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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 25 novembre 1998

• 1610

[Traduction]

Le co-président (M. Bill Graham (Toronto Centre—Rosedale, Lib.)): Chers collègues, nous allons commencer cette réunion mixte des comités de la Chambre des communes et du Sénat des Affaires étrangères et du Commerce international.

J'aimerais, en votre nom, souhaiter la bienvenue à son Excellence Mme Mary Robinson, ancienne présidente de l'Irlande. Elle est une très grande amie du Canada et je peux dire sans hésitation qu'elle est l'un des plus grands défenseurs des Droits de l'homme au monde. Ceux d'entre nous qui connaissons Mme Robinson ou qui avons eu l'occasion de l'entendre, savons qu'elle est une juriste de grand renom.

Cela intéressera tout particulièrement les avocats qui sont ici, Mme Robinson, et cela découragera peut-être certains autres membres du comité qui jugent que les avocats sont un peu fastidieux à l'occasion.

Je crois que nous reconnaissons tous que les connaissances juridiques de Mme Robinson lui ont permis de faire progresser les droits de la personne dans le monde entier. Nous sommes très chanceux qu'elle occupe le poste de haut-commissaire aux Droits de l'homme et c'est un honneur pour nous de l'accueillir à Ottawa.

Madame Robinson, nous allons si j'ai bien compris, limiter cette rencontre à 30 minutes plutôt qu'à 45. Je sais que vous avez eu un horaire très chargé depuis votre arrivée à Ottawa et que vous devez nous quitter à 16 h 45. On m'a dit que vos commentaires liminaires seraient très brefs; nous passerons ensuite à la période de questions.

Le sénateur Stewart est co-président de cette réunion et lèvera la séance à 16 h 45.

Encore une fois, merci beaucoup et bienvenue au comité.

Mme Mary Robinson (haut-commissaire, Commission des droits de l'homme des Nations unies): Merci beaucoup, monsieur Graham, sénateur Stewart.

Je suis très heureuse d'avoir cette occasion de vous rencontrer. Pour que cette rencontre porte vraiment fruit, je crois qu'il est utile d'avoir un dialogue et de répondre à vos questions. Je crois cependant que je devrais vous décrire brièvement mon rôle à titre de haut-commissaire, et tout particulièrement comment j'entends, de façon stratégique, rendre ce rôle plus efficace, en partenariat avec d'autres, pour assurer la protection et la promotion des droits de la personne.

Il est bon d'y songer à la fin de cette année commémorant le 50e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'Homme et l'évaluation quinquennale de la mise en oeuvre des engagements contractés à Vienne lors de la conférence internationale.

À mon avis, le haut-commissaire, qui a un vaste mandat, a vraiment un rôle de catalyseur, alors qu'il participe à des alliances stratégiques avec les gouvernements, d'autres organismes des Nations Unies, des ONG, ainsi qu'avec le secteur des entreprises. Je veux vraiment convaincre le secteur des affaires que les droits de la personne sont une chose importante pour des raisons d'affaires. Nous avons vraiment lancé cette discussion.

De plus, sous la direction du secrétaire général, Kofi Annan, je dois m'assurer que les droits de la personne représentent une valeur essentielle de l'ensemble du système des Nations Unies. À cette fin je participe aux travaux des comités exécutifs sur la paix et la sécurité, sur la coopération pour le développement, sur les affaires humanitaires, sur les affaires sociales et économiques, ainsi qu'aux travaux de l'ECHA.

Je participe également aux réunions hebdomadaires du groupe de gestion supérieure qui est présidé par le secrétaire général. Nous étudions nos activités en région et nous mettons en oeuvre diverses mesures pour les rendre plus efficaces. Nous avons également des projets de coopération technique.

Cependant je crois que j'ai surtout un rôle de catalyseur plutôt que d'intervenant. Le bureau du haut-commissaire est un petit bureau, et cela ne changera pas. N'oubliez pas, je suis irlandaise et je n'ai nullement l'intention de construire un empire. Je veux simplement m'acquitter de mes fonctions de la façon la plus professionnelle possible. Je suis donc très heureuse de pouvoir, dans le cadre de cette visite, rencontrer des représentants des deux Chambres et de répondre à vos questions et entendre vos commentaires en ce qui a trait aux droits de la personne.

