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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 23 mars, 1999

• 0902

[Français]

Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): Tout le monde est là. Nous pouvons donc commencer.

Je suppose que M. Loubier est ici aujourd'hui pour voir comment fonctionne un vrai comité de la Chambre comparativement à son Comité des finances.

Monsieur Loubier, soyez le bienvenu devant le comité. Comme d'habitude, moins longuement vous parlerez, plus il y aura de temps pour les questions des membres du comité.

M. Yvan Loubier (Saint-Hyacinthe—Bagot, BQ): Monsieur le président, je vous souhaite la bienvenue à Saint-Hyacinthe, la technopole de l'agroalimentaire, soit dit en passant. Ce titre de technopole n'est pas uniquement un titre pompeux. C'est un titre qui lui a été attribué au plan international. C'est une des rares régions qui disposent de ce titre de technopole de l'agroalimentaire, et pour cause.

Dans la grande région maskoutaine, on trouve environ 30 p. 100 des superficies cultivées et cultivables du Québec. On y trouve aussi la même proportion de production animale, en particulier dans la production laitière et la production porcine. On y trouve aussi pas moins de 10 institutions de recherche et développement sur le territoire, deux centres de transfert technologique en agroalimentaire, quatre institutions d'enseignement et de formation en agroalimentaire, dont l'École de médecine vétérinaire et l'Institut de technologie agricole, quatre ministères et agences gouvernementales qui touchent de près ou de loin le secteur de l'agroalimentaire, et pas moins de 10 associations professionnelles et regroupements oeuvrant dans le secteur agroalimentaire.

Donc, vous êtes dans la région idéale pour aborder la question de l'Organisation mondiale du commerce et du neuvième cycle de négociations qui va débuter par la réunion ministérielle de novembre et de décembre de cette année, et celle du lien à faire entre ces choses et les préoccupations agricoles.

Avant que j'entre dans le vif du sujet, monsieur le président, permettez-moi de vous rappeler les grandes conclusions de la huitième ronde de négociations de ce qu'on appelait auparavant le GATT. Je vais vous en parler en enlevant mon chapeau de député. Je ne ferai pas de politique avec ça. Je vais remettre mon chapeau d'économiste, celui que je portais lorsque j'oeuvrais à l'UPA. À ce moment-là, j'avais la responsabilité du dossier des relations commerciales internationales.

À ce moment-là, on observait depuis environ huit ans, sur les marchés internationaux, une situation chaotique extraordinaire.

• 0905

Depuis 30 ou 40 ans, on n'avait jamais vu une situation aussi caractérisée par le désordre au niveau des actions gouvernementales des pays à travers le monde, en particulier l'Europe et les États-Unis, qui se subventionnaient à tour de bras dans tous les secteurs de l'activité agricole et agroalimentaire. Plusieurs de ces subventions étaient liées directement aux exportations mais aussi à la production. Elles étaient tellement liées à la production, particulièrement en Europe, qu'on a connu, surtout de 1984 à 1986, une situation de surplus chroniques dans le monde, notamment des surplus de céréales. On avait jusqu'à deux fois les réserves normales qu'on aurait dû stocker tellement la production était considérable.

C'est sur cette toile de fond qu'en 1986, la huitième ronde de négociations du GATT a débuté. Il fallait remettre de l'ordre dans les affaires, dans l'agrinégoce mondial, et il fallait aussi mettre de l'ordre et de la discipline dans les actions des gouvernements. À ce moment-là, il y avait 90 ou 92 pays membres du GATT, qui est maintenant l'Organisation mondiale du commerce.

Il y a eu quatre conclusions concernant le secteur agricole dans cet accord.

La première était qu'il fallait remplacer toutes les mesures de contrôle aux frontières, soit les quotas et les mesures indirectes de contrôle de l'entrée des produits agroalimentaires sur les territoires nationaux, par une seule et unique mesure qu'on a appelée la tarification. Dans les 92 pays, il fallait transformer tout ce qu'on trouvait comme mesures de contrôle à l'importation en un tarif unique qui, dans l'objectif de libéralisation du commerce et de remise en ordre des termes des échanges commerciaux, devait être réduit de 36 p. 100 en six ans. Autrement dit, on prenait tout ce qu'il y avait comme mesures de contrôle à l'importation et on le transformait en tarifs douaniers, et ces tarifs douaniers devaient offrir la même protection que les autres mesures.

Dans le cas canadien, cela s'est soldé par par la disparition de l'article XI de l'Accord du GATT. L'article XI de l'ancien Accord du GATT était une exception qui permettait au Canada de contrôler l'entrée des produits agroalimentaires dans le secteur laitier et dans le secteur agricole par un strict contrôle des volumes d'importations. On pouvait contrôler l'entrée du beurre et du lait. C'était vraiment des volumes d'importation que l'on contrôlait. On a remplacé cela par les tarifs douaniers, des tarifs douaniers fort élevés. Les niveaux avaient été déterminés sur la base des années 1986 à 1988. On retrouvait donc, et on retrouve toujours, un tarif douanier de l'ordre de 283 p. 100 pour le lait, 351 p. 100 pour le beurre et 280 p. 100 pour le poulet. Ce sont ces tarifs douanier qu'on s'est engagé à réduire de 36 p. 100 en six ans.

Le Canada, au chapitre de la tarification, a livré la marchandise. Le Canada a réduit effectivement de 36 p. 100 les tarifs qui avaient été déterminés en remplacement de toutes les mesures aux frontières par le Huitième Accord du GATT.

La deuxième grande conclusion de l'Accord du GATT, c'est qu'il fallait assurer un accès minimal des produits agroalimentaires sur les marchés des territoires de 92 pays qui étaient parties contractantes du GATT. On parlait d'un accès minimum de 3 p. 100 si on ne l'avait pas déjà atteint pour les produits agroalimentaires de façon générale, mais on se donnait aussi pour objectif d'augmenter cet accès minimum pour l'entrée des produits importés jusqu'à 5 p. 100. Là aussi, le Canada a livré la marchandise, et plus que la marchandise. Si on regarde les niveaux d'accès pour une panoplie de produits agroalimentaires étrangers sur le marché canadien, on verra qu'on dépasse même le niveau de 5 p. 100. Parmi tous les pays industrialisés du monde, nous sommes le marché le plus ouvert aux produits étrangers.

La troisième grande conclusion de la huitième ronde du GATT était qu'il fallait enlever l'aspect déloyal dans les guerres de subventions, dans les subventions qui étaient offertes par les gouvernements nationaux. Deux grands engagements ont été pris à cet égard. Premièrement, on s'est entendu pour définir ce qui était une subvention à l'exportation et on s'est engagé à réduire de 36 p. 100 en six ans ce niveau de subventions directes à l'exportation. Encore une fois, en ce qui a trait aux subventions directes à l'exportation, le Canada a livré plus que la marchandise, parce qu'à l'heure actuelle, il n'existe pratiquement pas de subventions directes à l'exportation des produits agroalimentaires au Canada. C'est une partie vraiment minime de l'ensemble des politiques de subventions des gouvernements qui s'adressent au secteur agricole. Par contre, on ne peut pas en dire autant de l'Europe qui, depuis ce temps-là, non seulement n'a pas réduit ses niveaux de subventions, mais les a augmentés pour atteindre un niveau record de 6,7 milliards de dollars uniquement en subventions directes à l'exportation. Donc, au niveau des subventions à l'exportation, le Canada a non seulement réalisé ses objectifs, mais en a remis plus que la galerie en demandait, pourrait-on dire.

• 0910

Le quatrième niveau d'engagement était au chapitre du soutien interne global à l'agriculture. On avait conclu à ce moment-là que, même si ces subventions n'étaient pas liées directement aux exportations, elles pouvaient avoir un effet sur la production et sur l'avantage compétitif des producteurs d'un pays par rapport aux producteurs des autres pays membres du GATT. On avait regroupé ces différents types de subventions en une mesure globale de soutien et on s'était engagé à réduire de 20 p. 100 en six ans le niveau de ce soutien interne. Encore là, monsieur le président, le Canada a fait bonne figure. D'ici la fin de l'année, limite qu'il s'était donnée pour remplir ses engagements, le Canada aura non seulement rencontré mais dépassé les objectifs de réduction qui avaient été prévus par le Huitième Accord du GATT.

Faut-il aller plus loin? C'est la grande question qu'on se pose en prévision de la neuvième ronde de négociations de l'OMC, qui regroupe aujourd'hui 138 pays. Les Américains voudraient qu'on aille plus loin, mais ils se comportent de façon tellement hypocrite et avec tellement peu de crédibilité dans ce dossier que j'espère qu'un jour, autour de la table qui réunit ces 138 pays, on va leur dire d'aller se promener et de revenir discuter de façon civilisée lorsqu'ils auront rempli leurs engagements. En même temps que les Américains dénoncent les systèmes de gestion de l'offre que nous avons ici ainsi que nos politiques de stabilisation des revenus, ils subventionnent à tour de bras leurs producteurs. Au lieu d'avoir une politique intelligente, sérieuse, systématique et disciplinée, les Américains préfèrent attendre à l'ultime limite, juste avant que leurs producteurs et productrices agricoles crèvent, pour intervenir de façon urgente.

Récemment, il y a environ deux semaines, le secrétaire d'État à l'Agriculture annonçait qu'un programme ad hoc était mis en place dans le secteur agricole pour venir en aide aux producteurs qui souffraient énormément des effets de la crise asiatique et de l'effondrement de l'économie russe. Il y a deux semaines, ils ont injecté 10 milliards de dollars de nouveaux fonds. C'est presque deux fois et demi plus que les budgets réguliers du ministère de l'Agriculture américain. Ils peuvent bien crier, les Américains. Ils peuvent bien se faire les chantres du libre-échange dans le secteur agroalimentaire. Au fond, ils sont non seulement les plus protectionnistes des protectionnistes, avec les Européens dont on reparlera tout à l'heure, mais ils sont aussi ceux qui subventionnent le plus leur secteur agricole, tant et si bien qu'on se retrouve à l'heure actuelle, même avec des engagements qui ont été rencontrés par le Canada de façon admirable, avec une situation américaine, et même européenne dans une certaine mesure, qui ressemble étrangement au germe de la crise et du désordre qu'on pouvait observer en 1984. On continue à se faire des guerres de subventions, des guerres au niveau de la commercialisation. Vous avez tous entendu parler de l'histoire de la banane et des exportations en provenance des pays de la Convention de Lomé, les anciennes colonies africaines. Tout est prétexte à chicane entre les deux grands blocs commerciaux, les Américains et les Européens.

En Europe, ils ont été clairs. Même s'ils ont augmenté les subventions directes à l'exportation du montant faramineux dont je vous ai fait mention plus tôt, ils ont décidé de modifier quelque peu les politiques agricoles s'appliquant aux 12 pays européens. Vous retrouvez dans ce qu'on appelle l'Agenda 2000, qui est le contenu de la réforme de la PAC, la Politique agricole commune, l'esprit qui va conduire les pays européens lors de la neuvième ronde de négociations de l'OMC. On dit dans l'Agenda 2000 qu'il faut mettre l'agriculture européenne en état d'exporter sans subventions à l'exportation—ils ont du chemin à faire avec 6,7 milliards de dollars—tout en sauvegardant les revenus des agriculteurs et leur contribution à la préservation des régions rurales.

• 0915

C'est extraordinaire. Si on appliquait cela à la politique agricole québécoise et canadienne, ce serait extraordinaire parce que cela correspondrait à la réalité qui existe déjà.

Déjà, on n'a pas de subventions à l'exportation au Québec et au Canada et, en plus, on a des politiques qui nous permettent de stabiliser les revenus et de faire en sorte qu'il y ait ce qu'on appelle la multifonctionnalité du secteur agricole, c'est-à-dire l'entretien du paysage, l'occupation du territoire et ainsi de suite. Cela nous permet de maintenir un certain niveau dans toutes les régions du Québec et du Canada.

En ce qui a trait à l'Europe, c'est un peu désincarné de la réalité. J'espère que ces pays-là, qui disent vouloir un meilleur ordre ou une plus grande discipline, bougeront, mais j'espère aussi que le Canada ne bougera pas, parce que le Canada a déjà fait amplement sa part pour rétablir un certain niveau d'ordre et de discipline mondiale dans ce secteur.

Si le Canada décidait de bouger encore plus, par exemple en réduisant davantage les tarifs douaniers dans des secteurs assujettis à la gestion des approvisionnements, soit le lait, la volaille et les oeufs, cela signifierait le début de la fin pour ce secteur de gestion des approvisionnements. Pourquoi? Vous ne pouvez pas, à l'intérieur du Canada et du Québec, contrôler strictement la production laitière et avicole et permettre que, malgré cette discipline, il entre sans contrôle des importations en provenance des États-Unis et de l'Europe.

Si vous n'avez pas de système de discipline de production, c'est aussi bien de laisser tomber parce que le fait d'avoir un système restreignant les producteurs dans leur production va nuire plus qu'autre chose. Un système de gestion des approvisionnements laitiers et avicoles sans contrôle des importations entraînerait une réduction des tarifs douaniers plus grande que celle déjà convenue en 1984, dans l'Accord de Marrakech. Cela ne fonctionnerait pas. Cela détruirait le pilier fondamental qu'on appelle la gestion des approvisionnements au Québec et au Canada.

Réduire encore les subventions ne fonctionnerait pas non plus. On ferait mourir certains producteurs agricoles d'ici. Pourquoi? Parce que déjà on reçoit en espèces à peu près la moitié de ce que les pays de l'OCDE reçoivent en termes de subventions. Si les subventions...

Le président: Le tiers, dites-vous?

M. Yvan Loubier: La moitié en espèces. Je parle des paiements en espèces. Regardons ce qu'on vient de décider aux États-Unis. On a donné un montant forfaitaire de 10 milliards de dollars aux producteurs agricoles. On n'est plus concurrentiels en termes d'intervention gouvernementale. On a des concurrents qui profitent à tour de bras de subventions de leur gouvernement et nous, parce que nous avons été de bons citoyens et citoyennes du monde, parce que nous avons respecté et même dépassé nos engagements, nous avons affaibli nos producteurs et productrices agricoles et notre capacité compétitive. Comment voulez-vous que nous soyons concurrentiels quand des produits sont subventionnés à tour de bras en Europe et aux États-Unis? Cela ne fonctionne pas.

Donc, il ne faut pas poursuivre la réduction de nos subventions. Si on permet, par une plus grande ouverture des marchés, à des produits bénéficiant de subventions considérables des gouvernements de venir faire concurrence ici aux nôtres, ce n'est pas correct. Ce n'est pas fair. On nous fait une concurrence tout à fait déloyale.

Je recommanderais que le gouvernement canadien, sans faire preuve d'arrogance, parce que l'arrogance n'est jamais payante aux forums de négociation internationale comme celui du GATT ou de l'OMC, mette sur la table les réalisations du Canada et des producteurs et productrices agricoles du Québec et du Canada, ses réalisations depuis 1994, depuis l'Accord de Marrakech, démontrant ainsi qu'il a rempli ses engagements et que c'est maintenant aux autres de remplir les leurs.

J'ai vécu toute la huitième ronde de négociations, de 1986 à 1993, et j'ai trouvé qu'il y avait des failles extraordinaires dans le processus de négociation. J'espère que ce sera corrigé cette fois-ci.

Premièrement, j'aimerais, si c'était possible, que le gouvernement fédéral s'engage à défendre de façon inconditionnelle ce qu'on appelle les trois piliers de la politique agricole québécoise et canadienne, c'est-à-dire la gestion des approvisionnements laitiers et avicoles, avec des contrôles à l'importation qui ont du sens, les programmes de stabilisation des revenus pour assurer la stabilité des revenus et un revenu minimum sur la base des coûts de production des producteurs québécois et canadiens, et le crédit agricole.

La recherche-développement ainsi que le développement de la main-d'oeuvre sont, bien sûr, des programmes fort importants, mais ils ne sont pas mis en péril. Ils n'ont pas été mis en péril lors de la huitième ronde du GATT et ils ne seront pas mis en péril lors de la neuvième ronde de l'OMC. Il faut que le gouvernement fédéral prenne clairement l'engagement de défendre ces trois piliers du secteur agricole, même par écrit si cela peut rassurer les gens.

• 0920

De 1986 à 1993, avec les conservateurs, les choses se sont faites avec un certain manque de transparence. Je n'ai rien contre les conservateurs, mais puisque c'est eux qui étaient là, je vais en parler. C'est vrai qu'il y avait des groupes de consultation sectoriels comme on en a à l'heure actuelle, c'est-à-dire les fameux SAGIT. Cela existait du temps du gouvernement Mulroney, mais l'information ne sortait pas et la population, surtout la population visée comme les producteurs et productrices agricoles, devait aller glaner des bribes d'information à gauche et à droite et même aller jusqu'à Genève pour avoir l'information juste, parce que le gouvernement fédéral faisait de la rétention d'information. Cela touche nos vies, non seulement dans leurs aspects économiques mais aussi dans leurs aspects sociaux et même culturels maintenant. À l'OMC, on va parler des distinctions culturelles. Il faut absolument que cela se sache, que cela sorte, et qu'il y ait des engagements fermes de pris par le gouvernement fédéral.

Il y a un deuxième engagement que le gouvernement fédéral doit prendre envers la classe agricole et envers les citoyens et citoyennes du Québec et du Canada, et c'est un engagement clair de ne pas céder à nos partenaires commerciaux plus de marchés qu'il en a cédé jusqu'à présent, surtout à ceux de nos partenaires qui subventionnent de façon éhontée les exportations et la production intérieure et qui viennent nous faire concurrence, non pas sur la base du rapport qualité-prix de leurs produits sur le marché canadien, mais sur la base du niveau des subventions de leur gouvernement. Ça n'aurait aucun sens qu'on revienne à ce qui se faisait en 1984.

Il y a un troisième engagement que plusieurs attendent du gouvernement fédéral. C'est que dans le cadre d'une négociation globale, si jamais on parle d'une négociation globale à la réunion ministérielle de novembre et de décembre aux États-Unis, le gouvernement fédéral s'engage clairement, par écrit s'il le faut, à ne pas céder, sous prétexte de concessions ailleurs, des pans de la politique et du marché des produits agroalimentaires. Cela se fait beaucoup. Lors d'une négociation globale, il se peut qu'on troque des souliers pour des patates. Cela s'est vu par le passé. C'est cela, une négociation globale. On va chercher des concessions dans le secteur x et on est prêts à faire de ces concessions dans le secteur y. Il faut que le gouvernement fédéral prenne l'engagement que cela ne sera pas le cas au cours de cette négociation. On a fait un accord particulier, qui est celui du secteur agricole, et on a pris des engagements particuliers qui touchaient toutes les politiques agricoles. Je ne vois pas pourquoi, lors de la poursuite du processus, on entrerait le secteur agricole dans des considérations globales et on continuerait à troquer, non pas à l'intérieur du secteur, mais à l'extérieur du secteur pour obtenir des concessions agroalimentaires. Cela n'aurait aucun sens par rapport au processus qui a débuté en 1986.

Quatrièmement, il faut absolument que le gouvernement fédéral s'engage à rendre public ce qu'il déposera en décembre, lors de la réunion du conseil des ministres du GATT. Il faut qu'il rende publiques ces choses-là. Par les années passées, on disait que c'était confidentiel, que c'étaient des choses qui restaient à négocier et qu'on perdrait notre force de négociateur si on dévoilait nos cartes. On ne demande pas au gouvernement de dévoiler les cartes de négociation. Les cartes de négociation, c'est la stratégie entourant une position de base que vous déposez. Ce qu'on demande, c'est qu'on nous dise ce qui sera déposé à Genève auprès des 137 autres pays membres de l'Organisation mondiale du commerce.

Je vais vous expliquer l'importance de cela. Dès 1988, des représentants gouvernementaux avaient dit aux producteurs agricoles du Québec et du Canada de ne pas s'inquiéter car ils défendaient l'article XI du GATT, celui qui permettait de contrôler efficacement les importations dans les secteurs laitier et agricole, deux secteurs qui sont assujettis à la gestion des approvisionnements. Après vérification à Genève—parce qu'on s'est fait un réseau à force de voyager et d'aller sur place—, on a appris que ce n'est qu'à l'automne 1991 que les négociateurs canadiens avaient véritablement déposé un document demandant la mise de côté du système de gestion des approvisionnements et la protection de l'article XI. Ils ne l'ont fait que trois ans après avoir fait leur première affirmation voulant qu'ils défendent cet article XI à Genève. Si on avait pu prendre connaissance des positions de négociation déposées, on n'aurait pas eu ce problème de distorsion entre la volonté politique ici et ce que les négociateurs canadiens défendaient là-bas. Je suis sûr que ce n'était pas par mauvaise volonté du ministre de l'époque, mais il y a une dichotomie qui se crée entre le pouvoir politique ici et ce que les équipes de négociation défendent là-bas, probablement à cause de la dynamique de la négociation. Il s'est écoulé trois ans entre le moment où le message politique a été lancé et le moment où il a été retenu par les négociateurs. Il ne faut pas que cela se reproduise.

• 0925

Récemment, on a vécu assez brutalement la négociation de l'AMI qui s'est faite derrière des portes closes. Les gens ont été vraiment écoeurés par une telle situation. Pendant deux ans, on a négocié derrière des portes closes. Si cela avait fonctionné, demain matin on aurait perdu à peu près tous nos droits au profit des grandes entreprises transnationales. Il ne faut pas que ce genre de situation se reproduise.

Il y a les sixième et septième engagements. D'abord, le gouvernement fédéral doit aller chercher, auprès de ses partenaires commerciaux, l'engagement des pays qui n'ont pas respecté les règles d'accès minimal. Il doit aller chercher d'eux l'engagement d'ouvrir leurs frontières. Il devient impératif de constater que nous sommes allés plus loin et qu'eux ne sont pas allés assez loin. Il faut que le Canada demande un plus grand accès aux marchés étrangers pour les produits québécois et canadiens.

Septièmement, il doit aussi demander une véritable réduction des subventions à l'exportation et des nouveaux soutiens internes annoncés depuis l'Accord de Marrakech, en 1994. Ce serait poursuivre dans le mauvais sens que d'accepter que des pays, de grands blocs commerciaux responsables de 60 p. 100 du commerce mondial comme les États-Unis et l'Europe, continuent à subventionner à tour de bras leurs producteurs agricoles et surtout leurs exportateurs. On subit une concurrence déloyale qui est très nocive pour le développement de notre secteur et pour la croissance économique et la croissance de l'emploi en ne disant rien, en faisant les bons citoyens et citoyennes du monde.

Monsieur le président, c'est ce que j'avais à vous dire; je suis prêt à entendre vos questions. Il me fait plaisir d'être ici ce matin pour parler d'un sujet aussi intéressant. J'en appelle à votre clémence, si jamais je m'étends un peu trop dans mes réponses. Vous me connaissez, monsieur Graham.

Le président: Noblesse oblige, monsieur Loubier.

M. Yvan Loubier: Vous êtes le meilleur président des comités permanents de la Chambre, et je vous l'ai déjà dit.

Des voix: Oh, oh!

Le président: On ne peut pas chercher de nobles dans la Chambre des communes. C'est ce que vous voulez dire?

Des voix: Ah, ah!

Le président: Je signale aux membres du comité qu'on doit absolument terminer à 10 heures avec M. Loubier parce qu'on a un emploi du temps chargé aujourd'hui. Nous pourrions donc nous en tenir à cinq minutes chacun.

Monsieur Obhrai.

[Traduction]

M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, Réf.): Merci.

Je vous remercie de vous être déplacé pour nous brosser un portrait de la situation. Je vous en suis reconnaissant.

D'après ce que vous avez dit, je crois comprendre qu'il y a deux aspects. Vous recommandez que le Canada attende que l'Union européenne et les États-Unis cèdent davantage. Vous voulez que le Canada reste en arrière pendant que les autres font des concessions. Selon vous, nous avons déjà suffisamment cédé.

J'ai deux questions. Tout d'abord, ne croyez-vous pas que pendant que nous maintenons cette position et ouvrons nos marchés, nous exerçons des pressions sur les autres pays afin qu'ils réduisent leurs subventions à l'exportation et se conforment aux règles que nous allons négocier?

Nous réclamons une libéralisation, et ma question est que, même si vous avez donné une très bonne analyse de la crise qui pourrait en résulter pour les agriculteurs, est-ce que le consommateur n'a pas profité, selon vous, de ce que le Canada en ait fait davantage que les autres? Le consommateur n'est-il pas celui qui en profite le plus?

Quelle est votre opinion? Le consommateur canadien en a-t-il profité?

[Français]

M. Yvan Loubier: Quand vous négociez n'importe quel contrat, que ce soit un contrat de travail dans le monde syndical-patronal, un contrat pour l'achat d'un terrain ou un contrat comme celui qui a été signé par 92 pays, c'est-à-dire le Huitième Accord du GATT, vous vous engagez nécessairement à respecter les termes et les conditions négociés dans cet accord.

Si, parmi les 90 pays ou les 138 qui sont maintenant à l'Organisation mondiale du commerce, la plupart des grands pays ne respectent pas leurs engagements, comment voulez-vous partir sur une nouvelle base pour conclure un autre accord? C'est brimer la crédibilité d'un organisme comme l'OMC.

Cela enlève aussi de la crédibilité au processus même de négociation parce que vous venez de donner aux 138 pays membres de l'OMC le message que, peu importe les engagements qu'ils vont signer, ils ne seront pas obligés de les respecter.

• 0930

Ils ne seraient pas obligés de les respecter parce que de grands blocs comme les États-Unis et l'Europe, qui sont responsables de 60 p. 100 des exportations internationales, ont décidé de ne pas respecter les termes et conditions inscrits dans le Huitième Accord du GATT.

Il y avait des conditions très strictes que les pays devaient absolument appliquer. On parle d'une réduction de 36 p. 100 des subventions à l'exportation et de 21 p. 100 des volumes exportés subventionnés. Je n'en ai pas parlé plus tôt pour ne pas compliquer les choses inutilement, mais quand les pays ne respectent pas ces engagements alors que le Canada le fait, ce n'est pas faire preuve de retenue, mais bien d'objectivité et d'honnêteté que de dire: «Moi, j'ai respecté tout cela et vous ne l'avez pas fait; maintenant mettez sur la table ce que vous deviez y mettre de 1994 à 1999, ce que vous n'avez pas fait pour différentes raisons.»

Je pense que le Canada serait bien équipé pour avoir une telle position de négociation de départ. Il ne faut pas non plus jouer avec les mots ou être plus catholique que le pape. On est déjà allés plus loin que ce que demandait le Huitième Accord. Il ne faut pas en faire plus que ce que les autres sont prêts à concéder dans le neuvième, parce qu'on passerait pour des fous. Si on se comporte comme cela dans une société, on n'est pas respecté.

[Traduction]

M. Deepak Obhrai: Merci.

Vous n'avez pas répondu à ma question au sujet du Canada qui en a fait plus que les autres pays, et à savoir si les consommateurs canadiens en ont profité. Vous défendez les producteurs. Je suis d'accord pour dire qu'ils jouent un rôle essentiel en agriculture, un rôle central dans l'économie en général, surtout dans votre région. Mais qu'en est-il du consommateur canadien? A-t-il profité de la dernière ronde de négociation?

[Français]

M. Yvan Loubier: Je n'ai pas les données exactes mais j'aurais dû les apporter. Je regrette de ne pas l'avoir fait.

Plusieurs analyses ont été faites par différentes organisations sur le coût du panier de provisions au Québec, au Canada, aux États-Unis, en Australie, en France, en Belgique, nommez tous les pays que vous voulez. On a fait des analyses comparatives avec un panier de provisions typique pour s'apercevoir que, contrairement à ce qu'on pense, même dans les secteurs qui sont assujettis à la gestion des approvisionnements, on arrive à la même conclusion.

On dit souvent que les consommateurs paient plus à cause de la gestion des approvisionnements dans le secteur du lait, dans celui de la volaille et des oeufs, étant donné qu'elle donne aux producteurs la possibilité de négocier les prix de vente pour les produits primaires. Cela est faux.

Notre panier de provisions compte parmi les plus concurrentiels à travers le monde, même pour des produits qui sont assujettis à la gestion des approvisionnements. Savez-vous pourquoi? C'est parce qu'on a, au Québec et au Canada, dans ces deux secteurs particuliers, les meilleurs producteurs du monde. Ce ne sont pas des blagues. Cela se produit parce que les prix qu'ils reçoivent sont déterminés par rapport à une formule de coûts de production. S'ils sont parmi les meilleurs producteurs du monde, cela veut dire que leurs coûts de production sont parmi les plus bas au monde; cela veut aussi dire que le prix qui découle du coût de production est parmi les plus bas au monde.

Depuis que je suis impliqué dans ce domaine, j'ai entendu dire bien des choses. Des représentants de l'Association canadienne des consommateurs venaient dire des choses tout à fait incorrectes qui heurtaient de plein fouet l'intelligence des gens. On a dit, par exemple, que le fait que les quotas laitiers coûtaient cher aux producteurs se traduisait par des prix fort élevés pour les consommateurs dans le cas des produits laitiers, mais cela est faux.

Dans la formule de coûts de production, la valeur des quotas est mise de côté. Elle ne fait pas partie de la formule de coûts de production, ce qui fait que c'est une formule basée sur un échantillon de producteurs laitiers canadiens parmi les plus efficaces. Ils sont déjà efficaces de façon générale, mais l'échantillon qu'on retient pour établir la formule de coûts de production qui détermine les prix est faite à partir des meilleurs producteurs au Canada. Donc, on base les prix sur ces coûts de production sans que les quotas soient inclus. Dire que les prix laitiers au Canada sont fort élevés parce que le prix des quotas est élevé, c'est de la foutaise. Cela ne résiste pas à l'analyse.

• 0935

À l'heure actuelle, au Canada, les consommateurs bénéficient d'un des meilleurs rapports qualité-prix pour les produits agroalimentaires. Ce qui est important, et les consommateurs sont très impressionnés par cela, c'est la qualité des produits. Ils veulent que cette qualité continue d'être contrôlée de façon stricte. Ils savent que s'ils consomment des produits d'ici, ils auront l'assurance que ce sont des produits de très bonne qualité, assujettis à des règles et à des normes sanitaires et phytosanitaires qui n'ont pas leurs pareilles de par le monde.

Le président: Je vous remercie.

Monsieur Sauvageau.

M. Benoît Sauvageau (Repentigny, BQ): Monsieur Loubier, il me fait plaisir de vous rencontrer. Non, je blague.

Cher Yvan, cela a été très agréable de t'entendre. Je savais que tu possédais bien ce dossier, mais le fait que tu reviennes à tes anciennes amours—et avec quelle passion tu le fais—est un plaisir réciproque, et pour toi et pour nous. C'est ce qui ressortait de ton exposé.

M. Yvan Loubier: Les anciennes amours sont toujours les meilleures.

M. Benoît Sauvageau: Je ne parlais pas de lui et moi. Je parlais de ses anciennes amours à l'école. Ne le prenez pas personnellement, madame Folco.

Des voix: Ah, ah!

M. Benoît Sauvageau: Bon, trêve de plaisanterie!

Tu as exposé clairement la rapidité avec laquelle le Canada a atteint ses engagements pris aux dernières rondes de négociation du GATT. Je sais que, par exemple, Odina Desrochers et Hélène Alarie s'en servent un peu comme de leur cheval de bataille quand il est question de nouvelles négociations.

Ton exposé et un document de la bibliothèque m'amènent à te poser quelques questions. Oui, je suis d'accord avec toi pour dire qu'il faut aller aux tables de négociation avec cette réalité, à savoir que le Canada a été rapide dans l'atteinte de ses objectifs, mais quelles sont les chances de réussite d'une telle stratégie de négociation?

Est-ce que les autres peuvent nous écouter? Est-ce que les autres peuvent nous respecter? Est-ce que les autres peuvent dire qu'ils n'en demanderont pas plus au Canada, lui qui a respecté ses engagements, mais qu'ils vont s'engager à respecter les leurs? Quelles sont les chances de réussite à ce niveau?

Si les autres pays ne sont pas ouverts à cette stratégie de négociation, que devra-t-on faire? Est-ce qu'on devra se retirer de la table? Est-ce qu'on devra négocier? Je sais que tu parlais de ne pas troquer l'agriculture contre autre chose, mais advenant le cas où on ferait la sourde oreille à cette stratégie de négociation, quelle devrait être notre attitude?

