et femmes citoyens, ne laisserons jamais passer l'intégrisme dans notre pays.

On pose encore aujourd'hui la question de qui tue. M. Soulier, en partant d'Algérie, a dit: «C'est indécent de poser cette question parce que le le FIS et le GIA, dans leur production à Londres, en Angleterre, qui s'appelle El Ribat, publient tous les jours les assassinats qu'ils ont commis en Algérie.» Les bourreaux disent: «C'est nous, les bourreaux.» Les victimes les désignent comme étant les bourreaux et ailleurs on dit: «Mais qui tue qui?» Veut-on se moquer de nous? Je pense qu'aujourd'hui, poser encore cette question, c'est apporter un appui au GIA. Le GIA, c'est le terrorisme, la mort, la barbarie. Ce sont des gens qui dépècent les enfants, qui mettent leurs cadavres coupés en morceaux dans les sachets de poubelle que l'on jette ensuite dans les égouts. Ce sont des femmes que l'on viole à plusieurs et que l'on décapite ensuite.

Vous avez vu quelle est la situation économique de l'Algérie, que l'on n'a pu redresser au plan macroéconomique. Nous attendons de vous la meilleure façon pour vous de nous aider, d'aider ce qui est protégé par la Déclaration universelle des droits de l'homme. C'est nous, les victimes. C'est nous que vous devez protéger et c'est nous que vous devez aider. Vous pouvez nous aider parce que vous avez l'expérience institutionnelle et la maîtrise dans le domaine de la technologie.

Nous avons des superficies immenses comme au Canada. Il y a 2,8 millions de kilomètres carrés chez vous et 2,4 millions de kilomètres en Algérie. Comment le Canada, avec son expérience, sa technologie, son savoir-faire et son talent, peut-il aider l'Algérie à reconquérir des terres pour que nous puissions cultiver et faire une grande politique d'occupation des sols? Ce problème est lié directement au problème de l'eau. Vous avez également une très grande maîtrise de l'eau. Ensemble, le Canada et Algérie, avec votre savoir-faire et parfois même avec peu de moyens, nous pouvons faire de ce désert du Sahara une véritable Californie. Vous avez toujours été à nos côtés, vous n'avez pas été une puissance de colonisation et nous discutons avec vous d'égal à égal, sans complexe.

• 1635

J'ai l'impression, depuis que je suis au Canada, que je suis dans mon pays. Je ne sens ni tutelle, ni paternalisme, ni conseil à me donner. On me considère comme une femme capable d'exprimer ses opinions et de défendre son point de vue. Il n'y a aucun complexe chez vous, ce que nous ne ressentons pas dans beaucoup de pays européens, surtout l'un d'entre eux qui a eu un passé particulier avec nous.

Nous avons également, comme vous l'a dit M. Benbitour à l'occasion d'autres réunions, un secteur industriel qui est en panne. S'il est productif, il va créer de l'emploi. Là aussi, vous pouvez nous aider. Il existe, ce secteur industriel, mais il est en panne et vous pouvez nous dépanner. Vous allez gagner. Vous allez avoir des possibilités de faire des gains importants parce que nous avons un code des investissements. J'ai été l'une de celles qui ont élaboré ce code des investissements à l'époque où j'étais dans un gouvernement, en même temps que M. Benbitour. Ce code des investissements est le plus incitatif au monde. Alors, le tissu industriel est là. Grâce à votre savoir-faire, à votre technologie et à vos machines, on va démarrer. C'est une façon de nous aider dans la dignité. Nous, on ne veut pas de la charité. On veut que l'on respecte notre dignité. On veut travailler. On veut développer notre pays. Avec vous, on peut le faire, on peut aboutir.

Il y a un problème qui gêne parfois les investisseurs canadiens; c'est l'assurance des investissements. Lorsqu'on remet en circulation des usines qui sont en panne, le taux d'assurance sur ces investissements n'est pas excessif. Il est supportable. Ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières. Ensuite, quand tout ce qui est industriel sera remis en marche, grâce à vous et à votre savoir-faire, qui vous apportera également des éléments de richesse, il y aura d'autres projets en Algérie. C'est un pays qui a des ressources énormes, mais qu'il faut exploiter. Il faut avoir à la fois les moyens financiers et les moyens humains pour le faire. On peut le faire avec vous, le Canada, et cette amitié algéro-canadienne qui existe depuis longtemps sera une réalité. Chez nous, le rêve de tous les jeunes Algériens n'est pas le rêve américain. Ils parlent du Canada. Leur rêve aujourd'hui, c'est le rêve canadien. Il y a 75 p. 100 de la population qui a moins de 30 ans. Alors, le Canada est le rêve de 75 p. 100 de la population algérienne.

Faites quelque chose qui ne touche pas à notre dignité et qui vous permettra à vous également de développer de plus grandes relations économiques et d'avoir un excédent commercial de plus en plus important. Vous gagnez. On gagne avec vous. Vive l'amitié entre le Canada et l'Algérie!

Le président: Merci, madame. Madame Debien, faute de temps, nous n'aurons peut-être pas la chance de poser la question à laquelle nous songions au sujet du rôle des femmes dans la politique algérienne. Je crois que Mme Zerdani y a déjà répondu.

Mme Maud Debien (Laval-Est, BQ): Nous avons tous entendu le plaidoyer très éloquent de Mme Zerdani concernant la liberté pour laquelle les hommes et les femmes de son pays se battent depuis plusieurs années. Puisqu'on parle de liberté, on pourrait aussi parler de la liberté de la femme et de la situation de la femme en Algérie.

