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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le lundi 26 avril 1999

• 0837

[Traduction]

Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): J'aimerais, s'il vous plaît, déclarer la séance ouverte. J'aimerais souhaiter la bienvenue à notre premier groupe de témoins. Je ne ferai pas de longues déclarations sur l'objet de ces audiences. Je suppose que vous avez trouvé tous les renseignements sur l'Internet et que vous savez que ce comité a pour objet d'entendre les Canadiens, groupes et particuliers, sur la stratégie de négociation qui devrait être adoptée et les intérêts qui devraient être défendus lors des prochaines négociations de l'Organisation mondiale du commerce, qui devraient commencer en novembre de cette année à Seattle.

Permettez-moi de vous souhaiter à tous la bienvenue. Je vais être très strict sur le temps, car nous avons beaucoup de témoins et il nous faut partir à 18 heures pour attraper notre vol pour Toronto. J'aimerais que nous entendions ce premier groupe jusqu'à 10 h 20 pour que nous ayons une petite pause. Chaque participant pourrait peut-être commencer par une petite déclaration de cinq ou dix minutes, puis nous passerons aux questions. Ainsi, nous aurons suffisamment de temps pour échanger.

Monsieur Cosbey, j'ai remarqué que vous étiez le premier sur notre liste; vous seriez donc peut-être assez aimable pour commencer. Merci beaucoup d'être venu.

M. Aaron Cosbey (directeur intérimaire des programmes, Institut international pour le développement durable): Merci, monsieur le président. Au nom de l'IIDD j'aimerais vous souhaiter la bienvenue à Winnipeg et souhaiter la bienvenue à tous les participants de ce premier groupe venus parler de commerce, d'environnement et de développement durable. Je devrais commencer par vous présenter les excuses de M. David Runnalls, le président de l'IIDD qui aurait beaucoup aimé être présent mais qui participe en ce moment même à une réunion du comité exécutif du conseil d'administration à Ottawa. C'est donc un chassé-croisé. Vous vous souviendrez qu'il est venu témoigner devant vous à Ottawa mais bien entendu ceux qui connaissent David savent qu'il n'aurait pas raté une autre occasion de vous régaler. Cela dit, je vais essayer de le remplacer.

J'aimerais commencer par dire que je suis heureux que le comité permanent prenne le temps d'organiser ces consultations que je considère des plus importantes et des plus opportunes—des plus opportunes, bien entendu, car, comme vous l'avez dit, le compte à rebours d'une éventuelle ronde du millénaire de l'OMC, qui promet de changer la face future de l'économie mondiale dans une mesure au moins aussi grand que la ronde de l'Uruguay, la dernière ronde, vient de commencer, et parce que nous sommes actuellement en train de négocier le processus de création d'une zone de libre-échange des Amériques d'ici l'an 2005. C'est important pour un certain nombre de raisons et j'aimerais dans le reste de mon intervention essayer de vous donner une idée générale de la raison pour laquelle l'IIDD estime important que votre comité examine les liens entre le commerce, l'environnement et le développement.

• 0840

Pourquoi est-il de l'intérêt du Canada que soient liées les questions de commerce et de développement durable? Pourquoi est-il important pour le développement durable qu'il figure dans les prochaines négociations de l'Organisation mondiale du commerce et de la zone de libre-échange des Amériques?

Je commencerai par dire que lorsque nous parlons de développement durable nous ne parlons pas uniquement d'environnement. Nous parlons de trois choses en même temps—d'environnement, d'économie et de bien-être—choses qui à nos yeux sont intimement liées, et si fondamentalement qu'il est impossible de progresser dans un domaine sans prêter attention également aux deux autres. Je crois qu'ici au Canada nous en avons un exemple flagrant avec la pêche sur la côte Est, où pendant un certain temps la politique a été subordonnée au désir de développement économique, de bien-être, mais au dépend de l'intégrité de l'environnement. Sur le long terme, nous avons pu constater qu'elle également fini par être néfaste pour le développement économique et le bien-être des populations.

Donc, quand nous parlons de développement durable, nous entendons cette combinaison inséparable et indivisible de questions d'environnement, de développement économique et de bien-être.

Pour ce qui est des points spécifiques de cette combinaison dans les prochaines négociations, lors de son témoignage, M. Runnalls—et vous vous en souviendrez et un mémoire rédigé à cet effet vous le rappellera—vous a cité près d'une douzaine de recommandations spécifiques devant être associées aux objectifs du Canada lors des prochaines négociations de l'accord de l'Organisation mondiale du commerce et de la création d'une zone de libre-échange des Amériques.

Pour vous donner une idée de ce que nous proposons, je vais essayer d'une manière plus générale de vous expliquer les raisons pour lesquelles ces recommandations sont nécessaires, les raisons pour lesquelles nous estimons ces liens importants et je vous renverrai à notre mémoire pour de plus amples détails. Je considère ces relations importantes pour trois raisons.

Premièrement, il est possible que notre réglementation entre en conflit avec les règles du commerce mondial ou régional. Par exemple, la relation entre les règles du commerce international et les accords multilatéraux sur l'environnement n'a pas encore été déterminée. Un exemple parfait est le protocole de Kyoto. Vous devez tous savoir que c'est le protocole de la convention cadre sur les changements climatiques. Nous avons fait des analyses sur la possibilité pour certains pays exécutant leurs responsabilités conformément au protocole de Kyoto d'être en conflit avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce. Il y a un certain nombre de conflits potentiels entre pays remplissant leurs obligations conformément à cet accord sur l'environnement et remplissant leurs obligations conformément aux règles du commerce mondial.

D'autres exemples de ce type de conflit sont l'environnement, la santé, et les normes de sécurité en général. Je vous donnerai comme exemple la proposition de directives de l'Union européenne sur les normes des produits utilisés dans les ordinateurs qui réclament un certain volume de contenu recyclé dans la fabrication des ordinateurs et réclament également des procédés de fabrication sans déchets toxiques. Cette directive sera probablement qualifiée de barrière technique et de pratique commerciale restrictive. Nous prévoyons un conflit fondamental entre deux régimes, celui du droit commercial et celui du droit environnemental, qui pourtant poursuivent tous deux des objectifs louables. Tant que nous n'aurons pas réussi à distinguer une forme de protection légitime de l'environnement du protectionnisme, nous continuerons à connaître ce genre de conflit. Il importe lors de ces prochaines négociations de trouver un mécanisme permettant de faire la distinction.

Le deuxième élément important que je vois dans les liens entre le commerce, l'environnement et le développement durable concerne les pays en voie de développement, dont le propre développement durable dépend de la qualité des règles adoptées. Le développement durable n'est pas bon marché. C'est une proposition onéreuse tant en capitaux qu'en ressources et elle tout spécialement onéreuse pour les pays en voie de développement qui ont tout autant besoin de croissance économique que de protection de l'environnement. Un bon exemple négatif est celui de la crise financière asiatique où nous avons pu constater, tout particulièrement au Brésil et en Indonésie, combien l'effondrement financier et le chaos économique pouvaient provoquer des dégâts environnementaux.

• 0845

Un autre exemple est celui des accords de l'OMC sur les textiles, les vêtements et l'agriculture grâce auxquels, si les règles sont bien appliquées, les pays en voie de développement pourront utiliser le commerce des denrées, des textiles et des vêtements comme locomotive de développement, moyen de création de richesse ayant le potentiel de mener au développement durable.

Mais sans application fidèle de ces règles de l'OMC et sans amélioration de ces règles, tout particulièrement dans le domaine de l'agriculture, nous ne verrons pas ce type d'échanges commerciaux utilisés comme moteur de croissance; nous ne verrons pas ce type de développement dans les pays du sud susceptible de les aider à améliorer leur environnement et l'environnement mondial.

Des règles sont donc nécessaires pour les pays en voie de développement, tout comme pour le Canada, pour que le développement durable devienne mondial.

Le troisième lien particulier que je vois entre le commerce et le développement durable est la capacité d'imaginer des modèles gagnants sur les deux tableaux, à savoir des modèles où le commerce et le développement durable sont mutuellement compatibles. Les subventions en sont un exemple évident. Si l'OMC et la ZLEA adoptent des règles compatibles, nous pourrons avoir des régimes qui permettront de supprimer les subventions aux effets pervers tant pour l'environnement que pour l'économie. Je pense encore une fois à l'agriculture où les subventions qui n'ont pas encore été déconnectées de la production—ces subventions versées aux producteurs sur la base de leur production—ont abouti, dans des régions comme l'Union européenne, à une surproduction incroyable de biens et de déchets—d'où, pollution accrue.

Ce type de subvention à effet pervers pour l'environnement et l'économie est la cible idéale pour l'amélioration des règles commerciales tant dans le contexte de la ZLEA que de celui de l'OMC. Ces institutions ont justement été créées pour essayer de régler des questions qui ne pouvaient être réglées unilatéralement par un seul pays, comme la suppression des tarifs douaniers. Ce sont également des institutions parfaites pour régler des questions telles que les subventions qui ne peuvent être attaquées unilatéralement par un seul pays mais dont la solution peut profiter à tous les pays, si tous les pays s'y attaquent simultanément.

Le troisième lien est donc la capacité de formuler les bonnes règles commerciales pour gagner sur les deux tableaux.

Le message principal contenu dans mon exposé et dans le mémoire que vous a remis M. Runnalls est que les questions de développement durable dans le contexte de l'OMC et dans celui de la ZLEA doivent devenir prioritaires. Nous ne pouvons en faire des questions secondaires confiées au comité de l'OMC sur le commerce et l'environnement. Nous ne pouvons les isoler au sein de cette tribune car nous avons soumis l'Accord de l'OMC à une analyse sérieuse et constaté qu'il n'y a pratiquement aucun domaine, aucune instance, aucun organe ou accord qui n'ait d'implications importantes de développement durable et qui ne mérite d'être soumis à la loupe du développement durable.

En conséquence, cette question doit devenir prioritaire. Comme je l'ai dit, il faut que la question du développement durable figure dans tous les comités et toutes les instances de l'OMC. Dans les recommandations de son document M. Runnalls parle de cette nécessité.

Je conclurai en disant que le Canada a l'occasion unique d'exercer son influence tant à l'OMC que dans la ZLEA. Dans ces deux contextes, le Canada est considéré comme une puissance intermédiaire respectée pour son intégrité sur des questions de développement durable, respect qui dépasse largement son poids économique. Dans ces deux tribunes, en conséquence, le Canada peut jouer le rôle de passerelle entre les nations puissantes et les nations démunies et faire adopter des règles qui respectent simultanément l'environnement, les objectifs commerciaux et les objectifs de développement.

Je reviens une dernière fois sur le caractère opportun de cet exercice. Comme vous le savez, les négociations sur la ZLEA sont en cours et depuis décembre dernier nous sommes à la veille de prénégociations à l'OMC pour une possible ronde du millénaire. Je félicite en conséquence votre comité de son initiative et j'espère que vos recommandations refléteront solidement la nécessité pour le Canada de prendre en compte les objectifs de développement durable dans sa stratégie de négociations tant dans les contextes de la ZLEA que de l'OMC.

Merci.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Cosbey.

• 0850

Monsieur Hanson, vous avez dix minutes.

M. Arthur Hanson (membre éminent et chercheur principal, Institut international du développement durable): Merci beaucoup, monsieur Graham.

Mes propos ne feront que renforcer certains de ceux d'Aaron car je travaille pour le même organisme. J'en ai occupé la présidence de 1992 à l'automne dernier. Il est certain que pour moi aussi la question du commerce et du développement durable doit avoir la priorité dans notre liste de travail car le commerce a pour objet fondamental la création de la richesse.

Le développement durable, lui a pour objet de déterminer comment utiliser cette richesse pour améliorer le sort des populations et protéger l'environnement. C'est la raison pour laquelle nous essayons de maintenir ce lien étroit entre les deux. Une des premières choses que nous avons faites—et j'aimerais insister là-dessus, si je le peux—a été d'élaborer une série de sept principes d'apparence simple qui devraient régir ces négociations commerciales. Nous les appelons les principes de Winnipeg. Janine Ferretti a participé à leur élaboration. Le dirigeant actuel de la CNUCED était membre du groupe qui les a produits. Je vais vous les énumérer très brièvement sans entrer dans les détails.

Le président: Je suis sûr que M. Blaikie, député de Winnipeg a aussi été associé à leur élaboration—M. Axworthy aussi. Il faut nous assurer que tous nos députés de Winnipeg sont inclus. Ils vont la nommer l'initiative de Winnipeg.

M. Arthur Hanson: Winnipeg y a gagné en notoriété. En réalité, le travail s'est fait dans plusieurs régions du monde car le groupe était véritablement international. Nous voulions jeter des ponts entre les questions très délicates du développement, de l'environnement et du commerce. Comme vous le savez, les divergences ne manquent pas.

Sans entrer dans les détails, je voudrais vous indiquer ces sept principes. Le premier concerne la question de l'efficacité économique. La façon d'internaliser les coûts en fait également partie.

Deuxièmement, il y a la question de l'équité, qui préoccupe particulièrement les pays en développement.

Troisièmement—Janine et moi-même nous souvenons encore de vos commentaires à ce sujet—il y a la question fondamentale de l'intégrité environnementale. Si on ne peut pas l'aborder par accord commercial, elle risque de remettre en question le développement durable.

La quatrième question, qui est à mon sens la plus intéressante et la moins approfondie jusqu'à maintenant, à l'exception du contexte européen, est celle de la subsidiarité: les nations ont-elles le droit de fixer leurs propres normes sur des questions qui n'affectent pas les autres? La subsidiarité ramène les décisions au niveau le plus bas possible dans la société, par opposition aux décisions prises au niveau international ou national.

Le principe suivant est également très important dans le contexte des intérêts du Canada; il s'agit de miser sur la coopération internationale plutôt que sur des mesures unilatérales, comme on l'a vu souvent dans nos conflits commerciaux avec les États-Unis.

La rigueur scientifique et le principe de précaution sont des éléments extrêmement importants. Depuis le sommet de Rio, on a vu apparaître le principe de précaution. Il est essentiel de l'intégrer à la réflexion sur les accords commerciaux. Pour l'essentiel, le principe de précaution exige qu'on dispose de toutes les connaissances avant de prendre une décision. Si l'on soupçonne l'existence d'un problème, il faut le régler avant qu'il ne laisse des traces préjudiciables pour les générations futures, comme on l'a vu avec certaines substances, notamment le DDT.

Finalement, l'ouverture et la transparence sont très importantes dans les accords commerciaux. Notre institut ne cesse de l'affirmer dans différents milieux. Il y a eu des progrès notables dans ce domaine à l'OMC, mais il reste encore beaucoup à faire. L'application de ces principes lors des prochaines négociations de l'OMC est essentielle.

Je voudrais faire quelques remarques fondées sur ma propre expérience. Les autres membres de l'Institut international pour le développement durable seront d'accord avec moi. J'aimerais insister sur quelques points importants à prendre en compte à la veille des négociations sur le commerce et le développement durable.

Tout d'abord, le Canada et les pays en développement ont besoin d'accéder à des marchés débarrassés des barrières commerciales. Il est important de souligner que les questions d'environnement et de développement ne doivent pas servir à créer des barrières. En fait, nous devons faire preuve de la plus grande générosité en donnant aux autres pays accès à nos marchés. Je crois que c'est essentiel. Parallèlement, nous devons rester vigilants et ne pas créer des barrières commerciales non tarifaires par le recours aux pratiques environnementales. C'est d'un intérêt primordial pour le Canada. Comme on l'a vu, nous sommes parfois victimes de ces barrières non tarifaires.

• 0855

Mon deuxième argument est élémentaire: les pratiques commerciales devraient favoriser le bien-être des populations même si, pour cela, il faut leur faire subir des adaptations considérables. Les gens considèrent parfois, à juste titre, que le commerce porte préjudice à leur milieu et à leur qualité de vie. Nous devons rechercher un type de négociations à l'OMC qui favorise avant tout le bien-être de la population. La qualité de l'environnement et l'utilisation des ressources renouvelables ne doivent pas être sacrifiées au nom de l'expansion du commerce.

Au cours des six derniers mois, il y a eu deux commissions indépendantes au niveau mondial. La Commission mondiale des forêts et du développement durable, à laquelle nous sommes associés, a publié la semaine dernière à Ottawa, à Washington et en Europe, un rapport intitulé Nos forêts, notre avenir. L'année dernière, une commission indépendante a publié en septembre un rapport sur l'état des océans de la planète. Ces deux documents font état d'une situation de crise mondiale dans les domaines des forêts, des pêches et des océans.

Ces crises sont la conséquence directe de considérations commerciales. Dans le domaine forestier, les forêts tropicales ont fait l'objet d'intenses discussions. Les pratiques fiscales et les régimes de subventionnement comme ceux dont parlait M. Cosbey ont eu des effets désastreux, et il en va de même en matière de pêche. Par ailleurs, je crois qu'on doit vous parler ce matin d'agriculture, et nombreux sont ceux qui parlent également d'une «crise» de l'agriculture, qui présenterait le même problème.

Au cours des prochaines négociations, il importe donc de parler du commerce dans le contexte de l'utilisation des ressources durables et des ressources naturelles.

J'aimerais revenir sur ce qu'a dit Aaron à propos des subventions. On les retrouve partout. Je pense qu'il est urgent de s'en occuper, et si on le fait dans le contexte de l'OMC, tout le monde en sortira gagnant.

Je voudrais dire également que l'importance et le caractère contrariant de ces problèmes sont attestés par une ample base d'information. Ainsi, nous avons publié un ouvrage intitulé Perverse Subsidies: Tax Dollars Undercutting Our Economies and Environments Alike, où l'on indique les montants, en milliards de dollars, qui sont consacrés à différents secteurs comme les pêches, le secteur énergétique, les transports, et qui posent de graves problèmes. Je serai très heureux de faire parvenir un exemplaire de cet ouvrage à tous les membres du comité qui souhaitent le recevoir.

Le président: M. Penson meurt d'envie d'en avoir un.

M. Arthur Hanson: Que son envie soit satisfaite. Il peut garder cet exemplaire.

Le président: Depuis le début de cette audience, il revient constamment à la charge sur le caractère contraignant et pernicieux des subventions agricoles. Je suppose que vous intervenez ce matin à la demande de Charlie.

M. Charlie Penson (Peace River, Réf.): C'est une heureuse surprise, monsieur le président.

M. Arthur Hanson: Je vous signale également que nous avons d'autres documents qui pourraient vous intéresser.

Nous participons avec d'autres à un programme appelé «Van Lennep Programme On Economics and Sustainable Development» qui vise à évaluer les subventions dans certains domaines... et savoir comment on pourrait s'en débarrasser. Évidement, c'est l'objectif ultime. Nous sommes donc tout à fait disposés à rester en contact avec vous sur ce sujet.

Il convient également de reconnaître que les accords sur les services et les investissements font partie du tableau d'ensemble. On ne sait pas quel sera le sort de l'AMI s'il en est question pendant les négociations de l'OMC, mais nous ne sommes pas opposés au principe d'un accord semblable à l'AMI. Reste à savoir quelle en sera la teneur et comment il servira les intérêts de la durabilité. Il importe également de ne pas se limiter aux biens; nous voulons parler de biens et de services.

Il y a d'autres questions importantes, monsieur le président: le partage de technologies, les échanges nature contre créances ainsi que les différentes formes d'ententes sur l'échange de droits d'émission. Je ne sais pas si ces sujets figurent au programme de la nouvelle Organisation mondiale du commerce. Comme l'a dit Aaron, ils prennent une importance croissante dans le contexte des accords environnementaux multilatéraux, et font partie intégrante de la réalité commerciale.

• 0900

Par exemple, nous travaillons avec la Chine. La Chine s'intéresse de très près au partage des technologies qu'elle pourrait appliquer dans le domaine de l'environnement, et représente un débouché pour nos entreprises.

Et finalement, on observe tout un mouvement nouveau... et j'aimerais à ce propos laisser un exemplaire d'une publication rédigée par l'un de nos collaborateurs, qui est ici, M. Stephan Barg, intitulée Global Green Standards: ISO 14000 and Sustainable Development.

La question de la certification et de la fixation de normes indépendantes, essentiellement par le secteur privé dans le cadre de négociations internationales, nous semble particulièrement importante pour le Canada, car comme on l'a vu dans le cas de l'industrie forestière de Colombie-Britannique, les Européens, qui vont décider si une production est durable, ont un pouvoir d'intervention considérable sur nos marchés.

Depuis sept ou huit ans, on assiste à la multiplication des programmes de certification dans le monde. Je considère que cette question devra inévitablement figurer dans les accords de l'OMC.

Je vous recommande donc cet ouvrage. Il donne une indication des travaux concernant les normes ISO 14000.

Pour reprendre l'argument de M. Cosbey, on trouve dans le domaine des pêches le Marine Stewardship Council, créé par le Fonds mondial pour la nature, qui certifie le mode de production durable des produits de la mer. Pensez-vous que l'exploitation de notre morue, ou du moins ce qu'il en reste, de nos crevettes ou de notre saumon répond aux critères de cet organisme? Dans la négative, ils seront invendables sur les marchés européens. De même, le Forest Stewardship Council, un autre...

Le président: Ils seront invendables non pas à cause de la loi, mais parce que les consommateurs liront les étiquettes...

M. Arthur Hanson: Exactement.

C'est donc une forme très puissante de barrière non tarifaire et, comme dans le cas de l'industrie forestière de la Colombie-Britannique, c'est un facteur important dans la réforme de la gestion des forêts. C'est aussi une arme à double tranchant. L'essentiel, c'est qu'on ne peut pas l'ignorer. Dans les négociations de l'OMC, nous devrons veiller à avoir une idée très précise de ce que nous souhaitons obtenir du processus de certification. Immanquablement, la certification qui a commencé sur une base volontaire ou quasi-volontaire va devoir passer désormais par des canaux de plus en plus officiels.

Comme j'ai essayé de l'indiquer ici, ces arguments n'ont rien de théorique. Ils nous atteignent directement au niveau du porte-monnaie. Restera à savoir si le Canada doit en faire son cheval de bataille. Je considère que nous devrions être à l'avant-garde dans le domaine du commerce et du développement durable. Nous n'avons pas fait preuve d'assez de détermination jusqu'à maintenant, et malgré les gains obtenus dans le cadre de l'ALENA, nous n'avons pas été assez cohérents dans notre façon d'aborder ces problèmes auprès de l'OMC.

A mon avis, il y a deux arguments déterminants qui devraient faire du Canada le chef de file dans ce domaine. Tout d'abord, comme l'a dit Aaron, c'est ce qu'on attend de nous. Nous sommes censés être à l'avant-garde dans le domaine du développement durable, et notre crédibilité se trouvera entachée si nous ne passons pas à l'action. Deuxièmement, et c'est à mon sens l'argument le plus probant, nous avons intérêt à agir ainsi. Notre nation dépend du commerce. Nous sommes vulnérables chaque fois que l'on conteste la durabilité de nos modes de production ou qu'on nous reproche de subventionner un produit ou un secteur, même si ces reproches sont injustes.

Dans une perspective plus positive, la mise au point et l'exportation de technologies de services environnementaux peut nous rapporter de réels avantages. C'est déjà ce que l'on constate dans le secteur environnemental. De nombreuses sociétés canadiennes s'enrichissent en vendant du matériel et des services à l'étranger. On a assisté au développement de nouvelles technologies énergétiques, comme les piles à combustible Ballard, etc. Ce sont là de nouvelles industries montantes. Grâce à elles, nous pourrons prendre de l'avance sur nos concurrents si nous réussissons à nous faire une place sur le marché et à obtenir un traitement favorable dans les futurs accords sur le commerce et l'investissement.

La nature de nos relations commerciales est très complexe, comme nous le savons. A mon avis, il faudrait concevoir une matrice nous permettant de solutionner ces problèmes, notamment celui du libre-échange des Amériques.

• 0905

A titre d'exemple, dans ce contexte, nous devrions soutenir résolument des organismes comme la Commission nord-américaine de coopération environnementale—et je prépare ici le terrain à l'exposé de Janine. Il ne faut pas se contenter de la présence bienfaisante des organismes de ce genre au Canada, il faut véritablement les soutenir.

Dans le cas de l'OMC, nous avons un rôle important à jouer au cours des prochaines négociations et nous devrions prendre fermement position sur la question des subventions.

Dans nos rapports avec les pays en développement, il est important que nous soyons perçus comme une puissance moyenne participant au renforcement des capacités, pour autant que l'ACDI consacre davantage d'argent au commerce considéré comme outil de renforcement des capacités, ce qu'elle n'a pas suffisamment fait jusqu'à maintenant.

Finalement, pour ce qui est de nos partenaires commerciaux en Europe, nous devons savoir qu'ils auront un faisceau très serré d'objectifs dont nous risquons de faire les frais si nous ne sommes pas irréprochables chez nous en matière d'environnement.

La situation est donc très complexe, mais nous vivons une époque exaltante, car les prochaines négociations de l'OMC seront les premières à tenir sérieusement compte du développement durable.

Je vais m'arrêter là. Je vous remercie de votre attention.

Le président: Merci, monsieur Hanson. Votre exposé nous a été très utile.

Madame Ferretti, je crois que vous êtes venue de Montréal parce que nous vous avons manqué là-bas. J'en suis désolé, mais en tout cas, je vous souhaite la bienvenue à Winnipeg.

Mme Janine Ferretti (Directrice, Commission nord-américaine de coopération environnementale): Je vous remercie de me permettre d'intervenir ici.

La Commission nord-américaine de coopération environnementale a été créée par les trois gouvernements du Canada, du Mexique et des États-Unis dans le prolongement de l'ALENA. Elle a été chargée par ces trois pays de faciliter la coopération environnementale dans le contexte de l'élargissement des perspectives économiques grâce à la libéralisation du commerce. Nous sommes donc une institution tout à fait particulière, de nature expérimentale, qui devrait faire un travail de défrichage dont les résultats pourront s'appliquer dans d'autres domaines.

La Commission a également été créée pour aider les trois pays à faire face à leurs préoccupations en matière de commerce et d'environnement. Une bonne partie des problèmes de commerce et d'environnement qui apparaissent devant l'OMC et dans le contexte de la ZLEA ont déjà été abordés dans l'ALENA et dans son accord environnemental connexe, l'Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l'environnement. Nous en sommes à l'étape de la mise en oeuvre de cet accord. Le Canada peut grandement tirer partie de son expérience nord-américaine lorsqu'il va aborder les mêmes questions dans le contexte de la ZLEA et de l'OMC.

Ce matin, je voudrais aborder brièvement trois questions importantes qui découlent des leçons apprises depuis cinq ans dans le contexte de l'ALENA. Ces questions sont tout à fait topiques à l'échelle du continent et même de la planète.

La première concerne le rôle essentiel de la transparence et de la participation des citoyens à la politique commerciale. Comme vous le savez, nombreux sont ceux qui craignent que les normes et les règlements environnementaux chèrement acquis ne soient affaiblis ou nivelés par le bas.

Ces préoccupations proviennent notamment du contraste que l'on remarque dans les différentes formules d'élaboration des politiques environnementales et commerciales. Par exemple, les réformes du commerce reposent largement sur des politiques neutres, non discriminatoires et non interventionnistes. A l'inverse, les politiques environnementales sont souvent caractérisées par des interventions de type réglementaire et par une discrimination entre industries polluantes et non polluantes—et je parle ici du contexte canadien.

Par ailleurs, la politique environnementale s'élabore dans la transparence, à la faveur de multiples consultations. La politique commerciale, en revanche, a toujours été le fruit d'un processus plus fermé et peu propice aux discussions publiques et à la consultation. Évidemment, la situation évolue mais on constate encore des démarches différentes.

L'exemple le plus remarquable des préoccupations des Canadiens concernant la transparence concerne les objections formulées récemment, et dont vous avez certainement entendu parler, à l'encontre du chapitre 11 de l'ALENA, où il est question des mécanismes de règlement des différends entre les investisseurs et l'État. Jusqu'à maintenant, un certain nombre de poursuites ont été intentées contre des règlements environnementaux canadiens, notamment à propos de l'interdiction de l'usage de MMT, des PCB et des exportations d'eau douce. Ces poursuites ont milité en faveur d'un renforcement de la transparence et de la responsabilité dans les procédures de règlement des différends, de façon que les préoccupations des citoyens en matière d'environnement soient prises en compte.

• 0910

On constate déjà des changements très encourageants à l'Organisation mondiale du commerce, notamment la restriction concernant les documents, la possibilité pour les tierces parties de faire des interventions désintéressées et la consultation permanente.

Le deuxième sujet d'importance est la nécessité de mieux comprendre les conséquences environnementales du libre-échange. La CCE a notamment pour mandat d'étudier les effets environnementaux de l'ALENA. Vous vous souvenez qu'au départ, on a beaucoup débattu des conséquences éventuelles de l'ALENA. Le mois dernier, nous avons publié un rapport important consacré à l'évaluation des effets environnementaux de l'ALENA, qui se trouve, je crois, sur votre table. Nous avons constaté à cette occasion qu'il est très difficile de bien comprendre les conséquences du libre-échange au niveau de chaque secteur et de l'ensemble de l'économie. Il est encore plus difficile de comprendre les effets environnementaux des réformes de la politique commerciale.

Néanmoins, grâce à cette expérience, nous avons découvert les questions qu'il faut poser, les modèles qu'il faut utiliser et les hypothèses indispensables à l'évaluation des effets environnementaux. Nous savons qu'un certain nombre de pays membres de l'OMC se sont dit désireux d'entreprendre une évaluation approfondie des effets de l'Uruguay Round sur l'environnement et des effets prévisibles des prochaines négociations. Je sais que certains s'intéressent aussi aux mêmes questions dans le contexte de la ZLEA.

Ces analyses devraient permettre de répondre aux préoccupations des citoyens concernant les effets environnementaux des accords commerciaux. Je crois que l'Amérique du Nord a une bonne expérience des méthodes analytiques qui pourraient servir au gouvernement canadien, aux gouvernements provinciaux, aux organismes d'affaires et aux ONG pour bien comprendre les effets environnementaux des accords commerciaux.

La troisième question concerne les règles commerciales, qui forment une très vaste catégorie. Vous savez que le débat à ce sujet est nettement polarisé. Certains considèrent que les règles commerciales ne devraient pas s'intéresser à l'environnement... ou plutôt, que les accords commerciaux ont fondamentalement un effet négatif sur l'environnement, et qu'il faut y mettre un terme. Entre les deux extrêmes, on trouve un espace largement suffisant pour définir la façon dont les règles commerciales peuvent favoriser des objectifs environnementaux.

J'aimerais citer brièvement trois domaines où cette nouvelle vision s'impose.

Premièrement, comme vous l'ont dit les intervenants précédents, il faut résoudre l'ambiguïté concernant les accords environnementaux multilatéraux qui appliquent des mesures commerciales, comme le Protocole de Montréal sur la protection de la couche d'ozone. L'ALENA a partiellement résolu le problème en établissant que si un conflit apparaît entre un accord environnemental multilatéral et les règles commerciales de l'ALENA, les conditions ou les dispositions de certains accords environnementaux particuliers—nous parlons ici du Protocole de Montréal, de la Convention de Bâle et de la CITES—auraient préséance.

Un deuxième thème d'intérêt relatif aux règles commerciales concerne l'ambiguïté entourant les produits et les méthodes de production. Il est question ici de la possibilité d'assujettir l'accès au marché à des conditions portant sur la nature d'un produit—par exemple, sa teneur en papier recyclé—ou sur la façon dont il a été fabriqué. Comme l'a indiqué M. Hanson avant moi, nous avons une grande expérience à ce sujet dans l'industrie des produits forestiers, et nous voyons le même problème apparaître dans le contexte de la déréglementation de la production d'électricité. A mesure que nous progressons vers un réseau électrique à l'échelle de l'Amérique du Nord, il est de plus en plus question de limiter les émissions produites par chaque unité de production d'électricité. On peut aussi prendre l'exemple de l'imposition d'une règle exigeant un certain contenu d'énergie renouvelable. Ces questions vont au coeur du débat, et appellent des réponses comme l'étiquetage environnemental et la certification. La CCE doit produire un rapport sur l'expérience acquise jusqu'à maintenant en matière d'étiquetage environnemental et de certification.

Le troisième domaine où les règles commerciales devraient permettre un certain progrès est celui de la recherche des solutions «gagnant-gagnant» et où il peut y avoir un renforcement mutuel entre la libéralisation du commerce et la protection de l'environnement. Le mois dernier, Statistique Canada estimait à 22 milliards de dollars par an la valeur du secteur des biens et services environnementaux au Canada. Ce chiffre devrait certainement augmenter à l'avenir, ne serait-ce qu'à cause des politiques de réaction aux changements climatiques. Le Canada peut également jouer un rôle de leader en invitant les pays membres à débattre en toute franchise de l'abandon des subventions à l'agriculture et aux pêches qui portent préjudice à l'environnement.

Ce sont là finalement les domaines auxquels nous avons travaillé dans le contexte nord-américain. Je crois que l'expérience qu'on a ici, l'expérience du monde réel, peut être utile tant pour le Canada que pour les autres pays dans l'examen de leurs objectifs commerciaux et de leurs priorités commerciales à l'échelle du monde et de l'hémisphère. Merci beaucoup.

• 0915

Le président: Merci, madame Ferretti.

Je donne maintenant la parole à Mme Smith de l'Association canadienne pour les Nations Unies.

Mme Muriel Smith (présidente, Association canadienne pour les Nations Unies): Je vous remercie, et je tiens à vous dire que je vous suis reconnaissante de pouvoir vous adresser la parole à titre, non pas de spécialiste comme les trois autres témoins, mais de généraliste et de personne qui s'intéresse aux courants de pensée et à leurs répercussions.

J'ai un mémoire, mais je ne le suivrai pas textuellement. Dans la première partie, je retrace les diverses étapes de mon cheminement et la façon dont mes idées ont évolués jusqu'à ce que j'en arrive, à la conférence de Rio de 1992, à élaborer ma propre petite version du triple-E, et qui vise à combiner économie, équité et environnement ou questions écologiques.

Quand je suis allée à cette conférence, j'avais déjà une certaine expérience de la politique provinciale, où j'avais essayé d'intégrer les intérêts sociaux, environnementaux et économiques, si bien que je savais combien cela pouvait être difficile. J'étais très enthousiaste à l'idée qu'on essayerait à tout le moins d'examiner ces questions ensemble, mais j'étais consciente de la difficulté d'établir un lien entre deux de ces réalités, encore plus d'en établir un entre les trois. C'est donc dans cette optique que je vous adresse la parole aujourd'hui.

En tant que membre de l'Association canadienne pour les Nations Unies—j'en suis en fait la présidente—, je suis de plus en plus consciente de la façon dont les institutions qui régissent le monde du commerce et des finances sont distinctes des Nations Unies. Bien des gens s'imaginent que les deux sont intimement liées, alors qu'elles sont en fait découplées. Aux Nations Unies, la communication semble s'améliorer et la démocratie fait des progrès, si bien qu'on en attend beaucoup. Dans les organisations financières et commerciales toutefois, la balance penche beaucoup en faveur des plus fortunés. À la Banque mondiale et au FMI, plus un pays est riche, plus sa voix compte. À l'OMC, même si tous les pays qui y adhèrent en sont membres, il semble que la participation au comité de direction et à l'élaboration des objectifs soit dans une large mesure l'apanage des pays riches.

En tant qu'observateurs à l'OMC en décembre 1996, nous avons assisté aux réunions en sachant bien quelle était la position des pays du tiers monde et, où ils ont exprimé ce qu'ils attendaient de ces réunions sans porter de jugement. Ils espéraient des progrès sur l'Accord de Marrakech issu de l'Uruguay Round; ils espéraient avoir accès aux marchés des textiles, des vêtements et des produits agricoles. Les pays industrialisés semblaient toutefois plus préoccupés, non pas par les produits primaires ou secondaires, mais par les produits de niveau supérieur, par toute la gamme des services—droits de propriété intellectuelle, télécommunications, investissements, services financiers, etc.

Nous avons été très découragés par ces réunions. En tant qu'ONG, nous avons eu très peu de possibilités de faire connaître notre opinion. Au bout du compte, il semble qu'on ait fait énormément progresser les objectifs des pays industrialisés parce que leurs économies avaient besoin d'un coup de fouet dans ces domaines, et qu'on ait à toutes fins utiles passé sous silence les préoccupations des pays en développement. Si bien que l'espoir que nous mettions dans l'efficacité de l'OMC s'est considérablement amenuisé. Nous ne capitulons toutefois pas pour autant.

Les régimes environnementaux et les régimes des droits de la personne semblent aussi être traités comme des éléments distincts et inférieurs. En cas de contradiction entre le régime environnemental et le régime commercial, si j'ai bien compris, ce sont les intérêts commerciaux qui l'emportent. Nous sommes d'avis que cela augure très mal pour l'intégration des questions sociales, environnementales et écologiques. Nous espérons que les nouvelles négociations permettront d'examiner cette situation d'un oeil critique et, comme d'autres intervenants l'ont dit, nous espérons qu'en cas de contradiction, les questions environnementales qui sont d'une importance fondamentale et à long terme pour nous tous auront la préséance.

D'après ce que nous avons pu constater, les pressions politiques qui s'exercent dans les pays en développement—et je suppose que c'est aussi le cas du Canada et de ses dirigeants politiques—sont tellement axées sur l'emploi qu'ils doivent poursuivre leurs objectifs commerciaux coûte que coûte.

• 0920

Les autres questions de l'équité et de l'environnement sont importantes, mais elles arrivent au deuxième plan. Nous soutenons que c'est en partie parce qu'ils ne trouvent pas d'autres moyens de créer de l'emploi dans leurs pays. L'évolution du développement durable dans nos pays doit tenir davantage compte des possibilités d'emploi dans le domaine du service social, de la culture, de la protection environnementale—tous ces domaines qui favorisent le mieux-être de la population sans nuire à l'environnement ni écarter le monde en développement.

Nous sommes très conscients qu'il ne s'agit pas de choisir entre protectionnisme et marché complètement ouvert. Il est faux de poser comme prémisse que le libre-échange est un objectif en soi. Certains critiques, dont George Soros et d'autres—j'ai un document qui a été produit par un groupe responsable d'hommes d'affaires américains fortunés—, soutiennent que l'économie de marché est non seulement très instable, mais aussi inéquitable. C'est dans sa nature. En l'absence d'éléments pouvant faire contrepoids, comme les ONG et les États militants, nous n'obtiendrons pas l'équilibre, la stabilité et la prospérité que nous espérons tous.

Les tendances actuelles à l'OMC donnent à penser que ces questions ne suscitent guère d'attention. Nous espérons donc que le Canada, pour les raisons invoquées par les témoins précédents—et je souscris entièrement à ce qu'ils ont dit—, en sa qualité de pays assez favorisé pour qui le commerce et l'intégrité environnementale sont importants, s'efforcera de jouer son rôle comme puissance moyenne de concert avec d'autres pays animés des mêmes sentiments afin d'éliminer l'écart entre les pays du G-8, les autres pays nordiques, et les pays en voie de développement.

Il ne faut pas souscrire d'emblée à l'idée que le libre-échange constitue le meilleur moyen d'assurer le développement. Il ne s'agit que d'un moyen parmi bien d'autres. Certains pays sont aux prises avec des programmes radicaux d'ajustement structurel. Je sais que l'OMC ne s'occupe pas directement de ces questions, mais le commerce ne saurait être examiné isolément; il faut savoir que les pays en développement considèrent que la libéralisation des échanges les oblige à réduire leurs services sociaux et à ouvrir leurs frontières. Bien souvent, leur environnement en souffre, leurs localités se trouvent détruites parce qu'on ne tient plus compte du savoir autochtone, et j'en passe.

Certains pourraient demander pourquoi ces pays participent alors à l'OMC. C'est que, depuis la fin de la guerre froide, ils estiment que c'est leur seul espoir, et beaucoup d'entre eux continuent d'espérer que la promotion du libre-échange et d'un de l'économie de marché engendrera la prospérité. Bien d'autres sont toutefois très critiques à l'endroit du libre-échange et de l'économie du marché.

Si nous ne prenons pas rapidement des mesures pour régler ces problèmes d'équité tant à l'intérieur des pays qu'entre eux et si nous ne faisons pas en sorte d'incorporer à notre démarche les préoccupations environnementales, la prospérité que nous attendions du libre-échange sera un produit dénaturé.

Le président: Merci beaucoup, madame Ferretti.

Cela vous intéressera peut-être de savoir que, dans notre étude, nous aurons un chapitre qui fera le lien entre commerce et programmes d'ajustement structurel et autre des institutions financières internationales. Chacun reconnaît, je crois, que ces deux réalités ne sauraient être examinées isolément, même s'il s'agit d'institutions très différentes. Nous suivons en cela votre recommandation.

Il semble que le Conseil provincial des femmes vienne de se joindre à nous. Madame Morris, je n'ai pas eu l'occasion de vous présenter, alors je vous souhaite la bienvenue. Je vous invite à nous faire un exposé d'une dizaine de minutes, après quoi nous pourrons passer aux questions.

Merci beaucoup.

Mme Valinda Morris (porte-parole, Conseil provincial des femmes): Merci beaucoup, monsieur Graham.

Au nom du Conseil provincial des femmes, notre vice-présidente, Elizabeth Fleming et moi-même souhaitons la bienvenue à Winnipeg aux membres du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international.

Nous tenons également à remercier l'Institut international du développement durable, qui a son siège ici, d'avoir organisé cette rencontre d'aujourd'hui avec le comité de nous avoir invitées à participer.

• 0925

Nous sommes heureuses de pouvoir vous présenter notre mémoire—j'hésite à le qualifier de mémoire parce que nous l'avons rédigé tellement rapidement—au nom du Conseil national des femmes et de notre Conseil. Le Conseil national n'avait pas entendu parler des audiences qui ont eu lieu plus tôt à Ottawa, si bien que c'est maintenant seulement que nous nous joignons au processus de consultation. Nous nous limiterons au sujet auquel s'intéresse le comité et nous prévoyons que le CNFC, notre conseil national, vous fera parvenir d'ici peu un mémoire dans lequel il abordera les questions plus générales.

Dans l'exposé que nous avions présenté relativement à l'AMI en novembre 1997, nous avions demandé que la population soit plus largement consultée en vue de ces négociations importantes, et nous sommes heureuses que des démarches aient été entreprises en ce sens. Nous croyons savoir que ces rencontres seront la seule occasion qu'auront les organisations non gouvernementales de faire entendre leur voix. J'espère que vos audiences pancanadiennes attireront de nombreux participants.

Comme vous le savez peut-être, le Conseil national des femmes a été créé il y a plus de 100 ans. Il s'agit d'une organisation de bénévoles à but non lucratif composée de groupes de femmes représentant un grand nombre de femmes de divers milieux professionnels, de diverses origines ou cultures et de divers groupes linguistiques. Nous sommes très représentatives de la population. Nous avons 22 conseils locaux, quatre conseils provinciaux, un groupe d'étude et 25 sociétés organisées à l'échelle nationale, et nous sommes présentes dans toutes les provinces.

Nous pouvons vous parler aujourd'hui au nom de toutes celles que nous représentons parce que nous avons une politique commune que nous avons élaborée à partir de la base. Nous ne pouvons exposer que notre politique du moment lorsque nous nus exprimons devant les gouvernements, les médias ou la population. Chaque année, nous présentons un mémoire au premier ministre et à son conseil des ministres. Nous avons également le statut d'organisme consultatif auprès du Conseil économique et social des Nations Unies et nous sommes affiliées au Conseil international des femmes qui est présent dans 74 pays et qui rassemble les femmes de tous ces pays.

En ce qui a trait aux principes du développement durable, nous souscrivons à la définition de 1987 adoptée par la Commission mondiale de l'environnement et du développement, comme le fait d'ailleurs le Groupe de travail national sur l'environnement et l'économie du Canada. Le Manitoba a par ailleurs sa propre Loi sur le développement durable, et le Conseil provincial participe à l'élaboration et à l'examen des stratégies à cet égard, qui ont pour objet d'assurer un développement équilibré, sur le plan tant économique qu'environnemental.

Nous nous demandons toutefois si ces principes ne sont pas en péril. Ainsi, malgré son importance capitale, c'est le cas de l'objectif de la comptabilisation de tous les coûts liés au développement, rarement poursuivi. André De Moor et Norman Myers l'illustrent bien quand ils montrent comment l'activité économique est faussée par les subventions gouvernementales dans les secteurs de l'agriculture, de l'énergie, des transports et de l'eau, avec les coûts sociaux et environnementaux dévastateurs qu'elles entraînent.

Nous craignons que la volonté d'appliquer le principe du développement durable soit en train de s'affaiblir au fur et à mesure que des organisations à vocation commerciale, comme l'OMC, la Banque mondiale, le FMI et l'OCDE, acquièrent de plus en plus de pouvoir et exercent de plus en plus leur emprise sur l'avenir au nom de la mondialisation, de la libéralisation des échanges, de la privatisation, de la déréglementation et des mesures facultatives.

Invariablement, ces organisations et processus omettent de situer le commerce dans le contexte plus général des accords internationaux qui inclut des objectifs de développement durable.

Au chapitre des accords environnementaux à l'échelle internationale et nationale, nous sommes d'avis que le Canada ne respecte pas ses obligations. Nous avons énuméré dans notre documentation un certain nombre de ces accords nationaux et internationaux. Nous sommes toutefois très sceptiques quant à leur efficacité pour ce qui est de protéger l'environnement.

• 0930

Nous nous demandons si le comité a lu ou a examiné les rapports de M. Caccia, président du Comité permanent de l'environnement et du développement durable, ou de M. Brian Emmett, Commissaire à l'environnement et au développement durable, parce que ces rapports indiquent clairement que nous ne respectons pas nos engagements de principe. Pour que la population continue à avoir confiance que le gouvernement respectera ses engagements, il faut que nous ayons l'assurance que le comité applique ces accords comme il se doit.

Quant à lui, le Conseil national a un certain nombre de principes et de politiques en ce qui a trait au libre-échange, à la mondialisation et à la négociation d'accords internationaux. Notre objectif général est de travailler à améliorer la situation des femmes et de leurs familles ainsi que les conditions de vie de tous les membres de notre société.

Nous reconnaissons que le monde est appelé à changer avec la mondialisation des économies, mais nous sommes d'avis qu'il faut trouver un moyen de faire en sorte que les changements tiennent compte des principes qui visent à favoriser la santé et le bien-être des populations des différents pays et à protéger la souveraineté de ces populations.

En termes plus précis, nous sommes pour la répartition équitable du revenu, pour des soins de santé et des services sociaux convenables, pour des normes de protection de l'environnement, pour une éducation universelle de qualité, pour des pratiques de travail équitables et pour l'égalité de tous devant des lois justes. Nous estimons aussi que les gouvernements nationaux ont un rôle important à jouer dans la réalisation de ces objectifs, et nous avons un certain nombre de politiques en matière de libre-échange et d'environnement.

Les compressions budgétaires, l'harmonisation, le délestage vers les paliers de gouvernement inférieurs, la déréglementation et la privatisation de monopoles gouvernementaux qui caractérisent le contexte canadien affaiblissent encore davantage notre position par rapport aux lois sur le commerce international. A notre avis, sans cette protection, le développement durable équilibré est illusoire.

Nous avons annexé les mesures de protection nécessaires, citant toutes nos résolutions, telles qu'elles figurent dans notre mémoire.