Tu as également parlé de certaines études sur les paniers de provisions. Plusieurs disent qu'il est difficile de négocier de nouvelles ententes au plan agricole s'il n'y a pas d'analyse coût-bénéfices. Est-ce que ces rondes de négociation, ces traités, ces accords ont été rentables pour les producteurs agricoles? Certains nous disent qu'avant d'aller négocier, on devrait avoir en main des analyses coût-bénéfices de ce qui a été négocié, de ce qu'on a cédé et ce qu'on a obtenu. Que penses-tu de cela?

Ma dernière question concerne tes amis américains. Ils invoquent souvent la règle de la sécurité nationale pour passer outre à certaines conventions internationales. On voit l'armée américaine qui transporte le blé, etc. Qu'est-ce que tu en penses? De quelle façon devrait-on traiter la règle de sécurité nationale dans les prochaines négociations?

M. Yvan Loubier: Merci, Benoît.

Il est clair qu'il ne faut pas se retirer du forum qu'est l'Organisation mondiale du commerce. Quoi qu'il arrive, il ne faut pas s'en retirer. Le seul fait d'être membre de l'Organisation mondiale du commerce confère ce qu'on appelle le statut de la nation la plus favorisée.

On s'assure que les 137 partenaires du Canada, pour le commerce international, nous traitent de la meilleure façon possible, de la façon dont ils traitent les autres partenaires commerciaux. Autrement dit, il n'y a pas de discrimination. Normalement, on devrait appliquer les règles du GATT ou de l'OMC. Le seul fait de participer à ce forum est un avantage en soi. C'est d'en être exclu qui commence à être un désavantage. C'est tellement vrai qu'à l'heure actuelle, il y a 138 pays membres et que 30 ou 32 autres pays attendent de pouvoir entrer à l'Organisation mondiale du commerce.

Il y a deux façons d'aborder le problème à Genève, ou aux États-Unis au cours de la réunion ministérielle. On peut dire: Voilà ce que le Canada a réalisé; il faut maintenant que vous réalisiez la même chose pour que nous acceptions d'autres concessions. Ou bien on peut présenter les choses de façon différente. On peut dire que l'on continue à respecter les engagements pris dans l'Accord de Marrakech de 1994. Ils étaient basés sur la situation qui prévalait au sujet des subventions, au sujet des contrôles aux frontières pendant la période 1986-1988.

• 0940

Cela a l'air plus technique et a peut-être l'air moins arrogant, mais si on poursuivait les engagements pris dans le Huitième Accord du GATT sur la base de 1986-1988, cela signalerait aux États-Unis et à l'Europe qu'ils doivent se conformer aux objectifs de réduction de 36 p. 100 des subventions à l'exportation, de 20 p. 100 du soutien interne et de 36 p. 100 des tarifs douaniers qui ont remplacé toute forme de contrôle à l'importation.

Ce ne serait pas honteux pour le Canada de dire qu'il faut poursuivre ce qu'on a commencé avec l'Uruguay Round, que tant et aussi longtemps que les autres n'auront pas respecté les engagements pris lors de l'Accord de Marrakech, on attendra avant d'en prendre d'autres relatifs à la réduction des subventions et à l'accès minimum aux marchés.

Quant à l'analyse coût-bénéfices—je l'ai déjà probablement dit à une certaine époque—, on peut dire qu'on exige de telles analyses, mais ce n'est pas possible dans les faits. Vous pouvez bien regarder un secteur, par exemple celui de la volaille ou du yogourt avec raisins et céréales, et dire qu'on n'a retiré aucun bénéfice du Huitième Accord du GATT et qu'au contraire il y a eu une plus grande concurrence. Par contre, la négociation se fait par concessions et vases communicants. On fait des concessions à gauche et à droite.

Est-ce que, globalement, le Canada a perdu avec le Huitième Accord du GATT? Je ne le crois pas. Est-ce que le Québec a perdu? Absolument pas, parce que de 1993 à 1998, on a eu une croissance considérable du commerce international.

La crise asiatique est venue brouiller les cartes. Est-ce que le fait que le commerce ait pris une telle expansion est lié au Huitième Accord du GATT? Peut-être y a-t-il de nouvelles règles, plus claires et plus modernes, mais faire une véritable analyse coût-bénéfices n'est pas possible. Il y a sûrement des bénéfices aux consommateurs. D'ailleurs, M. O'Brien en parlait. Comment est-ce qu'on en tient compte? Comment les mesure-t-on?

Ce n'est peut-être pas la bonne façon de faire. Par contre, comme je vous l'ai mentionné plus tôt, on peut mesurer l'effort et le respect des engagements des pays membres du GATT. Cela a plus d'avenir, d'après moi, que de faire une analyse coût-bénéfices avant d'aller négocier. Si ce n'était que de moi, on négocierait tous les jours au GATT parce que ce qu'on a construit depuis 50 ans est extraordinaire.

Malgré tous les défauts que j'ai mentionnés plus tôt, comme l'absence de discipline, il faut se reporter à 1947, à ce qui se passait à ce moment-là. On sortait de la Deuxième Guerre mondiale et la Première Guerre mondiale s'était terminée quelques années auparavant. Les ennemis d'hier sont devenus des partenaires et même des amis aujourd'hui.

Regardez ce qui s'est passé en Europe. C'est à partir du premier traité du GATT et du Traité de Rome, en 1957, qu'on a conçu une interdépendance économique qui est garante d'un certain ordre, mais surtout de la paix. Faites n'importe quelle analyse coût-bénéfices et vous allez arriver à des bénéfices nets très, très élevés.

Le président: Monsieur Bachand.

M. André Bachand (Richmond—Arthabaska, PC): Monsieur Loubier, je m'excuse de vous avoir dérangé tout à l'heure.

M. Yvan Loubier: Il n'y a pas de problème.

M. André Bachand: J'aimerais tout d'abord faire un commentaire.

On entend beaucoup parler de la décision de l'OMC au sujet des subventions à l'exportation, ce qui touche 5 p. 100 de la production canadienne. Il y a beaucoup de rencontres sur la question. Aujourd'hui, le ministre de l'Agriculture du Québec rencontre les gens concernés par cette décision. J'aimerais avoir vos commentaires à ce sujet.

M. Yvan Loubier: Les subventions à l'exportation dans quel secteur?

M. André Bachand: Dans celui du lait.

M. Yvan Loubier: Ah oui, la question de l'OMC.

M. André Bachand: Oui. J'aimerais avoir votre avis sur ce sujet. Est-ce qu'on devrait aller en appel? Est-ce qu'on prend les 15 ou 18 prochains mois pour trouver des solutions au sujet de l'implantation?

Vous avez beaucoup parlé d'agriculture et d'agroalimentaire. Comme le disait Benoît, vous revenez à vos anciennes amours.

M. Yvan Loubier: C'était le sujet de ce matin.

M. André Bachand: Vos anciennes amours?

Des voix: Ah, ah!

M. André Bachand: Je ne sais pas si votre épouse sera très heureuse.

M. Yvan Loubier: C'est la même. Je l'ai connue quand j'avais 16 ans et elle a été la seule.

M. André Bachand: Bon, ta vie de jeunesse. Je ne sais plus ce que je voulais dire.

• 0945

Des voix: Ah, ah!

M. André Bachand: On a beaucoup parlé de l'agriculture et de la décision de l'OMC. Si j'ai bien compris, tu affirmes que le Canada entend maintenir sa position. Ce qui sera important cet automne, lorsque les ministres vont se rencontrer, ce sera d'examiner quelles dispositions de l'entente ont été respectées, par qui et de quelle façon elles l'ont été avant qu'on participe à la prochaine ronde de négociations. Je crois qu'il serait utile d'être en mesure de dire que nous avons fait telle et telle chose au niveau de l'agriculture. Selon toi, est-ce que le Canada a répondu à l'ensemble des attentes et a respecté l'ensemble des dispositions de l'entente conclue lors de la huitième ronde de négociations? Bien que j'aie parlé de l'agriculture, les négociations ont quand même touché de nombreux autres domaines.

M. Yvan Loubier: Oui.

M. André Bachand: J'aimerais entendre ton point de vue là-dessus.

Si jamais on en avait le temps, j'aimerais que nous discutions de l'AMI et du volet investissement qui, comme on le sait, fera aussi l'objet de négociations. Est-ce qu'on négociera l'AMI par la porte d'en arrière, vu qu'il a échoué par la porte d'en avant?

M. Yvan Loubier: Ça fait beaucoup de sujets.

M. André Bachand: Oui.

M. Yvan Loubier: Quant aux subventions à l'exportation laitière, j'ai été surpris que les Américains réagissent mal à ces subventions canadiennes parce qu'elles n'émanent pas des gouvernements fédéral ou provinciaux, mais plutôt des producteurs eux-mêmes. Ces derniers versent des cotisations et amassent un fonds qui s'apparente au fonds de péréquation et qui leur permet d'expédier sur les marchés internationaux de la poudre de lait en particulier, ainsi que du beurre. Mais ces exportations sont très minimes et, comme je l'indiquais, les producteurs ne profitent pas de l'argent public, mais amassent des fonds qu'ils utilisent pour commercialiser leurs produits sur les marchés internationaux. Ils ne mènent pas une concurrence déloyale parce que lorsqu'ils constituent ce fonds, ils sacrifient une partie de leurs profits et de leur capacité compétitive. S'ils n'investissaient pas cet argent dans la commercialisation, ils pourraient l'investir, par exemple, en vue d'augmenter leur productivité. Cet argent leur appartient. À cet égard, la contestation américaine est contestable. Je ne suis vraiment pas d'accord pour dire que ce genre de subventions est condamnable puisque que ce n'est même pas de l'argent public, mais plutôt de l'argent qui appartient aux producteurs.

Le président: Excusez-moi de vous interrompre. Je ne suis pas un économiste, mais vous conviendrez que même si ce sont des particuliers, ce que vous venez de décrire ressemble beaucoup à du dumping.

M. Yvan Loubier: Non, ce n'est pas du dumping.

Le président: Pourquoi pas?

M. Yvan Loubier: Pourquoi dites-vous que c'est du dumping?

Le président: Non?

M. André Bachand: Cela s'explique peut-être par le fait que la problématique américaine, comme tu le sais, est qu'automatiquement, à partir de la gestion de l'offre interne, la grille tarifaire des produits produits axés vers l'exportation affiche un prix différent.

M. Yvan Loubier: Oui.

M. André Bachand: Les Américains disent qu'il y a une subvention à l'exportation à cause de la gestion de l'offre interne du pays et ils invoquent plusieurs arguments. Le fonds de commercialisation dont tu parles est une chose, mais on parle ici d'un fonds de commercialisation qui a des incidences au niveau du prix, et non pas au niveau du marketing et de l'exposure. Puisqu'il agit au niveau du prix, c'est là que toutes les crises peuvent arriver. Mais le point de départ, c'est la gestion interne.

M. Yvan Loubier: Oui, oui.

M. André Bachand: En tout cas, peu importe.

M. Yvan Loubier: Il est clair que les Américains cherchent toutes sortes de prétextes pour démolir la gestion des approvisionnements. Par contre, lorsqu'ils nous accusent de faire ça, ils ne se regardent pas le nombril et ils ne regardent pas ce qu'ils font dans leur cour. La grille comprend à peu près sept différents prix pour les produits laitiers américains, dont à peu près cinq sont fixés pour les marchés d'exportation. Eux font du vrai dumping parce qu'ils vont puiser dans les deniers gouvernementaux et qu'on leur donne de l'argent pour toutes sortes de raisons. On parle aussi de mise en jachère des terres. On indemnise les producteurs et, assez curieusement, ce sont des producteurs de lait et de céréales qui en bénéficient le plus et ce sont leurs deux produits qui sont les plus exportés par les Américains.

C'est ce que le système de gestion des approvisionnements donne. Il est certain qu'on négocie des prix et que si ce système de gestion des approvisionnements n'existait pas, les prix payés aux producteurs seraient peut-être un peu moindres et on accumulerait moins de fonds qui seraient par la suite utilisés pour l'exportation Mais ça, c'est le débat qui existe autour de la gestion de l'offre comme telle; ce n'est pas le fait d'utiliser des fonds qui appartiennent aux producteurs pour exporter qui est en cause.

• 0950

Les Américains, depuis que je les connais, contestent le système de gestion des approvisionnements et ils viennent de trouver là une avenue. Le problème au niveau des règles internationales, c'est que tant qu'il n'y a pas de plainte sur une mesure comme celle-là, il n'y a pas d'enquête. Si on se mettait à enquêter sur toutes les pratiques, de A à Z, des gouvernements partout dans le monde, le gouvernement américain serait au pilori pratiquement à toutes les semaines, surtout dans le secteur laitier et celui des céréales, où il accorde des subventions à tour de bras pour réduire les prix et exporter ces produits sur les marchés internationaux.

Vous m'avez parlé du respect des engagements par le Canada dans les autres domaines. Je vois que le président s'impatiente un peu.

Le président: Non.

M. Yvan Loubier: D'après moi, oui. Il y a des indices qui nous disent que le Canada a respecté à peu près tous les termes des accords internationaux. Lorsqu'on regarde le nombre de plaintes qui ont été portées contre le Canada, on s'aperçoit qu'il a gagné souvent. Que ce soit à l'OMC ou au tribunal du libre-échange nord-américain, il gagne bien plus souvent qu'il ne perd. Cela indique qu'il respecte assez bien les règles du GATT, de l'OMC et de l'Accord de libre-échange.

Par contre, il y a un secteur où le Canada, avec raison—et on va l'appuyer là-dessus à 100 milles à l'heure—n'applique pas les principes de base du GATT. On parle ici du traitement national, de la nation la plus favorisée et du secteur de la culture. Nous appuyons le projet de loi qu'a déposé Mme Copps, ainsi que tout ce qui concerne l'exception culturelle ou l'exemption culturelle mieux définie et plus explicite. Même si le Canada ne respecte pas les principes de base à ce niveau, il a ses raisons. À l'heure actuelle, la diversité culturelle fait l'objet d'un gros débat parce qu'au fur et à mesure qu'on a bâti l'interdépendance économique, on s'est aperçu qu'il y avait une tendance à l'uniformisation. Les pays souverains ont eu le réflexe de se mettre un rempart contre cette uniformisation. Le meilleur rempart, c'est vraiment la discrimination qu'on peut faire dans des mesures qui visent à favoriser l'épanouissement et l'expansion de la culture.

M. André Bachand: J'avais aussi soulevé le volet investissement.

M. Yvan Loubier: L'AMI est un accord pourri parce que, pour la première fois, on enlevait son sens au processus qu'on avait enclenché en 1947, lors de la création du GATT. Depuis ce temps-là, les pays avaient fait des mises en commun, avaient participé à des discussions et en étaient arrivés à des consensus. On avait également établi un secrétariat à Genève et graduellement donné certains pouvoirs à des organismes supranationaux. Mais en échange des bénéfices qu'on recevait, on devait assumer des obligations.

Cependant, quand on faisait l'analyse de l'AMI comme tel, on s'apercevait que ce n'était pas de la mondialisation ni de la création d'interdépendance digne de ce qui avait été fait depuis 50 ans, depuis la création du GATT. C'était de la multinationalisation des échanges. Je crois d'ailleurs que c'est le Groupe de Lisbonne qui avait trouvé cette appellation. Il y a une distinction entre la multinationalisation et la mondialisation. On se proposait de donner tous les avantages aux entreprises ayant un pied-à-terre international, celles qu'on appelait auparavant les multinationales et qu'on appelle maintenant les transnationales, mais on ne leur demandait d'assumer aucune obligation. C'étaient les gouvernements qui devaient assumer ces obligations. Ce n'étaient pas des concessions assorties d'obligations pour les entreprises et pour les gouvernements; les entreprises avaient tous les droits, tandis que les gouvernements assumaient toutes les contraintes et obligations. Ça, c'est le premier élément.

Deuxièmement, cet accord a été négocié derrière des portes closes pendant deux ans. C'est un accident Internet qui a permis à la population de prendre connaissance des clauses de ce projet d'accord. La France est intervenue ainsi que le Canada, qui a affirmé qu'il ne signerait pas cet accord parce qu'il n'y avait pas d'exception culturelle. Ce n'est que grâce à un accident de parcours qu'on a pu dévoiler ces choses-là.

La négociation d'un accord sur l'investissement sur une base multilatérale à Genève, à l'intérieur de l'OMC, est plus transparente et plus généralisée. Ce n'est pas mal faire que de vouloir négocier un accord sur l'investissement, mais l'OMC permet des discussions plus publiques et plus généralisées, comme je le disais, puisqu'elle regroupe 138 pays et que 30 autres sont en attente. Ce n'est pas un groupe de 29 pays de l'OCDE, le groupe des milliardaires.

• 0955

On sait où on s'en va dans les négociations. Je suis persuadé que si on perpétue la tradition du GATT depuis 1947, avec les principes qui ont conduit à l'établissement de l'interdépendance économique, un accord sur l'investissement n'aura rien à voir avec celui qui avait été négocié à l'OCDE, qui a été dénoncé par les citoyens et qui est mort à cause de cela. Quant aux citoyens qui ont dénoncé cela et qui ont empêché la conférence de Montréal, on devrait leur donner une médaille et non pas les condamner à quoi que ce soit.

Le président: Merci. On n'a que sept minutes, et M. Patry et Mme Folco veulent poser des questions.

M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.): Je vais partager mon temps avec Mme Folco. Je ne vais vous poser qu'une question.

Merci, monsieur Loubier, pour votre exposé. Je vous apprécie davantage au Comité permanent des affaires étrangères qu'en ce qui touche les finances.

M. Yvan Loubier: Ah, bon. Est-ce parce que je fais un mauvais job en finances que vous m'aimez moins?

M. Bernard Patry: Non, non. J'ai dit que je vous appréciais davantage. Je n'ai pas été négatif, mais très positif.

M. Yvan Loubier: C'est parce qu'on ne malmène pas les anciennes amours. Il faut toujours être souriant.

M. Bernard Patry: C'est pour ça.

Vous nous avez dit qu'avant de s'asseoir à la table de négociations, le Canada devait exiger que ses partenaires commerciaux respectent d'abord leurs engagements. On n'est pas sans savoir que le Cycle de l'Uruguay s'est terminé par une confrontation entre les États-Unis et l'Union européenne.

Maintenant, on voit ce qui arrive dans le conflit relatif aux bananes. Avant même que les négociations ne débutent, on se dirige possiblement vers une autre confrontation entre les États-Unis et l'Union européenne.

Ma question est la suivante. Où se situera le Canada à ce moment-là? Il y a certains analystes qui nous disent que même avec tous les problèmes pratiquement quotidiens que nous avons avec les États-Unis, une approche nord-américaine pour contrer l'Union européenne serait envisageable. Est-ce que, d'après vous, c'est envisageable? Est-ce que ce serait mieux ou si ce serait se tirer dans le pied? Ma question, à ce moment-là, est la suivante. Qui sont les alliés du Canada? Dans le domaine de l'agriculture, il n'y a que deux superpôles: les États-Unis et l'Union européenne.

M. Yvan Loubier: Pour ce qui est de votre première question ou de votre première remarque, le Cycle de l'Uruguay s'est terminé dans l'hostilité, mais on a quand même signé le Huitième Accord. Le Cycle de l'Uruguay a commencé dans l'hostilité et s'est poursuivi dans l'hostilité.

Je me rappelle qu'en 1986, l'Europe et les États-Unis étaient à couteaux tirés. Cela n'avait pas de sens, et pour cause. Pendant les quatre années précédentes, il s'était fait, en bon français, du top loading dans les subventions. Toutes les parties avait renchéri. Les États-Unis en mettaient et l'Europe en mettait.

Le Canada et les 13 autres pays, qu'on a appelés les pays du Groupe des 13 et qui sont des exportateurs importants même s'ils sont des pays de plus petite dimension, ont souffert énormément. Je me rappelle qu'il y avait des programmes ad hoc au Canada. Le gouvernement fédéral s'en servait pour aider et appuyer les producteurs de l'Ouest à cause du prix des céréales qui s'effondrait de jour en jour. Il a débloqué des milliards de dollars pendant ces années-là, mais n'avait pas la capacité de concurrencer les fonds publics américains et européens. Quand on regarde ce que la politique agricole commune impliquait comme montants à ce moment-là, on voit qu'on était bien petits pour pouvoir réagir.

À deux reprises, de 1986 à 1993, les négociations ont failli échouer totalement. Mais au GATT, comme dans toutes les instances internationales, la diplomatie intervient. Les négociateurs parlaient d'un report des négociations mais, en réalité, ceux qui étaient sur place pour voir ce qui se passait constataient que c'était un échec. Les gens ne voulaient plus négocier. Le représentant de la Commission européenne et celui des États-Unis se chicanaient littéralement sur place.

Depuis 1947, c'est comme cela, la négociation. Même les Américains sont à la base de l'échec de 1947. En 1947, ce ne devait pas être le GATT. Ce ne devait pas être un accord commercial entre 23 pays. Ce devait être un accord international pour l'établissement d'un organisme international qui aurait été une vraie police du commerce. Les Américains ont refusé. Ils ne voulaient pas perdre leurs prérogatives et leur souveraineté en faisant cela. C'est comme ça qu'on construit.

À la Chambre des communes, on n'est pas toujours d'accord. Je ne vous dis pas qu'on a toujours eu des consensus, mais c'est arrivé. Si on avait le sort du commerce international et celui de millions d'emplois à travers le monde entre nos mains, je pense qu'on mettrait tout en oeuvre pour en arriver à un accord commercial. Alors, même si cela commence dans l'hostilité, cela va se poursuivre dans l'hostilité.

• 1000

Ce qu'il faut comprendre, c'est que ce n'est dans l'intérêt de personne, ni des États-Unis ni de l'Europe, de voir le système multilatéral s'affaiblir alors qu'il s'est renforcé d'un cycle à l'autre depuis 1947.

L'OMC est, à mon avis, l'organisation internationale qui a le mieux réussi et qui possède des règles de droit, ce qui n'est pas le cas des autres. Je pense que tout le monde va se ressaisir.

Le libre-échange des trois Amériques est une idée qui me plaît parce que des blocs commerciaux se forment partout. Ce serait un bon pendant à l'Europe et aussi à l'Asie, parce que cette dernière s'organise aussi. Les pays qu'on appelait les Tigres, dont la Thaïlande que je chéris car ma fille en est originaire, et les pays comme la Corée, le Vietnam et le Laos s'organisent ensemble, probablement avec le Japon. Ils forment un bloc et dans quelques années, peut-être dans 10 ou 15 ans, il y aura une union des pays asiatiques. Il faut donc songer à cela.

Lorsqu'on a lancé le débat sur la monnaie, cela n'allait pas plus loin. Il s'agissait de soulever la question de la nécessité d'avoir un bloc commercial solide formé des trois Amériques. Pour être plus solide encore, si on regarde l'histoire de l'Europe, il faut peut-être commencer à débattre de la question d'une monnaie commune qui ne serait pas nécessairement le dollar américain.

Le président: Merci. Je crois qu'on doit terminer parce qu'on a beaucoup de témoins à entendre aujourd'hui.

Est-ce que je pourrais poser seulement trois questions auxquelles vous pourrez répondre par oui ou non? La technopole de Saint-Hyacinthe est-elle unique au Canada?

M. Yvan Loubier: La technopole de l'agroalimentaire nommée...?

Mme Raymonde Folco (Laval-Ouest, Lib.): Non, il y a aussi Laval.

M. Yvan Loubier: Non, non, non.

Mme Raymonde Folco: Dans l'agriculture, oui.

M. Yvan Loubier: Un instant. Non, non, non. Écoutez bien.

Le président: J'ai seulement voulu décrire...

M. Yvan Loubier: Monsieur le président, on va clarifier cela. Il y a beaucoup de candidats mais peu d'élus.

Saint-Hyacinthe est la seule technopole de l'agroalimentaire nommée ainsi par un organisme international. Laval a ses prétentions mais n'a pas le titre. Elle se le donne.

Le président: C'est un modèle à étudier que vous suggéreriez pour notre rapport au gouvernement, comme une sorte de centre pour étudier les questions d'exportation de nos produits agricoles.

M. Yvan Loubier: Je ne vous présente pas la technopole comme un modèle théorique mais comme un modèle qui existe. Les caractéristiques d'une technopole sont de réunir tous les aspects, directs et indirects, d'un secteur.

Vous avez ici la recherche universitaire, l'éducation, la formation des gens dans le secteur agroalimentaire, la production, la transformation et des centres de recherche fédéraux et provinciaux pour la commercialisation et la qualité des aliments. C'est ce qui définit une technopole: l'intégration de tous les aspects d'un secteur en particulier. Je ne pense pas qu'on réunisse tous ces aspects à Laval.

Le président: Vous avez parlé d'une approche différente en agriculture entre l'est et l'ouest du pays. Des représentants de la Fédération canadienne de l'agriculture, qui ont comparu devant le comité il y a quelques semaines, nous ont dit que les divisions étaient beaucoup moindres que dans le passé au Canada. Êtes-vous d'accord sur cette opinion?

M. Yvan Loubier: Monsieur le président, j'ai vécu toutes les divisions possibles et inimaginables depuis 1982 dans le secteur agricole. J'ai travaillé au dossier du Nid-de-Corbeau en 1982, à l'époque où je travaillais pour M. Whelan. J'ai vu comment on s'était déchiré au cours de la huitième ronde de négociation. Cette fois-ci, selon moi, il y aura une unité parce que tous les secteurs, tant ceux qui sont exportateurs nets importants que ceux qui sont assujettis à la gestion des approvisionnements, vont arriver à la même conclusion. Le Canada a donné plus que ce qui était demandé par le Huitième Accord. Il est à peu près certain qu'on nous demandera de modérer nos transports.

Le président: Troisièmement, le Canada devrait-il divulguer sa position comme il l'a fait à Genève? Les autres pays veulent-ils que vous rendiez publique leur position?

M. Yvan Loubier: Dès que vous déposez une position initiale de négociation auprès de 137 pays, elle devient publique. Ce qu'on ne doit pas rendre public, c'est la stratégie entourant notre position. Les négociateurs canadiens l'avaient compris, mais seulement en 1991. Il leur a fallu cinq ans pour le comprendre! On a eu droit, par la suite, aux positions de négociation et aux développements dans ces positions intervenus dans la négociation à Genève. On ne leur demande pas d'ouvrir les cartes de la négociation, mais si on nous dit de défendre la gestion de l'offre, qu'on nous le prouve.

Le président: Merci, monsieur Loubier. Vous avez apporté une belle contribution à notre comité.

• 1005

M. Yvan Loubier: Merci beaucoup.

Le président: On se verra sans doute en d'autres lieux.

M. Yvan Loubier: Sans doute, car ce comité sera toujours intéressant.

Le président: Vous pouvez maintenant quitter si vous le désirez.

M. Yvan Loubier: Je ne m'ennuie pas du tout à ce comité.

Le président: Je demanderais maintenant au Syndicat des employé(e)s de magasins et de bureaux de la SAQ de se joindre à nous.

Voyez les merveilles de la technologie moderne: on passe de l'Arctique à la Floride en 40 minutes. C'est formidable!

Je souhaite la bienvenue aux témoins. On avait prévu seulement une heure pour vous, mais comme vous êtes quatre, je propose qu'on ajoute 15 minutes et qu'on termine vers 11 h 15. Si vous pouvez limiter votre intervention à 15 ou 20 minutes, cela donnera plus de temps pour les questions.

M. Jean Jr LaPerrière (président, Syndicat des employé(e)s de magasins et bureaux de la SAQ): On va essayer.

Le président: Merci.

M. Jean LaPerrière: J'aimerais d'abord vous remercier, membres du comité, de nous accorder audience dans le cadre des objectifs que vous vous êtes donnés de représenter le plus fidèlement les intérêts du public canadien et québécois en prévision de la réunion ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce qui aura lieu à Seattle du 30 novembre au 3 décembre 1999.

Permettez-moi de vous présenter celle et ceux qui m'accompagnent: Mme Jacynthe Fortin, une sociologue présentement à l'emploi du Collectif pour une loi sur l'élimination de la pauvreté; M. François Patenaude, un chercheur à la Chaire d'études socio-économiques de l'Université du Québec à Montréal; et M. Ronald Guévremont, responsable des communications pour notre syndicat.

Je suis le président du Syndicat des employé(e)s de magasins et de bureaux de la Société des alcools du Québec, qui regroupe 2 800 des 5 000 employés de la Société des alcools répartis dans les 337 succursales du Québec.

La Société des alcools du Québec est ce que l'OMC appelle une ECE, soit une entreprise commerciale d'État. Ces entreprises feront l'objet de débats importants lors des prochaines négociations de l'OMC.

La première question que nous nous sommes posée est: qu'est-ce que l'OMC? Nous aimons bien la métaphore que vous avez employée, monsieur le président, lors d'une audience précédente, dans laquelle vous compariez l'OMC à un jeu d'échecs disposé sur 130 étages sur lesquels vous jouez simultanément. Nous sommes également d'accord avec M. Jonathan Fried, le sous-ministre adjoint au Commerce, lorsqu'il dit que le Canada doit se garantir un droit de réglementation dans l'intérêt de la population canadienne et dans l'intérêt de la sécurité et de la santé publiques. Enfin, ce qui a guidé notre réflexion sur le sujet, avant de vous rencontrer, a été cette affirmation du ministre du Commerce international, Sergio Marchi, à savoir qu'il faut parler de dividende économique en même temps que de dividende social.

Lorsque le Canada se demande comment il peut concilier, aux yeux de l'OMC, son rôle de locomotive commerciale et celui d'un pays fondé sur des normes sociales, qui se préoccupe du bien-être des populations avec qui il transige, notre réponse est que, s'il prend la position de défendre la SAQ et toutes les autres régies provinciales d'alcool devant l'OMC, il atteindra ce but.

Jetons un rapide coup d'oeil sur l'histoire du commerce d'alcool au Québec. Alexander Mackenzie, en 1878, promulgue la Loi Scott, une réplique de la Loi Dunkin qui, depuis la Confédération, n'était appliquée qu'au Québec et en Ontario et qui indiquait que 25 p. 100 des électeurs d'un comté ou d'une ville pouvaient exiger un référendum sur la prohibition.

En 1919, le gouvernement du Québec propose à la population de choisir entre la prohibition totale et la prohibition mitigée. Cette dernière l'emporta lors d'un référendum. Le 8 juillet 1920, Taschereau prend le pouvoir et le commerce de l'alcool est le premier problème auquel il s'attaque.

Tous les acteurs de la scène politique québécoise de l'époque s'en mêlent ainsi que des journaux comme L'Autorité, Le Pays, Le Canada, Le Devoir, les autorités religieuses anglicanes et catholiques, les apôtres de la tempérance, les milieux universitaires, les propriétaires de tavernes, etc.

Après un an de débats et quelques études sur le sujet, la loi entre en vigueur le 1er mai 1921. Les citoyens de la ville de Québec votent contre la Loi Scott, le 12 septembre 1921, par une majorité de 11 872 voix, ce qui fait que la ville de Québec sera régie par la nouvelle loi.

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Au Québec, partout où prévaut la Loi Scott et où on fait un référendum, la population se prononce pour la nouvelle loi de Taschereau. Antonin Dupont en conclut même, dans sa biographie sur Taschereau, que les profits réalisés par la vente de l'alcool ont permis le relèvement de la condition sociale du peuple québécois. Il est donc évident que la SAQ a été créée pour des raisons sociales. Depuis 1921, de nombreux sondages démontrent l'appui et l'attachement de la population québécoise à sa société d'État.

Les vins et spiritueux ne sont pas des produits alimentaires comme les autres. Selon les experts, l'alcool est une drogue aussi dangereuse que la cocaïne et l'héroïne. C'est une des conclusions d'un rapport consacré aux «problèmes posés par la dangerosité des drogues», rédigé par un groupe d'experts français et étrangers présidé par le professeur Bernard-Pierre Roques, directeur de l'Unité de pharmacologie moléculaire de l'Inserm, et qui a été remis au secrétaire d'État à la Santé du gouvernement français, Bernard Kouchner. Toutes les études, qu'elles soient médicales ou sociologiques, le prouvent scientifiquement: l'alcool n'est pas un produit alimentaire comme les autres et, de ce chef, ne peut être commercialisé comme les autres.