Le Canada, c'est clair, joue un rôle très important et les droits de la personne sont une question qui suscite beaucoup d'intérêt ici. Vous avez une société civile qui est très bien informée. C'est une chose dont je suis consciente depuis mon arrivée. C'est un atout dans votre système. Cependant, pour cette raison, votre tâche sera un peu plus difficile lorsque vous comparaîtrez cette semaine devant le Comité des droits économiques sociaux et culturels parce que votre communauté des ONG est très bien informée et elle a procédé à une étude de la situation au Canada et présenté des détails sur la question.

Ainsi le Canada devra s'expliquer devant ce comité, mais c'est un avantage. C'est la preuve que le système fonctionne bien et que les normes internationales ont un plus grand impact.

• 1615

Je crois qu'il est bon de penser à la façon dont une société civile forte comme c'est le cas au Canada, rend plus efficace l'action d'un comité international et ses responsabilités à Genève et dans d'autres domaines comme la convention sur les mines antipersonnel et la Cour criminelle internationale.

La décision rendue aujourd'hui par la Chambre des lords, par une majorité de trois contre deux, sur la question de l'impunité a été très symbolique, d'une façon raisonnée, mais elle sert quand même à renforcer clairement l'argument de ceux qui disent que le temps est venu de ratifier la convention sur la Cour criminelle internationale. Je suis heureuse que le Canada joue un rôle très positif de guide à cet égard.

Cela met fin à mes commentaires liminaires, messieurs les présidents. Je suis maintenant disposée à répondre à vos questions.

Merci.

Le co-président (M. Bill Graham): Merci beaucoup, madame Robinson.

Monsieur Turp et M. Cannis ont dit qu'ils voulaient poser des questions et ils seront suivis de M. Assadourian et du sénateur Kinsella. Nous passerons d'un parti à l'autre pour être juste envers tout le monde.

Il y a une espèce de guerre de territoire également entre le Sénat et la Chambre des communes. Nous allons quand même nous tirer d'affaire.

Monsieur Turp.

[Français]

M. Daniel Turp (Beauharnois—Salaberry, BQ): Merci, monsieur le président.

Madame le haut-commissaire, j'ai eu l'occasion cet après-midi de souligner en Chambre à quel point nous étions honorés par votre visite et comment ce Parlement et d'autres parlements dans le monde doivent constamment se préoccuper des droits de la personne.

Nous vous souhaitons le meilleur des succès dans un rôle que vous assumez déjà depuis quelques mois, presque une année, parce que ce rôle est fondamental. Il est heureux que les Nations unies se soient donné une institution comme celle dont vous assumez la responsabilité.

J'ai deux questions. Je m'intéresse beaucoup à ce domaine, étant professeur de droit international, en particulier de droit international des droits de l'homme, dans mon université, à Montréal.

À propos de l'impunité, j'ai pris acte, comme d'autres, de vos remarques et de vos commentaires sur la décision Pinochet, avec le ministre des Affaires étrangères. J'aimerais savoir quel est votre point de vue sur l'impunité et jusqu'à quel point nous devons être purs et durs lorsqu'il s'agit de l'impunité.

Cet après-midi, je me faisais demander à la Chambre s'il n'était pas excessif de penser poursuivre M. Pinochet alors qu'il y a tant d'autres dictateurs qui devraient être poursuivis et dont nous devrions demander l'extradition.

Ma deuxième question porte sur un sujet que vous avez évoqué tout à l'heure, soit le lien entre les droits de la personne et le commerce. Est-ce que vous croyez que les grands accords internationaux de nature commerciale, qui sont à négocier au sein de l'OMC ou au sein de la Zone de libre-échange des Amériques, où que ce soit dans le monde, devraient comporter dorénavant des clauses sur les droits de la personne?

Mme Mary Robinson: Je vous remercie de vos deux questions. Si vous me le permettez, je vais répondre en anglais parce que c'est plus facile pour moi.

[Traduction]

Tout d'abord, en ce qui a trait à l'impunité, j'ai noté que la décision prise par la Chambre des lords, par un vote de trois contre deux, était très importante et dénotait une approche raisonnée à la question de l'impunité. C'est la grande question de l'heure, si je peux m'exprimer ainsi. Cela confirme de façon catégorique l'importance de la question aux yeux des défenseurs des droits de la personne dans le monde entier. Ainsi on dit qu'on ne peut pas accorder à l'immunité la préséance sur les allégations de violations graves des droits de la personne.

Personnellement je ne crois pas que ce soit la meilleure façon de régler ces problèmes, d'avoir un juge dans un pays qui demande l'extradition d'un autre pays d'une personne... contre laquelle les accusations sont portées dans son propre pays, même si elle a déjà été citoyen du pays qui demande qu'elle soit extradée.