Quand nous avons présenté notre énoncé de principe sur la négociation d'accords commerciaux internationaux en 1998, nous avons préconisé un processus ouvert et complètement transparent qui respecte les libertés civiles, les droits de la personne et les lois et textes réglementaires canadiens, y compris les normes environnementales nationales. Notre avenir dépend de l'activité chez nous des multinationales et des transnationales, nous en convenons, mais nous craignons que ces transnationales soient subventionnées par le contribuable, soit directement soit par des mesures fiscales. Elles peuvent réduire leur effectif comme elles le veulent, sans aucune conséquence; elles semblent jouir d'une position dominante sur le marché et elles ont tendance à vouloir monter les États ou leurs composantes les uns contre les autres.

Le conseil national reconnaît que le Canada est toujours fortement tributaire de l'exportation de ses richesses naturelles. Sa prospérité dépend du commerce extérieur plus que celle de la plupart des autres pays. Nous savons que beaucoup de petites et moyennes entreprises canadiennes ont prospéré en trouvant des créneaux dans le nouveau monde des échanges libéralisés et ont ainsi créé des emplois au Canada. Nous nous préoccupons toutefois tout particulièrement de la perte de la souveraineté canadienne. À chaque mois qui passe, nous constatons à quel point nous sommes faibles et impuissants face aux lois sur le commerce international, à l'utilitarisme américain et au traitement favorable accordé par nos gouvernements, au niveau fédéral et provincial, aux droits des investisseurs, au détriment de la protection environnementale de la vie et de la santé des humains, des animaux et des végétaux. Nous savons bien que l'OMC ne reconnaît pas les compétences «locales», c'est-à-dire provinciales. Que peut donc faire alors une population aux prises avec le délestage, l'harmonisation et le contrat social? Ce sont là des questions qui nous préoccupent énormément.

• 0935

L'application des principes du développement durable pourrait être autorisée en vertu des chapitres du GATT et de l'ALENA qui traitent des obstacles techniques au commerce, mais dans les décisions effectivement rendues par l'OMC, ces normes sont considérées comme étant en violation de l'Accord de l'OMC. De même, l'article 20 du GATT pourrait être invoqué pour justifier le maintien de normes nationales, mais en vertu de l'OMC et de l'ALE et du même article, chaque fois qu'une norme nationale a été contestée, non pas seulement au Canada mais ailleurs, elle a été jugée incompatible, si bien qu'elle a dû être révoquée. C'est le sort qui semble avoir été réservé à l'Accord multilatéral sur l'environnement.

Cette perte de souveraineté nous désole beaucoup, et nous estimons qu'elle mine la protection et la confiance de la population. Elle affaiblit encore davantage l'obligation de rendre des comptes aux citoyens et aux contribuables. Nous sommes d'avis qu'il incombe à tous les députés de veiller à ce que nos normes et nos lois existantes soient maintenues.

Nous citons également le chapitre 11 de l'ALENA et la disposition qu'il contient relativement à l'arbitrage entre investisseur et État. Nous signalons que le Canada a fait l'objet jusqu'à maintenant de quatre poursuites, concernant l'essence, les déchets contenant des BPC, la réglementation par la Colombie-Britannique des exportations d'eau en vrac et les contingents de bois d'oeuvre, et nous nous demandons si Monsanto sera le prochain à intenter des poursuites relativement à l'interdiction de l'hormone STbr destinée aux vaches. Nous savons que notre...

Le président: Madame Morris, veuillez m'excuser de vous interrompre, mais nous approchons de la fin des 15 minutes. Je n'aime pas interrompre qui que ce soit, mais je sais que nous avons des questions à poser à tous les participants et nous n'avons qu'une demi-heure pour ces questions.

Mme Valinda Morris: Excusez-moi.

Je dirai seulement que l'eau est une autre de nos préoccupations importantes, et nous avons énuméré les diverses considérations à cet égard et indiqué qu'il s'agit là d'un produit de base qui ne devrait pas faire l'objet d'un commerce international lucratif.

Si vous le permettez, je demanderai à Mme Fleming s'il y a des recommandations qui...

Mme Elizabeth Fleming (vice-présidente, Conseil provincial des femmes): Pas pour l'instant. Je crois que nous avons...

Mme Valinda Morris: Nous vous ferons parvenir des recommandations par écrit. Merci beaucoup.

Le président: Merci. Votre témoignage est très utile.

Mme Valinda Morris: Merci de m'avoir interrompue.

Le président: Ça va. Je n'aime pas interrompre les gens, mais nous avons des députés qui sont impatients de poser des questions aux divers participants du groupe.

Je propose de continuer jusque vers 10 h 25, puis nous prendrons une pause de cinq minutes avant d'accueillir le prochain groupe et le ministre. Tâchons de nous discipliner pour que nous puissions terminer à 10 h 25 au plus tard.

Monsieur Penson.

M. Charlie Penson: Merci, monsieur le président. Je profite de l'occasion pour souhaiter la bienvenue aux témoins de ce matin à nos audiences sur l'OMC. Il est très important à mon avis que nous puissions sortir d'Ottawa et nous déplacer d'un bout à l'autre du pays pour entendre les différents points de vue et que les gens puissent ainsi venir nous faire part de leurs vues dans leur province.

• 0940

J'ai été particulièrement intéressé par la discussion sur les subventions agricoles et le développement durable et par la conclusion de MM. Cosbey et Hanson, pour qui ces subventions peuvent nuire énormément au développement durable. J'en constate en tout cas les effets dans mon domaine, qui est l'agriculture, car j'ai une ferme en Alberta.

Tout cela est très intéressant. Il y a environ trois ans, j'ai vu une photographie aérienne, prise à l'infra-rouge et transmise par satellite, de la frontière canado-américaine, du 49e parallèle qui sépare la Saskatchewan et l'Alberta du Montana et du Dakota du nord. On pouvait en fait voir la frontière, le 49e parallèle, et on ne pouvait faire autrement que de se demander comment il se pouvait qu'on puisse ainsi voir exactement où était la frontière? La réponse tient essentiellement à la politique agricole—la politique agricole américaine qui prévoit des subventions et des programmes agricoles au profit des les céréaliculteurs. Les subventions du côté canadien ne sont pas aussi importantes; aussi les terres avoisinant la frontière étaient couvertes d'herbes, qui à mon avis sont bien meilleures pour l'environnement, et qui combattent notamment la dégradation des sols. On pouvait donc voir des signes tangibles de l'application de cette politique agricole.

Au chapitre de la dégradation des sols, au Canada, nous avons perdu environ 50 p. 100 de notre couche arable depuis 75 ou 80 ans. Selon moi, et il semble que ce soit aussi votre avis, cette dégradation est due en grande partie à la politique agricole et aux subventions dans une certaine mesure. Il s'agit donc là d'une question très intéressante, et je verrais d'un bon oeil toute mesure visant à nous conduire à une économie de marché et à délaisser une politique comme celle-là.

Dans certains pays de l'Union européenne, aux Pays-Bas par exemple, l'industrie du porc se caractérise par une surproduction à très grande échelle, en raison surtout des subventions, et on constate une multitude de problèmes environnementaux liés notamment à la présence d'azote dans les eaux souterraines. Ce n'est donc pas moi qui vais contester vos propos à cet égard.

Monsieur Hanson, j'ai deux ou trois questions à vous poser au sujet d'une partie de votre exposé que je n'ai pas très bien saisie. Vous parliez de barrières non tarifaires et de leur effet nocif par rapport à ce que vous nous recommandez de faire. Vous avez aussi parlé des normes de l'ISO. Pourriez-vous m'en dire un peu plus à ce sujet pour m'éclairer?

M. Arthur Hanson: Bien sûr. Pour ce qui est des barrières non tarifaires, le problème tient essentiellement au fait qu'on invoque l'argument environnemental quand l'objectif est en réalité d'exclure un produit, comme dans le cas de programmes de conformité des produits forestiers aux normes très sévères. Les normes sont tellement exigeantes que l'accès au marché est impossible pour un pays étranger.

Dans certains cas, il est certainement justifié d'invoquer l'argument environnemental comme préoccupation. Le problème tient toutefois au fait que certains groupes, dont l'objectif est finalement d'écarter certains produits de leur marché, vont même jusqu'à s'associer à des écologistes qui se trouvent parfois à servir à leur insu la cause de ces groupes.

La question qu'a soulevée Aaron au sujet de l'informatique en Europe serait...

Mettriez-vous cela dans la même catégorie?

M. Aaron Cosbey: Oui.

M. Arthur Hanson: Les gens du milieu font preuve de beaucoup d'ingéniosité, si bien qu'il faut de veiller à ce que l'argument environnemental invoqué pour exclure un produit soit le fait d'une préoccupation légitime et qu'il ne serve pas simplement à écarter la concurrence.

M. Charlie Penson: Pour cela, si je comprends bien, vous avez proposé que l'argument se fonde sur des données scientifiques.

M. Arthur Hanson: Oui, tout à fait. C'est une des raisons pour lesquelles la validation scientifique est pour nous un principe important. Dans toute la mesure du possible, il nous faut avoir un ensemble de données solides et convaincantes.

Il y a toutefois des exceptions, d'où l'importance du principe de précaution, dans les cas limites où il y a un produit chimique toxique ou quelque chose de ce genre ou encore dans les cas où on soupçonne un problème quelconque et où, malgré l'absence de preuves suffisantes, nous ne pouvons pas autoriser l'entrée du produit.

M. Charlie Penson: Autrement dit, vous préférez pécher par excès de prudence dans ces cas...

M. Arthur Hanson: Oui, en règle générale, mais il faut quand même s'assurer d'avoir des données scientifiques solides le plus rapidement possible quand on a des préoccupations environnementales quelconques.

• 0945

Cela nous amène ensuite à la deuxième partie de votre question, au sujet de toutes ces normes qui existent. La certification et les normes sont un peu une escroquerie.

En mettant les choses au pire—quand on achète une boîte de thon de la Thaïlande, sur laquelle on a apposé un beau petit symbole pour montrer qu'il n'y a pas eu de dauphins qui ont été pris au piège, faut-il ajouter foi à cette affirmation? Je n'en suis pas sûr, car le thon surgelé arrive dans le sud de la Thaïlande où il est transformé dans de grandes usines et personne ne sait comment le thon a été pêché; autrement dit, personne ne sait si on a utilisé un filet qui prend aussi des dauphins? Ce n'est pas du tout sûr.

Les questions de certification sont donc d'une importance critique. Beaucoup de pays ont commencé à mettre sur pied leurs propres programmes ou à établir des programmes par industrie. Certains de ces programmes sont rigoureux; d'autres pas.

M. Charlie Penson: Comme les programmes ISO?

M. Arthur Hanson: J'allais justement parler d'ISO 14000. L'ISO—et il y a d'autres organisations semblables, bien que l'ISO soit la plus importante—désigne l'Organisation internationale de normalisation. L'ISO certifie, non pas les procédés utilisés, mais les méthodes de gestion de l'entreprise en cause, tout comme c'est le cas pour ISO 9000, qui garantit la gestion de la qualité de façon globale.

Ainsi, quand on reconnaît qu'une entreprise est conforme à ISO 14000, qu'elle fait généralement les choses comme il convient, c'est qu'elle a un système de gestion de l'environnement et qu'elle tient compte des questions environnementales. On ne reconnaît toutefois pas le produit en question comme ayant été produit de façon durable. Par contre, les programmes comme les programmes de certification des produits forestiers attestent que le produit lui-même... Ils donnent l'assurance que telle planche de bois d'oeuvre provient d'une forêt qui n'était pas un peuplement vieux, par exemple, ou encore qu'elle a été usinée selon des procédés respectueux de l'environnement.

M. Charlie Penson: J'ai encore un peu de mal à comprendre. Voulez-vous dire que les programmes de certification comme ceux de l'ISO sont un moyen de contourner les obligations en matière de développement durable dans certains secteurs, qu'ils sont un moyen en quelque sorte d'obtenir une certification sans que les normes répondent nécessairement aux critères du développement durable? Ou dites-vous que ce sont de bons programmes qui sont largement reconnus?

M. Arthur Hanson: C'est un outil utile, qui vous dit, si telle entreprise est reconnue comme conforme à ISO 14000, qu'elle a réfléchi à la façon de traiter ses déchets, qu'elle a un système de gestion environnementale en cas de danger pour l'environnement, et le reste. Il ne vous permet toutefois pas de savoir que tel produit a été fabriqué de façon durable.

Il s'agit d'un moyen d'obtenir une vérification objective de la qualité des pratiques d'une entreprise. Puis, comme dans toute autre chose, il faut décider soi-même si l'on croit que la mesure est suffisante. Ainsi, le fabricant d'automobiles Toyota, ou n'importe lequel des autres fabricants d'automobiles, voudra peut-être en tenir compte dans ses rapports avec un fournisseur, voudra avoir l'assurance raisonnable que son fournisseur de pièces a des pratiques acceptables en matière d'environnement.

On peut évidemment vouloir aller encore plus loin, comme le fait Toyota, c'est-à-dire avoir toute l'information sur cinq ans de la façon dont un fournisseur traite ses déchets, ou même dans certains cas lui imposer la façon dont les déchets devront être évacués.

Lorsque l'on traite de ces questions de commerce et d'environnement—je parle bien de commerce et d'environnement, et non pas nécessairement de commerce et de développement durable—on oppose toujours une position à une autre. C'est-à-dire que les Européens nous accusent de blesser les animaux qui sont pris dans les pièges, ou de ne pas avoir de bonnes pratiques forestières. Comment pouvons-nous alors nous défendre? Disposons-nous de procédures indépendantes d'examen et de certification? Tout ce domaine de la certification est très important et même...

M. Charlie Penson: Finalement, il s'agit donc de prendre l'initiative pour diffuser un certain nombre de normes...

Dr Arthur Hanson: Nous devrions effectivement dans ce domaine être une espèce de modèle. Comme pays exportateur de ses ressources naturelles, avec une gamme importante de ressources à exploiter, nous sommes très vulnérables aux caprices et aléas de la politique européenne. Nous devrions donc prendre l'initiative dans ce domaine. Heureusement, et de notre point de vue, il y a un certain nombre de choses qui vont dans le sens de nos intérêts. On peut dire notamment que l'Association canadienne de normalisation s'est toujours alignée sur l'ISO, et notamment ISO 14000, ce qui fait que nous avons déjà une certaine avance.

Certains de nos secteurs de développement—l'industrie forestière de la côte Ouest par exemple—sont en train d'évoluer, et acceptent maintenant certaines des procédures de certification en matière d'exploitation forestière. Nous avons donc déjà fait un certain chemin.

• 0950

M. Charlie Penson: J'aimerais poser une petite question à Mme Morris, qui découle de son exposé. Je ne suis pas sûr de ne pas me tromper, mais si je vous ai bien comprise, je ne suis pas non plus tout à fait d'accord. D'après vous, la déréglementation des monopoles canadiens fait problème en ce qui concerne le développement durable. Dans l'autre exposé on disait qu'il fallait beaucoup de transparence dans la façon dont fonctionnent les organismes internationaux et ce genre de dispositifs. Je suppose qu'il y a ici des représentants de la Commission canadienne du blé, précisément un de ces monopoles. N'est-il pas effectivement important que toute la transparence soit garantie, pour que l'on puisse établir s'il y a ou non subvention?

Mme Valinda Morris: Je ne pense pas que ce soit une question de transparence, monsieur Penson. Ce dont nous parlions ici c'est de l'absence de protection du consommateur, lorsque l'on déréglemente les monopoles d'État, qu'il s'agisse de l'eau, de l'électricité, des entreprises d'utilité publique, etc., sans penser à la population et à la protéger, pour s'assurer que chaque citoyen a effectivement accès à l'eau et à l'électricité à un coût raisonnable. Voilà des secteurs qu'il faut préserver, on ne peut pas tout simplement déréglementer ou privatiser, et permettre ensuite au profit d'être en permanence l'argument invoqué lorsque l'on augmente les tarifs.

Il y a ensuite la question de la réglementation de l'entretien des infrastructures. Là aussi il faut des garde-fous réglementaires, une protection d'une sorte ou d'une autre. Déréglementer à tout vent est dangereux.

C'est d'ailleurs curieux; je vois que vous êtes de l'Alberta. Mon fils travaille pour TransAlta, et je peux vous dire que nous avons des discussions très animées là-dessus.

Je ne suis pas sûr d'avoir tous les chiffres, mais en tous les cas c'est bien pour cela que le Conseil national en parle.

M. Charlie Penson: La seule chose que je puisse répondre c'est qu'après la déréglémentation en Alberta on a mis en place des commissions de surveillance des entreprises d'utilité publique. C'est peut-être une façon...

Mme Valinda Morris: Oui. Nous devons nous assurer que toutes les provinces sont dotées de ce genre de commissions, indépendantes sur le plan politique, et chargées de protéger l'intérêt général, et non pas le gouvernement en place.

M. Charlie Penson: D'accord.

Le président: Merci beaucoup.

[Français]

Madame Debien.

Mme Maud Debien (Laval-Est, BQ): Lors de communications précédentes, un certain nombre d'organismes, provenant particulièrement du milieu des affaires, ont dit qu'on avait actuellement tendance à surcharger l'OMC par toutes sortes de questions, notamment les questions environnementales, celles relatives au respect des droits de la personne ou les clauses sociales, alors que l'OMC n'était pas la tribune adéquate pour discuter de ces questions et qu'on n'y devrait parler que de commerce. On nous a dit qu'il n'y avait pas de lien entre le commerce et l'environnement, les droits de la personne ou les clauses sociales.

Heureusement, nous avons également entendu des versions contraires. Selon vous, quel mécanisme devrait être mis en place à l'OMC? Existe-t-il déjà ou devrait-il exister, et quel est ce mécanisme qui permettrait que ces questions puissent bénéficier de règles fondamentales comme celles qu'on essaie d'élaborer pour les transactions commerciales? Peut-être que M. Cosbey ou Mme Ferretti pourrait répondre à cette première question.

Ma deuxième question concerne l'Institut international du développement durable. Lorsque M. Runnalls était venu, il n'avait pas eu le temps de parler davantage de votre recommandation voulant que la collectivité internationale trouve une autre tribune que celle de l'OMC pour négocier un ensemble de règles multilatérales sur l'investissement international. J'aimerais que vous expliquiez brièvement cette dimension de votre recommandation.

• 0955

Ma troisième question concerne les pays en voie de développement. On sait que les pays développés tentent actuellement d'aider les pays en voie de développement de différentes façons en leur fournissant de l'aide technique ou juridique. On a enlevé un certain nombre de tarifs vexatoires pour permettre aux pays en voie de développement de participer un jour de plain-pied à l'OMC. Un organisme a suggéré d'accorder un traitement hors taxe à tous les importateurs des pays en voie de développement, tout en permettant à ces pays des limites à l'ouverture de leurs marchés jusqu'à ce qu'ils puissent entrer de plain-pied à l'OMC en bénéficiant de conditions équitables et égales à celles des autres pays. J'aimerais savoir ce que vous pensez de cette recommandation.

[Traduction]

M. Aaron Cosbey: Merci. Je vais d'abord répondre à la première des deux questions, et Janine répondra à la troisième et peut-être aux autres. Voilà des questions très intéressantes.

Pour la première question, qui concerne l'OMC, nous répondons très fréquemment qu'il n'est pas question de savoir si l'environnement doit relever de l'OMC ou non, c'est d'ores et déjà le cas.

Même si l'OMC n'existe pas depuis longtemps sous sa forme actuelle, il y a déjà eu des litiges concernant le gaz reformulé et importé aux États-Unis, ce qui irait à l'encontre de la Clean Air Act, ou sur les hormones de croissance des bovins importés en Europe, les tortues et la pêche à la crevette dans l'Asie du Sud-Est, et en ce moment l'importation d'amiante du Canada par la Communauté européenne. Il y a eu d'autres dossiers.

Il y a eu encore bien d'autres litiges à l'époque du GATT, avant l'OMC. Il continuera donc à y avoir ce genre de litiges à l'OMC. L'environnement fait déjà partie des questions traitées. La question est de savoir si elle l'est comme il faut. Nous pensons que non. Ensuite je passe à l'autre partie de votre question. À savoir, devant quel organisme les questions environnementales devraient-elles être portées?

En ce moment, chaque fois qu'un comité d'arbitrage siège nous avons une nouvelle interprétation des règles de l'organisation, et c'est exactement ce qui se passe encore lorsque l'on fait appel des décisions du comité en question. Tout simplement parce que les règles n'ont jamais été conçues avec l'environnement en tête. Ces règles de base remontent à 1947. Et c'est encore elles qui font foi.

Nous n'avons jamais discuté, au niveau international, ni décidé de la façon dont nous devons distinguer du protectionnisme vert une volonté légitime de protéger l'environnement. Et parce que nous n'avons pas réussi à nous entendre là-dessus au sein d'une organisation multilatérale, ce sont chaque fois les comités d'arbitrage qui décident de l'interprétation des règlements, et comme je le disais, on assiste chaque fois à une nouvelle réinterprétation. Cela ne constitue évidemment pas un cadre stable pour les échanges internationaux, alors que c'est pourtant l'objectif de l'OMC, à savoir créer une certaine stabilité du point de vue de l'investissement international.

Ce dont on a besoin, et c'est notre position, c'est d'une doctrine au sein de l'OMC sur la façon dont la réglementation environnementale doit être comprise. C'est-à-dire qu'au cours des prochaines négociations il faudra s'entendre sur un certain nombre de critères qui permettront de nous donner le cadre d'une protection légitime de l'environnement. C'est-à-dire que chaque pays doit savoir ce qu'il peut faire lorsqu'il veut imposer certaines entraves au commerce pour des raisons d'ordre environnemental. C'est-à-dire qu'il faut pouvoir faire la part des choses, et bien pouvoir montrer qu'il ne s'agit pas de pur protectionnisme. Il est certain que la transparence et la clarté sont des éléments clés de tout cela. Il y a un certain nombre de critères à considérer, et le Canada a d'ailleurs fait un certain nombre de recommandations intéressantes à cet effet.

Mais l'argument essentiel c'est que l'on a besoin d'un cadre de référence de ce type. On n'ignore ce que sera l'issue des négociations, mais sans cet objectif, sans ce type de mécanisme, nous continuerons à avoir des litiges extrêmement pénibles, et contradictoires au sein de l'OMC, qui n'iront pas dans le sens de la protection du développement durable à l'échelle internationale. Je pense par exemple aux retombées de la discussion au sein du groupe spécial chargé d'arbitrer le dossier des tortues et crevettes, mettant aux prises les États-Unis et l'Inde, le Pakistan, la Malaisie, le Vietnam et la Thaïlande. Il en est résulté beaucoup d'amertume qui ne va pas disparaître du jour au lendemain; on en parlera encore au prochain millénaire. Cela donc fait échec à toute notre volonté de promouvoir le développement durable dans d'autres enceintes, grâce à des accords environnementaux multilatéraux, pour lesquels nous avons besoin de la collaboration des pays en voie de développement.

Nous avons donc besoin d'une certaine prévisibilité, il faudra négocier pour cela un dispositif qui permette de savoir dans quelles circonstances on peut imposer telle ou telle restriction aux échanges ou non.

• 1000

Votre deuxième question maintenant, qui porte sur le fait que l'OMC n'est pas le véritable lieu qui doit se charger de l'Accord multilatéral sur les investissements; nous l'avons déjà dit avec force et nous demandons par ailleurs que l'on adopte un nouveau régime de réglementation des investissements. Il est clair que l'on a besoin de garantir les droits des investisseurs dans le pays où l'argent est placé. C'est quelque chose qui avait été étudié à fond dans l'ébauche d'accord multilatéral sur les investissements, même si nous avons des réserves concernant les dispositions relatives à l'expropriation. On y renvoie effectivement au chapitre 11 de l'ALENA, invoqué par un certain nombre d'intervenants, et sur lequel nous faisons d'ailleurs nous-mêmes une certaine recherche; mais pour l'essentiel on peut dire que les droits des investisseurs avaient été correctement pris en considération. Malheureusement, on a eu tendance à oublier qu'ils sont également assujettis à des obligations. C'est-à-dire que tout pays qui accepte un investissement a le droit d'exiger d'un investisseur qu'il se conforme à un code de déontologie. Tout cela a été complètement passé sous silence lors des négociations de l'OCDE, ainsi que dans les discussions du groupe de travail sur l'investissement au sein de l'OMC. Pour un certain nombre de raisons l'OMC est tout à fait incapable de formuler ce type d'obligations et de les imposer au secteur privé.

Nous nous sommes dotés jusqu'ici d'un certain nombre de dispositifs et institutions nous permettant de répondre à la question du lien que l'on doit établir entre l'investissement et le développement durable, et l'on pense immédiatement aux meilleurs d'entre eux tels que la Convention cadre de l'ONU sur le changement climatique du protocole de Kyoto, qui est sans doute un des accords économiques les plus importants qui aient jamais été signés... et c'est bien à dessein que je parle d'accord économique. Même si l'intitulé renvoie à l'environnement, il s'agit en fait d'une proposition de restructuration profonde des économies du monde entier.

Ce que nous proposons c'est une tribune distincte pour traiter des questions d'investissement, avec un traité distinct, et une nouvelle institution où l'on négociera les droits et les obligations des investisseurs à l'égard des pays où l'argent est investi. Nous savons que ce n'est pas la position officielle du gouvernement canadien, mais si nous voulons vraiment répondre à la demande, nous estimons qu'il n'est pas possible de régler cette question au sein de l'OMC, en tout cas pas de la façon dont cette organisation fonctionne jusqu'ici.

[Français]

Le président: Je passe maintenant la parole à M. Blaikie.

[Traduction]

Monsieur Blaikie.

M. Bill Blaikie (Winnipeg—Transcona, NPD): Moi aussi je remercie nos témoins pour les exposés, qui suscitent d'ailleurs ma sympathie, qu'il s'agisse des analyses présentées ou des politiques proposées. Il n'y a en fait rien que j'aie véritablement à contester dans ce que vous nous avez dit.

J'aimerais vous poser une question d'ordre général. Pourquoi est-il si difficile de parvenir...? Des années se sont écoulées depuis le rapport Brundtland, alors que dans la foulée de celui-ci nous avions le sentiment que tout ce que les gouvernements faisaient et allaient faire serait immédiatement examiné du point de vue de la protection de l'environnement. L'idée de développement durable était dans toutes les bouches dans ce pays, et malgré cela le rouleau compresseur de la mondialisation et du libre-échange a poursuivi son travail sans aucun respect de l'environnement, sans aucun égard pour les conséquences environnementales possibles, et cela continue encore avec l'OMC, qui est une première strate d'un gouvernement mondial. Et c'est une première strate d'un gouvernement mondial qui ne tient aucun compte de l'environnement, si ce n'est de façon extrêmement fausse. Tout cela évidemment a des effets sur l'environnement, et comme vous l'avez dit l'environnement est un des dossiers de l'OMC, mais ça n'est pas traité comme ça devrait l'être. Ce n'est pourtant pas que l'environnement soit le cadet des soucis de nos pouvoirs publics. Personne n'osera non plus s'élever contre l'idée qu'il faut protéger l'environnement, et pourtant rien ne se fait. J'aimerais un petit peu savoir pourquoi il en est ainsi.

• 1005

M. Arthur Hanson: Janine, vous avez peut-être quelques idées là-dessus.

Voilà à peu près 30 ans que je discute de ces questions d'environnement et de développement, et pendant tout ce temps... excusez-moi?

Le président: Ça ne fait pas 30 ans que vous en discutez avec M. Blaikie.

M. Arthur Hanson: Non, je n'ai pas vécu dans les Prairies pendant tout ce temps-là, mais plutôt dans diverses régions du monde.

Je pense que les grands responsables du commerce international ont cherché jusqu'ici à ne pas se mêler d'environnement, et cela aussi longtemps que possible. Il y avait par exemple une commission du commerce et de l'environnement au GATT. Elle n'a jamais siégé pendant 12 ou peut-être même 20 ans. C'est quelque chose que les environnementalistes n'ignoraient pas. Nous étions parfaitement au courant de cela. Nous traitions avec la Banque mondiale ou même le FMI, autre exemple de refus à se mouiller sur ce dossier. Si bien qu'il s'est passé plus de choses depuis 1990 en ce qui concerne le commerce, l'environnement et le développement, que pendant les 20 années précédentes. Mais on partait avec beaucoup de retard.

Ce à quoi j'ai pu assister c'est un progrès graduel au sein de l'OMC, allant de la passivité à l'intérêt actif... C'est-à-dire que si l'on insiste suffisamment, on obtiendra quelques vagues grommellements et peut-être que quelque chose bougera. Un exemple est ce qui s'est passé ce mois de mars, où il y a eu une réunion de haut niveau à Genève pour la première fois des responsables du commerce et des responsables de l'environnement au niveau des sous-ministres; et c'est une performance non négligeable.

Il y a encore quelque chose d'essentiel dans tout cela, et cela est lié à la dernière question sur le rôle des pays en voie de développement, à savoir que ceux-ci sont très préoccupés par l'accès aux marchés et par toute entrave possible aux échanges. Cela devra faire partie de nos discussions au cours de la prochaine négociation de l'OMC. Nous devons être prêts à accorder d'importantes concessions commerciales aux pays en voie de développement, afin qu'en retour ceux-ci permettent au dossier de l'environnement d'avancer au sein de l'OMC. C'est aussi simple que cela. La tâche sera loin d'être simple, mais c'est le pas qu'il faut absolument franchir.

Les Européens sont de plus en plus intéressés, ainsi que certains secteurs américains. Sur cette question de l'environnement, les États-Unis sont complètement incohérents, mais les pays en voie de développement n'ont cessé de rappeler qu'ils avaient besoin de marchés, qu'ils avaient besoin de se développer pour relever leur niveau de vie, et c'est ça qui s'échangera contre ce que nous voulons pour la défense de l'environnement.

Mme Janine Ferretti: Puis-je aussi répondre à cela? Je crois que cela revient effectivement à la question de Mme Debien, à savoir que nous n'avons pas tous les mécanismes nécessaires au progrès de ce dossier. Le secrétaire général de l'OMC a demandé la création d'un organisme mondial de l'environnement, qui serait le partenaire de l'OMC pour traiter de ces questions. C'est exactement ce que nous avons ici en Amérique du Nord, où nous avons, pour l'ALENA, une commission du libre-échange et une commission de l'environnement.

Il ne s'agit pas d'avoir deux solitudes qui travaillent en parallèle, mais une collaboration entre les responsables de l'environnement et ceux du commerce, ce qui n'est pas encore le cas. On en est juste aux débuts, et on commence lentement à progresser. C'est effectivement pour moi la seule façon d'avancer, parce que si l'on traite toutes les questions environnementales par rapport aux questions commerciales, cette collaboration ne s'établira pas. Il faut donc effectivement ces deux institutions côte à côte.

• 1010

Il ne faut pas non plus négliger le dossier des pays en voie de développement. Nous avons ici en Amérique du Nord un exemple très intéressant de partenariat. À savoir deux pays industrialisés—les États-Unis et le Canada—et le Mexique, qui est membre de l'OCDE et qui, techniquement, ne fait pas partie du groupe des 77, tout en étant cependant dans notre contexte un pays encore en voie de développement. Nous savons qu'il y a encore pas mal de chemin à parcourir et de travail à faire auprès du Mexique pour créer cette confiance grâce à laquelle il n'aura plus à craindre que l'environnement ne devienne l'excuse de mesures protectionnistes, et qu'il comprenne que le lien entre l'environnement et le commerce peut être une occasion de réaliser des gains, en ayant accès aux marchés canadien et américain pour son café, certains produits organiques, etc. Voilà donc quelque chose dont nous devons commencer à faire la démonstration... je veux parler de la nécessité de donner forme concrète à une politique globale de l'environnement et du commerce.

Le président: Madame Smith.

Mme Muriel Smith: Je pense qu'il s'agit ici de hiérarchie de valeurs, à savoir que pour certains, les échanges, et le profit, par le biais de l'activité économique, l'emportent sur tout autre motif. Il y a aussi le fait que les grandes entreprises et les gouvernements en place font un battage énorme autour de la notion de croissance et d'échanges, en disant que c'est la condition sine qua non de tout autre développement. Ça avait commencé ici au Manitoba avec la loi sur le développement durable, qui faisait de notre région une zone à développer, où la croissance devait être la condition de toute autre initiative.

Je ne pense pas que ce soit une question de manque d'information. C'est peut-être un manque de perspicacité. Depuis déjà un certain temps, on connaît les statistiques selon lesquelles entre 1960 et 1990, alors que le commerce mondial était multiplié par sept, l'écart de richesse entre le premier cinquième et le dernier était passé d'un rapport de 32:1 à 60:1, et je pense que maintenant c'est de l'ordre de 84:1 ou 85:1. La question de l'inégalité est donc toujours là présente et parallèle à celle de l'environnement; elle ne lui est pas identique. Mais la question de l'inégalité a été écartée de tous les calculs. Les questions environnementales, de la même façon, ont été soumises à l'impératif de croissance économique. Je crois que c'est une question de philosophie politique et de théorie économique.

Pour ma part, je suis très heureuse de constater que certaines personnes comme George Soros, qui ont amassé des fortunes phénoménales grâce au système actuel, n'hésitent pas à se prononcer en faveur d'un régime mondial qui servirait de modérateur, et d'États politiques ouverts et fort susceptibles de favoriser un meilleur équilibre.

Or, il me semble qu'il n'y a aucune indication que ces orientations seront adoptées dans le cadre de l'OMC. Nous vivons d'espoir, et je trouve encourageant certains des commentaires préconisant que la question environnementale soit mise sur un plus grand pied d'égalité avec les questions économiques. Mais je considère qu'il faut également prendre en compte la question de l'équité. Nous sommes peut-être en train de mettre de faux espoirs dans un régime de libre-échange qui mettra tout le monde sur le même pied. Il est possible que nous voyons les pays en développement lourdement endettés et dont les économies sont moins avancées perdre encore plus de terrain par suite d'un accès encore plus libre à nos marchés. Ce genre d'inégalité qui est en train de prendre de l'ampleur au sein des pays et parmi eux risque d'être un grave problème qui contribuera certainement à la dégradation de l'environnement.

Cela nous ramène à l'argument présenté par Art Hanson—je pense que c'était Art; c'était peut-être Aaron—au tout début à savoir qu'à moins que nous apprenions à tenir compte des trois aspects... il a appelé cela le bien-être humain; moi j'appelle cela l'équité. À moins que nous apprenions à tenir compte de ces trois aspects simultanément, à savoir l'équité, le bon sens écologique et le développement économique, et à avoir des institutions qui peuvent s'en occuper simultanément, alors nous allons nous heurter à des difficultés.

Le mécanisme est difficile, mais c'est peut-être la question même dont a été saisie l'Union européenne lors de la Convention de Lomé qui a donné un accès privilégié aux anciennes colonies. Cependant, selon les règles de l'OMC—en ce qui concerne les bananes—cela a été rejeté. On a proclamé le libre-échange des bananes. Je rentre tout juste d'Europe et croyez-moi, ils n'ont pas de réponses, mais ils sont assurément très irrités de constater que ce qu'ils considéraient comme une politique progressiste à l'égard des pays en développement a été rejeté par cette institution.

• 1015

Le président: C'est un très bon argument. Je vous remercie.

Monsieur Pickard.

M. Jerry Pickard (Chatham—Kent Essex, Lib.): Je vous remercie, monsieur le président.

Je tiens tout d'abord à remercier tous les membres du comité qui ont exprimé leurs préoccupations. Dans ce débat, nous avons parlé de la façon dont on compartimente les questions de développement durable, les questions environnementales, les questions commerciales, et les questions politiques à propos des pays industrialisés et en développement. Nous avons aussi parlé du secteur du travail qui est un autre secteur compartimenté. Et nous nous sommes soudainement rendu compte que nous devons changer, que nous devons modifier en profondeur ce programme. Nous voulons que l'OMC prenne en charge tous ces aspects, c'est-à-dire en mettant l'accent sur le côté commercial tout en essayant de tenir compte de tous les autres dossiers comme ceux de l'environnement, du travail, des pays en développement, etc.

Le moment n'est-il pas venu d'élargir notre perspective et de nous demander si nous n'avons pas besoin d'un mécanisme au-delà de l'Organisation mondiale du commerce? Je pense que si nous essayons de tout mettre sur le dos de cette organisation, qu'il s'agisse de questions financières, de travail ou environnementales, l'organisation n'arrivera pas à traiter de toutes ces questions de façon adéquate. Je pense que c'est la raison pour laquelle les dossiers qui nous intéressent n'ont pas progressé comme nous l'aurions espéré. Et en fait, c'est l'endroit indiqué pour le faire.

Est-ce que vous considérez que l'OMC offre les mécanismes qui permettent d'apporter ce changement, de faire progresser tous les dossiers qui vous intéressent en matière de développement durable, d'environnement, de travail, des pays en développement? Je n'en suis pas sûr après avoir entendu les commentaires et les préoccupations qui ont été exprimés ce matin.

Je pense que nous devons intégrer davantage tous ces aspects dans d'autres organismes où nous pourrons finalement réunir ces questions. Je me demande ce que vous en pensez car personne ne le contestera. La plupart des arguments que vous avez présentés sont des arguments incontestables, en ce qui me concerne. Et vous avez tout à fait raison lorsque vous dites que le Canada doit montrer la voie. Nous devons également nous assurer que ces questions sont traitées de façon raisonnable. Nous avons fait énormément de chemin depuis les 10 dernières années pour ce qui est de faire progresser ces dossiers. Ma question est donc la suivante: à votre avis, avons-nous une structure adéquate?

M. Arthur Hanson: Permettez-moi d'essayer de répondre. C'est une question très importante. Je crois qu'on peut y donner quelques réponses aussi importantes. Tout d'abord, peu importe l'élément de la communauté internationale dont nous parlons—et ça c'est très important—ce dernier doit assumer sa responsabilité en ce qui a trait au développement durable. Ainsi, la Banque mondiale, le FMI ou l'Organisation mondiale de la santé, ces grandes composantes de base de la communauté internationale doivent formuler et mettre en oeuvre en fonction de leurs propres paramètres, des programmes de développement durable. C'est une chose dont conviennent les Nations Unies, dans leur ensemble, et les pays de toutes les régions du monde. Tout semble indiquer qu'il s'agit là d'une question qui fait l'objet d'un consensus.

Je crois que même s'il s'agit d'une nouvelle organisation, l'OMC s'inspire du précédent qu'est le GATT, et accuse un certain retard. C'est clair.

La Banque mondiale, qui a quand même fait beaucoup de progrès depuis cinq ans et certainement depuis dix ans, est un exemple d'une organisation qui a connu exactement le même type de problème. En fait, cette période de négation—et je me souviens que c'était la situation au début des années 70 à la Banque mondiale—caractérisée par le refus de reconnaître qu'il s'agit de questions importantes, que la Banque ne pouvait absolument pas... que c'était les pays en voie de développement eux-mêmes qui voulaient que le développement se déroule de cette façon, et que la Banque devait donc agir comme ces pays le désiraient et toutes sortes de choses du genre; on disait également qu'il s'agissait là de choses qui étaient trop complexes et que les programmes étaient trop complexes. Il y avait toutes sortes d'arguments.

On élimine un par un tous ces arguments et vous pouvez voir que si vous faites bien votre travail, à notre avis, respecter le programme du développement durable vous rendra la vie plus facile à long terme, même si les questions semblent complexes, et il vaut beaucoup mieux agir de cette façon plutôt que de refuser de reconnaître le problème. À sa décharge, je dois dire que l'OMC a franchi cette étape de la négation et désire maintenant agir.

• 1020

Je crois qu'il est très important que lors de nos négociations nous proposions des choses qui soient réalisables, pas simplement que l'on propose toute une série d'idées et qu'on dise qu'il s'agit de tout faire pour que tout aille très bien en ce qui a trait au développement durable.

Il faut donc de façon stratégique identifier des choses qui sont réalisables, sur lesquelles on puisse s'entendre pour combler ce fossé Nord-Sud notamment. Je crois que nous pourrons alors faire des progrès. Ça ne se produira pas du jour au lendemain.

Personnellement, je m'inquiète un peu à l'idée que l'on retienne les idées et qu'on dise: d'accord, il y aura une organisation internationale sur l'environnement ici et une organisation mondiale sur le commerce là... Il faut qu'on atteigne un certain équilibre, mais ces organisations doivent appliquer à l'interne également ces idées. Elles doivent reconnaître qu'elles sont importantes—en fait qu'elles revêtent une très grande importance comme dans le cas de l'OMC—en ce qui a trait au développement durable à l'échelle internationale. Elles disposent de divers mécanismes. Elles disposent par exemple d'un comité sur l'environnement et le commerce, un comité sur le commerce et le développement et de choses de ce genre. Nous avons établi un guide il y a environ deux ans, et c'est très intéressant. Vous devez aller au coeur même de l'organisation pour faire ressortir ces idées. Certaines sont des idées très techniques qui portent sur la qualité des aliments et des choses de ce genre, et je pourrais vous en parler longuement.

Donc, il ne s'agit pas d'une seule et unique question. C'est dans toute l'organisation. Je crois que l'organisation a déjà fait beaucoup de chemin, et c'est pourquoi il est utile de faire ces interventions et de se faire le chef de file maintenant. Parce que si nous faisons ce qu'il se doit lors de ces négociations, nous pourrions prendre une orientation nouvelle très importante pour la première partie du siècle prochain.

M. Aaron Cosbey: Je serai très bref. D'autres intervenants voudront peut-être prendre la parole.

C'est une question très importante, et si j'ai bien compris, elle touche deux volets: est-ce que l'OMC est l'endroit où faire état de préoccupations à l'égard du développement et de l'environnement et, dans l'affirmative, comment procéder?

Je dois répondre oui à la première question. J'ai déjà dit que l'environnement existe, que ça nous plaise ou non, et c'est à nous qu'il appartient de composer avec l'environnement de façon positive. L'environnement et l'économie sont liés de façon si étroite dans ce nouvel univers mondialisé que ces différends se multiplieront, et il nous faudra trouver une façon de les régler.

Le développement existe depuis toujours. Le GATT et l'Organisation mondiale du commerce ont toujours eu pour mandat, par écrit tout au moins, d'améliorer les niveaux de vie des pays en voie de développement et des pays industrialisés. Il y a toujours eu cependant une disposition particulière visant les pays en voie de développement.

Ça me permet de revenir aux questions posées par Mme Debien quant au traitement spécial accordé aux pays en voie de développement. L'OMC a toujours eu pour principe fondamental que les pays en voie de développement devraient recevoir un traitement spécial. Habituellement, ce traitement a pris une forme générale—des échéanciers un peu plus longs pour la mise en application d'ententes—mais les ententes ont toujours été mises en oeuvre un jour ou l'autre.

Pour répondre à la deuxième partie de votre question, j'ai déjà mentionné en partie lorsque j'ai expliqué ce que nous proposons en ce qui a trait à l'environnement à l'OMC, soit qu'il faut en venir à une entente qui essaie de faire la distinction entre les projets verts et la protection légitime de l'environnement.

Lors de nos exposés lors du colloque organisé récemment par l'Organisation mondiale du commerce sur le commerce et l'environnement, nous avons dit clairement qu'il fallait se pencher sur l'élément qu'est le développement, comme vous le dites, pas simplement au sein de l'OMC, mais que l'OMC doit être en contact avec les autres organisations internationales dont le mandat est le développement—comme le PNUD, la CNUCED et la Banque mondiale—et nous avons dit qu'il fallait avoir une approche plus créative, plus novatrice à l'égard du traitement différencié et spécial lors des prochaines négociations et qu'il ne suffisait pas d'accorder simplement de plus longs échéanciers.

Nous devons nous inspirer des leçons tirées des 40 années d'expérience en développement de la Banque mondiale pour trouver des façons plus efficaces de s'assurer que les pays en voie de développement reçoivent un traitement spécial et différencié dans le cadre des négociations de l'OMC, parce que comme l'a signalé Mme Ferretti, si vous appliquez les mêmes règles à tous, certains pays plus petits et plus pauvres, en raison de leur situation géographique, de la régie de certains secteurs, de marchés financiers faibles, ou peu importe la raison, ne pourront pas connaître la prospérité qu'ils devraient connaître.

Nous avons donc proposé que l'OMC, la Banque mondiale, la CNUCED et les autres organismes des Nations Unies et les membres des IFI responsables du développement collaborent pour trouver des façons plus novatrices et créatives d'assurer un traitement différencié et spécial aux pays en voie de développement lors des prochaines négociations. Ainsi on pourrait prévoir un accès tarifaire plus facile aux exportations provenant de pays moins développés, mais je crois qu'il faut même aller plus loin.

• 1025

Le président: Merci beaucoup.

Nous devons terminer maintenant parce que la période réservée est écoulée. Est-ce que ça vous convient?

M. Jerry Pickard: Je suppose. Je crois qu'il nous faut absolument étudier, du point de vue structurel, ce que nous faisons et ce que nous cherchons à accomplir. Je crois que c'est crucial. Merci.

Le président: Ma question s'adresse à M. Hanson. Ce sera une question rapide parce que le temps file.

Vous avez mentionné le principe de la subsidiarité, qui découle de l'expérience européenne. Je crois qu'un de nos témoins, Mme Morris, a mentionné le problème associé aux provinces et au rôle qu'elles jouent; elle a dit qu'il fallait régler tout ce problème. Dans le cas d'une plus grande intégration internationale, comment fonctionnera cette subsidiarité? Si l'on pense à l'environnement, par exemple, si vous avez des règles environnementales globales ou internationales, comment assurer une subsidiarité qui permettra aux intervenants locaux d'avoir voix au chapitre ou d'avoir une certaine forme de contrôle ou de souveraineté sur la question car vous recherchez l'efficacité et vous voulez quand même que cette règle soit appliquée à l'échelle internationale. Quelle est la solution magique à ce problème?

M. Arthur Hanson: Je ne sais pas s'il existe une solution magique. C'est là le problème. Dès que vous passez au niveau local, il y aurait peut-être mille solutions.

Je crois qu'il faut tout au moins reconnaître, et c'est un aspect important, l'existence de la subsidiarité de sorte qu'il puisse y avoir des normes différentes selon la région du monde. Un exemple classique, serait les questions touchant la biodiversité, très proches des questions commerciales sous bien des rapports. Au Canada, l'habitat est dans une large mesure contrôlé par les provinces; pourtant, nous devons négocier en fonction des conventions internationales en place et des stratégies nationales. Puis on passe aux espèces menacées et aux choses dont nous discutons actuellement, et je crois que les provinces ont un rôle à jouer à cet égard.

À mon avis, cela ne veut pas dire que nous pouvons créer des refuges pour les pollueurs ou qu'on peut laisser les provinces céder leurs responsabilités au chapitre de l'environnement. Mais nous devrions étudier la question sous un angle différent en admettant tout d'abord que ceux qui veulent avoir des normes élevées puissent le faire, et, deuxièmement, que nous pouvons avoir recours au concept de subsidiarité pour avoir des normes plus élevées plutôt que de tout ramener au plus petit dénominateur commun.

Je serai heureux de vous en parler plus longuement une autre fois parce qu'à mon avis la subsidiarité est une partie très importante des futurs accords commerciaux.

Le président: Je suis d'accord avec vous, mais il sera difficile de faire fonctionner ce concept.