La vente de l'alcool n'est peut-être pas une des fonctions essentielles de l'État au même titre que l'éducation, la santé ou les services sociaux, bien que la SAQ aide au financement de ces fonctions essentielles à la survie du fait francophone en Amérique, mais c'est certainement un baromètre qui nous indique dans quelle sorte de société nous vivons. L'alcool, on le sait, a des incidences sociales dans le domaine de la santé et de la criminalité. Mais tout cela n'existe pas pour le secteur privé.

Mme Fortin aura l'occasion de vous renseigner sur le rôle social de la SAQ.

Avant d'aborder le dividende social, abordons le dividende économique et le rôle des ECE comme joueurs dominants dans un marché donné, plus précisément la SAQ et le commerce de l'alcool au Québec. Je laisse la parole à M. François Patenaude, de la Chaire d'Études socio-économiques de l'Université du Québec à Montréal, qui s'est penché sur la question pour nous.

Le président: M. François Patenaude.

M. François Patenaude (chercheur, Chaire d'Études socio-économiques de l'Université du Québec à Montréal): Bonjour à tous et à toutes.

Dans le mémoire que nous déposons devant vous aujourd'hui, nous avons analysé deux des principaux sujets qui seront abordés durant les prochaines négociations de l'OMC, soit l'accès aux marchés et le rôle des entreprises commerciales d'État. Ce mémoire traite de ces sujets exclusivement en rapport avec la SAQ.

Concernant l'accès aux marchés, nous nous sommes attardés surtout à l'accès offert au marché du vin au Québec. Tout d'abord, on doit préciser qu'en raison de son climat, le Québec produit peu de vin. La production artisanale de vin au Québec est d'environ 475 000 litres; en comparaison, il s'est vendu dans les succursales de la SAQ et dans les épiceries 76,3 millions de litres de vin au Québec en 1998. C'est donc dire que la production de vin au Québec ne représente qu'une part somme toute microscopique de tout le marché du vin au Québec.

Donc, si l'accès au marché est défini de façon globale comme l'accès au marché intérieur d'un pays par les pays exportateurs, ces conditions n'étant pas entravées par des impératifs de protection de la production nationale dans le cas qui nous intéresse, nous sommes allés voir qui, de l'entreprise commerciale d'État qu'est la SAQ ou des détaillants en alimentation, offre le meilleur accès au marché aux produits étrangers.

Cela a été fait afin de vérifier si une entreprise commerciale d'État comme la SAQ permet une plus grande ouverture au commerce international que le secteur privé, contrairement à ce qui est avancé par les Américains et certains pays membres de l'OMC.

Les ventes de vin au Québec sont formées de trois réseaux. Les deux réseaux majeurs sont la Société des alcools du Québec, qui détient 63 p. 100 du marché, et le réseau des distributeurs autorisés, c'est-à-dire les épiceries et les dépanneurs, qui détiennent 36 p. 100 du marché. Il y a également le réseau des producteurs artisans, qui compte 66 producteurs dans le cas du Québec, qui font moins de 1 p. 100 des ventes totales de vin au Québec.

Afin d'étudier l'accès au marché offert par les deux principaux réseaux, on a vérifié un certain nombre de critères. Parmi ces critères, il y avait le nombre de produits offerts selon les réseaux, la provenance des vins et le volume des ventes. On s'est aperçu que dans chacun des cas, la SAQ offrait une plus grande ouverture au marché. La SAQ offre 3 479 produits de vin différents, alors que c'est 217 dans le cas du réseau des succursales privées.

Pour ce qui est de la provenance des vins, les vins offerts en succursale à la SAQ proviennent de 31 pays différents, comparativement à neuf pour le réseau des épiceries. Pour ce qui est du volume des ventes, le volume des vins provenant des pays autres que le Canada représentait 80 p. 100 du volume des ventes de vins tranquilles, c'est-à-dire les vins non pétillants, les vins réguliers vendus en succursale à la SAQ en 1997 et 1998.

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En guise de conclusion, on peut dire que la SAQ fournit un meilleur accès au marché pour les produits étrangers. Cet accès permet à la fois aux producteurs canadiens et à ceux de l'étranger de vendre leurs produits au Québec. Il permet également aux consommateurs de profiter d'une grande variété de produits. Outre les restrictions que la Loi sur la société des alcools impose aux épiciers, cet écart s'explique d'abord et avant tout par trois facteurs qui jouent en défaveur des épiciers et du secteur privé pour offrir une gamme de produits comparable à celle de la SAQ.

Ces facteurs sont, premièrement, la mission. La mission première des épiciers n'est pas de vendre de l'alcool; cela s'ajoute à leurs activités en complément. De par leur mission, les épiciers et les dépanneurs seront toujours limités dans leur choix de vins de moyenne gamme et de haut de gamme, et les problèmes d'entreposage et de conservation du vin se feront cruellement sentir pour ces produits dans le cas du réseau des épiciers privés.

Il y a également l'aspect économique. Les épiciers, et plus encore les dépanneurs, ne pourront pas garder de gros inventaires de vin en stock à cause du prix élevé de ces produits. Les coûts de transport seront également plus élevés pour acheminer les produits aux 11 000 points de vente du réseau des épiciers plutôt qu'aux 337 succursales de la SAQ.

Enfin, au niveau de l'efficacité, jamais les épiciers ou les dépanneurs ne pourront jouer le rôle d'importateur privé que joue la SAQ. N'importe quel client qui va dans une succursale de la SAQ et qui veut se procurer des vins qui ne sont pas disponibles en succursale peut faire appel aux services de la SAQ pour qu'elle importe, à titre privé, des vins pour son compte.

Également, jamais les épiciers et les dépanneurs de partout au Québec ne pourront procurer à leurs clients des produits qui ne se retrouvent pas sur leurs tablettes. C'est un autre service qui est spécifique à la SAQ. Si vous allez à votre succursale et que le produit que vous recherchez n'est plus disponible, on peut en tout temps le commander à une autre succursale pour qu'il se retrouve chez vous.

Concernant le rôle des entreprises commerciales d'État, la SAQ a d'abord et avant tout a un rôle social à jouer. C'est une entreprise commerciale qui a d'abord été créée pour des raisons sociales, car la consommation d'alcool a un impact social et un coût social. Mme Fortin va vous en parler plus amplement tout à l'heure, car ce point-là est crucial en regard de la SAQ.

La SAQ a également un impact sur les finances publiques. La contribution de la SAQ aux trésors québécois et canadien contribue à éponger une partie des coûts sociaux de la consommation d'alcool. La part de la SAQ est loin d'être négligeable puisqu'elle a été directement responsable de 6,7 milliards de dollars de recettes fiscales versées aux deux gouvernements au cours des 10 dernières années. Aucun autre système de commercialisation de l'alcool ne peut rivaliser avec le modèle actuel en termes de contribution directe au trésor public.

La SAQ est également une société d'État bien gérée, et il est important de le souligner. La raison qu'on invoque souvent pour privatiser les entreprises d'État est qu'elles sont mal gérées et coûteuses. Or, contrairement à certaines prétentions du secteur privé, une entreprise étatique peut être bien gérée et peut exercer un contrôle strict sur ses dépenses d'exploitation pour générer des bénéfices intéressants. C'est le cas de la SAQ.

Donc, au nombre des avantages du monopole public de la SAQ, il y a premièrement le fait que la SAQ fournit un meilleur accès au marché. Pour les consommateurs, la SAQ signifie plus de choix. Elle signifie également un meilleur contrôle de la qualité. Il est important de souligner qu'un contrôle de la qualité est beaucoup plus simple s'il est fait à l'intérieur d'une même entité, ce qui est le cas de la SAQ. De plus, les gestionnaires de la SAQ n'ont pas pour objectif d'augmenter la rentabilité à n'importe quel prix, ce qui réduit considérablement le risque que le contrôle de la qualité soit bâclé. Finalement, la SAQ offre un excellent service à la clientèle, service que le réseau privé ne peut pas offrir étant donné sa mission.

Pour le gouvernement, la SAQ signifie une source de flux monétaire. Comme on l'a vu, la SAQ verse d'importantes sommes aux gouvernements du Québec et du Canada sous forme de dividendes, taxes et droits. C'était, en 1998, une somme de 753 millions de dollars.

Il n'y a aucune friction entre le gouvernement et les activités commerciales de la SAQ. Lorsque le gouvernement veut modifier la taxation ou la loi qui touche au secteur privé, les gens du privé opposent toujours une résistance par le biais de lobbying ou d'associations patronales ou sectorielles. Or, la SAQ étant une extension de l'appareil d'État, elle travaille en harmonie avec celui-ci, contrairement au secteur privé, où il y a parfois de l'opposition.

• 1020

Voici quelques observations. Lors des prochaines négociations de l'OMC, certains pays membres, les Américains en tête, voudront discuter du rôle des entreprises commerciales d'État. Ils reprochent aux entreprises commerciales d'État de créer des distorsions de marché et d'exercer un pouvoir de marché substantiel du fait de leur position de monopole de vente et d'achat. Nous tenons à souligner que ces reproches ne s'adressent pas seulement aux entreprises commerciales d'État, comme certains pays le prétendent. Conformément à la position de la Nouvelle-Zélande et de l'Australie, nous croyons plutôt que la question des distorsions de marché et des monopoles doit être posée à la fois pour les secteurs public et privé.

Pour terminer, parlons des désavantages qui seraient reliés à la disparition du monopole public de la SAQ. Il y aurait premièrement une diminution de l'accessibilité du marché et de la variété des produits disponibles. Sur quoi nous basons-nous pour dire cela? Il y a eu des précédents de privatisation de sociétés d'alcool étatiques, entre autres en Alberta et en Iowa. En Alberta, la privatisation a amené une baisse notable du nombre de produits offerts en magasin; le nombre moyen de produits offerts en succursale est passé de 860 avant la privatisation à seulement 425 après la privatisation, soit une diminution de 51 p. 100. Avant la privatisation, on pouvait retrouver dans les succursales jusqu'à 2 000 produits, alors qu'après la privatisation, il y en avait au maximum 1 000. Finalement, la sélection de vins disponibles en Alberta a été particulièrement affectée par une diminution de la variété. Six mois après la privatisation, le choix des vins disponibles au consommateur avait diminué de 75 p. 100. En Iowa, on a vu la même chose: le nombre de produits offerts a diminué. Les produits à faible marge bénéficiaire ou à faible volume de vente ont disparu des tablettes pour laisser la place aux produits plus rentables. Des 700 variétés de vins disponibles avant la privatisation, il n'en restait que 300 après la privatisation, soit une baisse de 57 p. 100. Les régions rurales ont particulièrement souffert de cette privatisation, puisque les deux tiers des commerces ont disparu et que ceux qui restaient n'offraient pour la plupart qu'une dizaine de produits.

Le deuxième danger relié à la disparition du monopole public de la SAQ est un danger de prise de contrôle du marché. Le monopole public de la SAQ fournit un accès au marché à l'ensemble des joueurs, tant aux gros exportateurs qu'aux petites entreprises qui offrent de bons produits mais qui n'ont peut-être pas les moyens des multinationales pour s'imposer. La SAQ donne ainsi la chance à la concurrence de pouvoir s'épanouir en permettant l'entrée en scène de nouveaux joueurs. Elle évite également la création d'oligopoles qui pourraient contrôler le marché. La SAQ, à cause de sa taille, a les moyens de résister aux pressions des entreprises locales, nationales et multinationales qui désireraient une forme d'exclusivité pour leurs produits. Advenant une privatisation de la SAQ, on pourrait craindre que certaines entreprises tentent de contrôler le marché.

Troisièmement, on pourrait craindre une hausse des coûts pour les citoyens du Québec si la SAQ disparaissait, parce que le privé est réfractaire aux politiques sociales de responsabilisation de la consommation d'alcool. Sa mission est uniquement commerciale. On pourrait donc craindre une augmentation de la consommation d'alcool et des coûts sociaux qui s'y rattachent advenant une privatisation de la SAQ.

De plus, si on se fie aux expériences de privatisation de l'Alberta et de l'Iowa, la disparition de la SAQ risque d'entraîner une hausse du prix des produits. Advenant une privatisation de la SAQ, le gouvernement québécois devrait dire adieu à son dividende, qui était de plus de 300 millions de dollars en 1998, et devrait également résister au lobby du secteur privé, qui ferait des pressions pour obtenir des baisses de taxes. Je tiens à souligner que dans le cas de la privatisation en Alberta, qui a été réalisée en 1993, il y a eu des baisses de taxes sur l'alcool à trois reprises. Ces diminutions de revenus dans les coffres de l'État représentent autant d'argent qui ne peut pas servir à éponger une partie du coût social de la consommation d'alcool.

Concernant l'aspect fondamental du rôle social joué par la SAQ, je cède maintenant la parole à Mme Jacynthe Fortin, sociologue.

Le président: Madame Fortin.

Mme Jacynthe Fortin (sociologue, auteur de l'étude «Enjeux sociaux de la privatisation de la SAQ: de la facture économique à la fracture sociale»): Bonjour. Mon propos se situe vraiment loin de la colonne des chiffres comptables, même si on utilise un langage un peu semblable quand on parle de rentabilité sociale.

Mon objectif est de réfléchir sur les enjeux de la privatisation de la SAQ, autrement dit de voir au-delà des chiffres. Pour cela, je tiens d'abord à faire quelques mises en perspective. Pour les questions plus techniques, on pourra attendre à la période de questions.

• 1025

Le président: Puis-je vous interrompre? La raison de votre exposé de ce matin sur le problème de la privatisation est que vous craignez que l'OMC nous conduise inévitablement un jour à une privatisation. Est-ce bien cela? Je veux simplement situer la pertinence de votre exposé dans le cadre de notre étude sur l'OMC.

M. François Patenaude: Lors des prochaines négociations de l'OMC, un des thèmes abordés sera le rôle des entreprises commerciales d'État, ce qu'est la SAQ. Les Américains et d'autres pays disent que ces entreprises créent des distorsions sur le marché et exercent un pouvoir de marché important du fait de leur position de monopole. Ils veulent discuter de la pertinence de ces entreprises dans le commerce.

Le président: Cela, je l'avais compris. Mais, dans mon esprit, lorsque les Américains parlent d'entreprises d'État, ils pensent à la Commission canadienne du blé plutôt qu'à toutes nos entreprises dans le secteur des alcools parce que toutes les provinces sont également concernées.

M. François Patenaude: Oui.

Le président: Je m'excuse de vous avoir interrompu. Je crois que tout le monde a compris la pertinence de ce que nous étudions. Merci.

Mme Jacynthe Fortin: Je peux continuer?

Le président: Pardon, madame Fortin. Vous pouvez continuer.

Mme Jacynthe Fortin: Mon propos a justement pour but de montrer la mission sociale d'un contrôle. On peut davantage parler de protection des citoyens dans le cadre d'une gestion étatique du marché de l'alcool.

Pour arriver à cerner un peu mieux la spécificité du Québec dans son rapport avec l'alcool, avec la prémisse de départ que l'alcool n'est pas un produit alimentaire comme un autre mais un produit à risque, il convient de mentionner une première perspective historique.

On se souvient que, de façon générale, l'origine des monopoles sur l'alcool remonte au milieu du XIXe siècle, avec un but avoué de contrer la surconsommation observée notamment chez la classe ouvrière. Ce n'était donc pas dans un but angélique. C'était réellement pour avoir une classe ouvrière toujours docile et qui se présentait au travail. C'était à l'époque des grands changements sociaux liés à l'industrialisation et à l'urbanisation. Aux États-Unis surtout, et sur tout le continent nord-américain, la mobilisation contre l'alcool fut à ce point forte qu'elle a abouti à une loi prohibitionniste après la Première Guerre mondiale.

Le Québec, comme le disait M. LaPerrière—bien que je n'aborde pas la question dans le même sens que lui—se distingue à cette époque de toute l'Amérique du Nord en adoptant une position de tolérance et d'avant-garde par rapport à l'alcool. On peut donc parler d'une caractéristique distincte du Québec dans l'ensemble du continent nord-américain, par opposition à l'attitude prohibitionniste de l'ensemble.

En effet, plutôt que de suivre la voie continentale de la contrainte, le Québec instaure, en 1921, un monopole étatique sur la consommation d'alcool avec la création de ce qu'on appelait alors la Commission des liqueurs. Cette stratégie particulière et novatrice s'est avérée efficace sur le plan de la baisse de la surconsommation, alors que dans les pays prohibitionnistes, la surconsommation d'alcool a continué et on n'a pas eu le résultat prévu. On a donc un bilan négatif de l'expérience du prohibitionnisme.

On peut parler du modèle québécois, qui ne tarde d'ailleurs pas à être imité dès les premières années de la période suivant la prohibition. Au moins 15 États américains, à la fin de la période prohibitionniste, de 1933 à 1935, adoptent une structure de monopole d'État semblable à celle du Québec. On a donc vu le bien-fondé de ce qui se faisait au Québec.

Rappelons que le mandat initial de la Commission des liqueurs était de favoriser la consommation modérée de boissons alcoolisées de qualité dûment vérifiée, vendues à un prix raisonnable, cela dans un cadre d'exploitation contrôlée.

Je tiens à ouvrir une petite parenthèse. Cette période des années 1930 représente un moment charnière dans les cycles évolutifs de la consommation d'alcool au Québec. C'est l'époque des années de crise, donc de conditions de vie difficiles et d'un véritable changement dans les habitudes de consommation d'alcool. Cela s'est manifesté par une remontée vertigineuse de la consommation de spiritueux. Cette nouvelle tendance durera une quarantaine d'années, avec une pointe durant les années de la Guerre, si bien qu'en 1950, on vend encore deux fois plus de spiritueux que de vin.

• 1030

On peut émettre l'hypothèse que dans les années de vie difficile, il y a une propension à avoir recours à des boissons fortes. Il y a donc un besoin d'ivresse. Voilà pour la mise en perspective historique.

Au niveau de la perspective culturelle, le monopole québécois sur l'alcool s'est exercé par des mécanismes de contrôle, non seulement dans la sphère matérielle, c'est-à-dire par des lois, des sanctions et le contrôle de l'offre, mais aussi dans la sphère symbolique, c'est-à-dire au niveau du discours, des croyances, des valeurs et des attitudes. Ces derniers mécanismes de contrôle s'inscrivent dans ce qu'on appelle le code socioculturel présent dans toutes les sociétés et propre à chacune d'elles.

Au niveau des normes culturelles qui sont privilégiées dans le cas du Québec, on peut parler d'un modèle de consommation spécifique qui est différent de celui de toute l'Amérique du Nord. Présentement, notre modèle se caractérise par une plus grande consommation de vin et par une très faible consommation de spiritueux comparativement à l'ensemble canadien et nord-américain.

Faisons maintenant le point sur les cycles évolutifs. Depuis les années 1980, on assiste au Québec à une diminution graduelle de la consommation totale d'alcool. Ce phénomène, qui caractérise l'ensemble des pays occidentaux, est attribuable au vieillissement de la population mais aussi à l'influence éducative d'un organisme tel Éduc'alcool. Créé en 1989, cet organisme voit justement à éduquer la population pour favoriser une culture de la modération.

Finalement, les variations cycliques de la consommation montrent que ce modèle québécois est d'une certaine fragilité puisqu'il n'y a pas que la variable culturelle qui intervient, mais aussi le contexte social. J'en ai d'ailleurs fait mention pour la période des années 1930.

J'en viens maintenant à la perspective sociale. Il faut se resituer dans le nouvel ordre néo-libéral, qui prévaut actuellement au Québec comme partout ailleurs, qui risque d'influencer sérieusement les pratiques collectives en matière d'alcool. Compte tenu de l'appauvrissement général qui s'ensuit et des inégalités croissantes, y aurait-il là des conditions favorables pour une réapparition de l'ère du gin, comme cela s'est vu en Angleterre lors de la période de l'industrialisation?

La culture du vin est présente à l'heure actuelle. Elle appartient à notre modèle. Toutefois, ce n'est pas forcément un modèle qui est immuable. Ce sont des hypothèses qui peuvent, à juste titre, être formulées dans un contexte de profonde mutation ou en voie de rupture d'équilibre entre les moyens et les besoins.

Puisque les problèmes sont autant de facteurs susceptibles de peser dans la problématique reliée à l'usage abusif de l'alcool, ne peut-on pas parler, dans le contexte actuel de chômage structurel, de désaffiliation sociale et de croissance de la détresse psychologique, d'une société à risque, donc de vulnérabilisation du tissu social?

Des études viennent par ailleurs confirmer que les problèmes liés à la surconsommation de psychotropes—puisque l'alcool est défini comme un psychotrope—ont une plus grande prévalence dans les sociétés qui sont aux prises avec des difficultés d'ajustement au changement social. De telles conditions entraînent un affaiblissement des normes et une confusion d'identité qui se répercute sur l'usage de psychotropes. Ces constats se retrouvent dans le volume intitulé L'usage des drogues et la toxicomanie.

Si, pour l'heure, dans ce qui est de plus en plus un Québec cassé en deux, il n'y a pas plus de dégâts sociaux liés à la consommation abusive—selon Statistique Canada, les Québécois sont ceux qui, au Canada, éprouvent le moins de problèmes d'alcool—, ne peut-on pas attribuer en partie cet état de fait au rôle de filet de protection sociale exercé implicitement par le monopole de la SAQ? J'en arrive à resituer la question dans une perspective de santé publique.

Protéger la santé publique en réduisant l'ampleur des dommages liés à la consommation d'alcool n'est certes pas un objectif très évident ou mis de l'avant de façon explicite par les monopoles contemporains. Cela demeure tout de même un rôle social réel qu'est appelée à exercer une institution monopolistique comme la SAQ.

Dans son analyse du monopole ontarien, Single, professeur de médecine préventive et directeur de recherche du Centre canadien sur les abus de substances, confirme en effet que le monopole sur l'alcool a aussi une fonction de santé publique. On serait naïf de dire que c'est la principale justification du monopole, mais c'est néanmoins une importante raison de son existence, même si elle est quelquefois négligée.

• 1035

Parce qu'il permet d'exclure la recherche de profits personnels des opérations en cause et qu'il pose certaines limites à l'accessibilité du produit, des limites en termes de lieu, de nombres et d'heures d'ouverture des points de vente, de fixation des prix, de respect de la loi de vente aux mineurs et ainsi de suite, seul un monopole gouvernemental sur la vente au détail est en mesure de garantir un équilibre entre les impératifs de santé et de sécurité publiques, et les impératifs se rapportant à la satisfaction du client. Autrement dit, dans la perspective globale, il y a le consommateur, mais il y aussi la vision du citoyen.

Dans la perspective d'une privatisation partielle ou totale de la SAQ, le pire des scénarios serait celui affectant le réseau de vente au détail. Ce serait comme faire tomber l'ultime digue protectrice que se sont collectivement donnée les Québécois sur la façon de neutraliser le potentiel de risque social rattaché à l'alcool qui, disons-le, n'est pas un produit comme un autre.

En ce qui a trait à l'alcool vu comme produit à risque, M. LaPerrière a mentionné tout à l'heure que la dernière étude française parlait d'un danger équivalent à celui de la cocaïne et de l'héroïne. Je prends pour ma part la définition usuelle, qui dit que c'est un psychotrope. C'est un produit à risque pour soi et pour les autres. La consommation d'alcool n'équivaut pas à l'ingestion de petits pois ou de spaghetti. Il est loin d'en être ainsi, comme l'indiquent les discours officiels du ministère de la Santé et des Services sociaux et de la communauté scientifique. Il y a vraiment un consensus pour parler d'un produit à risque et à coût social.

En ce qui a trait aux impacts sur la santé physique, contentons-nous de mentionner, à titre indicatif, que selon les statistiques du ministère de la Santé et des Services sociaux, environ 4 000 décès par année sont imputables à la consommation abusive d'alcool. Du côté de la santé psychologique, des recherches ont démontré que ce sont les grands buveurs qui manifestent les plus hauts taux de détresse psychologique, d'idées suicidaires ou de tentatives de suicide.

D'un point de vue social, on connaît l'importance des problèmes causés par l'ivresse au volant. Les gros buveurs, soit 30 p. 100 de ceux impliqués dans des ennuis au volant, se démarquent grandement des autres. En 1994, on indiquait que 94 p. 100 des infractions au Code criminel étaient reliées à la conduite d'un véhicule routier avec des facultés affaiblies.

L'alcool serait également associé à 30 p. 100 des cas de violence à l'endroit des femmes, alors que 50 p. 100 des victimes d'inceste appartiendraient à des familles touchées par l'alcoolisme.

Ainsi, il y a une forte corrélation entre la violence et les drogues psychoactives. Par exemple, en 1991, 92,52 p. 100 des personnes accusées de meurtre avaient consommé une drogue au moment du crime. Parmi elles, 66 p. 100 avaient bu de l'alcool. C'est donc un produit à risque.

Il faut également mentionner qu'il y a des groupes à risque. Il ne faut toutefois pas oublier de situer ces groupes dans un environnement et un contexte social. La donnée sociohistorique la plus globale est que l'alcool a surtout été et est encore aujourd'hui une affaire d'hommes. La consommation excessive y est de deux à trois fois plus fréquente que chez les femmes, cela pour chacun des groupes d'âge considérés. Les grands buveurs sont essentiellement des hommes. Ceux-ci sont deux ou trois fois plus susceptibles de présenter un profil de risque. On retrouve par ailleurs les grands buveurs dans les couches les moins favorisées économiquement ou dans des catégories socioprofessionnelles marquées par le manque d'autonomie décisionnelle.

Pour terminer, je veux souligner que c'est aussi une affaire de jeunes. L'usage de l'alcool est de plus en plus un phénomène précoce. C'est un comportement qui se développe tôt dans l'adolescence. Dans cette catégorie d'âges, une nouvelle tendance est observée, soit le phénomène des jeunes buveuses excessives, d'où une tendance à l'homogénéisation des sexes dans cette catégorie de population.

• 1040

À ce titre, je voudrais vous signaler un article paru à la fin de 1997 qui alertait la population québécoise au fait que la toxicomanie chez les jeunes ne faisait pas qu'augmenter, mais s'aggravait. On disait que l'âge moyen des adolescents ayant abusé de drogue et d'alcool était passé de 16 à 14 ans au cours des cinq années précédentes. On parle de cet indicateur comme s'il était le haut-parleur d'une société en détresse.

On pourrait élaborer davantage là-dessus, mais je voulais simplement vous signaler que c'est là un problème qui se présente à l'horizon et qui relève d'une lecture d'un autre niveau, si on veut parler d'un protection sociale liée à un monopole de l'offre du marché de l'alcool.

Ces ensembles d'information ou de distinctions à teneur sociologique et épidémiologique sont, à vrai dire, les assises sans lesquelles on ne peut aborder les enjeux sociaux de la privatisation de la SAQ.

On pourra donner plus de précisions lors des questions afin de montrer que plus l'accessibilité est grande, plus la consommation risque d'augmenter.

Déjà, la teneur sociale du dossier de la privatisation de la SAQ laisse présager qu'il s'agit d'une question qui dépasse largement les critères de rationalité budgétaire et qui s'inscrit dans un choix d'orientation sociétale.

Enfin, je dirai que l'État ne peut pas tout faire, mais qu'il y a des choses que seul l'État peut faire.

Le président: Merci, madame Fortin.

M. Jean LaPerrière: Monsieur le président, nous avons quatre recommandations.

Premièrement, nous recommandons au gouvernement du Canada d'adopter une position claire et catégorique quant au droit fondamental de l'État d'être présent dans le commerce intérieur des produits alcooliques, et cela sans restrictions. La SAQ a été créée pour des raisons sociales et joue un rôle social fondamental tout en respectant les pratiques commerciales existantes. Elle est aussi responsable d'importantes recettes fiscales versées aux deux gouvernements.

Deuxièmement, nous recommandons au gouvernement du Canada de replacer les demandes américaines dans leur juste perspective. Si le souhait des Américains et de l'OMC est vraiment de réduire les distorsions de marché, alors tous les éléments générateurs de distorsions, tant privés que publics, devront être analysées lors des prochaines négociations de l'OMC. Tout débat sur les entreprises commerciales d'État doit se concentrer essentiellement sur les mesures qui faussent réellement les échanges plutôt que sur l'existence même des ECE. Rappelons que les effets de distorsion de marché ne s'appliquent pas à la Société des alcools du Québec, qui en est exempte.

Troisièmement, nous recommandons au gouvernement du Canada de ne pas limiter la question des monopoles aux seuls monopoles publics. Si la question des monopoles fait l'objet de négociations à l'OMC, alors il faut que le débat traite de l'ensemble des monopoles et des oligopoles, et pas seulement des monopoles publics. Les monopoles et oligopoles privés exercent tout autant, sinon plus, un pouvoir de marché. Il faut aussi discuter de ce pouvoir.

En dernier lieu, nous recommandons au gouvernement du Canada de veiller non seulement à maintenir le rôle social de la SAQ, mais également à le renforcer. Le ministère fédéral et les ministères provinciaux vont tenir une conférence fédérale-provinciale de l'industrie, à Ottawa, du 18 au 20 avril 1999. Comme vous comptez profiter de cette conférence pour rassembler les représentants des différents secteurs touchés par les prochaines négociations de l'OMC, nous vous demandons, dans un esprit de transparence, de nous inviter à y participer afin que nous puissions faire valoir les intérêts de nos membres et de la société civile.

Le président: Merci beaucoup, monsieur LaPerrière. Nous avons environ 35 minutes pour les questions.

[Traduction]

Monsieur Obhrai... et résistez à la tentation de vous lancer dans des comparaisons entre l'Alberta et le Québec. Je vois que vous êtes en train de vous agiter.

Des voix: Oh, oh.

[Français]

Le président: Le monde vient d'Alberta. Vous êtes bien averti. Vous avez bien lancé la balle.

[Traduction]

M. Deepak Obhrai: C'est exact.

Avant de commencer, j'ai écouté les propos de madame au sujet de l'incidence de l'alcool en tant que substance donnant lieu à des abus, ce dont elle parlait. Je crois que tout le monde est d'accord pour dire que l'alcool peut donner lieu à des abus.

• 1045

J'estime qu'il faut sensibiliser la population au fait que l'abus de l'alcool entraîne des conséquences sociales, comme vous l'avez dit. Je suis d'accord avec vous, sauf que j'estime que l'éducation constitue la solution. Les gouvernements ont un rôle à jouer pour transmettre ce message. Vous avez dit qu'il fallait agir par l'entremise des sociétés d'État, et restreindre la disponibilité du produit. Mais je préférerais que l'État emploie des outils éducatifs pour exprimer ce message, et je crois que c'est ce qu'il fait.

Vous avez parlé de ma province, l'Alberta, et j'y étais lorsque les produits alcoolisés étaient vendus dans des magasins appartenant à l'État, et aujourd'hui ces produits sont vendus par le secteur privé. Je peux vous dire ceci: les Albertains sont très heureux que la vente d'alcool ait été privatisée, pour deux raisons.

Premièrement, l'accès au marché a considérablement augmenté. Deuxièmement, les prix ont baissé, la concurrence étant vive. Cela nous ramène au point que vous avez soulevé lorsque vous avez dit qu'il faut restreindre la vente de ces produits pour des raisons sociales. Eh bien, je suis en désaccord, car je crois qu'il faut plutôt sensibiliser la population.

Ce monsieur, là-bas, a fait allusion au fait que certains produits ne sont plus disponibles depuis la privatisation. Je dirais que la réduction observée dans la gamme des produits offerts résulte de l'évolution de la demande, et non de la privatisation. En fait, la part de marché des magasins qui vendent des vins d'appellation contrôlée à Calgary (Alberta) s'est accrue. Vous pouvez vous rendre dans ces magasins et y trouver les produits que vous recherchez.

Ainsi, en tant qu'observateur, et je ne voudrais pas me lancer dans un débat sur la privatisation, je dirais qu'il appartient aux Québécois de décider s'ils veulent privatiser leur réseau ou non—nous sommes heureux qu'il ait été privatisé en Alberta. Il y a donc un désaccord fondamental sur cette question.

Vous vous informez au sujet de l'OMC... à cause de la demande aux États-Unis. Je crois avoir lu dernièrement que seulement 13 États américains ont privatisé la vente d'alcool. Est-ce exact? Il y a donc encore beaucoup d'États où la vente d'alcool est contrôlée. S'ils nous demandent de privatiser ce secteur, ils devront aussi le faire.