Je crois que tout cela fait ressortir à quel point il est important de constituer la Cour criminelle internationale, car c'est la façon d'examiner les questions de violations des droits de la personne; notre génération peut donc améliorer les structures internationales existantes en créant la Cour criminelle internationale. Je me réjouis du rôle et de l'engagement du Canada à cet égard.

• 1620

Vous avez parlé du lien entre les droits de la personne et le secteur des affaires; vous avez demandé s'il est possible de renforcer ces liens dans le cadre de négociations commerciales par exemple.

Je crois que c'est absolument essentiel parce qu'en fait l'impact des ententes commerciales sur les droits de la personne peut être très important, qu'il soit positif ou négatif. De plus en plus, nous devrons établir un lien entre les droits de la personne et le commerce—au sein des institutions internationales, dans le cadre des accords de Bretton Woods, au sein de l'OMC, et aussi sensibiliser les gens d'affaires, ou les entreprises transnationales en leur faisant comprendre qu'on les surveille et qu'on se renseigne sur la façon dont ils respectent les droits de la personne; il faut leur signaler qu'ils peuvent nuire à leur propre réputation ou perdre des clients si on a l'impression qu'ils ont violé les droits de la personne.

Il s'agit donc de créer des consommateurs, des actionnaires et travailleurs informés et d'encourager fortement les entreprises à respecter les droits de la personne; il importe qu'on comprenne bien la primauté du droit et l'indépendance du judiciaire. Ainsi les liens qui existent entre les activités commerciales des droits de la personne comportent plusieurs volets.

Merci.

Le coprésident (sénateur John B. Stewart (Antigonish—Guysborough, Lib.)): Je devrais expliquer que le Comité des affaires étrangères du Sénat a étudié la place du Canada dans le contexte du bassin Asie-Pacifique. Nous avons examiné en profondeur les problèmes économiques de cette région et leur incidence sur le Canada et le reste du monde. Nous avons également étudié le problème des droits de la personne dans cette région du monde. C'est dans ce contexte que certains des membres du comité sénatorial souhaitent poser leurs questions.

Je donnerai la parole en premier à la sénatrice Andreychuk.

La sénatrice Raynell Andreychuk (Saskatchewan, PC): Merci, sénateur Stewart.

Je tiens également à vous souhaiter la bienvenue au Sénat et à la Chambre des communes puisque c'est aux deux que vous vous adressez. Je vous félicite de votre enthousiasme à défendre les droits de la personne qui a déjà marqué votre présence à la tête de cette organisation.

J'aimerais vous poser deux questions. Que vous ayez parlé de la nécessité de lier les questions d'échanges commerciaux à celles des droits de la personne m'a fait grand plaisir. C'est le genre de déclaration qui peut faire toute la différence à l'échelle internationale. Je vous en félicite.

Dans ce contexte, comment entendez-vous aborder la notion, évoquée dans notre comité, de différences culturelles revendiquées par certains pays? Avez-vous une stratégie pour inciter ces pays à considérer la question des droits de la personne d'une manière universelle?

Ma deuxième question découle de mes années d'expérience à la Commission des droits de l'homme. En cette 50e année, il me semble que c'est la guerre froide qui imposait les structures en place à la Commission des droits de l'homme. Aujourd'hui, ne serait-il pas avantageux de repenser la Commission des droits de l'homme d'une manière plus pointue en conservant certains de ses mécanismes actuels mais peut-être en lui donnant une impulsion nouvelle?

Mme Mary Robinson: Je vous remercie, madame la sénatrice, de vos compliments et aussi de vos deux questions.

Je commencerai par dire que je trouve très intéressant que votre comité sénatorial ait étudié la situation dans la région Asie-Pacifique. Je crois que mes services et mes collègues pourraient utilement bénéficier de votre étude, car nous accroissons notre engagement dans cette région. Nous venons de signer dernièrement un protocole d'entente avec l'Indonésie. J'ai fait une visite officielle en Chine dont nous examinons les retombées. À mon avis, ce serait fort utile.

Pour ce qui est de votre première question concernant les différences culturelles, je pense qu'au cours de votre étude, vous avez probablement évalué les implications de la crise financière. Je commence à détecter un plus grand intérêt pour le respect de la loi, l'indépendance du judiciaire, les questions de bon gouvernement et peut-être en passant un peu plus vite, les questions de droits de la personne.