M. Arthur Hanson: C'est vrai.

Le président: Je crois que nous devrons terminer maintenant parce que l'autre groupe de témoins attend. Merci beaucoup, messieurs et madame, d'être venus. Nous vous en sommes fort reconnaissants. Cette discussion a été fort enrichissante.

Nous allons prendre une pause de deux minutes. Puis nous accueillerons le ministre et un groupe important d'intervenants du secteur agricole.

• 1028




• 1035

Le président: Nous allons reprendre nos travaux.

Nous sommes heureux d'accueillir un groupe représentant principalement le secteur agricole. Nous sommes très heureux d'accueillir le ministre de l'Agriculture de la province. Monsieur le ministre, merci d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer ce matin.

Chers collègues, ce groupe est composé de neuf témoins. Clairement, nous ne pourrons pas fonctionner comme d'habitude pour la période des questions.

On m'a dit, monsieur le ministre, que vous deviez nous quitter avant la fin de la réunion.

Je suggérerais donc, chers collègues, dans ces circonstances, que nous entendions tout d'abord le ministre. Il pourrait faire une déclaration d'environ une dizaine de minutes puis nous procéderons à une période de questions composée d'éléments de cinq minutes. Puis nous passerons aux autres membres du groupe. Cela vous convient-il?

De cette façon, monsieur le ministre, vous pourrez partir dès que vous aurez terminé. Encore une fois, je tiens à vous remercier d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer ce matin.

L'honorable Harry J. Enns (ministre de l'Agriculture, gouvernement du Manitoba): Merci beaucoup, monsieur le président, membres du comité. Je suis très heureux de vous souhaiter la bienvenue au Manitoba, où nos producteurs d'aliments procèdent actuellement à l'ensemencement des terres en vue de la récolte de 1999. Encore une fois, bienvenue.

Même si nous ne comptons pas une très grand nombre d'intervenants dans le secteur agricole, ce secteur est à l'origine de la création d'un grand nombre d'emplois et génère une activité économique importante pour l'ensemble du pays, évidemment pour la province. Je ne suis donc pas étonné d'être accompagné par ceux qui font partie de ce groupe ce matin pour vous faire part des préoccupations du secteur agricole.

L'agriculture au Manitoba se diversifie en réponse à l'évolution des conditions économiques. Le secteur agricole est conscient depuis 1995 qu'il faut s'adapter à la nouvelle conjoncture économique, car c'est à cette époque que le gouvernement du Canada a abrogé la Loi sur le transport du grain de l'Ouest et a éliminé les subventions à l'exportation prévues pour le secteur des grains.

Pendant près d'un siècle, les subventions pour le transport du grain au Canada ont permis le transport économique des marchandises en vrac vers les ports pour l'exportation ou pour aider les régions à l'extérieur des Prairies qui éprouvaient des problèmes financiers. Cette pratique a aidé nos producteurs de grain, mais a également causé une grave distorsion économique qui a limité le développement de produits à valeur ajoutée au Manitoba. En 1995, dans le contexte de l'engagement pris par le Canada dans le cadre de l'Entente sur l'agriculture de l'OMC, le Canada a éliminé ses subventions à l'exportation, faisant donc disparaître ces distorsions du marché. J'exhorte les députés à en prendre note. Vous vous trouvez maintenant dans l'Ouest du Canada, où cette décision politique en matière d'agriculture, prise en 1995 par le gouvernement de l'époque, a eu un impact massif sur le secteur agricole.

Pour le Manitoba, l'effet direct de la disparition du tarif du pas du Nid-de-Corbeau a été une perte d'environ 90 millions de dollars, et les taux de fret des céréales et des oléagineux ont considérablement augmenté. Par exemple, en 1994-1995, le taux de fret du canola de Portage la Prairie à Vancouver était d'environ 20 $ la tonne. En 1998-1999, il avait plus que doublé, étant passé à 44 $ la tonne. Cela a réduit la valeur relative des céréales du Manitoba et force le secteur agricole et agroalimentaire à se diversifier, à accroître les activités à valeur ajoutée et à chercher de nouveaux marchés en développement. Ces nouvelles réalités économiques augmentent les possibilités et stimulent la production de cultures d'exportation de haute valeur et de faible volume pour lesquelles les coûts de transport sont réduits, la production de bétail et, conséquemment, la production fourragère, la transformation aux fins d'exportation des produits agricoles en produits à valeur ajoutée et la recherche de nouvelles cultures et de nouveaux marchés.

En 1995-1996 et 1996-1997, les céréaliculteurs canadiens ont bénéficié de prix plus élevés pour les céréales et de rendements plus favorables à l'exploitation. En 1997-1998 et actuellement, nous sommes revenus à une période de pression accrue sur les prix mondiaux des céréales et de la viande de porc. Vu la chute des prix, la réalité à laquelle les agriculteurs du Manitoba sont confrontés est désormais très claire. Nos producteurs ont un avantage concurrentiel du fait qu'ils disposent des grains de provende les moins coûteux d'Amérique du Nord. Cela les encourage à accroître l'élevage de bétail par des investissements renouvelés, en se concentrant sur l'augmentation des exportations de viandes à valeur ajoutée. Les principales cultures du Manitoba sont le blé, le canola et l'orge. Toutefois, la production de cultures au Manitoba se diversifie de plus en plus en raison des modifications apportées à la politique des transports.

• 1040

Les agriculteurs consacrent plus de superficies cultivées à la production de cultures légumières, de légumineuses à grains, de céréales fourragères et même de chanvre, cette année. Je suis heureux d'annoncer au comité que le Manitoba deviendra bientôt la source d'une grande installation de transformation d'une culture agricole fort ancienne, le chanvre commercial, qui nous est ainsi ramené.

Si l'élevage de bovins et de porcins prévaut au Manitoba, la production de lait, de volaille et d'oeufs n'en sont pas moins des éléments importants de l'agriculture manitobaine. Le secteur de la production animale se diversifie également avec l'élevage de bisons, d'élans et d'autres animaux tels que les autruches.

La tendance dominante de l'agriculture et de l'agroalimentaire au Canada est à l'augmentation des exportations. En 1996, les exportations agricoles du Canada dépassaient le niveau de 20 milliards de dollars pour la première fois. En 1998, les exportations du Canada sont passées à 24 milliards de dollars. Au Manitoba, l'augmentation des exportations est également la tendance dominante du secteur agricole. Les produits agricoles du Manitoba sont expédiés vers d'autres provinces canadiennes et vers plus d'une centaine de pays.

En 1998, les exportations agroalimentaires totales du Manitoba ont augmenté de presque 2,5 milliards de dollars, alors que nos exportations avaient connu une légère diminution en 1997, en raison d'une baisse des prix de certaines denrées importantes. Depuis 1993, les exportations agricoles du Manitoba ont augmenté de plus de 67 p. 100.

L'évolution des exportations du Manitoba témoigne des changements qui se produisent dans notre production agricole. Le Manitoba exporte environ 75 p. 100 du blé qu'il produit. En 1998, la valeur des exportations de blé du Manitoba a diminué d'environ 50 p. 100 par rapport à 1997, principalement du fait d'une baisse de la production et d'un affaiblissement des prix. La plus grande partie de notre production d'orge est utilisée à l'intérieur de la province, et nous n'en exportons qu'environ 30 p. 100. De 1997 à 1998, la valeur de nos exportations d'orge a également diminué de plus de 65 p. 100, principalement en raison d'une baisse des prix. Si la chute des prix des céréales a contribué à cette diminution, la réduction de la production et l'utilisation accrue de l'orge comme nourriture pour animaux ont également eu un effet négatif.

En 1998, nos exportations de graines de canola se sont chiffrées à environ 286 millions de dollars. Ce n'est peut-être pas un nouveau record, mais cela représente une augmentation d'environ 58 p. 100 par rapport à 1993. Toujours en 1998, nos exportations d'huile de canola ont établi un nouveau record, 407 millions de dollars, soit une augmentation de 112 p. 100 par rapport à 1997 et près de sept fois autant qu'en 1993.

Tous ces chiffres servent simplement à montrer la volonté désespérée de certains de nos agriculteurs de trouver des cultures de remplacement à valeur plus élevée, de cultures que nous puissions transformer dans une plus grande mesure à l'intérieur de la province, comme nous le faisons dans le cas du canola, pour éviter les coûts de transport excessifs auxquels nos producteurs sont actuellement confrontés.

Presque tout notre boeuf et environ 90 p. 100 de notre porc sont envoyés à l'extérieur de la province, soit sous forme d'animaux sur pied, soit sous forme de viande. Autre fait saillant en 1998 au titre du commerce extérieur, nous avons atteint un nouveau record d'exportation de boeuf, principalement en raison d'une augmentation de l'exportation aux États-Unis. Nos exportations de porc sur pied ont légèrement diminué en 1998, mais nos exportations de viande de porc ont établi un nouveau record, environ 197 millions de dollars, ce qui représente 27 p. 100 de plus qu'en 1997 et plus du triple de ce qui était exporté sous forme de viande transformée en 1993, ce qui indique encore une fois notre volonté d'ajouter à la valeur des produits avant de les exporter.

Le Manitoba est l'illustration du passage de l'exportation de denrées premières à l'exportation de produits transformés à valeur ajoutée. En 1993, nous avons exporté pour 8 millions de dollars de produits congelés de pomme de terre. En 1998, nos exportations de ces produits se sont chiffrées à environ 141 millions de dollars, soit une augmentation de plus de 60 p. 100 par rapport à 1997 et de près de 18 fois nos exportations de 1993. Les États-Unis représentent le plus grand marché auquel sont destinées les exportations agroalimentaires du Manitoba. En valeur, près de la moitié des exportations du Manitoba est destinée aux États-Unis.

Le Manitoba appuie la libéralisation du commerce extérieur au moyen d'accords commerciaux bilatéraux et multilatéraux. L'Accord de libre-échange nord-américain, l'ALÉNA, et l'Accord commercial Canada-États-Unis, l'ACCEU, sont les meilleurs exemples d'accords commerciaux qui ont eu des effets bénéfiques sur le secteur agroalimentaire du Manitoba. En tout, nos exportations agroalimentaires vers les États-Unis ont augmenté d'environ 350 p. 100 depuis l'entrée en vigueur, en 1988, de l'Accord commercial Canada-États-Unis.

• 1045

Les ministres de l'Agriculture du Canada comprennent l'importance des exportations pour les secteurs agroalimentaires. En juillet 1998, nous avons accepté d'appuyer un objectif sectoriel selon lequel le Canada accroîtrait sa production agricole intérieure, dont la valeur actuelle est de 90 milliards de dollars, pour atteindre un objectif représentant 4 p. 100 du commerce agroalimentaire mondial d'ici l'an 2005. Respecter cet objectif signifierait que les exportations du Canada se chiffreraient entre 30 et 40 milliards de dollars.

Le secteur agricole canadien tirerait donc des avantages considérables du respect de cet objectif, y compris la création de près de 260 000 nouveaux emplois. J'insiste là-dessus parce que nous, ministres de l'Agriculture, nous faisons souvent demander si nous avons vraiment besoin de produire toute cette nourriture. Nous en avons certainement assez pour nourrir notre population. Au Canada, comblés comme nous le sommes par nos terres et par la qualité de nos agriculteurs, nous sommes de grands contributeurs économiques à la création d'emplois, chose très importante pour nous tous, dans ce pays.

Si les gouvernements provinciaux et fédéral doivent appuyer une stratégie dont l'objectif est si exigeant, la priorité absolue doit être de créer au Canada les conditions qui permettront aux entreprises d'être exploitées de façon profitable. Il faudra que le climat des affaires dans le secteur agroalimentaire soit aussi intéressant pour les investisseurs que celui des investissements d'autres natures.

Il faut donc, entre autres choses, maintenir et accroître l'accès aux marchés, et spécialement à des marchés intéressants tels que les États-Unis. Dans le cadre de notre préparation des négociations de l'OMC sur l'agriculture, dont le début est prévu dans quelques mois, le ministère de l'Agriculture du Manitoba travaille de concert avec les représentants du secteur pour définir les dossiers jugés importants et pour les aider à mettre au point leurs positions lors du prochain cycle de négociations.

Au cours de l'hiver 1997-1998, les adjoints ont travaillé en étroite collaboration avec Keystone Agricultural Producers Inc., l'organisme agricole général du Manitoba, pour l'aider à élaborer sa position en matière de politique des échanges. Ce travail s'est terminé en avril 1998, lorsque KAP a produit son énoncé sur le commerce extérieur.

Pour élargir la discussion de façon à inclure les aliments transformés, des membres du personnel de mon ministère et des fonctionnaires de la Direction générale des services à l'industrie et aux marchés, à Agriculture et Agroalimentaire Canada, à Winnipeg, ont organisé un colloque avec la Manitoba Food Processors Association (Association manitobaine des producteurs d'aliments transformés) le 29 octobre 1998.

Les représentants du secteur nous disent que notre principal marché d'exportation continuera d'être les États-Unis. Les autres grands marchés de nos produits incluent l'Asie, les Amériques et l'Europe. Nous avons appris que la production agricole du Manitoba continuera de subir des modifications importantes. La production de bétail représente une occasion de croissance du secteur agricole au Manitoba. L'amélioration et l'élargissement de l'accès aux marchés sont essentiels pour que cette occasion porte ses fruits.

L'industrie manitobaine nous a dit que la stratégie commerciale du Canada doit se concentrer sur ce dont a besoin chaque secteur pour accroître ses points forts plutôt que sur une mentalité d'échange de bons procédés. Si d'autres accords et d'autres négociations représentent un moyen important d'améliorer l'accès aux marchés et de favoriser le dialogue en matière de commerce, les négociations de l'Organisation mondiale du commerce devraient être l'endroit principal où établir des règles commerciales équitables. L'harmonisation internationale des normes sanitaires et phytosanitaires ainsi que des normes sur les organismes génétiquement modifiés est essentielle pour assurer le succès continu des exportations du Manitoba. Le prochain cycle des négociations de l'OMC doit réduire encore plus les subventions identifiées comme ayant des effets de distorsion sur le commerce, et particulièrement les subventions à l'exportation et les obstacles non tarifaires.

Pendant que d'autres pays membres de l'OMC améliorent le financement des programmes de la catégorie verte et de la catégorie bleue, le Canada a réduit ses dépenses dans ces domaines. Le Canada doit insister pour obtenir un éclaircissement et un rétrécissement de la définition de la catégorie verte et une élimination de la catégorie bleue. Les dépenses des pays concurrents doivent être surveillées afin de s'assurer qu'elles n'ont vraiment aucun effet de distorsion. Le Canada doit encourager tous les pays commerçants à continuer de s'orienter vers des accords commerciaux plus libéralisés, tout en s'assurant que l'ensemble des participants respectent l'esprit et l'intention des accords actuels et futurs.

Le Manitoba n'a pas encore entièrement finalisé sa position pour les négociations à venir de l'OMC sur l'agriculture. Notre position inclura une analyse des réalisations du cycle de l'Uruguay. Elle se fondera sur ce que nous disent les représentants sectoriels et inclura les renseignements que nous avons obtenus au moyen d'autres consultations, telles que le dialogue avec l'industrie canadienne, qui a eu lieu à Ottawa pas plus tard que la semaine dernière. J'envisage avec plaisir de communiquer notre position à mes homologues provinciaux, territoriaux et fédéral lors de notre conférence annuelle, qui aura lieu à Prince Albert, en Saskatchewan, en juillet.

• 1050

Notre travail n'est peut-être pas terminé, mais je suis heureux de vous communiquer certains des thèmes et des idées qu'abordera notre position finale. Je crois que les négociations relatives à l'agriculture devraient être aussi exhaustives que possible, étant donné qu'une négociation de grande envergure augmente le potentiel de réaliser des percées significatives. L'importance des exportations pour notre secteur agroalimentaire signifie que l'objectif premier des négociations commerciales doit être d'atteindre un accès plus libre et plus facile aux marchés internationaux et l'élimination des pratiques commerciales déloyales.

Le Canada ne peut pas se permettre de revenir à la situation créée par les guerres commerciales entre les États-Unis et l'Union européenne, guerres qui ont été si nuisibles à l'agriculture vers la fin des années 80 et au début des années 90. L'exportation de produits non traités et de produits à valeur ajoutée pour notre secteur agroalimentaire est d'une telle importance que notre industrie est vulnérable si une guerre commerciale de ce genre se déclenche. Le Canada a éliminé la LTGO et la subvention à l'exportation dont bénéficiaient nos céréales et nos oléagineux. Permettez-moi seulement de souligner cet aspect de la question.

Il s'agissait d'une politique fondamentale du gouvernement, que nos adversaires décrivaient comme une subvention commerciale, une subvention au transport, et je rappelle aux membres du comité qu'elle représentait environ 750 millions de dollars annuellement. En particulier ici, au Manitoba, et peut-être plus dans l'Ouest qu'ailleurs au Canada, l'une des frustrations qu'ont exprimées les agriculteurs, c'est que cette mesure a été sacrifiée d'emblée aux négociations par le Canada, en même temps que d'autres mesures relatives à la poudre de lait.

Il y a des représentants de l'industrie laitière qui peuvent traiter plus amplement de ce deuxième aspect. Nous nous rendons compte au Canada que, lors du dernier cycle de négociations, nous avons déjà beaucoup cédé. Par ailleurs, les agriculteurs de ma province éprouvent une frustration montante lorsqu'ils entendent parler de programmes améliorés offerts aux agriculteurs américains, comme cela s'est produit pendant tout l'été. Les Américains agissent en l'occurrence de façon très habile, en recourant à un programme de prêts, que vous connaissez bien. Un agriculteur américain peut emprunter de l'argent en fonction du prix établi des denrées pour ses haricots, son maïs, son blé. Les comptes ne sont pas encore entièrement totalisés, mais pour ces seules denrées le Trésor américain a versé environ 506 millions de dollars pour les haricots, 780 millions de dollars pour le maïs et 434 millions de dollars pour le blé. Et, pour le blé, le compte est incomplet.

Il est compréhensible que mes agriculteurs considèrent cela comme des pratiques commerciales déloyales, surtout si l'on songe à tout le brouhaha qui entoure les programmes relativement modestes que nous avons. Je rappelle également aux membres du comité qu'en matière d'agriculture nous avons abandonné un très important programme de soutien du revenu. C'est ce qu'on appelait le RARB. C'était un programme qui permettait de donner une aide considérable aux producteurs du Manitoba. Il a été éliminé. Autrement dit, en général, les agriculteurs de l'ouest du Canada ont respecté les règles du jeu. Nous ne voyons ni les agriculteurs européens ni les Américains en faire autant. Nous attendons donc du Canada qu'il adopte une position très ferme sur cette question en particulier.

Le président: Monsieur le ministre, si cela peut vous consoler, nous venons de terminer un voyage dans l'Est, et les agriculteurs de l'Est éprouvent exactement la même chose.

M. Harry Enns: C'est rassurant.

Le président: Ils ont fait des sacrifices, mais d'autres ne les ont pas faits. Vous n'êtes donc pas tout seuls, veuillez m'en croire.

M. Harry Enns: Je tiens simplement à souligner cela. Nous croyons honnêtement qu'il s'agit d'une position équitable et honorable que le Canada peut défendre. Le Canada a joué le rôle de chef de file pour ce qui est de l'élimination des subventions à l'exportation, et notre objectif lors des prochaines négociations doit être l'élimination de ces subventions par tous les autres pays.

Nous croyons que les définitions de la catégorie verte doivent être réévaluées. Une des grandes réalisations du cycle de l'Uruguay, réclamée par les Européens et les États-Unis, était de s'éloigner des régimes de soutien des prix pour passer à des programmes de paiements directs. Je reconnais que les programmes de paiements directs ou les programmes découplés de soutien causent moins de distorsions commerciales que les programmes de soutien des prix. Toutefois, les exigences de l'agriculture en investissement de capitaux signifient que ces paiements offrent un avantage économique contre lequel nos producteurs ont de la difficulté à livrer concurrence.

Les producteurs de ces pays ont plus de ressources financières qui mènent à une production accrue. Le gouvernement fédéral doit insister sur l'élimination de la catégorie bleue, celle des subventions intérieures, étant donné que ces paiements directs causent manifestement des distorsions commerciales et une augmentation de la production des denrées. Malgré la situation des approvisionnements mondiaux, l'Europe et les États-Unis en offrent amplement la preuve.

• 1055

Le Manitoba appuie l'accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires négocié lors du cycle de l'Uruguay. Cet accord signifie que, pour la première fois, on a essayé d'établir des règles pour empêcher que des mesures de ce genre servent d'obstacles non tarifaires aux échanges. La décision du groupe d'experts de l'OMC contre l'interdiction faite par l'Union européenne d'importer du boeuf des pays qui utilisent des hormones de croissances est une preuve de la valeur de cet accord. Toutefois, le Canada doit chercher à s'assurer que les exigences sanitaires et phytosanitaires des divers pays soient fondées sur des données scientifiques et que les décisions des groupes spéciaux de l'OMC soient mises en oeuvre dans des délais raisonnables.

Dans certains pays, notamment ceux de l'Union européenne, l'approbation de l'utilisation à des fins alimentaires d'organismes génétiquement modifiés fait face à une résistance considérable. Cette résistance a lieu malgré l'existence de preuves scientifiques selon lesquelles ces produits ne sont nuisibles ni à la santé humaine ni à l'environnement.

Le gouvernement fédéral doit oeuvrer pour s'assurer que la science, et la science seule, soit la base sur laquelle les pays évaluent l'acceptabilité d'organismes génétiquement modifiés et pour que toute exigence en matière d'étiquetage de ces produits ne constitue pas un obstacle non tarifaire au commerce.

Je voudrais profiter de l'occasion pour traiter d'une industrie manitobaine qui n'a pas prospéré dans l'environnement actuel des échanges.

Le 23 janvier 1997, la société Rogers Sugar a annoncé la fermeture de son usine de Fort Garry. Comme c'était le seul marché où étaient livrées les betteraves sucrières du Manitoba, cela a mis fin, dans les faits, à l'industrie manitobaine de la betterave sucrière. C'était une industrie dont j'étais très fier, et qui permettait à plus de 350 de nos agriculteurs d'avoir une excellente culture commerciale. Elle faisait exactement ce qu'en notre qualité de décideurs nous demandons souvent à nos producteurs de faire. Elle assurait également l'existence de 150 emplois dans une usine, ici, au sud de Winnipeg. Et nous exportions un produit raffiné, à valeur ajoutée.

Le marché canadien du sucre est un des rares marchés du sucre dans le monde où le prix intérieur du sucre se fonde sur le prix mondial associé à une protection tarifaire minimale. Cette politique d'ouverture des frontières a créé une industrie qui dépend des importations de sucre brut de l'étranger beaucoup plus que dans tout autre pays, c'est-à-dire à un niveau qui dépasse 90 p. 100 de l'ensemble de notre production.

Les prix élevés de soutien intérieur, les subventions à l'exportation—surtout à l'Union européenne—, la distorsion des marchés mondiaux et l'accès réduit aux États-Unis ont également été des éléments importants de l'effondrement de l'industrie sucrière du Manitoba. Des études ont prouvé que la production de betteraves sucrières du Manitoba est compétitive quant au coût. Avec les politiques intérieures et internationales appropriées, l'industrie de la transformation de sucre pourrait être rétablie au Manitoba.

Nous estimons que le Canada devrait rappeler aux membres de l'OMC que notre industrie du sucre fonctionne dans un libre marché. Nous devons nous servir des négociations à venir de l'OMC sur l'agriculture pour établir des règles équitables en ce qui concerne le commerce mondial du sucre. Si les règles du jeu étaient les mêmes pour tous relativement au sucre, le Manitoba recommencerait à produire du sucre.

Enfin, certaines mesures prises récemment aux États-Unis ont menacé les exportations du Manitoba vers son plus grand marché d'exportation. Le 16 septembre 1998, le gouverneur du Dakota du Sud a commencé à refuser aux camions transportant des céréales, des bovins ou des porcins canadiens de traverser le Dakota du Sud. Pour la plupart, les camions canadiens ont refait leur itinéraire pour passer par des États voisins et contourner le Dakota du Sud. Un certain nombre d'autres États, le Minnesota, l'Idaho, l'Iowa, le Dakota du Nord, le Montana et le Nebraska ont appuyé le Dakota du Sud en effectuant des inspections de camions à des fins de documentation. Bien qu'ils n'aient pas émis de restrictions aux déplacements, cette problématique a été résolue, Dieu merci, au début d'octobre, et elle a mené à la signature d'un protocole d'entente exhaustif sur le commerce entre le Canada et les États-Unis. Il n'en reste pas moins que l'embargo décrété par le Dakota du Sud a dérangé nos exportations et a accru les coûts des exportateurs manitobains.

Au printemps de 1999, l'Assemblée législative du Dakota du Nord a présenté plusieurs mesures législatives qui pourraient limiter l'exportation de produits du Manitoba. Nous avons été très heureux de constater que, le 12 avril 1999, le gouverneur Schafer a empêché par veto l'adoption du plus grave de ces projets de loi, celui qui frappait d'interdit le passage de nos exportations agricoles par le Dakota du Nord.

Toutefois, nous éprouvons de nombreuses préoccupations à l'endroit de la progression réalisée par ce projet de loi dans l'Assemblée législative du Dakota du Nord et de la menace éventuelle qu'il faisait peser sur nos intérêts en matière d'exportation. Les mesures prises ainsi par divers États plaçaient les États-Unis en situation de violation de leurs obligations commerciales internationales aussi bien en ce qui concerne l'ALENA qu'en ce qui a trait à l'OMC.

• 1100

Nous pensons qu'au cours des prochaines négociations de l'OMC sur l'agriculture, le Canada devrait chercher à obtenir des règles plus rigoureuses pour empêcher les États, à titre individuel, de contrevenir aux accords commerciaux auxquels les gouvernements nationaux ont souscrit.

Permettez-moi de citer un autre exemple. L'industrie canadienne du boeuf accepte en ce moment une vérification nationale afin de promouvoir l'industrie et de développer des marchés où elle pourrait vendre ces produits.

C'est à cela que devrait servir cet argent. Il ne devrait pas être versé à des avocats en commerce international, principalement localisés à Washington, et qui font durer ces différends pendant de très longs mois aux grands frais des organismes producteurs. On me dit que les gens qui ont le plus grand intérêt à maintenir le statu quo sont les avocats du lobby du commerce extérieur de Washington.

Nous devons dire très clairement que nous voulons renforcer et éclaircir la réglementation afin qu'on n'ait pas besoin d'avoir recours à une équipe d'avocats astucieux pour l'interpréter et faire monter le coût des interventions juridiques. Ce coût, c'est en grande partie les producteurs qui le payent, que ce soient les producteurs de boeuf ceux, de porc ou ceux de lait.

En définitive, il nous faut un mécanisme de règlement de différends qui soit efficace, efficient et rapide. Le règlement des différends commerciaux peut durer trop longtemps. Cela entraîne des pertes de marché, qui peuvent être très coûteuses pour les organismes de producteurs concernés, comme je viens de le dire. Il faut travailler plus fort à améliorer le mécanisme de règlement des différends actuellement en vigueur.

Monsieur le président, ces observations étant faites, je tiens à exprimer ma reconnaissance pour m'avoir permis de faire cet exposé au comité. En même temps, permettez-moi de vous souhaiter, ainsi qu'à votre comité et à votre gouvernement, beaucoup de succès au cours des très importantes discussions à venir de l'Organisation mondiale du commerce. Merci.

Le président: Merci beaucoup.

Je voudrais rappeler à tous les membres du comité que nous sommes convenus de nous limiter à cinq minutes chacun, parce que nous avons huit autres témoins d'ici à 12 h 30.

Avant de passer aux questions, monsieur le ministre, je tiens à ce que vous sachiez qu'en ma qualité d'ancien professeur de droit du commerce international, je regrette ce que font les gens de ma profession à Washington. Dieu merci, nous ne sommes pas aussi chicaniers ici, au Canada.

Monsieur Penson.

M. Charlie Penson: Merci, monsieur le président, et merci, monsieur le ministre, de cet exposé informatif. Je ne pense pas que vous ayez dit quoi que ce soit qui puisse susciter mon désaccord.

Vous avez vraiment saisi l'essence de ce qu'il faut faire pour faire avancer les intérêts du Canada dans le cadre d'une plus grande libéralisation des échanges. Il me semble que, lors du cycle de l'Uruguay, on a vraiment créé des attentes en réussissant, pour la première fois, en 1994, à inclure modestement l'agriculture dans les règles commerciales. Le cycle prévu pour l'an 2000 devrait permettre de réaliser des progrès considérables.

Je sais que les producteurs de grains, d'oléagineux et de boeuf en particulier misent beaucoup sur ces gains pour voir diminuer progressivement les subventions à l'échelle mondiale. J'ai trouvé très intéressants vos commentaires au sujet des réductions des subventions au transport du pas du Nid-de-Corbeau et de la façon dont cela avait changé la dynamique de l'agriculture ici au Manitoba pour ce qui est de la valeur ajoutée. Je pense que c'est un signe très encourageant pour nous tous relativement à l'augmentation du nombre d'emplois dans les régions rurales.

Vous avez dit que la production du bétail va probablement augmenter et que les États-Unis en accapareraient une grande partie.

Je reviens tout juste avec mes collègues d'une réunion que nous avons eue avec des sénateurs américains au Montana et où nous avons parlé de certaines de ces questions. Un bon nombre de problèmes sont dus à la persistance de mythes quant à la façon dont on perçoit l'entrée dans ce pays de bétail canadien vivant ou transformé. Comme il s'agit d'États frontaliers, ils voient des centaines et des centaines de camions défiler et c'est pourquoi cela pose un problème.

J'aimerais donc savoir s'il y a quelque chose que nous puissions faire pour améliorer le mécanisme de règlement des différends, pour tenir compte des préoccupations dont vous parlez, quand une mesure commerciale est prise ou quand on interdit l'entrée de nos produits pour différentes raisons.

Notre processus est assez... cela prend un an et demi par l'intermédiaire de l'Organisation mondiale du commerce s'il y a appel. Par conséquent, je demanderais au gouvernement du Manitoba quelles suggestions pourraient nous être faites en tant que comité pour mener à bien ce processus et essayer de régler les problèmes qui se posent dans l'immédiat quand une action comme celle-là est prise à l'encontre du Canada afin que cela nous serve d'outil aux prochaines négociations. Cela nous sera très utile.

• 1105

J'aimerais ajouter autre chose, monsieur le ministre. Le programme de développement des exportations est toujours en vigueur aux États-Unis. De l'orge bénéficiant de ce programme entre dans le sud de l'Alberta. Nous savons qu'une mesure commerciale a été prise contre les producteurs de bétail canadiens au sujet du dumping. N'est-il pas ironique de constater que si du boeuf est produit à faible coût, le programme de développement des exportations des États-Unis en est partiellement responsable puisqu'il permet d'obtenir de l'orge à faible coût par l'intermédiaire de nos producteurs de bétail?

M. Harry Enns: Il n'y a rien que nous puissions faire, surtout dans le cas de notre plus grand partenaire commercial, les États-Unis, et dans vos observations vous aviez tout à fait raison de dire que nos bons amis américains—et je le dis sans méchanceté—s'appuient dans une large mesure sur des informations erronées relativement à ce qui se passe au Canada.

En ce moment même, comme vous le savez, il y a cette entente du nord-ouest qui permet à du bétail du nord-ouest du Montana d'entrer au Canada. On me dit que jusqu'à 50 000 ou 60 000 bêtes provenant des États-Unis entrent dans les parcs d'engraissement albertains. Ce serait vraiment ironique qu'ils aboutissent là en raison de l'orge subventionnée par les États-Unis dans le cadre du programme de développement des exportations.

On me dit, toutefois, que les Américains recourent modérément à ce programme et ne l'ont pas utilisé dans une large mesure en ce qui concerne le commerce global. Peut-être que quelqu'un de la Commission canadienne du blé qui est ici ce matin pourrait nous le confirmer ou l'infirmer.

Toutefois, ce que nous pourrions faire, je pense, et ce que le Canada doit faire c'est de redoubler d'efforts à la table de négociation pour débattre discuter davantage, trouver des tribunes. J'encourage les organisations agricoles de ce côté-ci de la frontière et du côté américain, soutenues peut-être par l'État et les provinces, à faire la lumière sur ce qui se passe dans nos pays respectifs.

M. Charlie Penson: Une brève question supplémentaire...

M. Harry Enns: Si vous me le permettez, le sous-ministre me rappelle que dans les dernières années, soit depuis la conclusion de l'ALENA, nous avons eu des contacts officiels, rencontrant des secrétaires de l'agriculture d'États américains, des secrétaires de l'agriculture du Mexique et des États-Unis et des ministres canadiens de l'Agriculture, habituellement peu après notre propre rencontre des ministres de l'Agriculture au Canada.

Ces tribunes, bien qu'on n'y prenne pas de décisions, sont importantes pour clarifier la situation, transmettre de l'information juste, obtenir de l'information juste sur ce que nous faisons dans nos pays respectifs. C'est très important, de tuer dans l'oeuf ce mécontentement que nous ressentons tous, et qui est habituellement alimenté par le faible cours des denrées. Quand le cours des denrées est ce qu'il doit être, le commerce fonctionne, bien naturellement, sans difficulté. Toutefois quand les producteurs de blé des États-Unis sont touchés ou que nos producteurs de porcs sont touchés, comme nous ne sommes que des humains après tout nous avons tendance à en chercher la cause, et c'est alors que ce genre de circulation est mis en lumière.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Blaikie.

M. Bill Blaikie: Merci, monsieur le président, et merci, monsieur le ministre, pour cet exposé au nom du gouvernement du Manitoba.

Deux ou trois choses. Tout d'abord, je tiens à dire que j'ai eu l'occasion d'assister aux deux dernières rencontres ministérielles de l'OMC, avec M. Penson. Une des choses qui m'a frappé—et c'est loin d'être une critique mais simplement un élément d'information, si l'on veut—c'est que le Québec et l'Alberta, ces deux provinces en particulier, ont toujours eu quelqu'un au sein de la délégation, un sous-ministre au Québec, et je n'en suis pas certain pour l'Alberta, et ils étaient là pendant les réunions ministérielles.

Je m'étonne encore que les autres provinces ne le fassent pas. Je recommanderais donc certainement au Manitoba d'envisager d'avoir quelqu'un de ce niveau au sein de la délégation canadienne, qui serait là à titre d'observateur et qui assisterait aux séances d'information de la matinée. Ils sont tout à fait bien placés pour présenter les intérêts du Manitoba dans le contexte de cette réunion. Je vous le suggérerais donc certainement.

On s'est concentré presque exclusivement sur l'agriculture, mais comme vous le savez, les négociations à venir de l'OMC dépassent largement le secteur agricole, bien que cela représente manifestement un élément clé de l'intérêt du Manitoba pour l'OMC.

• 1110

Je me demande si le gouvernement du Manitoba a défini sa position, par exemple, sur le mécanisme de règlement des différends de l'État investisseur qui fait partie de l'ALENA, qui faisait partie de l'AMI, qui s'est estompé, mais qui au cours des prochaines négociations de l'OMC pourrait très bien donner lieu à un effort pour créer une certaine entente multilatérale sur l'investissement.

Une des préoccupations que beaucoup de gens ont exprimées au sujet du mécanisme de règlement des différends relatifs à l'État investisseur, c'est que cela donne aux sociétés le droit de poursuivre le gouvernement pour des choses qui sont assimilées à l'expropriation. Je me demande si le gouvernement du Manitoba a pris position sur cette question en particulier et s'il souhaiterait qu'elle soit modifiée, supprimée, maintenue telle quelle ou reportée dans toute entente globale sur l'investissement. Quelle est la position du Manitoba sur cette question?

M. Harry Enns: Monsieur Blaikie, d'abord, je prends note de ce bon conseil. Je pense que c'est un bon conseil. Je pense que nous devons, surtout en agriculture, envisager les prochaines négociations avec le plus grand sérieux pour toutes les raisons que j'ai exposées.

Bien sûr, je suis ici en tant que ministre de l'Agriculture pour traiter de questions d'agriculture, mais je peux vous dire que mon gouvernement s'est montré très préoccupé par la question de l'AMI et nous sommes franchement heureux que la question ait été reportée ou mise à l'écart. C'est une question que, je pense, mon gouvernement surveillera très attentivement et que nous n'avons pas appuyée de la façon qu'elle avait été présentée.

Je crois qu'il y a eu un bref débat, un bref commentaire au sujet de la question par le ministre des Finances d'alors, Eric Stefanson, à la Chambre à la fin de la dernière session. D'après les souvenirs de la dernière discussion au Cabinet, nous surveillons la question avec beaucoup d'intérêt, mais nous n'appuyons aucunement la façon dont elle a été présentée.

Le président: Merci, monsieur le ministre.

Monsieur Pickard.

M. Jerry Pickard: Je tiens à vous féliciter de votre exposé. Vous avez parfaitement traité tous les sujets, dont certains m'intéressent particulièrement.

Vous avez dit notamment que les exportations du Manitoba ont diminué de 67 p. 100, ce qui indique que les accords commerciaux comportent des éléments qui ne répondent pas à toutes nos exigences, mais également que nous dépendons considérablement des exportations, et que le gouvernement canadien a réussi à négocier des éléments très positifs.

En ce qui concerne la mentalité boy scout... et vous avez beaucoup insisté là-dessus et sur la suppression du tarif du Nid-de-Corbeau qui a coûté 90 millions de dollars, n'est-ce pas, au Manitoba?

M. Harry Enns: J'ajouterai simplement que c'est au Manitoba et dans l'est de la Saskatchewan que la suppression de ce tarif a eu les plus lourdes conséquences. L'effet s'atténue à mesure qu'on progresse vers Vancouver et les ports maritimes.

M. Jerry Pickard: Il est certain que l'Alberta avait un point de vue bien différent de celui du Manitoba sur le tarif du pas du Nid-de-Corbeau. Je connais ces divergences, et la plupart des membres du comité les connaissent aussi.

J'aimerais savoir si ces changements ont effectivement débouché sur des occasions de diversification. Il me semble que lorsqu'on a parlé de supprimer ce tarif, il était question que des usines de pâtes alimentaires et d'autres entreprises s'installent dans la province et y prospèrent à l'avenir.

Est-ce que ces occasions sont toujours de mise, est-ce qu'elles se concrétisent ou au contraire, est-on dans une situation stagnante où rien du genre ne se produit?

• 1115

M. Harry Enns: C'est une question très importante et curieuse pour le Manitoba, où elle a du reste suscité un vaste débat. Vous allez entendre tout à l'heure des représentants de la Commission canadienne du blé. Je suis un partisan de la Commission canadienne du blé, mais j'ai un problème avec sa politique intérieure qui vise à traiter équitablement toutes les minoteries du Canada. C'est un objectif honorable et il l'était particulièrement tant que le tarif du pas du Nid-de-Corbeau s'appliquait. Comme il ne s'applique plus, il faudrait que l'on reconnaisse les conséquences qu'a eues sa disparition sur le sort du transport de céréales et du secteur des minoteries au Manitoba pour qu'on puisse envisager les développements dont vous avez parlé.

Je suis heureux d'indiquer que pour la première fois en 45 ans, une nouvelle minoterie s'est installée il y a un an au Manitoba. Mais évidemment, personne n'avait intérêt à moudre le grain dans l'ouest du Canada lorsque le contribuable canadien payait le transport du blé jusqu'en Ontario ou à Vancouver, d'où 85 à 90 p. 100 du blé moulu au Canada était expédié dans le monde entier. Ce sont là des changements dramatiques qui doivent résulter de cette remise en cause d'une politique fédérale, et nous avons bien du travail à faire dans ce pays pour que ces perspectives se concrétisent.

M. Jerry Pickard: Pensez-vous que grâce aux parcs d'engraissement et aux autres activités nouvelles, le Manitoba puisse devenir un plus gros exportateur de produits finis, et un plus gros employeur, si ces projets se réalisent...

M. Harry Enns: Sauf tout le respect que je dois aux Ontariens, le Manitoba est en train de devenir rapidement le centre de la production porcine au Canada, pour une raison bien simple. Notre production porcine augmente de 12 à 15 p. 100 chaque année. Ce n'est pas à cause des mesures décidées par ce ministère ou par mon gouvernement ou parce que nous subventionnons l'industrie porcine, mais parce que le Manitoba et l'est de la Saskatchewan sont des endroits où l'on peut produire du porc au meilleur marché à l'échelle mondiale, notamment par rapport au Danemark, à la Hollande, à l'Ontario, à l'Alberta et aux États américains du Corn Belt.

Des sociétés comme Maple Leaf sont en train d'investir 112 millions de dollars à Brandon, au Manitoba. La grosse société américaine qui a récemment acheté la marque Schneider investit également 50 millions de dollars dans une usine de Mitchell en Saskatchewan, parce que d'ici la fin de la décennie, c'est au Manitoba et en Saskatchewan que l'on produira la plus grande quantité de porcs au Canada.

M. Jerry Pickard: Il y a une autre chose que vous avez bien évoqué, et sur laquelle j'aimerais insister. Les obstacles au commerce qui apparaissent créent des difficultés pour notre agriculture dans le monde entier. Je suis d'accord avec vous et avec le ministre pour dire qu'il faut dans une certaine mesure éliminer ces barrières non tarifaires à l'occasion des négociations.

M. Harry Enns: Merci beaucoup.

[Français]

Le président: Madame Debien.

Mme Maud Debien: Monsieur le ministre, bonjour. Au cours de notre tournée, nous avons entendu un certain nombre de grandes fédérations canadiennes de producteurs agricoles qui ont fait consensus partout au Canada Canada, y compris au Québec, pour demander au gouvernement canadien de maintenir son appui à toute la gestion de l'offre. Nous entendrons probablement d'autres représentants d'organismes agricoles nous dire sensiblement la même chose tout à l'heure, mais j'aimerais connaître la position du gouvernement du Manitoba sur ce consensus concernant la gestion de l'offre.

[Traduction]

M. Harry Enns: Je n'hésite pas à dire catégoriquement que mon gouvernement est favorable à l'actuel régime de gestion de l'offre. Nous pensons pouvoir faire preuve d'assez de finesse et d'esprit d'innovation pour trouver des occasions de croissance grâce à la gestion de l'offre face à la concurrence sur n'importe quel marché mondial.

Compte tenu de notre contribution aux dernières négociations, le gouvernement canadien ne devrait pas se sentir obligé... Je sais qu'il est soumis à des pressions de la part des États-Unis et de la Nouvelle-Zélande.

• 1120

Nous avons décidé d'ordonner la production de ces denrées agricoles de façon très méthodique et très efficace. Vous n'avez qu'à parler à un producteur de porc de la façon dont ses collègues producteurs de lait ou de poulet de gril gèrent leurs productions.

Mon gouvernement et moi-même sommes tout à fait favorables à la gestion de l'offre. J'ai dit dans mes commentaires que le Canada devrait éviter d'avoir à faire des compromis. En ce qui me concerne, la dernière fois que nous en avons fait un, nous avons abandonné l'industrie sucrière du Manitoba, et je ne souhaite ce genre de compromis à personne. Nous abordons ces négociations avec des dossiers très solides en ce qui concerne les secteurs où s'applique la gestion de l'offre.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur le ministre, je voudrais vous poser une courte question sur le porc. Vous avez insisté sur la vigueur de l'industrie porcine au Manitoba. Plus à l'ouest, en particulier en Alberta, les producteurs de porcs se disent très durement touchés par l'effondrement des marchés asiatiques. Comment les choses se sont-elles passées ici au Manitoba?

M. Harry Enns: Il est certain que lorsqu'un gros marché comme celui de l'Asie connaît les difficultés que l'on sait, cela nous pose des problèmes. Mais curieusement, le Manitoba n'a pas été aussi durement frappé que les autres.

Je ne connais pas les chiffres de l'Alberta, mais cette province est très combative sur le marché asiatique du boeuf, ce qui a aggravé les répercussions de la crise asiatique.

La baisse du prix du porc a eu des conséquences inacceptables dans le monde entier. L'industrie de la transformation aura bien des réponses à fournir, car les consommateurs n'ont guère remarqué de baisse du prix des produits du porc sur les présentoirs des supermarchés. Je suis heureux de voir qu'une enquête sur cette question vient d'être déclenchée aux États-Unis.

Les producteurs de porcs espèrent sortir de cette expérience avec un meilleur régime de rétablissement des prix, davantage de sécurité et, éventuellement, des contrats à plus long terme avec les transformateurs. L'industrie porcine est en train de retrouver l'optimisme et tout nous porte à croire que nous voyons effectivement la lumière au bout du tunnel. Peut-être est-ce même un puissant phare qui va lui garantir une bonne évolution au cours des prochains mois et des prochaines années.

Le président: On a bien fait d'utiliser le cycle de la production porcine dans les cours d'initiation à l'économie. C'est toujours ce qui se passe.

Merci beaucoup, monsieur le ministre. Nous avons apprécié votre intervention. Vous pouvez partir, mais j'aimerais rappeler aux membres du comité que nous avons encore huit exposés à entendre et qu'il ne nous reste pour cela qu'une heure et cinq minutes. Si chaque intervenant se limite à cinq minutes plutôt qu'à 10, les exposés prendront 40 minutes, ce qui nous laissera 25 minutes pour les questions.

Je vais m'en tenir à l'ordre indiqué sur l'avis de convocation.

Monsieur le ministre, vous pouvez partir quand vous voudrez, mais encore, le comité a beaucoup apprécié que vous lui fassiez le point sur la situation au Manitoba.

Je donne maintenant la parole à M. Saunderson, des exportateurs agroalimentaires.

Monsieur Saunderson.

M. Brian Saunderson (vice-président, Canadian Alliance of Agri-Food Exporters (Agricore)): Merci, monsieur le président. Bienvenue à votre comité permanent à Winnipeg. Je suis très heureux de m'adresser à vous aujourd'hui.

Je suis le vice-président de la coopérative Agricore, et je suis également exploitant agricole dans le sud-ouest du Manitoba.

Je suis heureux d'être ici. Je voudrais faire quelques commentaires concernant Agricore, mais je suis ici essentiellement pour parler de commerce. Agricore est une toute nouvelle coopérative qui appartient aux agriculteurs et qui a été créée par la fusion de deux coopératives qui étaient établies depuis longtemps, la Manitoba Pool Elevators et l'Alberta Wheat Pool.

Nous nous occupons essentiellement de transporter, de commercialiser et de transformer la production de nos 50 000 membres. Par ailleurs, nous leur fournissons les intrants et le soutien technique dont ils ont besoin pour produire.

La création d'Agricore arrive à point, alors que le gouvernement s'efforce d'améliorer la situation du Canada dans la le commerce mondial ainsi que la situation économique de tous les Canadiens. Nous avons créé Agricore pour être en mesure de soutenir la concurrence sur les marchés intérieurs et internationaux au nom de tous les agriculteurs. Nous allons aider ces derniers à devenir plus productifs et nous serons en mesure de transporter plus efficacement de plus grandes quantités de denrées agricoles. Nous allons en commercialiser et en transformer davantage, et si l'environnement s'y prête, nous exporterons aussi davantage.

Notre objectif est d'assurer la prospérité et la croissance de notre coopérative ainsi que de nos membres. Nous savons qu'il est possible d'y parvenir.