Essentiellement, je ne sais pas quoi vous demander. De notre point de vue, la voie choisie par l'Alberta est la bonne. Mais je ne veux pas me lancer dans ce débat au Québec. Je crois qu'il appartient aux Québécois de décider s'ils souhaitent procéder à la privatisation.

Avez-vous des observations, monsieur Guévremont?

M. Ronald Guévremont (responsable des communications, Syndicat des employés de magasins et de bureaux de la S.A.Q.): Oui, j'aimerais faire une observation.

À propos des trois points que vous avez mentionnés relativement à la privatisation en Alberta—et je ne veux pas commenter le débat non plus—lorsque vous parlez d'accès, nous avons dit qu'un accès accru entraînait une augmentation de la consommation. Certains groupes de la population s'en réjouissent peut-être, mais nous savons que les chefs de police dans votre province ne s'en félicitent pas.

Pour ce qui est du prix, comme l'a dit mon collègue, c'est la population qui écope. Les taxes ont baissé, et en bout de ligne la population a perdu au change.

Pour ce qui est de la disponibilité des produits, elle s'est accrue en Alberta, mais ces produits ne se trouvent pas dans un magasin; ils se trouvent dans les entreprises, et ils y demeurent.

Je ne veux pas me lancer dans un débat, mais je voulais simplement vous décrire la situation. C'est tout.

Merci.

• 1050

M. Deepak Obhrai: Je suis plutôt en désaccord avec les trois points que vous avez mentionnés. Au sujet des produits, je ne suis pas d'accord avec ce que vous avez dit. Je crois que la situation est la même de l'autre côté. Les recettes fiscales ont augmenté depuis la privatisation. Les magasins doivent payer des impôts fonciers et des taxes de toutes sortes.

Donc, du point de vue des recettes fiscales, je ne crois pas qu'il y ait de problème. En fait, nos recettes augmentent. L'Alberta a même éliminé son déficit.

Mais nous n'entrons pas dans ce débat. Je veux simplement vous dire que les Albertains sont plutôt contents.

M. Ronald Guévremont: J'en suis sûr, mais nous en parlons beaucoup.

M. Deepak Obhrai: Oui, j'en suis persuadé.

Le président: Monsieur Sauvageau.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Je vais me faire bref, mais je m'en voudrais de ne pas saluer mon syndicat, le Syndicat des employé(e)s de la SAQ, parce que je suis un employé de la SAQ en congé sans solde pour charge publique. J'ai travaillé 10 ans au 89 et mon père a travaillé 35 ans au 89 et au 127, c'est-à-dire à Repentigny. Donc, ça me fait plaisir de vous saluer. On a eu affaire à M. Guévremont à quelques reprises. Je n'ai pas eu de grief, et on peut avoir de bons rapports.

Le président: [Note de la rédaction: Inaudible].

M. Benoît Sauvageau: Oui, oui. Je suis en congé pour charge publique et je ne me sens pas en sécurité. Je suis encore au 89, aux Galeries Rive-Nord. J'ai d'abord occupé un emploi étudiant, quand j'étais âgé de 18 à 20 et quelques années, et j'ai bien aimé; donc, j'y suis resté, même quand je suis entré dans l'enseignement. Je m'en serais voulu de ne pas vous saluer dans ce contexte.

Mon commentaire sera simple parce que Mme Debien me presse de lui laisser du temps. J'aimerais vous poser une question sur votre quatrième recommandation. Quelles démarches avez-vous entreprises auprès des organisateurs de cette conférence du 18 au 20 avril? Pensez-vous y être invités? Est-ce qu'il y a des gens de la société civile qui y sont invités? S'il n'y en a aucun, ce n'est pas par mauvaise foi qu'on ne vous invite pas. S'il y en a plusieurs et qu'on ne vous invite pas, on peut se poser des questions. Je ne sais pas comment cela fonctionne.

Mme Maud Debien (Laval-Est, BQ): Est-ce que je peux poser ma question tout de suite?

M. Benoît Sauvageau: Oui, vas-y.

Mme Maud Debien: Bonjour, messieurs et madame. Soyez les bienvenus à notre comité. C'est au sujet de la recommandation 2. Vous dites que vous demandez aux Américains de replacer leurs demandes dans leur juste perspective. Évidemment, on n'a pas eu le temps de prendre connaissance des dossiers que vous nous avez remis ce matin. Si je comprends bien cette recommandation, les Américains disent que les monopoles d'État peuvent avoir des effets de distorsion. J'aimerais que vous nous expliquiez comment les Américains peuvent dire que les monopoles d'État peuvent avoir des effets de distorsion sur le marché. C'est ma question.

M. Ronald Guévremont: Très bien.

M. Benoît Sauvageau: J'aimerais faire un dernier commentaire. Il me semble que cela fait très longtemps que j'entends parler du dossier de la privatisation. Comme je le disais à Maud, je pense que c'est Rodrigue Biron, du Parti québécois, qui était ministre de l'Industrie quand ce débat a commencé.

M. Jean LaPerrière: Il a commencé bien avant cela.

M. Benoît Sauvageau: Ou peut-être avant.

M. Ronald Guévremont: Je vais répondre à votre première question au sujet de la réunion qui va avoir lieu à Ottawa. Nous avons appris la tenue de cette réunion tout récemment, il y a environ deux semaines, et nous avons fait notre requête. En fait, notre requête s'inscrit un peu dans le sillage de celle de Mme Barlow, du Conseil des Canadiens, qui a raison, je crois. De la façon dont j'ai compris les choses, une des préoccupations de votre comité est de faire preuve du plus de transparence possible vis-à-vis de la population canadienne pour qu'elle puisse comprendre l'importance de l'OMC.

Pour nous, comme syndicat de travailleurs et de travailleuses dans le commerce de l'alcool, l'OMC est énorme. C'est un souffle puissant qu'on pourrait comparer au souffle puissant de la prohibition, en 1921, qui est arrivé également des États-Unis. On l'a connu, ce souffle puissant. Ce souffle puissant prohibitionniste exigeait la fermeture totale du marché. Aujourd'hui, on a affaire à un autre souffle puissant, qui est de même origine, mais qui, lui, demande le contraire: l'ouverture totale du marché.

• 1055

En 1921, nos ancêtres n'ont pas perdu la tête et ont trouvé la façon la plus intelligente d'aborder le problème. Nous vous demandons de ne pas perdre la tête et de ne pas jeter le bébé avec l'eau sale du bain, comme on dit.

Nous parlons de la réunion d'Ottawa, mais nous pourrions aussi parler de toutes les autres réunions qui vont avoir lieu et auxquelles nous demandons d'assister et d'avoir une voix. La demande de Mme Barlow s'inscrit dans la perspective d'une plus grande transparence. Je crois que le comité a tout à gagner là-dedans, parce que plus la population sera au courant de ce qui se passe, plus elle sera en mesure d'adhérer ou non aux politiques que le gouvernement canadien va avancer. C'est dans cette perspective que notre quatrième recommandation a été formulée.

En ce qui concerne la deuxième, je vais laisser mon confrère continuer.

M. Benoît Sauvageau: Savez-vous s'il y a des gens de la société civile qui, jusqu'à maintenant, ont été invités?

M. Ronald Guévremont: Non, nous ne le savons pas.

M. Benoît Sauvageau: Parfait. Merci. On va vous donner la réponse.

M. Ronald Guévremont: Très bien. Merci.

Et pour la deuxième question?

M. François Patenaude: Votre question était de savoir comment les Américains pouvaient reprocher aux entreprises commerciales d'État de causer des distorsions de marché. Leur principale récrimination est que les entreprises commerciales d'État servent traditionnellement à contrôler les importations et à encourager les exportations pour des raisons commerciales, comme l'obtention de devises étrangères ou l'élimination des surplus de production.

Comme on l'a vu, dans le cas de la Société des alcools du Québec, cela ne s'applique pas du tout puisque la production de vin n'est même pas 1 p. 100 de ce qui est vendu.

Pour la rédaction de notre mémoire, on s'est inspirés entre autres d'un document qui a été émis par le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec. Ils font également une tournée, un peu comme vous, pour émettre des recommandations au gouvernement canadien. Dans ce document, on demandait ce qu'on devait recommander comme position aux gouvernements canadien et québécois vis-à-vis de ce que les Américains reprochent aux entreprises commerciales d'État. On disait: est-ce qu'on devrait analyser seulement les distorsions de marché créées par les entreprises commerciales d'État ou les distorsions de marché créées par l'ensemble des acteurs sur les marchés?

Mme Maud Debien: Si je comprends bien, dans le fond, on n'est ni des producteurs ni des exportateurs. Donc, la SAQ n'entre pas du tout dans cette catégorie dans laquelle les États-Unis veulent nous classer.

M. François Patenaude: Vraisemblablement, oui, mais on est un peu surpris d'être ici présents aujourd'hui. Il y a environ un mois, on a appris, par le plus grand des hasards, qu'il y avait des négociations à l'OMC et que la SAQ était concernée. C'est ce qu'on disait dans un article du quotidien Le Devoir.

On a téléphoné au ministère de l'Industrie et du Commerce, parce que la SAQ relève de ce ministère, mais on n'a pas pu nous éclairer quant aux négociations qu'il allait y avoir concernant l'agriculture. On a téléphoné au MAPAQ et on a demandé si la SAQ était concernée par cette question des entreprises commerciales d'État. Ils nous ont d'abord répondu que ce n'était pas le cas, mais quand on les a rejoints par la suite, ils nous ont confirmé que la SAQ était directement concernée par les négociations sur l'agriculture qui allaient débuter à la fin de 1999.

Mme Maud Debien: Merci.

M. Ronald Guévremont: Est-ce qu'il y avait une question sur la privatisation?

Une voix: Non.

M. Ronald Guévremont: Très bien.

Le président: Non, c'était un commentaire. Il ne faut pas toujours réagir aux commentaires ici, sinon on n'en finirait jamais.

Monsieur Bachand.

M. André Bachand: Contrairement à mon collègue Benoît Sauvageau, je ne suis pas un ancien syndiqué de la SAQ, mais je suis un bon client.

Premièrement, je dois vous remercier. J'ai vérifié avec notre attaché de recherche, M. Dupras, dans le résumé d'information qu'on avait. On s'est tapé de nombreuses lectures au cours des dernières semaines, mais jamais je n'avais entendu parler de ça. Jamais. Donc, votre présence ici ce matin me fait prendre conscience qu'effectivement, le choix qu'une province peut faire au niveau de l'alcool pourrait être mis en cause. Si l'Alberta décide de privatiser, c'est son choix, mais si elle veut avoir un monopole d'État sur l'alcool dans cinq ans, elle pourra aussi le faire selon les règles actuelles.

Vous nous dites finalement de laisser le choix aux gens. On ne fera pas le débat sur la privatisation de la SAQ ce matin. Vous nous allumez une lumière aujourd'hui en nous disant: Faites attention, car les entreprises commerciales d'État, comme la SAQ, pourraient faire l'objet des négociations qui vont débuter à l'aube de l'an 2000. À l'heure actuelle, nous n'avons aucune information nous permettant de vous dire que ce sera le cas, mais cela peut se faire par la porte d'en arrière, par exemple dans le cadre de l'agriculture. J'apprécie énormément que vous nous fassiez part de cela.

• 1100

Je crois que votre position est très louable. Il va falloir que les gens soient sensibilisés à cela. Je n'ai pas vraiment de questions à vous poser. Je me contenterai de vous remercier de nous allumer les lumières ce matin. Soyez certains que dans le rapport que le comité doit remettre au gouvernement au mois de juin, il sera question des entreprises commerciales d'État, notamment au niveau de l'alcool. Qu'est-ce que ce sera exactement? On ne le sait pas, mais votre présence ici aujourd'hui va assurer que le gouvernement canadien sera sensibilisé à cette question.

Pour ma part, je crois que les États devraient avoir la possibilité de le faire. S'ils décident de ne pas le faire, ils ne le font pas, mais ils doivent au moins avoir cette possibilité.

C'est certain que les monopoles d'État vont à l'encontre de plusieurs règles du commerce international, mais dans des cas comme celui-là, il faut être raisonnable. Si la Chambre des communes continue dans sa direction actuelle, il y aura peut-être un jour un monopole d'État sur la marijuana.

M. Ronald Guévremont: Ça va prendre la SAQ.

M. André Bachand: On créera la SAM et je ne sais quoi, mais qu'importe. Si cela peut rapporter des taxes et sauver des vies, pourquoi pas.

Donc, j'avais simplement un commentaire à faire. Je remercie les gens de la SAQ de nous sensibiliser à cette question qu'on n'avait pas encore prise en considération.

Le président: Merci, monsieur Bachand.

Madame Folco.

Mme Raymonde Folco: Monsieur le président, je n'ai rien à ajouter à ce que M. Bachand vient de dire. C'est tout à fait ma position. Donc, je me tais.

Le président: J'aimerais ajouter que je me rallie totalement aux propos de M. Bachand. Je dois cependant vous dire, chers amis, que j'ai aussi été un client assez assidu, mais à une époque où vos prix étaient plus intéressants que les prix de votre concurrent ontarien, la Régie des alcools. Depuis que vous avez augmenté vos prix, sans doute poussés par votre sociologue, je n'achète plus vos produits parce qu'ils sont trop coûteux. Je suis retourné chez moi et j'achète maintenant en Ontario.

Voici ma question. Toutes les autres provinces, sauf l'Alberta, doivent se rallier à votre position, n'est-ce pas? Est-ce que ce sont les sociétés des alcools du Canada qui doivent pousser ce dossier auprès du fédéral ou si ce sont plutôt les provinces qui doivent le faire, pour ensuite faire le point dans les discussions?

M. Ronald Guévremont: Monsieur le président, c'est une bonne question. Les régies sont sous l'autorité de chacune des provinces.

Maintenant que vous parlez des autres sociétés des alcools du Canada, sauf dans le cas de l'Alberta, je vous dirai que toutes les provinces au Canada ont une société des alcools ou un monopole, mais que ces sociétés ne sont pas toutes semblables. Chaque province a adapté le monopole aux besoins de sa population.

Vous nous demandez si ce sont ces sociétés ou les provinces qui doivent prendre la parole pour défendre les intérêts de la population. Je crois que ce sont les deux. Les deux doivent être présentes. Étant vous-mêmes députés, vous devez satisfaire plusieurs personnes et, comme on dit, ménager la chèvre et le chou, alors que les intérêts des syndicats des sociétés des alcools provinciales—et c'est la beauté de la chose—coïncident, à toutes fins pratiques, avec les intérêts de la population.

Je crois que les organisations syndicales comme la nôtre ont le droit de parole quand leurs entreprises et leurs intérêts sont en jeu.

Le président: Dans le passé, les objections de nos partenaires commerciaux, surtout les Européens, à l'égard des sociétés des alcools ne portaient pas tant sur l'existence des régies en tant que monopoles que sur leurs pratiques.

• 1105

Les Américains disaient que la régie de l'Ontario avait des pratiques qui favorisaient la production locale de vin ontarien, par exemple. Les Européens disaient que leurs produits étaient difficilement disponibles dans les divers magasins, etc. Aujourd'hui, mis à part les Américains, est-ce que, par exemple, les plaintes que les Européens formulaient pendant les années 1950 et 1960 ont disparu, plaintes qui avaient trait aux pratiques des régies qui, disaient-ils, rendaient plus difficile l'accès de leurs produits au marché?

M. Jean LaPerrière: Je ne peux pas parler pour les autres provinces au Canada, bien que je sois allé visiter la plus grande succursale d'alcools au Canada, qui est à Toronto, dans votre coin. C'est une succursale immense.

Le président: C'est dans ma circonscription, je crois.

M. Jean LaPerrière: C'est la plus grande et la plus belle que j'ai vue. On y trouve toutes les variétés.

Le président: Toute une gamme de produits.

M. Jean LaPerrière: Maintenant, j'imagine que les succursales ne sont pas toutes aussi grandes en Ontario. Concernant le Québec, je peux vous dire, et François en parlait, que l'accès des vins étrangers est pratiquement illimité, en ce sens qu'on trouve les vins d'une trentaine de pays sur nos tablettes. J'ai parlé avec des Européens, entre autres des Français. En France, évidemment, on fait beaucoup de vin. Ces gens venaient visiter des succursales chez nous et disaient qu'ils ne retrouvaient pas autant de variétés de vins dans leur propre pays, en France. Quand on est à Bordeaux, on a du bordeaux; quand on est dans le Rhône, on a des vins du Rhône. Chez nous, il y a tout ça. Il y a des vins d'Espagne, d'Italie, d'Australie, du Chili. On est ouverts sur le monde. Je suis donc porté à croire qu'il n'y a aucun problème à ce niveau-là au Québec.

Le président: Puis-je vous demander si les vins ontariens sont aussi disponibles chez vous?

M. Jean LaPerrière: Oui, il y a aussi des vins du Canada, des vins ontariens...

Le président: De Colombie-Britannique aussi.

M. Jean LaPerrière: Colombie-Britannique.

M. Ronald Guévremont: Le ice wine?

Le président: Oui, le ice wine. Merci beaucoup. Je crois qu'on a inspiré Mme Debien.

Mme Maud Debien: Oui. Je voudrais revenir à l'intervention de Mme Fortin, qui a situé son texte dans une perspective historique, culturelle, sociale et de santé publique. Vous savez très bien que ce qui a été négocié à l'OMC jusqu'à maintenant l'a été dans une perspective strictement commerciale et que le commerce et le social ne font pas généralement bon ménage à l'OMC. Toutes ces questions-là risquent d'être complètement évacuées lors des négociations de l'OMC, même si un grand nombre de témoins sont venus dire au comité qu'au contraire, il fallait que toutes les questions de clauses sociales, de droits de la personnes et d'environnement soient discutées dans le cadre de l'OMC. On sait que plusieurs pays ont actuellement des réserves quant à l'inclusion de ces discussions-là dans le débat.

Pour revenir à la question de l'OMC, je pense que, sur un plan stratégique, vos interventions doivent d'abord se situer dans le cadre de la recommandation 2. Le Québec n'est pas responsable des effets de distorsion dont les Américains nous accusent et pour lesquels ils veulent nous punir. Sur un plan stratégique, je pense que c'est de cela qu'il faut discuter. L'autre question est celle de la santé publique. Ça, c'est important. C'est une autre dimension qu'il faudra faire valoir dans vos discussions concernant l'OMC. Ce sont les deux questions dont il faut discuter. Si vous soulevez les questions culturelles et les questions historiques, au départ, il pourra y avoir déjà une certaine réserve. Vous devez plutôt parler de santé publique et de l'absence d'effet de distorsion au Québec.

• 1110

Je ne sais pas ce que vous en pensez. Voulez-vous faire un commentaire sur les commentaires, comme dit M. le président?

M. Ronald Guévremont: On a pris votre commentaire en note et on vous en remercie. On est d'accord avec vous, bien sûr.

Le président: Nous partageons réciproquement notre expertise.

Merci beaucoup d'être venus.

M. Benoît Sauvageau: Étant donné qu'on a le temps, même si ce n'est pas directement...

Le président: On a juste quelques minutes parce qu'on veut faire une pause.

M. Benoît Sauvageau: Je sais que vous n'êtes pas des gens du siège social de la SAQ mais du syndicat, mais vous pourrez peut-être me répondre. Les vins du Québec ont-ils le même accès au marché que les vins ontariens, français ou espagnols, ou s'ils ont certains avantages sur les tablettes de la société?

M. Jean LaPerrière: Il y a ce qu'on appelle les produits artisanaux.

M. Benoît Sauvageau: Oui, je sais.

M. Jean LaPerrière: Ces vins peuvent être vendus sur les lieux de production ainsi que dans le réseau des succursales. Ils peuvent aussi être vendus dans les marchés publics. C'est en quelque sorte une extension de leur permis.

M. Benoît Sauvageau: Dans les magasins, c'est assez difficile, n'est-ce pas?

M. Jean LaPerrière: Eh bien, je pense que c'est un choix des producteurs.

M. Benoît Sauvageau: Merci.

Le président: Merci beaucoup.

Oui, monsieur Patenaude.

M. François Patenaude: Tout à l'heure vous parliez des Européens. Il y avait des récriminations au niveau du pourcentage de volume des ventes. Les Français se classaient premiers à la SAQ l'an dernier, avec 45 p. 100 du volume des ventes; l'Italie venait en troisième, avec 15 p. 100; ensuite, l'Espagne était sixième, avec 2,1 p. 100. Donc, parmi les six premiers, vous avez trois pays européens. Je ne pense pas que ce soit un problème pour les Européens.

Le président: Je n'ai pas vu les chiffres sur l'Australie et la Nouvelle-Zélande.

M. François Patenaude: Ils sont en annexe. Les chiffres des 31 pays sont disponibles dans l'annexe.

Le président: Merci beaucoup.

M. Benoît Sauvageau: Je vous remercie.

Le président: Mes amis, nous allons faire une courte pause de cinq minutes seulement.

• 1113




• 1123

Le président: Je souhaite la bienvenue à MM. Lafleur et Brodeur de la Coopérative fédérée de Québec. Vous allez faire votre exposé et nous passerons ensuite aux questions.

M. Claude Lafleur (secrétaire général, Coopérative fédérée de Québec): Merci, monsieur le président, mesdames, messieurs les députés. Ma présentation sera assez brève, soit d'une dizaine de minutes, et portera sur la position de la Coopérative fédérée eu égard à l'OMC.

La Coopérative fédérée est une fédération de 97 coopératives et est la propriété de 33 600 membres. Nous sommes impliqués dans l'approvisionnement à la ferme, dans les marchés locaux de viande porcine et également dans le secteur avicole. Nous avons un chiffre d'affaires de plus de 1,8 milliard de dollars par année et nous comptons 7 500 employés, soit 2 500 de plus qu'en 1993. Cette augmentation est surtout due à nos activités d'exportation. Toute cette question touchant l'OMC est donc importante pour nous.

Nous sommes impliqués dans le commerce international, comme je le disais plus tôt. Nous faisons principalement l'exportation du porc. Nous exportons aussi des produits laitiers et des produits acéricoles. Nos exportations représentent plus d'un demi-milliard de dollars par année. Nous sommes la plus grosse entreprise agroalimentaire au Québec.

Dans le cadre de notre présentation de ce matin, je voudrais partager avec vous l'expérience que nous vivons depuis cinq ans, depuis la conclusion ou la mise en oeuvre des accords sur l'agriculture survenus en 1994 et 1995.

• 1125

Puisque nous sommes sur les marchés internationaux, nous avons parfois vécu des expériences intéressantes et parfois aussi des expériences fâcheuses. Ce que nous avons appris sur l'OMC, c'est que depuis 1994, l'agriculture fait partie intégrante des accords internationaux. Auparavant, l'agriculture ne faisait pas partie de ces accords. On peut dire que cela s'est fait avec un certain degré de succès. Un des facteurs du succès a certainement été la présence du tribunal qui juge les différends entre les parties.

On a aussi appris, au cours des cinq dernières années, que, malgré les accords sur l'agriculture, les pays dans le monde ont continué à investir massivement dans ce secteur. Ce fut surtout le cas l'année dernière. Les Américains, par exemple, ont investi et investiront cette année plus de 16 milliards de dollars américains dans le domaine de l'agriculture. Cela en fait le deuxième plus gros budget jamais consacré à l'agriculture depuis que les États-Unis existent. Donc, l'intervention de l'État a continué.

Ce qu'on a appris aussi au cours des cinq ou six dernières années, c'est que la gestion de l'offre—on sait que c'est un sujet extrêmement sensible au Québec—a, malgré l'ouverture, aisément passé à travers la tarification. Depuis que nous avons perdu l'article XI, la tarification existe. La gestion de l'offre a facilement passé à travers toute cette tarification.

Pour ce qui est de l'accès aux marchés, on a eu des expériences assez fâcheuses. En 1994, les pays s'étaient entendus pour ouvrir les marchés à un pourcentage se situant entre 3 et 5 p. 100 du niveau de consommation de 1986 à 1988. Malheureusement, cette ouverture de marchés ne s'est pas faite comme on le pensait et nos exportations de porc en Europe ont été entravées par le protectionnisme européen. L'ouverture des marchés qui avait été consentie en 1994 par les Européens avait permis des exportations de 600 000 tonnes de porc. Celles-ci se chiffrent maintenant à environ 75 000 tonnes. On a donc très peu d'accès au marché européen.

C'est la même chose au niveau du beurre. Les Américains, par toutes sortes d'entourloupettes, nous ont aussi empêchés d'avoir accès au marché du beurre au niveau de la proportion de 3 p. 100 qu'ils nous avaient consentie en 1994.

Ajoutons à cela les modalités d'administration des contingents tarifaires sur l'accès aux marchés, qui varient entre 3 et 5 p. 100. De plus, l'accès aux documents d'importation est extrêmement difficile et fait présentement obstacle au commerce.

En ce qui concerne les subventions à l'exportation, notre entreprise est incapable de vendre du porc en Europe malgré le fait que les coûts de production au Canada sont beaucoup moins élevés. En Europe, le coût de production du porc est le double de celui d'ici. Pourtant, ils parviennent à nous concurrencer sur les marchés européens. Nous sommes incapables de vendre du flanc et des fesses de porc ou du jambon—ce sont des produits quand même intéressants pour nous—parce la commission accorde des programmes d'aide à l'exportation et d'aide à l'entreposage. Il nous est impossible de concurrencer les Européens.

Pour résumer notre expérience des six dernières années, nous sommes satisfaits du fait que l'adaptation se fait graduellement. C'était un de nos objectifs. Au niveau des accords de l'OMC, il est pour nous extrêmement important que les choses ne se fassent pas brutalement et que les gens aient le temps de s'adapter. Nous avons les mêmes objectifs en 1999. Le gouvernement canadien ira négocier à Genève en 1999, en 2000, en 2001 et en 2002, car on pense que cela va durer de trois à cinq ans. Nous lui demandons de négocier des ententes qui permettront au secteur agricole québécois et canadien de s'adapter progressivement et sans brutalité.

Dans la prochaine période de négociations, on demande aussi au gouvernement canadien de prendre acte du caractère particulier de l'agriculture, comme presque tous les pays le font actuellement, et d'être actif dans le secteur agroalimentaire, comme les Européens et les Américains le sont actuellement.

• 1130

En terminant, je tiens à dire que nous suivons de près ces négociations. Nous pensons que les prochaines négociations vont être longues parce que les Européens sont présentement extrêmement réticents à ouvrir les marchés. On le sent. Il y a eu récemment de grandes manifestations à Bruxelles. Comme vous le savez, monsieur le président, le président Clinton est impuissant. C'est connu de tous. Il ne dispose pas du fast track. N'ayant pas cette autorité du Congrès, il lui sera extrêmement difficile d'aller négocier à Genève au cours des deux ou trois prochaines années. Par conséquent, il est important que le Canada présente sa position mais qu'il ne se compromette pas avant que les Américains ou les Européens ne le fassent d'ici deux ou trois ans.

C'est essentiellement tout ce que j'avais à vous dire. Nos objectifs sont clairs. Nous aimons l'idée que les marchés d'exportation s'ouvrent progressivement. Nous aimons aussi l'idée que les secteurs sensibles que nous avons au Québec soient ouverts aux marchés, comme cela s'est fait depuis six ans, mais de façon graduelle et sans brutalité.

Merci, monsieur le président.

Le président: Est-ce que M. Brodeur aimerait ajouter quelque chose à cela?

M. Jean Brodeur (directeur des affaires publiques, Coopérative fédérée de Québec): Non, ça va.

Le président: Nous passons à la période des questions.

Monsieur Obhrai.

[Traduction]

M. Deepak Obhrai: Je vous remercie beaucoup de votre exposé.

Je suppose que votre objectif consiste à ouvrir graduellement le marché, comme vous l'avez déclaré, mais vous n'avez pas dit quelle était la position de votre fédération, sauf en ce qui concerne l'ouverture des marchés.

Comme vous l'avez dit, le marché européen est rigoureusement contrôlé. Les Américains continuent de verser de fortes subventions. Nous avons entendu de nombreux témoins, comme notre collègue l'a mentionné, qui ont affirmé que le Canada devrait attendre jusqu'à ce que les autres pays le rattrapent. Il estime que le Canada est allé aussi loin qu'il le pouvait sans nuire à l'industrie agricole.

Pouvez-vous nous dire quelle position devrait adopter le Canada selon la fédération? Quelle mesure aimeriez-vous que le Canada prenne?

[Français]

M. Claude Lafleur: C'est une très bonne question. Je vous en remercie.

Notre position est assez claire. Celle de 1994, qui avait été acceptée, recommandait des ouvertures de marché de l'ordre de 3 à 5 p. 100 pour l'ensemble des pays. Ce que nous savons maintenant, c'est que ces marchés n'ont pas permis une ouverture de cet ordre. Si on obtenait pour les cinq ou six prochaines années cette concession accordée en 1994, notre entreprise serait capable d'assurer sa croissance.

La concession qui a été établie en 1994, mais qu'on n'a pas obtenue, permettrait à notre entreprise de doubler ses exportations, soit de passer facilement de 500 millions à 1 milliard de dollars.

Notre position est donc la suivante: digérons ce qu'on a accompli en 1994 et qui n'est pas encore mis en oeuvre. On a suffisamment de marge de manoeuvre pour les prochaines années en ce qui concerne l'agriculture. Cela ne donne rien d'augmenter les concessions à 10, 20 ou 30 p. 100 du marché si on est incapables d'obtenir une proportion de 3 p. 100 du marché.

Notre deuxième position, qui est aussi claire que la précédente, est que nous avons au Canada, depuis 1967 ou 1970, un système de gestion de l'offre qui est efficace. C'est un système qui a fait ses preuves, que ce soit au niveau des revenus des producteurs ou des prix pour le consommateur. Par rapport aux États-Unis, depuis trois ans, les prix à la consommation pour les produits laitiers sont équivalents ou plus élevés au Canada, malgré le fait que le prix imposé au producteur agricole est de 30 p. 100 plus élevé.

• 1135

La force de négociation des producteurs a donc fait en sorte qu'ils ont obtenu une plus large part du gâteau. L'objectif gouvernemental est d'assurer que l'ensemble de ses citoyens aient accès à un revenu décent et non de favoriser des compagnies étrangères ou des compagnies multinationales. C'est la position que nous défendons depuis 1994, soit celle de permettre à la gestion de l'offre de continuer. S'il y avait des ouvertures de marché, elles devraient se faire de façon graduelle et progressive.

[Traduction]

M. Deepak Obhrai: Je suppose qu'aux prochaines négociations les autres pays vont frapper à notre porte tout en ouvrant davantage les marchés. Le système de gestion de l'offre est évidemment dans la ligne de tir. Si j'ai bien compris, vous êtes favorables à l'élimination graduelle du système de gestion de l'offre, à condition d'avoir le temps de vous adapter aux changements, car vous voulez profiter de l'ouverture des marchés étrangers. Je suppose que telle est votre position, d'après ce que vous nous avez dit.

J'ai une dernière question. On nous a parlé des produits génétiquement modifiés. Quelle est la position de votre fédération à cet égard, si vous en avez une?

[Français]

M. Claude Lafleur: Sur la gestion de l'offre, je répète notre position: nous voulons que ce soit graduel et progressif. Nous préférerions que la gestion de l'offre demeure. Nous savons toutefois que la tradition de l'OMC est dans la même direction au niveau des ouvertures de marché. L'évolution est engagée dans ce sens-là. C'est la vitesse d'adaptation et de mise en oeuvre de cette ouverture que nous ne connaissons pas. On mentionnait tout à l'heure qu'il fallait demander au Canada de négocier et de faire en sorte d'obtenir de Genève que cette étape soit franchie progressivement. Je ne parle pas ici de deux ou trois ans. Je parle de 15, 20 ou 25 ans d'adaptation graduelle. C'est notre position.

En ce qui concerne les organismes modifiés génétiquement, vous savez que les Européens sont extrêmement réticents actuellement, entre autres à cause de la maladie de la vache folle et aussi du sang contaminé. Ils ont un peu perdu confiance dans la capacité des pouvoirs publics de contrôler les organismes qui ne sont pas «naturels». De plus en plus, les Européens demandent à des personnes au Québec et au Canada de retracer l'origine des produits. On ne veut pas seulement savoir ce qu'il y a dans l'eau, s'il y a des résidus ou non, mais d'où elle vient, comment elle a été puisée, quels ont été les moyens mécaniques utilisés ou quelles étaient les conditions de travail.