• 1625

Lors de ma visite en Chine, j'ai constaté une volonté d'ouverture—et j'attends d'en voir les conséquences—sur les problèmes des droits de la personne.

Le fait que nous discutions de ces questions, comme par exemple, le manque d'avocats, l'absence d'assistance judiciaire—je sais que le Canada apporte une aide considérable à la Chine en matière d'assistance judiciaire—est à mon avis très important.

Cette année, dans le contexte de ces différences culturelles, j'ai pris l'initiative d'organiser à la demande du ministre des Affaires étrangères de l'Iran un colloque sur la perspective musulmane vis-à-vis de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Nous avons réuni 20 spécialistes à Genève. Le titre du colloque était le suivant: «Enrichissement du caractère universel des droits de l'homme: les perspectives musulmanes». Nous publierons le résultat de ces discussions.

Il y a eu un débat entre spécialistes et des différences d'interprétation importantes sur des points clés qui, à mon avis, seront utiles pour les rapporteurs et autres commentateurs.

Pour ce qui est de votre deuxième point, quant à la nécessité de donner une nouvelle impulsion à la Commission des droits de l'homme, le président de séance de la dernière réunion de la commission, l'ambassadeur Jacob Selebi, a proposé à ma grande joie un tel exercice. Cet exercice est pratiquement terminé.

Il s'avère que le 1er décembre le bureau de la Commission se réunira avec certains de mes collègues à Genève pour discuter des détails de finition de cet exercice. Il sera très instructif de voir comment ils envisagent de donner, comme vous dites, cette nouvelle impulsion aux travaux de la Commission des droits de l'homme. J'ai mis sur pied une équipe interne pour les aider dans leur travail et aussi pour m'informer de son déroulement.

Je vous remercie de vos questions.

Le coprésident (M. Bill Graham): Merci.

Monsieur Cannis.

M. John Cannis (Scarborough-Centre, Lib.): Merci, monsieur le président.

J'aimerais également, madame Robinson, vous souhaiter la bienvenue à cette réunion mixte. Elle ne pourrait être plus opportune puisque nous célébrons le 50e anniversaire de la Déclaration.

J'aimerais commencer par vous lire, si cela ne vous dérange pas, l'article 2. Il dit:

    Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.

Ma question est la suivante: le Collège théologique d'Halki—je suis sûr que vous avez suivi cette affaire—est aujourd'hui menacé de fermeture. Cet institut depuis plus de 1 000 ans dispense un enseignement religieux aux chrétiens orthodoxes. Malheureusement, l'actuel gouvernement turc—et c'est un de ses nombreux problèmes—l'a virtuellement fermé.

Je suis très préoccupé car comme vous le savez, j'en suis sûr, de nombreux traités ont été signés au cours des années—le Traité de Lausanne, le Protocole de 1968, l'Acte final d'Helsinki en 1975 et la Charte de Paris—la liste n'en finit plus et qui énonçaient sans aucune ambiguïté leur position sur cette question.

Tout récemment, M. Solona, le directeur général de l'OTAN a déclaré le 15 octobre à propos du problème du Kosovo—et je le cite: «La solution au problème n'est pas de signer des documents mais de les faire respecter.»

Vous nous avez dit dans votre déclaration préliminaire vouloir trouver des méthodes et des moyens pour mettre fin à toutes ces malheureuses situations. Ma question est alors la suivante: une fois ces moyens et ces méthodes trouvés, comment les appliquer? Comment les concrétiser? Comment les faire respecter?

Je conclurais en disant que souvent dans nos conversations avec nos électeurs—et nous avons été les témoins de tellement d'incidents malheureux ces dernières années—la question qu'ils nous posent est simple: il y a les Nations Unies qui proposent des résolutions; l'Union européenne qui en proposent; des pays comme les États-Unis, le Canada, etc., je vous en prie accordez vos violons, donnez-nous du solide.

Comment votre organisation, les Nations Unies, comment toutes ces organisations de réputation internationale peuvent-elles se faire respecter? Chaque fois qu'elles proposent une solution et qu'elle n'est pas appliquée elles perdent toute autorité. Leurs résolutions ne sont pas respectées. Quel que soit le pays ou la région concernée, qu'il s'agisse du Kosovo, du Rwanda, de la Turquie, etc., que faire pour faire respecter nos résolutions. Que faire pour faire avancer les choses? Que faire pour éviter toutes ces horreurs que nous constatons aujourd'hui dans le monde entier?