• 1125

En 1995, le gouvernement du Canada a fixé pour l'an 2000 l'objectif de 20 milliards de dollars d'exportations de produits agricoles et agroalimentaires. Grâce à des marchés favorables, nous avons atteint cet objectif en un an. Nous en avons désormais un nouveau. D'après le Conseil canadien de commercialisation des produits agroalimentaires, le Canada devrait doubler ses exportations—soit 40 milliards de dollars—pour accaparer 4 p. 100 du commerce agricole mondial d'ici 2005. Nous nous apprêtons à atteindre cet objectif, mais cette fois-ci, nous aurons besoin d'aide. Si nous ne faisons pas des progrès marqués sur le marché international, cet objectif sera pratiquement impossible à atteindre.

Nous avions de grands espoirs lorsque l'Uruguay Round a été lancée en 1986. Nous vivions des circonstances historiques. Pour la première fois, on fixait les règles du commerce agricole. Cependant, nous sommes maintenant à la fin de la période de mise en oeuvre et nous nous heurtons toujours à des obstacles insurmontables en matière d'accès. Les subventions aux exportations pèsent toujours sur les prix mondiaux et les politiques de soutien intérieures qui déséquilibrent le commerce favorisent toujours le surapprovisionnement du marché mondial des céréales. Par ailleurs, personne ne peut prévoir comment certains pays vont se servir d'arguments sanitaires et environnementaux pour bloquer les importations.

À la veille des prochaines négociations, notre principal objectif doit être un accès plus libre et plus ouvert aux marchés internationaux et l'élimination des pratiques commerciales déloyales. Il faut agir plus vite que la dernière fois. À l'Uruguay Round, il a fallu sept ans pour négocier et six ans pour mettre les décisions en oeuvre. Cette fois-ci, nous devrons obtenir des résultats plus vite.

Nous demandons instamment au gouvernement du Canada d'exiger des délais de négociations très serrés et une période de mise en oeuvre plus courte. Par ailleurs, il faut veiller à ce que les agriculteurs bénéficient le plus tôt possible des progrès réalisés. Il faut obliger les pays à exécuter la plus grande partie de leurs engagements dès le début de la période de transition. La base des négociations devra être aussi vaste que possible. Plus elle sera vaste et meilleures seront nos chances d'obtenir des résultats importants.

Je voudrais maintenant parler un instant de ce qui, de l'avis d'Agricore, devrait figurer au programme du Canada lors des négociations. N'oublions pas que l'objectif général est l'obtention d'un meilleur accès aux marchés mondiaux et l'élimination des pratiques commerciales déloyales. Nous demandons instamment au gouvernement de se concentrer sur les domaines suivants.

Tout d'abord, il faut faire des gains importants en matière d'accès aux marchés. L'Uruguay Round a pris des mesures importantes dans ce domaine; les restrictions aux importations ont été converties en tarifs. Cependant, à cause du niveau élevé de certains tarifs, du regroupement des produits et de l'imagination déployée dans les pays dans l'administration de leurs engagements, nous n'avons pas obtenu l'élargissement des conditions d'accès qu'on envisageait au départ.

Au cours des prochaines négociations, le Canada devra obtenir l'augmentation la plus forte possible des engagements d'accès minimum, et ces engagements devront être dissociés, c'est-à-dire s'appliquer à des produits particuliers ou à des lignes tarifaires plutôt qu'à de vastes regroupements de produits.

Nous devons obtenir l'élimination des droits de douane intra-contingents. L'objectif des engagements d'accès minimum est de permettre l'importation d'une certaine quantité de produits, mais certains pays continuent d'appliquer des tarifs aux importations comprises à l'intérieur du quota tarifaire. Ces droits de douane intra-contingents sont contraires aux objectifs de la libéralisation du commerce. Il convient de les interdire.

Outre l'élargissement de l'accès aux marchés, il nous faut aussi nous fixer comme objectif d'obtenir une réduction des tarifs, à défaut de quoi nous ne pourrons pas augmenter nos exportations.

Certains pays choisissent délibérément de ne pas respecter leurs engagements en matière d'accès aux marchés ou de privilégier certains fournisseurs. Le Canada doit chercher à obtenir des règles claires et exécutoires portant sur l'application des contingents tarifaires. Nous devons exiger l'élimination de la progressivité tarifaire.

De nombreux pays appliquent des tarifs beaucoup plus élevés aux importations à valeur ajoutée qu'aux produits de base. On peut donner en exemple le tarif sur l'huile imposé par le Japon. La graine de canola est exportée au Japon en franchise de droits, mais des tarifs élevés continuent de s'appliquer à l'huile de canola. Le tarif qui frappe l'huile de canola raffinée est encore plus élevé. Cette situation défavorise notre industrie à valeur ajoutée.

Il faut également obtenir l'interdiction des subventions à l'exportation. On a tenté lors des négociations d'Uruguay de réglementer dans une certaine mesure l'utilisation des subventions à l'exportation, mais ces subventions ont continué de déprimer les prix mondiaux jusqu'à la fin de la mise en oeuvre des mesures découlant de cette série de négociations. À titre d'exemple, l'Union européenne accorde actuellement une subvention de 36 $US la tonne aux exportateurs de blé. Elle offre aussi 78 $US la tonne aux exportateurs d'orge et 70 $US la tonne aux exportateurs d'avoine. L'accord actuel le permet d'ailleurs.

Quant aux États-Unis, ils ont prévu un budget de 320 millions de dollars américains pour subventionner leurs exportateurs dans le cadre du programme d'expansion des exportations, bien qu'ils n'aient pas puisé dans ce budget. Le Canada, pour sa part, a complètement éliminé les subventions qu'il ne versait que pour les exportations de céréales et d'oléagineux. On peut dire que nous avons donné l'exemple aux autres membres de l'OMC, mais nous avons de cette façon obligé nos producteurs à faire concurrence à armes inégales à des exportateurs jouissant d'importantes subventions. Les subventions à l'exportation doivent être supprimées parce qu'elles dépriment les prix mondiaux. Il importe également de réglementer certaines autres mesures qui, à notre avis, équivalent à des subventions à l'exportation.

• 1130

Le crédit à l'exportation est un outil utile pour tous les exportateurs, y compris le Canada. Mais sans règles de discipline, le recours immodéré à cette pratique pourrait déclencher une guerre commerciale.

Les secours alimentaires sont fort louables, et nous les appuyons dans la mesure où ils viennent en aide aux populations sous-alimentées de la planète. S'ils faussent les marchés commerciaux, ils reviennent cependant à une subvention à l'exportation. Nous avons été très préoccupés lorsque les États-Unis ont acheté d'importantes quantités de blé de leurs producteurs pour en faire don à l'Indonésie. En 1996, ce pays était le quatrième client commercial du Canada pour le blé. Des règles claires et applicables doivent être adoptées dans le domaine de l'aide alimentaire.

Il convient aussi d'obtenir une diminution de l'aide à la production locale. Même si le cycle d'Uruguay a permis de mettre en place certaines règles de discipline concernant l'aide à la production locale qui ont forcé les membres de l'Union européenne et les États-Unis à délaisser les programmes de soutien direct des prix, il ne les a empêchés de maintenir à des niveaux très élevés l'aide à la production locale. Ainsi, les agriculteurs européens touchent l'équivalent de 175 $CAN l'acre simplement pour ensemencer leurs champs. En outre, les producteurs de blé européens se voient assurer un prix de 205 $CAN la tonne de blé, un prix bien supérieur aux prix mondiaux. Il en découle que l'Union européenne conserve en ce moment des stocks de blé sans précédent. Des stocks élevés dépriment évidement les prix.

La prochain cycle de négociations doit se traduire par une diminution des dépenses engagées dans le cadre des programmes de soutien de la «boîte orange». Ce cycle doit également entraîner l'élimination des dépenses de la «boîte bleue» auxquelles le ministre a fait allusion. Cette catégorie a été créée vers la fin de la série de négociations pour permettre à certains pays, et en particulier aux pays membres de l'Union européenne, d'apporter eux-mêmes des changements à leurs programmes de soutien à la production locale. La plupart des mesures prises par l'Union européenne pour stimuler la production locale appartiennent à la catégorie de la «boîte bleue».

Les règles sanitaires et phytosanitaires ainsi que les exigences s'appliquant aux organismes transgéniques doivent reposer sur des principes scientifiques sérieux. J'ai récemment entendu un négociant dire qu'il préférait un tarif élevé à ce genre de règle parce qu'un tarif est au moins prévisible. Le fait de plus en plus fréquent d'invoquer des risques pour l'environnement et la santé pour entraver l'accès aux marchés internationaux est totalement imprévisible et injustifié. Il faut exiger l'adoption de règles claires fondées sur des principes scientifiques sérieux et non pas sur des considérations subjectives et politiques.

Je terminerai en réaffirmant que nos attentes à l'égard de la prochaine série de négociations commerciales sont élevées. Nos membres se préparent actuellement à ensemencer leurs champs et leur optimisme est à son niveau le plus bas. Les producteurs, les manutentionnaires, les transformateurs, les distributeurs et les exportateurs collaborent tous à essayer de tirer parti d'un marché international plus ouvert qui n'est pas faussé par l'adoption par certains pays de pratiques commerciales déloyales.

Je vous remercie de votre attention.

Le président: Je vous remercie beaucoup, monsieur Saunderson. Nous apprécions les documents très utiles que vous nous avez remis, qui résument très bien les questions phytosanitaires. Je constate qu'il y est question de l'accès au marché de la Chine. Nous étudierons ces documents soigneusement. Je vous remercie.

J'accorde maintenant la parole à M. Broeska.

M. Robert Broeska (président, Canadian Oilseed Processors Association): Je vous remercie beaucoup, monsieur le président, de me donner l'occasion aujourd'hui de témoigner devant le comité. Je représente la Canadian Oilseed Processors Association. Notre association se compose des quatre sociétés canadiennes qui possèdent et exploitent toutes les usines canadiennes de trituration des graines oléagineuses et environ 90 p. 100 des usines canadiennes de raffinage de l'huile végétale.

Les prochaines négociations commerciales touchant l'agriculture à l'OMC intéressent au plus point l'industrie canadienne des oléagineux. Environ 75 p. 100 de tous les oléagineux produits chaque année sont vendus sur les marchés d'exportation, la moitié sous forme de semence non transformée et environ 25 p. 100 sous forme d'huile végétale et de moulée protéagineuse. Les règles qui seront établies dans le cadre de l'OMC en ce qui touche le commerce des oléagineux et les produits tirés des oléagineux revêtent donc une importance cruciale pour la rentabilité de l'industrie canadienne des oléagineux.

Lors du cycle d'Uruguay, par l'entremise de l'Association internationale des fabricants d'huile, notre industrie est presque parvenue à obtenir des conditions égales d'accès aux marchés, soit l'option double zéro pour ce qui est des oléagineux. Cette option suppose le retrait et l'élimination de toutes les subventions à l'exportation dans le cas des oléagineux et des produits oléagineux ainsi que l'élimination de tous les obstacles tarifaires et non tarifaires au commerce de ces produits.

• 1135

Comme je l'ai dit, notre industrie est presque parvenue à ses fins dans le cas du cycle d'Uruguay, et les ministres du Commerce et de l'Agriculture appuient sans réserve l'objectif que nous nous sommes fixé cette année de faire aboutir ce dossier.

L'industrie canadienne de la transformation des oléagineux a également établi des relations avec ses homologues dans le monde entier qui, pour la plupart, appuient également l'option du double zéro en vue d'obtenir une libéralisation accrue dans le domaine du commerce des produits oléagineux.

J'aimerais vous donner un bref aperçu de la production et de la transformation des oléagineux au Canada. La production et la transformation des oléagineux constituent un secteur en pleine croissance de l'agriculture et de l'économie canadienne. Depuis l'élimination des subventions au transport ferroviaire des céréales, l'industrie des oléagineux a accru ses investissements dans les usines de production de semence et de transformation industrielle des oléagineux. La libéralisation accrue du commerce grâce à L'ALE et à l'ALENA ainsi que l'élimination progressive des mesures faussant le commerce négociée lors du cycle d'Uruguay ont grandement incité les membres de notre industrie à accroître leurs investissements dans ce domaine.

En 1998, les agriculteurs canadiens ont produit 11 millions de tonnes d'oléagineux, soit de la canola, des fèves de soya, des fleurs de tournesol et du lin dont la valeur à la ferme représente 3,7 milliards de dollars. Les membres de notre association transformeront environ 5 millions de tonnes de cette production, ce qui rapportera 1,7 milliard de dollars aux agriculteurs et aux usines de transformation réparties au Canada. La valeur économique de l'industrie de transformation des oléagineux est importante et augmente sans cesse. Les retombées économiques pour le Canada de la transformation des oléagineux représenteront 3,6 milliards de dollars en 1998. Quand on ajoute à cette somme les exportations de semence non transformée, on constate que la valeur économique directe de l'industrie au Canada s'élève à 6 milliards de dollars. La contribution de l'industrie à la balance des paiements du Canada au titre des exportations et des importantes est importante, c'est-à-dire de 2,5 milliards de dollars. En tenant compte de la valeur des exportations de semence, l'industrie canadienne des oléagineux contribue plus de 6,5 milliards de dollars à la balance du Canada. Ces chiffres font ressortir l'importance d'une politique commerciale qui soit favorable à ce moteur de croissance économique.

J'aimerais dire quelques mots au sujet des tendances qui se dégagent dans notre secteur. Pour comprendre le lien entre la voie dans laquelle se dirigent notre industrie et la libéralisation du commerce, il serait bon que je vous décrive les éléments moteurs actuels de l'industrie. Ces éléments sont au nombre de cinq. Le premier est le développement technologique rapide, c'est-à-dire la biotechnologie. Les producteurs cherchent à concevoir une semence transgénique pour accroître leur efficacité et leur compétitivité, réduire leurs intrants et améliorer leurs rendements. L'industrie de la biotechnologie en est à ses premiers balbutiements, et nous nous attendons à ce qu'elle prenne de plus en plus d'ampleur non seulement en elle-même, mais en tant que composante du commerce.

Le deuxième élément est l'effet combiné de l'accroissement démographique, de la croissance des revenus et de la consommation par habitant, des facteurs qui entraînent une augmentation de la demande pour l'huile végétale et la moulée protéagineuse, en particulier sur les marchés asiatiques et subasiatiques, dont le marché chinois.

Le troisième élément moteur est l'évolution de la demande des consommateurs à l'échelle internationale. La demande croissante pour des produits alimentaires présentant des avantages accrus aux plans salubrité, nutrition et santé entraîne une augmentation de la demande pour des produits transformés à valeur ajoutée accrue dans certains créneaux plutôt que l'augmentation des exportations des produits bruts ou des oléagineux et des moulées semi-transformées. Au début des années 80, par exemple, les quatre principales huiles, à savoir l'huile de soya, l'huile de tournesol, l'huile de palme et l'huile de colza ou de canola, représentaient la moitié des huiles consommées. Aujourd'hui, elles ne représentent que 60 p. 100 de celles-ci. Le Canada est un producteur et un exportateur efficace de trois de ces quatre huiles.

Le quatrième élément moteur du développement de l'industrie est la libéralisation progressive du commerce des oléagineux et des produits oléagineux qui se traduit par un élargissement de l'accès aux marchés.

Le cinquième élément qui constitue une tendance dans notre secteur est la mondialisation de l'industrie avec la libéralisation du commerce et des investissements. L'accentuation de la tendance vers la concentration du degré de propriété et de la concurrence dans le secteur des oléagineux, l'élimination des obstacles à l'accès au marché, le rétrécissement des marges de conditionnement et le resserrement des liens entre toutes les étapes de la production des semences à la distribution finale des produits pousseront davantage l'industrie à vouloir accroître ses opérations et à concentrer ces marchés. Le Canada s'intéresse de très près à ces questions dans le secteur des oléagineux. Je pense que la même chose vaut probablement dans la plupart des autres secteurs agricoles au Canada.

Permettez-moi maintenant de vous entretenir quelque peu de l'aboutissement du cycle d'Uruguay et des négociations ultérieures. Les parties aux négociations pouvaient légitimement s'attendre, à l'issue du cycle d'Uruguay, à ce que chacun d'eux respecte les engagements pris et les mesures de discipline convenues.

• 1140

Tout compte fait, l'accord sur l'agriculture contribue à favoriser la stabilité, la sécurité, la prévisibilité et la transparence des échanges. Il stimule les investissements, et l'augmentation des investissements consentis dans le secteur des oléagineux au Canada le confirme. Or, d'importants obstacles au commerce, tels que des tarifs élevés et la progressivité tarifaire sur les produits alimentaires à valeur ajoutée continuent de poser un problème à l'industrie canadienne de la transformation des oléagineux. C'est ce qui explique l'intérêt de notre secteur pour les négociations de l'OMC de 1999.

Je vais tâcher d'être assez concis, monsieur le président.

Comme nos concurrents de toutes les autres régions productrices d'oléagineux au monde, nous sommes favorables à l'option double zéro. Comme j'ai dit plus tôt, les négociateurs fédéraux appuient également cet objectif et nous demandons au comité de recommander aux négociateurs canadiens de chercher à obtenir l'adoption de cette option au cours des prochaines négociations de l'OMC.

Plus précisément, pour ce qui est des subventions à l'exportation, les membres de la COPA appuient la position canadienne officielle qui est d'obtenir l'élimination totale des subventions à l'exportation. Cette élimination fait partie intégrante de la position de l'industrie sur l'option double zéro en ce qui touche les oléagineux et les produits oléagineux. Cet objectif fait l'objet d'un consensus au Canada auquel souscrit sans réserve l'industrie des oléagineux.

Pour ce qui est de l'accès aux marchés, l'élimination des obstacles tarifaires et non tarifaires au commerce des produits oléagineux va de pair avec l'option double zéro. Cette position cadre certainement avec la position canadienne et nous demandons de nouveau au comité d'appuyer le principe d'élimination totale de tous les obstacles à l'accès aux marchés. Nous fournissons dans notre mémoire la liste des divers obstacles à l'accès aux marchés.

Par ailleurs, l'industrie canadienne des oléagineux réclame la réduction du soutien à la production locale qui fausse le commerce. La position que vous a présentée à cet égard les deux témoins précédents reflète bien celle d'une industrie de la transformation des oléagineux.

Les conditions d'accès de la Chine à l'OMC revêtent aussi beaucoup d'importance pour nos membres. Les membres de l'équipe de négociation du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et d'Agriculture Canada ont récemment négocié avec la Chine ce qui nous semble être de très bonnes conditions d'accès de ce pays à l'OMC, conditions qui nous rendent très optimistes quant à l'orientation que compte imprimer la Chine à son industrie oléagineuse et quant à sa volonté de participer au dialogue que souhaite l'industrie canadienne sur l'option double zéro.

Le président: Monsieur Broeska, puis-je vous demander de bien vouloir résumer le reste de votre mémoire.

M. Robert Broeska: Oui. Dans les deux dernières pages de notre mémoire, nous avons tenté de chiffrer ce que représente l'option double zéro pour notre industrie.

D'après les études menées par Agriculture Canada, le George Morris Centre de Guelph, la Rabobank International, et Landow Mills International, on s'attend à ce que d'ici 2008, les exportations d'oléagineux passent de 2,35 milliards de dollars à 3,35 milliards de dollars. Cela représenterait une augmentation de 1 milliard de dollars dans la valeur et le volume de nos exportations d'oléagineux. Dans le domaine des produits tirés des oléagineux, l'augmentation des exportations d'ici l'an 2008 devrait représenter 2 milliards de dollars. Les exportations de produits tirés des oléagineux devraient donc passer de 1,4 milliard de dollars à 3,4 milliards de dollars. Au total, les exportations de notre secteur passeraient de 3 milliards à 6,77 milliards de dollars. Comme l'objectif est de porter à 40 milliards de dollars la part du Canada du marché international des produits agroalimentaires, notre industrie pense que sur cette somme, la part de nos exportations passera de 9,5 p. 100, soit 3,7 milliards de dollars, à 16,9 p. 100, soit 6,77 milliards de dollars. On voit donc la grande importance de l'option double zéro pour l'industrie des oléagineux et pour l'ensemble de l'économie canadienne. Je vous remercie.

• 1145

Le président: Je vous remercie beaucoup, monsieur Broeska.

J'accorde maintenant la parole à M. Dewar qui représente Keystone Agricultural Producers.

M. Donald R. Dewar (président, Keystone Agricultural Producers): Je vous remercie beaucoup, monsieur le président. Keystone Agricultural Producers vous remercie d'offrir à ses représentants la possibilité d'exposer leurs vues à l'approche des négociations de l'Organisation mondiale du commerce, et sur la position que le Canada doit y adopter à l'égard de l'agriculture.

Keystone Agricultural Producers ou KAP, est l'organisme chargé de la politique agricole au Manitoba. Nous représentons environ 6 800 exploitations agricoles individuelles, et nous comptons parmi nos membres 19 organismes de production de denrées agricoles allant du porc, des bovins et des ovins, en passant par les produits soumis à la gestion des approvisionnements et les cultures spéciales. Nous sommes une organisation démocratique, dotée de 12 districts répartis à travers la province, et dont les représentants se chargent d'établir la politique de l'organisation. Nous pouvons véritablement affirmer que nous représentons toute la gamme de producteurs et de produits de toutes les régions du Manitoba.

Nous sommes par ailleurs membres de la Fédération canadienne de l'agriculture, ce qui nous permet d'unir nos efforts à ceux des autres organisations agricoles du Canada en vue de mettre en oeuvre des politiques commerciales qui respectent les intérêts du pays dans son ensemble.

Comme on vous l'a dit, les activités du Manitoba sont principalement axées sur le commerce. La plupart des produits non soumis à la gestion des approvisionnements, comme les cultures de lin, d'avoine, de pois, de tournesol, de canola et de fèves comestibles, reposent sur les marchés d'exportation. Quatre-vingt pour cent du blé du Manitoba, et plus de 40 p. 100 de notre orge sont exportés à l'extérieur de la province. Quatre-vingt-sept pour cent de nos bovins d'abattage et 88 p. 100 de notre production de porcs vendus en 1997 ont été exportés en dehors de la province, soit comme bétail vivant, soit sous forme de viande ou de sous-produits de viande. Comme nous dépendons des marchés d'exportation, les règles qui régissent le commerce ont une importance cruciale pour nous.

Tout comme le ministre Marchi, nous croyons que ce qui se passe aux tables de négociations éloignées a des conséquences jusque dans nos foyers et notre vie quotidienne. Le Manitoba a connu les effets directs des différends commerciaux lorsque le Dakota du Sud a décidé arbitrairement d'empêcher les produits du Manitoba d'entrer dans l'État sans qu'ils ne soient accompagnés de documents sanitaires et phytosanitaires coûteux et déraisonnables—décision qui a obligé l'industrie du bétail manitobaine à détourner ses exportations de porc et de bovin pour éviter qu'elles ne transitent par le Dakota du Sud.

L'entente du GATT qui régit actuellement nos pratiques commerciales, ainsi que les ententes bilatérales comme l'ALENA et la CCEU, ne sont pas parfaites, mais offrent néanmoins un cadre permettant au Canada de prendre sa place au sein du marché international. Nous croyons que la prochaine série de négociations de l'OMC devrait viser principalement à renforcer le cadre mis en place par le GATT. Nous devons nous efforcer de créer un climat commercial fondé sur des règles claires et précises. Le Manitoba est une province commerçante à l'intérieur d'un pays commerçant, c'est pourquoi l'accroissement de l'accès aux marchés étrangers est un objectif clé pour nous dans le cadre de l'OMC.

KAP maintient que l'une des principales questions devant être abordées est l'éclaircissement et la mise en oeuvre globale d'engagements d'accès minimum pour atteindre l'objectif d'accès minimum de 5 p. 100 décrété lors du cycle d'Uruguay. Nous trouvons paradoxal que le Canada soit souvent accusé de protectionnisme, tandis que 91 p. 100 de l'accès minimum aux marchés canadiens est comblé, et que les États-Unis n'ont permis que 54 p. 100 de leur accès minimal d'être atteint.

Le Canada ne détient que 21 des 1 370 contingents tarifaires à l'intérieur de l'OMC. La Norvège, par exemple, en prévoit plus de 200.

À l'heure actuelle, certains conflits entourant l'accès restent à régler, et certains objectifs restent à atteindre. Le Canada doit notamment aborder la question du regroupement des lignes tarifaires. Il s'agit d'une pratique employée dans certains marchés selon laquelle un certain nombre de produits agricoles de base sont inclus dans un seul calcul d'accès minimum. Ce regroupement de différents produits diminue le niveau d'accès prévu pour chacun de ces produits et, dans certains cas, en élimine entièrement l'accès.

Le Canada doit aborder certaines pratiques d'administration des contingents tarifaires, en vertu desquelles des permis d'importation conformes aux exigences ont été octroyés, mais à des organisations de producteurs qui n'ont pas d'intérêt dans l'importation de produits étrangers. Nous devons trouver une solution aux pratiques tarifaires «à l'intérieur du contingent», selon lesquelles les pays établissent des contingents tellement élevés qu'ils éliminent pratiquement tout accès réel.

KAP estime que la prochaine série de négociations de l'OMC doit tenter de ramener les pratiques tarifaires à l'intérieur du contingent à zéro, pour permettre le respect de l'accès minimum de 5 p. 100, dans l'esprit de l'entente conclue durant le cycle d'Uruguay.

Comme on vous l'a dit, les barrières non tarifaires, comme les exigences sanitaires et phytosanitaires, ainsi que celles en matière de sécurité routière et ferroviaire, sont des questions commerciales importantes qui ont une influence grandissante sur l'accès du Canada aux marchés internationaux. À titre d'exemple, le Dakota du Sud a récemment menacé d'adopter une loi exigeant une certification sanitaire et phytosanitaire rigide et déraisonnable à l'égard des produits étrangers qui entrent dans son marché. Le projet de loi a été adopté par la Chambre et le Sénat, avant que le gouverneur ne se plie aux accords en vigueur et oppose son veto.

• 1150

Un autre projet de loi au Minnesota prévoit l'inspection de sécurité de tout wagon de chemin de fer qui entre dans l'État, et impose un droit de 100 $ par wagon.

Le Canada doit défendre les intérêts des producteurs canadiens qui s'opposent à ces mesures en vertu des accords en vigueur, en négociant des améliorations et des éclaircissements visant à: renforcer nos recours contre les mesures spéciales qui vont à l'encontre des engagements existants; énoncer clairement les ententes à l'égard des normes vétérinaires et d'inspection; offrir une protection contre les dispositions commerciales irréalistes découlant d'ententes environnementales comme le protocole de biosécurité; éliminer toute barrière à l'importation de produits dérivés de semences génétiquement modifiées; nous mettre à l'abri de changements de normes déraisonnables lorsque ces changements ne sont pas appuyés par des preuves scientifiques reconnues; et accepter les normes internationales en matière de pesticides et de résidus.

Le Canada doit tenter d'atteindre la parité d'accès pour les céréales, les oléagineux, les viandes ainsi que pour d'autres produits...

Le président: Je regrette de vous interrompre, mais je m'inquiète un peu du fait que vous avez déjà dépassé de cinq minutes le temps qui vous était imparti et que vous n'avez toujours fait la lecture que de quatre des huit pages de votre mémoire. Je me demande si vous pourriez résumer le reste parce que nous pourrons toujours nous reporter à votre mémoire. À ce rythme, tous nos témoins ne pourront pas comparaître. Voilà le problème. Je regrette de vous interrompre parce que je n'aime pas le faire, mais nous manquons de temps.

M. Donald Dewar: Pour ce qui est de la parité d'accès, le Canada doit poursuivre ses ententes zéro-zéro pour le canola, les produits dérivés du canola et les fèves de soja.

Le Canada doit pouvoir protéger ses intérêts nationaux tout en ayant un accès élargi aux marchés. Nous devons aussi avoir la capacité de protéger nos denrées vulnérables et il importe de veiller à la stabilité de ces marchés et de notre approvisionnement alimentaire. Je suis heureux de dire que nous souscrivons à presque tout ce que le ministre vous a déjà dit à ce sujet, ce qui arrive rarement. Le Canada ne doit pas faire de compromis favorisant le commerce d'un produit par rapport à un autre. Il convient de clairement définir les programmes de soutien à la production nationale. La boîte verte ne doit donner lieu à aucun malentendu et les mesures de soutien à la production nationale ne doivent pas fausser le commerce.

La politique fiscale nationale du Canada a fait que les règles du jeu auxquelles les producteurs canadiens doivent se plier au chapitre des programmes de soutien agricole sont nettement inéquitables. À titre d'exemple, le niveau de soutien national du Canada correspond à 16 p. 100 de la valeur de notre production, tandis que celui des États-Unis, si l'on tient compte de leur programme d'aide alimentaire, qu'ils considèrent comme une subvention agricole, est de 32 p. 100.

Nos producteurs ne bénéficient pas des généreux programmes de soutien à la production nationale comme le programme de prêts subventionnés auxquels ont droit leurs concurrents et ils en subissent les conséquences. Il faudrait que les mesures de soutien à la production nationale soient dix fois plus généreuses qu'elles ne le sont pour influencer la production étant donné que si l'on investit dans l'industrie, cela finit par avoir une incidence sur les décisions qui sont prises et dans la plupart des cas sur les marchés eux-mêmes.

Nos partenaires commerciaux à l'OMC—et cela nous amène à réclamer encore davantage un système fondé sur des règles—ont eu tendance à étirer les règles afin d'offrir un soutien maximal à leurs producteurs et voilà pourquoi nous pensons qu'il convient de clarifier l'interprétation qui peut être faite de ces règles de manière à ce qu'il n'y ait pas de confusion sur l'objectif visé.

On vous a parlé de l'effet dévastateur pour les agriculteurs canadiens de l'élimination de la subvention du Nid-de-Corbeau. Voilà un autre cas où le Canada est allé beaucoup plus loin que ce qu'il ne fallait pour respecter ses engagements dans le cadre de l'OMC. Si cette subvention devait être réduite, elle n'avait pas à être éliminée. Comme d'autres pays, le Canada aurait pu inclure cette subvention agricole aux mesures de la «boîte verte».

• 1155

Le reste de notre mémoire porte sur les recours commerciaux ou les mesures délétères qui peuvent être prises, et souligne la nécessité de faire en sorte que les gouvernements s'engagent à respecter les règles commerciales établies.

Le Canada s'engage actuellement dans des négociations en vue de la signature d'un accord de libre-échange dans les Amériques. Nous pensons que les mêmes règles que celles de l'OMC devraient s'appliquer dans cette nouvelle zone commerciale. L'accord devra comporter des règles et des définitions claires et équitables. Il ne faudrait pas qu'un secteur ou qu'un produit soit sacrifié à un autre. L'objectif des parties à l'accord devrait être d'accroître leur accès aux marchés de leurs concurrents tout en leur permettant de protéger leurs intérêts nationaux. Nous pensons qu'il importe de veiller à ce qu'aucune des parties aux négociations ne cherche à exclure certains secteurs des négociations avant même que celles-ci ne s'engagent. Nous voulons éviter que des concessions ne soient faites prématurément.

En conclusion, en raison de la très grande importance de l'agriculture pour notre économie et pour notre balance de paiements et en raison du nombre élevé d'emplois qu'elle crée, nous estimons qu'il faut attacher la plus haute importance à ces négociations commerciales et chercher à accroître ainsi nos marchés à l'étranger. Nous devons cependant aussi veiller à faire en sorte que nous continuions d'avoir accès à des aliments parmi les plus sains et les plus abordables au monde.

Étant donné que nous ne pouvons pas être nous-mêmes à la table de négociation pour nous protéger, chaque agriculteur canadien compte sur notre gouvernement pour ce qui est de protéger nos intérêts au cours de la prochaine ronde de l'OMC. On peut dire que la question la plus importante pour l'agriculture canadienne aujourd'hui est celle d'une entente juste et équitable pour le commerce international des produits agricoles. C'est le dynamisme et la viabilité de notre secteur qui sont en jeu. Le Canada doit absolument faire preuve de fermeté pour que tout accord commercial futur corresponde à nos besoins.

Merci beaucoup.

Le président: Merci, monsieur Dewar.

Monsieur Tait.

M. Fred Tait (vice-président, coordonnateur de la région 5 (Manitoba) du NFU, Syndicat national des cultivateurs): Monsieur le président, je tiens tout d'abord à souligner que plusieurs d'entre nous autour de la table sont des exploitants agricoles. Pour nous, c'est probablement la période la plus occupée de l'année. Nous sommes à préparer les semis, ou déjà à semer. Bon nombre d'entre nous ont mis plusieurs heures pour se rendre à cette réunion, et il est plutôt décourageant pour nous de nous rendre compte que nous sommes censés discuter d'une question si complexe en cinq ou dix minutes.

Le Syndicat national des cultivateurs envisage essentiellement toute question portant sur le commerce ou la politique agricole, qu'il s'agisse de marchés intérieurs ou extérieurs, dans l'optique de ses répercussions sur le revenu net des agriculteurs.

Je vous prie de passer à la page deux de notre mémoire. Vous y trouverez la copie d'un graphique de Statistique Canada, d'où il ressort clairement que les agriculteurs n'ont pas profité de la très forte augmentation des exportations des produits alimentaires agricoles. Depuis 1989, les exportations ont doublé et le revenu net agricole réalisé a baissé de 19 p. 100.

Dans le peu de temps dont nous disposons, à l'aide de notre mémoire, nous allons nous efforcer de comprendre cette énigme d'une stagnation de la prospérité agricole en dépit d'un accroissement des exportations. Réfléchir sur l'énigme, c'est déboucher sur certaines constatations qui doivent être le fondement de la position du Canada aux négociations de l'OMC.

Comme l'a dit Harry Enns, et comme on l'a répété à satiété, notre objectif était de doubler l'exportation de produits alimentaires agricoles. En 1993, nous avons établi l'objectif de 20 milliards de dollars pour l'an 2000. Or, non seulement nous avons atteint l'objectif, nous l'avons fait avant la date prévue, avec les répercussions que vous savez sur le revenu agricole net, selon le graphique dont je viens de parler.

Nous avons maintenant fixé un nouvel objectif de 40 milliards d'exportations pour 2005 et cette quasi-obsession de l'expansion des exportations a incité certains agriculteurs à reprocher aux ministres de ne pas avoir de véritable politique agricole, mais plutôt de s'en tenir à une politique commerciale qui prend parfois l'allure d'une politique agricole. Les ministres provinciaux et fédéral ont mis l'accent sur notre position d'exportation mais, selon nous, ils doivent également s'interroger sur les exportations d'une part et les importations d'autre part, de même que sur notre position nette.

Comme il ressort du graphique de la page 3, notre position nette n'a pas beaucoup changé. Les responsables du Syndicat national des cultivateurs se sont même demandé si notre politique d'exportation ne visait pas des débouchés internationaux peu lucratifs, aux dépends de l'abandon de certains débouchés plus lucratifs du marché intérieur.

Prenons, par exemple, notre graphique de la page 4 où vous pouvez voir les projections pour la production de porc. Plus tôt ici ce matin, le ministre de l'Agriculture a fait grand état de notre production accrue. Il ressort du graphique qu'entre 1996 et 2007 approximativement, nous allons doubler les exportations de porc. Par contre, pour ce qui est des répercussions sur nous, les agriculteurs, il ressort des chiffres d'une publication portant sur l'Alberta—facilement transposables à la situation du Manitoba ou de la Saskatchewan—que dans le cas d'une exploitation agricole de 640 acres où en plus d'élever 140 truies, on cultive du blé, de l'orge brassicole et fourragère ainsi que du canola, il faut prévoir pour l'avenir prévisible une baisse constante du revenu net, qui devrait passer de 83 000 $ en 1997 à 28 000 $ en 2005. Même si le rapport cité ne traite que des producteurs de porc albertains, nous estimons que les chiffres pourraient s'appliquer à l'ensemble des provinces.

• 1200

Nous avons à la page 5 un graphique d'Agriculture et Agroalimentaire Canada indiquant les prévisions pour le revenu agricole net dans le secteur du porc. Il indique une diminution rapide des revenus agricoles. Cette baisse ne provient pas de la défaillance du modèle d'expansion des exportations. Au contraire, tous les indicateurs confirment la bonne performance continue du secteur. La production et les exportations de porc poursuivent leur progression. Les entreprises de transformation du porc, après avoir réduit les salaires de 40 p. 100 et bénéficié de la forte chute des prix du porc, sont plus rentables que jamais. La demande mondiale continue de croître. Cependant, au cours de la même période, les éleveurs de porc font faillite et sont éliminés du marché.

Plus particulièrement, les agriculteurs perdent si nous remplaçons le marché intérieur par les marchés étrangers. L'augmentation des frais de transport, combinée à un plus grand nombre d'intermédiaires, a pour effet de réduire la part des agriculteurs dans le prix de détail final. Ils obtiennent en fait une portion plus faible dans un marché plus instable.

À la page 6, nous parlons du pouvoir que certaines multinationales exercent dans le secteur alimentaire à mesure que la concentration s'intensifie. Nous signalons que le total du revenu agricole brut au Canada s'élevait en 1997 à 29 millions de dollars, et que les revenus de Cargill, la même année, ont atteint 56 milliards de dollars. On y trouve une liste d'entreprises. Je ne les énumérerai pas, faute de temps.

Dans son document publié en septembre 1994 et intitulé Orientations futures du secteur canadien de l'agriculture et de l'agroalimentaire, Agriculture et Agroalimentaire Canada dresse la liste des avantages que l'on retire en atteignant l'objectif de 20 milliards de dollars d'exportations canadiennes d'ici l'an 2000, un objectif que l'on a en fait déjà dépassé. J'attire votre attention sur le fait que l'un des avantages énumérés dans le rapport est que pour chaque milliard de dollars d'augmentation des exportations, le revenu agricole net en espèces croîtra de 235 millions de dollars. Si cette prévision était juste, le revenu agricole net en espèces de 1998 aurait dû être de 4,36 milliards de dollars au lieu des 2,6 milliards de dollars prévus. Les conséquences de la hausse des exportations ne correspondent pas aux prévisions.

Bien qu'elles ne s'accordent pas avec les projections du rapport Orientations futures du secteur canadien de l'agriculture et de l'agroalimentaire, ces prévisions sont tout de même extrêmement utiles. Avant d'entamer d'autres négociations, les ministres de l'Agriculture des gouvernements fédéral et provinciaux devraient publier des projections approfondies concernant l'incidence de négociations réussies et de l'expansion des échanges et des exportations qui en résultera sur tous les secteurs de l'économie agricole.

Il est devenu pratique commerciale courante, avant de prendre une nouvelle orientation, de définir des objectifs mesurables par rapport auxquels nous pouvons évaluer les progrès réalisés. Onze ans après la signature de l'accord commercial Canada-États-Unis et à la veille des nouvelles négociations de l'OMC, les Canadiens ne disposent d'aucun cadre d'évaluation de l'incidence de ces ententes commerciales sur les agriculteurs et le secteur agroalimentaire.

À cet égard, nous formulons deux recommandations. Nous recommandons que le gouvernement canadien travaille de concert avec les agriculteurs à l'établissement d'objectifs quantitatifs qui serviraient de cadres de référence, par rapport auxquels les Canadiens peuvent évaluer le degré de succès ou d'échec des politiques agricoles et agroalimentaires au Canada. En outre, étant donné que les sources d'information trouvées par le Syndicat national des cultivateurs tendent à conclure que les ententes sur le commerce et les investissements n'ont pas profité aux familles agricoles canadiennes, le SNC recommande que le gouvernement canadien s'abstienne de négocier d'autres ententes jusqu'à ce qu'il puisse assurer les agriculteurs qu'il y aura revirement de la situation.

À la page 7, nous traitons des prix à la consommation et de la part que l'agriculteur canadien touche sur chaque dollar dépensé par le consommateur. Comme le montre le graphique 5, cette part diminue.

Je vous signale que le terme «efficacité» signifie généralement que moins de gens produisent davantage de produits avec une marge plus mince. Nous correspondons à ce modèle. La concentration de la propriété dans le secteur de la transformation des aliments correspond à un autre modèle—moins de gens produisant davantage de produits générant des profits plus élevés qui ne rejaillissent pas sur les exploitations agricoles.

• 1205

Vous avez entendu ce matin un autre exposé sur l'investissement et l'expansion dans le secteur de la transformation des aliments. Je vous invite à vous référer à la page 8. Nous y dressons une liste des entreprises qui contrôlent la presque totalité de notre secteur de la transformation des aliments—les meuneries canadiennes, 79 p. 100 à propriété étrangère; les malteries canadiennes, 93 p. 100 à propriété américaine; les meuneries canadiennes au blé dur, 66 p. 100 à propriété étrangère/américaine; les pasteries canadiennes, 90 p. 100...; et c'est encore plus triste dans le secteur de la viande rouge, les installations canadiennes d'emballage du boeuf, 66 p. 100 à propriété étrangère. Cargill et IBP possèdent ensemble 66 p. 100 de la capacité canadienne.

Je vais passer directement à la page 10. Nous avons posé la question suivante: l'accroissement du commerce des produits agricoles a-t-il avantagé les agriculteurs à l'échelle mondiale? Rien ne prouve que cela a été le cas; en fait, ce serait plutôt le contraire.

J'ai eu l'occasion de passer deux semaines aux Philippines au printemps de 1997. J'ai pu constater de visu les conséquences réelles et potentielles de la mondialisation du commerce agricole—tout un secteur entraînant des bouleversements sociaux, la désobéissance civile et la violence. Vous savez sans doute qu'en ce moment même des agriculteurs ont lancé un vaste mouvement de grève, je crois, en Argentine ou au Brésil.

Le Syndicat national des cultivateurs est un membre très actif de l'organisation agricole internationale appelée Via Campesina. Nous entretenons donc des contacts soutenus avec les organisations agricoles du monde entier.

J'aimerais citer une brève déclaration qui a été formulée à l'issue d'une réunion:

    Dans le cadre de l'OMC, la perte de souveraineté nationale en matière de denrées est dangereuse et inacceptable. Via Campesina s'oppose fortement à la conduite des négociations sur l'agriculture dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce. La politique de l'OMC vise avant tout les intérêts des sociétés multinationales qui dominent le commerce international en détruisant notre capacité de production alimentaire, nos collectivités et notre environnement naturel.

Nous ne sommes pas à l'abri; en fait, nous sommes un exemple parfait. Lorsque j'ai rencontré des groupes de paysans philippins, je leur ai dit que quoi qu'ils fassent, ils ne devraient pas suivre notre modèle, car ce n'est pas un modèle de réussite.

Le Syndicat national des cultivateurs recommande que le gouvernement canadien tire avantage du mécontentement des pays à l'égard de l'OMC pour renforcer sa position de négociation.

Nous recommandons en outre que le gouvernement canadien adopte une position clairement favorable aux agriculteurs lors de la prochaine série de négociations à l'OMC et s'allie aux nations qui s'emploient à modifier le centre d'intérêt des pourparlers. Le SNC recommande que le présent comité envoie un observateur à la troisième assemblée internationale de Via Campesina, du 3 au 6 octobre 1999, à Bangalore, en Inde, pour se renseigner sur les répercussions de l'accélération des exportations sur les paysans du monde entier.

En terminant, les négociateurs canadiens doivent défendre le droit du Canada à protéger, à créer et à développer des agences responsables de l'organisation méthodique du marché et de la gestion des approvisionnements, et il doit voir à ce que l'on ne négocie pas la suppression de ces organismes. En outre, étant donné la faiblesse et l'instabilité du prix des denrées, le Canada ne doit pas limiter davantage sa capacité à créer des filets de protection qui stabilisent les revenus des agriculteurs ou des programmes qui sauvegardent leurs intérêts. Enfin, le Canada doit protéger ses lois en matière de titres fonciers et les autres lois qui encouragent les exploitations agricoles familiales.

J'ajouterais à cela, voyant la crise agricole actuelle, que s'il faut en croire les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral, ces derniers ne peuvent aider les agriculteurs alors qu'ils traversent la pire crise des 60 dernières années, parce qu'ils ont négocié un accord de libre-échange qui les en empêche.

Le président: Merci, monsieur Tait.

Nous allons maintenant entendre M. Swan, des Producteurs de lait du Manitoba.

M. William Swan (président et directeur général, Producteurs de lait du Manitoba): Merci, monsieur le président. Je suis heureux de pouvoir présenter un exposé devant votre comité aujourd'hui.

Les Producteurs de lait du Manitoba sont d'avis que les cinq premières années de l'Organisation mondiale du commerce se sont révélées avantageuses pour les négociants mais désavantageuses pour les agriculteurs. L'évolution du prix des denrées depuis 1994 montre clairement que les agriculteurs n'ont pas profité de l'Organisation mondiale du commerce.

• 1210

L'OMC n'a pas permis de réduire les exportations primées ou de réduire les mesures de soutien internes à l'agriculture, sauf au Canada. Les objectifs en matière d'accès aux marchés ne sont qu'en partie atteints, sauf au Canada. Le Canada a montré la voie. D'autres grands pays commerçants ont fait fi des règles et ont agi à leur guise, en qualifiant les règles de lignes directrices et en refusant de s'y conformer.

Les Producteurs de lait du Manitoba ont fixé 10 objectifs en prévision de la prochaine série de négociations. Ces objectifs ont été adoptés par tous les secteurs soumis à la gestion de l'offre au sein de la Fédération canadienne de l'agriculture.

Numéro un, les producteurs canadiens d'oeufs, de lait et de volaille sont d'avis que le Canada devrait chercher à obtenir des résultats positifs pour les agriculteurs canadiens lors de la prochaine série de négociations multilatérales à l'Organisation mondiale du commerce.

Numéro deux, les producteurs d'oeufs, de lait et de volaille ne sont favorables à d'autres négociations dans le domaine agricole que si elles améliorent le fonctionnement des marchés intérieurs et internationaux et que si elles contribuent à relever les revenus agricoles canadiens.

Numéro trois, l'Organisation mondiale du commerce devrait servir de forum pour l'établissement de règles commerciales équitables et efficaces.

Numéro quatre, les engagements commerciaux touchant la production d'oeufs, de lait et de volaille découlant d'autres accords commerciaux auxquels le Canada pourrait souscrire, ne doivent pas être supérieurs à ceux pris dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce.

Numéro cinq, on ne doit pas opposer entre eux les différents secteurs agricoles canadiens ni opposer l'agriculture à un autre secteur industriel.

Numéro six, les prochaines négociations de l'Organisation mondiale du commerce sur l'agriculture doivent viser principalement l'élimination des subventions à l'exportation.

Numéro sept, le Canada doit obtenir l'équivalent complet des niveaux d'accès minimum fondés sur des règles.

Numéro huit, l'administration des contingents tarifaires doit être assujettie à des règles pour s'assurer que le niveau d'accès promis est réalisable.

Numéro neuf, les mesures sanitaires qui ne sont pas scientifiquement justifiées doivent être éliminées.

Numéro dix, le Canada doit exiger une discipline accrue en ce qui concerne les mesures de soutien intérieur.

Nous réclamons rien de moins que l'élimination totale des tarifs sur la production inférieure aux contingents. Certains pays continuent d'en imposer.

La réduction des mesures de soutien intérieur à l'agriculture. Les États-Unis et l'Union européenne traînent loin derrière le Canada.

La réduction des exportations primées. Les États-Unis et l'Union européenne sont à l'origine de 90 p. 100 des subventions à l'exportation.