Notre organisation est résolument engagée vers les contrôles Haccep et ceux visant à retracer l'origine des produits à moyen terme. En 2003 ou 2004, nous serons capables d'exporter des produits dont on pourra retracer l'origine à partir de la ferme, en passant par l'abattage et en allant jusqu'au consommateur.

Notre position est qu'on devrait permettre le commerce des produits transgéniques. La raison principale est que la population mondiale augmente de 90 millions de personnes par année, soit trois fois la population du Canada. La productivité agricole doit augmenter à raison de 2 ou 3 p. 100 par année. Avec la technologie actuelle, il est pratiquement impossible de le faire sans ces organismes modifiés génétiquement, tout en conservant les terres. Les terres agricoles à l'échelle mondiale sont en décroissance actuellement.

On va donc demander aux agriculteurs canadiens de doubler et même de tripler leur production d'ici 20 ans. Comme vous le savez, cela ne peut se faire en épandant plus d'engrais ou en mettant plus de phosphore sur les terres. C'est impossible. Nous avons besoin de semences qui sont plus productives que celles que nous avons actuellement. Cela s'obtient par le génie génétique. Notre entreprise est engagée dans le canola et dans toutes sortes de produits orientés vers le génie génétique. Nous savons fort bien qu'il y a en Europe une réticence fondamentale à cet égard. Mais l'Europe ne compte que 300 millions d'habitants, tandis que dans le reste du monde, il y en a 6 milliards. On saura trouver les créneaux nécessaires pour poursuivre nos exportations. Le marché européen n'est pas notre marché d'exportation principal; ce sont plutôt les marchés asiatique et américain. Les Américains n'ont aucune réticence face aux organismes génétiques.

• 1140

Le président: C'est intéressant. On demande aux agriculteurs de doubler ou tripler leur production d'ici 20 ans à cause de l'augmentation de la population de la terre.

M. Claude Lafleur: Le Québec ne compte que 35 000 fermes et nous perdons actuellement trois ou quatre producteurs chaque jour. D'ici cinq à dix ans, il ne restera que 20 000 fermes auxquelles on demandera de doubler la production d'ici 20 ans afin qu'elles puissent conserver le même poids sur le marché mondial. Le Canada détient actuellement 3 p. 100 de la production mondiale. Pour qu'il puisse atteindre son objectif, qui consiste à la hausser à 4 p. 100, il faudra que nos producteurs réussissent à doubler leur production, cela avec un nombre bien moindre de fermes. Le même phénomène se produit dans l'Ouest canadien. Il faut donc prévoir une plus grande concentration de la production, ainsi qu'une croissance de cette production à la ferme.

Le président: Merci.

Monsieur Sauvageau.

M. Benoît Sauvageau: Monsieur Lafleur, ça me fait plaisir de vous revoir. Je ne sais pas si le président s'en souvient, mais si ma mémoire m'est fidèle, monsieur Lafleur, nous nous étions déjà rencontrés lors de la première réunion ministérielle.

Le président: À Singapour?

M. Benoît Sauvageau: Oui. Monsieur Lafleur, je n'ai eu le temps que de survoler le document que vous nous avez remis ce matin. Si les réponses à mes questions y figurent déjà, veuillez m'en excuser.

J'aimerais savoir si vous adoptez la même position que la Fédération canadienne de l'agriculture et l'UPA.

M. Claude Lafleur: J'ai oublié de mentionner lors de ma présentation qu'un événement très rare et très important s'est produit dans l'histoire de cette organisation nationale qu'est la FCA. Pour la première fois, nous avons conclu une entente et adopté une position commune sur le commerce, qui a rallié les gens de l'Ouest, les coopératives de l'Ouest, les producteurs de porc, les producteurs sous gestion de l'offre et les membres de la Fédération canadienne de l'agriculture, dont nous faisons partie. En 1994, il n'y avait pas une telle entente, mais cette fois-ci, toutes les organisations agricoles du Québec, y compris l'UPA et la Coopérative fédérée de Québec, ont décidé d'appuyer la position de la Fédération canadienne de l'agriculture. La position que nous présentons au gouvernement canadien représente les vues de 75 à 80 p. 100 de tous les producteurs canadiens.

M. Benoît Sauvageau: Merci. Je n'ai pas d'autres questions.

Le président: Madame Debien.

Mme Maud Debien: Messieurs, bonjour.

Ce matin, certains intervenants nous ont dit que le principal problème de l'Accord sur l'agriculture n'était pas au niveau de l'accès aux marchés, mais plutôt, en grande partie, au niveau de l'interprétation restrictive que le Canada donne à cet accord. On soulève souvent le fait que lors de la signature de cet accord, on prévoyait donner un accès au marché équivalent à 5 p. 100 de la consommation intérieure pour l'ensemble des produits agricoles, tandis que certains pays ont ajusté ce pourcentage à 10 p. 100 pour leurs produits compétitifs, le réduisant ainsi, dans le fond, à 0 p. 100 dans le cas des marchés sensibles. Par contre, ici au Canada, nous avons interprété l'accord de façon très restrictive et maintenu ce pourcentage à 5 p. 100 pour chacun des produits, ce qui a eu pour effet de déséquilibrer l'accès aux marchés. Vous nous disiez que lors des prochaines négociations, on irait encore plus loin quant à la réduction de ces 5 p. 100.

• 1145

Je me demande donc quelle devrait être la position du Canada si nous sommes déjà défavorisés à cause de notre interprétation restrictive dans l'éventualité où on irait encore plus loin lors de la prochaine ronde de négociations. Est-ce que le Canada ne devrait pas, par la suite, utiliser toute la latitude permise dans l'application des règles commerciales internationales? Ne devrions-nous pas nous donner toute la latitude voulue, puisque dans le fond, on se rend compte que jusqu'à maintenant, cette application restrictive nous a défavorisés?

M. Claude Lafleur: Vous venez de faire un bon commentaire. Le Canada a une excellente réputation au niveau international par rapport au respect de ses engagements et il est l'un des rares pays à avoir respecté un petit peu l'esprit de l'entente.

Mme Maud Debien: L'esprit et la lettre.

M. Claude Lafleur: Oui, et la lettre aussi. En 1994, nous avions compris que nous devions concéder progressivement des actions aux marchés de 3 p. 100 à 5 p. 100. Nous avions accepté cela et c'est ce que nous avons fait. Nous soutenions aussi que le soutien interne devait diminuer d'environ 20 p. 100. Notre soutien interne s'élevait à 5,1 milliards de dollars au Canada en 1988 et nous voulions le réduire de 20 p. 100. Il a aujourd'hui fondu de 777 millions de dollars. Notre pays est celui qui a le plus diminué son soutien interne à l'agriculture au cours des cinq dernières années.

Le Canada se présente donc à Genève avec une fiche presque parfaite au niveau de ses engagements face à des pays qui n'ont pas fait ce genre d'efforts. Comme je l'indiquais tout à l'heure, si on obtenait, pour les cinq prochaines années, les concessions qui ont été obtenues en 1994, on aurait suffisamment de marge de manoeuvre pour poursuivre nos activités commerciales. Actuellement, nous sommes restreints du fait que l'Europe, par exemple, n'a pas concédé 5 p. 100 au niveau de la production du porc parce qu'elle l'a englobée dans la production du boeuf, laquelle qui est moins sensible. Lorsqu'elle calcule ses pourcentages, elle fait une moyenne arithmétique. Ce n'est même pas composé.

Mme Maud Debien: Elle a protégé ses marchés sensibles.

M. Claude Lafleur: Si nous réussissons à clarifier cet aspect, nous ne serons pas obligés d'avoir des ouvertures ou de demander des concessions majeures au cours des prochaines années parce que nos gains seront suffisants pour permettre à notre entreprise de poursuivre ses activités commerciales.

Nous disons au Canada d'agir avec prudence et d'utiliser ses cartes de négociation, parce qu'il en a. Il a été respectueux de l'esprit et de la lettre de l'accord, comme vous l'avez dit. Maintenant, qu'il obtienne les mêmes concessions des autres pays avant d'aller chercher toute autre concession.

Mme Maud Debien: Mon autre question concerne les produits transgéniques ou génétiquement modifiés. Je devrais peut-être demander à Mme Folco de vous poser une question en mon nom parce qu'hier, elle a donné un exemple concret et posé une excellente question au sujet du blé stérile. Puisque Raymonde avait peut-être l'intention de poser à nouveau une question semblable, je peux lui céder la parole.

Mme Raymonde Folco: Monsieur le président, voulez-vous que je la pose toute de suite au nom de Mme Debien? Je pourrais également attendre mon tour.

Le président: Allez-y, madame Folco.

Mme Raymonde Folco: Je vous remercie, monsieur le président, et je remercie ma collègue. On a toujours bien travaillé ensemble, vous et moi. D'ailleurs, nous sommes toutes deux de Laval.

Il y a bien sûr un problème d'éthique et de contrôle par rapport, d'une part, au protectionnisme de la part du gouvernement du Canada ou d'un autre gouvernement étatique et, d'autre part, au monopole commercial.

Hier, à Québec, je donnais à un témoin l'exemple du blé stérile. Comme vous le savez sûrement mieux que moi, le blé stérile apporte deux problèmes. D'une part, lorsqu'on produit du blé stérile dans un champ, on ne contrôle pas tout à fait ce qui se passe autour de ce champ. Les semences peuvent très bien se propager et rendre stériles d'autres types de blé sur lesquels on ne faisait pas l'expérience.

D'autre part, il y a une conséquence directe à la production de ce blé stérile. Je citais hier l'exemple de l'Égypte qui est un grand producteur de blé. Dans des pays comme l'Égypte, qui depuis des millénaires produisent leurs propres semences, les paysans pouvaient cultiver le blé à chaque année sans avoir à acheter des semences. Mais ces producteurs-là pourraient se trouver dans une situation où, à chaque année, ils devraient se procurer de nouvelles semences auprès d'une multinationale, Monsanto par exemple, parce que leur blé serait stérile à la fin de la saison.

• 1150

Donc, le deuxième problème se situe au niveau d'une multinationale, et non pas nécessairement d'un État, qui pourrait assez facilement avoir le monopole sur le blé, par exemple.

Il existe un troisième problème au niveau de la sécurité. Lors d'un conflit international, il est facile de s'imaginer qu'un pays dépendant d'un autre pays pour sa production alimentaire majeure, que ce soit le blé ou le riz, par exemple, puisse se retrouver sans aucune production de ces denrées-là.

Enfin, si une maladie atteignait ce type de blé stérile, on pourrait là aussi se retrouver dans une situation qui ne serait pas très différente de la situation mondiale du sida, par exemple.

J'avais soulevé ces exemples-là pour démontrer qu'il y a un problème au niveau de la façon dont un État peut s'y prendre pour protéger ses productions agricoles ou animales, sans en même temps être accusé de protectionnisme, d'une part, mais aussi de monopole, d'autre part. Voilà la question que Mme Debien voulait soulever.

M. Claude Lafleur: J'aimerais ajouter à vos commentaires—puisqu'il s'agit en grande partie de commentaires plutôt que de questions—qu'en 1960, les gouvernements partout dans le monde finançaient la recherche. La recherche appartenait alors au domaine public. Mais depuis une dizaine ou une quinzaine d'années, ce sont surtout les entreprises privées qui s'adonnent à la recherche parce que les gouvernements s'en sont grandement retirés.

Nous demandons à notre gouvernement d'investir en recherche. Les Américains et tout particulièrement les Européens continuent d'investir dans la recherche agricole, ce que le GATT considère être un programme vert, c'est-à-dire sans distorsion commerciale. Dans notre mémoire, nous demandons justement que le gouvernement canadien continue ses activités de recherche et laisse à la disposition du grand public les résultats de cette recherche-là, et non pas aux mains des compagnies privées qui détiennent les brevets.

Pourrais-je vous demander de préciser votre question?

Mme Raymonde Folco: Il s'agit de l'équilibre entre le protectionnisme, d'une part... Je vais revenir un peu en arrière.

Le président: J'aimerais vous demander ce que vous entendez par blé stérile. Pour quelle raison achète-t-on ce blé stérile qui ne se reproduit pas d'une année à l'autre? Il doit sûrement avoir l'avantage d'être plus productif.

M. André Bachand: C'est comme un eunuque, monsieur le président, qui n'a pas de testicules et dont l'ensemble de l'énergie est concentrée dans la masse musculaire. Le blé est un peu pareil.

Des voix: Ah, ah!

M. Claude Lafleur: Ce n'est pas tout à fait cela.

Le président: Monsieur Bachand, vous nous surprenez toujours par votre expertise vraiment extraordinaire.

Monsieur Lafleur, je ne vous invite pas à entrer dans ce sujet.

M. Claude Lafleur: Un organisme comme celui-là, qui est eunuque, a des qualités particulières qui font en sorte qu'il est très productif dans certaines conditions. La compagnie qui a produit ce blé-là possède un brevet d'invention et des codes génétiques auxquels elle seule a accès. Elle a mis un autre code qui rend ce blé stérile.

Le président: Je vois.

M. Claude Lafleur: Ce blé a une très grande productivité et cette qualité fait en sorte qu'il exerce un très grand attrait sur les agriculteurs, bien qu'ils doivent revenir se le procurer à chaque année. Mais les compagnies telles Monsanto ne vendent pas que des semences de blé. Elles vendent aussi tout un programme complémentaire intégré qui comporte des engrais et herbicides. C'est pour cette raison qu'à moyen terme, des coopératives qui appartiennent à 35 000 membres sont en danger.

Le président: Les compagnies qui produisent ce blé stérile—pas nécessairement pour les raisons qu'a données M. Bachand—cherchent à protéger leur marché. Est-il possible d'obtenir une aussi bonne production de blé sans avoir recours à ce blé stérile?

M. Claude Lafleur: Les organismes modifiés génétiquement sont actuellement produits par des compagnies agricoles et surtout des compagnies pharmaceutiques qui détiennent des brevets.

Le président: D'accord, je comprends.

• 1155

Mme Raymonde Folco: Lorsque vous posez la question, monsieur le président, tout dépend de quel côté de la table on est assis. Si on est assis du côté de la table des produits de Monsanto, par exemple, pour ne nommer que cette compagnie-là, elle va dire qu'elle veut protéger son code. Il est assez évident que les agriculteurs, qui sont de l'autre côté de la table, surtout ceux qui vivent dans des pays qui dépendent entièrement ou presque entièrement de la production du blé, doivent se dire que le code qui a été ajouté permet à une seule compagnie d'avoir le monopole total de la production du blé partout sur le globe. On peut très bien voir cela comme une ingérence et un contrôle venant encore une fois des États-Unis. Il y a des répercussions et des conséquences politiques considérables à tout cela. Je pense que vous le voyez vous-même.

Le président: Je m'excuse de vous avoir interrompue. Est-ce que vous avez terminé vos observations sur le sujet?

M. Claude Lafleur: J'ajouterai qu'étant une coopérative qui a des objectifs, une idéologie particulière et des valeurs, nous considérons que le respect de la ferme à l'échelle humaine est important. Dans les négociations de l'OMC, nous ne cherchons pas des outils de concentration, mais des outils qui permettront à un grand nombre d'agriculteurs d'être partout sur le territoire.

Que se passe-t-il lorsqu'on empêche la gestion de l'offre et la péréquation entre les gens? Vous savez que les Gaspésiens habitent une région très éloignée au Québec et qu'ils reçoivent le même prix que les producteurs qui sont tout près du marché à Montréal. C'est un développement régional exceptionnel que les producteurs eux-mêmes se paient. Une compagnie multinationale ne fait jamais cela. Elle s'installe juste à côté du marché et se dit: «Au diable les régions.»

Lorsqu'on parle d'adaptation graduelle dans le cadre des objectifs qu'on poursuit à l'OMC, on fait allusion à des outils qui permettent l'ouverture des marchés, mais qui permettent aussi à des fermes de dimension humaine de continuer à prospérer. C'est pour cette raison qu'on va défendre constamment le principe de la gestion de l'offre.

Le président: Donc, dans l'affaire des bananes, vous êtes à côté des Européens et non pas des Américains, si je comprends bien.

M. Claude Lafleur: Parfaitement. Ce sont des multinationales qui demandent, par des cotisations à la caisse électorale...

Le président: Tout à fait.

M. Claude Lafleur: On pourrait parler longuement des bananes.

Le président: Est-ce que je peux vous poser une question sur les marchés européens?

Comme vous le notez bien dans votre mémoire—au sujet duquel je vous félicite puisqu'il est très pertinent—et comme nous l'ont dit de nombreux témoins au cours des derniers jours, le Canada a déjà tout donné en matière d'agriculture. Nous avons livré la marchandise, comme le disait notre premier témoin ce matin.

Une voix: C'était M. Loubier.

Le président: On a livré la marchandise, donc on n'a rien à donner.

Maintenant, nous nous trouvons en Europe face à une situation où les barrières ne sont pas des barrières tarifaires. Comme vous le dites ici très bien, elles touchent à la souveraineté parce qu'il s'agit de la santé de la population, donc d'une zone très émotive et difficile au plan politique.

Comment percevez-vous nos chances de forcer les Européens à mener des inspections de porc, ici au Québec et en Ontario, comme le font les Américains? Comment en arrivera-t-on à un compromis dans ce domaine, qui semble beaucoup plus difficile à résoudre que celui des tarifs, d'autant plus que nous n'avons pas beaucoup de cartes à jouer parce que nous les avons déjà toutes données?

M. Claude Lafleur: Ça dépend du point de vue. Si je me mets à la place d'un négociateur qui se présente à Genève avec les concessions que j'ai appliquées dans mon pays, je me sentirai en position de force pour exiger des autres le même genre de concessions. On a livré la marchandise; on a même livré beaucoup plus que les autres. En termes de négociations et de cartes dans notre jeu, je ne pense pas qu'on soit en position de faiblesse.

Au Canada, exactement comme à l'échelle mondiale, il y a des gens qui sont en faveur du protectionnisme et d'autres qui, comme la Nouvelle-Zélande et l'Australie, souhaitent l'ouverture des marchés. Le Japon, l'Europe et les gens de chez nous demandent le protectionnisme.

• 1200

Le fait que le Canada réussit malgré tout, par la position canadienne des agriculteurs, à obtenir une sorte de compromis peut servir d'exemple à l'échelle mondiale, car on a des secteurs de l'exportation qui apportent de la richesse et aussi des secteurs sensibles qu'on veut conserver. Ce n'est pas l'idéal car on ouvre d'une part et on ferme de l'autre. Mais c'est ce qu'il faut faire actuellement; tout le monde le fait mais personne ne l'avoue.

Les Américains disent vouloir l'ouverture des marchés, mais, en même temps, ils ont une protection beaucoup plus forte pour le sucre et les arachides que celle qu'on a pour le lait et la volaille. Ils le font aussi, mais de façon un peu plus hypocrite que nous. On a une position qui est vraiment à l'image de la position mondiale et il ne faut pas en avoir honte.

Le président: Je vous remercie, monsieur Lafleur. Je commence à comprendre un tout petit peu la complexité des problèmes agricoles. M. Bachand, lui, comprend tout.

Des voix: Ah, ah!

M. André Bachand: Si vous voulez parler de sexualité, je peux vous en parler.

Mme Raymonde Folco: C'est symbolique.

M. André Bachand: Avec ma référence aux eunuques, je pense que ma crédibilité en agriculture vient de tomber.

M. Claude Lafleur: Non, pas nécessairement. Je la trouve bonne. On l'a notée.

M. André Bachand: Je vous rappelle que dans le cas des porcelets, la castration se fait très rapidement. Je ne suis pas...

M. Claude Lafleur: Le domaine des porcs n'a rien à voir avec cela. C'est vraiment le fait de mettre un gène supplémentaire pour stériliser le blé.

M. André Bachand: Oui, oui.

Le président: Y a-t-il d'autres questions? Docteur Patry. On va encore parler de la sexualité, si vous le voulez.

M. Bernard Patry: Non, merci. J'apprends beaucoup avec mes collègues.

Pourriez-vous élaborer sur la position du Canada concernant le soutien interne et sur le déplacement qui se fait vers les boîtes vertes? Il semble que cela devienne une zone plus verte, le vert s'en allant vers le bleu. J'aimerais savoir ce que vous pensez de tout cela pour les prochaines négociations.

M. Claude Lafleur: Pour la compréhension des personnes présentes, une boîte verte est un programme qui n'a pas d'effet direct sur le commerce ou sur la production, alors qu'une boîte rouge a un effet; c'est une aide directe à la production.

En 1994, on a voulu faire des programmes de soutien comme tous les pays en faisaient, mais en essayant de faire en sorte qu'ils soient le plus verts possible et causent le moins de distorsions possible. On a voulu mettre tous nos programmes dans la boîte verte plutôt que dans la boîte rouge.

Les Américains font actuellement beaucoup de programmes et les mettent tous dans la boîte verte. Mais lorsque la boîte verte est petite comme cela, elle n'a pas beaucoup d'influence sur la production et sur le commerce. Lorsque la boîte est grande comme la salle, elle a un effet sur le commerce. Le trésor public canadien n'aura jamais assez d'argent pour concurrencer les trésors publics européen et américain.

C'est pour cela que même la Coopérative fédérée, avec sa position sur la gestion de l'offre, dit qu'il faut absolument trouver une façon internationale de diminuer les subventions, parce qu'à ce jeu-là, on ne peut pas concurrencer. On peut le faire quand c'est modéré ou pour soutenir les agriculteurs pendant les mauvaises périodes, mais on ne peut pas le faire pour les subventions, etc.

On vise les boîtes vertes, mais de façon modérée, avec un niveau sensiblement égal à celui de tout le monde. Ce n'est pas ce qu'on voit actuellement; on voit les Européens et les Américains profiter de cette définition pour grossir la boîte, de sorte que leurs agriculteurs peuvent nous concurrencer non pas à cause des subventions, mais parce qu'ils bénéficient de programmes d'aide sous différentes formes représentant de grosses sommes d'argent.

Notre position est que le Canada devra négocier pour obtenir un niveau de concurrence qui soit similaire partout dans le monde. Il ne faudrait pas qu'il y ait des boîtes vertes démesurées partout dans le monde alors que nous n'aurions qu'une petite boîte de rien du tout parce que nous n'avons pas d'argent.

M. Bernard Patry: Merci.

• 1205

Le président: Lorsque vous disiez que les Américains avaient investi plus de 16 milliards de dollars dans l'agriculture, parliez-vous de subventions en plus des autres investissements?

M. Claude Lafleur: Ils ont mis 6 milliard de dollars sous forme de subventions directes et le reste dans la boîte verte.

Le président: Dans la boîte verte.

M. Claude Lafleur: Oui, pour l'agriculture uniquement. Il y a aussi 37 milliards de dollars qui vont aux food stamps, une espèce de bien-être social de l'agriculture, mais on ne peut pas les considérer comme des programmes d'aide à l'agriculture. En agriculture, c'est 16 milliards de dollars qu'ils investissent, dont 6 milliards de dollars en subventions rouges, ce qui est possible en vertu du GATT.

C'est une question d'une complexité terrible. Donc, ils n'hésitent pas à soutenir l'agriculture, alors que nous hésitons beaucoup à le faire actuellement.

Le président: Je note que le soutien arrive souvent très près des élections.

M. Claude Lafleur: Vous avez raison. Certaines personnes aux États-Unis ont remercié Monica Lewinski parce que cette affaire est arrivée dans cette période-là. Beaucoup d'analystes américains ont affirmé que la crise personnelle du président avait fait en sorte qu'il investisse en agriculture; beaucoup de ministres le disent sérieusement.

Le président: J'étais à Washington pendant la crise et on a dit que, quelle que soit la chose désirée par un sénateur quelques jours avant le vote, il était impossible de la lui refuser. Vous pouvez être absolument certains que les sénateurs qui ont demandé des subventions pour quelque besoin que ce soit à certaines périodes ont tous reçu satisfaction.

Monsieur Brodeur.

M. Jean Brodeur: J'aimerais compléter la réponse sur le dossier de la position américaine par rapport la position canadienne au niveau du support à l'agriculture. Pour rendre la politique agricole canadienne compatible avec nos engagements internationaux, à partir de 1994, on a tout simplement mis l'agriculture sous une vague de rationalisation importante en éliminant, entre autres, le Nid-de-Corbeau dans l'Ouest, un programme de 560 millions de dollars par année, et le subside laitier dans l'Est. Les Américains et les Européens ont maintenu les crédits agricoles disponibles et les ont transformées en programmes qu'on retrouvait dans les boîtes vertes à ce moment-là. Il y a donc eu deux politiques agricoles différentes: dans l'une, on transformait les programmes en programmes verts et on maintenait les crédits disponibles, alors qu'au Canada, on faisait une vague de rationalisation dans le but de rendre nos programmes et nos politiques compatibles avec nos engagements internationaux.

Le président: Il n'y a plus de questions. Nous vous remercions d'être venus ce matin, messieurs Lafleur et Brodeur. Vous avez clarifié la question par votre mémoire et vos remarques.

M. Claude Lafleur: Je remercie le président et les membres du comité de leur patience et de leur compréhension.

Le président: On ajourne jusqu'à 13 h 30, c'est-à-dire dans une heure et 20 minutes.

• 1208




• 1339

Le président: Nous poursuivons les audiences. Excusez-nous, monsieur Côté, il y a des gens qui arrivent. Je vais commencer par vous donner le temps de présenter vos opinions et vous pourrez ensuite répondre aux questions des députés.

Je vous souhaite la bienvenue devant le comité ainsi qu'à votre collègue, M. Manga. Je crois que vous êtes ici pour nous parler de l'agriculture, vous qui êtes juristes dans le domaine international. Je vous cède la parole.

M. René Côté (professeur, Centre de recherche en droit, sciences et sociétés, Université du Québec à Montréal; témoigne à titre personnel): Je veux d'abord vous remercier de nous avoir invités à présenter cet après-midi un mémoire devant votre comité.

• 1340

Je veux féliciter le comité d'avoir pris l'initiative de tenir de telles audiences afin de permettre aux Canadiens de s'exprimer face aux négociations qui s'engageront bientôt sous l'égide de l'Organisation mondiale du commerce. Vos consultations, qui précèdent l'ouverture des négociations, devraient pouvoir influencer l'action du gouvernement canadien dans cette négociation cruciale pour l'avenir du commerce international, mais aussi pour l'avenir de la société canadienne.

À trois reprises en 12 ans, le Canada a accepté, dans le cadre de négociations bilatérales, régionales et multilatérales, ni plus ni moins que l'équivalent d'un New Deal, étant donné l'ampleur des changements législatifs qu'elles ont amenés, dans la gestion de ses affaires intérieures.

Contrairement à l'idée qu'on peut se faire des discussions qui doivent précéder ce genre de transformation en profondeur, le nouveau contrat social que le Canada a été appelé à adopter par ces trois accords a été dessiné lors de négociations interétatiques conduites derrière des portes closes. Qui plus est, ces négociations interétatiques se sont faites avec des partenaires commerciaux dans un rapport de force qui n'avantage guère le Canada.

Ce sont pourtant dans ces forums internationaux que l'avenir des Canadiens se forge. L'information et la consultation des gouvernements provinciaux sont nettement insuffisantes pour assurer qu'un débat démocratique s'enclenche face aux nombreux enjeux soulevés par ces prochaines négociations. Il faut donc s'assurer que les citoyens aient également leur place dans ces négociations. Vos consultations contribuent donc en partie, mais en partie seulement, à combler le déficit démocratique laissé par les dernières négociations.

L'an dernier, la réaction négative de nombreux citoyens aux négociations de l'Accord multilatéral sur l'investissement, conduites sous l'égide de l'OCDE, a démontré parfaitement les conséquences possibles d'un processus de négociation internationale qui manque de transparence. Dans une société libre et démocratique, on peut de moins en moins accepter que la population soit écartée de l'élaboration d'un nouveau cadre juridique dont les répercussions sont beaucoup plus vastes que toutes les propositions de réforme constitutionnelle de la fédération canadienne des 15 dernières années mises ensemble.

Notre première recommandation est donc la suivante. Dans une société libre et démocratique, c'est aux parlementaires comme vous que revient la tâche d'assurer la transparence du processus de négociation dans le cadre de l'OMC de façon à combler ce déficit démocratique. Vous avez l'obligation d'établir un pont entre le gouvernement et la population canadienne afin que les citoyens puissent prendre part aux changements annoncés par ces négociations.

Parmi les enjeux qui seront abordés dans le cadre des prochaines négociations sous l'égide de l'OMC, l'avenir de l'agriculture est sans doute l'un des plus importants, sinon le plus important. On sait que jusqu'à l'entrée en vigueur des accords de l'OMC, le GATT était relativement mal équipé pour régir le commerce international des produits agricoles. Les restrictions à l'importation des produits agricoles—les quotas—et les subventions à l'exportation ont fleuri sous le parapluie de l'ancien GATT.

Deux accords adoptés dans le cadre des négociations de l'Uruguay sont venus régir de façon toute particulière le commerce agricole: l'Accord sur l'agriculture et l'Accord relatif à l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires.

Ces accords n'ont toutefois pas pris en compte une dimension qui prend une ampleur de plus en plus grande dans le secteur agricole canadien, à savoir l'utilisation croissante d'organismes génétiquement modifiés, nés de la biotechnologie moderne, en agriculture.

L'utilisation des biotechnologies par l'industrie agricole est une des dimensions les plus controversées de l'évolution des sociétés en cette fin de siècle. Quelques événements récents sont là pour nous montrer l'ampleur de cette controverse. J'en donnerai trois exemples.

Premièrement, Santé Canada annonçait, le 15 janvier 1999, sa décision de ne pas approuver la somatotrophine bovine recombinante, une hormone de croissance bovine fabriquée grâce au génie génétique par la société Monsanto. Tout en refusant d'émettre un Avis de conformité pour cette hormone de croissance, entraînant l'interdiction de la vente ou de l'importation de ce produit au Canada, Santé Canada n'a pas exigé un étiquetage particulier des produits laitiers contenant la somatotrophine recombinante.

• 1345

Un document d'information du Bureau de la biotechnologie de l'Agence canadienne d'inspection des aliments affirme même ceci:

    ll n'y a aucun moyen d'identifier les produits à moins que ceux-ci ne soient clairement identifiés comme provenant de vaches traitées avec la [somatotrophine recombinante]. [...] Toutefois, les produits laitiers sont identifiés par pays d'origine, de sorte que les consommateurs peuvent choisir d'acheter ou non les produits importés de pays qui ont approuvé ce médicament.

L'édition du 3 février 1999 du Washington Post nous apprenait que la compagnie Monsanto poursuit ou menace de poursuivre des centaines d'agriculteurs canadiens et américains qui auraient conservé une partie de leur récolte d'une année à l'autre afin d'utiliser les grains modifiés génétiquement de soja et de canola comme semence pour l'année suivante, cela en contravention des licences d'utilisation signées par les agriculteurs.

La Première Réunion extraordinaire de la Conférence des parties de la Convention sur la diversité biologique constate, le 23 février 1999, l'impasse des négociations en vue de l'adoption d'un Protocole sur la sécurité biologique. Ce protocole vise à assurer la protection de l'environnement et de la santé humaine face au commerce international d'organismes modifiés génétiquement. Une des raisons qui expliqueraient l'échec de ces négociations serait les implications trop importantes en matière de commerce international des dispositions du projet de protocole.

Ces exemples démontrent clairement qu'il y a des enjeux de société fondamentaux qui découlent de l'utilisation d'organismes génétiquement modifiés en agriculture. Il serait irresponsable de la part du gouvernement canadien de prétendre que ces débats de société sont le seul fruit de quelques militants écologiques de pays membres de l'Union européenne ou de quelques pays en développement.

Voici notre recommandation numéro 2. Le gouvernement du Canada n'a pas le droit de déposséder les Canadiens, à titre de producteurs agricoles, de consommateurs ou de citoyens, de leur droit démocratique de participer aux décisions sur l'avenir de l'agriculture et de la protection de la santé humaine et de l'environnement en prétextant que ces enjeux sont du ressort de négociations commerciales internationales.