Mme Mary Robinson: C'est un véritable défi de responsabilité que vous me demandez, que vous nous demandez de relever, à juste titre, tout comme ont dû le faire il y a 50 ans les rédacteurs de la Déclaration universelle.

• 1630

Ils avaient du courage et de l'imagination et je ne pense pas qu'ils se rendaient compte à quel point cette Déclaration universelle serait intégrée aux constitutions nationales ou qu'elle donnerait naissance à deux protocoles, à diverses conventions et à des instances de surveillance des traités.

Ça s'est donc passé et aujourd'hui il nous faut être encore plus efficaces au niveau de l'exécution. Je crois que nous devons le faire dans un contexte moderne et c'est la raison pour laquelle je recherche le genre d'alliances où un pays entraîne tous les autres, comme par exemple le Canada pour le Traité sur les mines antipersonnel. C'est un bon exemple de stratégie novatrice. Il faut que nous soyons novateurs et que nous fondions nos stratégies sur les gouvernements qui sont prêts à prendre position sur telle ou telle question et à jouer le rôle de partenaire privilégié auprès des Nations Unies et des ONG.

Je reviens encore une fois à l'importance du monde des affaires. Le débat sur l'impact des affaires et sur l'impact des accords d'échanges occupe une place prédominante dans ce contexte. Il faut l'inclure à la stratégie.

Le respect des résolutions est important. Les condamnations et les admonestations sont encore plus efficaces et l'ont toujours été. Il faut en somme que la communauté internationale des droits de l'homme soit plus alerte et mieux informée.,

Vous avez mentionné l'article 2. J'étais dernièrement à Oslo pour participer à un plan d'action sur l'article 18, sur la liberté de religion ou de croyance avec des représentants des Églises, des groupes humanitaires et des ONG puisque pour être efficaces, il est préférable de travailler de concert. Le gouvernement norvégien nous apporte toute son aide sur ce sujet. C'est ce genre de stratégie imaginative.

Ce que mon bureau peut faire c'est jouer un rôle de catalyseur et dans une certaine mesure de leadership car c'est le Bureau du Haut commissaire. Il reste que nous sommes un petit bureau et que nous avons besoin de l'aide de tous. Nous sommes tous les gardiens des droits de l'homme.

Mais je suis d'accord avec vous. C'est notre défi. Oublions les énoncés de principe et insistons sur l'exécution. C'est mon objectif.

M. John Cannis: Merci.

Le coprésident (sénateur John Stewart): Merci.

Je vais maintenant donner la parole au sénateur Whelan, ancien ministre de l'Agriculture et ancien député à la Chambre des communes.

Je surveille l'horloge.

Des voix: Oh, oh.

Le sénateur Eugene Whelan (Western Ontario, Lib.): Madame le Haut commissaire, je vous souhaite la bienvenue. Je suppose que j'ai la réputation d'être un peu long.

Je vois qu'on vous traite de «saumon fumé». Au Canada, c'est un mets de choix, cela ne me dérange donc pas du tout.

J'ai été membre du conseil mondial de l'alimentation pendant dix ans et président pendant à peu près deux ans. Nous ne cessons d'entendre parler de nos jours d'excédents alimentaires dont nous ne savons que faire.

Je crois qu'un des principes fondamentaux des droits de l'homme est le droit à la nourriture. J'aimerais que vous me disiez si d'après vous nous faisons suffisamment ou si nous devrions faire plus—à vous de répondre.

Mme Mary Robinson: Justement, lorsque j'étais à St. Jean pour rencontrer lors d'une table ronde des ONG, cette question du droit à la nourriture à Terre-Neuve a été soulevée. Les représentants des ONG disaient qu'il y avait détérioration de la situation et que des enfants souffraient de malnutrition.

Cela m'a intéressé en tant que Haut commissaire car, comme vous, j'accorde une grande priorité au droit à la nourriture. J'ai trouvé cela préoccupant. Et c'était dans le contexte d'une discussion sur les droits économiques et sociaux. J'ai ramené cette discussion beaucoup plus sérieusement dans le contexte mondial, de tous ceux qui se réveillent la faim au ventre, qui se couchent la faim au ventre et qui meurent de faim dans notre monde d'abondance. C'est un énorme problème au niveau des droits de l'homme et que je place très haut dans mes priorités de Haut commissaire.

Le sénateur Eugene Whelan: Merci.

Le coprésident (M. Bill Graham): Monsieur Pickard.