Le maintien des tarifs sur la production excédentaire. Cette mesure est nécessaire afin de maintenir les programmes de soutien intérieur comme la gestion de l'offre. Les systèmes de gestion de l'offre profitent aux producteurs, aux transformateurs et aux consommateurs. Aux producteurs, ils assurent une prévisibilité fondée sur les coûts de la production dans le cas des producteurs efficaces. Aux transformateurs, ils garantissent un approvisionnement soutenu des produits de base de haute qualité et, aux consommateurs, ils assurent des produits de haute qualité à des prix abordables.

Les enquêtes sur les prix menées au cours des trois dernières années par les producteurs laitiers du Canada montrent que le Canada arrive au deuxième rang dans le monde pour ce qui est de l'abordabilité des prix. Je crois que tous les producteurs préfèrent tirer leurs revenus du marché plutôt que de la boîte à lettres. Malheureusement, depuis un an ce n'est plus possible pour les producteurs de certaines denrées. Les gouvernements fédéral et provinciaux ont répondu à ce besoin grâce au programme ACRA. Même s'il semble y avoir quelques problèmes d'ordre administratif, le programme a été bien accueilli par les producteurs. Ceux qui produisent des denrées soumises à la gestion de l'offre ne sont pas admissibles au programme mais ont néanmoins besoin d'aide gouvernementale, non pas en espèces, mais sous la forme d'une promesse qu'ils seront protégés lors des prochaines négociations commerciales.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Swan.

De la Commission canadienne du blé, nous accueillons M. Hill.

M. Larry Hill (directeur, Commission canadienne du blé): Merci, monsieur le président et membres du comité, de cette occasion de vous rencontrer aujourd'hui. Je vais résumer dans mon exposé le document que j'ai distribué et que je vous laisse à titre d'information.

Tout d'abord, quelques faits saillants. En 1997, l'OCDE a calculé que les producteurs de l'Union européenne touchaient une subvention agricole équivalant à 318 $ par acre. Aux États-Unis, cette subvention était de 68 $ par acre—en dollars canadiens. Au Canada et en Australie, ces subventions étaient respectivement de 15 $ et de 11 $ par acre. En Argentine, elles sont encore moins élevées. On pourrait s'attendre à ce que les subventions aux États-Unis soient plus élevées étant donné les sommes d'argent consacrées dernièrement à l'aide agricole.

Nous espérons, et nous sommes d'accord avec bon nombre des autres témoins qui ont fait des exposés aujourd'hui, que les accords à venir vont tendre vers l'élimination de tous les programmes ayant un effet de distorsion sur le commerce et qui entrent actuellement dans les catégories de soutien de la boîte orange et de la boîte bleue. En outre, les dépenses au titre de la boîte verte devraient également être plafonnées. À cet effet, le Canada doit préciser la définition du soutien de la boîte verte par rapport aux programmes de protection du revenu et d'assurance-récolte en vigueur au Canada et dans les autres pays exportateurs.

• 1215

Nous recommandons également que le Canada réclame la suppression totale de toutes les subventions à l'exportation dans les plus brefs délais. L'Agenda 2000 de l'Union européenne prévoit des subventions à l'exportation moins importantes. Il ne s'agit pas d'une suppression totale des subventions à l'exportation. Les États-Unis ont fait une très faible utilisation de leur programme d'expansion des exportations depuis 1995 mais désormais, ils ont l'autorisation de s'en servir. Il faut donc réclamer des réformes tant que les subventions ne seront pas complètement supprimées.

Nous recommandons également que soient adoptées des règles efficaces pour les crédits à l'exportation financés par l'État. En 1998-1999, le marché mondial des céréales a été très influencé par les programmes d'aide alimentaire et les programmes de crédit à l'exportation. Dans les tribunes internationales, l'on discute depuis près de 20 ans l'établissement d'éventuelles règles pour le crédit à l'exportation mais peu de progrès ont été réalisés. La Commission canadienne du blé tient fermement à négocier une entente internationale sur le crédit à l'exportation financé par l'État. Une telle entente devrait imposer une discipline réelle aux pays exportateurs et non pas tout simplement institutionnaliser les pratiques actuelles. La Commission canadienne du blé est fermement convaincue que le délai de remboursement maximal pour le blé et l'orge devrait être le plus court possible et ne devrait jamais dépasser la durée de vie utile du produit.

Nous recommandons également l'établissement de règles pour les programmes d'aide alimentaire et de promotion des ventes, comme le préconisent d'autres témoins. L'utilisation que l'on a fait de l'aide en Indonésie a beaucoup préoccupé les agriculteurs canadiens. Nous recommandons que le Canada réclame un accès ouvert et précis pour le blé et l'orge. Les démarches pour faciliter l'accès aux marchés doivent se poursuivre jusqu'à ce qu'on atteigne le but recherché, à savoir le plein accès. À cet égard, le Canada doit s'efforcer de garantir que les règles d'accès ne favorisent pas la discrimination entre les pays fournisseurs, les produits concurrentiels et les produits à l'état brut ou transformés. La Commission canadienne du blé souhaiterait avoir plus d'accès aux marchés du Brésil et des États-Unis.

Pour ce qui est des barrières non tarifaires, nous sommes également d'accord avec les témoins qui nous ont précédés.

Je vais maintenant aborder une question qui touche de plus près l'essentiel de la mission de la Commission canadienne du blé, qui est une entreprise commerciale qui sert d'intermédiaire pour la mise en marché du blé et de l'orge des agriculteurs de l'Ouest canadien. La Commission canadienne du blé opère en respectant des règles commerciales établies et elle se plie à toutes les exigences de l'OMC en ce qui concerne les rapports.

Six rapports et une vérification ont établi que la Commission canadienne du blé opérait équitablement sur les marchés d'exportation. Les reproches que l'on fait aux entreprises commerciales d'État, et en particulier à la Commission canadienne du blé, ne reposent donc que sur des hypothèses et des allégations non fondées de ventes non commerciales. La Commission canadienne du blé s'est pliée à de nombreuses enquêtes de la part des États-Unis et dans chaque cas, la preuve a été faite que la Commission opérait en respectant les règles de commerce. Je voudrais signaler que toutes ces enquêtes exigent un effort et un travail énormes de la part du personnel de la Commission canadienne du blé.

Les États-Unis ont réclamé la divulgation de renseignements commerciaux protégés. Si nous nous rendions à leur requête, les clients de la Commission canadienne du blé pourraient subir un préjudice. Nous pensons que si l'on nous impose de révéler davantage de renseignements, le secteur privé et les sociétés commerciales d'État devraient être soumis aux mêmes exigences.

Actuellement, la Commission canadienne du blé révèle plus de renseignements concernant ses opérations que la plupart des autres organisations qui commercialisent les céréales. Selon nous, une entreprise d'affaires devrait être évaluée d'après ses activités et non pas d'après sa structure. À cet égard, le débat concernant les entreprises commerciales d'État devrait être objectif et se garder de faire intervenir des considérations philosophiques ou politiques.

Nous avons également des remarques à faire sur le libre-échange des Amériques mais vous pourrez consulter notre mémoire à cet égard.

En conclusion, à l'approche du prochain cycle de négociations commerciales internationales, si nous réfléchissons aux perspectives du secteur agricole, nous devons veiller à ne pas, une fois de plus, accepter un accord dilué prévoyant la réduction des subventions. Nous devons réévaluer ce qui devrait être un niveau acceptable et des modalités raisonnables de soutien financier national au secteur agricole pour que les producteurs puissent bénéficier d'une situation équitable de concurrence à l'échelle mondiale.

• 1220

Nous devons établir des lignes directrices précises d'utilisation des programmes de promotion des ventes et de crédit à l'exportation pour éviter qu'ils ne servent de paravents permettant d'éviter de respecter des engagements pris à l'égard d'une réduction des subventions comme telles. Il nous faudrait poursuivre nos efforts pour obtenir un meilleur accès aux marchés, ce qui pourrait prendre la forme notamment de règlements améliorés concernant les procédures de réduction des tarifs et les barrières non tarifaires.

Enfin, le genre de système de commercialisation que choisit un pays est décidé par ce pays. Les entreprises commerciales d'État constituent un élément légitime du contexte commercial global et devraient être évaluées en fonction de ce qu'elles font. Nous recommandons que le gouvernement défende vigoureusement le droit du Canada de structurer son industrie intérieure comme il l'entend.

Nous avons un bref document ici. Si vous voulez prendre le temps de le lire, à loisir, il ne vous faudra que quelques minutes pour parcourir les faits saillants et vous y trouverez des données statistiques importantes, de l'avis de la Commission du blé.

Encore une fois, merci beaucoup de nous avoir consacré du temps ce matin.

Le président: Merci, monsieur Hill.

Monsieur Penner.

M. Dave Penner (vice-président, Manitoba Chamber of Commerce): Merci, monsieur le président et membres du comité.

Tout d'abord, comme vice-président du Manitoba Chamber of Commerce, j'aimerais vous souhaiter la bienvenue au Manitoba et vous remercier de l'occasion que vous nous offrez de présenter une des nombreuses résolutions qui auraient pu être adoptées au niveau de la Chambre de commerce; cette résolution est toutefois la seule à avoir été adoptée jusqu'ici.

Ce ne sera pas long. Le ministre de l'Agriculture a touché un mot de l'industrie canadienne de la betterave à sucre. Cette industrie fournit un produit à bas prix et réussit à faire face à la concurrence dans un marché international libre et équitable. Elle constitue un apport important pour l'économie de la nation en fournissant des milliers d'emplois au niveau de la production et de la transformation d'un produit à grande valeur ajoutée.

Cependant, les usines de deux provinces ont fermé leurs portes, l'une au Nouveau-Brunswick et l'autre au Manitoba. Et l'industrie, à l'échelle nationale, fonctionne à un niveau de loin inférieur à celui qui existerait si le système de commerce international était libre et équitable. Il faut poser des gestes si l'on veut permettre à cette industrie de réaliser son plein potentiel au profit de l'économie canadienne.

L'industrie de la betterave à sucre au Canada jouit d'un avantage concurrentiel, celui de prospérer dans un milieu de libre-échange commercial, mais pour l'heure seulement 7 p. 100 de la consommation canadienne interne s'alimente au sucre produit au Canada même si nous le produisons à bas prix. C'est que notre industrie fait face à une concurrence importante financée par les trésors de différents pays du monde et que des barrières commerciales de taille nous interdisent l'accès à notre marché d'exportation le plus près de nous, soit celui des États-Unis.

Un rapport envoyé au gouvernement du Manitoba intitulé Manitoba's Sugar Industry, An Opportunity in Manitoba's Long Term Plan confirme que le prix international du sucre a subi une distorsion énorme à cause des gestes posés par les gouvernements de presque tous les pays producteurs de sucre au monde.

Résultat: le prix moyen du sucre sur les marchés intérieurs des pays développés qui exportent du sucre est de deux à trois fois plus élevé que le prix du sucre sur les marchés internationaux. Ce fait est bien documenté.

Les producteurs canadiens de betterave à sucre veulent encourager un commerce du sucre libre et équitable avec les États-Unis et les autres pays du monde. La création d'emplois et le développement économique important que pourrait signifier cette industrie pour le Canada dépendent de la négociation d'un nouvel ensemble de règles commerciales à long et à court terme.

Ces règles doivent permettre à l'industrie betteravière du Canada de réaliser son potentiel grâce au libre-échange ou, du moins, à des pratiques commerciales plus loyales. Le Tribunal canadien du commerce extérieur a imposé des droits compensateurs sur le sucre blanc raffiné qui fait l'objet de dumping au Canada. Cela ne vise pas le sucre brut qui constitue le gros de nos importations et ces mesures temporaires n'adoucissent pas les restrictions importantes imposées dans le cas des exportations canadiennes de sucre de betterave raffiné.

Plus précisément, pour ce qui est de l'accès au marché du sucre aux États-Unis, le Canada a fait face à des restrictions qui ont mené à une diminution des livraisons de sucre raffiné qui sont passées de 56 000 tonnes en 1994 à 12 500 tonnes en 1997-1998, sans que l'on puisse prévoir d'augmentation de nos livraisons actuelles dans un avenir rapproché. Cette diminution s'est produite au même moment qu'avaient lieu les négociations de l'ALENA et de l'OMC.

Le Mexique a obtenu un accès plus grand au marché américain, passant de 7 000 tonnes à 25 000 tonnes pour la première année en 1994, jusqu'à 250 000 tonnes, c'est-à-dire un quart de million de tonnes annuellement, soit 20 fois plus que le Canada, dès l'an 2001, et toute restriction à l'accès à ce marché disparaît en l'an 2009. Le Mexique produisant quelque 5 millions de tonnes de sucre par année, ce pays n'aura aucun problème à répondre à la demande.

• 1225

Si l'on pouvait compter sur une politique commerciale nationale améliorée, nous pensons que l'industrie betteravière canadienne pourrait fournir de l'emploi à quelque 15 000 personnes, soit un équivalent temps plein de 3 000 emplois, ce qui signifierait des recettes fiscales de l'ordre de 30 millions de dollars par année pour les gouvernements provinciaux et plus encore pour le gouvernement fédéral. Ces nouveaux emplois seraient créés dans une industrie à haute valeur ajoutée où le produit final destiné aux consommateurs est complètement transformé et emballé.

Nous faisons donc deux recommandations. Tout d'abord, que le gouvernement fédéral se prépare à négocier pour que d'autres pays adoptent des politiques commerciales équitables dans le domaine du sucre pendant les prochaines négociations de l'OMC. Deuxièmement, que l'on négocie avec notre voisin américain, sous l'égide de l'ALENA, pour faire augmenter les exportations de sucre canadien vers les États-Unis.

Je vous présente ici le même document que j'ai présenté à la Chambre de commerce du Canada à l'automne et qu'elle a adopté tel quel.

Tous ces arguments sont appuyés par la Canadian Sugar Beet Producers' Association dans un document intitulé «Positioning the Canadian Sugar Beet Industry for the Future». Plus important encore, il n'est pas question de subvention gouvernementale dans notre résolution.

Le président: Merci beaucoup, monsieur.

Nous déborderons peut-être l'horaire prévu, mais nous passons maintenant aux questions. Essayez de vous en tenir à cinq minutes.

M. Charlie Penson: Merci aux participants d'être venus. J'ai de la sympathie pour ceux qui n'ont que cinq minutes pour leur exposé. C'est très difficile. J'ai déjà fait la même chose devant des comités comme celui-ci dans le passé.

Je crois que tout le monde ici connaît bien l'histoire de l'agriculture, mais il serait important d'en faire un petit résumé.

L'agriculture n'était pas visée par les règles commerciales avant le dernier cycle d'Uruguay. Il a toujours été difficile d'imposer des règles dans ce secteur par le biais de telles négociations. Surtout à cause des guerres commerciales entre les États-Unis et l'Europe vers le milieu des années 80, le dossier a été abordé lors des négociations d'Uruguay, ce qui a constitué un modeste départ dans le domaine de l'agriculture.

Nous nous sommes dit: ouvrons le dossier de l'agriculture. Nous savons qu'il ne sera possible d'obtenir qu'environ 15 p. 100 de diminution des tarifs et des subventions, mais convertissons tous en tarifs. Nous essaierons de faire le gros du travail lors du cycle du millénaire en l'an 2000.

Voilà où nous en sommes. On a donc créé des espoirs importants pour les industries orientées vers l'exportation. Le boeuf, les oléagineux, les producteurs de céréales, ces industries orientées vers l'exportation ont énormément besoin de ces subventions en Europe, aux États-Unis, au Japon... L'accès aux marchés s'est amélioré.

Un petit rappel: pour les seuls pays de l'Union européenne, ces subventions se sont chiffrées à environ 70 milliards de dollars l'an dernier. Et nous nous demandons pourquoi nos produits canadiens que nous vendons aux pays du tiers monde font face à une rude concurrence.

Voilà donc la toile de fond.

À Ottawa, et ailleurs, j'ai entendu beaucoup de gens venir nous dire qu'ils veulent avoir accès aux marchés, des diminutions de tarifs, des diminutions des subventions offertes par d'autres pays. Par contre, ne touchez à rien chez nous; laissez-nous tranquilles. Laissez-nous décider, dans notre propre pays, comment nous allons réussir à atteindre ces buts par nous-mêmes. N'est-ce pas là un peu contradictoire? Nous demandons aux autres pays de nous ouvrir leur marché et de diminuer leurs subventions. Ne devons-nous pas faire cela nous-mêmes?

Monsieur le président, fondamentalement, il s'agit de savoir si, oui ou non, il est possible pour l'agriculture canadienne d'atteindre cette position dite équilibrée. Mettez-vous à la place d'un ministre du Commerce ou d'un négociateur qui se rend à la table pour demander aux autres d'abandonner leurs énormes subventions sur les produits agricoles destinés à la consommation intérieure ou à l'exportation, de diminuer leurs tarifs et qui se fait demander en réplique ce qu'il en est dans notre cas, ce que nous allons faire... Pouvons-nous avoir une politique équilibrée et essayer d'atteindre les objectifs dont il a été question ici: accès aux marchés, diminution des tarifs et diminution des subventions? Voilà la question que je vous pose.

• 1230

Le président: Voulez-vous relever le défi, monsieur Tait? Votre exposé nous porte à croire qu'il y a chez vous un désaccord fondamental face à certaines de ces prémisses.

M. Fred Tait: Oui. J'ai déjà entendu cet argument selon lequel nous, les agriculteurs, devrions sacrifier notre puissance au sein du marché afin d'accroître notre accès aux marchés. Dans notre mémoire, nous avons décrit à quel point certains des joueurs du marché international sont puissants. Par le passé, chaque fois que nous avons sacrifié notre puissance au sein d'un marché pour accroître notre part du marché, nous avons fini par avoir des revenus agricoles plus bas et tous les autres intervenants s'en sont tirés mieux. Le pouvoir que nous sacrifions en tant qu'agriculteurs ne disparaît pas; il passe aux autres intervenants dans le système agroalimentaire.

C'est la raison pour laquelle je m'oppose tant à tout remaniement de la gestion de l'offre et aux pouvoirs du guichet unique de la Commission canadienne du blé, par exemple.

Le président: Très bien.

Monsieur Swan.

M. William Swan: Pour ce qui est de l'accès pour les produits laitiers, tout le monde a accepté de passer à 5 p. 100. Le Canada est à 4 p. 100, les États-Unis, à 2 p. 100 et l'Europe, à 3 p. 100. Nous demandons que tout le monde soit au même niveau avant que nous commencions à baisser nos niveaux davantage.

Le président: Monsieur Saunderson.

M. Brian Saunderson: Je tiens simplement à mentionner que les autres pays vont probablement demander la même chose. Les Américains vont probablement demander une réduction des subventions et un meilleur accès, mais ils ont aussi des industries sensibles qu'ils protègent: c'est-à-dire les produits laitiers, le sucre et les arachides. À mon avis, nous ne serons pas les seuls qui tiendront à défendre certains secteurs.

Le président: Monsieur Dewar.

M. Donald Dewar: M. Swan a dit plus ou moins ce que j'allais dire. Nous avons déjà respecté certaines conditions, alors que ce n'est pas le cas des autres pays. Par exemple, nous avons 91 p. 100 de notre contingent, alors que les Américains sont à 54 p. 100 seulement. Pourquoi faire davantage jusqu'à ce qu'ils nous rattrapent?

Le président: Monsieur Broeska.

M. Robert Broeska: Oui. Il y a des réactions différentes selon qu'on exporte ces produits ou qu'on a un produit qui fait l'objet de la gestion de l'offre. Pour ce qui est des négociations, ceux qui exportent, surtout les producteurs d'oléagineux, n'ont rien à céder. Notre position c'est de chercher à obtenir zéro pour zéro. Selon nous, ce serait l'équilibre parfait. Aucune subvention à l'exportation, d'un côté, et aucune importation contrôlée, ni barrière tarifaire ou non tarifaire, de l'autre côté. Nos négociateurs nous disent que si, afin d'atteindre l'équilibre, ceux qui veulent libéraliser les exportations doivent céder ou compromettre leurs activités, ce n'est pas vraiment une position viable. Ils auraient les mains liées, et les négociations se feraient entre ceux qui sont disposés à céder quelque chose pour obtenir l'accès aux marchés.

Le président: Merci beaucoup.

Madame Debien.

[Français]

Mme Maud Debien: Bonjour, madame et messieurs. Je m'adresse à M. Saunderson. Mon commentaire concerne le texte que vous nous avez soumis sur les mesures sanitaires et phytosanitaires. Vous savez que l'utilisation des biotechnologies par l'industrie agricole est l'un des aspects les plus controversés actuellement dans notre société, pas seulement en Europe mais aussi au Canada et au Québec. L'Accord SPS, qui porte sur les mesures sanitaires et phytosanitaires, traite de l'innocuité et de la salubrité des aliments et son but est de protéger la santé des humains, des animaux et des végétaux.

Dans votre texte, vous affirmez que la science a prouvé clairement que les OGM ne sont pas nuisibles à la santé humaine et à l'environnement. Des chercheurs et des scientifiques sont venus nous dire que la recombinaison de l'ADN pouvait même être, dans certains cas, un facteur de pathogénicité. On nous a donné des exemples de grains génétiquement modifiés qui avaient été vendus dans certains pays et qui avaient complètement détruit les récoltes. Je ne veux pas dire que c'est le cas des transformateurs, mais j'ai été surprise de lire que la science avait prouvé clairement qu'il n'y avait pas de facteur de phathogénicité.

• 1235

Ces chercheurs soulignaient aussi que l'OMC n'avait pas de mesures de précaution pour envisager la dimension pathogène des OGM. Est-ce que l'OMC ne devrait pas mettre dans l'Accord SPS une mesure de précaution disant que ces fameux produits génétiquement modifiés pourraient être des agents pathogènes?

Une autre petite phrase de votre texte m'a surprise; elle porte sur l'étiquetage. Vous dites que les exigences d'étiquetage inquiètent les consommateurs et constituent des obstacles non tarifaires au commerce. J'ai plutôt l'impression qu'il faudrait dire que les exigences d'étiquetage inquiètent les producteurs. Ce sont eux qui sont inquiets face à l'étiquetage et non pas les consommateurs, qui voudraient, au contraire, que ces produits soient clairement identifiés comme étant génétiquement modifiés. Ces deux phrases de votre texte m'ont donc surprise, car j'ai entendu récemment le contraire.

[Traduction]

Le président: Monsieur Saunderson.

M. Brian Saunderson: Merci de votre question, madame. Il s'agit d'un domaine très important—la biotechnologie et les OGMs. J'aurais quelques remarques à faire.

D'abord, selon moi, on ne peut faire des généralisations au sujet de tous les produits de ce genre. Il faut viser un produit précis et, comme nous l'avons dit dans notre mémoire, il faut que les bonnes pratiques scientifiques priment. Mais la remarque selon laquelle le client a toujours raison est quelque chose que les producteurs respectent. Et nous sommes extrêmement conscients du fait que le canola a été exclu de l'Europe. Je pense que les producteurs ont demandé des concessions pour ce qui est des techniques de culture des pois, car l'Europe est sensible à l'introduction de ces produits.

Une dernière remarque au sujet du canola. Jusqu'ici la plupart du travail en biotechnologie vise à faire diminuer ce qu'on appelle «l'ingrédient actif» du produit chimique utilisé sur les plantes. Le fait qu'on en utilise moins devrait intéresser les consommateurs.

Nous avons fait une mise en garde dans le document concernant l'étiquetage, mais je pense que si c'est ce que réclament les consommateurs, partout au monde, nous sommes d'avis qu'il doit y avoir des normes et des règles dans ce domaine. Il n'y a que l'OMC qui puisse appliquer ces normes. Il faut qu'un organisme mondial puisse vérifier les déclarations extravagantes et peut-être fausses faites par l'un ou l'autre des pays.

Le président: Merci.

Monsieur Blaikie.

M. Bill Blaikie: Merci.

Monsieur le président, je n'ai qu'un petit commentaire à faire, mais les témoins pourront réagir s'ils le souhaitent. Il me semble que l'on peut voir un parallèle qui se dessine entre ce qui se passe dans le milieu agricole et ce qui se passe à bien des égards dans le milieu industriel. Les exportations industrielles sont à la hausse, mais les salaires des travailleurs ne semblent pas suivre cette même tendance depuis l'Accord de libre-échange.

Or, il en va de même avec les agriculteurs: les exportations sont à la hausse et il y a des gens, en quelque part dans la chaîne de l'exportation, qui font des affaires d'or, alors que d'autres gens, ailleurs dans la chaîne, ne réussissent pas aussi bien. Autrement dit, on constate que ce sont les fabricants de produits d'exportation qui ont plus de mal à s'en sortir. Je lisais l'autre jour dans un article de journal que les travailleurs canadiens ne s'en tirent pas mieux qu'il y a 20 ans, en dollars réels. On constate le même phénomène dans le milieu agricole, et il vaut la peine de s'interroger. En tout cas, cela ne fait que renforcer mon scepticisme devant l'opportunité de signer des accords de ce genre.

M. Hill souhaitait des négociations qui ne soient ni politiques ni philosophiques. C'est un souhait illusoire. C'est rêver en couleur. En effet, tout cela tourne autour de la politique et de la philosophie. À mon avis, l'OMC cherche à imposer une certaine vision—le modèle américain—de l'activité économique au reste du monde, et ce sont les Américains qui décident quelles activités économiques sont bonnes et lesquelles sont mauvaises.

• 1240

L'attaque contre la Commission canadienne du blé et contre la commercialisation ordonnée, entre autres choses, est motivée d'un point de vue politique et philosophique. Voilà comment cela se passe à l'OMC. Je sais bien que l'on hésite à dire ces choses publiquement, mais c'est exactement ce qui se passe là-bas.

Comme ce sont les entreprises commerciales d'État qui sont ciblées, et qu'il faudra accepter des compromis, tant que le reste du monde ne se serrera pas les coudes pour éviter d'être coulé dans le moule américain, nos économies finiront toutes par ressembler à l'économie américaine. Au fond, c'est cela qui se passe. Mais personne n'ose tirer la sonnette d'alarme et dire la vérité. Peut-être nous faudra-t-il regarder les choses en face et admettre cette réalité. C'est ce que j'essaie de faire.

Le président: Les témoins veulent-ils réagir, ou devons-nous considérer les propos de M. Blaikie comme un commentaire plutôt qu'une question?

Monsieur Hill.

M. Larry Hill: Je ne fais que supputer, mais j'ai l'impression que 80 p. 100 du blé dur produit dans l'Ouest canadien provient du district numéro 3 que je représente.

Lorsque les producteurs de ma région ont vu le gouvernement américain prendre des mesures afin de leur enlever tout incitatif à produire du blé dur, ils ont réagi très cyniquement. Le prix du blé dur a chuté en quelques jours à peine d'environ 40 $ la tonne. Puis, il y a eu des négociations: je ne me rappelle plus les chiffres exacts, mais le prix de départ était de 1,85 $ le boisseau de plus que le prix du «dark northern spring». Avec les négociations, le prix a baissé à 1,65 $, puis finalement à 1,18 $ de plus. Mais à la suite d'un règlement du tribunal, le prix a fini par remonter à 1,65 $ de plus.

Les producteurs de ma région sont très cyniques devant ce que leur rapportent les accords. Voilà pourquoi ils exhortent les négociateurs canadiens à ne plus rien céder. Ils affirment ne plus avoir rien à donner, car ils ont touché le fond du baril.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Broeska, voulez-vous intervenir?

M. Robert Broeska: Oui, j'aimerais répondre brièvement à M. Blaikie. Vous ne devriez pas englober tous les secteurs de l'agriculture dans votre généralisation.

En effet, depuis l'ALENA et la mise en oeuvre des premiers accords du cycle d'Uruguay, on a constaté que les investissements dans les oléagineux à la ferme et à l'étape de la transformation avaient doublé, et ce en 13 ans environ. Ces investissements n'ont pas été rendus obligatoires en raison de revenus faibles ou négatifs. Au contraire, ces investissements ont été faits parce qu'il s'agissait d'un secteur de croissance et que le libre-échange avait accru la capacité de l'industrie des oléagineux à profiter grâce aux exportations.

Le président: Merci.

Monsieur Tait.

M. Fred Tait: C'est bien beau de parler de transformation à forte valeur ajoutée, mais il faut tout de même donner l'heure juste. Que l'on parle de canola, de blé ou de toute autre céréale produite au Manitoba, le prix que versera le transformateur sera le prix mondial, réduit en raison du fret, puisque c'est la formule utilisée.

De plus, il est difficile pour nous de regarder les chiffres agricoles et de conclure que, pour ce qui est de la transformation à forte valeur ajoutée, la formule utilisée, soit le prix mondial réduit du fret, s'est traduite par une amélioration du revenu net agricole dans les Prairies.

Le président: Monsieur Saunderson.

M. Brian Saunderson: Revenons à l'hypothèse selon laquelle l'augmentation des exportations n'aide pas nécessairement les agriculteurs. Je suis assez sensible à ce qui a été dit. Dans la foulée des observations de Larry Hill, j'ajouterais que les agriculteurs de pays qui ne soutiennent pas la production nationale et ne subventionnent pas les exportations sont sans doute les observateurs de marché les plus astucieux qui soient puisqu'ils prennent leurs décisions en se fondant uniquement sur les signaux émis par le marché. Pour notre part, notre système dépend beaucoup de l'offre et de la demande. Si l'offre existe, le marché suivra la tendance et poussera les prix à la hausse, ce qui rapportera. Plus nous pouvons faire descendre les subventions à l'exportation et l'aide nationale qui entraînent la distorsion du commerce, et plus l'économie mondiale sera basée sur une véritable économie de marché, ce qui ne peut qu'aider les producteurs.

Le président: Monsieur Pickard.

M. Jerry Pickard: C'est tout un débat qui a lieu actuellement sur les échanges commerciaux et sur la façon dont ils se produisent.

Il est injuste que le secteur de la gestion de l'offre au Canada ait été attaqué de toutes parts. En effet, la gestion de l'offre est au Canada un phénomène national, mais seulement national. La gestion de l'offre ne change pas si l'on traite avec d'autres à l'extérieur du Canada. Par conséquent, ce système a donné d'excellents résultats au Canada, et il faut le reconnaître.

• 1245

La plupart de nos produits proviennent d'activités sectorielles et nous rivalisons avec d'autres pays. J'entends dire de la part de ceux qui produisent des denrées concurrentielles avec celles des autres pays, à quel point il est important que les chances soient égales pour les producteurs canadiens et l'industrie canadienne, par rapport aux autres pays. Je suis tout à fait d'accord.

Je comprends que pour M. Enns, le Manitoba s'en tire beaucoup mieux du point de vue économique. Après tout, il est le ministre de l'Agriculture, et il a dit clairement que la production à forte valeur ajoutée et nos ventes à l'extérieur ont augmenté, et la province s'en tire beaucoup mieux, puisqu'elle est plus concurrentielle—c'est encourageant pour l'avenir.

Ce qui m'inquiète, c'est d'entendre M. Tait du Syndicat national des cultivateurs affirmer que nous devrions nous abstenir de négocier tout autre accord commercial. Pourtant, toutes les organisations représentant des produits qui ont comparu nous ont dit au contraire qu'il restait encore plusieurs aspects à négocier. Nous devons, par exemple, négocier l'équité et nous devons nous débarrasser des obstacles qui nuisent à notre commerce avec d'autres pays.

Si j'interprète bien les commentaires de M. Tait, il réclame le statu quo ou rien d'autre. Or, tous les autres témoins prétendent au contraire que le statu quo ne suffit pas. J'avais même cru entendre M. Tait expliquer que le statu quo ne suffisait plus étant donné la chute considérable du revenu agricole.

Comment pouvez-vous justifier que le Canada exige le statu quo et refuse de négocier autre chose en prétendant que les agriculteurs n'en profitent pas, alors que le reste des secteurs industriels affirment qu'ils pourraient profiter de l'abolition des obstacles commerciaux?

Je m'adresse à M. Tait, et les autres voudront peut-être réagir.

M. Fred Tait: C'est sans doute parce que j'avais peu de temps à ma disposition et que la question est très complexe que je me suis fait mal comprendre. Dans notre mémoire, nous utilisons des chiffres qui ne sont pas les nôtres, mais qui nous sont fournis par le ministère de l'Agroalimentaire et Statistique Canada, et nous disons que l'orientation qui a été suivie par le Canada dans le cadre des négociations commerciales internationales et des négociations sur les produits agricoles, a entraîné une chute du revenu net agricole.

À la page 6 de notre mémoire, nous disons qu'il faut faire comme les entreprises: nous disons qu'il faut évaluer nos résultats et nous demander si nous avons jusqu'à maintenant réussi à atteindre l'objectif qui est de rehausser le revenu agricole net. Comme il saute aux yeux que nous n'y sommes pas parvenus, évitons de faire la même erreur dans le domaine de l'agroalimentaire et de déréglementer complètement le secteur, alors que l'expérience démontre que cela a nuit au milieu que je représente. Ce que nous disons, c'est évaluons la situation pour découvrir les raisons pour lesquelles nous n'avons pas réussi.

Je ne peux tout de même pas vous exhorter à suivre la même voie, étant donné que je côtoie tous les jours la destruction que la méthode suivie a entraînée dans son sillon. Tous les jours, je perds des voisins. Deux personnes que je connais bien se sont suicidées. Si les projections se concrétisent, au cours des cinq prochaines années, je devrais perdre 25 p. 100 de tous mes voisins, à cause de la situation qui existe aujourd'hui sans qu'il y ait eu d'autres négociations.

Si nous ne faisons de progrès, d'après ce que révèle le ministère de l'Agriculture au sujet des projections dans l'industrie du porc, les profits devraient chuter considérablement, comme le laissent voir les tableaux du rapport. Si nous ne faisons aucun progrès et que nous suivons cette méthode qui nous a fait perdre petit à petit notre pouvoir de mise en marché, aussi vrai que vous et moi nous trouvons dans cette pièce-ci... Les producteurs ont eu à quelques reprises un certain pouvoir de mise en marché. La coopérative de vente à guichet unique est une des facettes de ce pouvoir de mise en marché. La gestion de l'offre est une autre facette de notre pouvoir de mise en marché. Il en va de même pour le tarif-marchandise. Or, nous cédons petit à petit ces avantages. En fait, ces avantages ne disparaissent pas: c'est tout simplement quelqu'un d'autre, mieux placé que nous, qui en profite.

Par conséquent, chaque fois que nous abandonnons le pouvoir de mise en marché au profit d'un plus grand accès aux marchés, nous cédons une partie de notre revenu net. Nous abandonnons une partie de notre revenu net en échange d'un accès accru aux marchés, de sorte que nous produisons plus pour moins, comme le confirment les chiffres. Ce n'est pas nous qui inventons cela. Ces chiffres nous parviennent du ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire et de Statistiques Canada. Voilà pourquoi nous vous exhortons à changer de cap.

• 1250

Demandez-vous pourquoi cela se passe ainsi. Comment se fait-il que tous les autres intervenants de la chaîne alimentaire aient profité merveilleusement bien de la situation? En 1998, le secteur de la transformation alimentaire a battu tous les records de rentabilité, au même moment où le revenu agricole en termes réels chutait au niveau de 1932. Et c'est encore pire en 1999, alors que nous projetons un revenu agricole nul en Saskatchewan.

Voilà ma position, et il ne me semble pas déraisonnable de vous demander, à vous qui êtes nos représentants élus, de déterminer pourquoi l'amélioration des échanges a eu un effet à ce point néfaste sur notre secteur de la chaîne alimentaire.

Le président: Monsieur Dewar.

M. Donald Dewar: Je souscris sans réserve à l'évaluation qu'a faite M. Tait des effets économiques dans les régions rurales. Mais j'ai peut-être un point de vue un peu différent quant aux causes de la situation; je crois que le gouvernement canadien a pour ainsi dire mis une voix sur toute aide intérieure à la plupart des secteurs agroalimentaires. M. Swan pourra vous dire ce qu'il pense de la quantité d'aide canadienne qu'à reçue le secteur laitier, une fois que la subvention laitière sera terminée dans trois ans, je crois.

Je crois qu'il vaut la peine de faire comprendre que notre gouvernement va beaucoup plus loin que tous les autres pays sur le plan de la réduction de son aide aux divers secteurs. Nous n'avons presque plus de soutien gouvernemental, et de l'avis de la Keystone Agricultural Producers, cela explique partiellement pourquoi nous sommes défavorisés par rapport aux autres pays, puisque ces derniers ont continué à soutenir leurs divers secteurs à des niveaux dépassant ce qui est acceptable. Le GATT a permis de fixer certaines règles de base, mais le Canada est allé plus loin qu'il le fallait. Je crois que nous devions réduire nos subventions à l'exportation de 37 p. 100. Or, la subvention du Nid-de-Corbeau a complètement disparue du secteur agricole, ce qui dépasse de loin ce qui était fixé.

Par conséquent, demandons-nous quelles répercussions ont eues les mesures que nous avons prises dans notre propre pays, alors que nous nous inscrivons dans l'économie mondiale; je veux bien croire que des échanges commerciaux accrus pourront nous aider, mais il faut tout de même que les règles du jeu soient les mêmes partout. Si nous continuons à obtempérer aux règles sans que les autres pays n'emboîtent le pas, ce sera désastreux pour le monde rural.

Le président: Comme nous devons clore cette partie-ci de la séance, je pourrais peut-être poser à M. Tait la dernière question. Nous essayons de prendre la mesure de la situation. Je ne vous ai pas entendu dire dans votre mémoire qu'il fallait maintenir le statu quo, mais nous devrons soit faire de nouvelles percées soit reculer. Soit que nous nous retirions des ententes, soit que nous allions plus loin encore.

Pour en revenir à ce que disait M. Dewar, et à ce que disaient d'autres témoins encore, si les producteurs agricoles ne profitent pas des accords de libre-échange, c'est précisément parce que les autres pays n'ont pas... les autres pays ont peut-être ouvert leurs marchés, mais l'Union européenne continue à subventionner les exportations de manière à nous empêcher d'obtenir des prix convenables sur nos marchés d'exportation. Les États-Unis continuent à subventionner leurs programmes, mais parlent plutôt de prêts. Peu importe le terme choisi, cela reste des subventions et les États-Unis n'ont toujours pas abandonné cette pratique. Par conséquent, les prix mondiaux ne reflètent aucunement ce qui devrait être des marchés observant partout les mêmes règles du jeu.

Croyez-vous qu'il y ait un avenir pour nous? Si nous décidions de continuer et que nous parvenions à inciter les autres pays à se discipliner, les prix pourraient peut-être augmenter et les agriculteurs finiraient peut-être par en profiter. Ou préférez-vous plutôt que nous nous retirions des ententes internationales, que nous nous repliions sur nous-mêmes et que nous nous barricadions derrière notre frontière? Je sais que ma proposition peut vous sembler impossible. Mais comprenez-vous le dilemme que nous avons?

M. Fred Tait: Je comprends tout à fait votre dilemme. Mais qu'est-ce qui vous prouve que depuis que nous avons déréglementé le secteur des produits agricoles, ceux que je représente en ont profité le moindrement?

On me dit qu'il faut instaurer un système fondé sur des règles, et pourtant, le libre marché n'existe que s'il n'y a pas de règles. Même cette façon de voir les choses est contradictoire.

Il y a aussi une autre question qui pourrait vous intéresser particulièrement comme membres de ce comité-ci: Ne pensez-vous pas que plus nous mettrons l'accent sur une agriculture tributaire du marché, plus cela pourrait avoir un effet déstabilisateur sur les pays en développement et sur le tiers monde?

Laissez-moi vous faire part de ma propre expérience. J'ai passé deux semaines aux Philippines, là où 23 millions de gens vivent de l'agriculture de base sur une population totale de 65 millions d'habitants. La ferme moyenne compte 1,4 hectare. En théorie, si le pays adhérait à un accord international d'échanges commerciaux en agriculture, il pourrait importer ses denrées alimentaires, exporter d'autres cultures à valeur ajoutée, déplacer sans doute plus de 21 millions d'habitants en leur faisant quitter les terres et les faire vivre de la production industrielle. Mais de quelle production industrielle s'agira-t-il? Faudra-t-il relocaliser une autre industrie à gros salaires qui se trouve actuellement ailleurs au pays? Voilà où les choses se compliquent. Où s'agira-t-il plutôt d'une industrie tout à fait nouvelle? Dans l'affirmative, où trouver dans le monde et chez les consommateurs le revenu et la demande accrus qui pourraient absorber ce niveau de production industrielle?

• 1255

On peut croire, évidemment, que ce genre d'évolution exige beaucoup de planification. Or, toute planification, quelle qu'elle soit, va à l'encontre d'un modèle de déréglementation, même si la planification s'avère nécessaire lorsqu'il est question d'infrastructure, d'éducation et d'écoles, par exemple. L'évolution pourrait se faire sur 20 ans, mais les forces du marché ne peuvent absorber les changements dont nous parlons à l'échelle mondiale sans d'éventuelles insurrections et flambées de violence.

Je suis bien prêt à transformer le monde dans lequel nous vivons pour le mieux, mais je crois que c'est de façon collective que nos organisations communautaires et des groupes tels que la KAP et le syndicat des cultivateurs peuvent vous aider, les élus, à concevoir un meilleur système.

Comme vous l'avez entendu à maintes et maintes reprises aujourd'hui, on semble malheureusement croire que la solution, c'est l'augmentation constante de la production et l'élargissement constant de l'accès aux marchés.

Les signes sont tous là. Pour ma communauté, cela a été un désastre, tout comme pour toutes les collectivités agricoles dans le monde entier. N'allons pas plus loin dans cette voie avant d'avoir réussi à mieux répartir les bénéfices pour que tout le monde soit sur un pied d'égalité et pour qu'on ne voie plus de ces collectivités complètement dévastées.

Le président: Je vous remercie tous infiniment. Comme nous manquions de temps, j'apprécie que vous ayez accepté de condenser vos exposés.

Je comprends fort bien les critiques exprimées au début par M. Tait, mais j'espère que vous comprendrez notre problème. Notre comité s'est séparé en deux groupes, la moitié sont partis vers l'Ouest pendant que nous venions ici. Nous sommes allés au Québec et dans les Maritimes. Je vous assure que les collectivités agricoles d'un peu partout avaient beaucoup de choses à nous dire. Nous en avons beaucoup appris au Québec, et nous allons écouter également ce que les gens ont à nous dire dans l'Ouest. Grâce à cet exercice, nous espérons acquérir une certaine sagesse et, sur cette base, préparer notre rapport au ministre. Cela servira à guider nos négociateurs à l'OMC à partir de novembre, si toutefois les négociations commencent.

Les discussions porteront à mon avis sur l'agriculture et sur certains secteurs de service, si bien que nous devrons participer à ces négociations de toute façon. Le moment venu, nous espérons avoir de sages conseils à leur donner.

Merci à tous d'être venus, nous l'apprécions beaucoup.

Chers collègues, je vous rappelle que nous devons absolument reprendre la séance à 13 h 30. Je sais que nous terminons en retard, mais si nous ne commençons pas à 13 h 30, cela ne fera qu'aggraver nos problèmes. Autrement dit, une pause de 33 minutes pour le déjeuner, pas une minute de plus.

• 1258




• 1341

Le président: J'ouvre maintenant cette séance. Comme nous sommes déjà un peu en retard, je ne ferai pas une longue introduction, d'autant plus que notre programme de cet après-midi est très chargé, comme vous l'avez peut-être constaté.

Je tiens à remercier infiniment les trois groupes que nous rencontrons cet après-midi. Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion d'assister à la séance de ce matin. Si vous pouviez vous contenter d'une dizaine de minutes pour votre déclaration d'ouverture, cela donnerait aux membres du comité le temps de vous poser des questions. Nous apprécions beaucoup que vous soyez venus.

Je vais suivre l'ordre de la liste des témoins; Mme Meyer ou M. Clark, du Mennonite Central Committee Canada, vont commencer.

M. Stuart Clark (administrateur des programmes, Canadian Foodgrains Bank): Merci beaucoup, monsieur le président. Honorables députés, mesdames et messieurs, je vous remercie d'avoir accepté de nous écouter. Nous sommes ici pour parler de la position de notre pays lors de la prochaine série de négociations à l'Organisation mondiale du commerce, des négociations qui vont coïncider avec le millénaire.

Pour commencer, permettez-moi de vous dire qui nous sommes. Je suis Stuart Clark, administrateur des programmes de la Canadian Foodgrains Bank. Ma collègue, Marion Meyer, est spécialiste au Mennonite Central Committee Canada des secours aux sinistrés; c'est le membre le plus important de la Canadian Foodgrains Bank. Si nous faisons cet exposé ensemble, c'est que nous travaillons ensemble.

On dit souvent que tout dépend du point de vue où on se place: j'aimerais donc vous décrire nos institutions en quelques mots et vous expliquer pourquoi nous avons décidé de participer aux consultations. La Canadian Foodgrains Bank est un consortium de 13 organismes d'aide et de développement parrainés par des Églises. C'est à la fin des années 70 que des agriculteurs canadiens ont créé ce consortium. La Foodgrains Bank existe parce que des Canadiens, agriculteurs et non-agriculteurs, souhaitent partager leurs ressources alimentaires avec ceux qui ont faim et assurer leur sécurité alimentaire. Nous considérons que la sécurité alimentaire, c'est l'existence d'une source permanente et suffisante de produits alimentaires. Depuis dix ans, la Canadian Foodgrains Bank insiste de plus en plus sur la sécurité de l'alimentation et non plus sur la simple aide alimentaire.

Le Comité central mennonite du Canada est l'organisme d'aide et de développement de deux Églises, l'Église mennonite du Canada et la Fraternité chrétienne. Le CCMC a 35 ans d'expérience dans les secteurs de l'agriculture et de l'aide alimentaire, et cela, dans plus de 50 pays du monde. Tout comme la Foodgrains Bank, le CCMC est déterminé à assurer la sécurité alimentaire des pauvres et des gens marginalisés.

Au cours des 20 dernières années, nous avons eu l'occasion de constater les effets profonds que pouvait avoir une politique macroéconomique sur l'existence des pauvres. Les centaines de Canadiens qui travaillent avec le CCMC ont vu de leurs yeux à quel point les pauvres et les gens marginalisés ont été touchés, d'abord par les ajustements structurels, et aujourd'hui par la libéralisation du commerce, deux tendances qui les défavorisent. Je n'exagère pas en disant que très souvent les forces macroéconomiques ont totalement annulé les efforts pour permettre aux gens marginalisés de se nourrir eux-mêmes grâce à des programmes de développement économique.

• 1345

Toutefois, nous ne nous intéressons pas uniquement à la situation internationale. Les responsables de la Canadian Foodgrains Bank et une proportion importante des membres du CCMC sont eux-mêmes des agriculteurs. Très souvent, leur production est destinée à l'exportation et ils ont un intérêt vital à ce que le Canada puisse concurrencer les autres exportateurs agricoles. Pour eux aussi, une politique macroéconomique commerciale équitable est un élément vital, en particulier pour les petits agriculteurs. La libéralisation du commerce des produits agricoles soulève des questions très complexes, et nous savons fort bien que les différents intéressés n'ont pas toujours des objectifs compatibles.