M. Sylvestre Manga (chercheur assistant, Commerce international des produits agricoles et agricoles génétiquement modifiés, Université du Québec à Montréal; témoigne à titre personnel): Les États membres de l'OMC ont exprimé, à l'article 1 de l'annexe A de l'Accord relatif à l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires (Accord SPS) qui traite des définitions, leur volonté de protéger sur leurs territoires la santé et la vie des personnes, des végétaux et des animaux contre les risques découlant des additifs, des contaminants, des parasites, des maladies, des toxines ou d'organismes pathogènes qui sont présents dans les produits alimentaires, les boissons ou les aliments pour animaux.

Ils sont loin d'appréhender la biotechnologie comme un agent ou un vecteur potentiel de pathogénicité du produit agricole. C'est la raison pour laquelle l'Accord SPS ne peut gérer adéquatement le commerce international des produits agricoles à base d'OGM dont le potentiel de pathogénicité, lié essentiellement au manque d'intégrité de l'ADN, est au coeur des négociations en vue de l'élaboration de la norme de biosécurité. Ainsi, l'entrée des produits agricoles modifiés génétiquement dans le commerce international au cours de ces dernières années se fait dans un cadre conventionnel commercial qui ignore tout ou presque sur le potentiel pour la recombinaison de l'ADN de causer la maladie, au même titre que les autres agents de pathogénicité sanitaires et phytosanitaires du produit agricole ordinaire.

C'est pourquoi nous recommandons, troisièmement, que le Canada propose l'inscription de la biotechnologie comme agent de pathogénicité potentiel dans l'Accord SPS.

On pourrait penser que l'inscription, dans l'Accord SPS de l'OMC, de la biotechnologie comme agent potentiel de pathogénicité ferait tort à la libéralisation du commerce international des produits agricoles issus de la biotechnologie moderne. Il n'en est rien, puisque cette adoption serait loin de condamner la biotechnologie comme activité potentielle d'amélioration de la qualité de vie des populations. Ce serait, au contraire, une initiative novatrice dans le processus actuel de normalisation en matière de biosécurité. Elle viserait à établir une norme, jusqu'ici inexistante, pour permettre à l'Accord SPS de prendre en compte la nocivité due à la recombinaison de l'ADN.

• 1350

Par exemple, on sait que l'organisme pathogène est retenu comme un agent potentiel de pathogénicité du produit agricole par l'Accord SPS. Pourtant, l'homme côtoie tous les jours des micro-organismes qui peuvent potentiellement causer la maladie. En réalité, ces micro-organismes ne sont appréhendés comme agents pathogènes que lorsque des preuves ont été établies relativement à leur lien avec une maladie, ou un tort à l'environnement ou à la diversité biologique.

De même, il serait envisageable que la biotechnologie soit retenue comme un agent potentiel de pathogénicité sans nuire aux applications de la biotechnologie dans l'agriculture et l'alimentation. Comme dans le cas du micro-organisme pathogène, la biotechnologie ne serait appréhendée comme pathogène que lorsqu'elle serait la cause de maladies ou de torts à l'environnement ou à la diversité biologique. L'adoption de la biotechnologie comme agent de pathogénicité dans l'Accord SPS pose la question de la technologie en général comme source de la maladie dans l'agriculture et dans l'alimentation.

L'incident commercial survenu entre les États-Unis et le Canada, d'une part, et l'Union européenne, d'autre part, concernant la viande à hormone de croissance prohibée dans l'Union européenne a permis de déceler l'inadéquation de l'Accord SPS à régir le potentiel de pathogénicité de l'hormone de croissance. Consciente du fait que l'accord renferme une norme de pathogénicité incomplète, l'Union européenne a fait savoir qu'elle entreprendrait des démarches pour dénoncer cette lacune et proposer des dispositions à l'OMC pour remédier à la situation. En réalité, étant donné que la technologie n'est pas retenue comme agent potentiel de pathogénicité dans l'Accord SPS, l'interdiction d'importer la viande à hormone de croissance a été considérée comme une mesure discriminatoire et une restriction déguisée au commerce international. Les preuves scientifiques qui avaient été fournies relativement au potentiel des hormones de croissance de causer la maladie, notamment le cancer dans ce cas-ci, n'avaient pu être retenues même si elles pouvaient être appropriées dans des situations différentes. Le jugement a précisé que les communautés européennes maintenaient des mesures sanitaires qui ne sont pas fondées sur des normes internationales existantes.

C'est pourquoi nous recommandons, quatrièmement, que le Canada propose l'adoption de la technologie de développement et d'administration de l'hormone de croissance comme agent de pathogénicité potentiel dans l'Accord SPS.

Les produits agricoles sont de plus en plus le résultat d'une intervention technologique. Les aliments issus du génie génétique, les viandes à hormones de croissance, recombinantes ou non, dont nous avons parlé plus haut, ne sont pas les seuls à devoir être couverts par la législation internationale.

Pour donner un caractère global à la technologie comme agent de pathogénicité potentiel dans le commerce international des produits agricole, les États membres de l'OMC devraient oeuvrer à mettre sur pied des dispositions destinées à assurer la protection de la santé contre toute technologie ou procédé technologique potentiellement capable de causer la maladie et utilisé dans l'agriculture et dans l'alimentation. La norme globale devrait également couvrir aussi bien les technologies présentes que les technologies futures. Cette dimension avant-gardiste est essentielle parce que les innovations scientifiques évoluent rapidement dans ce domaine. Par exemple, à peine avait-on produit les organismes génétiquement modifiés que d'autres technologies parallèles ont été développées pour détruire le vivant de l'aliment à base d'OGM ou pour le purifier.

Seraient également à considérer les technologies ou procédés technologiques tels que les techniques de transformation des aliments transgéniques ou ordinaires, de purification, d'amélioration, de production et d'irradiation devant être retenues comme des agents de pathogénicité potentiels.

C'est pourquoi nous recommandons, cinquièmement, que le Canada propose l'adoption de la technologie comme agent de pathogénicité potentiel dans l'Accord SPS.

Voici notre sixième recommandation. Tout en étant sensible aux intérêts des États-Unis, son premier partenaire commercial, le Canada pourrait continuer de maintenir son image de partenaire idéal en commerce international en jouant la carte de la transparence et de la crédibilité à l'égard des pays en développement. La proposition d'adopter des technologies modernes comme agents potentiels de pathogénicité permet de jouer efficacement cette carte qui est bénéfique à notre commerce international.

• 1355

En conclusion, nous dirons que l'adoption des technologies modernes utilisées dans l'agriculture et l'alimentation comme agents potentiels de pathogénicité doit être perçue comme une démarche visant l'amélioration ou l'adaptation de la norme conventionnelle en vigueur. Cette initiative est innovatrice et avant-gardiste. Elle permet de promouvoir la libéralisation du commerce international des produits agricoles tout en protégeant la santé des populations, des végétaux et des animaux. Elle est digne d'être portée au sein du dispositif conventionnel de l'OMC par notre pays au nom du principe de la précaution.

Ce n'est pas seulement à l'extérieur qu'une telle initiative est salutaire pour le Canada. À l'intérieur, elle encouragerait les uns et les autres à travailler davantage à l'évaluation des risques afin de produire et de commercialiser des produits non pathogènes et de protéger, malgré la libéralisation, nos populations contre les risques de santé liés à la dissémination des aliments à base d'OGM, notamment importés, et d'autres produits agricoles issus des biotechnologies.

Je suis désolé d'avoir parlé très fort.

Le président: Merci, monsieur Manga.

M. Sylvestre Manga: Je vous en prie.

Le président: Est-ce qu'on a des questions à poser à nos témoins?

Monsieur Obhrai.

[Traduction]

M. Deepak Obhrai: Merci de votre exposé.

Avant de devenir membre de ce comité-ci, je ne me rendais pas compte de l'incidence que pouvait avoir la nouvelle technologie sur notre monde d'aujourd'hui. Je vous remercie de nous avoir signalé tout ce que cela suppose.

Je vais laisser Mme Folco poser l'autre question au sujet des multinationales, puisque c'est elle qui a mentionné ce sujet.

Hier, je demandais à l'un des témoins quel organisme mettra en place les mesures de protection. Je comprends que l'OMC soit d'accord sans réserve avec la libéralisation du secteur agricole, et je vois, d'après votre mémoire, que c'est votre cas à vous aussi, mais vous émettez tout de même une réserve.

Pensez-vous qu'à l'échelle de la planète on devrait demander à l'Organisation mondiale de la santé de s'assurer que les OGM, que l'on retrouve maintenant partout dans le monde, font l'objet de réglementations strictes et sont sûrs, ou pensez-vous qu'on devrait s'attendre à ce que le ministère de la Santé de chaque pays concerné le fasse individuellement?

M. René Côté: Vous devez comprendre que l'accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires tient déjà compte des travaux effectués par l'Organisation mondiale de la santé dans le cadre du Codex Alimentarius et des travaux effectués par deux autres organisations qui s'occupent particulièrement des normes phytosanitaires et des normes d'hygiène animale, de même que des normes qui s'appliquent à la santé de l'homme. Mais ces trois accords qui sont soumis à l'OMC doivent être intégrés par chaque pays membre de l'OMC.

Autrement dit, les règles, qui ne sont normalement pas obligatoires, doivent être intégrées par chaque pays dans ses propres lois, et à son propre rythme. C'est ce que stipulent les règlements de l'OMC. C'est d'ailleurs ce qui explique que l'Union européenne ait été défaite sur la question des hormones de croissance destinées aux exportations de boeuf en provenance du Canada et des États-Unis.

Donc, ce n'est pas la bonne tribune pour l'instant, puisque ce n'est pas à cette organisation-là de s'en occuper. Cela devait faire l'objet d'un autre protocole qui était en cours de rédaction et qui portait sur la Convention sur la diversité biologique.

• 1400

Les négociations ont été interrompues à Carthagène en février dernier, partiellement à cause de la réaction du Canada, qui estimait que la question relevait plus des échanges commerciaux que de la protection de l'environnement. Il existe donc un vide à l'heure qu'il est et il n'existe pas de tribune vers laquelle on puisse se tourner pour traiter de ces questions. C'est cela que nous disons.

L'OMC se penchera sur les questions entourant les organismes génétiquement modifiés, mais elle devra intégrer ce dossier de façon à permettre l'établissement de certaines normes. Je doute qu'elle le fasse par elle-même. Je crois qu'elle demandera à un organisme extérieur de s'en occuper. Mais il faut que cela fasse partie des prochaines négociations, peu importe comment.

M. Deepak Obhrai: Pouvez-vous nous expliquer pourquoi le Canada affirme que cette question relève plus des échanges commerciaux que de la protection de l'environnement?

M. René Côté: D'abord, les États-Unis n'ont pas adhéré à la Convention sur la diversité biologique, et le Canada semble avoir hérité du rôle de celui qui empêche, avec d'autres, que l'accord ne soit mis en oeuvre. C'est en tout cas ce que nous avons lu dans le Globe and Mail. Je peux vous donner l'article dans lequel il est écrit que le Canada n'était pas intéressé, puisqu'il s'agissait d'une question purement commerciale dont il voulait que l'OMC se charge.

M. Deepak Obhrai: Merci.

[Français]

M. Sylvestre Manga: Puis-je ajouter quelque chose? Je suis désolée, madame. À la limite, je pourrai peut-être revenir après.

La position du Canada est très similaire, de façon générale, à celle des États-Unis: seuls devraient être considérés, dans le cadre du champ d'application du Protocole sur la diversité biologique, les organismes génétiquement modifiés vivants, qui sont capables de se reproduire au niveau de l'environnement.

À la base, l'idée du protocole était essentiellement de voir les effets des organismes génétiquement modifiés sur l'environnement. C'est une situation qui, à mon avis, est assez claire et qui a beaucoup de sens de façon générale.

Dans le mandat d'établir la norme de biosécurité donné, à Jakarta, aux parties à la Convention sur la diversité biologique, il y avait quand même un volet de santé; il y avait principalement l'environnement, mais également la santé. Le volet santé peut comprendre beaucoup de choses et introduit le problème des produits dérivés d'OGM.

En ce sens, la position du Canada, qui est encore assez proche de celle des États-Unis, est que les produits dérivés, de façon générale, ne pouvant se reproduire parce qu'ils ne sont pas vivants—en général ils sont transformés ou les formats d'ADN sont détruits ou purifiés—, on devrait en donner la responsabilité à l'Organisation mondiale du commerce. En fait, c'est un problème commercial, dit-on. Puisque l'aspect de la santé est moindre, c'est un problème plus commercial qu'environnemental.

Techniquement et scientifiquement, à la table des négociations, on a dit que, même morts, les fragments d'ADN ou les produits des gènes des formats d'ADN, pour parler scientifiquement, pourraient être repris par les bactéries de la flore intestinale, par exemple, ou encore par d'autres organismes vivants au niveau du sol. À la limite, le fragment d'ADN pourrait être mort mais d'autres organismes vivants pourraient consommer les produits de gènes, soit des enzymes ou des protéines de façon générale.

Cela pose donc un problème de santé parce que, même si le produit génétiquement modifié est mort parce qu'il a été purifié, car il est dérivé, il a encore un potentiel de danger du point de vue de la santé et même de l'environnement.

• 1405

Alors, si on prend cette problématique scientifique, le Canada pourrait éventuellement accepter que les produits dérivés puissent être confiés aux organismes qui se penchent sur les aspects commerciaux. Le problème qui se pose est de savoir si, compte tenu du danger potentiel que les produits dérivés posent pour la santé, l'Organisation mondiale du commerce établira par la suite une sous-norme, soit une norme de biosécurité, pour régir ces produits. C'est peut-être la question qu'il faut se poser. Je crois que pour l'instant, cette question demeure sans réponse et que même l'Organisation mondiale du commerce attend qu'on détermine la norme de biosécurité au niveau du protocole pour savoir quelle catégorie d'organismes génétiquement modifiés et de leurs dérivés pourrait appartenir à l'OMC.

Le président: Madame Debien.

Mme Maud Debien: Merci, monsieur le président. C'est un débat très technique, Dieu merci!

Je vais essayer de formuler un commentaire ou une question qui, je l'espère, s'insérera dans le cadre de notre discussion.

Ce matin, un de nos témoins qui nous parlait des mesures sanitaires et phytosanitaires nous a dit qu'à cause des problèmes de surpopulation, de phénomènes environnementaux comme la sécheresse dans certains pays et de la diminution du nombre de producteurs agricoles, à qui on demanderait éventuellement de produire deux fois plus avec moins de ressources, on en arriverait un jour, de toute façon, à devoir utiliser des semences génétiquement modifiées. Il disait que c'est très probablement une question à laquelle on devra faire face très bientôt.

J'aimerais d'abord savoir si vous êtes d'accord sur cette hypothèse et que vous nous donniez par la suite des exemples concrets de mesures sanitaires et phytosanitaires utilisées par certains pays comme barrières non tarifaires.

M. Sylvestre Manga: Je ne saurai peut-être pas répondre à votre deuxième question, mais je vais répondre à la première.

Est-il vrai que, de façon générale, la chute de la production agricole devrait donner lieu à la production d'organismes génétiquement modifiés, notamment de produits agricoles plus productifs? Je crois que, techniquement, cela devrait être le cas. Si on compile des statistiques et qu'on tient compte de la diversification, de problèmes environnementaux, de l'utilisation de pesticides pour la culture biologique et tout, il est vrai, comme on le mentionnait ce matin, que la diminution de la force productrice paysanne pourra nous pousser à prendre un parti pris et à faire en sorte qu'on puisse produire beaucoup plus à partir de peu de moyens. Quand je parle de moyens, c'est vraiment dans tous ces paramètres-là.

Mais le problème, c'est qu'on adopte une approche scientifique. Puisque je suis aussi un aqua-écologiste, je connais un peu le domaine agricole. J'estime que c'est une logique et que le problème qui se pose, c'est le danger potentiel que les organismes génétiquement modifiés aient des effets adverses sur l'environnement ou la santé humaine.

Je ne peux pas aller plus loin en tant que scientifique. La croissance de la population et notamment le pouvoir de production m'indiquent qu'il faudrait, quelque part, trouver des procédés qui nous permettront de produire beaucoup à partir de peu.

Le président: Monsieur Côté.

M. René Côté: Quant aux problèmes qui peuvent exister au niveau des barrières non tarifaires, l'exemple le plus flagrant est celui du boeuf aux hormones. Il faut comprendre que les dispositions de l'Accord SPS prévoyaient qu'on appliquerait les normes scientifiques qu'avaient adoptées les principales organisations internationales, entre autres le Codex Alimentarius, un des organismes internationaux qui génèrent de nouvelles normes en matière de protection des végétaux. Lorsqu'un pays veut imposer des normes supplémentaires, qui vont au-delà des normes posées par les organisations internationales, il est appelé à les justifier et à présenter des preuves scientifiques. Il doit donc dire que ces hormones de croissance sont dangereuses pour la santé humaine et appuyer ses dires de preuves scientifiques.

• 1410

Ce matin, je lisais dans le Globe and Mail que pendant deux ans, le gouvernement britannique avait soutenu que la consommation de boeuf atteint de la maladie de la vache folle n'avait pas de conséquences pour la santé humaine. Et là, tout à coup, on voit un lien entre cette maladie de la vache folle et la santé humaine. C'est sûr qu'il y a un principe de précaution qu'on pourrait invoquer pour faire en sorte qu'on ne considère pas ces normes basées sur la protection de la santé des individus et de l'environnement comme des barrières non tarifaires.

Lorsque les Européens refusent le boeuf aux hormones, ils ne le refusent pas simplement comme produit d'importation, mais également en vue de son utilisation par leurs propres producteurs. Est-ce qu'il s'agit d'une norme discriminatoire ou arbitraire? Je ne le pense pas.

Le président: Merci.

Monsieur Bachand.

M. André Bachand: J'ai perdu mon latin en écoutant la présentation parce que je n'ai pas une formation aussi poussée que nos témoins. J'aimerais que vous m'expliquiez clairement ce qu'est un organisme génétiquement modifié pour que je sois capable à mon tour de l'expliquer à d'autres personnes. Je ne veux rien savoir de HIX et SH2. Les autres membres de ce comité essaient eux aussi de vulgariser ce qu'est un OGM. J'aimerais pouvoir l'expliquer à mes enfants lorsqu'ils auront atteint l'âge de raison, c'est-à-dire 37 ans, l'âge que j'ai. Blague à part, expliquez-moi ce qu'est un OGM. J'en entends parler et je veux comprendre ce que c'est.

Le président: Vous avez donné l'exemple d'un eunuque ce matin.

Des voix: Ah, ah!

M. André Bachand: Eh bien, si j'ai un enfant, c'est parce que je ne suis pas un eunuque.

M. Sylvestre Manga: Un organisme génétiquement modifié est un organisme dont l'ADN a été recombiné. Le langage de l'ADN est un langage universel. C'est la codification de tout ce qui est caractère et hérédité, enfin la génétique de façon générale. Par exemple, si un insecte cause des problèmes à la tomate que je cultive au Canada, je pourrais, puisque le langage de l'ADN est universel, déceler un gène dans un autre être vivant qui exprime un vecteur qui pourrait aller à l'encontre de l'effet de cet insecte-là et m'en servir. Ce gène pourrait provenir de Chine ou d'Afrique, être décelé chez une vache ou même un être humain, ou être prélevé dans un micro-organisme, un parasite quelconque ou un virus.

M. André Bachand: Je comprends bien. Il y a longtemps que les tomates cultivées au Québec ont été génétiquement modifiées et elles le sont encore régulièrement. La clémentine qu'on voit au Maroc n'existait pas auparavant; elle a été modifiée génétiquement. Il y a longtemps que nous vivons avec des organismes génétiquement modifiés et ce, pour toutes sortes de raisons, dont une meilleure production, la résistance au froid, à la chaleur, à l'humidité et aux bibites.

Mme Raymonde Folco: Depuis Mendel, en fait.

M. André Bachand: Je ne sais pas. Je ne l'ai pas connu personnellement. Mon comté est un grand producteur de tomates. Il est clair que les tomates qu'on y cultive ont été génétiquement modifiées, tout comme il est clair que les clémentines qu'on importe du Maroc sont des OGM. Si mes affirmations sont erronées, n'hésitez pas à me corriger. J'aimerais savoir comment nous pourrions établir un protocole applicable à cela.

M. René Côté: J'aimerais apporter quelques précisions au sujet de la modification génétique et des méthodes de sélection naturelle. Comme le disait Mme Folco, depuis Mendel, on a trouvé les règles de la génétique et on a donc la possibilité de croiser des plantes pour obtenir des variétés plus résistantes.

• 1415

De nouvelles variétés étaient produites à partir de croisements. La protection internationale sur les nouvelles variétés végétales date d'une convention internationale des années 1930. Ce n'est donc pas nouveau. Mais ce qui est essentiellement nouveau et qui fait suite aux travaux de Watson dans les années 1950 sur le plan de la découverte de l'ADN, c'est la façon dont cela fonctionne et le fait que plutôt que de faire des croisements entre espèces, on se met à tirer des fragments d'ADN pour donner un certain gène, par exemple le gène Bt qui permet à la pomme de terre ou à un autre produit de générer son insecticide.

M. André Bachand: Ça se faisait avant.

Mme Maud Debien: Non, on ne modifiait pas l'ADN.

M. André Bachand: Oui, on modifiait l'ADN, mais on le faisait à partir de croisements. On faisait un croisement exponentiel qui faisait en sorte qu'il n'y avait jamais de fin. Enfin, vous comprenez ce que je veux dire. Le gène s'isolait. On ne comprenait pas exactement la formule chimique et biologique qu'on connaît aujourd'hui, mais les croisements arrivaient aux mêmes résultats. Finalement, l'ADN était modifié en bout de course.

M. Sylvestre Manga: Je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous dites que l'ADN était modifié en bout de course. Au niveau des applications, le génie génétique n'a vraiment démarré qu'au cours des années 1970. Ce n'est qu'à ce moment-là qu'on a pu entrer dans l'ADN et faire des croisements en transférant des gènes. Vous parlez peut-être d'autre chose ou simplement de croisements.

M. André Bachand: Je crois que les croisements d'ADN et de gènes se font depuis que le monde est monde, que ce soit sur une base volontaire ou non. Ici, autour de cette table, nous sommes le résultat de croisements de gènes. Au niveau des produits agricoles, c'est extrêmement complexe et on a fait des raffinements. Nous sommes désormais capables d'aller chercher directement l'ADN. Nous ne sommes plus limités à faire des croisements en vue d'en arriver à un produit avec valeurs x, y et z. Nous pouvons le faire à partir de l'ADN simplement, ce qui nous évite un paquet d'exercices. Les croisements amènent éventuellement un changement d'ADN, n'est-ce pas?

M. Sylvestre Manga: En fait, du point de vue de la définition, c'est un peu différent. On peut, comme vous le faites, parler couramment de métissage. Mais ici, on parle d'ADN qui a été recombiné, de fragments d'ADN qu'on a pris ailleurs et qu'on a mis quelque part, ce qui nous donne un organisme qui est génétiquement modifié et qui n'aurait pas, au cours de la vie naturelle, pu être créé par la nature. C'est un processus très, très spécifique.

Il est vrai que, de façon générale, la biotechnologie, ou ce que vous appelez croisement d'ADN, se fait depuis très longtemps, mais ce n'est que depuis les années 1970 qu'on modifie des organismes par le génie génétique, qu'on prend un gène, qu'on le transfère ailleurs et qu'on crée un organisme qui est différent et qui, de fait, n'est pas naturel.

Je crois que le problème se situe au niveau de la possibilité que l'Organisation mondiale du commerce puisse tenir compte de cette spécificité qui n'existe pas dans le commerce international. Tel est le défi aujourd'hui. Nous espérons que le Canada puisse appréhender, comme la communauté internationale l'a fait lors de plusieurs forums depuis Rio, les problèmes que peuvent causer à l'environnement et à la santé la technologie elle-même ainsi que tout le processus de développement de ces êtres-là, puisque les OGM sont déjà en circulation. Rien dans l'Accord SPS ne permet actuellement à l'Organisation mondiale du commerce de suivre un cas portant sur la recombinaison de l'ADN.

M. André Bachand: Ce matin, M. Lafleur et d'autres témoins nous ont parlé de la «traçabilité», de l'étiquetage, des lieux d'origine et des efforts de la Grande-Bretagne en vue d'exiger qu'on étiquette les produits génétiquement modifiés.

M. Sylvestre Manga: Je voudrais répondre à cette question spécifique et intéressante. Je crois que nous sommes en présence de deux niveaux différents. Nous voudrions que le Canada propose d'abord qu'on intervienne au niveau de la loi avant de songer à l'identification, une opération qu'on effectue en vue du stockage et de l'envoi et qui permet à une personne de faire un choix. Ici, c'est autre chose.

• 1420

L'organisme pathogène peut rendre le produit agricole nocif et cet organisme est issu de la technologie de recombinaison de l'ADN. Puisque la communauté internationale a avoué que la technologie avait un potentiel de création de la maladie et que cette norme n'existe pas au niveau du commerce en ce moment, dans l'accord de l'OMC, il faudrait que le Canada propose cela. C'est tout à fait à l'avantage du Canada que de proposer cela parce que, de toute façon, on va y arriver.

J'ai été observateur aux négociations pour le Protocole sur la biosécurité. L'OMC attend l'issue du protocole pour voir quelles catégories de produits agricoles lui seront affectées. C'est important.

Est-ce qu'il faudra, au niveau de l'Organisation mondiale du commerce, redessiner une autre norme de biosécurité pour les produits dérivés qui lui seront affectés? C'est là qu'est le problème. Il faut le faire. Il n'y a pas vraiment d'autres solutions parce que même le commerce des produits vivants sera sous l'égide de l'OMC même si c'est le Protocole sur la biosécurité qui s'en occupe.

Dans les deux cas, l'Organisation mondiale du commerce assurera la commercialisation. Il faut donc doter l'Accord SPS de l'OMC d'une disposition en rapport avec le potentiel de la technologie de causer la maladie. C'est tout à l'avantage du commerce international. On pourrait ainsi avoir des normes pour l'irradiation, pour la biotechnologie moderne, donc le génie génétique, et pour toute autre technique ou tout autre procédé de purification. On devrait au moins avoir une norme.

Par exemple, le Sénégal pourrait importer de Taiwan du riz génétiquement modifié qui causerait des problèmes de santé aux Sénégalais. Je suis presque certain que dans l'évaluation des risques de ce produit, le Sénégal ne s'arrêtera pas à vérifier la présence d'un organisme pathogène, d'un additif ou de tout autre agent de pathogénicité standard utilisé dans les produits agricoles ordinaires. Quand il saura que le riz a été génétiquement modifié à la base, il va certainement poursuivre son évaluation des risques sur le fait que la farine, bien que purifiée, est issue d'une technologie quelconque appelée ADN recombinant et reconnue comme ayant un potentiel de pathogénicité. C'est cela, la question.

Donc, en dotant l'Accord SPS...

M. André Bachand: Cet accord fera vivre non seulement les avocats mais aussi les scientifiques. Tant mieux! C'est très complexe. Merci.

M. Sylvestre Manga: Oui, c'est complexe.

Le président: Nous avons un vrai problème d'horaire, chers collègues, car le temps file et il y a encore Mme Folco, M. Patry et M. Sauvageau qui aimeraient poser des questions. Il faudrait le faire assez rapidement, s'il vous plaît.

Monsieur Patry.

M. Bernard Patry: C'est vrai que cela devient de plus en plus complexe.

Merci, messieurs Côté et Manga, de votre exposé. Vous nous avez dit, au tout début de votre exposé, que vous étiez en faveur de la consolidation et vous commentiez les acquis de l'industrie alimentaire biotechnologique canadienne. Puis vous nous avez dit que le Canada devrait défendre la libéralisation du commerce des produits agricoles à base d'OGM dont l'absence de nocivité est prouvée.

Vous nous dites aussi:

    Il serait souhaitable que le Canada propose à la communauté internationale l'adoption, au sein de l'Accord SPS, d'une disposition permettant d'appréhender la technologie en général et la recombinaison de l'ADN en particulier comme agent potentiel de la pathogénicité.

Monsieur Manga, vous nous avez parlé de cette recombinaison. Je veux être bien sûr d'avoir saisi les subtilités. Lorsque vous employez le terme «recombinaison», parlez-vous de la modification de l'ADN? Ai-je bien compris?

Aux recommandations 3 et 5, vous dites que le Canada devrait recommander l'adoption de la technologie et de la biotechnologie comme agents potentiels de pathogénicité dans l'Accord SPS. De quelle façon pensez-vous interpréter ou libeller le mot «potentiel»? Je ne sais pas de quelle façon on peut le dire en termes juridiques, mais l'OMC nous le dira. De quelle façon peut-on légiférer avant de savoir ce qu'il en est?

M. Sylvestre Manga: Le terme «recombinaison de l'ADN» est une autre façon de dire «génie génétique» ou «biotechnologie moderne». C'est la même chose.

M. Bernard Patry: C'est la modification de l'ADN.

M. Sylvestre Manga: C'est cela.

• 1425

M. Bernard Patry: En termes très terre à terre, c'est la modification de l'ADN.

M. Sylvestre Manga: C'est la modification de l'ADN.

M. Bernard Patry: Parfait.

M. Sylvestre Manga: Et la création d'organismes qui ne sauraient exister...

M. Bernard Patry: Ma deuxième question s'adresse à M. Côté ou M. Manga et porte sur le terme «potentiel».

M. René Côté: Dans les critères qui sont énoncés à l'annexe A de l'Accord SPS, on mentionne, comme agents pouvant causer la maladie, les contaminants, les additifs, les toxines et les organismes pathogènes. Une énumération est faite, mais il n'y a pas d'énumération des dangers que peuvent comporter certaines technologies. Il semble y avoir effectivement un vide que les membres de la Convention sur la diversité biologique ont tenté de combler, mais comme ils allaient sur les plate-bandes de l'OMC, on les a fait reculer en leur indiquant qu'on n'accepterait pas un tel protocole.

Il est temps que l'OMC prenne ses responsabilités et aborde la question de la biotechnologie parce que, pour l'instant, on est dans l'incertitude quant à tout problème de commerce international impliquant des organismes modifiés génétiquement.

M. Bernard Patry: Merci, monsieur Côté.

Le président: Ça va?

M. Bernard Patry: Ça va. Merci, monsieur le président.

Le président: Les questions agricoles étaient déjà très complexes, mais lorsqu'on y a ajouté des chimistes en plus des avocats, cela a rendu les choses beaucoup plus compliquées que je n'aurais pu l'imaginer.

Madame Folco. Il faut absolument terminer dans cinq minutes parce qu'il y a d'autres témoins qui attendent.

Mme Raymonde Folco: J'ai une question futuriste, monsieur le président.

Le président: Futuriste?

Mme Raymonde Folco: Futuriste, oui. Je voudrais élargir le débat encore davantage. Peut-être que vous n'aurez pas le temps d'y répondre, mais c'est une question que je brûle de poser depuis deux jours maintenant.

On dit que la biotechnologie nous permet de produire davantage et en même temps de concentrer les lieux de production. Vous êtes d'accord avec moi là-dessus. Quel est l'avenir de l'agriculture à travers le monde ou même à travers le Canada? Est-ce qu'on peut concevoir une époque pas si éloignée de nous, où certains pays décideront de ne plus produire des produits agroalimentaires mais plutôt, par exemple, d'aller dans les télécommunications?

Je prend l'exemple d'Israël, qui a déjà produit des oranges, des tomates et toutes sortes de fruits en très grande quantité et qui a décidé de rediriger toute son économie vers la production de produits électroniques, etc. Est-ce qu'on peut concevoir qu'un pays comme le Canada pourrait décider de faire cela? Et, si oui, est-ce qu'on pourrait concevoir une époque pas si éloignée où des pays développés, comme le Canada, iraient dans cette direction, alors que les pays en voie de développement, comme on les appelle aujourd'hui, deviendraient les dépositaires des produits agroalimentaires et seraient donc ceux qui nous nourriraient? Est-ce qu'on peut voir cette division, ce grand écart, entre des pays en voie de développement et ceux qui sont déjà beaucoup plus avancés?

Monsieur le président, pardonnez ma question.

M. René Côté: J'ai une courte réponse à proposer. Évidemment, on ne demandera pas à l'Arabie Saoudite de produire des tomates demain matin. La tendance qu'on voit actuellement ne me semble pas tant géographique qu'économique. Vous avez parlé vous-même ce matin du gène terminateur, c'est-à-dire celui qui empêche les choses de se reproduire.