M. Jerry Pickard (Chatham—Kent Essex, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.

Je tiens à féliciter le sénateur président. C'est la question la plus courte que j'ai jamais entendue Eugene Whelan posée en vingt ans.

Des voix: Oh, oh.

Le coprésident (M. Bill Graham): Vous étiez aussi membre du Comité de l'agriculture, donc...

M. Jerry Pickard: Il y a beaucoup de gens qui s'interrogent sur l'attitude du Canada envers les pays agressifs, pays dont le bilan n'est pas reluisant en matière de droits de l'homme. Dans de nombreux cas, le Canada n'a pas refusé d'aider ces pays dans l'espoir que l'établissement de communication avec eux les éclairerait et que des relations de travail positives les inciteraient à s'améliorer. Certains prétendent que la seule façon de résoudre ce problème c'est de rompre nos relations avec ces pays.

• 1635

Quel devrait être, selon vous, le rôle du Canada auprès de ces pays dont le bilan en matière de droits de l'homme n'est pas du tout brillant et que pourrait faire de mieux le Canada pour y faire progresser les droits de l'homme?

Mme Mary Robinson: Il est évidemment important de chercher à faire progresser les droits de l'homme dans ce contexte. Je sais que le bilan du Canada est excellent et je tiens à l'encourager sur cette voie. Je crois que la dernière visite du premier ministre M. Chrétien en Chine en a donné la preuve. Nous venons justement de discuter du contexte de cette visite.

Il importe que les questions des droits de l'homme soient abordées et que des jugements soient portés. Ils doivent être portés individuellement par les pays dans le but de promouvoir et de protéger les droits de l'homme dans le cadre des relations diplomatiques et commerciales bilatérales.

Cependant, il n'est pas toujours facile de porter un jugement opportun. J'ai le même problème. Il y a des pays qui veulent participer avec nous à des projets de coopération technique où la Commission des droits de l'homme rappelle la nécessité d'une certaine surveillance ou l'existence indubitable d'atteintes très sérieuses aux droits de l'homme et il faut faire entrer dans la balance le projet de coopération technique et la nécessité de mettre fin à ces atteintes. Je me trouve donc un peu dans une situation analogue à ces pays qui veulent commercer, tout en défendant les droits de l'homme.

Je crois que le plus important est de rechercher les méthodes permettant d'aboutir à des progrès. Parfois la méthode passe par l'engagement, l'aide et les échanges commerciaux. Parfois il faut faire jouer la carotte et le bâton. À mon avis, ce qui importe c'est que ce jeu de la carotte et du bâton vise à promouvoir les droits de l'homme.

Le sénateur Stewart: Je donne maintenant la parole au sénateur Kinsella. Le sénateur Kinsella est le leader adjoint de l'opposition au Sénat et toute la question des droits de l'homme l'intéresse vivement.

Le sénateur Kinsella (Fredericton—York—Sunbury, Pc): Merci, monsieur le président.

Je tiens à féliciter nos deux présidents et nos deux comités pour avoir organisé cette réunion.

Votre Excellence, je vous félicite également d'être parmi nous en ce jour du 50e anniversaire. Nous rendons grâce au travail du professeur John Humphrey que M. Turp et moi-même avons eu l'honneur et le privilège d'avoir comme mentor.

Votre Excellence, voudriez-vous nous dire ce que vous pensez de l'importance des systèmes régionaux des droits de l'homme, comme par exemple pour nous au Canada, l'Organisation des États américains, et aussi de l'importance des pactes découlant de la Déclaration universelle?

Il se trouve que j'ai eu l'occasion de plaider avec succès le cas Lovelace dans le cadre du protocole sur les droits civils et politiques, contre le Canada, mais en fin de compte, c'est le Canada qui a gagné. Cette semaine à Genève le troisième rapport de notre comité sur les droits économiques sociaux et culturels est examiné.

Ce sont donc les deux systèmes de protocole et leur application, les ressources qui doivent être réclamées par les systèmes des droits de l'homme aux Nations Unies qui mènent à mon autre point. Sur le plan budgétaire, quelles sont les attentes de votre bureau pour l'année prochaine? Ou encore, estimez-vous que le pourcentage du budget des Nations Unies consacré aux activités des droits de l'homme est à un niveau qui vous convient?

Mme Mary Robinson: Merci, sénateur. J'ai beaucoup apprécié notre réunion tout à l'heure où vous nous avez parlé de votre fierté, fierté appropriée, pour le rôle de John Humphrey dans la gestation de la Déclaration universelle.