Nous souhaitons attirer votre attention sur trois problèmes de libéralisation du commerce agricole qui ont une incidence directe sur les pauvres et les gens marginalisés des pays en voie de développement. Nous savons bien que ces gens-là ne sont pas considérés comme importants sur le plan politique. Toutefois, cela ne nous enlève pas notre obligation morale de chrétiens, l'obligation de faire tout ce que nous pouvons pour leur fournir l'alimentation à laquelle ils ont droit, sans compter que dans le climat de mondialisation actuelle les pauvres et les gens marginalisés ont un impact direct sur notre bien-être à tous. La pauvreté et l'aliénation sont une source de conflits et de guerres, une réalité à laquelle nous nous heurtons chaque jour dans les Balkans. Les gens qui n'ont aucune perspective d'avenir ne restent pas passifs et inactifs, ils cherchent à améliorer leur sort et, à cause de cela, nous commençons à nous demander si nous ne devrions pas barricader nos frontières.

Maintenant, Marion Meyer va aborder un autre sujet.

Mme Marion Meyer (agent des programmes; Alimentation, désastres et ressources, Comité central mennonite du Canada): J'aimerais commencer par la possibilité d'un moratoire sur de nouvelles négociations dans le secteur agricole. L'accord sur l'agriculture conclu à l'issue des négociations d'Uruguay et les futures négociations du millénaire à l'Organisation mondiale du commerce sont une source de préoccupations. L'accord sur le commerce international des produits agricoles a été conçu comme une série de règles équitables qui créent un système commercial agricole axé sur le marché. Cet accord repose sur l'hypothèse que la libéralisation du commerce présente des avantages économiques pour tout le monde, y compris les pauvres, bien que dans leur cas les avantages risquent de prendre un peu plus longtemps.

La libéralisation du commerce est également fondée sur l'hypothèse que les pays du Sud pourront profiter d'un avantage comparatif pour exporter leurs produits vers d'autres pays, y compris les pays du Nord. Cela n'est possible que si les pays du Sud disposent des mêmes informations que les pays du Nord et également des mêmes ressources pour se tailler une part des marchés. En pratique, il semble que la libéralisation du commerce n'ait pas tenu ses promesses envers les pays du Sud. En effet, en 1990, ils avaient 5 p. 100 du commerce agricole dans le monde, et en 1996, cette proportion n'avait pas augmenté. La volatilité des prix agricoles ne fait qu'aggraver l'insécurité alimentaire des pays les plus pauvres.

La décision de Marrakesh prévoyait une indemnisation des pays les moins développés et des pays importateurs de produits alimentaires pour compenser les effets négatifs du programme de réforme. Toutefois, les pays développés, sous prétexte que rien ne prouvait un lien de causalité entre l'accord sur l'agriculture et la situation des pays en voie de développement, ont refusé de verser ces indemnités.

Les pays en développement n'ont pas les moyens de financer des études pour vérifier la validité des conclusions de l'Organisation mondiale du commerce ou mettre en évidence les effets négatifs du commerce sur la sécurité alimentaire. Ils sont donc défavorisés à la table des négociations. De nombreux pays qui déjà réussissaient à subvenir aux besoins de leur population en denrées de base sont devenus depuis dépendants d'importations du fait qu'ils ont obtempéré aux règles du cycle d'Uruguay et doivent même importer maintenant les denrées de base.

Par ailleurs, les objectifs des petits cultivateurs sont contraires à ceux de l'agrinégoce axées sur l'exportation. La faiblesse du cours des denrées a contraint de nombreux petits agriculteurs du monde entier à abandonner leurs terres qui peuvent ensuite être rachetées par de grandes et riches sociétés d'agrinégoce. Les politiques d'ajustement structurel de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international imposaient le démantèlement des entreprises commerciales parapubliques au nom de la libéralisation des échanges, ce qui a eu pour effet d'exposer d'autant plus des petits cultivateurs vulnérables à l'instabilité des marchés internationaux.

• 1350

Si les entreprises commerciales d'État en régime démocratique doivent rendre des comptes à ceux qu'elles servent, les multinationales rendent compte uniquement à leurs actionnaires qui se soucient de profits et pas de sécurité alimentaire.

En régime démocratique, les entreprises commerciales d'État contribuent de façon importante à assurer la sécurité alimentaire des pauvres en stabilisant les prix et en garantissant des prix suffisamment élevés pour couvrir les coûts des paysans. Cette dimension des entreprises commerciales d'État pourrait être démontrée plus clairement grâce à une évaluation de l'impact de leur rôle sur la sécurité alimentaire des populations pauvres.

Dans le cadre du prochain cycle de négociations, les États-Unis vont mettre à l'ordre du jour les entreprises commerciales d'État pour que ces organisations au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande soient démantelées de façon à accroître la part de marché des sociétés multinationales ayant leur siège social aux États-Unis.

L'article 20 de l'Accord sur l'agriculture prévoit l'analyse des impacts de la libéralisation des échanges sur le secteur de l'agriculture, la sécurité alimentaire et l'environnement. Jusqu'à maintenant, aucune analyse n'a été faite. Le Canada s'est engagé à poursuivre ses recherches dans le but de déterminer l'incidence de la libéralisation des échanges afin d'améliorer notre compréhension des éléments qui contribuent à la sécurité alimentaire et des mesures requises pour garantir à tous les pays du monde un meilleur accès aux approvisionnements alimentaires. Le Canada s'y est engagé au Sommet mondial de l'alimentation.

Nous formulons deux recommandations en ce qui a trait à la position de négociation du Canada dans le cadre de la prochaine série de négociations commerciales mondiales. Premièrement, que l'on gèle pour au moins deux ans les négociations sur les accords relatifs à l'agriculture. Les négociations pourront être relancées une fois achevée l'évaluation des effets de la libéralisation des échanges sur la sécurité alimentaire et l'agriculture.

Deuxièmement, que l'on finance la recherche sur les effets de la libéralisation des échanges sur la sécurité alimentaire et particulièrement celle des pays les moins développés et des pays en développement importateurs nets de denrées alimentaires. Ce financement doit être fourni en priorité à ces pays pour qu'ils puissent effectuer une telle recherche. La recherche réalisée par les pays en développement leur procure l'information leur permettant de participer plus efficacement aux négociations de l'Organisation mondiale du commerce.

Sans recherche sur l'incidence de la libéralisation des échanges, il serait inutile de geler les négociations sur l'Accord sur l'agriculture. Si l'on devait geler les négociations sans qu'on ait fait au préalable une évaluation des incidences sur la sécurité alimentaire, les pays à qui profite l'Accord sur l'agriculture seront en mesure de continuer de renforcer leur avantage concurrentiel tandis que les pays privés de ressources suffisantes seront d'autant plus désavantagés.

Stuart commentera maintenant notre deuxième sujet de préoccupation.

Le président: Je ne veux pas vous interrompre, monsieur Clark, mais je voudrais que vous vous en teniez à 10 minutes.

M. Stuart Clark: Combien de temps avons-nous?

Le président: Vous avez déjà pris 12 minutes et vous n'en êtes qu'à la page trois de neuf. Personne d'autre n'aura le temps de présenter un exposé. Vous ne pouvez pas lire le reste du texte. Je suis désolé. Je vous accorde deux minutes.

M. Stuart Clark: C'est parfaitement acceptable.

Le président: Tant mieux. Merci.

M. Stuart Clark: Il y a deux derniers sujets que nous aimerions aborder. D'abord, il y a le soutien à accorder aux petits cultivateurs. Dans notre travail de développement de l'agriculture, nous nous sommes intéressés surtout aux petits cultivateurs. Grand nombre de ces petits cultivateurs sont les principaux fournisseurs des denrées alimentaires qu'eux-mêmes et leurs compatriotes consomment. Ils sont de plus en plus menacés quand les soutiens à l'agriculture, d'ordre technique et financier, sont supprimés et, dans certains cas, ils sont les victimes du dumping de produits agricoles pratiqué par les États-Unis et l'Union européenne.

La libéralisation des échanges, telle qu'on la pratique actuellement, défavorise de façon flagrante ces petits cultivateurs. Nous recommandons donc une augmentation de l'aide extérieure au développement accordée à ces petits cultivateurs, sujet qui est lié, ne serait-ce qu'indirectement, aux travaux de votre comité. Bien que cela ne fasse pas directement partie des négociations de l'Organisation mondiale du commerce, c'est un facteur clé si nous voulons atténuer les répercussions négatives de la libéralisation des échanges sur la sécurité alimentaire des pauvres. Au cours des dix dernières années, l'ACDI a réduit de plus de 60 p. 100 son soutien aux programmes de sécurité alimentaire. Il faut que cela soit corrigé de façon à ramener le soutien à ce secteur au niveau des années 80.

Notre troisième sujet de préoccupation concerne un domaine très complexe, à savoir celui de la dimension commerciale des droits de propriété intellectuelle. En résumé, 70 p. 100 des agriculteurs du monde dépendent de semences fournies par des agriculteurs, souvent à eux-mêmes. Leur sécurité alimentaire dépend de leur accès à cette source de semences. Nous recommandons donc que les membres de l'Organisation mondiale du commerce aient le droit d'exclure les organismes vivants de la protection par brevet et que les agriculteurs aient le droit de recueillir, d'utiliser, d'échanger et de vendre les semences récoltées, comme ils le font depuis des générations.

• 1355

En conclusion, j'aimerais tout simplement ajouter que vous trouverez en annexe au texte la déclaration d'une consultation tenue la semaine dernière à Zeist en Hollande. J'y ai participé à titre d'observateur et de représentant de la Banque de céréales vivrières du Canada. Les représentants de la société civile de 57 pays se sont réunis pour réfléchir de façon très délibérée aux impacts de la libéralisation des échanges et de l'ajustement structurel sur la sécurité alimentaire. Ce n'est pas un document très long mais il reflète la seule position d'une société civile du Sud sur la sécurité alimentaire et la libéralisation des échanges, du moins à ma connaissance, et j'en recommande la lecture à votre comité. Merci.

Le président: Merci, monsieur Clark.

Quand nous étions au Québec, nous avons beaucoup entendu parler des problèmes liés aux produits génétiquement modifiés, particulièrement les grains et céréales qui ne peuvent pas être reproduits et autres choses de ce genre. Tout ceci est très utile et nous aidera à mieux comprendre cette question. Nous vous en savons gré.

Notre témoin suivant est M. Peter Clark de l'Institut canadien des évaluateurs.

M. Peter Clark (président, Institut canadien des évaluateurs): Merci, monsieur le président et membres du comité.

Je suis président de l'Institut canadien des évaluateurs, et M. Terry Gifford, vice-président exécutif de notre institut, m'accompagne. Notre institut a été créé à Winnipeg il y a plus de 60 ans et nous sommes donc très à l'aise d'être ici et nous pouvons même vous souhaiter la bienvenue. Merci d'être venus à Winnipeg.

Nous avons distribué des exemplaires de notre mémoire dans les deux langues officielles. J'aimerais donc prendre quelques minutes pour vous dire quelles sont, à notre avis, les principales questions, particulièrement dans le secteur des services, qui doivent être abordées si nous voulons défendre les intérêts du Canada et atteindre nos objectifs de négociation. Ensuite je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

L'Institut canadien des évaluateurs représente environ 5 000 évaluateurs professionnels de biens immobiliers. Beaucoup d'entre eux travaillent pour de grandes sociétés internationales de consultants en immobilier, de grandes institutions financières et des organismes du gouvernement fédéral.

L'Institut a pour mission de servir l'intérêt public en maintenant des normes professionnelles nationales très rigoureuses pour l'analyse, l'évaluation et les conseils en matière d'immobilier. Nos membres sont très actifs dans le monde entier. Naturellement, les grands marchés des États-Unis et des pays côtiers du Pacifique sont très importants en termes d'échange, mais un grand nombre de nos membres travaillent dans les pays en développement ou ont avec eux de solides alliances.

Les évaluateurs fournissent des services de grande importance aux économies en développement pour l'investissement dans la construction et l'expansion de leurs infrastructures, par exemple les immeubles, la construction, l'évaluation foncière, la fiscalité et les services de soutien. Dans le contexte actuel de libéralisation des régimes d'investissement et de négociation d'accords internationaux sur des questions liées à l'investissement, le secteur de l'immobilier et son régime réglementaire revêtent une importance primordiale.

Dans un pays en développement, le bien immobilier représente typiquement le principal élément de capital fixe. Dans ces pays, la valeur du développement et de la construction représentent entre 10 et 20 p. 100 du produit intérieur brut. Or, il existe un risque d'incompatibilité entre une économie mondiale libéralisée propice à la libre circulation des capitaux et un secteur immobilier lourdement réglementé et entravé par les restrictions imposées par certains pays.

On s'est peu soucié de la confusion que peut provoquer chez les investisseurs l'enchevêtrement des réglementations. Malgré les niveaux relativement élevés d'investissement dans les marchés immobiliers du monde entier, le secteur de l'immobilier continue d'être assujetti dans les divers États à des réglementations très complexes qui peuvent aisément gêner, fausser ou pénaliser les flux de capitaux.

Par exemple, aux Philippines, la propriété foncière est limitée aux entités qui appartiennent à 60 p. 100 au moins à des intérêts philippins et les étrangers ne peuvent pas posséder plus de 40 p. 100 des unités d'un projet résidentiel ou d'un projet en copropriété. Dans les pays membres du Conseil de coopération du Golfe, l'investissement de pays non membres du conseil est interdit. Le code foncier de Malaysia oblige les sociétés ou les particuliers étrangers souhaitant faire l'acquisition de biens immobiliers à vocation non industrielle d'obtenir au préalable l'autorisation des autorités d'État, lesquelles se sont montrées réticentes à transférer des biens immeubles à des étrangers. En Chine, par exemple, les entreprises bénéficiant d'investissements étrangers peuvent au mieux obtenir des droits d'utilisation des terres mais la propriété des terres leur est interdite.

• 1400

L'Institut canadien des évaluateurs vise certains objectifs dans le contexte des négociations de l'Organisation mondiale du commerce. Le premier c'est de faire en sorte que tout accord sur l'investissement comporte des garanties en matière de droits de propriété, de contrôle des investisseurs, de protection des investisseurs, de mécanisme adéquat de règlement des différends et une indemnisation garantie pour toute confiscation. Tout accord sur l'investissement doit faire sauter toutes les restrictions nationales sur la propriété étrangère de biens immobiliers et tous les autres obstacles à l'investissement dans le secteur immobilier. Ensuite, il faut des normes internationales transparentes qui attireront les investisseurs sans sacrifier le principe du contrôle du gouvernement sur le territoire national, ces deux besoins étant compatibles. Il faut ensuite harmoniser les services immobiliers. Il faut que les fournisseurs de services immobiliers du monde entier aient un accès égal et équitable. Il faut donc une certaine harmonisation des normes afin de créer, à tout le moins, une norme minimale. Il faut encourager les professionnels de l'immobilier à conclure un accord sur l'harmonisation de leurs méthodes d'évaluation. Il faut encourager l'adoption d'un code de déontologie mondial dans le secteur de l'immobilier et accroître la transparence du marché afin de réduire les risques de corruption. Et enfin, il faut favoriser l'harmonisation des procédures de planification et de développement, ainsi que des normes en matière d'environnement, de santé et de sécurité.

Nous croyons savoir que l'Organisation mondiale du commerce a un groupe de travail sur les services professionnels chargé d'élaborer des mesures plus précises d'application de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce dans la mesure où il touche aux professions et que, plus tôt cette année, le groupe de travail a publié des lignes directrices sur des accords de reconnaissance mutuelle d'arrangements en matière de comptabilité. Nous recommandons que le groupe de travail soit encouragé à élargir la portée de son mandat pour élaborer des lignes directrices complémentaires et cohérentes applicables au secteur immobilier.

Nous espérons que ces commentaires vous seront utiles. Nous nous ferons un plaisir d'en discuter avec les responsables et nous aimerions grandement être tenus au courant de l'évolution des négociations à l'Organisation mondiale du commerce ou dans le contexte de la zone de libre-échange des Amériques. Merci.

Le président: Merci, monsieur.

Nous entendrons maintenant M. Moist du Syndicat canadien de la fonction publique.

M. Paul Moist (président, Syndicat canadien de la fonction publique): Je m'appelle Paul Moist. Je suis ravi que nous n'ayons pas eu à franchir de lignes de piquetage pour arriver jusqu'ici, monsieur le président. La situation aurait pu être bien différente il y a quelques semaines à Ottawa.

Le président: J'espère que vous les respectez toutes.

M. Paul Moist: Monsieur le président et membres du comité, le SCFP représente environ un Canadien sur 65 dans la fonction publique des dix provinces et nous sommes heureux de l'occasion qui nous est donnée aujourd'hui de venir nous entretenir avec les membres du comité parlementaire.

Je vais en arriver rapidement aux recommandations mais d'abord, à la première page, nous vous prions instamment d'utiliser cette série de négociations dite du millénaire pour accorder la priorité à un nouveau cadre grâce auquel les considérations d'ordre social et environnemental feront partie intégrante de tout nouvel accord. Nous mentionnons aussi au bas de la première page que la participation de notre pays aux négociations commerciales peut et doit contribuer à l'élaboration d'un nouveau cadre pour le commerce international. Dans le contexte des négociations sur la zone de libre-échange des Amériques, nous vous prions instamment de négocier un engagement contraignant à respecter les normes de travail fondamentales. Notre pays devrait appuyer un nivellement vers le haut des niveaux de vie dans toute la zone des Amériques.

Dans notre mémoire, monsieur le président, nous mentionnons notre préoccupation à l'égard des modèles de l'ALENA et de l'AMI—que je décrirai très brièvement—puisqu'il s'agit de modèles allant du sommet vers la base. Cela signifie que les gouvernements doivent prévoir toutes les politiques sociales et environnementales auxquelles pourraient nuire des obligations générales en matière de commerce et qu'ils doivent ensuite mettre en place des mesures de protection. Nous croyons que le processus devrait à l'inverse aller de la base vers le sommet.

• 1405

Pour ce qui est du manque de protection dans le domaine des services de santé et des services sociaux, nous mentionnons au bas de la page 2 les réserves exprimées par le Canada à l'égard de ces domaines dans l'ALENA, mais il n'y a pas encore eu d'interprétation de ce qu'on entend par services sociaux et fins publiques dans des décisions de l'ALENA, ce qui nous inquiète beaucoup.

Troisièmement, les deux accords antérieurs nous causent du souci de par les limites qu'ils imposent à nos lois sur les exigences et interdictions en matière de rendement et de contenu national.

Quatrièmement, au chapitre de l'expropriation et de l'indemnisation, les règles de l'ALENA imposent d'énormes obstacles qui empêchent le gouvernement de planifier de nouveaux services de santé publique ou de nouveaux services sociaux ou d'augmenter les services existants—des services indispensables à tous les Canadiens.

Enfin, sous la rubrique de nos préoccupations en ce qui concerne ces accords antérieurs, nous mentionnons la question des méthodes de règlement des différends qui n'oblige pas à rendre de comptes et nous faisons des observations sur le chapitre 20 et d'autres dispositions de l'ALENA.

Monsieur le président, nous décrivons l'expérience du Canada, dans certains cas négative, de l'application de l'ALENA. Dans son premier mandat, le gouvernement fédéral actuel a présenté une mesure législative imposant des emballages génériques pour les produits du tabac. Cette mesure législative a dû être mise de côté et n'a pas été présentée de nouveau en raison de menaces de sanctions sous le régime de l'ALENA. Voilà qui met un frein certain à une politique publique souhaitée.

Prenez le cas du règlement de la société Ethyl. Notre gouvernement a interdit l'utilisation du MMT, un additif à essence, pour protéger le public et notre environnement. En juillet dernier, le gouvernement fédéral a annoncé qu'il lèverait son interdiction d'importer et de transporter le MMT et s'est entendu officieusement avec la société Ethyl pour qu'elle verse des dommages d'environ 13 millions de dollars. Ce règlement est venu confirmer nos pires craintes, à nous et à d'autres, quant aux effets de l'ALENA.

À notre avis, la question de l'eau est une question nationale encore à régler. Le Canada fait l'objet de pressions pour exporter de l'eau potable. Cette exportation aura des effets sur nos réseaux d'eau douce. À la page 6 de notre mémoire, nous mentionnons que la société Sun Belt Water Inc. réclame actuellement 400 millions de dollars d'indemnisation du gouvernement de la Colombie-Britannique parce que ce dernier a interdit l'exportation d'eau en vrac. Les gouvernements fédéral et provinciaux doivent établir des politiques en matière d'eau. L'ALENA influe sur cette question de l'eau.

Monsieur le président, nous allons conclure en exprimant nos recommandations quant aux éléments que devrait contenir un nouveau cadre d'accords sur le commerce et les investissements internationaux. Il y a neuf recommandations que je vais lire rapidement.

Premièrement, il faudrait cesser d'appuyer de nouvelles initiatives de libre-échange tant que l'Organisation mondiale du commerce n'a pas établi un solide cadre social et environnemental.

Deuxièmement, il faudrait insister pour que les négociations futures en matière de commerce et d'investissement soient faites selon un processus de la base vers le sommet et exigent des engagements positifs quant aux obligations commerciales.

Troisièmement, il faudrait exiger que tout accord futur contienne une définition précise du terme «expropriation», définition qui devrait être conforme à la signification de ce terme en droit canadien.

Quatrièmement, le Canada devrait s'opposer à l'inclusion dans ces accords de mécanismes de règlement des différends sous la direction de l'État investisseur afin d'éviter des situations comme celle de la société Ethyl que j'ai mentionnée.

Cinquièmement, il faudrait proposer des méthodes davantage axées sur la reddition de comptes pour résoudre les différends en matière de commerce et d'investissement. Nous préconisons que les différends dans le domaine du commerce et des investissements internationaux devraient être résolus grâce à des mécanismes qui ressemblent davantage à des délibérations judiciaires démocratiques appliquant, entre autres principes, la tenue de délibérations publiques, la possibilité d'intervention par des tiers, tant particuliers qu'ONG, et le recours possible à des appels.

Sixièmement, il faudrait négocier une disposition exécutoire relative aux droits des travailleurs et intégrer cette disposition à tout accord futur.

Septièmement, il faudrait négocier des dispositions en matière d'environnement qui puissent avoir préséance sur les obligations commerciales.

Il y en a encore deux autres. Il faudrait lier les mesures de libre-échange au commerce et au transfert de ressources pour améliorer les conditions de vie dans les régions moins développées. Notre pays a le devoir de soulever ces questions au nom de nos partenaires commerciaux qui ont besoin de ces meilleures conditions de vie.

Enfin, il faudrait améliorer la consultation auprès de tous les Canadiens. Les consultations actuelles constituent une amélioration puisqu'il n'y en avait pas eu dans le cas de l'ALENA et de l'AMI. Toutefois, il n'existe pas de mécanisme officiel qui garantisse une consultation publique suffisante et un bon examen des accords futurs en matière de commerce et d'investissement. Nous mentionnons dans notre mémoire le fait que le gouvernement australien a récemment présenté une mesure législative qui crée un processus officiel d'examen auquel participent et le Commonwealth et les assemblées législatives des États.

• 1410

C'est comme pour la question de l'eau. On ne peut discuter de ce sujet uniquement à l'échelle fédérale. Les trois ordres de gouvernement, c'est-à-dire les autorités civiles et municipales, les provinces et le gouvernement fédéral, doivent tous participer à ces consultations.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup, monsieur.

Passons maintenant aux questions.

M. Charlie Penson: Permettez-moi d'adresser mes questions et mes observations tout d'abord à Mme Meyer.

Dans votre mémoire, j'ai remarqué qu'un nombre important des membres du Comité central mennonite sont eux-mêmes agriculteurs. Dans bien des cas, ils produisent des denrées exportées et s'intéressent de près à la capacité du Canada d'être concurrentiel avec les autres exportateurs de produits agricoles. Vous dites également que les avantages promis dans les accords commerciaux ne se sont pas concrétisés.

Je vous rappelle que l'agriculture n'est assujettie aux règles commerciales que depuis la ronde de négociations de l'Uruguay, et encore, ce n'est qu'un début très modeste. On a fixé en gros un pourcentage de 15 p. 100 pour encourager les pays à envisager une libéralisation du commerce dans le but de réduire considérablement les subventions et les tarifs dans les prochaines négociations. Vous dites comme d'autres ce matin que ces accords n'ont pas fourni tous les avantages promis, et je serais d'accord avec vous, mais je ne comprends pas très bien ce que vous proposez.

Dans ma circonscription, bon nombre de producteurs de céréales souhaitent ardemment ces négociations. D'après eux, il serait tout à leur avantage que l'on puisse éliminer progressivement les subventions et les tarifs partout au monde afin que notre concurrence puisse s'exercer en fonction de la production et non en fonction des sommes versées par les trésors de l'Union européenne ou des États-Unis.

Bon nombre d'agriculteurs mennonites de ma circonscription défendent vigoureusement de telles mesures. Je ne comprends donc pas comment l'association des agriculteurs de votre organisation, le Comité central mennonite, pourrait souhaiter une approche qui paralyserait les négociations.

Mme Marion Meyer: Les agriculteurs mennonites ont deux préoccupations. Évidemment, ils veulent d'abord atteindre leurs propres objectifs et pouvoir faire concurrence sur les marchés internationaux. Deuxièmement, ils se préoccupent de l'aspect déontologique, de l'équité dans la libéralisation des marchés, préoccupation qui ne se limite pas à la question des subventions et des tarifs. C'est pourquoi je crois que les agriculteurs mennonites se préoccupent de l'équité et de la libéralisation du commerce. C'est donc une question complexe.

Ils croient effectivement qu'il faut éliminer les subventions, par exemple, mais les accords en matière d'agriculture ne se limitent pas aux subventions, aux tarifs et aux contingents.

L'Union européenne a décidé la semaine dernière de poursuivre l'application de la PAC, c'est-à-dire de sa politique agricole commune, pendant les dix prochaines années. Il faut donc se demander dans quelle mesure nous pourrons éliminer ces subventions dans les prochaines négociations. Pourquoi ne pas imposer un gel à ces négociations et discuter de tous les autres enjeux simultanément, de toute façon?

M. Charlie Penson: Vous semblez proposer de plus que, pour aider les agriculteurs des pays en développement... que la libéralisation du commerce ne les a pas aidés et, d'après vous, ne les aidera pas davantage plus tard.

Je crois savoir que dans bon nombre de ces pays, la population préférerait avoir accès aux marchés de pays comme le Canada et les États-Unis plutôt que de recevoir de l'aide. Ces pays préféreraient produire. S'ils peuvent faire concurrence en fonction de leur production, cela leur serait bien plus profitable que de recevoir des dons. Qu'en pensez-vous?

Mme Marion Meyer: Je crois que c'est exact; les gens ne veulent pas recevoir de cadeaux. Toutefois, l'application de l'ALENA au Mexique a démontré que tout cela fonctionne bien tant que le pays peut produire des produits pour lesquels il existe un marché en Amérique du Nord, plus particulièrement aux États-Unis, mais aussi au Canada. La production agricole industrialisée de maïs et de fèves, par exemple, qui sont les principales denrées de l'agriculture de subsistance au Mexique, a entièrement perdu son marché, même à l'intérieur du Mexique. Les règles de l'ALENA ont gravement mis en danger la sécurité alimentaire de cette population. La capacité des États-Unis et du Canada, dans une moindre mesure, de produire du maïs industriellement mine le rendement d'une production stable au Mexique.

• 1415

M. Charlie Penson: La solution serait-elle que l'ACDI lui accorde une aide financière, dans ce cas?

Mme Marion Meyer: La solution n'est pas que l'ACDI leur fasse l'aumône, mais qu'elle favorise des projets qui améliorent la sécurité alimentaire, qui améliorent les techniques agricoles et qui renforcent la société civile dans ces pays afin qu'ils exercent des pressions pour que soit mise en place une meilleure politique. Il y a donc plusieurs éléments.

Avez-vous quelque chose à ajouter, Stuart?

M. Stuart Clark: Il est évident que la libéralisation du commerce bénéficie à l'agriculture dans certains secteurs de ces pays. C'est le cas par exemple de l'agriculture axée sur l'exportation de légumes, de fleurs, etc.

Le problème, c'est que les agriculteurs ne veulent pas qu'on leur fasse la charité et que dans bien des cas, surtout pour les entreprises plus petites, ils ne sont pas nécessairement tentés ni en mesure de s'attaquer au marché international. Ils veulent produire des denrées de base pour leur consommation personnelle et la consommation nationale. Ils ne veulent pas se mêler de nos affaires, puisqu'ils ne consommeront que leur propre production de denrées de base. Souvent, ils ne participent pas à l'économie monétaire. Si nous n'aidons pas leurs entreprises à survivre, ils n'auront aucun autre moyen de gagner leur vie.

M. Charlie Penson: Que faites-vous alors des 134 pays membres, des démocraties pour la plupart, qui ont décidé de poursuivre ces négociations à l'Organisation mondiale du commerce et qui ont signé volontiers cet accord en croyant que la libéralisation des échanges serait à leur avantage?

M. Stuart Clark: Je ne veux pas me lancer dans un très long débat à ce sujet, car ce débat pourrait s'éterniser, mais cette question est liée de près aux politiques d'ajustement structurel et à leurs effets, ainsi qu'à l'orientation vers l'agriculture d'exportation.

Lorsqu'un pays est assujetti aux régimes d'ajustement structurel qui existent depuis 15 ans, il doit nécessairement s'intéresser à l'agriculture d'exportation et participer aux négociations de l'OMC. Mais il est très important de voir si cela est favorable à la sécurité alimentaire des plus pauvres.

Le président: Merci beaucoup. Vous nous avez été très utile.

Madame Debien.

[Français]

Mme Maud Debien: Monsieur Moist, vous avez dit qu'il fallait se servir de la ronde de négociations qui s'en vient pour inclure des considérations d'ordre social, environnemental et de respect des droits de la personne. Vous savez que l'Organisation internationale du travail et certaines grandes organisations de l'ONU ont des mandats similaires. Cependant, on sait également que ces grandes organisations-là n'ont aucun pouvoir d'exécution ou de sanction, contrairement à l'Organisation mondiale du commerce.

J'aimerais que vous nous disiez comment nous pourrions intégrer les normes de travail fondamentales de l'OIT dans les règles du travail à l'OMC. Croyez-vous que l'OIT pourrait devenir le bras exécutif de l'OMC en ce qui a trait aux normes du travail? Est-ce que l'OMC devrait mettre sur pied un autre organisme qui aurait pour mandat de s'occuper de l'ensemble des droits de la personne, des normes du travail et des clauses sociales? J'aimerais entendre votre opinion là-dessus. Avez-vous formulé des propositions concrètes? Avez-vous mijoté des idées en ce sens?

[Traduction]

M. Paul Moist: Monsieur le président, comme bien des Canadiens, j'ai réfléchi à ces questions. D'instinct, les citoyens de notre pays lient les questions commerciales aux normes environnementales et aux droits de la personne. Pour s'en convaincre, il suffit de voir comment sont accueillis certains chefs de pays étrangers avec lesquels nous voulons commercer. Les Canadiens ont établi ce lien entre ce commerce que nous exerçons partout au monde à titre de pays développé et notre devoir d'appuyer l'exercice de droits humains fondamentaux dans les autres nations.

• 1420

L'OIT et les divers accords que le gouvernement du Canada et les 10 provinces ont signés à ce sujet n'ont pas une grande valeur juridique car il ne s'agit que de déclarations annexées à nos obligations dans le cadre des Nations Unies. Je ne saurais dire si l'OIT pourrait devenir l'organe exécutif de l'OMS, mais les principes que défend l'OIT et auxquels adhèrent les syndicats et les gouvernements du Canada doivent servir de prémisse à toutes nos négociations en matière de commerce régional et international.

Je sais que le Congrès du travail du Canada et le président national du SCFP témoigneront également aux audiences de votre comité. Nous avons trouvé très frustrant de consacrer du temps aux efforts de l'OIT, l'Organisation internationale du travail, des efforts qui, pensions-nous, avaient l'aval du gouvernement du Canada, pour constater ensuite que ces principes n'étaient pas appliqués aux négociations commerciales. Il faut donc que ces principes de l'OIT s'appliquent à toutes les mesures commerciales auxquelles participe le Canada par le moyen d'un organe exécutif ou autre de l'OMS. Je suis entièrement d'accord avec vous.

Le président: Monsieur Blaikie.

M. Bill Blaikie: Merci, monsieur le président.

Tout d'abord, pour ce qui est du témoignage de l'Institut des évaluateurs, je dois dire que je ne comprends pas en quoi un pays aurait tort de vouloir éviter qu'un pourcentage important de son territoire appartienne à des étrangers.

J'aimerais que le Canada ressemble un peu plus aux pays dont vous parlez. Pour ce qui est de savoir qui possède la terre ou l'industrie dans notre pays, nous sommes beaucoup trop indifférents. Donc je ne crois pas que je serais d'accord avec vous pour obliger ces pays à permettre aux Américains de les acheter eux aussi, ou n'importe qui d'autre, tant qu'à cela.

Vous pouvez me dire ce que vous en pensez, mais je tiens à ce que vous sachiez que je ne suis pas d'accord avec vous.

J'ai une question pour M. Moist. Je lis les recommandations du SCFP que j'ai devant moi, et j'essaie de chercher la petite bête ici, Paul, chez ces gens qui critiquent l'OMC, la globalisation, le libre-échange et tout le reste, il semble y avoir deux positions différentes. L'une selon laquelle nous devons nous adresser à l'OMC et négocier diverses choses qui nous permettraient d'en faire un meilleur cadre, par exemple les dispositions sociales, les droits relatifs au travail, les droits de la personne, etc. D'autres, comme le Conseil des Canadiens par exemple, ont recommandé un moratoire, ils disent qu'il ne devrait y avoir aucune négociation pour le moment.

Vos recommandations semblent plaire aux deux camps, parce que vous dites: n'en faites rien, mais alors faites ceci. Si ces négociations n'ont pas lieu, très bien, mais si elles doivent avoir lieu, voici comment il faut négocier. Vous voudriez peut-être nous donner un peu plus de détails.

M. Paul Moist: Notre dernière recommandation est importante dans la mesure où nous proposons d'améliorer le cadre et de consulter tous les Canadiens avant d'entamer les discussions. Je ne suis pas sûr de ce que le Canada va éviter, ou peut-être devrait essayer d'éviter, vivant dans le monde où nous vivons à l'heure actuelle, mais le genre d'approche que nous prenons face à ces discussions... et je pense que les Canadiens s'inquiètent de la position que nous allons prendre dans ces discussions. Je sais que notre organisation est inquiète.

Si l'on demande un moratoire, ou si l'on demande que l'on se prépare plus longuement, c'est pour que nous puissions entamer ces pourparlers dans un cadre où nous pourrions faire valoir tous les intérêts qui sont présents dans notre pays. Et nous ne croyons pas que les intérêts des travailleurs ou des écologistes ont été bien représentés dans ces discussions commerciales. Donc, à titre personnel, je ne crois pas que notre pays peut ou doit éviter de jouer un rôle dominant dans ces discussions globales parce qu'elles vont avoir lieu de toute façon. Je pense que nous avons besoin d'une approche à ces discussions qui tiendra compte de la personnalité et des intérêts de tous les groupes du Canada, et pas seulement de certains groupes particuliers.

• 1425

Le président: Pouvez-vous nous transmettre une copie de la loi australienne que vous avez mentionnée dans votre mémoire? J'ai la certitude qu'on pourrait peut-être l'obtenir de la Bibliothèque du Parlement, mais ce serait utile si nous pouvions...

M. Paul Moist: J'en ai pris bonne note, et je vous transmettrai ce texte.

Le président: Cela nous aidera beaucoup.

Monsieur Pickard.

M. Jerry Pickard: Merci beaucoup, monsieur le président.

J'ai jeté un coup d'oeil sur les observations de Peter Clark. Si j'ai bien compris les recommandations qu'on a faites, où l'on dit qu'il faut des normes harmonisées pour créer une nouvelle méthodologie d'évaluation, plus de transparence sur le marché, des formalités de développement, des formalités de planification, de telle sorte que les pays partiront tous du même pied. Du moins c'est ce que j'ai compris. Quand on parle de négociations, je me dis que chacun doit y mettre du sien. Certains pays voudront être davantage en mesure de participer sur un pied d'égalité mais contrôler certains secteurs aussi. Vous ai-je mal compris? Je pensais que vous parliez d'harmonisation et de règles générales qui créeraient des chances égales pour tous.

M. Peter Clark: Non, je pense que c'est exactement ce que nous disons. Des travaux sont déjà en cours, dans plusieurs professions de toute façon, pour procéder en marge du processus de l'OMC, mais il serait certainement utile de relever cela d'un cran pour obtenir le soutien du gouvernement au lieu de s'en tenir strictement à un point de vue professionnel. Nous avons plusieurs alliances partout dans le monde, et je pense que c'est exactement le processus qui nous permettra d'égaliser les chances, et ainsi ce sera plus facile. Par exemple, il y a certains pays dans le monde où, pour ce qui est des droits de propriété... Prenez certains pays d'Europe orientale, ou prenez certains pays de l'Asie du Sud-Est, le risque du développement est tel dans ces pays que les gens veulent ravoir leur argent au bout de deux ans, alors que pour le même genre de propriété dans d'autres pays du monde, les gens sont disposés à investir à beaucoup plus long terme, sur une période de 20 ou 25 ans. Je pense que nous devons trouver une formule où il y a plus d'équivalence.

M. Jerry Pickard: Merci beaucoup.

Pour ce qui est de l'autre mémoire, celui du Syndicat canadien de la fonction publique, je crois, j'aimerais avoir l'opinion de Paul. Est-ce qu'il vaut mieux négocier? Vous disiez qu'il faut reculer. J'ai toujours cru pour ma part que lorsqu'on négocie, ou lorsque des négociations sont en cours, nous avons des choix; nous pouvons nous abstenir de négocier ou nous pouvons négocier afin de protéger nos intérêts, de faire entendre notre voix et de soulever des préoccupations qui doivent être soulevées. On peut s'isoler ou on peut diriger. Si je vous ai bien compris, vous dites qu'il ne faut pas diriger, mais j'espère que vous n'êtes pas en train de dire que nous ne devrions pas être présents à la table des négociations où nous pourrions protéger nos intérêts et faire avancer nos pions, parce que je pense que c'est très important pour le Canada.

Nous avons entendu ce matin des avocats du développement durable et des écologistes, et ils nous ont dit sans ambages qu'il nous faut prendre l'initiative dans les nombreux dossiers qui ont trait à la qualité de la vie, qui ont trait à l'environnement, qui ont trait à des causes où je pense que nous perdons peut-être du terrain dans le contexte du développement économique que recherche le Canada. Chose certaine, ces personnes veulent que le Canada joue un rôle dominant dans ces secteurs et fasse adopter des mesures qui assureront le respect de l'environnement. Je veux savoir si, à votre avis, il faut simplement rester discret du côté des négociations commerciales ou s'il faut vraiment ne pas y participer? Comment diriez-vous cela, Paul?

M. Paul Moist: À mon avis, lorsqu'il s'agit de démontrer de l'initiative dans n'importe quelle négociation, qu'il s'agisse d'un syndicat et d'un employeur ou d'un gouvernement dans un cadre international, il faut apprendre de ses erreurs. Je pense que nous avons commis des erreurs par le passé et que plusieurs Canadiens sont d'accord avec le point de vue que j'ai énoncé.

Deuxièmement, à mon avis, chaque fois que le SCFP se prépare à négocier avec un employeur, souvent la partie la plus difficile de la négociation, ce n'est pas avec l'employeur; c'est entre nous.

Nous devons débattre beaucoup plus longuement de la position que le Canada va prendre dans ces discussions. Par le passé, nous avons vivement critiqué l'ALENA et l'AMI pour ce qui est de l'approche à la négociation et des concessions que nous avons faites.

• 1430

Donc je ne suis pas sûr que notre pays va pouvoir éviter toute discussion, et je ne préconise pas dans mon mémoire une position de type isolationniste. Mais je pense que les gouvernements municipaux, les gouvernements provinciaux, le gouvernement fédéral, des groupes comme le nôtre et d'autres Canadiens ont un rôle à jouer ici, et j'aime bien ce que l'Australie a fait. On pourrait adopter une loi obligeant tous les Canadiens, par l'entremise de leurs élus, à dire leur mot dans la formulation d'une approche à ces négociations commerciales, avec des audiences publiques obligatoires, des tribunaux obligatoires et transparents lorsque notre pays et un autre règlent des différends...

La Loi sur les relations du travail de notre province, et je dis cela pour conclure, part de l'idée que l'organisation des travailleurs en syndicats est une question de politique gouvernementale qui doit être inscrite dans les lois. Les différends sont publics, et si un travailleur dans cet hôtel-ci dépose un grief parce qu'il ne sera pas promu la semaine prochaine, tout citoyen du Manitoba peut assister à ces procédures. Ce principe n'est pas mauvais, et je dirai qu'il devrait constituer une caractéristique essentielle des règlements relatifs aux différends commerciaux au niveau régional ou mondial.

C'est donc cette idée d'une négociation entre nous-mêmes qui nous amène à dire: si «négociation» est le mot juste—que nous avons beaucoup à faire au sein même de notre pays avant d'épouser une approche qui nous mènera à une négociation mondiale où nous jouerons un rôle principal.

M. Jerry Pickard: Je suis tout à fait d'accord avec vous lorsque vous dites que nous avons encore beaucoup à faire. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous tenons ces audiences partout au pays, et l'une des raisons pour lesquelles notre présidence ne cesse d'adresser des excuses à tout le monde, c'est parce que nous manquons de temps. Chose certaine, nous avons consacré énormément de temps aux négociations commerciales, à consulter toutes les organisations et à consulter aux quatre coins du pays. Mais le fait est que nous devons faire tout en notre pouvoir pour obtenir un point de vue aussi large que possible, et il faut travailler le plus possible ensemble...

Plus tôt, aujourd'hui, l'un de nos députés a proposé que la province du Manitoba soit présente à la table de négociations afin de faire valoir certaines préoccupations et de prendre part à la négociation en tant que tel. Je sais que le secteur agricole a fait cela pour toute une série de produits, et l'on constate qu'une plus grande participation est utile.

Mais encore là, le système n'est pas parfait, et l'une de nos difficultés, c'est d'obtenir tous les avis possibles dans un délai qui a l'air presque impossible. Nous prenons bonne note de vos observations.

M. Paul Moist: Merci.

Le président: Merci.

J'ai moi aussi une question pour M. Moist. D'après ce que vous avez dit au sujet de l'OIT—c'est un problème que bon nombre d'entre nous avons étudié—je crois comprendre que le problème tient à ses règles, si vous voulez, dont le caractère est plutôt persuasif; ces règles ne sont pas applicables ou n'ont pas été mises en application en vertu... Que cela tienne au fait que la structure de l'OIT est tripartite ou à quelque chose du genre, je n'en sais pas assez pour comprendre tout le problème.

On veut ensuite que ces règles soient incluses dans les normes du travail de l'OMC, à tout le moins. Croyez-vous que si l'OIT elle-même était renforcée et que nous avions une organisation internationale qui aurait les mêmes normes que l'OIT, à laquelle la plupart des pays membres de l'OMC adhèrent déjà, on pourrait ainsi faire respecter les règles sans avoir à les intégrer dans les règles commerciales elles-mêmes? Autrement dit, elles feraient partie intégrante de la société internationale tout comme elles font déjà partie intégrante de notre société ici. Nous ne considérons pas que les normes du travail font partie de la gestion économique, si vous voulez, ou des règles qui régissent les provinces ou quoi que ce soit du genre. Elles existent tout simplement. Est-ce que ça marcherait?

M. Paul Moist: Nous pensions qu'elles existaient, mais...

Vous avez cerné le coeur du problème. Les accords sur les normes du travail du genre de l'OIT sont inapplicables à l'heure actuelle dans le pays même qui abrite l'OIT. Ces normes ne peuvent être admises dans des discussions commerciales bilatérales ou multilatérales s'il ne s'agit pas de droits qui doivent être respectés par notre pays dans ses délibérations avec ses autres partenaires commerciaux. Vous dites qu'elles feront partie intégrante de ces discussions ou qu'elles seront admises communément dans les discussions de l'Organisation mondiale du commerce. Cela demeurera impossible tant que ces droits ne seront pas enchâssés et qu'ils n'entreront pas en vigueur partout.

Tous ces droits que nous avons dans notre société n'ont aucun sens si l'on ne peut les faire respecter. Je sais que les syndicats, depuis la création de l'OIT il y a des dizaines d'années de cela, ont accordé à la question beaucoup d'attention. Le président bientôt retraité du CTC, Bob White, est une personnalité dominante de l'OIT. Nous avons consacré à cette question beaucoup de temps et d'efforts, et il est très irritant de voir que de nombreux gouvernements canadiens n'ont tenu aucun compte des sanctions de l'OIT, sans parler de ses partenaires commerciaux. Si nous croyons à normes, nous devrions les faire respecter à l'intérieur de notre propre pays, et nous devrions exiger qu'elles fassent partie intégrante de toute discussion commerciale.

• 1435

Le président: Merci.

M. White témoignera devant le comité demain à Toronto. J'ai la certitude qu'il nous en parlera plus longuement.

Merci à tous d'être venus. Nous vous remercions d'avoir bien voulu prendre le temps qu'il fallait.

Notre prochain groupe de témoins aurait-il l'obligeance de prendre place à la table immédiatement parce que nous ne voulons pas perdre une minute de notre temps qui est si précieux. Nous ne voulons pas perdre de députés non plus. Si vous vous absentez, s'il vous plaît, ne vous absentez pas trop longtemps.

Je tiens à souhaiter la bienvenue à notre prochain groupe de témoins. Nous allons entendre cinq intervenants en tout. Vous étiez peut-être là plus tôt lorsque nous avons parlé de nos difficultés d'horaires. Nous n'avons qu'une heure à vous consacrer. Donc si vous preniez chacun sept minutes pour votre exposé, cela nous donnerait le temps de vous poser des questions. C'est ce que je vous prie de faire, de ne pas prendre plus de sept minutes pour votre allocution liminaire.

Nous allons commencer avec le groupe People Empowering Themselves against Poverty. Est-ce M. Bruce ou M. Kotyk?

Mme Susan Bruce (People Empowering Themselves Against Poverty): Randy Kotyk.

Bonjour.

Nous sommes pauvres, nous sommes handicapés, nous sommes des gens de couleur, nous sommes autochtones, nous sommes des assistés sociaux, nous sommes étudiants, nous sommes des travailleurs à faible revenu et nous sommes chômeurs. Nous sommes ceux qui vivons la pauvreté tous les jours et qui rêvent de s'en sortir. Nous sommes des gens qui se sont unis pour changer un système qui nous tient à l'écart du pouvoir, qui nous garde pauvres, qui nous divise et qui nous garde dans la crainte.

Depuis l'avènement de l'ALÉNA et du libre-échange, nous avons vu se creuser l'écart entre riches et pauvres. Les riches se sont enrichis. Dans le texte intitulé Growing Gap, qui a été publié par le Centre for Social Justice en 1988, on trouve des statistiques qui confirment cela. En 1973, un dixième des familles avec enfants de moins de 18 ans gagnait 21 fois plus que le dixième des familles canadiennes les plus pauvres. En 1996, ce même dixième riche des familles gagnait 314 fois plus que le même dixième qui était le plus pauvre. Depuis l'avènement du libre-échange et de l'ALÉNA, nous avons vu aussi se dissoudre graduellement les mesures que le Canada prenait pour venir en aide à ses pauvres. À titre d'illustration, si l'on en juge d'après l'indice de la pauvreté humaine, le Canada est le dixième sur les dix plus grands pays industrialisés.