• 1430

Présentement, les producteurs agricoles n'achètent pas de semences. Ils passent des accords de licence parce qu'il y a des brevets d'invention, un peu comme les accords de licences pour les logiciels qu'il y avait dans les années 1980, lesquels interdisaient la reproduction des logiciels. Il a fallu une intervention de l'État, tant américain que canadien, pour obliger les producteurs de logiciels à permettre leur reproduction.

De la même façon, l'État a encore un rôle à jouer à l'égard des pratiques commerciales qu'on veut établir. Vous avez entendu les gens de la Coopérative fédérée qui disaient être prêts à s'occuper de biotechnologie, mais que cela voulait aussi dire prendre chez Monsanto leurs semences, leurs produits chimiques et tout ce qui va avec cela, ce qui tuera éventuellement les entreprises comme la Coopérative fédérée. On devra donc donner cela à des grandes sociétés multinationales qui, sur le plan géographique, n'ont pas de problèmes à produire du blé ou autre chose au Canada. Ce n'est donc pas tant une concentration géographique qu'une concentration économique qui est en train de se produire dans le domaine de l'agriculture.

Le président: Monsieur Sauvageau, s'il vous plaît.

M. Benoît Sauvageau: On s'en était un peu parlé...

Mme Raymonde Folco: [Note de la rédaction: inaudible] ...sur l'heure du midi.

M. Benoît Sauvageau: On a truqué nos questions avant notre rencontre, sans le savoir. J'aimerais faire deux brefs commentaires. Si les négociateurs disent que ce n'est pas l'OMC mais plutôt l'Organisation mondiale de la santé qui doit s'occuper de cela, quelle devrait être notre défense?

Pour faire suite aux propos de Mme Folco, le chapitre sur la fin de l'agriculture du livre de Jeremy Rifkin relève-t-il de la science-fiction ou si une telle chose est possible?

M. René Côté: J'ai lu plusieurs livres de Rifkin, mais pas celui-là.

M. Sylvestre Manga: Je peux vous en parler. C'est La fin du travail.

M. Benoît Sauvageau: Oui, La fin du travail; je parlais d'un chapitre de ce livre.

M. Sylvestre Manga: Il y a un chapitre sur l'agriculture moléculaire.

M. Benoît Sauvageau: Est-ce de la science-fiction?

M. Sylvestre Manga: Non. En tant qu'agro-écologiste, je ne pense pas que ce soit de la science-fiction. Il y a quand même des discours différents; certains discours auraient pu être très efficaces il y a quelques années, avant qu'il n'y ait des applications de la recombinaison de l'ADN. Personnellement, je trouve cela assez extrémiste, mais maintenant que les organismes génétiquement modifiés sont déjà produits, la question est tout autre. C'est une réalité, en fait.

En ce sens, ce n'est pas de la science-fiction. Ce sont des choses qui pourraient arriver, mais il y a quand même certainement de l'extrémisme compte tenu du langage utilisé de façon générale.

M. René Côté: Pour ce qui est de la question de l'OMC et de l'OMS, je suis déjà allé à l'OMC, qui s'appelait alors le GATT. Il est certain qu'ils ne se mettront pas à créer des normes sanitaires et phytosanitaires, pas plus qu'ils ne créent actuellement de telles normes, qui sont déléguées à trois autres organes extérieurs: le Codex Alimentarius, l'Office international des épizooties...

M. Benoît Sauvageau: On les connaît, celles-là. On les a apprises par coeur, André et moi. Non, c'est une blague.

M. René Côté: C'est de cette façon que ce sera géré; ce ne le sera pas par les bureaucrates de l'OMC mais par des gens à l'extérieur de cette organisation. Mais il faut que ce soit pris en compte par l'OMC au niveau du commerce international.

Le président: Merci beaucoup. Malheureusement, on a d'autres témoins qui attendent. Je suis certain, chers professeurs, que vos étudiants ne risquent pas de s'ennuyer à l'UQAM. S'ils comprennent tout cela, je ne sais pas dans quelle mesure leurs cerveaux ont été génétiquement modifiés. Merci beaucoup.

Est-ce que M. Bouvier pourrait revenir, s'il vous plaît?

• 1435




• 1440

Le président: Nous accueillons maintenant les représentants du Syndicat des producteurs de lait de Lanaudière. Nous vous remercions d'être venus nous rencontrer, vous et vos collègues, monsieur Bouvier. La parole est à vous. J'espère que vous n'avez pas été trop terrifiés par les perspectives d'avenir que nous ont présentées les témoins qui vous ont précédés.

M. Jean-Guy Bouvier (président, Syndicat des producteurs de lait de Lanaudière): Merci, monsieur le président. Je m'appelle Jean-Guy Bouvier. Je vous remercie beaucoup de nous avoir invités à participer à vos séances de consultation.

Je suis un producteur de lait, ainsi qu'administrateur et premier vice-président du Syndicat des producteurs de lait de Lanaudière. Puisque nous sommes des producteurs, les négociations de l'OMC nous touchent de très près et nous vous expliquerons quelle est notre vision de l'OMC.

Est-ce que vous avez reçu copie de notre document?

Le président: Oui, nous avons reçu votre mémoire.

M. Jean-Guy Bouvier: Notre document s'intitule: «Présentation à la consultation dans le cadre de la préparation aux négociations de l'Organisation mondiale du commerce».

Je vous présenterai d'abord un bref aperçu à court, à moyen et à long terme de l'industrie laitière. Dans notre région, on retrouve 511 fermes laitières dont les revenus bruts s'élèvent à 66,5 millions de dollars, soit 19 p. 100 du revenu régional déclaré, qui est de l'ordre de 350,8 millions de dollars.

La superficie totale de la région est de 1 347 977 hectares et la zone agricole comprend 204 831 hectares, soit 15 p. 100 du territoire.

Notre industrie laitière représente respectivement 27 p. 100 et 5 p. 100 des recettes agricoles québécoises et canadiennes et plus de 56 000 emplois directs et indirects répartis sur tout le territoire du Québec.

La mise en marché collective de la production laitière assure aux consommateurs québécois et canadiens des prix de produits laitiers qui progressent moins vite que ceux des biens en général et des intrants à sa production. Le tableau qui figure dans notre mémoire vous offre une comparaison de différents indices de prix. De 1985 à 1998, l'indice du prix du lait au producteur est passé de 100 à 126,2 p. 100, celui du prix du lait au consommateur à 124,4, celui du prix à la consommation à 143,3, celui des intrants à 139,3 et celui des aliments à 135,1.

D'une part, en plus d'assurer des prix des produits laitiers stables et bas comparés aux prix instables que doivent payer les consommateurs américains, ce système de mise en marché canadien ne coûte rien aux consommateurs du pays.

D'autre part, la gestion de l'offre permet de tendre vers un équilibre de l'offre et de la demande. Ainsi, les producteurs canadiens obtiennent des prix à la ferme qui se rapprochent des coûts de production les plus efficaces. Les gouvernements n'ont pas à intervenir afin de stabiliser les prix, comme c'est le cas dans l'industrie porcine. Il n'en coûte pratiquement rien à nos gouvernements pour ce secteur car la subvention fédérale du secteur laitier, c'est-à-dire le subside, sera complètement abolie d'ici 2001.

De plus, la stabilité des prix du lait payés aux producteurs a permis une augmentation spectaculaire de la production par ferme et des gains d'efficacité.

Ces investissements font en sorte que la production laitière, tant québécoise que canadienne, occupe bien notre territoire et crée une activité économique dans chacune des paroisses, notamment au Québec, ce qui n'est pas négligeable pour le développement de la population et pour nos gouvernements car, sans contredit, ce développement économique entraîne le maintien et la création d'emplois.

Par ailleurs, ces investissements et ces gains d'efficacité se sont toujours faits dans le plus grand respect de l'environnement. En effet, l'élevage des bovins laitiers permet une rotation efficace des cultures et une diminution de l'utilisation des pesticides par une gestion intégrée des fumiers.

• 1445

Une autre des caractéristiques importantes de ce secteur économique réglementé est qu'il permet sans contredit un approvisionnement régulier et de qualité aux industriels laitiers, qui peuvent ainsi faire de bonnes affaires au Québec et au Canada.

Le rendement économique de ce secteur a sans doute un excellent potentiel. On n'a qu'à penser à la multinationale Parmalat, qui s'est portée acquéreur de la compagnie Ault.

Bref, dans ce court aperçu des réalités de l'industrie laitière, vous avez sans doute pu prendre connaissance du fait que ce secteur économique doit être encouragé en vue de son maintien et surtout de son expansion. C'est pourquoi les producteurs de lait de Lanaudière et du Québec vous demandent de faire tout en votre pouvoir pour maintenir les règles qui régissent leur système de gestion de l'offre lors des prochaines rondes de négociations de l'Organisation mondiale du commerce. Ce système est facilement justifiable, entre autres par les différents arguments présentés dans ce court rapport et dans les parties II et III du rapport de la Fédération des producteurs de lait du Québec présenté au MAPAQ, qui verra à défendre cette position auprès du gouvernement fédéral.

De plus, est annexée à ce document une résolution adoptée par les producteurs de lait de Lanaudière qui appuie nos revendications à ce sujet.

À la dernière page de notre mémoire, figure un extrait du procès-verbal de l'assemblée générale annuelle du Syndicat des producteurs de lait de Lanaudière qui a été tenue à la salle L'Ambroisienne de Saint-Ambroise, le mardi 16 mars 1999, à 10 heures:

    Objet: Réouverture des ententes à l'Organisation mondiale du commerce

    Considérant que l'entente de l'OMC a été signée en décembre 1994 après plusieurs années de négociations;

    Considérant que ces ententes seront réouvertes pour négocier dès l'automne 1999;

    Considérant que grâce aux systèmes de gestion de l'offre, les productions régies sous ces égides ont respecté grandement les règles établies dans les ententes de l'OMC;

    Sur motion dûment proposée et appuyée, il est unanimement résolu que les producteurs et productrices de lait de Lanaudière, réunis en assemblée générale annuelle:

      exigent de l'UPA et du gouvernement canadien que les productions régies sous la gestion de l'offre maintiennent leurs acquis car ces systèmes ne nuisent d'aucune façon au commerce des autres pays membres de l'OMC; et

      qu'ils s'assurent qu'en aucun temps les acquis d'une production ne soient négociés au détriment d'une autre.

    Copie certifiée conforme ce 18e jour de mars 1999

Le président: Merci beaucoup, monsieur Bouvier.

Est-ce que vous avez des questions à l'intention de M. Bouvier?

Monsieur Obhrai.

[Traduction]

M. Deepak Obhrai: Vous nous avez donné un bref aperçu du rapport, qui est en français. Je laisserai mes autres collègues poser des questions, mais pour ma part...

Le président: Si vous le voulez, je reviendrai à vous vers la fin.

M. Deepak Obhrai: D'accord. J'écouterai ce que vous avez à dire, et j'aurai peut-être une question.

Le président: Merci.

[Français]

Monsieur Sauvageau.

M. Benoît Sauvageau: Messieurs Bouvier, Lorrain et Lépine, bienvenue à Saint-Hyacinthe et merci de votre présentation à ce comité.

Je suis député de la région de Lanaudière et Mme Maud Debien est presque ma voisine puisqu'elle représente la circonscription de Laval-Est. Nous ne sommes donc pas trop loin.

Mme Raymonde Folco: Moi aussi.

M. Benoît Sauvageau: Ainsi que Mme Folco.

Mme Raymonde Folco: Nous représentons les régions de Laval, Laurentides et Lanaudière, monsieur Sauvageau.

M. Benoît Sauvageau: C'est ça, les trois L.

Mme Raymonde Folco: Tout à fait.

M. Benoît Sauvageau: Avant, c'était Louvain, Lautrec et j'oublie l'autre. Maintenant, c'est Laval, Laurentides et Lanaudière.

J'aimerais savoir si l'ensemble des régions présenteront une recommandation similaire à celle que vous avez signée ce 18e jour du mois de mars 1999 et que vous nous avez lue à la fin de votre présentation.

M. Jean-Guy Bouvier: Oui.

M. Benoît Sauvageau: Est-ce qu'il y a concertation entre tous les producteurs de la Fédération des producteurs de lait du Québec?

M. Jean-Guy Bouvier: Du Québec.

M. Benoît Sauvageau: Et il y a une fédération canadienne, n'est-ce pas?

M. Jean-Guy Bouvier: Oui, la Fédération canadienne des producteurs de lait.

M. Benoît Sauvageau: Tout ça, c'est une concertation.

M. Jean-Guy Bouvier: Oui.

M. Benoît Sauvageau: Vous avez une position commune.

M. Jean-Guy Bouvier: Oui.

M. Benoît Sauvageau: Est-ce que vous connaissez la position de l'UPA et de la Fédération canadienne de l'agriculture concernant le dossier de l'agriculture?

M. Jean-Guy Bouvier: Oui, nous avons certaines données à ce sujet.

M. Benoît Sauvageau: Si je comprends bien, tous les producteurs de lait qui sont membres de la Fédération canadienne des producteurs de lait, qu'ils soient de Lanaudière ou de toute autre région du Québec ou du Canada, ont adopté une position commune.

M. Jean-Guy Bouvier: Je sais que tous les producteurs du Québec partagent le même point de vue à ce sujet.

• 1450

M. Benoît Sauvageau: D'accord. J'ai appris qu'il y avait à Laval quelques producteurs laitiers. Est-ce qu'il y en a aussi à Richmond?

M. Jean-Guy Bouvier: Oui.

M. Benoît Sauvageau: Est-ce que cette consultation que vous faites sur le terrain est répétée dans toutes les régions? Est-ce qu'à la fin du processus, on risque de se faire dire par certains producteurs laitiers, qu'ils soient à Richmond ou dans une autre région, qu'ils n'ont pas été consultés?

M. Jean-Guy Bouvier: Non.

M. Benoît Sauvageau: D'accord.

M. Jean-Guy Bouvier: J'en suis pas mal sûr.

M. Benoît Sauvageau: C'est blindé mur à mur?

M. Jean-Guy Bouvier: Oui, nous en discutons lors de nos assemblées et nous en discuterons à nouveau lors de notre prochaine assemblée qui aura lieu ici, à Saint-Hyacinthe, à l'Auberge des Seigneurs, le 13 avril, si je me souviens bien.

Nous en avons discuté l'automne dernier, lors de notre assemblée semi-annuelle. Tous les producteurs laitiers, qu'ils soient au Québec ou ailleurs au Canada, adoptent pratiquement la même position. Nous avons conclu des ententes à l'échelle nationale, y compris l'entente P6 qui prévoit la mise en commun de tout le lait du Canada. Je crois que nous partageons pas mal le même point de vue là-dessus.

M. Benoît Sauvageau: D'accord. Je vais changer de sujet et vous demander si la décision qu'a rendue l'OMC la semaine dernière sur les exportations de lait affecte les producteurs de Lanaudière et du Québec. Si oui, comment les affecte-t-elle?

M. Jean-Guy Bouvier: L'OMC soutient que notre classe 5 pour le lait va à l'encontre de ses règlements.

M. Benoît Sauvageau: Quelle est cette classe 5 pour le lait?

M. Jean-Guy Bouvier: C'est celle qui comprend les produits laitiers autres que le lait qu'on consomme.

Mme Maud Debien: Les produits transformés.

M. Jean-Guy Bouvier: Oui, les produits transformés.

M. Benoît Sauvageau: Excusez-moi de vous avoir interrompu. Pourriez-vous préciser les répercussions de la décision de l'OMC?

M. Jean-Guy Bouvier: On soutient que cette classe va à l'encontre des ententes de l'OMC et du GATT. Lorsqu'on a conclu les ententes P5 et P6, nous avons dû reclasser notre liste pour qu'elle soit conforme à ces ententes. Nous avons modifié une classe de lait, qu'ils appellent le quota d'exportation, pour qu'elle puisse correspondre au système. C'est ce que les Américains contestent. De telles contestations ne sont pas bien nouvelles; les Américains nous contestent tout le temps, que ce soit dans le lait, dans la volaille ou dans le bois. Il y a toujours quelque chose qui cloche. Il est fort probable qu'ils porteront cette cause en appel.

M. Benoît Sauvageau: Oui, ils l'ont annoncé officiellement.

Le président: Oui, ils portent la cause en appel.

M. Jean-Guy Bouvier: J'en suis bien content. Ils contestent la classe 5 qui comprend les produits de transformation de plus basse gamme.

M. Benoît Sauvageau: D'accord, je vous remercie.

Le président: Madame Folco.

Mme Raymonde Folco: Puis-je avoir un élément d'information? Il n'y avait rien dans les journaux à ce sujet ce matin, mais j'ai entendu à la télé—corrigez-moi, monsieur Bouvier, si ce n'est pas correct—que cela ne touchait que 5 p. 100 de la production laitière.

M. Benoît Sauvageau: Est-ce que cela les touche dans leur quotidien?

Mme Raymonde Folco: Oui, 5 p. 100.

M. Jean-Guy Bouvier: Oui, nous parlions de 5 p. 100 de la production laitière. Mais les frontières qui longent le Canada et les États-Unis sont longues; elles s'étendent de la Colombie-Britannique jusqu'au Maine. Les sondages qu'on a faits aux douanes canadiennes ou américaines indiquaient que les Canadiens qui allaient faire leur épicerie aux États-Unis rapportaient au moins la valeur de 5 p. 100 de produits laitiers au Québec. On pensait que nos marchés étaient déjà ouverts à 5 p. 100 de cette façon-là. C'est ce que les Américains contestent actuellement.

Nous avons fait une étude à ce sujet et évalué à 5 p. 100 le marché qui se faisait à toutes les semaines. Plusieurs Canadiens allaient faire leur épicerie aux États-Unis, mais il y en a actuellement peut-être un peu moins.

Mme Raymonde Folco: Monsieur Bouvier, les gens de Châteauguay se rendaient à New York tout le temps.

M. Jean-Guy Bouvier: Oui.

Mme Raymonde Folco: J'imagine que c'est la même chose chez vous.

M. Jean-Guy Bouvier: C'est exact. Il est sûr que si on perdait ces 5 p. 100, les Canadiens iraient quand même faire leur épicerie aux États-Unis. Nous craignons que si l'écart entre nos taux de change rétrécit, les Canadiens iront davantage acheter aux États-Unis. Si nous perdions nos 5 p. 100 lors de cette négociation et que nous étions obligés d'ouvrir encore notre marché de 5 p. 100, nous perdrions 10 p. 100. Comme vous le disiez tout à l'heure, si la situation actuelle nous affecte, elle sera pire si nous perdons.

• 1455

Le président: Est-ce que ce 5 p. 100 représente la plupart de vos marchés aux États-Unis? C'est le seul marché qu'on a aux États-Unis, n'est-ce pas?

M. Jean-Guy Bouvier: Vous parlez des exportations qu'on fait aux États-Unis?

Le président: Oui.

M. Jean-Guy Bouvier: On exporte aussi des produits aux États-Unis, surtout des fromages fins.

Le président: C'est vrai, les fromages fins.

M. Jean-Guy Bouvier: On n'exporte pas de lait parce qu'ils sont autosuffisants à cet égard. On perce de nouveaux marchés pour les fromages fins, mais c'est minime parce qu'ils sont conservateurs. Les marchés sont difficiles à trouver.

Le président: Le fromage fin ne fait pas l'objet d'une objection de la part des Américains en tant que produit subventionné, n'est-ce pas?

M. Jean-Guy Bouvier: Non.

Le président: Vous avez dit qu'il fallait absolument protéger le système de gestion de l'offre. Ce matin, la Coopérative fédérée de Québec est venue nous présenter un très bon mémoire rempli de bons renseignements. On dit que pour le lait écrémé tout au moins, le tarif doit être réduit de 237 p. 100 à 200 p. 100 d'ici l'an 2001.

M. Jean-Guy Bouvier: La réduction des tarifs.

Le président: Oui, c'est ça. Est-ce que ce tarif de 200 p. 100 serait suffisant pour protéger votre marché ici, au Canada?

M. Jean-Guy Bouvier: Je dirais que oui.

Le président: Jusqu'à quel point faut-il descendre? Évidemment, on va encore négocier des baisses parce que ce tarif a duré pendant cinq ans. Si on réduit encore de 36 p. 100 dans les cinq prochaines années, jusqu'à quel point pourra-t-on aller sans que vous vous inquiétiez de plus en plus?

M. Jean-Guy Bouvier: Il n'y a pas seulement le tarif qui est inquiétant. Le tarif de 236 p. 100 qui, selon ce que vous dites, sera réduit n'est pas la seule chose qui entre en ligne de compte. Tout à l'heure, on a parlé de ceux qui vont faire leur marché aux États-Unis. La valeur de notre monnaie entre toujours en ligne de compte. Actuellement, ce n'est pas dangereux car vous n'irez pas faire votre épicerie aux États-Unis; c'est plus cher ou aussi cher qu'ici et, en plus, vous perdez de l'argent avec la dévaluation du dollar. Dans ce cas, il n'y a pas de problème à 200 p. 100, mais s'il descendait à 100 p. 100, par exemple, et que notre dollar reprenait de la valeur, on serait affectés.

Le président: Ça, je le comprends.

M. Jean-Guy Bouvier: Quand il avait été négocié à 200 p. 100, c'était une bonne chose et une bonne façon de nous protéger.

Le président: Mais le problème est qu'on ne peut pas contrôler le taux de change.

M. Jean-Guy Bouvier: C'est notre inquiétude.

Mme Raymonde Folco: [Note de la rédaction: inaudible].

Le président: Beaucoup de nos exportations sont bien protégées à ce niveau, du moins pour le moment. Il y a des années, à Toronto, mon professeur disait qu'avec un taux de change de 65 p. 100, on n'avait pas besoin du libre-échange avec les États-Unis et qu'avec un dollar à peu près égal, même le libre-échange ne servirait à rien, car le marché serait impénétrable.

M. Jean-Guy Bouvier: Ce n'est pas intéressant.

Le président: En tout cas, c'est hors de notre compétence. On a suffisamment de questions à poser. Y a-t-il d'autres questions?

Monsieur Obhrai.

[Traduction]

M. Deepak Obhrai: Nous avons entendu ce matin des représentants des coopératives. On a entendu dire que les coopératives savaient que des pressions s'exerçaient dans la mise en marché, du côté de la gestion de l'offre, mais qu'elles étaient d'accord avec ce qui se passait, sachant qu'elles disparaîtraient en temps et lieu. Et pourtant vous nous demandez pour votre part de maintenir le système de gestion de l'offre de la mise en marché. Cela semble quelque peu contradictoire. Qu'avez-vous à dire là- dessus, étant donné que les témoins de ce matin affirment que ces pressions disparaîtront graduellement?

[Français]

M. Jean-Guy Bouvier: C'est le point de vue des coopératives laitières ou d'une coopérative fédérée; c'est le point de vue des industries alimentaires ou de transformation, mais elles n'ont pas tout à fait la même vision que nous, parce qu'il y a deux différences entre le fait d'être transformateur et celui d'être producteur.

• 1500

Quand on est transformateur et qu'on garde la même marge de profit pour faire de l'exportation ou vendre localement dans le pays, il n'y a pas de problème. Mais quand on est producteur, qu'on veut être compétitif et que l'industrie nous incite à être productif pour faire de l'exportation et être compétitif, c'est autre chose. Pour être compétitif sur le marché, il ne faut pas que ce soit pris tout le temps sur le dos de celui qui produit à la base. C'est plus facile pour les transformateurs: ils transforment le produit, gardent leur marge de profit, puis se trouvent des acheteurs. Comme producteur, il faut se garder une marge de profit pour être capable d'avoir une continuité à sa ferme, de progresser et d'en vivre décemment. C'est notre point de vue en tant que producteurs et c'est pour cela qu'on n'a pas le même point de vue que les coopératives. Par contre, on vit avec les coopératives et on s'entend normalement assez bien avec elles. De temps en temps, on doit ajuster notre tir.

Le président: Madame Debien.

Mme Maud Debien: Je voudrais revenir sur la déclaration qu'a faite ce matin M. Lafleur de la Coopérative fédérée à la suite de l'intervention de M. Obhrai. M. Lafleur, si j'ai bien compris, n'a jamais dit qu'il fallait éliminer la gestion de l'offre. Il a dit qu'un jour, peut-être, la gestion de l'offre serait éliminée, mais dans la mesure où l'accès au marché serait égale pour tous les pays, ce qui n'est pas le cas actuellement. Le Canada, comme tous les intervenants sont venus nous le dire ce matin, a fait des efforts énormes pour se soumettre aux derniers accords sur l'agriculture alors que l'Union européenne et les États-Unis ne l'ont pas fait en trouvant toutes sortes de mesures pour contrer l'Accord sur l'agriculture.

Je ne pense pas que M. Lafleur ait dit qu'il était contre la gestion de l'offre; il a plutôt dit que si un jour les règles de l'Accord sur l'agriculture étaient claires et respectées par tous les pays, le Canada serait possiblement aussi compétitif que les autres pays et la gestion de l'offre ne serait plus nécessaire, mais pas dans le contexte actuel. Donc, M. Lafleur a dit qu'il fallait que le système de gestion de l'offre soit maintenu jusqu'à ce que toutes les règles soient respectées par tout le monde. Telle est ma compréhension du débat de ce matin avec M. Lafleur. Si mes collègues ont compris autre chose...

M. Jean-Guy Bouvier: Est-ce que je peux...

Le président: Il nous a dit clairement qu'on ne pouvait jamais prédire l'avenir, mais qu'on pouvait être certains qu'il y aura des ajustements à faire et qu'il faudra s'ajuster aux conditions nouvelles. Ce qui est important, c'est que ces ajustements ne soient pas trop brusques pour que les gens puissent s'y faire. Il faut avoir du temps pour se préparer aux changements de la vie. Cela me semble très compréhensible.

[Traduction]

M. Deepak Obhrai: Il s'agit d'un processus graduel sur 10 à 15 ans.

[Français]

Le président: Dix ans, quinze ans.

Mme Maud Debien: [Note de la rédaction: inaudible].

M. Jean-Guy Bouvier: Comme l'a dit madame tout à l'heure, on a fait notre part, au Canada, pour se plier aux normes de l'OMC: les subsides ont été pratiquement enlevés ainsi que les autres aides qui ne comptaient pas pour l'OMC. On a même devancé les autres pays qui, eux, n'ont encore rien fait; ils ont seulement contourné les règles pour continuer de faire ce qu'ils faisaient avant. Au Québec et au Canada, on a fait notre devoir. Je n'ai pas assisté ce matin à l'intervention de M. Lafleur, mais je pense qu'il a la même pensée que nous parce qu'il n'y a pas très longtemps, il a travaillé un peu pour nous.

• 1505

Nous, les producteurs agricoles, sommes à la base et nous devons pouvoir vivre décemment de l'agriculture et nous assurer qu'il y aura continuité sur nos fermes. Madame nous a présenté tout à l'heure sa vision futuriste de l'agriculture. Je ne crois pas qu'un pays comme le nôtre puisse arrêter de faire de l'agriculture pour faire autre chose. Que ce soit au Canada ou au Québec, il y aura toujours de l'agriculture, à condition qu'on offre aux agriculteurs un prix décent pour leurs produits afin qu'ils puissent vivre décemment, comme tout autre membre de la société. Tel est mon point de vue. Mes enfants prendront la relève sur ma ferme et je crois qu'ils partagent ma vision. Mais peu importe le domaine où l'on oeuvre, il faut que ce soit rentable, qu'on puisse vivre décemment et qu'on soit capable de progresser. Je crois que les producteurs du Québec partagent ce point de vue.

Le président: L'année dernière, j'ai rencontré des producteurs laitiers d'Irlande du Nord qui font partie de la famille de ma femme qui étaient exactement du même avis. Je crois que cette perception ne change pas d'un pays à l'autre.

Merci beaucoup, messieurs Bouvier, Lorrain et Lépine d'être venus nous rencontrer ici cet après-midi. Nous allons transmettre au gouvernement, par l'entremise de notre rapport, les inquiétudes que vous avez exprimées.

M. Jean-Guy Bouvier: Merci beaucoup.

Le président: Nous allons maintenant entendre les représentants de la Chambre de commerce des Maskoutains. J'ai appris que ce mot signifiait les gens de Saint-Hyacinthe.

Bienvenue, messieurs Cloutier et De Tilly, devant le comité. Nous vous remercions d'être venus partager vos opinions avec nous aujourd'hui. Je vous invite à commencer votre intervention.

M. Denis Cloutier (directeur général, Chambre de commerce de la Municipalité régionale du comté des Maskoutains): D'abord, compte tenu de la spécificité de notre région, le principal sujet que notre chambre de commerce désire aborder dans le cadre des présentes séances est évidemment le domaine de l'agriculture. Je crois que les statistiques canadiennes sont assez éloquentes au sujet de l'importance de l'agriculture dans notre économie. Vous connaissez sûrement ces chiffres mieux que moi. Cette proportion-là est encore plus importante ici, dans notre région.

Si on se penche sur la huitième ronde de négociations des accords du GATT, on constate que le canevas général était que l'ensemble des mesures ou des objectifs visés devait favoriser une concurrence non pas sur le terrain des subventions, mais bien plus sur le rapport qualité-prix.

À la Chambre de commerce, on apprécie grandement l'invitation que vous nous avez faite dans le cadre de ce vaste exercice de consultation. Cependant, vous comprendrez que compte tenu d'un laps de temps aussi court—nous avons eu à peine deux jours pour nous préparer—et des préoccupations de la Chambre de commerce, qui s'efforce d'appuyer l'épanouissement économique de façon générale et non pas de faire une intervention directe auprès des entreprises, notre présentation sera loin d'être aussi étoffée que celle de plusieurs autres participants.

Par contre, différentes discussions et consultations que j'ai eu le loisir de faire au cours des dernières heures me permettent de me faire le porte-parole d'un certain nombre d'intervenants et de vous présenter les éléments suivants.

D'abord, il est clair qu'indépendamment des revendications et des éléments positifs ou négatifs, les accords sur le commerce et les enjeux dont il est question ici revêtent une importance primordiale. La liste d'attente des 30 ou 40 pays qui attendent d'en faire partie le démontre de façon assez éloquente.

• 1510

Cela dit, les enjeux sont considérables. On a déjà pris des dispositions afin de remettre un peu d'ordre dans les subventions et les pratiques douanières, qui sont, à mon avis, les deux grands axes. Comme la personne dont j'ai eu le plaisir d'entendre un petit bout de présentation tout à l'heure, on semble dire de façon générale qu'au niveau canadien, particulièrement dans le domaine de l'agriculture, nos devoirs ont été faits et même largement dépassés dans bien des cas.

À ce niveau-là, le Canada a quelques longueurs d'avance sur les autres pays membres. On a su respecter les règles établies. Que dire des subventions de l'ordre de 10 milliards de dollars dont ont bénéficié les agriculteurs américains il y a quelques mois? Comment, dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce, le Canada peut-il supporter de tels actes? Comment peut-il faire preuve d'ouverture et vouloir progresser encore davantage dans l'application des règles et même les pousser plus loin? C'est difficile à envisager pour le moment.

En Europe, la même chose se produit. On aurait accordé 6,7 milliards de dollars de subventions au niveau de l'exportation. Face à de tels éléments, comment pourrions-nous nous positionner dans le cadre de ces accords-là, alors qu'on avait convenu d'atteindre comme objectif une réduction de 20 p. 100 des subventions? Selon les chiffres qu'on m'a donnés, le Canada aurait réduit ses subventions de 25 p. 100, dépassant les objectifs visés.

Dans le domaine de la production du lait, où le Québec génère 75 p. 100 de toute la production laitière canadienne, les subventions sur la base du volume de production, qui étaient de l'ordre d'un peu plus de 6 $ l'hectolitre il y a quelques années, vont disparaître complètement à partir de l'an prochain.

Quand on regarde la liste de l'ensemble des règles et des modifications à apporter, on voit que le Canada a très bien taillé sa place. La question n'est pas de voir comment le Canada est en mesure de respecter ces règles-là, mais comment il doit se positionner lorsque ces règles-là ne sont pas respectées par les autres pays signataires de ces accords. Je crois que c'est la question centrale.