Je vais vous donner de courtes réponses aux questions très importantes que vous venez de poser.

Pour commencer, pour ce qui est de l'importance des systèmes régionaux des droits de l'homme, je suis heureuse que le secrétaire général, M. Kofi Annan leur ait donné un rang prioritaire. Il a tenu une réunion en juin, la troisième réunion des Nations Unies et des organisations régionales afin que nous puissions travailler à la mise en place de systèmes d'alerte rapide, en étroite collaboration—il ne s'agit pas réinventer la roue mais de relier ces systèmes.

Je crois également que nous avons de plus en plus besoin d'étoffer ces institutions, tout particulièrement celles qui comportent un élément des droits de l'homme comme par exemple la commission africaine sur les droits des humains et des peuples, le nouveau tribunal africains des droits de l'homme. Je sais que le Canada joue un rôle très important au sein du Conseil de l'Europe, instance des droits de l'homme et je suis également au courant des questions relatives à votre participation à l'OEA.

• 1640

Vous m'avez posé une question sur les deux protocoles. Ce sont effectivement des progrès très importants. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, qui est saisi cette semaine du rapport canadien, exécute des engagements juridiques très importants, il fait un travail de surveillance et veille à ce que les questions de fond soient prises en considération par les États qui ont pris des engagements.

Il existe un important problème de ressources. Mon collègue Eric Tistounet, qui est maintenant chargé des relations extérieures dans notre service principal, a déjà été secrétaire du Comité des droits de l'homme pendant un certain nombre d'années. Il m'a dit qu'à cette époque, alors que les pays étaient beaucoup moins nombreux, le comité avait davantage de personnel de soutien.

Maintenant, les comités comptent davantage de membres, mais de surcroît, nous nous efforçons d'obtenir une ratification universelle des protocoles et des conventions principales. La Chine, en particulier, fait partie des signataires et a amorcé le processus de ratification.

Nous surveillons étroitement les effets de ces protocoles. Et malheureusement, les conséquences budgétaires de la situation ne semblent pas faire suffisamment impression auprès des États membres par rapport au budget ordinaire des Nations Unies.

Je crois qu'il est utile de signaler l'appui très important accordé par un grand nombre d'États membres au travail de mon service. J'insiste beaucoup là-dessus. Je voulais que mon service bénéficie du soutien de toutes les régions du monde et de tous les pays, grands ou petits, quel que soit leur stade de développement. Ils sont beaucoup plus nombreux depuis un an. C'est donc beaucoup moins une question d'argent que de soutien des pays. Ils peuvent prendre directement part à un processus de défense des droits de l'homme au niveau international en défendant les valeurs de ce service, dont ils se sentent un peu propriétaires.

Mais nous sommes de plus en plus amenés à rechercher des ressources à l'extérieur du budget, car il est très difficile de progresser en s'en tenant au budget ordinaire. J'aimerais beaucoup avoir l'appui du Canada à cet égard, car il y a eu beaucoup d'énoncés de principes, beaucoup de belles paroles, mais cette année, il nous faut plus que cela. Nous devons être en mesure de faire respecter plus efficacement les droits de l'homme au niveau international.

Je signale que nous obtenons 1,67 p. 100 du budget ordinaire et que la Commission des droits de l'homme a fait une déclaration demandant une augmentation de ses ressources. Le Conseil économique et social et sa branche chargée des droits de l'homme a approuvé notre demande, mais je crois que le cinquième comité est toujours moins réceptif que ses collègues des droits de l'homme. Nous avons donc du travail à faire.

Le coprésident (M. Bill Graham): Si vous me le permettez, Votre Excellence, de nombreux témoins qui ont comparu devant notre comité, et particulièrement devant le Comité présidé par ma collègue Mme Beaumier, président de notre Sous-comité des droits de la personne, ont dit à maintes reprises que si l'on veut que les droits de l'homme restent l'un des quatre piliers des Nations Unies, il serait temps de leur accorder un budget digne de l'importance qu'on leur reconnaît au sein des Nations Unies. Je suis certain que votre demande budgétaire devrait trouver un écho favorable parmi mes collègues des milieux politiques canadiens. Je suis certain que vous pouvez compter sur notre aide.

Monsieur Assadourian.