J'aimerais maintenant m'asseoir et poursuivre nos objections à l'AMI. Nous allons ensuite parler de notre propre expérience personnelle...

Le président: Vous opposez-vous à l'AMI, à l'OMC ou à l'ALÉNA?

Mme Susan Bruce: Nous nous opposons à l'accord qui est proposé, et nous nous opposons aussi à la mondialisation. D'après ce que nous avons vu de l'accord jusqu'à présent...

• 1440

Le président: Excusez-moi, de quel accord s'agit-il?

Mme Susan Bruce: Je parle de l'Accord multilatéral sur l'investissement.

Le président: D'accord, très bien. Mais vous savez que ce projet a été abandonné. Mais vous vous inquiétez du fait qu'on va en transférer la responsabilité à l'OMC. Est-ce exact?

Mme Susan Bruce: Oui.

Le président: D'accord. Nous vous avons compris. Merci.

Mme Susan Bruce: Notre première objection tient à la création de droits de citoyenneté supérieurs pour les entreprises transnationales comparativement aux simples citoyens, page 12A de l'Accord multilatéral sur l'investissement. Notre seconde objection tient au fait que les entreprises transnationales peuvent poursuivre le gouvernement d'un pays hôte si celui-ci porte atteinte aux droits qu'elles ont de faire des profits, pages 53 à 64 de l'Accord multilatéral sur l'investissement. Notre troisième objection tient au fait que les lois du pays hôte peuvent être supplantées par les règles d'investissement elles-mêmes, page 60 de l'AMI. Notre quatrième objection tient aux dispositions sur le retour en arrière arbitraire, page 122 de l'AMI. Notre cinquième objection tient aux dispositions relatives au statu quo, qui signifie que le gouvernement ne peut pas proposer de nouvelles lois, de nouvelles politiques ou de nouveaux programmes qui ne sont pas conformes à l'Accord, page 127 de l'AMI.

Il n'est pas besoin d'être bien brillant pour se rendre compte que la mise en oeuvre de ces dispositions pourrait saborder les programmes sociaux du Canada. Nous, du PETAP, croyons que l'AMI est une forme de fascisme d'entreprise. Nous nous engageons à combattre tout accord commercial qui ne fait pas état des droits de la personne, et cet accord ne fait nulle mention des droits de la personne.

Pour ce qui est de ma propre personne, je m'appelle Susan Bruce. Je suis la mère de deux enfants qui ont des besoins particuliers. Je suis assistée sociale depuis huit ans. Au cours de ces années, j'ai été témoin de nombreux changements. Mais mon revenu n'a jamais augmenté. J'ai été témoin de l'adoption du projet de loi C-36, une loi manitobaine, qui m'a retiré le droit de toucher de l'assistance sociale si je m'appauvris. J'ai vu des gens qui ont faim, j'ai vu aussi s'accroître l'industrie de la pauvreté. J'ai été témoin de l'augmentation phénoménale du nombre de pauvres, à tel point que si l'on adopte un accord comme celui-ci qui ne fait pas état des droits de la personne, j'ai l'absolue conviction que l'on va voir s'ériger des ghettos ici même à Winnipeg.

L'ALENA a causé un tort épouvantable à ma génération. Je suis à cheval sur deux générations. Je ne suis pas membre de la génération du baby-boom, mais je ne suis pas non plus de la génération X. Si mes frères et soeurs plus âgés n'obtenaient pas de poste de cadre, ils aboutissaient à l'assistance sociale ou dans des emplois précaires, je l'ai vu. J'ai vu les enfants de la génération X se débattre pour survivre, même ceux qui avaient un diplôme.

Cet accord fait peur. Ayant étudié certains rapports sur les droits de la personne, je sais qu'on ne fait pas respecter comme il faut les droits de la personne au niveau national ou mondial, alors comment allons-nous pouvoir négocier un accord commercial et penser que nous pourrons en faire respecter les dispositions? C'est la question que je veux vous poser. Il vous appartient d'y répondre ou non.

J'aimerais donner à Randy la chance de parler, si vous êtes d'accord.

Le président: Oui. Monsieur Kotyk.

M. Randy Kotyk (People Empowering Themselves Against Poverty): Depuis 1980, ou depuis à peu près l'époque où l'ALENA est entrée en vigueur, j'ai vu augmenter la clientèle des banques alimentaires. Il y a plus de gens qui se tournent vers les banques alimentaires depuis l'entrée en vigueur de cet accord.

Je ne peux pas en dire plus. Je n'ai pas l'habitude de parler devant des groupes de gens, je suis donc un peu nerveux.

Le président: Détendez-vous. Pensez que nous ne sommes pas un groupe.

M. Randy Kotyk: J'ai été handicapé presque toute ma vie, et je vois que ceux qui sont à l'assistance sociale ou qui sont invalides, comme on dit aujourd'hui, reçoivent de moins en moins d'argent ou d'aide. Les fonds ont diminué depuis 1980. Nous n'avons plus les moyens d'acheter des choses comme l'oxygène ou des bonbonnes d'oxygène. Pour avoir ces choses, il nous faut payer de notre propre poche. Le gouvernement a diminué le financement des médicaments, nous devons donc les payer nous-mêmes maintenant. Comme on nous donne moins d'argent, les plus pauvres d'entre nous en ont de moins en moins. Nous allons très bientôt finir par vivre dans les rues.

• 1445

Les personnes invalides souffrent beaucoup plus que la plupart des autres. Nous avons essayé de trouver du travail, mais la majorité des gens nous voient comme des invalides et ne nous prêtent pas l'intelligence que nous avons. On cherche toujours du travail, mais avec tous les licenciements qui ont eu lieu ici au Canada, même les personnes physiquement aptes reçoivent aujourd'hui de l'aide sociale et les personnes invalides n'ont pas la moindre chance de trouver du travail dans un avenir rapproché. Merci.

Le président: Merci beaucoup, monsieur. Votre témoignage nous sera très utile. Nous comprenons qu'il y a un rapport entre votre situation et la question commerciale, et nous allons nous assurer d'en tenir compte.

C'est maintenant au tour de Cynthia Cooke.

Mme Cynthia Cooke (témoignage à titre personnel): Bonjour. Je tâcherai d'être brève dans les observations que je veux faire sur mon rapport. Vous avez remarqué qu'au début de mon rapport, il y a la photo d'un petit enfant. Je l'ai mise sur la première page. Mon mari n'était pas content du tout, il a dit: Alors, tu vas aller à une rencontre comme celle-là et tu vas mettre la photo d'un enfant là-dessus et rien d'autre, mais qu'est-ce qui te prends? C'est ma façon à moi de dire les choses. Et voici ce que j'ai à dire.

Le président: Certains d'entre nous sommes grands-parents.

Mme Cynthia Cooke: Voici ce qu'ai à dire. J'espère que lorsque vous allez négocier ces accords commerciaux, que ce soit à l'OMC ou ailleurs, vous allez penser à ces générations futures, à ces enfants. Voilà pourquoi je suis ici aujourd'hui—non pas que ça me plaise tellement d'y être—mais c'est parce que je pense à l'avenir que nous préparons à mes petits-enfants et aux vôtres.

Vous avez remarqué un tableau que j'ai mis ici. Lorsque j'ai écrit ce rapport, j'ai essayé de le faire à partir de la perspective de Chelsea—on va l'appeler comme ça—comme si j'essayais d'expliquer à Chelsea ce qui est arrivé au Canada au cours des 100 dernières années. Je pense que le tableau est assez exact. J'ai fait des tas de recherches pour essayer de comprendre ce qui s'est passé.

Dans mon rapport, je vous donne quelques renseignements historiques. Un des premiers cas où les gens se sont rebellés contre un régime commercial et contre des choses comme celles qui se passent aujourd'hui, ça été lors du Boston Tea Party de 1773. Au fil des ans, on a vu les entreprises et les gouvernements libéraliser le commerce, et il me semble que l'ensemble de la société a souffert à cause de cela. De 1900 à 1950, comme je le montre sur mon tableau, il me semble que les citoyens contrôlaient l'économie et qu'ils avaient une démocratie participatoire. Les gens étaient très actifs dans les parties politiques, et les citoyens étaient totalement engagés.

Je pense que c'est dans la période de 1950 à 2000 qu'apparaît un problème pour tous les citoyens d'aujourd'hui. Dans mon tableau, vous avez les entreprises multinationales au haut. Plus bas, vous avez les instances internationales, les unions économiques, les unions mondiales et les tribunaux mondiaux. D'après ce que je comprends, ces instances ne sont pas démocratiques, et elles contrôlent totalement la plupart de nos économies aujourd'hui. Dans la prochaine section, vous avez la bureaucratie canadienne, les gouvernements canadiens et les systèmes juridiques canadiens. Nous avons aujourd'hui une démocratie limitée.

Le point tournant pour moi, ç'a été l'AMI. Sans entrer dans les détails—comme vous dites, monsieur, l'AMI ne verra pas le jour pour le moment, du moins à l'OCDE—mais le point tournant, ç'a été que tant de citoyens partout dans le monde ont dit: Attendez un instant, il y a quelque chose qui ne va pas ici. Il y a un déséquilibre dans notre monde aujourd'hui. Si l'on se sert du pouvoir, du contrôle économique et de la participation comme dénominateur commun, les citoyens d'aujourd'hui sont au bas de cette liste.

Je me suis posé trois questions quand j'ai fait ma recherche en vue de ce rapport. Dans le contexte mondialisé d'aujourd'hui, quelle est la place des citoyens? C'est peut-être pour cela que les citoyens se sentent si mal à l'aise. Quels changements historiques ont modifié les rôles des citoyens aujourd'hui? Encore là, toujours en me servant de ces dénominateurs communs que sont le pouvoir, le contrôle économique et la participation, dans quelle mesure les citoyens ont-ils accès à bon nombre de ces choses?

• 1450

Pour aller vite, je dirai que l'un des rapports que j'ai lus a été le rapport Gray de 1971, qui est pertinent pour votre comité. La politique étrangère était sans doute liée à la situation qu'il y avait au Canada à l'époque. C'était un rapport très, très intéressant.

Ce rapport disait qu'en 1971, nous avions déjà un grand nombre d'entreprises américaines au Canada, et en conséquence, ce fait jouait un rôle très important dans la façon dont notre politique étrangère était perçue, selon le rapport Gray.

Je pense que cela a eu un effet important sur ce qui se passe aujourd'hui. Ce rapport préconisait, bien sûr, l'affaiblissement de l'intervention gouvernementale.

La Commission Macdonald, c'était en 1982, et ce rapport a été très important pendant plusieurs années. Il est résulté de ce rapport l'affaiblissement de l'intervention gouvernementale.

Chose intéressante, lorsque j'ai fait ces quelques recherches pour comprendre comment c'est arrivé, je me suis mis à étudier les philosophies libérales et messianiques. Vous avez remarqué à la fin de mon texte des références à ce point de vue de la philosophie libérale.

En fait, ces philosophes vont jusqu'à dire que les pays n'ont pas le droit d'entraver la libre circulation des biens. Eh bien, depuis 1945, depuis la guerre, cette attitude philosophique s'est imposée de plus en plus.

J'ai annexé également un rapport de Kofi Annan. Ce n'est pas un rapport; c'est un discours qu'il a donné en janvier. Je ne sais si vous l'avez vu, mais ça m'a beaucoup impressionnée. Dans ce rapport, il confirme ce que j'essaie de vous faire comprendre aujourd'hui, à savoir que ce déséquilibre va nous causer des tas de problèmes, comme il dit. Mais je pense que nous avons sous-estimé la fragilité de la mondialisation. L'histoire nous enseigne qu'un tel déséquilibre entre les mondes économique, social et politique ne peut jamais tenir très longtemps.

Je vous fais donc trois recommandations, et j'imagine qu'elles vous sembleront pas mal farfelues.

La première, c'est que le Comité des affaires étrangères doit continuer d'élargir ses activités relativement à la transparence, et chose certaine, depuis l'AMI, on voit une grosse différence. Je fais un tas de recherches en ligne, et je dois vous féliciter pour les choses que vous mettez en ligne aujourd'hui. Ça permet aux citoyens d'être mieux informés, et je pense que c'est essentiel.

Il faut qu'on redonne aux élus le pouvoir de décider. J'ai lu le Livre rouge du Parti libéral, et j'ai trouvé cela intéressant. On y parlait du Comité permanent du Parlement sur les affaires étrangères et le commerce international, et on disait que ce comité devait débattre plus souvent les questions de politique étrangère et donner des conseils au gouvernement. Et je me suis demandé: eh bien, où est passé le gouvernement? Vous autres, du Comité des affaires étrangères—pour moi, vous êtes tous députés. Mais où est le gouvernement?

L'idée d'un gouvernement permanent, constitué du Cabinet et de bureaucrates, n'est alors venue. J'ai l'impression que l'un des problèmes—nous voyons sur ce tableau que les citoyens sont tout en bas—c'est que les politiques sont établies par les bureaucrates professionnels. C'est certainement mon impression, à tout le moins.

Ma deuxième recommandation est que cette question fasse l'objet d'un examen plus approfondi et plus généralisé dans toutes les couches de notre société.

Troisièmement, nous pourrions modifier l'apparence de ce tableau. Je crois que c'est Kofi Annan qui, dans son rapport, dit que depuis 55 ans, les gouvernements et les sociétés—ce sont là mes paroles—se partagent le monde. Peut-être pourrions-nous profiter de l'an 2000 pour imposer un moratoire d'un an sur le commerce et les investissements afin d'analyser la société et la démocratie et les conséquences des négociations sur le commerce et les investissements pour notre démocratie. Les gouvernements et les entreprises progressent depuis 55 ans. Il serait fantastique que nous nous donnions un an pour discuter de la démocratie et voir si nous ne pourrions pas changer cela.

• 1455

J'ose croire qu'un jour, les citoyens seront en haut de ce tableau et collaboreront avec toutes ces organisations. Merci.

Le président: Merci beaucoup, madame Cooke. Merci de vos remarques.

Monsieur Hammond, vous avez la parole.

M. Barry M. Hammond (témoignage à tire personnel): Je n'ai pas de recommandations précises à vous faire, mais je crois que plusieurs recommandations se dégageront de mon court mémoire.

Un des principaux problèmes du monde à l'heure actuelle, c'est l'écart grandissant entre les riches et les pauvres. Merci d'avoir documenté ce phénomène. Cet écart grandissant touche la plupart des institutions, y compris l'éducation, la santé, la garde des enfants, les handicapés, les sans-abri, les aînés, et d'autres. Si rien n'est fait dans les meilleurs délais au Canada pour combler cet écart, nous nous retrouverons dans le même cul-de-sac que d'autres pays.

La théorie de la relance économique par le haut est un mythe, puisque les besoins des riches semblent sans limites. De nouveaux accords commerciaux ne régleront pas le problème de cet écart grandissant. Les résultats des négociations de l'Organisation mondiale du commerce et de celles concernant la zone de libre-échange des Amériques ne feront qu'élargir l'écart des revenus. Il semble que l'accession de la Chine à l'OMC aurait comme principal avantage pour ce pays de lui garantir un siège à la table de l'OMC. Le Canada pourrait tirer une bonne leçon de cette approche. Le monde devrait préférer les tribunes humanitaires aux tribunes économiques.

Bien que le monde dans son ensemble s'enrichisse et que les machines font maintenant ce que les habitants des soi-disant pays industrialisés faisaient auparavant eux-mêmes, nous n'avons pas encore trouvé de façons d'apaiser les souffrances des pauvres. Ainsi, un des malheureux «effets secondaires» de la croissance économique est la destruction de l'environnement, tout comme l'un des malheureux effets secondaires des bombardements en Yougoslavie est la mort de civils, ce qu'on appelle les dommages collatéraux. Pendant combien de temps encore le monde tolérera-t-il ces effets secondaires?

Un revenu annuel minimal garanti, ainsi qu'un revenu annuel maximal garanti, pour toutes les familles doit primer toutes négociations à venir à l'OMC ou concernant une zone de libre-échange des Amériques. Tant qu'on ne freinera pas la cupidité des riches, on ne pourra apaiser la souffrance des pauvres. En fait, c'est l'exploitation non durable des poissons, des forêts et de l'eau qui a en partie menée à l'exploitation des minorités telles que les Autochtones, les pauvres et les handicapés mentaux.

Il serait inutile d'expliquer la nature ou la cause de l'écart grandissant. Tous savent que certains reçoivent des salaires de plus d'un million de dollars par année et que le nombre de nouveaux milliardaires augmente chaque année. Il serait tout aussi inutile d'expliquer la nature ou la cause des souffrances des pauvres, car nous avons tous entendu parler des sans-abri, des personnes souffrant de troubles mentaux qui vivent dans la pauvreté, et des enfants qui n'ont d'autre choix que se tourner vers le crime puisque les centres communautaires et les pataugeoires ferment par manque d'argent pendant qu'on investit de plus en plus dans les routes et les ponts pour permettre aux banlieusards de se rendre au centre-ville.

Être riche et âpre au gain n'est pas un crime au Canada; par conséquent, certains croient qu'une Organisation mondiale du commerce améliorée ou une zone de libre-échange des Amériques profiteront à tous. Comme nous l'avons constaté, tel n'est pas le cas, puisque les gens cupides ne seront jamais satisfaits et que la dévastation et les souffrances que connaîtront les pauvres dans le sillage de ces accords commerciaux leur sont inconnues ou les indiffèrent.

Si le gouvernement du Canada veut faire preuve d'humanisme, il doit rejeter les nouveaux accords de l'OMC et la ZLEA, tout comme il l'a fait pour l'Accord multilatéral sur les investissements lorsqu'on a constaté qu'il favoriserait l'exploitation des gens et qu'il serait mauvais pour le Canada. En fait, le Canada devrait d'abord travailler à la signature d'un accord multilatéral sur les droits de la personne, plutôt que de ressusciter l'ancien AMI sous une nouvelle forme.

Nous n'avons pas su planifier le passé; ne répétons pas cette erreur. Plutôt, préoccupons-nous d'équité et de justice. Faisons fi des exploiteurs qui voudraient nous guider vers la cruauté. Abandonnons tout projet d'accord en rapport avec l'OMC ou la ZLEA. Merci.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Hammond.

Je cède maintenant la parole à M. Derwyn Davies. Monsieur Davies, je sais que vous avez dû amener votre femme à l'hôpital aujourd'hui. J'espère qu'elle va mieux.

M. Derwyn Davies (témoignage à titre personnel): Oui, elle va mieux. Merci.

Le président: C'est bien aimable à vous d'être venu néanmoins.

M. Derwyn Davies: Je suis heureux de pouvoir témoigner. J'espère que les témoignages des particuliers et des organisations locales vous permettront d'avoir une vue d'ensemble mieux équilibrée, car je crois savoir que la Colline du Parlement pullule de lobbyistes rémunérés.

Le président: Cela nous change de l'atmosphère raréfiée de la Colline.

M. Derwyn Davies: J'aimerais vous présenter un point de vue quelque peu différent. J'ai consacré 39 ans à l'enseignement. Pendant toutes ces années, sauf pour trois ou quatre d'entre elles pendant lesquelles j'ai été administrateur, répit qu'on m'avait sans doute accordé comme période de rémission pour bonne conduite, j'ai été en contact quotidien avec les élèves. Cela m'a donné un point de vue bien particulier sur la vie.

• 1500

J'aimerais commencer par mentionner quelques livres récents. Le premier a été rédigé par Neil Postman, un Américain, mais je ne lui en veux pas pour cela, et un observateur très perspicace et spirituel de la société et de l'éducation. Dans son plus récent ouvrage, The End of Education, il prétend que nous faisons face à deux grands problèmes. Le premier est celui de l'ingénierie, en pédagogie, cela se rapporte à la mécanique, aux programmes, aux tests et examens, à ces petites choses négligeables. Le deuxième problème est un problème métaphysique, soit la raison d'être de l'instruction, ce dont nous parlons très peu. J'aimerais aborder la raison d'être de l'enseignement et aussi la raison d'être de la société.

Permettez-moi de citer John Ralston Saul, qui, dans le cadre de sa conférence Massey intitulée: «The Unconscious Civilization», a déclaré:

    Au cours des 25 dernières années, l'économie a lamentablement échoué dans sa tentative d'appliquer ses modèles et ses théories à la réalité de notre civilisation.

La réalité dont je veux parler est celle du déclin et de la chute, de Charles Babbage à Bill Gates. Charles Babbage a tenté, il y a 150 ans, de construire un prototype d'ordinateur qu'il appelait un engin à différence. Il a échoué car il n'y avait pas d'ouvriers de la métallurgie ayant les compétences nécessaires pour construire cette machine. Il a donc échoué. Bill Gates, lui, semble être en voie de conquérir le monde avec ses ordinateurs, mais il ne le fait pas seul. Charles Babbage a essayé de réussir seul, mais cela a été un échec. Je crois donc que nous devrions nous demander ce qui fait que certains ont du succès.

L'autre image que j'aimerais évoquer est celle des grandes cathédrales d'Europe et de leur équivalent en Amérique du Nord—peut-être les stades de hockey qui sont si nombreux? Les foules se pressent dans les cathédrales pour admirer leur merveilleuse architecture et leur maçonnerie. Qui les a construites? En général, des gens ordinaires—des maçons, des fils de maçons et des petits-fils de maçons, sur plusieurs générations—peut-être avec l'aide d'un moine cistercien qui leur a donné des conseils au départ.

Le bassin de talents auquel les entreprises aiment bien faire allusion était incroyablement petit, mais il a permis de bâtir ces cathédrales. Ces gens ont réussi, car leur culture tenait en haute estime le devoir et la responsabilité et ils avaient une vision d'une société dont l'ordre moral reposait, pour citer Newton, sur ceux qui s'appuyaient sur les épaules des géants pour créer, pas simplement pour faire de l'argent.

En ce qui a trait à l'ingénierie, j'ai participé aux efforts malavisés en vue d'introduire la personnalisation de l'enseignement et de l'apprentissage dans nos écoles. Comme d'habitude, on nous a montré une série de films provenant des États-Unis. On y voyait deux pompiers qui grimpaient à une échelle à des vitesses différentes, et c'est bien là le problème. Nous avons tendance à penser à nos enfants—et les témoins précédents ont fait allusion à la nécessité de penser d'abord à nos enfants—de façon très mécanique.

D'après mon expérience, notre système d'enseignement a réussi à gaspiller et à détruire des réserves énormes de talent, de capacités et d'aptitudes chez nos jeunes. Nous ne rendons pas justice à nos adolescents et, à mesure que l'entreprise privée envahira nos écoles, ce sera encore pire, car il est impossible de réduire l'objectif ultime de l'instruction à quelque valeur monétaire que ce soit.

On met de moins en moins l'accent sur les aptitudes et la signification du travail. J'ai pu le constater pendant ma carrière d'enseignant. De plus en plus, des experts viennent vous dire quoi faire. Ils vous donnent un manuel que vous êtes censé suivre. Dans l'enseignement moderne, l'enseignant devient superflu. Il suffit que quelqu'un soit là pour lire le manuel, mais les élèves n'écoutent pas de toute façon. C'est la déshumanisation.

C'est un coût réel qui n'a jamais été établi. Le naufrage d'un pétrolier en Alaska a entraîné une énorme croissance du PIB aux États-Unis. N'est-ce pas scandaleux? Sur papier, c'était une bonne chose, puisque le coût intégral du nettoyage et des autres travaux nécessaires n'apparaissait pas. La destruction des forêts ne figure qu'à un endroit dans les livres comptables; la perte écologique n'est pas compensée.

• 1505

Même dans les écoles, le nombre d'ordinateurs qui ne fonctionnent pas, qui sont brisés... Personne ne tient compte de ces coûts. Lorsque vous parlez d'amélioration ou de l'utilisation des chiffres, je vous recommande de remettre en question les données car ces chiffres cachent parfois plus de choses qu'ils ne révèlent.

Je terminerai par une citation d'un autre auteur, Herman Daly, qui a déjà travaillé à la Banque mondiale. Je crois que vous avez tous un exemplaire de mon mémoire. Vous y trouverez la liste de mes références. Cet auteur affirme que le onzième commandement devrait être: «Tu ne permettras pas une inégalité illimitée dans la distribution de la propriété privée». Dans tout débat sur l'Organisation mondiale du commerce ou dans toute négociation commerciale, la question de l'inégalité devrait être primordiale. Notre société ne sera pas saine Daitant que ces inégalités, auxquelles les autres ont déjà fait allusion, existeront, car elles causent des dommages incalculables.

Ma seule recommandation serait que vous preniez très au sérieux les propos de Daly et que vous vous penchiez attentivement sur cette question de l'inégalité au sein des pays et entre pays. À mon avis, c'est là le plus grand obstacle au progrès véritable de notre économie mondiale. Merci.

Le président: Merci beaucoup, monsieur.

Nous passons maintenant à l'Association des syndicalistes retraités du Canada, représentée par M. Cerilli.

M. Al Cerilli (membre du Conseil exécutif national, Association des syndicalistes retraités du Canada): Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité. Je suis accompagné aujourd'hui de représentants de différents groupes de retraités. De la Fédération des syndicalistes retraités du Manitoba, qui est associée à notre association, John Pullen, Janet Faxton, Jim Neil, Denis Allard, Ed Blackman et Murray Smith, qui fait aussi partie de l'Association des enseignants du Manitoba et de l'Association des aînés du Manitoba. Ensemble, nous comptons une longue expérience des négociations syndicales.

Monsieur le président, mesdames et messieurs, nous saisissons avec plaisir l'occasion de vous faire part de notre point de vue sur ce que nos 500 000 membres, leurs familles et petits-enfants considèrent comme l'un des plus importants débats que le Canada et le monde auront à tenir pour l'avenir des États souverains dans le système démocratique. Les membres du comité auront une influence sur le gouvernement fédéral concernant la direction que le Canada prendra et la vision d'espoir qu'il façonnera dans la nouvelle collectivité planétaire. Étant donné le court préavis, l'association et ses associations affiliées vous transmettront par écrit leur mémoire et mes remarques liminaires d'aujourd'hui.

À la suite de l'Accord de libre-échange, de la déréglementation, de la privatisation et de l'Accord de libre-échange nord-américain, les Canadiens ont été témoins de changements spectaculaires qui ont nui à leur mode de vie ou à celui de leurs proches. Le gouvernement canadien n'a rien fait pour rassurer les Canadiens sur la venue de jours meilleurs. Au contraire, il a dû lutter contre la décision des entreprises de réduire les salaires et les avantages sociaux sous la menace de pertes d'emplois ou d'un déménagement de l'usine vers une autre ville, si ce n'est carrément à l'extérieur du Canada. Il va sans dire que les soins de santé et les autres éléments du système de sécurité sociale ont été dévastés et nous regretterons amèrement le jour où ces changements se sont concrétisés.

À mesure que les règles de l'équité commerciale changeaient, nous sommes passés de l'Accord général sur le commerce et les tarifs douaniers (GATT) à l'Organisation mondiale du commerce. Ces nouvelles règles régissant l'ordre mondial vont beaucoup plus loin que les réductions tarifaires. Il n'existe pas de garantie contre le pouvoir des sociétés et nous craignons qu'à défaut de réglementation et de contrôle, ce pouvoir n'empiète sur le droit des sociétés démocratiques de gérer leurs économies et d'établir des règlements dans l'intérêt du public.

• 1510

La réglementation, la privatisation, l'ALE et l'ALENA ont enfreint gravement les droits et libertés des travailleurs, mais le récent débat sur l'Accord multilatéral sur l'investissement (AMI) a sensibilisé de plus en plus de Canadiens et de citoyens du monde à l'incidence négative que l'AMI aurait sur leur vie. Grâce aux communications entre les Canadiens et le reste du monde au sujet de ce nouvel accord qui détruirait leur fragile démocratie et leur mode de vie, l'AMI a été mis en veilleuse et il ferait bien d'y rester. Quelle que soit la nouvelle version de l'AMI, elle se heurtera à une opposition encore plus forte du public, non seulement au Canada mais dans le monde entier.

Il existe de bonnes raisons et justifications expliquant pourquoi les Canadiens sont méfiants à l'égard des politiques du gouvernement et des grandes entreprises et considèrent que c'est du pareil au même. Au cours des 20 dernières années, les citoyens du Canada et des autres pays ont vu les grandes entreprises se servir de leur pouvoir pour influencer les gouvernements, ce qui explique à leurs yeux pourquoi les gouvernements perdent... et leur capacité de gouverner efficacement au profit de l'ensemble de la population.

Il n'est pas rare qu'une grande entreprise menace les travailleurs et leurs syndicats, ainsi que la collectivité et les trois ordres de gouvernement, de déménager si on donne pas suite à ses demandes au sujet des salaires, des avantages sociaux et des allégements fiscaux. L'état de guerre est-il inévitable entre les citoyens, les gouvernements et les grandes entreprises dans l'économie mondiale? Ou y a-t-il assez de place pour que tout le monde profite de la richesse de la planète?

Les questions adressées au comité sont nombreuses et on peut commencer par se demander jusqu'où la société peut en prendre avant que tout s'effondre. La démocratie et la souveraineté constituent une autre question à débattre. Les gouvernements démocratiques sont-ils lentement et délibérément en voie de se faire diriger par les grandes entreprises, ou est-ce que la terreur est en train de remplacer la politique gouvernementale et les moyens législatifs?

Examinons maintenant certains faits alarmants sur lesquels les gouvernements ferment les yeux dans une société civilisée et démocratique: 1,5 million d'enfants vivent dans la pauvreté; jusqu'à 5 millions de Canadiens sont sans travail, sous-employés, sans abri ou se servent de banques alimentaires; le chômage chez les Autochtones atteint ou dépasse 80 p. 100; le chômage chez les jeunes oscille autour de 20 p. 100 et le chômage chez les jeunes Autochtones est de 80 p. 100 à 90 p. 100, et ce, lorsqu'il y a des possibilités d'emploi.

Tous ces gens cherchent de l'espoir en vain tandis que des milliards de dollars s'envolent à l'insu du fisc; cette somme d'argent cachée par les sociétés et les particuliers, monsieur le président, atteint 13 trillions de dollars pour le monde entier.

Les capitaux non réglementés et les multinationales non contrôlées n'ont pas d'allégeance envers le Canada, ni aucun autre pays d'ailleurs, et finiront tôt ou tard par n'afficher aucune obligation morale ou éthique envers la collectivité planétaire, encore bien moins le Canada.

Les pays peuvent bien connaître l'échec si vous, les législateurs et les gouvernements du XXIe siècle, ne protégez pas comme vous le devez toute la population du Canada et ne tracez pas la voie à suivre pour l'OMC et la collectivité planétaire.

Je suis convaincu que nous aurons le temps pendant les 10 minutes qui nous sont allouées de lire les propos de certains citoyens bien intentionnés, les titans, par exemple, notre bon ami M. d'Aquino qui représente les grands entrepreneurs.

Vous vous demandez peut-être à quelle période depuis 1900 la Communauté des affaires du Canada a exercé le plus d'influence sur la politique publique; je vous répondrai que c'est au cours des 20 dernières années. Pensez à ce que nous représentons et pensez à ce qu'ont fait et à ce que veulent faire tous les gouvernements et tous les grands partis. Ils ont adopté le programme que nous défendons depuis 20 ans.

Je vous assure, c'est très inquiétant.

La présidente de la Commission sur l'environnement mondial, Gro Harlem Brundtland, a déclaré que si nous ne nous amendons pas, il en sera fait de nous.

Dans un discours prononcé devant l'Assemblée générale des Nations Unies dans les années 80, à l'époque où nous envisagions le libre-échange, l'honorable Tom MacMillan, ministre canadien de l'Environnement de l'époque, a souligné que les gouvernements, à titre de gardiens de la société, doivent la protéger.

Le financier international George Soros, dans un article intitulé «The Capitalist Threat» paru en février 1997, a déclaré que, si nous ne commençons pas à partager, ce sera la fin du capitalisme et du monde.

Je résume ses propos, mais vous aurez tout cela par écrit.

• 1515

En avril 1993, dans le résumé du message pastoral de la Commission épiscopale pour les affaires sociales, la Conférence canadienne des évêques catholiques a réaffirmé la position qu'elle avait adoptée dans sa déclaration de 1993 sur les affaires mondiales. Il est à noter que vous obtiendrez votre propre exemplaire que vous pourrez lire vous-mêmes, car les évêques voient le monde à travers la lentille de la Bible, ils ont vu la pauvreté sévir dans le monde entier et ils nous exhortent à enfin agir.

Le Canada ne peut tout simplement pas se rendre à la table de l'OMC dans un climat de méfiance, mais les Canadiens continueront de se méfier du gouvernement tant qu'ils seront témoins d'une gestion partiale favorisant les PDG et les sociétés qu'ils représentent à l'échelle nationale ou internationale. Les Canadiens ont considéré leur gouvernement comme les protecteurs des droits et des libertés des travailleurs et associent cette protection à des salaires, des avantages sociaux et des régimes de retraite décents, au droit de négocier collectivement, au développement durable de l'environnement et à l'avenir de leurs enfants et de leurs petits-enfants.

John Pullen terminera avec quelques remarques.

M. John Pullen (Association des syndicalistes retraités du Canada): Les gouvernements et les milieux financiers ne peuvent plus jeter le blâme sur les travailleurs et sur les syndicats. Les profits déclarés et les salaires et avantages des PDG n'ont plus de commune mesure avec les salaires et avantages des travailleurs alors même que de plus en plus d'hommes et de femmes au travail doivent se présenter aux banques d'alimentation.

Aux audiences prébudgétaires d'octobre 1998 tenues ici à Winnipeg, l'ASRC avait signalé ces données. Si vous en avez le temps, vous pouvez obtenir ce document; il pourrait jeter un éclairage nouveau sur vos délibérations et sur vos recommandations au Parlement.

Oh, oui, et qu'en est-il de la paix dans le monde?

Le tout vous est respectueusement présenté par le Conseil exécutif national et les membres de l'ASRC par Al Cerilli.

Merci, monsieur le président.

Le président: Il ne nous reste que quelques minutes pour les questions. Cela met fin aux déclarations de ce panel; après ces questions nous entendrons six autres témoins.

Monsieur Penson, vous avez la parole.

M. Charlie Penson: Merci. J'ai une question qui porte sur l'AMI. Plusieurs ont parlé d'une victoire relativement à l'AMI aujourd'hui.

J'aimerais rappeler aux témoins que, en dépit de cette victoire, le Canada est déjà signataire d'un accord multilatéral sur l'investissement, puisqu'il a signé l'ALENA et que le chapitre 11 de cet accord régit 65 p. 100 de tous les investissements au Canada et un pourcentage semblable des investissements canadiens faits à l'étranger. Cet accord est déjà en place, peu importe le sort que l'avenir réserve à l'AMI. Je crois aussi savoir qu'il y a bien d'autres ententes multilatérales sur l'investissement.

Ces deux dernières années, il y a eu plus d'investissements directs du Canada à l'étranger que d'investissements étrangers au Canada, et les Canadiens investissent un peu partout, au Chili et ailleurs. Certains de ces investisseurs nous ont dit souhaiter la protection qu'un accord sur l'investissement pourrait leur conférer en cas d'expropriation. J'aimerais savoir ce qu'en pensent les témoins.

J'ai aussi remarqué que plusieurs témoins ont préconisé l'arrêt des négociations sur l'OMC et sur la ZLEA; mais qu'en est-il de cet accord qui est déjà prévu à l'ALENA? Que pouvons-nous faire au sujet de cet accord?

Mme Susan Bruce: J'ai vu cet accord. J'en ai aussi vu les effets. Ma génération vit quotidiennement les effets de cet accord. Vous ne me le ferez jamais accepter.

Dites-moi pourquoi une étude de l'Université du Manitoba a révélé que plus de 50 détenteurs de doctorats étaient au chômage à Winnipeg? Dites-moi pourquoi j'ai vu tant de gens de ma génération en larmes à la banque alimentaire, leur diplôme en main. Même mon ex-mari, qui a un baccalauréat en théologie, n'a pu trouver autre chose qu'un emploi chez McDonald. N'essayez pas de me convaincre du bien-fondé de cet accord, car moi, on me l'a imposé. Et quand je vais à la banque alimentaire, je pense toujours à l'ALENA.

M. Al Cerilli: C'est une question pertinente. Toutefois, nous avons toujours préconisé un commerce juste et des règles justes, que ce soit en matière d'investissement ou de commerce international. Nous voulons pouvoir partager avec le milliard d'habitants de la planète qui ne mange pas à sa faim et qui est sans emploi. Le Canada n'a pas à se vanter de ses réalisations, comme nous le faisons remarquer dans notre mémoire.

• 1520

En fait, le gouvernement a toujours été hâtif dans ses jugements. Je vous cite un extrait du Report on Business paru le 3 avril 1996 dans le Winnipeg Free Press sur une réunion qui s'est tenue en France au début d'avril 1996:

    Les ministres du Travail et de l'Économie du Groupe G-7 ont déclaré que la seule façon d'encourager la création d'emploi est d'assurer la croissance économique en freinant le déficit public et en réformant les marchés du travail rigides.

J'ai connu les marchés du travail rigides du Canada et je peux vous dire qu'ils s'affaiblissent.

    Les ministres des États-Unis, du Canada, de la Grande-Bretagne, de l'Italie, de l'Allemagne, du Japon et de la France ont convenu qu'il n'y a pas de solution universelle et ont tenté de trouver un nouveau compromis entre les défenseurs anglo-saxons du marché libre et les Européens plus interventionnistes.

En termes simples, si les règles et le commerce ne sont pas équitables dans cette économie mondiale, le monde s'écroulera. Si vous lisez George Soros, qui est un milliardaire dans ce petit monde—j'ignore combien de milliards il possède—vous verrez qu'il a décelé ces pièges et ces dangers. À titre de protecteurs de l'avenir, si nous n'agissons pas à l'échelle nationale...

Les dix minutes que vous m'accordez ne suffisent pas. Faites votre travail convenablement. Invitez les Canadiens et écoutez-les attentivement. Je n'ai pas besoin de six heures pour vous présenter mes remarques...

M. Charlie Penson: Ma question était...

M. Al Cerilli: Même si le recours à la faillite existe, il faut faire tout notre possible pour surmonter ce problème. Nous nous sommes fait mener en bateau lorsque nous nous battions contre ces accords commerciaux et on nous a dit de ne pas nous inquiéter, que l'on s'occuperait de nous. En fait, personne ne s'est occupé de nous.

M. Charlie Penson: Étant donné qu'il existe actuellement un chapitre sur l'investissement, que l'AMI soit en vigueur ou non, certaines personnes ont fait valoir que nous devrions annuler l'ALENA et cesser d'en être parti en raison de ces dispositions sur l'investissement. Un certain nombre d'entre vous ont dit qu'il ne fallait plus suivre cette voie. Ma question est donc la suivante. Souhaitez-vous l'annuler?

M. Al Cerilli: Il est toujours possible de modifier les accords et la négociation collective. S'il n'existe dans cet accord aucune disposition prévoyant la modification des règles qui risquent de détruire un pays, alors il faut demander des comptes aux personnes qui l'ont négocié et leur dire en face qu'elles ont fait du mauvais travail. Voici nos propositions. Soumettez-les au préalable à l'OMC et dites que nous voulons modifier les règles prévues dans l'accord qui nous touchent d'un pays à l'autre.

Le président: M. Davies souhaite ajouter quelque chose.

M. Derwyn Davies: Très brièvement, le monde disparaît sous l'argent et les crédits. Ce qu'il faut, c'est faire la distinction entre l'investissement et la spéculation. Il y a trop d'activités spéculatives, et pas assez d'investissements pour favoriser la création d'emplois et d'autres mesures utiles.

Mme Susan Bruce: Dans votre question initiale, vous avez parlé des gens qui peuvent investir. Et ceux qui ne sont pas en mesure de le faire? Je regrette, mon meilleur ami était juif et il m'a enseigné la tradition merveilleuse qui consiste à répondre à une question par une autre question. Vous n'en avez pas parlé.

D'après moi, un bon accord commercial serait un accord qui, au lieu de réprimer le tiers monde, le ramenerait au niveau des pays industrialisés. Il y a une vieille histoire selon laquelle le libre-échange est un peu comme une vache: la tête broute au Canada, les pis se trouvent en Amérique et nous savons où se trouve l'arrière-train.

M. Al Cerilli: Voilà ce que les banques...

Le président: Attendez un instant, monsieur Cerilli. Je sais que trois autres députés souhaitent poser des questions, et je vais leur donner la parole. Il nous faudra conclure la séance dans une dizaine ou une douzaine de minutes.

[Français]

Madame Debien.

Mme Maud Debien: Mesdames et monsieur, j'aimerais tout d'abord vous remercier pour votre présence. Votre participation nous a permis d'entendre aujourd'hui un autre son de cloche. Vous nous avez présenté une approche critique et un jugement sévère sur tout ce qui s'est passé avant l'OMC, c'est-à-dire sur les négociations précédentes, l'Accord de libre-échange, l'ALENA et le GATT. Vous avez aussi parlé de l'AMI. Je conviens avec vous que la société civile a réussi à faire échouer cette négociation qui se faisait en cachette, avec très peu de transparence.

• 1525

Par contre, vous avez dit très clairement, comme l'ont fait d'autres interlocuteurs ce matin, que l'Accord de libre-échange, l'ALENA et le GATT n'avaient pas donné les résultats escomptés. Effectivement, l'écart entre les riches et les pauvres s'est accentué. Des agriculteurs sont venus nous dire exactement les mêmes choses ce matin en ce qui concerne leur propre domaine.

Je viens du Québec, comme vous l'avez remarqué. Vous savez que le Québec est une société libre-échangiste et que nous avions appuyé l'ALENA au moment où le gouvernement Mulroney l'avait proposé. Depuis cette négociation, les exportations ont augmenté au Québec de façon incroyable et la création d'emplois s'est grandement accrue, mais la pauvreté subsiste. Je ne suis pas en mesure d'être aussi catégorique que vous et de dire que c'est l'Accord de libre-échange, l'ALENA, le GATT et l'OMC qui sont les seuls responsables de l'augmentation de la pauvreté au Canada. Je n'ai pas les réponses; comme vous, je cherche ces réponses. Cependant, je sais que nous vivons dans une société à philosophie néo-libérale où seuls l'argent, la concurrence et les droits de l'entreprise comptent. Malheureusement, vous avez raison là-dessus.

Est-ce qu'on doit imposer un gel ou un moratoire concernant les prochaines négociations? J'ai l'impression que nous sommes devant une espèce de courant irréversible, qu'on ne pourra jamais arrêter. Le monde entier est maintenant rendu trop petit; il est chaque jour dans nos salons. La preuve, c'est que nous assistons actuellement à ce qui se passe au Kosovo.

Le Canada ne pourra pas empêcher les négociations et il ne pourra pas s'en exclure non plus. Je crois qu'il doit doit assurer un leadership pour civiliser ces négociations et rendre les règles claires, justes et transparentes pour tous les pays qui vont y participer. Tel devrait être le principal rôle du Canada lors des prochaines négociations. Si le Canada n'assume pas ce rôle, d'ici à quelques années, comme citoyens et citoyennes, vous aurez votre mot à dire lors d'une élection. Il faut que le Canada y participe, mais en y mettant toutes les balises nécessaires, y compris celles dont vous avez parlé pendant chacune de vos interventions.

C'était un commentaire plutôt qu'une question.

[Traduction]

M. Al Cerilli: C'est une remarque valable étant donné l'opinion contraire.

Toutefois, je pense que les gouvernements n'ont pas été assez transparents. C'est de là que vient le problème. Il est impossible d'attendre deux ans, croyez-moi, pas après avoir été témoin de catastrophes pendant 20 ans. C'est vrai, le Québec, l'Ontario et les États-Unis s'en tirent peut-être bien, mais à quel prix pour le reste de la société?

Lorsque nous examinions la mise en place de l'automatisation dans notre pays, le juge Samuel Freedman a dit qu'une partie ne devait pas en profiter au détriment des autres. On n'a jamais examiné ce principe depuis 1965. C'est ce que nous voulons dire. Si nous voulons partager les richesses de notre planète, aussi bien le faire maintenant car dans deux ans, ce sera trop tard. Je tiens à vous dire que, en effet, il y aura des spéculateurs et de l'argent à droite et à gauche, mais la réalité, c'est que nous laissons énormément de gens pour compte.

[Français]

Mme Maud Debien: Je suis bien d'accord.

[Traduction]

Le président: Merci.

Madame Cooke, vous vouliez ajouter quelque chose.

Mme Cynthia Cooke: Vous avez dit entre autres choses qu'à votre avis, la mondialisation est irréversible. Dans mon mémoire, j'essaie de donner plusieurs exemples d'antécédents historiques de ce phénomène. Le problème, c'est que certains d'entre nous aiment John Ralston Saul. Il parle du fascisme, qu'il explique. Il dit que le fascisme a eu trois conséquences: il a remis le pouvoir directement entre les mains de groupes d'intérêts économiques et sociaux; il fait progresser l'esprit d'entreprise dans des secteurs généralement réservés aux organismes publics—aujourd'hui, on parlerait peut-être de privatisation; et il a masqué les frontières entre l'intérêt public et privé. Plus exactement, il a remis en cause le principe de l'intérêt public.

• 1530

Ces trois choses, que nous a apportées le fascisme... cela nous a valu une guerre. Lorsqu'on parle de courant irréversible, je pense que Kofi Annan a peut-être raison de dire que nous traversons actuellement une période difficile et qu'il faut examiner la question.

Le président: Très bien, je crois qu'il va falloir donner la parole à M. Blaikie, mais ces remarques sont très utiles. Merci beaucoup.

Monsieur Blaikie, vouliez-vous ajouter quelque chose ou avez-vous des questions?

M. Bill Blaikie: Je serai très bref, monsieur le président. À mon avis, la situation que les représentants du groupe PETAP ont décrite de façon si poignante était l'objectif, à un certain niveau, des accords de libre-échange. Ils étaient censés provoquer une baisse des salaires. Évidemment, ce n'est pas ainsi qu'on les décrivait, mais on parlait plutôt d'accroître la compétitivité.

Lorsqu'on provoque une baisse des salaires, il s'ensuit une diminution des recettes publiques. Lorsqu'on provoque une baisse des recettes gouvernementales, on réduit la capacité des gouvernements de financer des programmes sociaux. Tout cela est donc lié. Nous avons constaté la disparition d'un grand nombre d'emplois bien rémunérés. D'autres emplois ont été créés à leur place, mais ils n'étaient pas équivalents à ceux qui ont été supprimés. Puis il y a des gens qui sont carrément exclus du marché du travail.

Bien franchement, je pense cela fait entièrement partie du plan, sauf que la chose a été présentée sous un jour beaucoup plus positif. C'est ce qu'on pourrait trouver dans les écrits de Tom D'Aquino et du CCCE. M. Cerilli avait tout à fait raison. On a connu une vingtaine d'années prospères. Cela a commencé vers la fin des années 70, en réaction à l'État-providence et au contrat social d'après-guerre, et ils ont réussi pendant 20 ans à démanteler tout cela. Les accords de libre-échange ont été un des moyens d'atteindre ce but, car ils donnaient l'impression d'être un progrès. Grâce aux accords de libre-échange, ils ont fait ce qu'ils n'auraient jamais pu faire ouvertement en exposant à tous leur véritable programme.