Au-delà de cela, il y a bien sûr le désir des agriculteurs de vivre décemment, ce qui est bien normal. Je crois que le Canada devra affirmer sa position et demander aux autres membres de respecter les règles qui ont été établies par l'ensemble des gens présents.

Finalement, d'ici à ce qu'il y ait une normalisation des normes, si vous me permettez d'utiliser cette expression, il sera difficile pour l'industrie canadienne d'aller plus loin dans l'application des règles qui ont été établies antérieurement, de même que dans la diminution des subventions accordées aux agriculteurs.

Voilà essentiellement la position que la chambre de commerce souhaitait vous présenter cet après-midi.

Le président: Merci, monsieur Cloutier.

Monsieur De Tilly, aimeriez-vous ajouter quelque chose?

M. Mario De Tilly (commissaire industriel, Région de Saint-Hyacinthe): Sans revenir sur les quatre principaux engagements de la huitième ronde du GATT, j'aimerais souligner que l'organisme que je représente est un centre local de développement qui est unique au Québec. Il regroupe des organismes dont la principale vocation est de voir au développement économique du milieu où ils sont implantés.

Face à ces quatre engagements, nous avons également certains questionnements parce que, dans la plupart des cas, le Canada réussi à s'acquitter des obligations que 138 pays s'étaient engagés à respecter au départ.

• 1515

Pour ce qui est du contrôle des tarifs douaniers aux frontières, les réductions de 36 p. 100 prévues dans les engagements ont été, semble-t-il, respectées par le Canada. Il a fait de même aux niveaux de l'accès minimum au marché, des exemptions de tarif douanier pour 3 p. 100 des volumes, de la réduction des subventions à l'exportation et des soutiens internes à l'agriculture, qui devaient être réduits de 20 p. 100. Tous ces objectifs ont été, semble-t-il, atteints par le Canada.

Outre le fait que plusieurs de nos partenaires et non les moindres, notamment l'Europe, n'ont pas réussi à respecter ces engagements, il y a d'autres éléments qui nous laissent perplexes. Comme l'a expliqué M. Cloutier, Saint-Hyacinthe est une technopole reconnue au niveau international. Il est important de préciser qu'elle a été la première technopole reconnue au Canada par l'International Association of Science Park. Il est aussi important de préciser qu'elle est la seule technopole au niveau mondial à être spécialisée dans un seul secteur, c'est-à-dire l'agroalimentaire. Il est également important de préciser que sur les 42 entreprises de production et de transformation agroalimentaire établies sur son territoire, 15 sont des exportatrices nettes et génèrent à elles seules 527 millions de dollars en exportations. Il n'est pas nécessaire de vous dire que 65 p. 100 de la transformation du porc est faite par une entreprise de chez nous qui s'appelle Olymel et qui dépend énormément des marchés d'exportation.

L'ensemble des entreprises de la MRC des Maskoutains, qui compte environ 320 entreprises, exportent chaque année pour 900 millions de dollars. C'est donc vous dire l'importance d'accords comme ceux de l'OMC. Dans bien des cas, nos entreprises sont en concurrence avec des sociétés qui sont établies sur d'autres continents, particulièrement dans des pays en émergence, dans le continent africain et le continent asiatique.

L'une de nos préoccupations est la suivante. Dans plusieurs de ces pays, les droits de la personne ne sont pas nécessairement respectés, particulièrement lorsqu'on parle des droits du travail. Lorsqu'une entreprise de chez nous est en concurrence avec une société qui évolue en Afrique ou en Asie et qui bafoue les droits de la personnes et les droits de l'environnement, il lui est difficile de bien compétitionner sur ces marchés et également sur des marchés que se partagent ces mêmes sociétés. Certains pays pratiquent encore certaines formes d'esclavagisme et exploitent le travail des enfants, et ces mêmes sociétés se trouvent souvent en concurrence avec les entreprises de chez nous. Nous croyons donc que l'OMC, qui est une organisation reconnue, devrait être en mesure de scruter attentivement ce qui se passe à ce niveau-là.

Pourquoi l'OMC? Pourquoi pas l'OIT ou encore un organisme comme l'ONU ou l'UNESCO? Tout simplement parce que, de toutes les organisations internationales, seule l'OMC compte un nombre important de pays membres. On sait qu'il y a 30 autres pays qui attendent de pouvoir entrer dans ce club, dans cette organisation qu'est l'OMC.

Pour ce qui est de faire respecter les conventions du travail, il est important de préciser qu'on ne peut pas le faire à court terme. Je pense qu'on devrait réagir au niveau canadien. Le Canada, qui est un modèle dans ce sens-là, devrait faire en sorte que les droits à la syndicalisation, les droits environnementaux, les droits du travail et surtout les droits individuels soient respectés. Qu'on le veuille ou non, cela a une implication dans la compétitivité de nos entreprises sur les marchés internationaux.

C'est, en gros, ce qu'on voulait vous dire aujourd'hui.

Le président: Merci, monsieur De Tilly.

Monsieur Obhrai.

[Traduction]

M. Deepak Obhrai: Merci à tous. Il me semble évident, à la lumière de tous les exposés entendus, que le Canada a respecté ses obligations, mais que ce sont les autres pays qui utilisent toutes sortes de moyens à leur disposition pour ne pas respecter les leurs.

Je réfléchis à haute voix: pourquoi le Canada ne dépose-t-il pas plus volontiers des plaintes? Après tout, il a déjà perdu sa cause dans deux plaintes qui ont été faites contre lui. Pourquoi n'est-il pas plus énergique et pourquoi ne se plaint-il pas officiellement lorsqu'il estime que les règles de l'OMC ont été enfreintes? Après tout, l'OMC est là pour accueillir les plaintes, n'est-ce pas? Voilà ce que je ne comprends pas.

• 1520

Par ailleurs, nous devrions nous enorgueillir d'avoir respecté les obligations définies par l'OMC, puisque nous sommes également un pays exportateur et un membre de la Chambre de commerce. Nous aussi, nous avons besoin de ces marchés. Nous devrions considérer qu'avoir atteint ces objectifs, c'est une réussite pour le Canada. Nous devrions persister dans cette voie et faire encore plus, sans dire pour autant que, puisque d'autres pays n'emboîtent pas le pas, nous devrions avoir recours à des tactiques dilatoires, par exemple. Pourquoi ne pas avoir recours aux mécanismes de règlement des différends de l'OMC pour développer notre combativité et faire valoir que certains pays ont recours à des tactiques dilatoires pour éviter de respecter leurs engagements?

Est-ce que je n'ai pas bien évalué la situation? N'êtes-vous pas d'avis que le Canada devrait être plus combatif et apprendre à se plaindre?

Le président: J'aimerais d'abord demander aux témoins s'ils savent combien de plaintes ont été déposées, car nous ne le savons pas, la plupart d'entre nous. J'ai dû moi-même poser la question à notre recherchiste. En fait, nous avons déposé 13 plaintes, et six ont été déposées contre nous depuis le début.

[Français]

Mme Maud Debien: Depuis quand?

Une voix: Depuis 1995.

Mme Maud Debien: Treize depuis 1995.

[Traduction]

Le président: Donc, en fait, nous sommes en avance sur les autres, car le Canada a râlé et s'est plaint plus souvent des autres pays que l'inverse.

M. Deepak Obhrai: Au lieu de nous reposer sur nos lauriers et de dire que nous avons atteint notre objectif et que cela nous suffit jusqu'à ce que quelqu'un d'autre prenne la relève, ne devrait-on pas décider de nous présenter à la prochaine ronde de négociation dans l'espoir de faire ouvrir le marché?

Le Canada ne devrait-il pas être plus audacieux à l'OMC pour chercher à faire ouvrir plus de marchés, tout en faisant preuve d'un esprit plus revendicateur et tout en déposant des plaintes contre les États-Unis et l'Europe, pour ne nommer que ces deux autres marchés? Le défi entourant les droits de la personne et les organisations internationales du travail est énorme. Au fur et à mesure que la mondialisation se confirme, ces enjeux sortent de plus en plus au grand jour et nous incitent à les suivre de plus près. On peut se demander, par exemple, si le travail des enfants n'est pas, dans une certaine mesure, une subvention directe ou indirecte à l'exportation.

Je suis convaincu qu'il faut se pencher sur cette question, et je suis heureux que vous nous l'ayez signalée.

[Français]

Le président: Vous acceptez l'observation, si j'ai bien compris.

M. Mario De Tilly: Oui, absolument.

Le président: Madame Debien.

Mme Maud Debien: Bonjour, monsieur Cloutier. Bonjour, monsieur De Tilly.

M. Mario De Tilly: Bonjour.

Mme Maud Debien: Mon collègue Obhrai a essentiellement posé la question que je voulais vous poser. Vous avez dit que la question n'était pas de demander aux autres pays de se conformer aux règles de l'OMC, mais de voir comment le Canada devrait se positionner quand les règles ne sont pas respectées. Cela rejoint la question de M. Obhrai. Cela veut dire que le Canada n'a pas été assez agressif, si je comprends bien, dans le respect des plaintes de l'Union européenne, en particulier, et des États-Unis.

Malheureusement, on a très peu de données sur le plan statistique. Vous nous dites qu'il y a eu 13 plaintes depuis 1995.

M. Mario De Tilly: Depuis 1995, oui.

Mme Maud Debien: Par combien de pays? Quels sont les pays en question? Par exemple, combien de plaintes sont venues des États-Unis? Les principaux pays qui ont porté plainte contre le Canada jusqu'à maintenant sont les pays de l'Union européenne et...

M. Mario De Tilly: Les États-Unis.

Mme Maud Debien: ...les États-Unis en particulier. Il est difficile de vérifier si ces plaintes constituent une proportion importante de l'ensemble des plaintes qui ont été portées à l'OMC par tous les pays. Est-ce que notre proportion de plaintes est assez importante ou non? Il serait important de connaître ces données-là, monsieur le président.

Le président: Je ne sais pas si on trouve cela ici...

Mme Maud Debien: Dans le volume de recherche.

Le président: Dans le volume de recherche, il y a un chapitre sur le règlement des différends et je crois qu'on y trouve quelques statistiques sur les processus auxquels le Canada participe, comme défendeur ou comme partie plaignante.

• 1525

Cependant, je sais qu'au cours des cinq années d'existence de l'OMC, il y a eu plus de plaintes que pendant tout la période de 50 ans du GATT, parce qu'on a maintenant un système juridique beaucoup plus durable et beaucoup plus sûr. Donc, le système est devenu plus juridique.

M. André Bachand: Je peux vous dire que j'ai posé la question à Daniel et il m'a dit que sur Internet, il y avait des documents complémentaires sur l'ensemble des plaintes déposées à l'OMC. C'est fort intéressant. C'est un document assez complet, mais sur le site Internet du comité, au niveau de l'OMC, on est en mesure de voir l'ensemble des plaintes qui ont été faites au niveau de l'OMC. C'est énorme.

Mme Maud Debien: Il est difficile de mesurer l'agressivité ou la non-agressivité du Canada à l'égard des plaintes quand on n'a pas le portrait complet de la situation.

Ma deuxième question, qui est plutôt un observation, s'adresse à M. De Tilly. J'ai été très contente de vous entendre dire que l'OMC devait aborder toutes les questions afférentes au respect des droits de la personne, aux droits du travail et aux questions environnementales. Comme je l'ai déjà dit, il y a actuellement de grands instruments internationaux qui, en principe, cernent toutes ces questions. Ce sont les grands instruments internationaux de l'ONU. On sait que beaucoup de pays ont signé ces grandes conventions, mais que dans de nombreux cas, on ne les respecte pas. L'OMC devient l'instance institutionnelle la plus puissante de la planète, et les questions de commerce, de droits du travail et du respect des droits de la personne et les questions environnementales sont étroitement liées. Étant donné que l'OMC est le seul organisme ayant des pouvoirs réglementaires et des pouvoirs coercitifs, c'est là qu'on devrait discuter de ces grandes questions. Les autres grands instruments internationaux ne possèdent pas de telles dents. Donc, j'ai été heureuse de vous entendre dire qu'on devrait en discuter. C'était une observation plutôt qu'une question.

M. Mario De Tilly: Je vous remercie. Pour en revenir à ce que disait M. Obhrai, je dirai que c'était une observation. Le but n'était pas de faire une critique et de se demander si le Canada était suffisamment ou pas suffisamment agressif en regard du respect des ententes. C'était une observation de quelqu'un qui observe les choses à la fois d'assez loin et d'assez près, parce que nous travaillons régulièrement avec des entreprises exportatrices. Nous constatons que la plupart du temps, le Canada est un leader dans le respect de ses engagements, alors que ses partenaires ne vont pas nécessairement au même rythme. Nous pensons que cela peut occasionner certaines difficultés pour les sociétés canadiennes, notamment les sociétés maskoutaines.

Le président: Monsieur Bachand.

M. André Bachand: Étant dans la région de la technopole de l'agroalimentaire, on a été très bien servis par l'argumentaire par rapport à l'OMC au niveau de l'agroalimentaire. J'aimerais revenir sur quelque chose que vous disiez tantôt au sujet des droits de la personne.

Vous avez manqué une présentation assez technique sur les normes sanitaires et phytosanitaires, les OGM et ainsi de suite. Oui, c'est important, mais je sais que toi, Mario, tu travailles depuis plusieurs années au niveau des entreprises et du développement de la région. Ça fait longtemps, hein? Tu parlais de toute la question du respect des droits de la personne et des droits du travail. C'est très difficile à mettre en place. Quelle est la base d'un salaire raisonnable dans un pays donné? Quelle est la base de normes du travail raisonnables dans un pays donné? C'est extrêmement difficile. Il y a des choses qui sont faciles. Il y a le travail d'enfants de moins de 12 ans ou de moins de 16 ans. Donc, c'est extrêmement difficile à juger, et je ne crois pas qu'il faut s'attendre à trouver une solution à court terme. Il faut travailler à cela, mais je ne pense pas que les entreprises avec lesquelles tu travailles verront demain matin les salaires augmenter dans certains pays et les normes de travail s'améliorer.

• 1530

Certaines normes environnementales seront peut-être mieux respectées. Je ne sais pas si tu as vu le reportage présenté il y a quelques semaines à Radio-Canada sur les entreprises américaines qui ont traversé le Rio Grande pour aller produire au Mexique, dans une pollution absolument écoeurante. C'est écoeurant. Le Mexique fait partie de l'Accord de libre-échange nord-américain. C'est un partenaire important du Canada, et on n'est pas capable de faire respecter certaines ententes.

Même ces pays-là pourraient te dire que le Québec ne respecte pas ses ententes ou ne respecte pas l'environnement au niveau de l'élevage porcin. Quand on commence à argumenter au niveau international, les coups peuvent être donnés en bas de la ceinture.

Essentiellement, la région profite-t-elle du marché mondial? Tu disais qu'il y avait pour tout près de un milliard de dollars d'exportations dans la région, je crois.

M. Mario De Tilly: Un milliard de dollars, mais de ce montant, tout près de 600 millions de dollars sont des exportations de produits agroalimentaires transformés ou prétransformés.

Les normes environnementales sont trop souples ou inexistantes dans les pays en voie de développement, et il est important de préciser que leurs produits sont souvent sur les tablettes dans des pays occidentaux, peut-être même au Canada. Pour nourrir certains pays occidentaux, on consent à polluer et à détruire l'environnement de certains autres pays. Ça va laisser des séquelles permanentes. En attendant, ça crée aussi des distorsions économiques. Comme on n'a pas à respecter l'environnement, la production coûte moins cher. Il faut se poser certaines questions.

Comme on ne respecte pas non plus les droits du travail, on a une main-d'oeuvre abondante et peu coûteuse qu'on exploite. Dans certains cas, on parle de la réapparition de l'esclavagisme. Ce n'est pas moi qui l'invente, car plusieurs reportages témoignent à cet effet. Les organisations qui exploitent ces ressources humaines font la concurrence aux Olymel et aux Flamingo de ce monde et à tous les transformateurs alimentaires, qu'on le veuille ou non.

Je suis conscient d'une chose. Il est vrai qu'il est tout à fait impossible de résoudre cette problématique à court terme. Cependant, il est essentiel de commencer à s'y occuper, à essayer de trouver des palliatifs. Le Canada a tout lieu de se faire un pionnier à ce niveau. C'est un pays qui est en mesure de faire des leçons à certains autres pays du monde, et c'est tout à son avantage, d'autant plus qu'il a un véhicule qui s'appelle l'OMC, qui est probablement l'organisation internationale la plus crédible actuellement. Sa crédibilité augmente année après année, tout simplement parce que, comme l'a dit madame, c'est la seule organisation internationale qui a des dents pour mordre. Dieu sait qu'elle a un pouvoir de coercition très important. Alors pourquoi ne pas profiter d'une tribune comme celle-là pour soulever des points aussi importants?

On entend le discours de notre premier ministre. On sent vraiment qu'il a un attachement particulier au niveau des droits de la personne. Je pense qu'on a une occasion unique de le faire par rapport à tous nos politiciens qui tiennent ce discours. L'OMC est peut-être la plate-forme idéale pour faire valoir certains droits.

Le président: Avant de céder la parole à Mme Folco, j'aimerais vous poser une question dans la foulée de celle de M. Bachand.

Depuis que nous avons commencé notre étude ici, nous savons que le domaine de l'agriculture est un des plus difficiles à soumettre à des règles internationales. Cela existe depuis le début du GATT. Vous êtes au centre d'une région agricole, si j'ai bien compris, et vous nous avez dit que le Canada avait rempli ses engagements. Donc, vos concitoyens doivent avoir l'impression qu'ils ont respecté leurs engagements vis-à-vis du système international, sans doute avec certaines difficultés d'ajustement. Avez-vous l'impression que nous sommes bien placés à l'OMC?

• 1535

Croyez-vous que nous devrions rester dans le système et essayer de l'améliorer ou si, à votre avis, les désavantages qu'on a subis sont plus importants que les avantages? Je vous pose cette question parce que quelques témoins nous ont dit de ne pas participer à cette ronde de négociations qui va commencer à Seattle. Restez à l'écart, cela suffit pour le moment, nous disaient-ils. Où vous situez-vous dans ce débat?

M. Mario De Tilly: Poser la question, c'est un peu y répondre. Le Canada a fait preuve de leadership. Étant probablement le pays qui a le mieux fait ses devoirs, il est dans une situation de power dealing: nous avons fait nos devoirs et corrigé nos situations, et c'est maintenant à vous d'en faire autant. Donc, quelque part, il est en mesure de faire la leçon aux autres partenaires.

Je n'oserais pas émettre un avis personnel et dire que vous devriez vous retirer de l'OMC ou non. En fait, je vous dirai, sur une base tout à fait personnelle, qu'il est évident qu'on ne peut pas se retirer d'une organisation aussi importante que l'OMC. Je pense que ce serait radical et qu'on le ferait contre vents et marées. On agirait à contretemps.

Cependant, je pense que le Canada devrait intensifier ses démarches en vue de faire en sorte que ses partenaires rattrapent les engagements qu'ils avaient pris à la huitième ronde.

On parle d'une diminution de 36 p. 100 des contrôles douaniers. C'est une mesure quantitative. Comment se fait-il que le Canada soit capable de rencontrer cette obligation-là alors que les États européens ne sont pas en mesure de le faire? Je pense qu'il y a déjà une question à se poser à cet égard. Tout est questionnable. Comment se fait-il qu'on ait réussi à ouvrir nos marchés de 3 p. 100 pour des produits qui sont exempts de tout tarif douanier? Comment se fait-il que le Canada ait même dépassé ce 3 p. 100? Il est aux alentours de 5 p. 100, si je ne m'abuse. Comment se fait-il qu'on est capables d'ouvrir à 5 p. 100 alors que les États européens et les États-Unis ne sont pas capables d'atteindre 3 p. 100?

La même question se pose au niveau de la réduction des subventions à l'exportation. Nous les avons réduites, sinon presque abolies, si je ne m'abuse. Elles n'existent plus, n'est-ce pas?

Mme Maud Debien: Cela va être aboli en 2001.

M. Mario De Tilly: Bon, 2001. Comment se fait-il que dans d'autres pays, cela existe encore? Les subventions de soutien interne devaient être abaissées de 20 p. 100. Si je me rappelle bien, le Canada est à environ 25 p. 100.

Quand on regarde l'ensemble de ces statistiques, on se pose la question. Comment se fait-il qu'un joueur plutôt modeste à l'échelle internationale, car le Canada est un joueur modeste au niveau de l'agroalimentaire, soit capable de respecter les exigences alors que ses partenaires n'en sont pas capables?

C'est un peu simple de ma part parce que je ne vous apporte pas de solution. Bien entendu, je n'ai pas la prétention de vous dire que j'ai trouvé la solution ou qu'on a trouvé la solution. Tout ce qu'on vous dit, c'est qu'on est préoccupés par cette situation.

Le président: C'était une question un peu déloyale, mais vous connaissez sans doute des agriculteurs américains. Est-ce qu'ils sont d'avis que nous avons respecté nos obligations et qu'ils n'ont pas respecté les leurs? S'ils étaient à votre place, est-ce qu'ils nous diraient exactement la même chose, à savoir que c'est eux qui ont rempli leurs obligations et que ce sont les Canadiens qui ne l'ont pas fait, par exemple pour ce qui est du lait exporté? On connaît la décision qui a été rendue ce matin par le tribunal. Il y a beaucoup de perceptions dans cela et beaucoup de vérités. On essaie de trouver les deux, évidemment, car la politique est faite des deux.

M. Mario De Tilly: Prenons l'exemple de l'industrie porcine, dont Saint-Hyacinthe est tributaire. Je vous ai parlé de 65 p. 100 de transformation porcine. Si on regarde ce segment de l'activité agroalimentaire québécoise et la situation de la concurrence eu égard aux États-Unis, on voit que les États-Unis, d'importateurs qu'ils étaient il y a à peine 20 ans, sont rapidement devenus des exportateurs nets de porc. Ils se sont donc développés extrêmement rapidement, avec des normes environnementales extrêmement souples comparativement à celles auxquelles sont soumis les producteurs porcins du Québec.

On n'a qu'à aller voir les productions porcines au sud, dans les États du Golden Triangle, la Caroline du Nord, la Caroline du Sud, la Géorgie et ainsi de suite. C'est assez étonnant de voir les installations qui sont là et ce qu'on fait des purins.

Le président: Merci.

Madame Folco.

Mme Raymonde Folco: Mon propos est maintenant un petit peu dépassé, mais je voudrais quand même l'ajouter.

• 1540

Vous parliez de la relation économique qui existe entre le Canada et des pays en voie de développement par rapport au travail des enfants, des femmes et ainsi de suite. J'ai toujours vu ça comme un genre de néo-colonialisme économique. Le premier type de colonialisme, celui des XVIIIe et XIXe siècles, a fait la richesse de la Grande-Bretagne, et ce type de colonialisme fait notre richesse aujourd'hui.

Il y a une chaîne d'interdépendance, parce qu'on dépend de ce qu'ils produisent à bas prix, mais eux aussi dépendent de cela. Les familles elles-mêmes sont souvent pour le travail des enfants et des femmes puisque c'est de cette manière que les familles réussissent à subvenir à leurs propres besoins. Quand un enfant ne travaille pas dans ces pays-là, ça veut souvent dire que la famille ne mange pas. Il y a ici un élément d'interdépendance, un cercle vicieux qu'il faut briser. Nous dépendons d'eux et eux dépendent de nous. Quand nous disons que les femmes devraient avoir des conditions de travail et que les enfants devraient aller à l'école, ce sont des idées préconçues occidentales. Évidemment, je me joins à ces idées, mais il y a aussi un système économique qu'il faut réparer en arrière pour que les femmes puissent avoir justement des conditions de travail et que les enfants puissent aller à l'école plutôt que d'aller au travail. Cela nécessite tout un changement économique dans ces pays en voie de développement. Ce n'est pas pour demain matin.

M. Mario De Tilly: On dit souvent, dans le milieu maskoutain, que le jour où nous serons en mesure d'offrir les mêmes droits de travail dans les pays en voie de développement, on devra consentir à payer notre tasse de café 8 $.

Mme Raymonde Folco: Absolument.

M. Mario De Tilly: Si on veut continuer à boire notre café à 1 $, il faut...

Mme Maud Debien: Il ne coûte pas moins cher que le café équitable.

Une voix: Croyez-vous vraiment que ce café est plus équitable?

Mme Maud Debien: Que ce café est plus équitable? Oui.

M. Benoît Sauvageau: Il est fait dans le respect des normes environnementales et des droits...

Mme Raymonde Folco: Ce n'est pas le monsieur qui se promène et qui va récolter chaque petit grain de café de façon individuelle?

M. Benoît Sauvageau: Non, ce n'est pas un truc de publicité.

M. Bernard Patry: Nous ne sommes pas censés faire de commentaires entre nous.

M. Benoît Sauvageau: Non, mais savez-vous de quoi je veux parler, monsieur?

M. Mario De Tilly: Non, pas du tout.

M. Benoît Sauvageau: Je peux me permettre, monsieur le président?

Le président: Vous voulez poser une question?

M. Bernard Patry: S'il veut poser une question, on va l'écouter. On est habitués d'écouter l'opposition.

Le président: C'est la fin de la journée et ça se dégrade. C'est votre faute, monsieur De Tilly. Jusqu'à maintenant, l'ordre régnait.

M. Benoît Sauvageau: Concernant le café, j'ai entendu un reportage à la radio de Radio-Canada au sujet du café équitable. Il y avait une des productions mondiales où les conditions de travail et tout le reste étaient vraiment terribles. C'était la production du café. Il y a un organisme—je pense que c'est OXFAM ou quelque chose du genre—où on s'assure, en achetant du café équitable, que ce café a été produit dans des conditions de travail décentes, dans le respect de l'environnement, etc. Ce café coûte à peu près le même prix que le café traditionnel et il est de plus en plus en vente. Je n'en vends pas, mais on en vend dans les boutiques OXFAM. On veut aussi le vendre dans les supermarchés, mais il y a un problème à cet égard. On veut davantage assurer ce type de production. Cela s'appelle le café équitable.

Lorsque vous avez parlé de votre tasse de café à 8 $, cela m'a rappelé cette émission-là. C'était ma publicité et je vous remercie beaucoup.

Le président: Ne trouvez-vous pas que le nom Sauvageau a une résonance italienne? Ce serait bien comme marque de café, n'est-ce pas?

Monsieur Patry.

M. Bernard Patry: Merci, messieurs De Tilly et Cloutier.

Je suis très heureux de vous entendre discourir sur les droits de la personne. Je ne dis pas que cela n'inquiète pas les gens qui sont reliés au commerce, mais c'est quand même très rafraîchissant de vous entendre parler de cela. Demain, on va rencontrer les représentants du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique. C'est un tout début aujourd'hui par rapport à ça.

Voici ma première question. Tous les gens nous disent que l'OMC a été très bonne pour le Canada, mais j'aimerais vous entendre dire ce qu'elle a fait pour la grande région de Saint-Hyacinthe. Vous êtes une grande technopole. Vous nous avez parlé du nombre d'industries, soit 42, et des exportations qui se chiffrent à 900 millions de dollars. Depuis 1995, depuis l'OMC, est-ce qu'il y a eu un boom? Est-ce que la grande région de Saint-Hyacinthe en a vraiment bénéficié? On sait aussi que le taux de chômage de la région est parmi les plus bas au Québec et au Canada.

M. Mario De Tilly: Il y a un très bon ambassadeur pour Saint-Hyacinthe.

M. Bernard Patry: On l'aime bien.

M. Mario De Tilly: J'éprouve une certaine satisfaction à... Est-ce que vous enregistrez les débats?

Une voix: Oui, c'est enregistré.

M. Mario De Tilly: J'aimerais en avoir une copie.

Des voix: Ah, ah!

M. Mario De Tilly: Vous posez une question qui est extrêmement complexe. Dans un premier temps, oui, depuis 1995, les exportations maskoutaines ont augmenté chaque année à un rythme oscillant entre 5 et 6 p. 100.

Cependant, il faut quand même mettre les choses dans un juste contexte. Le dollar a connu des difficultés durant la même période, et nous avons aussi joui de certains momentums au niveau international. La fièvre aphteuse asiatique chez le porc a permis le développement d'un marché très intéressant. On a été obligé d'abattre le cheptel porcin de certains pays asiatiques et également scandinaves. Durant cette période, il y a donc eu une entrée massive du porc québécois sur les marchés internationaux. Cela a eu un impact décisif au niveau du volume global transigé à l'échelle internationale.

Également, les entreprises ont commencé, il y a quelques années, à développer ce qu'on appelle la surtransformation, qui est vraiment la clé de voûte du développement de l'économie. On est entrés de plein fouet dans ce qu'on appellerait une nouvelle économie. Avant, on vendait des jarrets de boeuf et des filets de porc. Maintenant, on vend des filets de porc et des jarrets de boeuf transformés. On vend des produits transformés. Cela a également eu un impact. Plus un produit est transformé, plus sa valeur ajoutée est élevée. Donc, automatiquement, la masse monétaire en termes d'exportation devient de plus en plus importante.

Est-ce que l'OMC a eu une incidence? Je suis obligé de vous répondre par l'affirmative, mais je suis incapable de vous dire jusqu'à quel point.

Le président: Est-ce que l'ALENA a été plus important?

M. Mario De Tilly: Sur les 900 millions de dollars d'exportations que nous faisons chaque année, de 45 à 50 p. 100 vont vers les États-Unis. Cependant, sur les exportations de 500 millions de dollars de produits alimentaires, 52 p. 100 vont vers les États-Unis. Le marché américain est un marché dominant dans le secteur alimentaire.

M. Bernard Patry: Monsieur Cloutier, je vous poser une dernière question. Est-ce qu'il y a actuellement des obstacles non tarifaires particuliers, comme les régimes de licences d'importation, l'évaluation de douanes sur les marchés extérieurs de la région qui nuisent à vos exportations?

M. Denis Cloutier: Je vais être très franc avec vous. Je pense que M. De Tilly serait beaucoup mieux placé que moi pour répondre à cette question si vraiment vous voulez une réponse intelligente.

M. Bernard Patry: Je voulais partager les questions.

Allez-y, monsieur De Tilly.

M. Mario De Tilly: Je suis obligé de vous dire que j'étais distrait.

M. Bernard Patry: Je voulais savoir s'il y avait des obstacles non tarifaires particuliers, comme des régimes de licences d'importation ou des évaluations de douanes qui nuisent aux exportations de la région vers les marchés extérieurs.

M. Mario De Tilly: En matière de barrières non tarifaires, je ne suis vraiment pas un expert. Cependant, je dois avouer que, dans le secteur des produits transformés, les produits laitiers en particulier, il y a encore des contraintes importantes. Il y a des contentieux entre certains transformateurs d'ici et le marché américain. Ils ont des barrières importantes.

Cela a également été le cas de certaines entreprises du domaine pharmaceutique, qui ont un lien avec l'alimentaire. C'est au niveau de la transformation de valvules cardiaques prélevées chez les porcs. Il y a eu, à un moment donné, un certain contentieux. Il a été aplani, mais les choses ont été assez complexes à un moment donné.

Encore une fois, je ne suis pas un spécialiste en matière de barrières non tarifaires.

M. Bernard Patry: Merci.

Le président: Je vais préciser la liste des barrières non tarifaires que M. Patry a énumérées pour clarifier les choses. Il n'a pas mentionné les barrières sanitaires et phytosanitaires, et je crois que tout ce que vous avez dit était en rapport avec ces barrières sanitaires et phytosanitaires.

M. Mario De Tilly: Ce n'était pas de ça que vous parliez?

M. Bernard Patry: Comme exemple, oui.

Le président: D'accord.

Je voudrais vous remercier, de la part du comité, d'être venus partager vos opinions. Nous les transmettrons à Ottawa dans notre rapport. Merci beaucoup.

• 1550

M. Mario De Tilly: C'est très important, ce que vous faites, et je voulais vous le souligner. C'est essentiel. C'est un travail extrêmement important pour l'avenir du commerce international. Je vous en félicite.

Le président: Je vous en prie, monsieur.

Monsieur De Tilly, j'ai enseigné le droit du commerce international pendant 15 ans et je crois en avoir appris plus en quelques semaines, pendant cette étude, en parlant avec des gens comme vous, que j'en ai appris pendant mes années universitaires. C'est très important.

M. Mario De Tilly: Merci.

Le président: Merci beaucoup.

La séance est levée.