M. Sarkis Assadourian (Brampton-Centre, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.

J'aurai plusieurs questions à poser, mais je me limiterai à une seule. Si l'on appliquait la définition des droits de l'homme aux notions de crimes contre l'humanité, de génocide, j'ai l'impression qu'il faudrait mettre un tiers des dirigeants du monde en prison. Commençons par Pinochet. Prenons la décision rendue contre Pinochet et considérons-là dans le contexte de la réalité actuelle, en tenant compte de toutes les atteintes aux droits de l'homme, génocide, torture, corruption. La corruption n'est sans doute pas un crime contre l'humanité, mais les deux ou trois autres éléments que j'ai mentionnés en sont.

Qu'auriez-vous à dire si vous rencontriez, disons, le chef d'État du Rwanda, qui a été le théâtre d'un génocide l'année dernière ou il y a deux ans, pendant lequel un demi-million de personnes ont été tuées en deux ou trois semaines? Qu'auriez-vous à lui demander? De déchirer son passeport, de ne pas voyager à l'étranger, de n'aller nulle part ailleurs, de ne pas venir au Canada, de ne pas aller aux États-Unis? Que feriez-vous dans une telle situation?

Je le répète, si l'on s'en tient à la stricte définition des crimes contre l'humanité, il faudrait mettre un tiers des chefs d'État en prison.

Mme Mary Robinson: Je pense qu'il est très important de reconnaître que les auteurs des atteintes flagrantes aux droits de l'homme peuvent essayer de s'enfuir, mais ils ne peuvent se cacher éternellement. Nous avons un ensemble de moyens d'intervention à ce sujet, et nous y avons recours à propos du Rwanda et de l'ancienne Yougoslavie.

• 1645

Je suis très heureuse de pouvoir rendre ici hommage au Canada et au travail de madame le juge Louise Arbour. Ce qu'elle fait est extraordinaire. Je suis très impressionnée par le dévouement dont elle fait preuve à propos des tribunaux internationaux en matière pénale, qui nous donne une indication de ce qu'il faudrait faire à un niveau plus général; dans divers pays d'Afrique, en particulier, il est regrettable qu'on refuse d'aborder la question de l'impunité.

Le fait que l'équipe d'enquêteur du secrétaire général en République démocratique du Congo n'ait obtenu aucun résultat donne un exemple flagrant de ce qu'il en coûte de ne pouvoir aborder correctement le problème de l'impunité alors qu'on est en présence d'atteintes flagrantes aux droits de l'homme.

C'est donc une question de principe très importante, et la Cour criminelle internationale constitue un progrès certain. J'irais même jusqu'à dire qu'elle a facilité la prise de décisions concernant le général Pinochet. J'étais en Colombie il y a un mois, et je sais quels effets peut avoir le sentiment d'impunité au plus haut niveau, en particulier lorsque les attaques aux droits de l'homme sont le fait de l'armée ou de la police. C'est une question qu'on ne peut ignorer.

Le coprésident (M. Bill Graham): Le sénateur Stewart me signale qu'il est 16 h 45.

Votre excellence, j'aimerais signaler à nos collègues, qui n'en sont peut-être pas conscients, que vous êtes assujettie à un horaire extrêmement serré.

Depuis que Son Excellence est arrivée au Canada, nous l'avons fait venir de Terre-Neuve jusqu'ici, mais comme le signalait la personne qui l'a présentée lors d'un dîner hier soir à Toronto, lorsqu'un Irlandais ou une Irlandaise arrive au Canada, il vaut mieux lui faire franchir le filtre de Terre-Neuve pour lui permettre de s'acclimater. Son Excellence a prononcé hier soir un merveilleux discours à Toronto et elle doit maintenant se rendre à Montréal, puis à Edmonton avant de s'en retourner.

Chacun sait que tous ces voyages doivent être très éprouvants. Nous vous sommes très reconnaissants d'avoir accepté de nous rencontrer cet après-midi, Votre Excellence. Merci beaucoup.

Des voix: Bravo, bravo!

Mme Mary Robinson: Je vous remercie tous les deux, monsieur Graham et sénateur Stewart, de m'avoir accueillie devant votre comité mixte permanent. J'apprécie beaucoup votre appui. Nous avons évoqué un certain nombre de sujets de préoccupation et les propos échangés ici montrent bien que tout est une question de mise en oeuvre. Je suis heureuse qu'on ait insisté sur ce point, et pour l'avenir, je suis heureuse de pouvoir continuer à miser sur un partenariat avec le Canada, qui a un rôle de chef de file à jouer dans ce domaine.

Merci beaucoup.

Le coprésident (M. Bill Graham): La séance est levée.