Je pense que vous avez donc très bien présenté la situation. Vous avez parlé du rapport Gray. J'en ai en fait parlé à Herb Gray il y a deux ou trois semaines pour attirer son attention sur la proportion alarmante de propriétés étrangères dans l'économie canadienne à l'heure actuelle, ce qui est bien pire que la situation qui existait à l'époque où M. Gray a écrit son rapport. Toutefois, il ne semblait pas s'en souvenir et n'a pas très bien reçu ma question.

Nous évoluons aujourd'hui dans un contexte entièrement différent, où la possession de biens par des étrangers semble acceptable, même s'il s'agit de choses qui, par le passé, étaient considérées comme faisant partie intégrante de l'infrastructure canadienne. À preuve, le Canadien National appartient, à 60 p. 100, à des actionnaires américains, grâce à la privatisation.

Je voulais simplement faire cette observation. Je suis d'accord avec l'essentiel de ce qui a été dit et je vous remercie d'avoir témoigné cet après-midi.

M. Al Cerilli: Puis-je faire une remarque en réponse à cette intervention?

Le président: Oui, juste une remarque.

M. Al Cerilli: Le comité du Sénat entendait le témoignage de M. Thiessen l'autre jour quand je me suis branché sur la chaîne 65 à 4 heures du matin parce que je ne pouvais pas dormir. On le harcelait de questions au sujet de trois choses contre lesquelles il s'oppose. D'une part, un taux de change fixe, et on pourrait en discuter. La deuxième est une monnaie commune pour toute l'Amérique du Nord, et j'aurais des arguments à présenter à ce sujet également. Mais voilà ce qui m'a vraiment frappé: la fameuse taxe Tobin sur les transactions du marché. Écoutez, vous avez adopté cette mesure à l'unanimité à la Chambre! Et voilà qu'un type qui sort de notre banque centrale, qui est à notre service, nous met en garde contre l'adoption de cette taxe Tobin et contre toute ingérence de notre part. Lâchez-moi un peu! Qui tient les rênes ici? Et pour qui?

• 1535

Le président: Puisque vous aimez suivre des délibérations au beau milieu de la nuit et que vous aimez beaucoup lire, monsieur Cerilli, vous pourriez peut-être examiner un rapport publié par notre comité il y a deux ans sur les institutions financières internationales. Vous y trouverez un chapitre sur la taxe Tobin. Je pense que cette idée va revenir sur le tapis.

M. Al Cerilli: Je suis sûr que j'ai la bande quelque part.

Le président: Comme vous le savez, il y a énormément de fonds spéculatifs en circulation. C'est une idée sur laquelle un tas de gens se penchent sans aucun doute. Elle est difficile à mettre en vigueur, mais il vaut la peine d'y réfléchir.

M. Al Cerilli: Il n'en demeure pas moins qu'il faut commencer à imposer l'argent dissimulé également, l'argent des sociétés envoyé à l'étranger et tout ce qui l'accompagne; cela représente 13 billions de dollars dans le monde entier. C'est quand même une sacrée somme qui échappe à tout impôt.

Le président: C'est vrai.

Mme Susan Bruce: Puis-je faire une remarque également?

Le président: Très rapidement.

Mme Susan Bruce: Je suis la représentante du Manitoba au conseil de l'Organisation nationale anti-pauvreté et j'ai entendu de nombreuses remarques de la part du représentant du Québec, lors de la réunion de notre conseil d'administration l'an dernier, selon lesquelles le Québec ne s'en tire pas très bien, les pauvres de cette province sont très... par rapport au reste du pays... Je sais que Winnipeg est la capitale de la pauvreté au Canada, mais le Québec vient tout juste derrière. Si cette province se débrouille bien dans le cadre du libre-échange, eh bien moi je n'en ai jamais entendu parler.

Le président: Nous n'allons pas nous lancer dans une discussion.

Monsieur Pickard.

M. Jerry Pickard: Mesdames et messieurs, je dois dire que vous avez apporté un visage humain à notre comité et je vous en sais gré. Il ne fait aucun doute que les négociations commerciales internationales sont lacunaires dans certains domaines. L'élément humain en est un exemple et l'environnement en est un autre.

Il y a des choses dont notre comité doit tenir compte et au sujet desquelles il doit faire des recommandations: il est indubitable que le point de vue que vous nous présentez est extrêmement important pour nous tous. Nous nous occuperons évidemment des emplois, mais comme bon nombre d'entre vous le signalaient, ces derniers ne sont pas créés assez rapidement, et sont insuffisamment rémunérés dans bien des cas, ce qui pose un problème. Toutefois, nous avons entendu vos arguments et nous les avons écoutés avec respect. Votre témoignage fera une différence. Poursuivez vos efforts dans ce sens.

Je suis fermement convaincu qu'il ne faut absolument pas perdre de vue l'aspect humain. Les témoins de ce matin nous ont fait passer ce message haut et fort, en disant que l'environnement, l'activité économique et le développement humain sont les principaux éléments dont il faut tenir compte dans le cadre du libre-échange, et souvent, jusqu'ici, on a surtout mis l'accent sur le côté économique, au détriment des autres aspects qui sont si importants. Je vous remercie sincèrement.

Le président: Merci beaucoup à tous.

Certains d'entre vous ont cité John Ralston Saul. C'est un de mes électeurs, et quand je retournerai chez moi, je vais lui dire qu'on lit ses oeuvres également à Winnipeg. Comme c'est un écrivain, il voudra simplement savoir si vous avez acheté le livre ou non, mais nous ne vous poserons pas la question.

Merci beaucoup. Nous avons écouté votre témoignage avec beaucoup d'intérêt.

Puis-je demander au prochain groupe de se présenter tout de suite? Nous avons quelques minutes de retard et nous voulons faire en sorte que tout le monde ait l'occasion de s'exprimer. Il y a cinq témoins et il ne nous reste que 50 ou 55 minutes.

• 1540

Le premier témoin sur la liste est M. Gilbert Laberge. Merci beaucoup d'être venu, monsieur. Vous avez vu comment nous avons procédé jusqu'ici. Si vous pouvez vous en tenir à cinq à sept minutes pour votre exposé, cela laissera le temps pour des questions. Comme vous êtes cinq à témoigner, cela serait très utile.

M. Gilbert Laberge (témoignage à titre personnel): Veuillez m'excuser, je n'ai pas bien compris. Avez-vous dit que j'ai cinq minutes au lieu de 10?

Le président: Vous avez entre cinq et sept minutes pour présenter votre exposé, ce qui nous laissera du temps pour poser des questions à la fin. Autrement, nous n'aurons plus le temps.

M. Gilbert Laberge: Je vais dire d'entrée de jeu que j'ai deux exposés. Le premier sera fait en français et en anglais, et le deuxième aussi.

Mon premier exposé porte sur la surveillance des eaux et mon deuxième est une étude sur les taxes.

[Français]

Le président: Nous apprécierions que votre présentation ne dure que de cinq à sept minutes. Nous avons reçu une copie de votre document. Vous pourriez peut-être nous en présenter les grandes lignes.

M. Gilbert Laberge: J'aimerais d'abord préciser que je témoigne devant votre comité à titre personnel et que je ne représente aucune organisation. Le document que je vous ai présenté est le fruit de mes recherches et représente ma contribution en vue de jeter un peu de lumière sur ce sujet et d'y mettre un peu d'ordre afin d'en faire bénéficier les autorités ainsi que les contestataires. Je vais faire la même présentation dans le domaine des eaux après cette rencontre-ci afin qu'il y ait peut-être un mariage des idées et des optiques.

L'énoncé de ma philosophie stipule que tous les citoyens canadiens sont les bénéficiaires du réseau hydrographique canadien et qu'ils en sont aussi les gardiens. Cet énoncé pourrait s'appliquer à l'échelle mondiale, et on pourrait dire que chaque pays est responsable de son propre réseau hydrographique. L'idée directrice est que tous les citoyens, par l'entremise des corps gouvernants mandatés de leur pays, ont cette responsabilité. Les territoires, provinces, villes, municipalités et villages ont le droit inné de contrôler le partage de leur eau avec les plus nécessiteux. Ils doivent d'abord contrôler l'échange de leur eau à des fins de subsistance et d'harmonie sincère de coexistence pacifique, en vue d'encourager la paix dans le monde par le partage des biens. Les riches doivent aider les pauvres, et les pauvres, les plus pauvres.

Nous devons protéger notre eau de tout abus et prévenir tout mauvais usage. Il ne faut pas la gaspiller.

Nous devons établir des mesures de contrôle pour nous assurer que notre eau est de la plus haute qualité possible. Nous devons toujours chercher à atteindre la qualité maximale. Nous devons contrôler les eaux souillées et savoir les recycler avant qu'elles ne soient réintégrées à nos systèmes d'approvisionnement en eau.

Nous devons mettre en oeuvre des mesures sévères contre les pluies acides. L'eau qui descend du ciel devrait être propre, et non pas acide ou polluée. Nous devons élaborer des méthodes acceptables pour régir l'utilisation et le recyclage de l'eau.

Nous devons faire en sorte que tous traitent avec respect cet élément nécessaire à notre vie que nous accorde le Créateur. Nous devons être conscients que nous ne sommes pas seuls. Le Canada devrait exercer des pressions au niveau international afin que tous respectent cette ressource essentielle.

• 1545

Puisque je ne dispose pas d'autant de temps que prévu, je passerai maintenant à la question de l'évasion fiscale et des lacunes de la loi.

Il semble qu'en 1991, la loi n'ait pas permis au gouvernement fédéral de percevoir des impôts sur une fortune de quelque 2 milliards de dollars canadiens qu'avait accumulée et par la suite transférée une des familles les plus riches du Canada. Cette famille n'avait pas payé sa juste part d'impôts sur cette somme qu'elle avait acquise en bénéficiant de la confiance de notre société. Sa vénération des biens a fait en sorte qu'elle a profité de nos lois et règlements, de notre état d'esprit et de la liberté dont nous jouissons. Ici, on s'attend à ce que les citoyens se fassent un point d'honneur de payer leur juste part d'impôts.

Je crois personnellement—et la plupart des gens appuient probablement ce point de vue—que le gouvernement fédéral du Canada doit, en toute conscience, faire en sorte qu'on respecte nos grands principes de démocratie et dénoncer ceux qui abusent de façon flagrante de nos lois et portent atteinte à l'harmonie qui devrait régner. Dans ce pays, nous bénéficions de tribunaux à différents paliers et on devrait pouvoir porter devant eux des causes d'évasion fiscale qui remontent très loin, même à il y a 10 ans. Dès qu'on s'aperçoit qu'il y a possibilité de fraude, on doit documenter le cas et en consigner la date afin qu'on puisse aller récupérer les fonds de façon rétroactive.

Le document que je vous ai présenté fait état d'une autre question que vous retrouverez au bas de la page. Faute de temps, je ne la soulèverai pas, mais je vous la laisse à titre d'information.

Je vous remercie de votre attention.

Le président: Merci, monsieur Laberge. Je vous invite à utiliser la langue de votre choix et je vous répondrai dans cette même langue.

M. Gilbert Laberge: D'accord, je vous en remercie.

Le président: Lors de la période des questions, les députés vous poseront des questions en anglais et en français. Je suppose que Mme Debien profitera de ce moment pour parler en français.

[Traduction]

Je pense que M. Preston est notre témoin suivant.

M. Bob Preston (témoignage à titre personnel): L'eau potable est vitale pour notre pays. Il est insensé de la vendre; je n'arrive pas à croire que nous envisagions même de le faire. Il faut que l'eau bénéficie d'un statut spécial distinct de toutes nos autres ressources naturelles. Il faut que l'eau demeure une propriété publique.

J'avais l'intention aujourd'hui de vous parler brièvement de l'importance de l'eau pour chacun d'entre nous, mais de toute évidence nous n'avons pas le temps, donc je vais sauter cette partie. Je tiens absolument à mentionner à quel point l'eau est d'une importance fondamentale pour nos intérêts nationaux; nous ne pouvons tout simplement pas la brader.

Voici pourquoi: l'eau assure la vitalité de notre main-d'oeuvre, atténue la maladie, réduit la mortalité, stimule le développement économique. Pouvez-vous imaginer nos milieux médicaux sans eau et sans possibilité de désinfection? Dans les milieux industriels, l'eau est probablement la ressource la plus utilisée. Pouvez-vous imaginer un abattoir sans eau douce? En agriculture, essayez de faire pousser un boisseau de blé sans eau. Il n'y aurait pas de pisciculture en eau douce. Il y a aussi l'hydroélectricité, la voie maritime, le secteur des loisirs. Songez à toutes les industries artisanales que nous avons, la natation, la navigation de plaisance et toutes ces activités où l'eau douce est essentielle. Songez à l'élimination des déchets. Y en a-t-il ici qui tirent la chasse d'eau?

Il ne faut absolument pas oublier que l'eau est un produit stratégique. La purification et la distribution de l'eau doivent rester entre les mains du secteur public. Nous savons tous ce qui se produira si nous abandonnons le contrôle de cette ressource. Songez à l'ALENA et la Ethyl Corporation. Nous ne pouvons tout simplement pas laisser de telles choses se produire.

• 1550

J'aimerais également faire remarquer que des nuages menaçants se profilent à l'horizon. Dans 25 ans, la population mondiale aura doublé. Songez-y. La demande en eau va doubler, mais la quantité d'eau douce demeure statique.

Il n'y aura pas plus d'eau de pluie en l'an 2025 qu'aujourd'hui. Comment allons-nous résoudre ce problème? Aujourd'hui, les grosses sociétés achètent de l'eau douce un peu partout dans le monde. Pourquoi? Parce qu'en 2025, elles vont la vendre pour beaucoup d'argent. Combien pensez-vous qu'un verre d'eau va vous coûter en 2025?

L'autre problème a trait à la diminution des ressources. Nos secteurs ruraux et urbains risquent de se trouver sérieusement en conflit bientôt. Lorsque notre population commencera à augmenter, qui obtiendra l'eau? Je vais vous le dire. L'influence politique du secteur urbain sera beaucoup plus forte que celle du secteur rural. Au cours des années à venir, on fermera le robinet pour l'irrigation des régions rurales. Cela signifie que les terres qui sont maintenant irriguées devront cesser de produire. Songez à l'impact que cela aura sur le coût des aliments.

Dans les Hautes Plaines... dans la vallée San Joaquin en Californie, le niveau phréatique est en train de diminuer de façon spectaculaire. En fait, il n'y a plus d'irrigation. Là où je veux en venir, c'est que cette guerre a commencé. La bataille a débuté et le secteur agricole y perdra ses plumes. Le cycle hydrologique est en fluctuation. Nous avons tous entendu parler de l'effet de serre, et nous savons ce que cela veut dire, à savoir que nos conditions atmosphériques vont connaître d'importants changements. Cela risque donc de se traduire par des pluies moins abondantes ou peut-être même plus abondantes—nous n'en sommes pas sûrs. Comment pouvons-nous brader aujourd'hui l'eau dont nous serons peut-être privés en 2025? Cela n'a aucun sens.

Le problème, c'est que toutes les sources économiques sont exploitées et qu'il n'en existe pas de nouvelles à moins que l'on inclue le dessalement de l'eau de mer. Pour un acre-pied d'eau de mer, cela coûte 1 800 $ américains. Le traitement d'un acre-pied d'eau saumâtre coûte 900 $. Vous ne pouvez pas faire pousser de l'herbe de cette façon.

Ce que je veux faire valoir, c'est que l'eau est une ressource spéciale qui doit être traitée dans une optique humanitaire, ce dont les entreprises sont incapables, car elles sont amorales. Ce n'est pas qu'elles veulent mal faire; elles sont tout simplement amorales. Elles n'ont pas de sens moral. Elles ne visent que le profit, que leurs propres intérêts, que le court terme et sont des entités mobiles.

Laissez-moi vous donner un exemple. En 1984, à Bhopal, en Inde, il y a eu une explosion à l'usine de la Union Carbide. Il s'agissait d'une usine de pesticides. Un nuage toxique de fumée s'est répandu sur la ville. 500 000 personnes ont été touchées. C'est presque l'équivalent de la population de Winnipeg. Quatre-mille personnes sont mortes. Comment a réagi la Union Carbide? Elle a refusé de communiquer immédiatement à la population des régions environnantes les données sur la toxicité qu'elle possédait. Par conséquent, les services médicaux, d'ailleurs peu nombreux—n'étaient pas en mesure de s'occuper efficacement du problème. Ils ont tâché, d'ailleurs avec succès, d'obtenir un règlement à l'amiable pour limiter les dommages. La population n'a reçu qu'une maigre indemnisation. Aujourd'hui ces gens sont vraiment mal en point. Ils reçoivent à peine de quoi couvrir leurs frais médicaux. En 1996, 14 ans après cette catastrophe, l'entreprise n'a toujours pas répondu aux tribunaux de Bhopal en Inde. En 1996, elle continue de laisser ces substances toxiques s'infiltrer dans l'eau potable de la population de Bhopal en Inde.

Qu'est-ce que cela nous apprend à propos du sens moral de cette entreprise en particulier? Est-ce que vous voudriez que la Union Carbide s'occupe de votre approvisionnement en eau? Je ne le crois pas.

• 1555

Je pourrais parler de toutes sortes d'autres entreprises. Pendant 20 ans, la société Dow Corning a tu les problèmes que posaient les prothèses mammaires. Elle n'a émis aucun avertissement car si la chose avait été rendue publique il y a 20 ans, personne n'aurait acheté de prothèses mammaires.

Il y a aussi d'autres problèmes, comme les problèmes de renversement de la Ford Bronco. Je ne m'y attarderai pas car nous n'en avons pas le temps.

CP Rail nous a laissés tomber. Elle n'a pas appuyé l'offre de Halifax concernant le méga-port qu'Halifax espère obtenir. Ce n'est pas qu'elle veuille mal faire; mais les sociétés n'ont tout simplement pas les moyens dont nous avons besoin pour qu'elles s'occupent du problème.

Nous avons tous parlé de George Soros ici et je suppose que nous l'avons tous lu, comme nous avons lu John Ralston Saul. J'aimerais vous citer ce que Soros a dit dans l'un de ses ouvrages intitulé Crisis in Global Capitalism. Il dit que la tâche du gouvernement consiste en fait à établir les règles que tout le monde doit suivre. Le rôle des entreprises est de respecter ces règles. Mais nous savons tous ce qui s'est passé au cours des 20 dernières années. Les entreprises sont devenues tellement fortes qu'elles se liguent contre les gouvernements. Elles dictent au gouvernement les règles à établir, et c'est là le problème.

J'aimerais terminer en formulant trois recommandations à l'intention du gouvernement fédéral. Nous devons absolument cesser d'envisager d'exporter notre eau. Il faut arrêter net tout mouvement en ce sens. Deuxièmement, il faut que la distribution et la purification de l'eau continuent de relever du secteur public. Troisièmement, nous devons examiner nos réseaux hydrographiques et mettre sur pied un organisme de contrôle qui nous permettra d'intégrer l'utilisation des eaux qui reviennent dans les cours d'eau.

J'aimerais terminer en disant que ceux qui contrôlent notre eau doivent faire preuve d'humanité, d'intégrité et de sens moral, ce dont sont dépourvues les entreprises privées. Je vous remercie.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Preston.

Monsieur Harris.

M. George Harris (témoignage à titre personnel): Bon après-midi. Pour commencer, je vais mentionner quelques aspects qui semblent à première vue ne pas avoir de rapport entre eux. J'aimerais tout d'abord parler de Jeff Gates, qui est l'auteur de The Ownership Solution: Toward a Shared Capitalism for the 21st Century. Dans un article faisant état d'une visite récente de cet auteur à Winnipeg, le Winnipeg Free Press a écrit ce qui suit:

    La couverture par les médias des incroyables gains réalisés à la Bourse au cours des dernières années pourraient donner aux gens l'impression que les gains du marché se traduisent par une plus grande richesse pour chacun d'entre nous. Mais bien entendu, ce n'est pas le cas.

Selon les projections faites par Jeff Gates concernant la richesse jusqu'à la fin de 1997, 86 p. 100 des gains boursiers réalisés en 1989 et 1997 ont profité à 10 p. 100 de la couche supérieure des ménages, tandis que 42 p. 100 ont profité aux mieux nantis, c'est-à-dire à 1 p. 100 de la population.

Une autre partie de cet article de journal indique:

    La valeur nette des trois personnes les plus riches au monde est supérieure au PIB des 48 pays les moins développés au monde.

C'est le premier élément d'information que j'aimerais vous communiquer.

Deuxièmement, je dirais que la Bourse, dont on a parlé ici, se réjouit chaque fois que des travailleurs sont mis à pied. La mise à pied de travailleurs permet de réduire les coûts ce qui augmente les cours du marché. C'est l'image qui est transmise à la télé, lorsqu'à la fin de la journée, la cloche résonne et tout le monde applaudit alors que le marché boursier établit un nouveau record. Mais cela ne se fait pas au profit de la plupart d'entre nous simples Canadiens—je dirais pratiquement nous tous.

• 1600

J'aimerais maintenant vous citer un article qui a paru dans la revue Fortune. Je veux me contenter de le citer parce qu'il décrit la situation aussi bien que j'aurais pu le faire:

    En pourcentage du PIB, les États-Unis dépensent presque deux fois plus en matière de soins de santé que les pays européens. Est-ce parce qu'en Amérique, l'air est plus pollué, les gens plus gros et les automobilistes moins prudents? Ce sont sûrement des facteurs contributifs, mais c'est surtout la façon dont les soins médicaux sont assurés—pour la plupart par le secteur privé...

Le président: Les avocats et les compagnies d'assurance s'en donnent à coeur joie.

M. George Harris:

    aux États-Unis, surtout par le gouvernement en Europe. Cela permet également d'expliquer pourquoi tant d'Américains n'ont aucune protection.

J'aimerais maintenant vous citer les propos d'une personne du nom de Kent Johnson de Freeport en Illinois qui travaille dans un collège communautaire là-bas. Il indique:

    Nous soumettons un éditorial à notre journal local concernant un déménagement massif outre-mer par Kelly Springfield, une filiale de Goodyear. Le nord-ouest de l'Illinois risque de perdre jusqu'à 850 emplois. Nous avons une question à vous poser à laquelle nous espérons que vous pourrez répondre immédiatement:

    Certains pays européens ont-ils des lois qui empêchent la fuite des sociétés ou les compressions surprises des effectifs? En d'autres termes, existe-t-il des pays qui imposent une taxe sociale aux entreprises qui décident soudainement d'aller s'installer à l'étranger?

Voici ma dernière observation. Après la réunion récente du groupe de Manille,

    L'Australie et le Japon ont fait front commun vendredi pour mettre en garde la communauté internationale contre la tentation de succomber à «l'épuisement de la réforme» dans le sillage de la crise asiatique, de crainte de nuire à la reprise économique qui se dessine.

Nous ne cessons d'être bombardés par toute cette information qui nous arrive par bribes. Ce que cela m'indique, c'est que de toute évidence le système ne fonctionne pas. Il ne fonctionne pas sauf pour un très petit pourcentage de la population que je décrirais comme les rares privilégiés.

J'aimerais faire quelques observations concernant les mesures qui pourraient être prises à cet égard. Premièrement, si nous voulons conclure des ententes internationales, qu'il s'agisse de la zone de libre-échange des Amériques ou de l'Organisation mondiale du commerce, visons les ententes qui atténuent les inégalités et les injustices que crée le capitalisme mondial. Nous ne sommes pas sur la bonne voie mais bien sur la mauvaise voie. Même si les marchés boursiers se réjouissent, cela ne veut pas dire que tout est pour le mieux.

Deuxièmement, je n'arrête pas d'entendre parler des décisions prises par l'Organisation mondiale du commerce. Elles semblent sortir de nulle part. Lorsqu'elle prononce ces décisions, c'est comme si elles étaient dictées par une série de règles d'origine naturelle. Je soutiens que cela ne devrait pas être le cas. L'Organisation mondiale du commerce ne devrait jamais se voir accorder des pouvoirs que nous, citoyens, ne pouvons changer lorsque nous déterminons collectivement qu'il est souhaitable de le faire.

La troisième proposition que j'aimerais vous soumettre, c'est qu'en partant du principe que, pendant un certain temps, nous allons avoir des entités comme l'Organisation mondiale du commerce, nous devrions établir des conditions qui permettraient de contester toutes décisions prises par ce genre d'instances qui violent les droits fondamentaux de la personne, tels que définis dans un document—et il y en a d'autres—la Déclaration universelle des droits de l'homme.

J'aimerais simplement vous renvoyer à deux de ces articles. Je n'ai pas l'intention de vous en lire tous les articles, mais il y en a deux en particulier sur lesquels j'aimerais attirer votre attention. L'article 23 se lit comme suit:

    Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail, et à la protection contre le chômage.

L'article 25 déclare:

    Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation, l'habillement, le logement, les soins médicaux, ainsi que pour les services sociaux nécessaires; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d'invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance, par suite de circonstances indépendantes de sa volonté.

• 1605

Cela a été écrit il y a plus de 50 ans, et au cours des années 90, nous n'avons cessé de voir les gouvernements violer ces droits de la personne fondamentaux.

J'aimerais également que l'on envisage de s'assurer que le public a le pouvoir de renverser les décisions de privatisation prises par ce que j'appellerais des gouvernements dévoyés. Nous vivons dans une province où nous décidons de privatiser le système téléphonique du Manitoba, et il nous est impossible de renverser cette décision parce que nous avons en place entre autres des accords de libre-échange qui prévoient que si vous renverser cette décision, vous devez indemniser ces entreprises. Nous sommes donc coincés et aux prises avec le sentiment de ne pouvoir rien faire sauf nous soumettre à la volonté de ces grosses sociétés.

Un autre élément, que M. Preston a déjà fait valoir, consiste à s'assurer que le public conserve le contrôle des ressources fondamentales, et dans ce cas en particulier, j'aimerais que le public conserve le contrôle de l'eau.

En résumé...

Le président: Avez-vous presque terminé?

M. George Harris: Oui.

En résumé, si le système tel qu'il existe à l'heure actuelle ne fonctionne pas, il ne faut pas en inscrire les règles dans une forme quelconque de droit international.

À cet égard, j'aimerais faire une observation personnelle. J'ai grandi dans une ferme mixte. Mon père a gagné sa vie en grande partie à cause du système de gestion de l'offre qui était en vigueur. Si les pressions exercées à l'heure actuelle sur les organismes comme l'Organisation mondiale du commerce en vue de se débarrasser de nos offices de commercialisation et ainsi de suite aboutissent, mon frère ne pourra pas léguer sa ferme à ses enfants.

Le président: Je vous remercie beaucoup, monsieur.

Nous avons deux autres témoins. Le premier est M. Kopas de la Manitoba Society of Seniors Inc.

M. Ramon Kopas (directeur exécutif, Manitoba Society of Seniors Inc.): En tant que directeur exécutif de la Manitoba Society of Seniors, qui représente les intérêts de 250 000 aînés manitobains, j'aimerais vous présenter celui qui vous fera un exposé en notre nom, M. Charles Cruden, qui est un représentant du Conseil d'administration de la MSOS et membre du comité exécutif de la MSOS. Charles.

M. Charles Cruden (membre, conseil d'administration, Manitoba Society of Seniors Inc.): Merci beaucoup, Ramon. Comme nous avons été prévenus de la tenue de cette réunion le 17 avril, notre exposé sera bref. Il s'agit d'une question dont nous avons longuement débattu au sein de la MSOS.

En tant que représentants de la Manitoba Society of Seniors et de son conseil d'administration, nous tenons à remercier le comité de cette occasion de prendre la parole sur les priorités et les préoccupations en matière de commerce international. Lorsque l'on parle de transnationales, de mondialisation, de l'ALENA, de l'AMI et de la ZLEA à diverses réunions de la MSOS, cela suscite immédiatement des préoccupations et de l'incertitude. Ces préoccupations et cette incertitude se transforment en craintes que tout accord futur signé par le Canada nuira aux programmes sociaux du Canada. Les aînés ont été très préoccupés par les conséquences apparemment nuisibles de la signature de l'ALE et de l'ALENA sur les avantages sociaux qui tiennent à coeur aux Canadiens, surtout dans les domaines de la santé et des pensions.

Ce qui nous préoccupe surtout c'est qui dirige ou dirigera le Canada: des politiciens élus avec la responsabilité de gouverner notre pays dans l'intérêt de tous les Canadiens, ou des sociétés transnationales, ou des incidents politiques qui débordent les frontières du Canada et qui imposent aux Canadiens une nouvelle donne au nom de la mondialisation des sociétés.

En préparant cet exposé, j'ai trouvé intéressant d'apprendre que depuis le Sommet des Amériques qui s'est tenu à Miami en 1994, les exportations du Canada vers l'Amérique latine et les Antilles ont continué de connaître une croissance importante. J'ai été également étonné d'apprendre que la population de l'Amérique latine et des Caraïbes devrait atteindre 500 millions d'habitants d'ici l'an 2000. En ce qui concerne ce dernier aspect, ce qui nous préoccupe c'est que si les sociétés transnationales s'intéressent à l'Amérique latine en raison des débouchés possibles et de la main-d'oeuvre bon marché qu'elles peuvent y trouver, cela pourrait affaiblir l'influence du Canada en matière de négociations.

• 1610

Tous les Canadiens, et non uniquement les aînés, ont de bonnes raisons d'être préoccupés par des ententes qui nuiront aux lois, aux règlements et aux programmes sociaux du Canada, qui ont été financés par les Canadiens et qui le sont toujours dans le cadre de la responsabilité de nos compatriotes les uns envers les autres.

Les aînés en particulier ne sont pas disposés à accepter de sacrifier les programmes sociaux pour lesquels ils se sont battus pendant des années afin d'améliorer le niveau de vie des Canadiens. Ils craignent que les sociétés transnationales installées au Canada ne soient pas tenues de respecter les lois et les règlements auxquels doivent se conformer les Canadiens.

Les membres de la MSOS ont signalé qu'il y a un manque d'information, et indiqué qu'ils s'attendent à plus de transparence et de reddition de comptes de la part des gouvernements ainsi qu'à un discours franc sur toute proposition qui est faite à n'importe quel chapitre au nom de la mondialisation économique. Ils ne veulent pas revivre les conséquences imprévues de la mise en oeuvre de l'ALENA. Bien des aînés se rendent compte que la mondialisation économique est une orientation encouragée par les institutions financières et les sociétés transnationales. Les aînés veulent être informés des décisions prises par leurs représentants élus et ne veulent pas avoir l'impression que des entreprises axées sur le profit influencent ou dictent les agissements de nos élus.

En résumé, voici certaines recommandations formulées par les aînés de la MSOS: que compte tenu des médias qui existent aujourd'hui, les Canadiens devraient être mieux informés; que le gouvernement fasse preuve de plus de transparence et d'une plus grande reddition des comptes; que la gestion des affaires publiques soit la responsabilité de nos représentants élus; que le gouvernement canadien exerce un contrôle plus étroit de l'économie canadienne; que les programmes sociaux canadiens ne soient pas compromis à cause de la mondialisation de l'économie; que les Canadiens n'aient aucune raison de craindre que nos représentants élus ne contrôlent plus la destinée canadienne; que le gouvernement du Canada fasse preuve de prudence lors de négociations visant à promouvoir le commerce et l'investissement, y compris la ZLEA; et qu'il entame un véritable dialogue avec les Canadiens à propos des conséquences de ce modèle de mondialisation de l'économie.

Lors de la série de négociations du millénaire de l'OMC, le Canada devrait profiter de l'occasion pour préconiser un examen sérieux des conséquences à l'échelle mondiale du commerce et de l'investissement. Plutôt que d'élargir le modèle actuel, le Canada devrait insister pour que l'on procède à une vaste évaluation des répercussions économiques, sociales et environnementales de la mondialisation de l'économie. Le Canada devrait également soulever la question de l'absence persistante de démocratie et de transparence, qui a mis de plus en plus de pouvoir entre les mains des transnationales aux dépens de la société civile.

Au nom de la Manitoba Society fo Seniors, nous tenons à vous remercier de nous avoir donné l'occasion de vous présenter nos points de vue sur une question qui préoccupe au plus haut point de nombreux aînés au Manitoba.

Le président: Je vous remercie beaucoup, monsieur.

Nous avons également avec nous une représentante de la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants du Manitoba, Mme Bryans.

Mme Margaret Bryans (Fédération canadienne des étudiantes et étudiants du Manitoba): Je vous remercie.

Le président: Vous n'étiez pas là au début donc je vous préciserai que chaque intervenant dispose de cinq ou sept minutes au maximum.

Mme Margaret Bryans: Très bien. J'abrégerai mon exposé au fur et à mesure.

Le président: Nous devons lever la séance dans 20 minutes.

Mme Margaret Bryans: Ce dont je veux vous parler aujourd'hui, c'est à quel point le commerce et la mondialisation nuisent à nos établissements postsecondaires au Canada. Je parle de toute évidence dans une perspective universitaire mais dans l'ensemble cela vaut également pour les établissements d'enseignement primaire et secondaire.

On vante la mondialisation comme la voie de l'avenir. Il est clair que le financement public de l'enseignement postsecondaire de qualité et l'accès à ce même enseignement sont compromis. Les réductions massives effectuées par le gouvernement fédéral dans le secteur de l'enseignement postsecondaire découlent de la privatisation et de la corporatisation de nos institutions publiques.

Le financement public, de même que la propriété, le contrôle et la réglementation publics du système d'enseignement postsecondaire sont en train d'être remplacés par le financement, la propriété et le contrôle privés et l'absence de réglementation entre autres des frais d'inscription. Je citerai à titre d'exemple la décision prise par le gouvernement ontarien de déréglementer les frais d'inscription pour tous les programmes universitaires et certains programmes collégiaux. Cela signifie que les étudiants payent des montants exorbitants pour avoir accès à l'enseignement, et bien des étudiants ne sont pas en mesure de le faire.

Un autre exemple est celui de l'ancien président de l'Université de la Colombie-Britannique, David Strangway, qui prévoit offrir une meilleure instruction à ceux qui peuvent se le permettre par le biais d'une université d'arts libéraux privée à but non lucratif à l'intention d'étudiants aisés.

La sous-traitance des services sur le campus, comme les services de nettoyage et d'alimentation, en est un autre exemple. Les contrats de services de soutien sont octroyés au moins offrant.

• 1615

Les intérêts commerciaux sont en train d'influencer de nombreux aspects du système d'enseignement postsecondaire, y compris l'établissement du niveau des frais d'inscription, la détermination du contenu de nos cours, les fournitures utilisées pour un cours ou un programme, et les programmes ou les cours qui reçoivent du financement et ceux qui n'en reçoivent plus. À titre d'exemple, le millionnaire Joseph Rotman a fait don de 15 millions de dollars à la faculté de gestion de l'Université de Toronto. Ce don lui a permis de bénéficier d'un contrôle sans précédent sur la faculté, détaillé dans une liste de critères de 26 pages, y compris le droit d'engager une firme extérieure de relations publiques pour représenter la faculté, la protection contre des réductions budgétaires et l'adhésion de la part de l'université à la vision de Rotman en matière d'enseignement public. Selon des calculs faits par le journal étudiant de l'Université de Toronto, Varsity, il est possible que Rotman se retrouve à payer moins de 6 millions de dollars de ses poches, une grande partie du reste étant payé par le contribuable canadien en raison des avantages fiscaux qu'il peut réclamer par suite du don qu'il a fait à cette université.

Par ailleurs, à l'université Carleton, cinq entreprises locales de haute technologie ont récemment fait don de 60 000 $ au département de sciences informatiques, en citant parmi l'une de leurs raisons les recrues bien formées qu'ils pourront engager par la suite.

Le secteur de l'enseignement est devenu un marché très lucratif. Selon Maude Barlow et Tony Clarke, la possibilité de partenariat avec des sociétés privées au niveau primaire, secondaire et postsecondaire représenterait entre 50 milliards et plusieurs centaines de milliards de dollars par année. À cause de la mondialisation, il est devenu pratiquement impossible d'éliminer l'influence qu'exercent les sociétés sur nos collèges et nos universités publics parce qu'ils ont déjà ouvert leurs portes aux entreprises. La mondialisation et le commerce déloyal ont déjà donné aux sociétés installées à l'étranger un accès tout à fait libre aux étudiants et à leur milieu d'enseignement.

Le système public d'enseignement postsecondaire est en train de devenir de plus en plus un système mixte public et privé, qui ne fait que renforcer le droit d'accès au marché des sociétés. Bien que les gouvernements fédéral et provinciaux continuent à financer environ 50 à 70 p. 100 du coût de l'enseignement postsecondaire, le pourcentage des fonds publics a diminué de façon radicale au cours des dix dernières années. À l'heure actuelle, le gouvernement fédéral ne s'est pas engagé à rétablir le financement de l'enseignement postsecondaire. C'est pourquoi il est probable que le niveau de financement privé des budgets de fonctionnement des collèges et des universités continuera à augmenter.

Les étudiants ont contribué à l'élaboration de lignes directrices destinées à réglementer les entreprises qui s'installent sur nos campus et à les tenir responsables. Pourtant ces règlements, même s'ils ont été adoptés par nos conseils d'administration ou nos sénats, ne sont pas respectés. Les conseils d'administration, qui sont censés représenter les intérêts de la collectivité, ne s'intéressent qu'à créer une économie mondiale au lieu de s'engager à créer un milieu d'apprentissage libre de toute prise de contrôle de la part d'entreprises.

Alors, qu'est-ce qui est à vendre? Entre autres, il y a l'accès à une nouvelle génération de consommateurs: les étudiants. On permet de plus en plus aux grandes sociétés de passer des annonces publicitaires pour tout, allant des écrans de veille à des cours précis. On influe sur les habitudes de consommation, sur les valeurs et sur les opinions politiques des étudiants à l'intérieur même des écoles. Les établissements postsecondaires privés ne sont pas au service des intérêts des citoyens, parce qu'ils n'ont aucun compte à rendre au public. Le fait que la grande majorité des institutions privées soient financées par le secteur privé et cherchent à faire des profits se solde par des frais de scolarité excessivement élevés. Même s'ils reçoivent une aide financière du gouvernement, les étudiants dans les institutions privées paieront plus pour leur scolarisation et leur formation qu'ils ne le feraient si des fonds publics permettaient d'offrir ces mêmes programmes dans des institutions publiques.

On s'éloigne de la création d'institutions qui visent le bien-être public, souvent de façons impossibles à mesurer ou à quantifier, telles que par la poursuite du savoir et l'éducation de l'électorat, pour aller vers des institutions qui servent des intérêts privés, et qui, en cherchant à maximiser les profits, peuvent donner des résultats facilement mesurables et quantifiables. Les objectifs de la mondialisation ayant trait à l'éducation reposent sur la disposition de l'éducation qui prépare les citoyens à participer à une société démocratique, au profit de l'éducation qui prépare les travailleurs des entreprises. Mettre l'accent sur la formation des travailleurs sert non seulement les intérêts économiques des sociétés, mais diminue aussi la capacité des citoyens d'insister pour que les gouvernements limitent l'emprise des sociétés sur leur vie. L'éducation qui prépare les citoyens à participer à une société démocratique sera, évidemment, toujours disponible, mais seulement à ceux d'entre nous qui peuvent se le permettre.

L'enjeu est notre capacité en tant que société de prendre les bonnes décisions. Le monde devient de plus en plus complexe tous les jours, et cela nous oblige à faire face à des changements technologiques très rapides qui entraînent souvent des conflits dans les valeurs sociétales. Tant que nous croyons à l'idée d'une société démocratique, nous devons nous efforcer de donner aux Canadiens l'éducation nécessaire pour faire des jugements complexes concernant l'avenir de notre société.

Merci.

Le président: Merci beaucoup, madame Bryans.

J'aimerais rappeler aux députés qu'il nous reste 15 minutes au plus, alors chacun a peut-être trois ou quatre minutes.

• 1620

[Français]

Mme Maud Debien: Je voudrais tout simplement faire un commentaire sur les interventions de MM. Laberge et Preston concernant la gestion de l'eau. Évidemment, on peut difficilement être en désaccord sur les dix principes directeurs que vous avez énoncés concernant entre autres la propriété publique de l'eau et sa gestion.

Vous savez que la Constitution prévoit que la gestion de l'eau relève de la compétence des provinces. Que je sache, il n'y a actuellement aucune province qui fait de l'exportation d'eau en vrac—je l'ai vérifié auprès de M. Penson tout à l'heure—, sauf peut-être la Colombie-Britannique. Mais je dis cela sous toutes réserves, puisque je n'ai pas l'information exacte en main. Je sais que le Québec ne fait pas d'exportation d'eau en vrac.

Je ne sais pas si vous avez pris connaissance d'une étude récente. Il semble qu'un organisme de l'ONU ait lancé un cri d'alerte, la semaine dernière, au sujet des forêts et des océans. Ce qui m'inquiète autant que la gestion de l'eau publique, c'est la contamination de la nappe phréatique par l'industrialisation accélérée. En fait, à quoi sert-il de s'interroger sur la gestion et la distribution de l'eau si elle n'est pas buvable? Il faut donc s'assurer préalablement que la nappe phréatique ne soit pas contaminée et qu'on puisse faire toutes les recherches nécessaires à cet effet.

Je voulais davantage soulever ce commentaire que poser une question.

Le président: Monsieur Laberge.

M. Gilbert Laberge: Vous avez traité des compétences provinciale et fédérale en matière de gestion des eaux. Je crois que le fédéral doit agir à titre de leader face aux provinces, leur donner une vision et leur indiquer la direction à suivre lorsqu'elles mettront en oeuvre leurs propres politiques. Par exemple, comme l'indique mon court document, c'est le gouvernement fédéral qui devrait s'assurer qu'on protège notre environnement et qu'on combatte la pollution, et il devrait le faire en comptant sur la participation des provinces et des entreprises. Le gouvernement fédéral devrait avoir une vision très bien orientée afin de veiller au bien-être de sa population et de donner l'exemple au reste du monde.

Il faut que le gouvernement fédéral intervienne pour faire en sorte que les entreprises qui polluent nos eaux arrêtent de le faire le plus tôt possible. L'eau qui descend du ciel et des nuages ravitaille la végétation, les êtres humains, les animaux et les insectes. Si cette eau est sale et polluée, nous allons dépérir.

• 1625

Les égouts qui sont déversés dans les lacs et rivières, y compris dans les Grands Lacs, ont causé une pollution extrême de ces cours d'eau. Chaque pays doit faire des pas dans la bonne direction afin d'assainir les eaux. Nous bénéficions d'une très bonne eau et nous devrions donner l'exemple. Si nous n'agissons pas, comme mon confrère le mentionnait, les choses vont empirer et il sera très difficile et très coûteux de remettre nos cours d'eau en bon état. Cet élément de la création représente notre survie.

Le président: Merci, monsieur Laberge.

[Traduction]

Avez-vous des questions, monsieur Blaikie?

M. Bill Blaikie: J'ai deux points à soulever.

Pour ce qui est de l'eau, pour la gouverne des témoins qui l'ont évoquée, je crois qu'ils devraient savoir qu'une motion a récemment été adoptée à la Chambre des communes. C'est moi qui l'avais proposée. C'était une motion de l'opposition présentée par le NPD lors d'un jour désigné, demandant un moratoire national sur l'exportation de l'eau en vrac et demandant une loi qui en interdirait l'exportation. La motion a été adoptée, techniquement, de façon unanime. Je crois que le Bloc s'y opposait, mais ils l'ont approuvée par accident parce qu'ils estimaient que...

[Français]

Mme Maud Debien: [Note de la rédaction: Inaudible].

[Traduction]

M. Bill Blaikie: ...c'est une question de compétence provinciale.

Évidemment, après l'adoption de la motion, le gouvernement a tenu une conférence de presse et a annoncé que, d'après lui, il se conformait à l'esprit de la motion, parce qu'il demandait dix moratoires provinciaux, tandis que la motion demandait un moratoire national. On n'a pas encore vu de projet de loi, bien qu'il pourrait en effet y en avoir un.

En discutant de cette motion, j'ai prôné le point de vue que vous avez adopté, monsieur Preston, c'est-à-dire que ce serait une grave erreur de considérer l'eau comme le pétrole du XXIe siècle. C'est une phrase que le ministre du Commerce, M. Marchi, répète souvent. Je crois que ce serait une grave erreur, de plusieurs points de vue. Pourtant, on a tendance à considérer l'eau comme n'importe quelle autre denrée. Alors, je suis certainement d'accord avec vous sur ce point.

Je voulais aussi dire, au sujet de l'exposé de Margaret au nom de la Fédération canadienne des étudiants, que je crois qu'il y a un lien entre les frais universitaires et la mondialisation, et le voici. On ne le dit pas souvent, mais je crois que la mondialisation, comme nous l'avons dit plus tôt, crée au Canada une économie de gagne-petit, et alors le système, dans la mesure où il est lucide, veut qu'il y ait de moins en moins de diplômés universitaires, parce que si on veut réduire constamment la rémunération, on veut réduire aussi les attentes. On ne veut pas avoir de diplômés avec de grandes attentes qui se retrouvent à faire de la vente téléphonique. Alors il faut des gens qui ne s'attendent pas à grand-chose. Je crois que c'est en partie cela, réduire le nombre d'étudiants au niveau postsecondaire pour ne pas créer trop d'attentes. S'ils ne sont pas déçus, ils ne feront pas de remous. Tout cela se tient.

Le président: Je suppose que c'est une observation plutôt qu'une question.

Monsieur Pickard, vouliez-vous...?

M. Jerry Pickard: En guise d'observation, je crois que pour ceux qui examinent les systèmes aujourd'hui, Margaret, il ne fait aucun doute que nous devons nous efforcer de faire en sorte que tous les jeunes puissent acquérir des compétences et profiter de débouchés. Je crois que c'est ainsi que les choses devraient se passer. Je crois que nous essayons de faire tout notre possible en ce sens.

Évidemment, les frais de scolarité universitaires ont simplement grimpé en flèche; cela ne fait aucun doute. Cela tient beaucoup aux coûts d'exploitation, aux salaires, aux installations en place, et à la technologie de pointe nécessaire. L'éducation universitaire exige beaucoup de ressources. Qu'il s'agisse de l'éducation universitaire, dans un collège communautaire, ou à l'école secondaire, il faut que tout le monde participe directement, que nous fassions tout notre possible. C'est une priorité, cela ne fait aucun doute.

• 1630

Pour ce qui est du reste, on peut débattre, Bob, de votre point de vue et de celui de George et de Gil concernant l'eau. Tout le monde est pour la vertu. Je crois que tout le monde autour de cette table est d'accord pour dire que l'eau est protégée, et je dirais que le ministre du Commerce est d'accord aussi. Alors, je ne vois pas ce qui distingue le point de vue que vous proposez. Je crois que le point que vous avez souligné est important.

Le président: Merci beaucoup tout le monde. Étant donné l'heure, il va falloir clore la séance. Au nom du comité, j'aimerais vous remercier, tous et chacun, d'être venus pour nous faire part de vos expériences et de votre point de vue concernant les négociations commerciales à venir.

Mesdames et messieurs, j'aimerais vous rappeler qu'il y a un autobus qui nous amènera à l'aéroport, et que nous partirons dans une dizaine de minutes. Si vous n'y êtes pas, il faudra que vous vous occupiez de votre propre transport à l'aéroport, parce qu'il faut prendre cet avion.

Nous nous réunirons demain à 9 heures au Holiday Inn, rue King.

Nous reprendrons nos travaux à 9 heures demain matin à Toronto. Merci beaucoup. La séance est levée.