Je sais qu'à cause du code de la famille qui existe chez vous depuis 1984, on viole d'une certaine façon la Constitution algérienne, qui interdit toute discrimination basée sur la naissance, la race, la religion et le sexe. Les femmes chez vous continuent, semble-t-il, de se heurter à une discrimination juridique et sociale très importante.

• 1640

Je pourrais vous citer un grand nombre d'exemples de ces formes de discrimination. Même si vous avez mis récemment sur pied, semble-t-il, un comité pour la protection et la promotion de la femme, il reste qu'on n'a pas proposé d'amendements à ce code de la famille.

J'aimerais que vous nous donniez votre avis et nous disiez où en sont les démarches que vous faites à ce sujet.

Le président: Madame, puis-je vous interrompre juste un instant? Nous avons déjà dépassé le temps qui nous est alloué depuis 10 minutes, mais vous pourrez rester encore quelques minutes. Je sais que tout le comité serait très content de prolonger la séance. Je vous invite toutefois à être assez brève pour qu'on puisse répondre à la deuxième question de M. Assadourian concernant la politique générale au Moyen-Orient.

Mme Mériem Zerdani: Je vous répondrai très brièvement, madame. J'ai été l'une de celles qui étaient devant l'Assemblée populaire nationale en 1984 pour demander l'amélioration du code de la famille. On a déposé un projet de loi d'amendement au code de la famille il y a peut-être 15 jours sur le bureau de l'Assemblée nationale. Il sera étudié en commission d'ici l'automne. Vous pouvez faire confiance aux femmes qui siègent à l'Assemblée populaire nationale et au Sénat pour défendre leurs droits, becs et ongles bien aiguisés. Je vous tiendrai au courant de l'évolution de ce texte.

Le président: Merci, madame.

M. Boualem Bessaieh: Je voudrais simplement vous dire, mesdames, que Mme Zerdani et ses soeurs ne seront pas seules; il y aura aussi des hommes avec elles.

Monsieur le député, vous avez posé une question intéressante. Lorsque l'État palestinien a été créé, il a été créé à Alger. Lorsqu'il y a eu les Accords d'Oslo, l'Algérie s'est réjouie de ce pas important dans le processus de paix. Vous m'avez demandé si nous avions des relations avec Israël. Je vous dirai tout de suite non et d'ailleurs, nous ne sommes pas le seul pays arabe à ne pas en avoir. Je crois même que la majorité des pays arabes n'ont pas de relations avec Israël.

Si vous me le permettez, j'ouvrirai rapidement une parenthèse. Ce que nous avons toujours souhaité, c'est que le processus de paix aboutisse dans les conditions qui prévalaient lorsque l'Accord d'Oslo a été réalisé. Il y a eu la Conférence de Madrid. Il y a eu des conversations qui ont eu des bas et des hauts. Nous les avons suivies avec beaucoup d'attention.

Nous avons souvent conseillé à ceux qui avaient des relations suivies avec Israël de dire à ce partenaire qu'il avait la chance d'avoir à la tête de la résistance palestinienne ou de l'État palestinien actuel un homme d'une sagesse et d'une modération reconnues internationalement et qu'il ne fallait pas laisser passer cette chance pour la paix, parce que s'il y avait quelqu'un d'autre à la place de M. Arafat, les chances de paix seraient considérablement amoindries, car il y a parmi les Palestiniens et les Israéliens des gens qui sont contre le processus de paix. Vous le savez aussi bien que moi.

Je constate et vous constatez avec moi, monsieur le député, qu'il y a à peine une semaine, M. Netanyahu a déclaré ceci à un journaliste à CNN, et vous pouvez le vérifier: «Je vais d'abord m'assurer que M. Clinton est crédible chez lui avant de discuter avec lui.» Je crois que le moins que l'on puisse dire, c'est que c'est de l'arrogance verbale.

[Traduction]

M. Sarkis Assadourian: Puis-je présenter ce livre?

Le président: D'accord.

M. Sarkis Assadourian:

[Note de la rédaction: Le député s'exprime en arabe]

J'ai le grand plaisir de vous présenter ce livre écrit par le premier ministre du Canada. Il a été traduit par le premier ministre du Liban lors de sa visite au Canada l'année dernière. Donc, au nom de tous les membres du comité, je voudrais vous l'offrir.

• 1645

[Note de la rédaction: Le député s'exprime en arabe]

Le président: Merci.

[Français]

Je crois qu'on a dépassé le temps prévu pour l'entretien. Au nom des membres de notre comité, j'aimerais remercier nos collègues algériens d'être venus chez nous. Nous entretenons avec vous des liens des plus étroits sur de nombreux plans. À titre d'exemple, vous êtes notre interlocuteur et le pays africain qui a le plus de contacts commerciaux avec le Canada. Nos échanges commerciaux s'élèvent à un milliard de dollars par année. Nos nombreux contacts sur le plan humain nous apportent beaucoup de joie.

Je suis certain que j'exprime le désir de tous mes collègues du comité lorsque je souhaite que votre visite ici soit des plus enrichissantes. Soyez assurés qu'elle l'a été pour nous.

Nous vous souhaitons bonne chance dans votre travail de démocratisation et de protection des droits de la personne dans votre pays. Nous vous souhaitons bonne route et bon retour.

Madame la sénatrice, bon travail au Sénat pour la protection des droits de la femme, si je puis me permettre cette expression, et merci beaucoup d'être parmi nous.

M. Boualem Bessaieh: Merci beaucoup.

Mme Mériem Zerdani: Merci beaucoup, monsieur le président.

[Traduction]

Le président: Nous recevons M. Roy Culpeper de l'Institut Nord-Sud demain matin à 9 heures. Nous allons également examiner diverses motions dont nous sommes déjà saisis, de même que la question de l'expert nucléaire français.

La séance est levée.